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De la « non-inhumanité » d’un cinéaste d’exception : James Gray (dans « The Yards »)

06juin

A la double occasion d’un (nouveau : le troisième, en l’occurrence : le premier, ce fut « en salle », à la sortie en France du film ; et le second, lors de sa parution en DVD) visionnage de « The Yards » (le film est sorti en 1999), lors d’un passage mercredi soir) à la télévision,

et de la sortie, cette fin mai, du DVD de « Two Lovers« , le dernier film de James Gray _ cf mon article (admiratif !) du 21 novembre 2008 : « “Two Lovers” _ ou de l’”humanité” vraie du “care” dans le regard cinématographique de James Gray » _,

je suis demeuré, cette fois encore, béat d’admiration face à la très profonde « non-inhumanité« 

_ selon l’indispensable concept stieglérien (passim ; dont, par exemple, le très important « Prendre soin _ 1 de la jeunesse et des génération« ) _

de cet auteur cinéaste, James Gray ;

face à la beauté (et vérité) de cet immense film, « The Yards« , donc ;

ainsi qu’à ce que James Gray obtient de ses acteurs-interprètes :

en commençant par le visage de Mark Wahlberg, par les yeux (et le regard : les deux !) ultra-sensibles duquel, via le personnage (de Leo Handler) qu’il incarne, se déroule, pour les spectateurs fascinés du film que nous sommes, à en suivre, scène après scène, le défilement sur l’écran, l’intrigue de ce polar new-yorkais (dans le quartier de Queens, cette fois (pour « Little Odessa« , c’était dans le quartier juif russe du Bronx) ;

et en continuant par les yeux (et le regard : désolé) chargés de noir de Charlize Theron (transformée pour l’occasion en la brune Érica Stoltz) ;

mais encore à travers l’incarnation « habitée » de tous les autres acteurs :

d’abord, pivot (pour beaucoup, mais quasi à son corps défendant…) du Fatum, l’ange sombre (Willie Guttierez) que figure le d’autant plus dangereusement lisse Joaquin Phoenix (qui revient, avec Marc Wahlberg, dans « La Nuit nous appartient » ; puis sans lui, dans « Two Lovers » : en DVD cette semaine) ;

relayés du côté de ceux qui ont « sombré » par les impeccables figures que donnent à leurs personnages (de « parrain« , Frank Olchin, et de son épouse, Kitty Olchin : soient la mère d’Érica ; et son beau-père) les (toujours !) impeccables James Caan et Faye Dunaway (le premier, fragile dans les incertitudes de ses plus noires décisions; la seconde, le regard protégé par d’immensément larges verres de lunettes translucides ou teintées) ;

et du côté de ceux qui ont tant bien que mal « tenu« , mais terriblement « amochés« ,

la bouleversante, dans sa sobriété, Ellen Burnstyn, dans le personnage de Val Handler, la mère veuve et en bien mauvaise santé (au cœur près de céder…) de Léo…

C’est à un film de « regards » immergés en pleine action (violente), que nous sommes invités à assister,

en ce « réel » de concurrence exacerbée des compagnies d’entretien du métro new-yorkais,

du fait surtout de la place qu’y prennent des plans relativement rapprochés…

A part ces moments de « regards » éperdus, « pris«  (au plus près de leurs silences par la caméra formidablement attentive de James Gray, dans sa sobriété), à la toile dans laquelle se « prennent« , sans pouvoir s’en « dépêtrer« , les mouvements inchoatifs et malheureux de ses trop malhabiles protagonistes),

je noterai deux remarquables scènes-« ballet«  (si j’ose les qualifier ainsi) de « bagarres«  (mais sans le moindre formalisme, ni maniérisme de la part de la caméra ; ni a fortiori hyper-baroquisme…), mettant « aux prises« , en deux extraordinaires et imprévues accélérations des gestes, les personnages qu’incarnent,

d’une part (les deux fois) Joaquin Phoenix,

et d’autre part, dans la plus longue et en extérieur _ dans la rue _, Mark Wahlberg ;

et, dans la plus brève et en intérieur (avec escalier et étages), Charlize Theron :

le corps de cette dernière (Érica) en restera définitivement « figé« 

en une improbable figure de « poupée » désarticulée et arrêtée en une posture anguleuse, immobilisée et cassée (mi à la Hans Bellmer, mi à la Egon Schiele, peut-être…) ;

tandis que les deux autres, félins (Willie et Leo), continueront, dans la rue, à courir _ même si moins vite..

On pourra lire ici un très beau commentaire de ce film, par Alexandre Tylski

(ainsi qu’un autre, « à contresens« , lui, de ma perception : pour mieux se rendre compte de la pertinence… ; par Serge Kagansky) :

Mais d’abord, cette remarquable interview-ci de James Gray, par Olivier Nicklaus,

sur lesinrocks.com le 9 mai 2000 :

« The Yards de James Gray » :

On attendait avec impatience le deuxième film de James Gray, qui avait fait forte impression il y a cinq ans avec « Little Odessa« . « The Yards« , avec toujours New York en arrière-plan, revisite le « thème » de l’individu face à l’injustice et à la perversité.

Pourquoi une aussi longue absence ?

James Gray : ­ C’est très simple. J’ai du mal à monter les films auxquels je tiens, qui représentent un risque pour les producteurs. L’industrie du cinéma est très dure. En outre, je ne suis pas le genre de personne à avoir des tas d’idées et qui, si un projet patine, peut s’atteler à un autre. Depuis « Little Odessa« , je n’avais que « The Yards » en tête. Ce film me tenait trop à cœur pour que je l’abandonne comme ça. Je suis un réel obsédé ; et je ne suis pas prêt à faire de compromis ! Du coup _ cette « vertu » se paie ; et à un prix fort ! _, j’ai mis trois ans à le monter.

Trois ans pour convaincre les studios ?

C’est plus compliqué que ça. « Little Odessa » a obtenu un succès critique suffisant pour que les studios s’intéressent à moi. Le problème, c’est qu’ils vous veulent pour réaliser un scénario à eux. J’en ai lu quelques-uns : ils me tombaient des mains ! C’est absurde quand on y pense. Ils vous remarquent pour votre singularité _ voilà ! _, mais si vous leur proposez un projet personnel, ils _ les « instrumentaliseurs » du marketing… _ n’en veulent pas ! Là est la vraie explication des cinq ans entre « Little Odessa » et « The Yards« . Je trouvais qu’il y avait suffisamment de réalisateurs remarqués pour leur premier film, mais dont le deuxième était une merde estampillée « studio« . Alors même si j’en ai bavé pendant toutes ces années laborieuses, aujourd’hui, je ne le regrette pas. Au final, j’ai tourné le film que j’avais écrit.

« The Yards » est un projet cher ?

Mes difficultés n’ont jamais été tellement liées à l’argent, mais plutôt au casting. Les acteurs, surtout les stars, viennent vous voir en vous disant « J’ai adoré « Little Odessa« , je veux absolument être dans votre prochain film. » Et quand vous parlez réellement d’un projet avec eux, vous vous rendez compte qu’ils ne cherchent qu’une vitrine _ toujours l‘ »instrumentalisation«  et le marketing ; au rebours de la singularité de l’œuvrer « vrai«  (= authentique) !.. Moi, j’essaie de faire des films, pas des vitrines pour Untel ou Unetelle. Sur mes films, j’ai même l’ambition de réunir une équipe et que chacun ait le sentiment d’apporter sa pierre à un projet commun _ ce qu’est l’œuvrer de cinéma…

A l’arrivée, vous avez pourtant une distribution particulièrement excitante _ et encore mieux que ça ! _ : Marc Wahlberg, Joaquin Phoenix, Charlize Theron, James Caan, Ellen Burstyn, Faye Dunaway…

C’est vrai, ce sont des acteurs merveilleux _ oui !!! _, et contrairement à l’image que l’on pourrait avoir d’eux, aucun de ces six-là n’a justement _ ouf ! _ ce complexe de la vitrine. Wahlberg et Theron _ les deux regards-pivots du film… _ ont fait eux-mêmes la démarche de m’appeler pour participer au projet. Et Caan ou Dunaway savaient qu’ils n’auraient que des rôles secondaires, mais ils se sont mis d’emblée au service du film _ voilà la démarche d’un « véritable » artiste !

Quel est le point de départ du projet ?

C’est très autobiographique _ ce point est, lui aussi, important. J’ai voulu faire un film sur un groupe de personnes qui essaient _ dans la difficulté du « réel«  _ de se construire en tant que famille _ voilà… Mon père a travaillé dans le business du métro à New-York. J’ai donc beaucoup observé _ oui : avec attention et curiosité authentique… _ ce monde quand j’étais jeune, en particulier la corruption _ oui ! _ qui y règne. C’est ma version de « Sur les quais » de Kazan, en remplaçant les quais par les rames de métro. D’ailleurs, le titre du film, « The Yards« , évoque les voies de garage du métro new-yorkais.

Il y a déjà un cliché au sujet de votre cinéma : cette fameuse « noirceur« .

(Rires)… Oui, c’est vrai. Mais le monde est comme ça, je n’invente rien. « The Yards » est un drame social _ réaliste et tragique, tout à la fois _ inspiré de ma propre expérience, des gens que j’ai croisés, avec une pincée de Visconti en plus.

Visconti ou Kazan ? Ils n’ont pas vraiment le même regard sur le monde.

Oui, c’est vrai. Alors je choisis Visconti. Le Visconti de « Rocco et ses frères« . Au fond, la morale de Kazan est trop binaire, ne rend pas assez compte _ un verbe important _ des complexités du monde. Visconti n’est d’ailleurs pas ma seule influence européenne. Il faudrait aussi citer les autres Italiens : Rossellini, De Sica ; et puis les Français de la « Nouvelle Vague« .

Et les Américains ? Vous avez tourné à New York, une ville qu’ont déjà quadrillée des grands metteurs en scène comme Martin Scorsese ou Woody Allen. Comment avoir _ mais Gray ne le recherche pas : il l’a… _ un regard singulier sur cette ville ?

J’ai un ego monumental sur bien des sujets, mais, bizarrement, pas sur celui-là.

Je ne filme pas le Queens, je ne filme pas du tout à la même échelle que Scorsese. Lui, ce serait le grand angle, et moi, le plan rapproché _ voilà ! Si vous tenez à faire un film sur un sujet qui vous tient à cœur, votre singularité suivra _ tout simplement ; quand d’autres ne l’« empêchent«  pas : c’est aussi le « sujet«  même du film…

Voici, ensuite, la critique « The Yards de James Gray » avec laquelle je me sens en désaccord, par Serge Kagansky, le 30 novembre 1999, dans le numéro 253 des Inrockuptibles :

« The Yards » de James Gray séduit par sa tonalité crépusculaire et ses dialogues chuchotés.

