A Chantal Thomas, en souvenir d’avant 1968 à Bordeaux
17juin
Chère Chantal,
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C’est mon ami – et désormais voisin – Philippe T. qui m’a appris hier votre réception à l’Académie française.
Et j’ai aussi découvert que parmi ceux qui ont assisté à cette réception se trouvait Denis Mollat.
J’ai alors pensé à ouvrir le « Dictionnaire amoureux de la Librairie Mollat « , pour m’apercevoir que nous avions tous deux tiré au sort la lettre « O « .
J’ai choisi le mot « Oasis « (« Oasis versus désert « ), et vous le mot « Ouvrir « ; et nos contributions se suivent donc, aux pages 173 à 177, et 179 à 182 de ce joli Dictionnaire, paru en 2016.
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Et bien sûr votre « Ouvrir « fait respirer le grand large vivifiant de l’Océan, via les sables d’Arcachon, et la lecture de livres bien ouverts sur le monde et les autres, en leur singularité voyageuse passionnante…
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Fidèlement,
et à la joie de vous lire, chère Chantal,
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Francis Lippa, à Bordeaux
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Ce vendredi 17 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa
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OASIS versus désert
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Sans anticiper le réchauffement qui nous promet le climat de l’Andalousie ou celui du Sahel, et même si manquent en ses vastes espaces, lumineux, tout de plain-pied et d’équerre dans leur agencement, les palmiers-dattiers, fontaines-cascatelles et bassins à nénuphars de l’Alhambra de Grenade, l’image de l’Oasis sied admirablement à la librairie Mollat, et aux usages que j’en fais : face au désert qui gagne. Et cela, dans le style du classicisme français, en une ville dont le siècle d’accomplissement est celui des Lumières, et sur le lieu même où un temps habita Montesquieu.
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Oui, la librairie Mollat est bien une luxuriante oasis de culture vivante, résistant au désert (d’absence de culture vraie). D’où mon attachement à elle, comme à la ville de Bordeaux, dont elle est le foyer irradiant de culture qui me convient le mieux : car par elle, en lecteur et mélomane toujours curieux d’œuvres essentielles, j’ai un contact tangible immédiat avec un inépuisable fonds (recelant des pépites à dénicher) d’œuvres de vraie valeur, à lire, regarder, écouter, avec lesquelles je peux travailler, m’entretenir-dialoguer dans la durée. Un peu comme Montaigne s’essayait en sa tour-librairie à ces exercices d’écriture qui feront ses Essais, par l’entretien avec les auteurs dont les voix dans les livres venaient conférer à demeure avec lui, leur lecteur, une fois qu’il fut privé de la conversation sans égale de La Boétie.
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En son sens propre bio-géographique, le désert ne cesse de bouger : il avance-recule en permanence, mais si peu visiblement au regard ordinaire que la plupart de nous n’y prenons garde. Alors quand « le désert croît » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra), l’oasis foyer de résistance à la désertification, est-elle d’un vital secours – nourricier, mais aussi succulent ! –, pour tous les vivants dont la vie (et la vie vraie, la vie de culture : à cultiver !) dépend. Contribuer à faire reculer le désert en aidant les oasis à résister, se renforcer-développer, resplendir, est l’essentielle mission de civilisation. A l’envers de (et contre) tout nihilisme, c’est à cette fin que Nietzsche appelle à ce sursaut qu’il nomme « le Sur-humain ».
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Ainsi en va-t-il des mouvements d’une oasis de culture vraie – expression pléonastique : l’oasis n’existant que d’être, et inlassablement, mise en culture par une minutieuse et très entretenue, parce que fragile en sa complexité, irrigation ; la barbarie s’installe dans l’Histoire quand et chaque fois que sont détruits sans retour les systèmes d’adduction aux fontaines et jardins – comme à Rome ou Istanbul. Et ce qui vaut à l’échelle des peuples vaut à celle des personnes, en leur frêle (improbable au départ) capacité de singularité de personne-sujet, qu’il faut faire advenir contre les conformismes, et aider à s’épanouir. La singularité suscitant la rage de destruction expresse des barbares.
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Je parle donc ici de la culture vraie (authentique, juste, probe, vraiment humaine) face aux rouleaux-compresseurs – par réalisation algorithmique, maintenant, de réflexes conditionnés panurgiques – de la crétinisation marchande générale, d’autant plus dangereuse que l’imposture réussit – par pur calcul de chiffre de profit, sans âme : les âmes, elle les stérilise et détruit – à se faire passer auprès du grand nombre pour culture démocratique ; et à caricaturer ce qui demeure – en mode oasis de résistance – de culture authentique, en misérable élitisme passéiste, minoritaire, dépassé (has been), comme le serinent les médias inféodés aux marques.
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Ainsi, en ma ville aimée de Bordeaux – cité classique -, la librairie Mollat – sise le long du decumanus tiré au cordeau de l’antique Burdigala – est-elle cette vitale oasis de culture vraie, tant, du moins, et pour peu qu’elle résiste assez à l’emprise des impostures des livres (et disques) faux ; et il n’en manque pas, de ces leurres jetés aux appétits formatés et panurgiques des gogos consommateurs ! Et là importe la présence effective de libraires-disquaires qui soient de vraies capacités de conseils de culture authentique, et par là, passeurs d’enthousiasmes – quand il y a lieu –, autant que de vigilants traqueurs d’imposture de produits promis à rapide et méritée obsolescence. Cette médiation-là constituant un crucial atout de la dynamique de résistance et expansion de pareille oasis de culture vraie. Mes exigences d’usager sont donc grandes.
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Sur un terrain plus large, celui du rayonnement plus loin et ailleurs qu’à Bordeaux, de l’Oasis Mollat, j’ai l’insigne chance de disposer, sur son site, d’un blog ami : En cherchant bien _ Carnets d’un curieux, signé Titus Curiosus, ouvert le 3 juillet 2008, où j’exprime et partage en parfaite liberté, mes enthousiasmes – l’article programmatique « le carnet d’un curieux » _ à lire ici _, qui reprenait mon courriel de réponse à Corinne Crabos me proposant d’ouvrir ce blog, n’a pas vieilli.
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Parfois sur ma proposition, parfois à sa demande, la librairie m’offre de temps en temps, aussi, la joie de m’entretenir vraiment, une bonne heure durant, dans ses salons, avec des auteurs de la plus haute qualité : ce sont les arcanes de leur démarche de création, leur poïétique, qu’il me plaît là d’éclairer-explorer-mettre au jour, en toute leur singularité – dans l’esprit de ce que fut la collection (Skira) Les Sentiers de la création. Podcastables, et disponibles longtemps et dans le monde entier sur le web, ces entretiens forment une contribution patrimoniale sonore consistante qui me tient très à cœur. Pour exemples de ces échanges nourris, j’élis la magie de ceux avec Jean Clair _ lien au podcast _, Denis Kambouchner, Bernard Plossu _ en voici un lien pour l’écoute.
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A raison de deux conférences-entretiens quotidiens, la librairie Mollat constitue une irremplaçable oasis-vivier d’un tel patrimoine de culture : soit une bien belle façon de faire reculer, loin de Bordeaux aussi, le désert.
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Voilà pour caractériser cette luxuriante Oasis rayonnante qu’est à Bordeaux et de par le monde entier, via le web, ma librairie Mollat.