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Le charme très prenant du violoncelle de Giuseppe Clemente Dall’Abaco (Bruxelles, 1710 – Vérone, 1805)

07mar

Le très beau CD de 5 Cello Sonatas de Giuseppe Clemente Dall’Abaco

(Bruxelles, 27 mars 1710 – Vérone, 31 août 1805)

_ le CD Passacaille 1069 _

par Elinor Frey, violoncelle,

assistée de Mauro Valli, violoncelle,

Federica Bianchi, clavecin

et Giangiacomo Pinardi, archiluth,

vient très opportunément me rafraîchir la mémoire

de l’excellent CD « Padre e figlio« 

_ le CD agOgique AGO011, paru en 2013 _,

consacré à des œuvres

d’Evaristo Felice Dall’Abaco, le père (Vérone, 12 juillet 1675 – Munich, 12 juillet 1742),

et Joseph Marie Clément Dall’Abaco, le fils (Bruxelles, 27 mars 1710 – Vérone, 31 août 1805),

réalisé par Bruno Cocset, violoncelle, alto et ténor de violon

et son ensemble Les Basses Réunies

(Emmanuel Jacques, ténor de violon ; Esmé de Vries, violoncelle ; et Bertrand Cuillier, clavecin).

Et à propos d’Evaristo Felice Dall’Abaco,

le père,

j’ai plaisir à renvoyer à un passage de mon article du 26 décembre 2008

dans lequel je me penchais sur ce superbe musicien italien

dont m’avaient enchanté _ d’abord en concert : à Barbaste, puis à Saint-André-de-Cubzac les 25 et 29 avril 1992 : c’est Philippe Allain-Dupré qui m’a donné les dates de ces deux concerts auxquels il participait ! _ les œuvres.

Voici ce que j’en disais en cet article de décembre 2008  :


D’abord _ et c’est sur ce CD-ci que je vais m’attarder _, les « Concerti à píù Istrumenti _Opera Sesta«  d’Evaristo Felíce Dall’Abaco, par « Il Tempio Armonico« , Orchestra Barocca di Verona, dirigé par Alberto Rasi (et avec Davide Monti comme premier violon).

Evaristo Felice Dall’Abaco _ (1675-1742) véronais de naissance, le 12 juillet 1675 : dix ans avant Jean-Sébastien Bach et George-Frédéric Haendel _, fait partie de ces musiciens italiens qui quittèrent l’Italie pour faire carrière au-delà des Alpes, souvent dans des cours allemandes (ou/et à Paris _ la capitale culturelle de l’Europe d’alors ! _ ; ou/et, aussi, à Londres _ la métropole économique, elle !..).


Ainsi Evaristo-Felice devint-il, en 1704, musicien _ violoncelliste _ de la chambre ;

puis Konzertmeister, en 1715,

de l’Électeur de Bavière, en l’occurrence le prince Maximilien-Emmanuel (1662-1726), trente-six ans durant, de 1704 jusqu’à sa retraite de la cour, en 1740, avant sa propre mort, à Munich, en 1742…

Deux recueils de concertos précèdent l’ »Opera Sesta«  (édité en 1735 à Amsterdam par Michel-Charles Lecène) : les douze « Concerti a quattro, da chiesa« , opus 2 (1708-1712), pour le quatuor à cordes traditionnel avec basse continue, avec deux Concertos de soliste pour violon ; ainsi que les six « Concerti a più istrumenti » opus 5(ca. 1719) _ « en fait des concertos grossi pour cordes, avec intervention de deux flûtes et d’un hautbois en autant de concertos« , indique le livrettiste Francesco Passadore, à la page 12 du livret de ce CD Stradivarius 33791.

Non seulement Evaristo-Felice Dall’Abaco est un compositeur de très grande qualité _ connu jusqu’ici davantage des instrumentistes que des mélomanes (du fait de la bien étonnante rareté de ses œuvres tant au disque qu’au concert !..) _, mais sa carrière de musicien est, aussi, tout à fait représentative du devenir de bien des musiciens italiens de talent au XVIIIème siècle.

Natif de Vérone,

de même que son prédécesseur illustre parmi les compositeurs baroques italiens pour le violon, Giuseppe Torelli (Vérone, 1658 – Bologne, 1709),

il eut à souffrir de « la part minime occupée par la musique à Vérone« , du fait« avant tout » de « l’absence d’une vie de cour qui aurait pu promouvoir ce type d’activité : Vérone dépendait territorialement de Venise ; et toute sa vie politique et culturelle était soumise à l’autorité de la République lagunaire« , explique bien Salvatore Carchiolo dans le livret du CD des « Sonate op. I et op. III » _ par l’Insieme Strumentale di Roma, sous la direction de Giorgio Sasso, enregistré en avril 2005 ; CD Stradivarius 33740 _ :

« pour les musiciens véronais, l’émigration devenait la seule voie possible« .