Si « The Yards » déçoit un tantinet _ voilà… _, c’est surtout relativement à l’attente _ toujours relative, en fonction de notre « perspective » et de nos références particulières, forcément : après, il s’agit de « se hisser«  à la hauteur de l’œuvre ; si œuvre il y a (bien…) ; et pas seulement « produit« … : c’est cela que doit être l’objectif du « spectateur«  lambda, comme celui du « critique«  ayant pignon sur rue, lui… _ placée sur le nom _ devenant « marque« , « logo«  _ de James Gray, attente à la fois temporelle (cinq ans qu’on attendait ce deuxième film) et qualitative (« Little Odessa » avait laissé une empreinte durable). « The Yards » est d’ailleurs une sorte de remake de « Little Odessa« , et en même temps son contraire. Il en reprend les thèmes et les motifs : le retour du fils prodigue, le quartier et la famille, l’importance des mères vertueuses _ pas toutes _ et les figures de pères _ surtout ceux de « substitution«  (Frank Olchin), par rapport à ceux qui ont disparu (Stoltz, le père d’Érica; Handler, le père de Leo)… _ corrupteurs, la proximité de la tragédie antique et la construction sobrement opératique. Mais là où « Little Odessa » était diurne, blanc et neigeux, « The Yards » sera nocturne, noir et ocre.

Au passif du film, on notera qu’il ne renouvelle _ ah ! voilà donc le péché originel, pour la clique des « hyper-modernistes«  _ absolument pas le « genre » du film noir, que ce soit sur le plan thématique, narratif ou formel. Plastiquement, « The Yards » peut être identifié comme néoclassique _ autre pseudo tare… _, avec sa facture propre et lisse _ c’est donc un défaut : et les regards, sont-ils lisses ?.. _, et la présence trop forte du « production designer« , la plaie récurrente de la NQA (nouvelle qualité américaine). Malgré tout, « The Yards » est loin d’être un objet insignifiant _ ouf ! pas tout à fait rien qu’un « produit« _ à balayer d’un revers de regard.

A la colonne crédit _ c’est une comptabilité que cet article… _, on mettra d’abord le casting _ éblouissant, en effet ! En sus d’un Wahlberg idoine _ oui ! _ et d’un Joaquin Phoenix très Elvis 1956, on remarque la présence de chères vieilles branches (James Caan, Faye Dunaway, Ellen Burstyn) qui habitent puissamment _ en effet ! _ le film et indiquent d’où vient le désir de cinéma _ oui… _ de Gray : du cinéma américain des seventies : ­ il y a pire comme référent. Mais c’est dans les détails que le film creuse sa différence _ ou sa singularité ? non recherchée, elle… _, par exemple le son : bruits étouffés de la ville, dialogues le plus souvent murmurés, plages de silence _ c’est parfaitement ressenti et observé… « The Yards » est un film en sourdine _ oui ! _ que l’on écoute au moins autant qu’on le regarde _ en effet ! Et quand on le regarde, on garde en tête la dominante crépusculaire, mordorée de la photo, ou encore la progression déflationniste de l’histoire sur un tempo de marche funèbre. Le film échappe ainsi à l’académisme qui le menace constamment _ menace en consonance avec toutes celles de ce « réel«  dont il traite ; et auquel il ose se confronter, non sans blessures…


« The Yards » n’est certes pas terrassant d’originalité _ il le faudrait ? éperdument ??? « inrockuptiblement«  ?.. _ et si James Gray n’est pas Scorsese ou Ferrara _ ah ! bon ! serait-ce un « défaut » ? _, il rejoue certaines gammes connues _ quel dommage, entend-on penser tout fort l’auteur _ du cinéma américain avec suffisamment d’élégance _ certes : admirable ! _ et de doigté _ artisanale, technicienne ? _ pour qu’on tende _ tout de même un peu… _ l’oreille.

Serge Kagansky

Et voici, maintenant, l’analyse (non chichiteuse) que je préfère :

celle d’Alexandre Tylski dans le magazine « Cadrages » :

« L’Entrepot du mouvement« …

L’entrepôt du mouvement

Le film s’amorce dans une obscurité toute tombale. La toile est noire. Puis, par petites touches, quelques points blancs de lumière traversent fugitivement l’écran de part en part, comme le passage dans l’espace à la vitesse de la lumière dans un film de « science-fiction« . Mais rapidement, nous voilà bien ancrés sur terre _ certes ; et aussi dessous ! _, dans la vie concrète contemporaine, au sortir d’un tunnel de métro, dont les rails, et les murs peints de vieux graffitis, suintent d’une détresse gelée, inerte, sans âme _ oui ! Pourtant la force du mouvement est bien présente, le travelling arrière, décidé, semble vouloir s’arracher avec vigueur de l’emprise des ténèbres _ tout à fait ! Le regard du spectateur est mis en situation de devoir affronter, découverte après découverte, et de pleine « face« , sans se dérober, ce que l’écran va lui proposer-imposer (du « réel« ). « THE YARDS » est un film pictural très sombre parcouru de contre-jours, de visages _ avec leurs gestes de regards jetés _ coupés en deux par l’ombre, de pannes de lumière, de bougies, de lampes de chevet. Inspiré par _ Georges _ De La Tour, Hopper, Caravage, James Gray, comme pour son premier film « LITTLE ODESSA » [1994], a d’ailleurs peint des dizaines d’aquarelles à l’attention de son chef opérateur Harris Savides. «C’est le moyen le plus simple d’exprimer mes souhaits. Concernant les couleurs notamment. Pas de bleu, pas de noir profond, mais des ocres, des bruns Terre de Sienne…», avoue le jeune cinéaste.

D’un point de vue scripturaire, « THE YARDS » bénéficie comme « LITTLE ODESSA« , d’un générique sans majuscules. Référence directe au poète américain e. e. cummings qui revendiquait par là un refus de l’héritage et de la bureaucratie. Rébellion contre une certaine forme de traditionalisme social. Le titrage du film est laissé de plus volontairement en marge de l’image ; les personnages, eux aussi, marginaux _ oui _, toujours échoués au bord du précipice _ certains vont y chuter, lourdement _, sur une autre planète, esseulés et minuscules  _ c’est cela _ par rapport au reste du monde _ d’où l’inquiétude infiniment éperdue de leurs regards mouvants. Magnifique humilité _ oui _ de l’acteur Mark Wahlberg ; et magnifiques hésitations _ oui _ de l’actrice Charlize Theron. Deux visages _ oui  : d’abord eux _ effrayés, perdus et bouleversants _ absolument ! Film de recherche autour de la solitude _ oui _ sociale et familiale avec un style toujours aussi subtil et affirmé _ exactement ! Gray l’a répété dans maints entretiens : «Il n’était pas question pour moi de tourner autre chose qu’un drame social. Mes parents ont toujours pensé en terme de classe. J’ai toujours senti chez mon père une profonde déception de ne pas avoir su s’élever par la richesse. Dans le contexte social de l’Amérique, on peut toujours avoir le sentiment  _ frustant et liquéfiant _ d’être passé à deux doigts de la vie dont on rêvait.»

Au niveau musical, on retrouve par ailleurs subtilement tous ces sentiments-là présents dans « THE YARDS ». Ainsi, la partition originale de Howard Shore (décidément grand compositeur du cinéma indépendant) imprègne au film,  par de longues notes sobres et sombres, un rythme _ très important _ souvent en décalage tragique avec la violence des mots et des regards. De même, les voix des acteurs souvent à mi-voix, à peine articulées et audibles creusent la fosse entre les évènements tragiques et leurs faibles voix de vieillards _ oui, oui, oui… L’utilisation musicale à la fin du film d’un bout de «Saturne» tiré des « Planètes » de Holst referme en cela le tombeau _ oui. Morceau préféré de Holst lui-même, il a pour particularité de présenter la vieillesse sous différents aspects : le froid, la solitude, la terreur et enfin la paix (les thèmes mêmes du film) _ comme c’est parfaitement jugé ! La fin calme de ce morceau est utilisé d’ailleurs à la fin de « THE YARDS  » lorsque trois générations se serrent dans les bras. Le film de Gray, 31 ans, peut dès lors se voir comme un film sur la maturité, la mue, la vieillesse, la responsabilité _ de l’honnête face à l’utile, quand ils se contredisent tragiquement ! Cf l’essai d’ouverture du Livre III des « Essais«  de Montaigne… Les jeunes veulent devenir grands et devenir responsables.. Mais peut-on être responsable dans cette société carcérale et réductrice ? _ telle est en effet ici la question de fond…

Dans un entretien donné à « Libération« , Gray explique: « Ce qui m’intéresse, c’est de travailler et d’interroger le système de l’intérieur en essayant d’être un agitateur. La beauté plastique et musicale du film est en soi un moyen de commenter _ et contester, par là _ le système. On passe de la séduction à la subversion. C’était la théorie de Visconti ; et je n’ai pas hésité à la lui voler ! Et puis j’ai toujours aimé les opéras véristes, ce mouvement esthétique très localisé au XIXe, avec des œuvres de Puccini ou Mascagni, qui a consisté à élever d’un point de vue stylistique les couches les plus basses de la société, à les traiter avec le respect et l’émotion dus aux rois ou aux reines. » « THE YARDS » raconte les déraillements successifs du jeune Léo (Mark Whalberg) qui sort de prison pour tenter de rester dans le droit chemin. Ce film est l’histoire de rails, de voies. Leo demande du travail au beau-père de sa cousine, Frank (James Caan) patron de l’Electric Rail Corporation ; et c’est avec Willie, homme de main du patron que Leo va travailler. Ils s’acharnent dans la nuit à détériorer les machines des concurrents _ voilà le départ du « déraillement » de Leo… _, mais, coup dur, Leo est accusé à tort du meurtre d’un gardien. Les choses dérapent et lui échappent, tout devient alors confusion et fantomatique. L’argent, monstre concret, a réduit à l’état de cendres les esprits et les cœurs _ jusqu’à l’ordre (et la complicité active) de meurtre : ainsi en va-t-il de Kitty Olchin, aussi ; pas seulement de Frank Olchin ; ou de Willie Gutierrez.

Le scénario du film qui entremêle famille et mafia, fait irrémédiablement penser à du Francis Coppola. James Caan qui jouait le fils du « parrain » dans « THE GODFATHER » [1971] tient ici, cette fois, le rôle du « parrain« , avec les mêmes mimiques de visage, les mêmes gestes et les mêmes façons de mouvoir son corps que Marlon Brando. Gênant a priori, mais Caan reste un acteur touchant par sa _ fondamentale _ vulnérabilité. Or, c’est une des différences avec les « films de gangsters » passés et actuels. On voit dans « THE YARDS » un souper donné par le parrain, mais Gray nous peint un patriarche ni écouté ni même respecté. Même la nourriture n’a plus rien de traditionnel dans cette famille (vulgaire « repas asiatique » acheté à la sauvette). Contrairement à un Coppola, Gray ne fait pas l’éloge du père, ni de la famille, ni de la tradition. Nulle admiration, nul modèle social. Tout reste stocké dans une immobilité retenue et stérile _ morbidement. Dans « THE YARDS » (en français : « les entrepôts »), la liberté et le mouvement sont entreposés _ en puissance _, jamais exercés _ en acte. James Gray conclut: « A mes yeux, il est impossible de voir comme positive cette fin où un type n’a pas seulement trahi les siens, mais tout ce en quoi il croyait jusqu’à alors ; avec cette musique très sombre en bande-son, et ce dernier plan où il est assis, au bord des larmes, dans la rame du métro, exactement à la même place que celle qu’il occupait au début. L’idée, c’est qu’il n’est allé nulle part» _ il a fait seulement un mortel sur-place ; ou un mortel tourné-en-rond (et a perdu sa cousine Érica)…

Alexandre Tylski

Tâchez de regarder « The Yards« , au moins en DVD ;

et « La Nuit nous appartient » ainsi que « Two Lovers » (désormais disponibles tous deux, aussi, en DVD),

à défaut de « Little Odessa«  : plus difficilement trouvable en DVD en ce moment…

Titus Curiosus, ce 6 juin 2009

Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est « faire monde », à l’excellent Festival « Philosophia » de Saint-Emilion

31mai

Avant de me mettre au travail, ce matin (du 31 mai 2009),

ce courriel à mes amis en Provence (la galeriste) Michèle Cohen, à Aix, et (le photographe) Bernard Plossu, à La Ciotat,

en pensant au vernissage de l’exposition de Bernard Plossu « French Cubism _ hommage à Paul Strand« , à la NonMaison, que dirige Michèle Cohen à Aix-en-Provence :

 De :   Titus Curiosus

Objet : Alors ? + le festival « Philosophia » à Saint-Emilion
Date : 31 mai 2009 07:13:48 HAEC
À :   Bernard Plossu

Cc :   Michèle Cohen

Alors ? Ce vernissage _ à la NonMaison à Aix à 18h _ fut-il joyeux ?

Quant à moi,
je n’ai pas regretté ma balade saint-émilionnaise :
il faisait très beau
_ ce samedi après-midi du 30 mai _ ;
et le festival de « philosophie »
_ cela ne court pas les rues… _,
(probablement…) pour marquer « en hauteur » le classement du « paysage viticole » du « pays » de Saint-Émilion au « Patrimoine mondial de l’humanité » (de l’Unesco)
avait choisi pour thème : « monde« , « mondialisation » et « universalité« …


Les conférences d’Olivier Mongin, le directeur d’Esprit (nous nous connaissons : la Société de Philosophie de Bordeaux,
dont je suis un membre _ un peu _ actif du bureau, l’avait reçu il y a quelques années _ c’était le 15 mars 2001, au CAPC _ ; et il se souvenait de moi),
et de mon ami Bernard Stiegler _ je l’avais moi-même reçu pour la « Société de Philosophie«  le 18 novembre 2004, dans les salons Albert Mollat _
furent brillantes _ et même brillantissimes ! _ :
à la fois d’un très haut niveau de pensée
_ sur ce qu’il faut essayer de penser de la « mondialisation » et de la « crise«  (de « civilisation » !) : rien ne vaut les philosophes pour aider la lucidité !!! _
et à la portée d’un public pas nécessairement spécialiste des concepts (les plus pointus)

Je vais écrire un article

et sur ces 2 conférences
et sur le « concept » même
_ très remarquable (comme sa « réalisation« , par Éric Le Collen) _ de ce « Festival » de philosophie : une grande réussite,
qui attire beaucoup de monde dans cette ville d’art
(comme Aix, même si plus petite de taille ; et dépourvue d’université : l’université est à Bordeaux…) qu’est Saint-Émilion (qui a l’atout _ extraordinaire ! _ de son merveilleux vin ; et tout à côté, il y a aussi Pomerol !)

En « photo« ,
« Hôtel » n’est pas encore sur les étals des librairies à Bordeaux
_ en tout cas pas au rayon « Beaux-Arts » et au nom de Plossu (où je le cherche !), à la librairie Mollat…

J’ai acheté le très intéressant _ et c’est un euphémisme ! passionnant, devrais-je plutôt dire ! _ « Controverses _ une histoire juridique et éthique de la photographie« ,
paru chez Actes-Sud, par Daniel Girardin et Christian Pirker _ et le Musée de l’Elysée à Lausanne…

En attendant vos échos du vernissage à la NonMaison,

je vous embrasse,

Titus

Après une première conférence non philosophique

_ j’avais préféré aller écouter Carmen Añón Féliu, paysagiste et expert évaluateur du « Comité du Patrimoine Mondial » de l’Humanité (de l’Unesco : elle avait participé à la décision de l’inscription de Saint-Émilion sur la liste de ce prestigieux label) _ sur le sujet le « Patrimoine mondial, une valeur universelle ?« ,

plutôt que le philosophe Pierre-Henri Tavoillot sur le sujet de « Une leçon particulière sur l’universel : les Lumières » _,

dont la teneur, certes non in-intéressante, m’a tout de même parue un peu « courte« , tant de contenu de questionnement que d’apport de « faits » ou de « critères » ;

la conférence d’Olivier Mongin a comblé, a contrario, mon appétit de perspectives fouillées perspicaces, concrètes tout autant qu’audacieuses ;

sur le sujet de « Mondialisation et reconfiguration des territoires« , c’est aussi le professeur à l’Université Nationale du Paysage, de Versailles, que nous avons pu entendre, à partir, notamment, d’une très riche (philosophiquement) et large (géographiquement) expérience, dont témoigne le livre « La Condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation« …

Olivier Mongin met en avant la difficulté que peuvent présentement connaître les « territoires«  (relativement statiques ; même si le mot d' »espace » contient aussi la racine « spes« , l’espoir…) ; et avec eux (= ces « territoires« ), en conséquence, l' »habiter » des hommes, face à l’extraordinaire puissance des « flux » (et leurs « liquidités« ) sur lesquels « fonctionne » l’économie post-moderne mondialisée, désormais…


Ainsi Olivier Mongin cite-t-il un auteur américain mettant en avant « ce » que « le mur » tant « protège«  (en l’isolant de l’altérité d’un dehors) qu' »exclut » et « met en danger«  (en l’exposant à toutes forces hostiles), dans la logique (urbaine) des « malls«  (mais pas seulement ceux du « vendre« , bien connus dorénavant de par le monde _ avec partout les mêmes « enseignes« , vendant et répandant partout les sempiternelles mêmes « marques » _ : ceux, aussi, des « quartiers hautement surveillés et protégés« , en expansion continue de par la planète !), on ne peut plus vectoriellement…

Ce qui m’a personnellement rappelé la perspective distincte de (l’européen) Georg Simmel en son si bel article « Porte et pont » (in « Les Grandes villes et la vie de l’esprit« , par exemple ; ou encore in « Philosophie de la modernité« ) ; à laquelle s’oppose le raisonnement en « ami ou ennemi » d’un autre européen, mais pas du même bord philosophique, Carl Schmitt…

Olivier Mongin a aussi cité, à propos d’une « ville globale » argentine _ hermétiquement coupée de son voisinage, mais parfaitement connectée à toutes les autres « villes globales » du globe… _, Saskia Sassen (« La Globalisation : une sociologie« ), à laquelle j’ai consacré un précédent récent article (le 21 avril 2009 : « Du devenir des villes, dans la “globalisation”, et de leur poésie : Saskia Sassen« )…

Bref, la ville doit « composer » _ et harmonieusement, si possible : elle est fondamentalement un dispositif de « rencontres« , de « réunions », de « cohabitations« … _ des forces diverses, dans un espace (« urbain« ) relativement identifiable ; selon la logique de la « polis«  : le terme dérive, héraclitéennement, de « polemon« , le conflit…

Et « se reconfigurer » aussi…

Bref, les questions de fond concernent  le « co-habiter« , le « vivre ensemble » ; avec ses circuits divers, ses cercles, ses parcours (de « flux« , déjà : la rue…) en mouvements incessants ; d’où le caractère crucial et plus que jamais « actuel » des enjeux de la démocratie (qui soit « véritable » !) ; qu’Olivier Mongin a très clairement pointés..

Les évocations par Olivier Mongin des mégapoles, telle Kinshasa _ avec un « habiter » totalement oxymorique… _, ou de la « ville globale » (à la Saskia Sassen…), telle celle qui jouxte Buenos Aires,

gagneront à êtres comparées aux regards et analyses de Régine Robin dans son très beau « Mégapolis » _ cf mon article du 16 février 2009 : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« … ;

qui m’a valu cette réponse de Régine Robin, en date du 18 mars, et sous l’intitulé « votre beau texte » :

Nicole Lapierre m’a fait suivre votre blog consacré à mon livre. Il est très beau, très poétique. J’en suis très émue et heureuse.
Restons en contact.
Très amicalement et poétiquement.
Régine Robin.

Cela fait plaisir…

Quant à l’ami Bernard Stiegler,

sa prestation _ sur le sujet « Du marché au commerce » et dans une forme olympique ! _ fut particulièrement brillante, tant il a su amener le public (très nombreux et extrêmement attentif dans le cloitre de la collégiale par cette belle après-midi splendidement ensoleillée _ de nombreux livres furent achetés après la conférence !) à entrer dans une intelligence jubilatoire du présent (et de sa « crise« ) en pénétrant peu à peu la conceptualisation stieglérienne, à propos de ce qui sépare le « commerce » des singularités qualitatives (de « personnes » qui sont des « sujets« )  d’un « marketing » qui vise l’accélération _ spéculative financière : strictement comptable _ de l’efficacité d’un dispositif d’achat par de simples (et de plus en plus « simplets« , « crétinisés« …) « cœurs de cible«  ;

dont le fort habile neveu de Sigmund Freud, Edward Bernays, parti d’Autriche faire fortune aux Etats-Unis, rédigea en 1928 le mode d’emploi basique : « Propaganda : comment manipuler l’opinion publique« …

En lieu et place du « commerce« , par exemple, de l’amour,

dans la logique complexe et qualitative d’un parcours (plus ou moins, et peut-être infiniment, labyrinthique et long ; avec, aussi, un certain coefficient d’improbabilité ; ainsi que de l’imprévu, plein de charme !) de « désirs » échangés,

procéder par ce dit « marketing » à la mise en place _ sociétale, instituée _ de dispositifs pavloviens strictement « réflexes » de satisfaction rapide de « pulsions » (« déchargées« ) par la « consommation« ,

c’est-à-dire l’achat, payé en espèces sonnantes et trébuchantes ;

ou mieux, en leur équivalent électronique ;

de « dépense« ,

de biens et services identifiés (et « fidélisés » _ mais ce n’est pas ici une vertu… _ addictivement en « marques » :

sur l’addiction, lire Avital Ronell : « Addict : fixion et narcotextes » ;

et sur les « marques« , lire Naomi Klein : « No logo _ la tyrannie des marques« …).