Aussi Dall’Abaco va-t-il s’installer en 1696 _ il a vingt-et-un ans _ à Modène. « La vie musicale y jouissait d’une vitalité certaine, en particulier l’école de violon de la cour, qui bénéficiait des largesses et de la protection du duc Francesco II » (un Este)… Cette « école de violon de Modène _ non sans importance dans l’histoire du violon en Italie aux XVIème et XVIIème siècles _ avait eu comme chef de file Marco Uccellini, présent à la cour entre 1642 et 1645. Elle comportait des noms aussi prestigieux que ceux de Giuseppe Colombi, Giovanni Maria Bononcini, Giovanni Batista Vitali, et son fils, Giovanni Antonio Vitali. »

Or « pendant ces années _ 1696-1704 _ passées  _ par Evaristo Felice Dall’Abaco _à Modène, se trouvait aussi dans cette ville _ et à cette cour _ Jean-Baptiste d’Ambreville, compositeur et violoniste français d’origine, qui avait été attiré à la cour de Francesco II, féru de culture française. » C’est ce compositeur français qui« fut le trait d’union à l’approche par Dall’Abaco du style musical d’outre-Alpes », dégage alors excellemment Salvatore Carchiolo. Mais quoique « à Modène, Dall’Abaco trouva à s’employer lors des grandes manifestations de la cour« , « toutefois » le jeune musicien ne parvint pas à s’y « assurer un emploi stable. C’est sans doute pourquoi il partit en 1704 à Munich à la cour de l’Électeur de Bavière, Maximilien-Emmanuel II, où il obtint _ pour commencer _ un emploi de joueur de violoncelle « da camera« . Il est vraisemblable _ poursuit Salvatore Carchiolo _ que l’introduction de Dall’Abaco au sein de la cour fut facilitée par l’entregent du marquis Scipion Maffei, aristocrate influent, amateur passionné de musique, et librettiste à ses heures (il composa le livret de « La Sfida ninfa » de Vivaldi). » Surtout « Dall’Abaco trouva dans la capitale bavaroise un climat raffiné et musicalement stimulant. La chapelle musicale de la cour de Bavière, issue d’une ancienne tradition, devait sa _ très _ grande réputation à Roland de Lassus. Et c’est le courant italien qui prévaut à la cour à l’arrivée de Dall’Abaco en 1704, d’autant que c’est au compositeur vénitien Pietro Torri qu’est confiée la direction de la musique de chambre. »


« Toutefois les aléas de la politique _ et de la guerre ! _ viennent très bientôt bouleverser la vie _ et la carrière : munichoises _ de Dall’Abaco. Au moment de la guerre de succession d’Espagne, Maximilien-Emmanuel II est allié à la France _ et à Louis XIV.

Après la défaite d’Höchstädt

(ou Blenheim _ le 13 août 1704 : victoire des troupes conjointes du prince Eugène de Savoie et du duc de Malborough sur celles, franco-bavaroises, du maréchal-comte de Tallard et du duc Maximilien-Emmanuel II de Bavière _),

l’Electeur est contraint de s’exiler _ d’abord _ à Bruxelles… Une partie de la cour le suit _ dont sa musique _ et Dall’Abaco. C’est le premier d’une longue série d’exils ; cette vie itinérante ne prenant fin qu’à la paix d’Utrecht, signée en 1714.

Pendant son séjour à Bruxelles

_ où naîtra son fils Joseph-Marie-Clément (Bruxelles, 1710- Vérone, 1805), lui aussi compositeur _

en 1705, Dall’Abaco publia son premier recueil instrumental _ de « Sonate da camera » _ chez l’éditeur Roger d’Amsterdam.

En mai 1706, les revers subis par l’armée française contraignirent la cour _ de Maximilien-Emmanuel II _ à s’installer à Mons, dans le Hainaut.


Après la défaite de Malplaquet
_ le 11 septembre 1709 _, Mons doit être évacuée, et Maximilien-Emmanuel II trouve refuge à la cour de France sous la protection _ directe _ de Louis XIV. La cour _ du duc-électeur de Bavière _ se déplacera ensuite à Rambouillet, Paris, Versailles, Meudon, Saint-Cloud et Compiègne.


Le séjour français offrit l’occasion à Dall’Abaco de se familiariser avec les raffinements de la musique française.