Bernard Stiegler s’en prend alors plus spécifiquement à la « bêtise systémique » d’une « consommation » « crétinisée » ;

qui ne prend jamais le temps (devenu bientôt trop coûteux pour elle) d’un peu mieux évaluer,

ni d’échanger des impressions _ un « consommateur » en a-t-il jamais ? _ avec d’autres (« dépenseurs » d’argent : on se contente de « faire les comptes » !..),

en une logique (spéculative strictement comptable ! et à toute vitesse ; et parfois assez complexe…) de rendement d’intérêt (financier !) le plus « à court terme » possible installée par et en faveur d’actionnaires « spéculateurs » hyper mobiles (= les principaux bénéficiaires d’un tel « jeu » de « placements« …) ;

pas même pour le profit,

davantage « engagé« , lui, dans les arcanes du « réel » et d’un « travail » de transformation des choses (et selon de bien réels « métiers« ),

des « investisseurs » d' »entreprises« …

Bref, l’alternative de la souricière (de l’aujourd’hui sociétal de « crise« ) est bien :

_ ou bien le « choix » « réaliste » de ces valeurs « spéculatives » « irréelles » de profit pour soi du seul « marché«  (auquel poussent certains élus politiques, que Bernard Stiegler n’hésite pas, au passage et sans s’y attarder, à nommer ; dans le sillage du « There is no alternative » d’une Mrs Thatcher, à la fin des années 70 ; ou d’un « Le problème, c’est l’État » d’un Ronald Reagan au début des années 80) ;

_ ou bien la décision (généreuse : moins intéressée et égocentrée) d’un « commerce » plus « solidaire« , tant des personnes que des citoyens, de tout remettre à plat de ces échanges de soi avec les autres sur de plus saines (= vraies) bases :

où il s’agit enfin, et pour chacun, de « consister » ; en une « intimité » à d’autres non instrumentalisés, ni « jetables » après hyper rapide « consommation » (et « consumation« ) de quelques « services » « vite faits bien faits« …

C’est là situation de fait

_ cf ici l’alternative d’un Cornelius Castoriadis dès les années 50 entre un « vrai socialisme » ; et une « réelle barbarie« … (bien du chemin restant à accomplir pour le comprendre mieux…) _

que les nouvelles technologies _ de plus en plus sophistiquées et efficaces, certes ; celles du « temps-lumière » (après le « temps-carbone« …), selon les expressions du tout récent « Pour en finir avec la mécroissance » de Bernard Stiegler (avec Alain Giffard et Christian Fauré) _ proposent, de gré ou de force, aux organisations inter-humaines ;

à commencer par politiques et économiques :

ainsi Bernard Stiegler a-t-il très brièvement « remarqué« , au passage _ les cloches de la collégiale sonnant alors à toute volée et longuement par-dessus le cloître… _, qu’appelés très prochainement à voter, nous disposions (encore) d’une certaine responsabilité de « citoyens » ;

et que certains chefs d’État, de fait, « appuient » (davantage que d’autres personnes) certains « dispositifs relationnels » (de marketing) qui « néantisent » le sujet en la personne ;

à nous d’en prendre (un peu) mieux conscience ;

et d’en tenir (un peu mieux) compte en nos actes ; pour choisir (et pas seulement un jour d’élection) entre  (tout) ce qui va vers l' »in-humain« , et (tout) ce qui y « résiste » !..

C’est là situation de fait que les nouvelles technologies proposent de gré ou de force aux organisations des rapports du « commerce » humain, dans tous ses aspects ;

et à l’aune, donc, de l’alternative (puissante) entre « non-inhumain » ou bien « inhumain » : à nous d’en prendre mieux et plus fermement conscience…

L’enjeu étant bien la « singularité » à découvrir, faire émerger et cultiver_ ou pas _ pour l’épanouir _ ou la laisse périr d’inanition _, des personnes…

Ou la singularité, aussi, d’œuvres de « culture« ,

tels les vins de ce terroir de Saint-Émilion

_ et de Pomerol, pour lequel Bernard Stiegler a « avoué » une certaine prédilection… _,

à l’heure d’une certaine « parkérisation » plus ou moins galopante, par « marketing » et « pré-formatage » de « produits« 

_ à la (de plus en plus pressante, semble-t-il… ; mais c’est à voir !..) demande, précisément de « consommateurs« -« acheteurs » ;

davantage que du fait même de l’excellent « connaisseur des vins« , en leur singularité, justement (!), qu’est le célèbre Robert Parker

(l’auteur en effet célébré et porté au pinacle _ par des « consommateurs » ? des « amateurs » ? voire des « amoureux » ?.. _ du « Guide Parker des Vins de France« …) _,

justement,

aux dépens des « terroirs » et des savoirs (hautement) cultivés d’œnologues-artistes, au moins autant qu’artisans :

« Le vin de terroir est-il l’avenir de la viticulture mondiale ?« ,

devaient on ne peut plus opportunément et « en connaissance de cause » (!) s’interroger, avec le public, le lendemain matin le « Professeur de géographie et d’aménagement ; et membre de l’Institut » Jean-Robert Pitte, en compagnie de Denis Saverot, Directeur de la rédaction de « La Revue du Vin de France« , et, éminent viticulteur « du cru » saint-émilionnais, Alain Moueix, Président de l' »Association des Grands Crus Classés de Saint-Émilion« …

Bernard Stiegler aimant tout particulièrement choisir

pour exemples de la « mise en place » des concepts assez pointus que sa recherche d' »intelligence _ au plus fin, au plus précis, au plus juste ! _ de la complexité du réel » propose,

des situations « parlant » _ et « en vérité » ! _ « au plus près » des savoirs d’expérience de ses auditeurs-interlocuteurs…

Et le public d’agréer à l’analyse…


A une question d’un auditeur (se) demandant

si le « marketing » ne représentait pas une tendance fondamentale de « l’humain » en tant que « nature humaine« ,

Bernard Stiegler a répondu, avec beaucoup de nuances

_ car le « pharmakon« , lui-même entre remède et poison, est autant affaire d’infinie délicatesse dans le « dosage » que de choix des finalités entre aider et nuire, porter assistance et porter tort (tant à soi-même, par masochisme, qu’à autrui, par sadisme), construire et détruire ; et cela dans l’ambivalence tissée au cœur même (battant !) du jeu de « composition« , d’assonances et dissonances, harmonie et dysharmonie, des « pulsions » et « désirs« , évoluant, eux-mêmes, ces « affects« , avec « plasticité« , entre « émotions« , « sentiments » et « passions » (lire ici tant le « Traité des passions de l’âme » de Descartes que la sublime « Éthique » de Spinoza)… _,

Bernard Stiegler a répondu, avec beaucoup de « nuances »

que, quant à lui, il ne pouvait pas se prononcer s’il existait, ou pas, une « nature » de l' »humain » ;

que tout ce qu’il pouvait « assumer« , c’était la possibilité (et le devoir) d’une « retenue » certaine de la « personne » (toujours en devenir « métastatique » elle-même et en (ou plutôt par) ses actions : il l’a expliqué à l’aide de l’image des « tourbillons » du fleuve _ il a dit « la Gironde » _ qui « se maintiennent » comme « tourbillons » dans le jeu complexe et tourmenté, parfois violent et imprévisible, des courants) envers les tentations (ou « pulsions » brutes),

présentes en chacun de nous _ sans exception : là-dessus, on pourra lire le magnifique « Passer à l’acte« , de Bernard Stiegler, paru le 6 juin 2003 aux Éditions Galilée _, et pouvant s’exprimer et « éclater » (= « exploser« …) à tout moment, si nous n’apprenons pas à les « retenir« , à les « conduire« ,

envers les tentations

de nous comporter « in-humainement« .

Succomber, ou pas, à ces « tentations » permanentes de l' »in-humain« ,

voilà ce qui caractérise le projet _ tant personnel que collectif ; et collectif, d’abord, forcément ! « civilisationnel » ! _ de se comporter en « personne« , ainsi qu’en citoyen responsable, aussi,

« majeur« 

_ cf ici le toujours et plus que jamais indispensable et actuel (!) « Qu’est-ce que les Lumières ? » d’Emmanuel Kant _

en une société où « l’autre » (aussi bien que « soi« -même !!!) est aussi « vraiment » pris en compte _ existentiellement, l' »affaire » dépasse la simple éthique ; et est proprement, via les rapports inter-humains économiques de tous les instants, « politique » ! _ autrement qu’en un simple « moyen« , « instrument« , « outil » (ou « cœur de cible » : calculable), réductiblement ;

ou objet de prédation, carrément…


On voit ici combien _ et avec quelle urgence ! _ s’impose la tâche (philosophique !) de (re-) mettre au clair une « anthropologie fondamentale«  pour ce temps-ci de technologies hyper-rapides _ lire ici Paul Virilio : par exemple « Vitesse et politique« … _ et hyper-efficaces…

A laquelle « anthropologie fondamentale« , il me semble que le travail de longue haleine, et avec quelle belle constance ! de Bernard Stiegler contribue magnifiquement…

Un « Festival » de philosophie de très grande qualité que ce « Festival Philosophia » de Saint-Émilion ;

et particulièrement efficacement organisé par Éric Le Collen (et son équipe) ;

qui permet au « pays de Saint-Émilion » de bien « cultiver« , le long des années qui passent (et en progressant vraiment), son label de « Patrimoine mondial » de l’Humanité…

Titus Curiosus, le 31 mai 2009

« Crise des Humanités : l’éducation en danger », par Barbara Stiegler ; et « L’Ethique en questions », une « Journée d’études » : des conférences de philosophie en ce début juin à Pessac et Bordeaux

31mai

Une actualité philosophique (aquitaine) « à noter » _ afin d’y participer activement ! _,

en une fin d’année scolaire marquée d’inquiétudes (assez malsaines) diverses ;

et un peu trop loin de la sérénité qui sied au vrai « travail de fond » des établissements d’instruction scolaires et universitaires ; dont la mission était jusqu’ici (avant l’ère _ pauvrement politicienne _ des « ruptures » !) de « former sur le fond« 

(des finalités ; et pas de simples moyens, ou instruments, ou outils : des techniques ; mais au service de quoi donc ? de quelles finalités ? ou intérêts ? si on commençait par s’y _ et s’en _ interroger vraiment ?)

dont la mission était de « former sur le fond« , donc,

de futurs adultes responsables (et d’eux-mêmes ; et des autres) « majeurs« 

_ cf Kant : l’indispensable « Qu’est-ce que les Lumières ? » _,

tant comme personnes que comme citoyens

(et pas en tant que « cœurs de cible » des opérateurs du marketing,

cette discipline fort efficace, mise au point par l’habile neveu (parti aux Etats-Unis) de Sigmund Freud, Edward Bernays : auteur de « Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie« )…

Voici donc cette double annonce que je me réjouis d’aider à diffuser ici :

D’abord,

le jeudi 11 juin à 18h 30, Barbara Stiegler, maître de conférence en philosophie à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, donnera une importante conférence, « Crise des Humanités : l’éducation en danger« , à l’auditorium de la Médiathèque de Pessac, dans le cadre des « Forums de Pessac » : sur une question d’actualité brûlante !

Et pas seulement pour des raisons (de court terme) de calendrier électoral ; et de vote-citoyen éclairé !

Et ensuite,

le samedi 13 juin, à partir de 10 heures 15, se tiendra au Lycée Montaigne, Cours Victor Hugo, à Bordeaux, une « Journée d’études » de l’Association des Professeurs de philosophie de l’Enseignement public d’Aquitaine, consacrée à « L’Ethique en questions« ,

avec des interventions de Claudie Lavaud, Professeur de philosophie à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, à 10h30, sur le sujet de « A quoi sert l’Ethique ?«  ;

Cédric Brun, ATER à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, à 14h, sur le sujet de « Principe de précaution : principe éthique ou scientifique ?«  ;

et Fabienne Brugère, Professeur de philosophie à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, à 15h, sur le sujet de l' »Actualité de la philosophie du Care » ;

ainsi que des témoignages de parcours en master professionnel de « philosophie pratique, vie humaine et médecine«  de Marie Gomes-Saint-Bonnet (professeur de philosophie) et Laura Innocenti (Institut Bergonié).

Cette « Journée d’études » sera présentée à 10h15 par la présidente de l’Association des Professeurs de philosophie de l’Enseignement public d’Aquitaine, Brigitte Bellebeau.

Ici encore, les liens entre la « mise en avant » de l’éthique et les urgences

(de long terme : les enjeux sont proprement civilisationnels ; et concernent la transmission et formation d’une culture authentique _ je veux dire autre que strictement instrumentale et « intéressée » ; c’est-à-dire sans générosité ni le moindre égard de « solidarité » envers les autres que son petit « soi » !)

de la citoyenneté politique en une authentique démocratie

_ dont la « crise » et les « faux-semblants » atteignent ces derniers temps un seuil de gravité plus que dangereux !.. _,

peuvent être lucidement éclairés par la lecture du très grand livre (de salubrité publique) de Bernard Stiegler « Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations« …

C’est du devenir de l’espèce, face au péril de l' »in-humanité » qu’il s’agit donc, très pratiquement ;

je veux dire tant éthiquement que politiquement (et économiquement) dans le moindre de nos « faire » quotidiens…


Titus Curiosus, ce 31 mai 2009

Le « bisque ! bisque ! rage ! » de Dominique Baqué (« E-Love ») : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la « liquidation » du sentiment _ et de la personne)

22déc

Sur « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , par Dominique Baqué, aux Éditions Anabet :

le livre de 130 pages, excellemment écrit (et c’est un euphémisme !) par une _ par ailleurs… _ très intéressante critique d’Art

(dont la photographie ;

cf par exemple, en 2004, son « Photographie plasticienne : l’extrême contemporain » ; et, en 2006, « Identifications d’une ville » _ les deux aux Éditions du Regard),

est paru en juillet 2008 ;

et vient de bénéficier dune incivive et passionnante « lecture » par le toujours très avisé (et affuté) Yves Michaud, en son blog « Traverses » sur le site de Libération, le 7 décembre dernier :

« Méfiez-vous, fillettes« , s’intitule l’article remarquable, lui aussi, qui a attiré mon attention, et « ouvert » ma « curiosité » sur ce livre important :

quant à un peu mieux clairement saisir l’air du temps…

La quatrième de couverture a l’avantage de résumer _ grosso modo _ le propos général de l’ouvrage :

« Un journal de bord _ Oui ! _ écrit à la première personne les très authentiques péripéties d’une femme prise dans les filets d’un site de rencontres _ ou plutôt d’une addiction à un tel site ; ainsi qu’à ce qui, en cascade, va s’ensuivre (en déboulant, à « train d’enfer«  : « freins«  et « marche arrière«  comme coupés !…)…

Après dix ans de vie commune et un divorce incendiaire _ là étant le branle sine qua non de l’aventure et des accélérations de ses tourbillons _, l’auteur(e) se lance _ mais sans le savoir ni le vouloir vraiment ! _ à la découverte _ malgré elle : c’est loin d’être une enquête sociologique méthodique programmée ! _ des mœurs de ses contemporains masculins  : « je cherche un homme (40-50), cultivé et curieux, tendre et cérébral, pour construire _ eh ! oui ! _ une relation durable. Hommes mariés, séducteurs d’un soir et allergiques au tabac, merci mais… non merci ».

Derrière l’échange des mails, des « chats », des occasions manquées et des aventures sexuelles compulsives, la narratrice n’épargne personne, pas plus les hommes qu’elle-même _ certes pas, en effet ! elle fut fort courageuse (sinon, à une ou deux « occasions« , même carrément téméraire) ! _, n’oubliant jamais _ enfin, presque ! _ qu’il s’agit d’un jeu _ le terme demandant, toutefois, à être un peu plus « éclairé«  _ dont il lui faudra progressivement _ à son corps (ainsi qu’âme) défendant ! _ décrypter les règles _ de fait : de  marché…

En filigrane de ce récit, se dessinent les désirs _ est-ce bien tout à fait le mot juste ?.. _ d’une société _ elle-même ? ou bien plutôt ses « membres«  : épars, et éparpillés ?.. _ qui, n’ayant plus _ ou plutôt consentant (eux-mêmes !) à ne plus vouloir si peu que ce soit le prendre _ le temps d’aimer _ et voilà bien le cœur de cible de l’affaire ! _, accélère le tempo et suscite de nouveaux _ sociologiquement, probablement ; car pour le reste, un amour est-il jamais « ordonné«  ??? _ désordres amoureux.

Premiers tâtonnements _ où l’on (= l »héroïne de l’aventure) s’égare, se perd…

« Ma faiblesse est de ne pas savoir résister au désir _ (réductivement !) physique et hic et nunc ! _ d’un homme. Toujours cette faille narcissique qui demande à être comblée » _ se dit à maintes reprises à elle-même l’auteur(e),

en « Alice«  (« Cendrillon«  dénudée ; à moins qu’elle ne se retrouve aussi en guenilles) en ce « Wonderland«  de notre « modernitude«  assez confortablement installée… :

« Wonderland«  d’instants (extatiques) pas trop longs

d’à portée de clavier, et tout de suite, à présent, désormais !.. n’arrêtant plus le « Progrès«  (de plaisirs _ orgasmiques _ remarquablement « bien tempérés« ) !…

Regardons-y donc _ attentivement intensivement : dans le détail… _ d’un peu plus près.

En fait,

« Divorcée. Me voici donc divorcée _ elle n’en revient pas…

 Je répète ces mots avec incrédulité

_ il va lui falloir bien des épreuves pour l’affronter et l’assumer vraiment ; et c’est à la dernière page seulement que Dominique Baqué acceptera le fait (d’absolue singularité) de l’amour (ou/et de son absence) : qu’il « n’est pas un produit marketing«  : soit la phrase finale de ce petit (grand) livre, à la page 124… _,

comme s’ils ne me concernaient pas, comme s’ils n’avaient pas pu m’arriver, à moi. Surtout avec cet homme _ « D.« , son « ex-mari » (page 4) _ que j’avais aimé à corps et cœur perdus.« 

Tel est l’incipit de l’essai « E-Love _ Amours & Compagnie« ,

est-il indiqué (en titre) à la page 1 (d’un premier chapitre « En faillite« )

à la place de « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , sur la couverture !!!

Le paragraphe qui suit l’explicite : « Le divorce est comme un incendie qui dévore tout sur son passage : les êtres, mais aussi les souvenirs, les objets, les lettres, les photographies. Abrasée, calcinée, je n’existe plus«  : effondrée, avec ce sol qui se dérobe sous son pas, tout se dissout donc…

Dominique quitte donc la maison commune

avec ses « quelques biens _ pour l’essentiel des livres, trop de livres, ces livres qui envahissent mes appartements successifs et dévorent ma vie au point, parfois, de m’empêcher de la vivre _,

et accompagnée de ma fille, âgée de huit ans, qui, comme tous les enfants du divorce, fait les frais de l’incommensurable bêtise des adultes« ,

car l’enfant (de l’amour ou pas) demeure bel et bien, lui,

toute femme abandonnée ne devenant pas nécessairement Médée ;

non plus que Didon…

« Seule , je le suis doublement : trois semaines à peine avant que je fasse mes cartons, D., mon ex-mari, s’affichait _ voilà donc l’expression terrible ! _ avec une nouvelle compagne,

alors même qu’il proclamait, il y a peu encore, vouloir vivre une impériale solitude.

Je suis donc à terre, déchue

et en proie au plus cruel _ et abrasif _ des questionnements : qu’ai-je donc été pour cet homme _ est-ce donc là l’aune du réel ? _ si, après dix ans de vie commune, je suis

aussi rapidement

_ le critère de la vitesse importe à la mesure du rapport entre temporalité et consistance de la réalité, face à la perpective (de quelle consistance, elle ?) de l’éternité ;

cf Spinoza : « Nous sentons _ mais quand, comment, à quelles conditions de réalité (vérité) ? _ et expérimentons _ le questionnement redouble et jusqu’à l’infini le quid déjà ressenti au premier « niveau«  et « degré«  du (simple) sentir _ que nous sommes éternels« … _ ;

si, après dix ans de vie commune, je suis aussi rapidement

et facilement

remplacée ? _ voilà la pire blessure : la mise au néant de l’irremplaçable singularité du soi (pour l’autre aussi)…

Dix ans d’erreurs et d’illusions _ mises ainsi à la poubelle _, peut-être _ le mot est paradoxalement une opportunité de réconfort : et si le pire n’était pas le plus sûr ?..

The wrong woman in the wrong place… _ sur quelque échiquier (social) pré-programmé ; pré-installé…

quelque chose comme une erreur de parcours _ en une carrière : et si là était précisément l’erreur de fond (encore !) de Dominique Baqué, du moins au moment de l’écriture de ce premier chapitre ?..

La jalousie est une tyrannie _ sociale, encore !.. quand donc s’en extirpera-t-elle ?.. _ que je connais trop bien, pour l’avoir vécue à chaque fois qu’un homme me trompait » _ dit l’auteur(e), page 4. Et :

« je hais cette nouvelle femme presque autant que D.,

je hais leur bonheur _ ah! bon ! comment peut-elle le croire ? sachant ce qu’elle sait de son ex-mari… : elle est vraiment bien déprimée… _

si rapidement acquis _ un bonheur s’acquiert-il ? Non ! Voilà une des « erreurs«  de base, ici… _ ;

ce cadeau qui lui a été fait _ et par qui donc ??? _ à lui,

et non à moi _ que d’erreurs ! déjà… ,

de retrouver _ encore une nouvelle erreur _ les transports des premiers commencements _ que de naïvetés (de midinettes) ! que d’ignorances ! que d’inexpériences de cinquante ans de vie pourtant !…Qu’apprend-on donc de l’Art (vrai) et de la culture (quand elle est authentique) ?..

Au résultat, page 5,

« maintenant, c’est le silence _ de la solitude _ qui m’assourdissait«  _ à la place des cris (de dispute) d’un couple « mal assorti« , sans amour vrai…

« Certes, je suis de nature solitaire, les groupes me terrifient et je n’ai que peu d’amis

_ même si Dominique Baqué ajoute immédiatement, dans le souffle même de sa phrase : « mais je puis dire qu’ils _ elles, d’ailleurs _ répondent à ma haute exigence en matière d’amitié« .

Mais là, le silence était tel qu’il se cristallisait dans la pièce, se faisait minéral : on aurait pu le toucher.« 

Aussi, avec le recul de la réflexion, la conclusion semble-t-elle bel et bien s’imposer :

« C’est ce silence, bien davantage que le manque d’un corps _ tel que celui de son « ex-mari«  ; d’« un corps«  plus que d’une âme ? ou d’un visage ? et d’une vraie conversation ?.. _ qui m’a redonné le désir _ ou le besoin ? _ d’un homme _ quel qu’il soit ? _ à mes côtés _ pour « re-former«  un « couple« , en quelque sorte…

Après une telle épreuve de plusieurs mois _ car le temps passe _, j’avais d’ailleurs revu à la baisse mes exigences _ de quel ordre, quant à l’altérité d’autrui ?.. _ : je ne demandais même plus à l’autre ces conversations que j’affectionne sur la culture contemporaine _ sont-elles de suffisamment de consistance, cependant ? _ ; non, je voulais juste parler, dialoguer, raconter ma journée, écouter de la bouche d’un autre les nouvelles de son monde à lui _ ici (« son monde à lui« ), il y a progrès…


Mais la réalité _ en son « manque«  !!! _ était _ se révélait _ sans appel : il n’y avait personne à mes côtés _ dans mon lit ? seulement ?..

Pour la première fois de ma vie amoureuse _ envisagée et comme une continuité, comme un dû, comme une norme (sociale !) _,

rien _ et non pas « personne«  !!! _,

absolument rien _ encore ! _ ne se présentait«  _ comme corps d’usage à proximité immédiate, probablement ! Dans le décor familier (de l’appartement), en quelque sorte…

«  »Sors ! », me répétaient mes amies. »

Mais : « Je me méfie des galeristes, que _ en tant que « critique d’Art«  _ je soupçonne d’être aimable pour tirer de moi quelque article _ à leur profit _ profitable ;

et je tiens en piètre estime humaine _ voilà un critère un peu plus intéressant, enfin ! _ les artistes au narcissisme souvent démesuré,

incapables de s’intéresser _ ah ! l’intérêt ! et la rareté du désintéressement ! pour ne rien dire de la folie de la générosité passionnelle ! _ à autre chose qu’à leur œuvre _ en prolongement de leur (tout) petit égo _ :

j’ai d’ailleurs pris pour principe de ne regarder que les œuvres

et de ne plus jamais chercher à connaître leurs auteurs »

_ mais que peut donc « valoir«  l’œuvre de quelqu’un dont on n’a pas le moindre désir de faire (vraiment) la connaissance ?

Et en irait-il de même de tous les « rapports«  humains : en ne « s’intéressant«  rien qu’aux actes et aux résultats, bien séparément, surtout, des personnes dont ces actes et ces résultats émanent ; et (personnes) dont on se préservera avec tous les préservatifs possibles et imaginables au monde !..

« Quant aux collègues de l’université où j’enseigne,

soit ils sont déjà mariés _ et il est hors de question pour moi de jouer les backstreet _,

soit ils incarnent tout ce que je déteste dans l’université prétendument de gauche qui est la mienne :

dogmatiques et intolérants pour l’intérieur _ si tant est que cela puisse seulement se dire ! _,

vaguement négligés _ cheveux douteux, gros pull et pantalon en velours côtelé, épais mocassins _ pour l’extérieur.
Bref, l’antidote même au désir…
« 


Mais, page 8, « je n’en demeurais pas moins désespérément seule.

Décidément, il me fallait _ oh ! la fâcheuse confusion du désir avec le besoin ! _ un compagnon. Et vite«  _ qui plus était !.. Comme si le salut se trouvait dans de pareilles configurations !!! Cherchez l’erreur !..

avec ce commentaire hyper-lucide, à côté, cependant : 

« D’autant que la haine _ voilà le terreau de tout cela : sur le ressentiment, lire Nietzsche (« La Généalogie de la morale« ,  » Par-delà le Bien et le mal« , etc…)… _ ;

D’autant que la haine se nourrit de vengeance _ tout part ici de là _, et que, oui, je voulais me venger _ Bisque ! bisque! rage !!! _ de ce bonheur _ vraiment ? un peu moins se laisser prendre aux « images«  et aux récits « rapportés«  _ trop expansif _ ou seulement démonstratif, exhibé, voire exhibitionniste ? _ que D. affichait

_ voilà donc le mot ! nous ne sortons guère du monde de la « publicité« , de la « publication«  (et de ce que Michaël Foessel analyse si joliment sous son expression si juste de « La Privation de l’intime » cf mon article du 11 novembre dernier : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie » _ 

jusque dans les rues, m’avait-on rapporté _ bien sûr : le « dispositif«  (social) fonctionne à plein (et envers le seul amour-propre socialisé)…

Alors, page 8 : « Ce n’est qu’en me souvenant d’articles consacrés dans la presse à l’expansion des sites de rencontres _ de quel type ? Dominique Baqué ne semble pas s’en inquiéter ; ni au présent de son histoire ; ni à celui de son écriture : elle demeure encore (un peu) trop « collée«  à son sujet ; et à sa « mésaventure«  _ que, peu à peu, l’idée a pris corps _ significative tournure ! quant à la représentation, même métaphorique d’un corps (et du peu de réflexion sur « tout ce que peut un corps« , ainsi que le formule l’admirable Spinoza, en son « Éthique« …) _ de m’inscrire sur l’un d’entre eux… »

« Pour moi _ continue Dominique Baqué, page 9 _, s’inscrire sur un site de rencontres resta l’aveu d’un échec ;

d’une incapacité à séduire _ séduire est-il de l’ordre de la stratégie ? de la technique ? de l’instrumental ? _ par des voies que j’oserais dire plus « naturelles » _ moins « artificieuses«  et « factices« , plutôt _, la signature d’un abandon.

J’hésitai longtemps avant d’y souscrire.

En revanche, une fois que la décision fut prise,

je mis tout en œuvre pour y adhérer vraiment _ elle met le paquet ! Et j’y crus, au début, tant il est vrai que pour toute chose _ naïveté signifie « neuveté«  _ « les commencements sont les temps les plus beaux »... Sauf que l’enfance est aussi le sommeil de la raison…

Je me garderai bien de déflorer le reste,

qui est passionnant,

pour cette Alice – Cendrillon au « Pays des Merveilles«  !

Je me contenterai de relever quelques annotations :


Page 29-30, cette confidence de Paul :

« « Pour un homme, le site c’est extraordinaire, c’est comme une boulangerie géante où l’on choisirait ses gâteaux… » Un peu interloquée par la comparaison pâtissière, je la trouvai par la suite très juste : Paul avait formulé tout haut ce que tant d’internautes pensaient tout bas, derrière _ par rapport à l’interlocutrice _ leur écran. Le Net était un hypermarché du sexe,

et celle qui en attendait autre chose _ « construire une relation authentique« , avait écrit Dominique sur sa petite annonce ; « séducteurs d’un soir, non merci«  (page 14) _ risquait fort d’être déçue. Ce fut, si je puis la formuler ainsi, la première « leçon » de mon apprentissage sur le réseau« , page 30 du chapitre « Premiers tâtonnements« …


Pages 67-68, au final du chapitre « Compulsion et rentabilité« , et à propos de l’« addiction« , confrontée à l’accumulation des « déceptions«  :

« La puissance du Net (…) joue fort efficacement sur la dialectique du « décept » et de la réparation narcissique.

Lorsque vous venez de vous faire éconduire, plus ou moins brutalement, par un homme,

vous êtes en état de grande vulnérabilité psychique ;

vous venez de subir quelque chose de l’ordre de la blessure narcissique ;

et cette blessure réclame réparation _ au sens freudien du terme  _ ou comment ne pas demeurer scotché, encalminé, à l’échec ?

Mais comment réparer ? Aussi incroyable que cela puisse paraître à ceux qui sont extérieurs au réseau,

en attendant le prochain flash…

Car, et c’est une autre force du système _ et c’est là un des apports fructueux de l’analyse de Dominique Baqué _, vous repartez vierge, si j’ose dire, à chaque expérience : tout est oublié,

c’est la prochaine expérience,

le prochain partenaire _ et ils sont légion à se bousculer à votre portillon ! comme les non-joueurs au Loto qui ont 100 % de chances de ne pas y gagner ! _,

qui seront les bons _ ou la force (magicienne) de la croyance !

La capacité d’oubli sur le Net est extraordinaire. C’est elle qui permet qu’à chaque fois la machine puisse se relancer.

Qu’un homme _ au sens physiologique _ vous flashe et vous adresse des mails flatteurs, puis érotiques,

contribue ainsi très vite _ et très facilement _ à une restauration narcissique _ bien peu exigeante, par là _,

quand bien même celle-ci est sujette à caution

et tout à fait provisoire.

Mais cela,

vous choisissez _ dans la fébrilité de l’instant et de ce qu’il semble offrir de possibilités _ de l’ignorer _ soit vous illusionner ! _,

et donc de poursuivre.

La puissance du Net joue avec et sur des pulsions archaïques fondatrices du psychisme » _ infantile, et infantilisant, donc : en jouant l’exclusivité du « principe de plaisir«  par rapport au « principe de réalité«  !..

« D’autant plus que, dans cet univers de la marchandise qu’est le réseau,

la machine induit d’elle-même des comportements addictifs : le sujet y voit son désir certes mis à mal _ par le réel auquel il vient, durement et durablement, se cogner _, mais sans cesse relancé par la compulsivité des annonces. Plus je consomme, plus le désir en redemande _ mieux et davantage : le manque se creuse, qu’il faut très vite combler.

La machine s’affole :

je passe de corps en corps,

de lit en lit. Malgré moi, malgré les puissances de la rationalité qui m’enjoignent de tout arrêter,

je poursuis,

prise dans les rets de ce jeu,

et la fascination _ du « joueur » : cf Dostoïevski _ pour le toujours-davantage.


Mais
que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit guère de libertinage _ pratique sexuelle hautement cérébrale à laquelle la littérature, dix-huitiémiste notamment, a donné des lettres de noblesse.

Les joueurs du Net ne peuvent être des libertins,

parce qu’ils sont happés par l’univers de la marchandise.

Et dans cet univers, il y a peu de surprise,

peu de marge de liberté aussi : chacun est programmé,

qu’il le sache lucidement ou non,

pour une sorte de parcours fléché

au terme duquel

on ne rencontre jamais l’autre,

mais une marchandise.« 

Tout est donc exhumé ici !..

« Ainsi pourrait-on dire que le pornographique s’est saisi d’un outil, le Net,

et qu’il contribue largement au devenir-marchandise des corps _ vidés d’âme : voilà !!!
Sans issue.
« 

Vient alors, au chapitre « Je suis foutue » _ car « amoureuse !«  _ page 72, ce qui s’avèrera la seule vraie rencontre (du moins possible) : avec quelqu’un ! qui soit une « personne«  !.. (et pas rien qu’un porteur d’un sexe ; ou de plusieurs…) :

« J’attends. Je l’attends _ Nathan _, depuis une demi-heure maintenant (…) lorsque soudain il est devant moi, haletant d’avoir trop couru, dans l’envol de son trench blanc et son parfum de Lucky Strike. Je lève les yeux,

et enfin surgit un visage. Nathan a un visage,

là où les autres n’avaient que des têtes… _ comme c’est magnifiquement ressenti…

Et aussitôt résonne en moi la phrase de Roland Barthes s’apercevant _ dans « Fragments d’un discours amoureux«  _, comme une évidence brutale, qu’il est amoureux : « Je suis foutu »…

Surtout ne rien laisser transparaître de mon éblouissement,

même si, tout en parlant, je ne cesse d’admirer la beauté brune et sèche de son visage,

qui n’est pas sans évoquer celui de l’acteur Laurent Terzieff dans sa jeunesse…

Très vite, avec Nathan, la complicité se noue : il entretient avec la langue le même rapport que moi à l’écriture,

c’est dire combien il aime converser

et surtout, par comparaison avec ses prédécesseurs, combien sa parole fait sens…

Etc… page 73… Tout cela _ quant aux conditions du « sens«  _ est en effet très important…

… 

Mais, bientôt, page 78, un peu plus tard ce même soir :

« Nous faisons l’amour. Mal.

Nathan est peut-être un libertin, comme il me l’a laissé entendre à diverses reprises _ cette longue soirée-là, déjà _,

mais c’est un amant médiocre.
A la vérité, je ne suis même pas déçue,

je m’en moque.
Car pendant l’amour, je n’ai cessé de contempler
_ mais regarder ainsi, est-ce aimer ? ou seulement « tomber amoureux«  ? _ son visage sublime, concentré,

dépourvu de toute expressivité _ ah ! bon ! Presque dur.

Etc…

Le chapitre suivant, intitulé « La douleur » _ pages 85 à 89 _,
réserve quelques jolies surprises,

bel et bien « libertines« , effectivement, cette fois-ci…

Avec suites bien décevantes _ je n’en dirai pas davantage ici _ pour Dominique.

Avec un épilogue (tardif) le 1er janvier 2008 :

« Je n’aurai la clef de cet abandon que le le 1er janvier 2008 lorsque, mue par je ne sais quelle nostalgie,

j‘adresserai à Nathan, sur son adresse électronique personnelle _ et non sur le « site de rencontres«  _, un mail de bonne année,

qui se voulait élégant et distancé, mais non exempt de mélancolie,

puisque je lui avouais

qu’il avait été le seul homme à avoir su m’émouvoir

_ le mot compte : prémisse à l’émergence (mort-née ?..) de sentiments ? _

depuis mon divorce.

Il me répondit ce qui suit :

« Bonne année à toi, Dominique.

Si j’ai cessé tout contact avec toi,

c’était pour que la coupure soit nette et sans appel.

Je voulais _ ah ! le vouloir en ces « affaires«  ! est nul et non advenu ! _ pour nous deux une relation sans concessions,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà qui est on ne peut plus clair !

J’avais trop d’amitié pour toi pour te l’imposer _ ce « rôle«  d’« objet«  _ ,

et trop de désirs _ mais est-ce bien là le terme adéquat ? au moins, est-ce ainsi, que lui, Nathan, se dit, à lui-même d’abord, l’éprouver… _ pour ne pas le regretter.

Nathan. »

Les deux derniers chapitres d' »E-Love » s’intitulent « l’amour sans amour« 

et « une affaire de marketing » :

à relier avec le projet de Dominique de « construire une relation authentique«  (page 14)…

« Echaudée par ma dernière relation avec Mounir, lasse soudain, je cessai de consulter le site de rencontres sur mon ordinateur«  (page 105).

« J’étais déjà quelque peu misandre avant cette expérience, je le devins davantage encore.
Je ne comprenais décidément rien à ces hommes qui, tels des girouettes, disent et se dédisent,

n’accordent aucune valeur à la parole donnée _ comment vivre sans confiance vraie ? _,

se comportent comme des goujats,

n’honorent pas les rendez-vous convenus.
et qui, surtout,

ne semblent rien savoir de ce qu’ils veulent vraiment,

ni de ce qu’ils traquent sur le réseau.« 

« Pourquoi n’avoir pas arrêté, de nouveau ? »

« C’est la narration, par ma fille, de ce qui semblait être un bonheur édénique

entre D., mon ex-époux, et sa nouvelle compagne,

qui, de rage,

me réinstalla face au clavier.

Piètre argument en vérité _ convient-elle _ : je savais d’ores et déjà que je ne trouverais jamais l’équivalent _ mais que vaut ici ce vocabulaire (d' »équivalence« ) ? _ sur le site

de ce bonheur supposé _ deux termes à mettre aussi, et de toute urgence, au trébuchet !..

Je commençais à me sentir vraiment désabusée : toutes mes illusions s’étaient envolées au fil des rencontres _ qui n’en étaient que de grimaçantes, affreuses, caricatures ! _ ;

et aussi (page 116) :

« Mounir, Olivier, Nathan, Charles, Mario et tant d’autres encore

m’apprirent la multitude des corps ;

mais la relative indifférenciation des pratiques,

quand bien même un amant était plus attentionné qu’un autre,

ou plus performant,

ou plus inventif _ Mario étant, je l’ai dit, celui qui me donna le plus de plaisir.

Mais il existe paradoxalement un ennui, à la longue, de passer de corps en corps,

tant la sexualité, somme toute, propose peu de variations :

en ce sens,

j’irai jusqu’à dire que

la pornographie,

précisément parce qu’elle est la caricature codée de la sexualité,

en propose une certaine vérité.

C’est cette répétition du même dans l’autre,

et plus encore le devenir-marchandise des corps,

qui me semblent caractériser la vie sexuelle sur le Net,

et qui ont fait que, peu à peu, malgré mon addiction, je m’en suis détachée :

je crois finalement plus passionnant _ mais la passion, Dominique,

se prête-t-elle jamais,

ni si peu que ce soit,

à quelque comparaison que ce soit ??? _

d’explorer les possibles d’un seul corps _ mais s’agit-il bien de « propositions«  d’« expérimentations«  (= « explorations« ) ? _

que d’échanger des corps

qui,

du fait même de l’échange,

en deviennent indifférenciés,

l’altérité se perdant dans une sorte de communauté molle…

_ ou la pataugeoire gluante du nihilisme…

Par ailleurs,

une telle sexualité oblitère la parole :

je veux dire par là que la parole y est réduite à sa simple fonction

d’introduction

et d’accompagnement.

 Elle ouvre _ a minima !!! _ la rencontre,

permet diplomatiquement _ très minimalement encore !!! _ que l’accouplement ne soit pas trop brutal

_ on appréciera l’oxymore, entre « degré de brutalité«  et « permissivité diplomatique«  ! par où « faut-il«  donc venir « en passer«  ? et pour quels « résultats« , diantre, bigre !?! Quels Thermopyles (de la relation :

mais entre quoi : entre des corps ?

et réduits, qui plus est, à de purs sexes ?

quelle étrange (drastique) « réduction«  gymnique ?! ) ?! _,

mais ne vise à rien d’autre qu’à l’amener _ cet accouplement-là !..

Tout ça rien que pour ce si peu-là !..

Les mails et surtout les chats sont dotés d’une seule fonction _ toujours la réduction (du « modèle«  d’instrumentalisation « économique« ) _ :

après des circonvolutions et détours plus ou moins développés _ plutôt les « abréger« , parant (seulement) au plus pressé (et à moindre coût) : « time is money« , « isn’t it ? » _,

fixer le premier rendez-vous qui,

en principe,

amènera _ et le plus tôt sera le mieux _

à la relation sexuelle _ soit l’objectif (orgasmique) !

Quant à la parole vivante _ on admirera l’adjectif _ du rendez-vous _ en tant que tel _,

elle prend le relais :

elle est purement marchande et fonctionnelle _ ne s’agissant que d’une transaction à régler (vite fait, bien fait)…

Une borne phonique automatisée ferait quasiment aussi bien _ voire mieux _ l’affaire !..


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation

_ tout un art ! et toute une culture ;

sinon, une « civilisation«  (« des mœurs« , nous dirait un Norbert Elias  : l’édition originale de son livre datant _ très significativement _ de 1939 (et en Angleterre) !!!..

Et sur « l’art de la conversation » lui-même,

on se reportera à la très remarquable anthologie réunie en 1997 par Jacqueline Hellegouarc’h, aux Classiques Garnier : l’anthologie va du Père Bouhours à l’Abbé André Morellet)… _ ;


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation _ donc, je reprends _,

un authentique débat d’idées _ quelle idée ! saugrenue !!! en pareille tractation d’« accouplement«  (de sexes)… _,

puisque l’essentiel _ aïe ! _ se joue ailleurs,

dans la rencontre _ réduite au strict physiologique (génital) _ des corps.


En fait la parole _ puisque c’est d’elle qu’il s’agit dans cette notation importante de Dominique Baqué _,

participe d’une même mécanique

que l’ensemble des rapports sur le Net :

c’est, elle aussi, une « parole marchande »

qui suit les sentiers très balisés d’un questionnaire soumis à peu de variations

_ profession, enfants, projets, précédentes rencontres sur le réseau, etc… _,

et coupe court _ certes ! ce n’est pas là le bon « flux«  !.. et « couper court«  est tout son office !… _

à tout véritable dialogue,

chacun des protagonistes ne se demandant qu’une chose :

« Est-ce qu’il/elle me plaît ? Est-ce que moi je lui plais ?.. »

_ dans l’unique perspective, et à très court terme (pour ne pas dire « immédiat« ), d’être tout simplement « agréé«  (comme sexe…) à la chose à accomplir (ou pas) ici et maintenant : sur le champ et sur l’heure (et, éventuellement, un lit)…

Cf Crébillon fils, en 1755 : « La Nuit et le moment« ...

« C’est pourquoi

_ et c’est la conclusion de ce chapitre « L’amour sans amour » _

les chats et les mails sur le Net

sont d’une telle pauvreté sémantique

_ et humaine « non-inhumaine« ,

ainsi que le dirait un Bernard Stiegler (dans « Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations« )... _ :

ils ne cherchent pas à faire sens,

mais _ rien que _ à être efficaces,

à frapper leur cible _ obtenir leur effet…

Nul besoin de littérature pour cela…


Sauf pour ceux qui ne vivent que dans le virtuel

_ cela devient de plus en plus (technologiquement ) possible ! _

et ne passent _ même… _ jamais au stade de la rencontre _ il y en a, même s’ils sont

_ pour le moment, encore, probablement… _

minoritaires _ ;

pour les autres (que ces partisans du virtuel-là),

il s’agit d’accélérer le tempo de la rencontre _ en effet ! _

pour plus vite passer à l’acte _ ce sont des hyper-actifs !!! et à quoi bon perdre son temps

en circonvolutions (et préliminaires intempestifs) ?..


Car le temps du Net

n’est pas de l’ordre de la temporalité ordinaire _ c’est fort bien vu !!! _ :

c’est un temps compressé,

où chacun s’applique à faire vite _ sans perdre la moindre once de son temps (de vie : si précieux !..) _,

dans l’urgence sexuelle _ cela vaut mieux que d’employer le beau mot de « désir«  en pareille occurrence… _

des corps

_ strictement envisagés dans l’ordre du pur physiologique :

bien séparés ici de quelque âme que ce soit :

tant celle de soi, que celle de l’autre ;

ainsi que de celles de tous les autres…

Il n’y a plus ici que de ces poupées à la Bellmer :

point qui n’échappe d’ailleurs pas à certains de ces « sexo-protagonistes«  :

dont Nathan (page 79) :

« Est-ce ce que tu veux jouer à la poupée avec moi ? »

Et va s’ensuivre,

après « un relooking complet«  (toujours page 79),

toute une opération (dans le quartier du Palais Royal) où se précise ce « qu’il appelle jouer à la poupée avec lui » (page 82),

que commente ainsi Dominique :

« je me savais exhibitionniste, mais n’avais eu jusqu’alors aucune occasion de manifester cette préférence sexuelle : Nathan m’a tout de suite devinée« …


Quant à Charles,

après avoir prononcé (page 64) « cette phrase que je n’ai entendue de la part d’aucun autre homme : « Fais de moi ce que tu veux, je suis ta pute »,

il « s’adresse maintenant » (page 65) à Dominique « comme à une pute » :

ce qui vaut ce commentaire de l’auteur :

« j’ai toujours eu des difficultés à accepter, voire même à entendre, la crudité de la parole sexuelle masculine. »

Avec cette « leçon«  de l’expérience (page 66) :

« Je me sens en péril : peut-être suis-je allée trop loin dans les sites de rencontres.

C’est la compulsivité qui, après une euphorie factice, a déclenché mon angoisse.

Je suis en train de m’égarer dans des rapports sexuels dépourvus de sens

_ comme en Art, comme en tout, c’est bien la question du sens qui est cruciale !!! _,

je ne fais que participer à l’échange généralisé _ interchangeable jusqu’à plus soif ! et à n’en plus pouvoir mais… _ des corps sur le réseau.« 


« Il n’est pas sûr, loin s’en faut _ commente alors Dominique, page 66 toujours) _ que cela convienne à mon mode d’être _ et c’est probablement un euphémisme…

Que veux-je prouver ? _ et à qui donc ?.. Que je peux séduire, encore ? C’est fait.

Mais à quel prix…
Quelques images brouillées, des bribes de souvenirs, des prénoms qui se mélangeront dans ma mémoire oublieuse
. »

Mais la carrière de « poupée soumise » que Dominique avoue avoir « donc accepté de devenir » pour Nathan (page 85)

s’arrêtera là ;

et pas de son fait, mais de celui de Nathan,

qui choisit (par là) de la préserver d’y donner suite.

J’ai déjà, plus haut, indiqué pourquoi, avec ce « dernier mail de Nathan« , « le 1er janvier 2008«  (page 89) :

« Je voulais pour nous deux une relation sans concessions _ bigre ! _,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà la clé de ce mot de « poupée«  !..

J’avais trop d’amitié _ un rapport à autrui « non-inhumain«  !.. _ pour te l’imposer

_ à une esclave ; à une bête domptée ; à une chose « dés-humanisée«  !.. ;

et trop de désirs _ sado-masochistes _ pour ne pas le regretter«  :

Nathan (militant _ pour les élections municipales à Bordeaux _ du PS : page 87) a su tout de même, de ces « désirs« -là, faire son deuil, avec elle, du moins ; sinon avec d’autres…

Voilà qui donne aussi pas mal à penser…

Quant à Mounir,

« Mounir _ même _ n’est plus Mounir«  (page 102), le jour où pour la première fois il l’emmène chez lui :

« Les caresses sont plus rudes qu’à l’accoutumée. Mounir me pénètre plus rapidement

et, pour la première fois, il parle. D’une voix péremptoire, sans appel.

_ « Dis-moi que tu es ma chose. »

Cette fois-ci, je sens que ce n’est pas comme avec Olivier,

je pressens que

si je me moque,

les choses vont mal tourner,

même si je ne sais de quelle façon.

Mounir n’est plus Mounir. Je répète donc, d’une voix atone que, oui, je suis sa chose.
Mais Mounir veut, si j’ose dire
_ et c’est bien de « volonté«  (et du seul rapport de forces) qu’il s’agit là _ des aveux complets.

_ « Dis : « Je suis ta pute« .

_ …
_ Dis-le ! » (page 102)…


(…)

Soudain, dans le combat qui s’engage, je comprends que je suis perdante.

Pour d’inexplicables raisons, Mounir a changé.

Personne ne sait où je suis ce soir-là _ le point (contextuel) est d’importance.

Si les choses dérapent _ (!!!) _ personne ne viendra à mon aide.
Je choisis de capituler, dans un souffle.

La mort dans l’âme _ qui demeure, donc…

Je suis vaincue.

Et à propos de cette « énigme » de « la transformation de Mounir« ,

ces réflexions, encore, page 103 :

« Je crois que, pour la première fois chez lui, en territoire conquis,

il put enfin laisser libre cours à ses fantasmes

_ ce qu’il se retenait de faire chez moi :

assumer sa domination sur moi,

me chosifier,

me traiter comme une putain.

Soit le fantasme finalement le plus partagé par les hommes du Net

_ ou une « nouvelle«  « humanité« , probablement…

(…)

Face à une femme du réseau _ d’une « nouvelle » « humanité« , probablement aussi… _,

ils s’arrogent immédiatement le droit d’en faire une chose,

de la constituer en marchandise…

Dans le meilleur des cas,

d’en faire une pure surface de projection fantasmatique ;

dans le pire,

de la traiter comme une putain,

les conventions sociales ayant explosé _ dans les rapports « humains«  _ avec une violence inouïe » .

Alors, au bilan de son dernier chapitre, d’à peine 5 pages (intitulé « Une affaire de marketing« ),

« après cinq mois de pratique intensive du Net » _ tel en est l’incipit, page 119 _, et « pour une seule vraie rencontre, celle de Nathan« ,

Dominique Baqué ne peut plus refuser « l’évidence » :

« je n’avais été _ et cela, depuis la rédaction de l’annonce _ qu’un pur produit de marketing. Une marchandise à vendre, ou plutôt à louer, avant date de péremption«  _ sur ce marché-là, s’entend… ; avec un « statut » guère « différent, rétribution en moins« , de celui des « femmes des célèbres vitrines rouges d’Amsterdam… »

C’est que « le Net se repaît de mensonges.

Qui voudrait donner de soi une image juste ?

Entre l’image plus ou moins formatée par les codes publicitaires que l’on expose sur le Net

et la propre projection fantasmatique de celui auquel elle _ cette « image« -là _ s’adresse,

se joue déjà un double effet de décalage _ en est-on forcément, et dans quelle mesure, dupe ?..

Dès lors, il ne peut y avoir que maldonne _ pour tous ? même les corps (ou sexes) ?..

Et duperie.


Et cela pour ne rien dire de ce (« authenticité« , « tendresse« , « sensualité« ) que « promettent«  ou « proposent«  _ comment faut-il le qualifier ?les « annonces«  elles-mêmes…

« Vaste histrionisme de ces annonces,

mensonge élevé au rang d’un art ubuesque,

comédie des sentiments,

leurre des apparences.

Car tout est _ donc... _ leurre et mensonge sur le Net » :

« l’annonce _ en tant qu’« appel à la consommation

qui se modélise d’ailleurs assez souvent sur le modèle publicitaire » _ ;

« la photographie«  ;

« mais surtout, et plus gravement, c’est la rencontre elle-même qui est un leurre :

parce que chacun est pour l’autre,

au mieux,

une surface de projection fantasmatique ;

au pire,

un produit à consommer le plus vite possible ;

l’autre est nié

dans son altérité même«  _ voilà le plus « grave » et destructeur, en effet, des liens de personne à personne ; dans la vérité des regards et des visages… ;

pour ne rien dire de ce qui est détruit

de la personne même ; elle-même

_ si tant est qu’une identité puisse (jamais !) s’établir et se constituer à l’écart de ses rapports avec les autres, bien sûr !!!


Dominique Baqué le dégage parfaitement, page 121 :

« Dans ce monde du leurre et de la marchandise,

il ne peut y avoir ni « envisagement »

_ un autre disait on ne peut plus explicitement : « la tête sous l’oreiller«  ; et, seul, le seul le sexe « offert »  _ ;

ni dialogue

comme vecteur _ dynamisant ! vers toi !.. _ de sens :

tout est réglé mécaniquement _ « protocolisé« , en quelque sorte (avec masque);

le monde des possibles est comme écrasé ;

ne reste que le parcours fléché _ et à tapis roulant _

entre deux sujets _ en fait « objets assujettis«  ; certes pas « sujets s’inventant leur propre devenir« , « librement«  !.. _

qui n’adviendront jamais l’un à l’autre _ non plus qu’à eux-mêmes, d’ailleurs,

en ce bal des ectoplasmes (hyper) sexués…

Le triste, est que « cependant vous poursuivez,

car vous êtes devenue addict

_ addict aux visages _ ou plutôt masques-leurres (et sans visage, justement !!!) _ qui se déroulent _ ou dévident _ sur l’écran _ électronique _, chaque soir ;

aux flashs et aux mails ;

à cette excitation factice

dont vous ne parvenez plus à vous passer _ du frisson de nuage de possibles (en grappes, et comme à l’infini) suscitant de l’attente… _ ;

tant il est vrai _ réellement avéré _ que le réseau est une addiction comme une autre,

avec sa part d’irrationalité et ses zones d’ombre _ qui peuvent, de fait, charmer _ ;

et dont il est extrêmement difficile de se défaire,

malgré coups bas, humiliations et rendez-vous manqués » _ à croire que le masochisme primaire et la pulsion de mort, sont considérablement puissants, dirait Freud (en ses « Essais de psychanalyse« )…

« Dommage que l’on ne puisse filmer ni enregistrer ces rencontres piteuses et drolatiques

_ je me souviens d’en avoir été jadis le témoin (très amusé !), en un lieu voué à de telles « rencontres«  « de sexe« , vacancières _,

cela ferait des sketches à l’humour imparable » _ à la Dino Risi : « Les Monstres » et « Les Nouveaux monstres« , autant que « Le Fanfaron » ; plus encore peut-être que bien des comédies acides de Woody Allen… _, s’amuse alors Dominique Baqué, page 122.

« Une véritable comédie humaine s’y déroulerait sous nos yeux,

avec pour enjeu majeur « ça ».

Ça : faire l’amour _ baiser, niquer.

Car l’une des caractéristiques majeures des rencontres sur le Net

étant une formidable accélération _ cf Paul Virilio _ du temps,

vous pouvez vous retrouver dans le lit

de celui qui était un parfait inconnu il y a une heure à peine

_ ce qui a pour effet pervers

_ par la (seule) pente (raide) à toujours « passer à autre chose«  !.. _

d’épuiser la possibilité même d’une relation ;

ou de la réduire fatalement, si j’ose dire, à n’être que la répétition de cette première fois :

soit une relation strictement sexuelle,

où jamais la dimension affective

_ vécue désormais comme « étrangère«  et « surnuméraire«  : « parasite«  ! _

ne viendra _ de « l’extérieur«  ! _ s’immiscer«  :

voilà qui donne bien à penser…

Roland Barthes développant cette analyse de la bien plus grande obscénité du sentiment (que du sexe)…

Et si,

en dépit du « Méfiez-vous, fillettes« , par lequel le bien avisé _ et avisant !!! _ Yves Michaud ponctue on ne peut plus clairement, par ce titre, son article sur ce lucide livre de Dominique Baqué,

« vous voulez y aller malgré tout _ Mesdames _,

alors affutez vos armes,

soyez drôle,

cynique ;

transformez-vous en guerrière du sexe : séduisez, prenez et jetez = vengez-vous bien !..

Surtout n’attendez rien d’autre des hommes _ à commencer par l’envisagement de « construire une relation authentique » (page 14)…

Amusez vous comme savent le faire les hommes.
Devenez une dominatrice
_ à votre tour, faites d’eux vos « poupées » !..

Ainsi le Net deviendra pour vous _ aussi, à votre tour, donc ! _ ce qu’il est et n’a jamais cessé d’être : l’espace d’un échange généralisé des _ seuls _ corps _ ayant abandonné ce qui leur restait (peut-être ?) d’âme au vestiaire…

N’y cherchez surtout pas l’amour _ qui ne se recherche jamais !

il ne fait qu’être trouvé, rencontré, accueilli ;

et c’est déjà beaucoup, si le voilà qui vient à passer pas trop loin de votre attention flottante… ;

cela doit (ou devrait) finir tout de même par s’apprendre, à un certain âge ;

du moins, cela (je veux dire un tel « apprentissage » ; une telle « sagesse de l’amour« )

peut (ou pourrait) raisonnablement s’espérer

(sans aller, cependant, jusqu’à s’escompter, toutefois !)… _ :

il ne sera pas au rendez-vous

_ car tel n’est pas (du tout !) le mode d’« arriver«  (= « survenir« ) de l’amour…

« L’amour n’est pas _ du tout ! il le fuit même irrévocablement ! comme la peste ! _ un produit marketing...


L’heure du marché viendrait-elle soudain de passer

cet automne ?..

Titus Curiosus, le 21 décembre 2008

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