La loyauté du musicien à l’égard de l’Électeur sera récompensée à la réinstallation de la cour de Bavière à Munich, en avril 1715. A la réorganisation de l’orchestre de la cour, Dall’Abaco sera _ en effet _ nommé « Maître de concert » ; puis « Conseiller électoral ». (…)

« L’activité de Dall’Abaco  au sein de cette cour électorale se poursuivit au-delà de 1726, l’année de la mort de Maximilien-Emmanuel II » _ sous le règne de son successeur, Karl-Albrecht (1726-1745), jusqu’à sa retraite de la cour, en 1740 ; peu avant de mourir, à Munich, le 12 juillet 1742…


« L’attention réservée par la musicologie à l’œuvre de Dall’Abaco est ancienne« , relève fort justement Salvatore Carchiolo (page 22 de ce même livret du CD Stradivarius 33740) ; ajoutant, un peu naïvement : « cela peut paraître surprenant à première vue _ et seulement « à première vue » ! pourrait-on espérer : qu’on lise donc avec un peu plus de curiosité les partitions ! et qu’on écoute enfin ! la musique elle-même : au concert ! et au disque ! rêvons donc un peu !… _ étant donné qu’il s’agit d’un musicien que l’on joue rarement _ chercher l’erreur !!! _ dans les salles de concert ; et qui n’est pas _ ou guère… _ repris dans l’édition discographique.

Déjà au début du XXème siècle, les musicologues allemands Adolf Sandberger et Hugo Riemann consacraient diverses études et analyses à la musique du compositeur véronais. Riemann, en particulier, le porte au pinacle : selon lui, les œuvres de Dall’Abaco représentent sans doute le type le plus pur et le plus noble de la musique de chambre italienne, arrivé à l’apogée de son développement _ rien moins ! Le musicologue allemand la considère même supérieure en puissance expressive à celle d’Archangelo Corelli _ ce qui n’est tout de même pas peu, dans l’évaluation historiographique de la musique !!! Riemann voit en Dall’Abaco, sinon le créateur, du moins un précurseur de la sonate bi-thématique.

(…)

De fait, « un examen _ un peu attentif _ de l’œuvre de Dall’Abaco révèle _ bien _, encore _ ou enfin ! _ aujourd’hui, d’admirables qualités, soutenues par _ davantage que _ un _ « grand » _ métier ; qualités que Riemann avaient _ si _ justement su déceler dans l’art de la construction de Dall’Abaco. La propension de celui-ci à une disposition structurelle compacte et efficace, s’exprime par une sobre éloquence _ à la française ?.. _ guidée par des critères d’économie _ sobriété _ rhétorique _ du discours musical baroque _ ; et porte en soi des signes évidents d’une fondation encore fortement ancrée _ comme dans le cas d’un Jean-Sébastien Bach, dirais-je… _  dans l’enseignement traditionnel d’une musique poétique » _ = d’authentique poiesis ! Ce point est esthétiquement aussi _ et pas seulement musicologiquement !.. _ très important !

Techniquement,

« la recherche de la cohésion formelle s’exprime dans l’attention particulière portée à l’unité thématique de la composition. » Et cela, « dans le cadre même d’une solide discipline de contrepoint : Dall’Abaco regarde en quelque sorte « en avant » ! Sa musique comporte des traits s’inscrivant dans les développements les plus modernes de la musique instrumentale du dernier baroque. La technique qu’il met au point mérite la plus grande attention : le matériau qu’il utilise dans le développement des mouvements est très souvent fourni par les éléments du thème initial du morceau. Après une première exposition fuguée, il vient « décomposer » le thème initial en ses éléments, fournissant des progressions et des imitations venant guider le développement du thème dans la poursuite du morceau. »


Un autre élément important que note Salvatore Carchiolo, est « le recours, même limité, à des éléments du style français« , notamment « l’adoption occasionnelle de la forme rondeau, et de certains mouvements de danse français (tel le passepied), absents de la sonate « da camera » italienne » ; ou « la tendance à juxtaposer tonalités majeures et mineures à partir de la même tonique (d’après Talbot).

Déjà à Modène, et par le biais des contacts établis grâce à d’Ambreville, Dall’Abaco s’était familiarisé avec un style si différent du style italien que Corelli s’était déclaré bien incapable d’interpréter correctement son exécution. L’empathie de Dall’Abaco avec le style français se renforça, bien sûr, les années que passa en France la cour de Maximilien-Emmanuel (notamment entre 1709 et 1711), durant lesquelles il put connaître au plus près les tendances musicales au jour le jour du goût français. De fait, à partir de son opus 3 _ paru vers 1712-1715 _, l’apport de l’idiome musical français se fait de plus en plus évident et renforcé. La transparence et l’élégance formelle de la musique de Dall’Abaco repoussent un trop grand recours à la pure virtuosité instrumentale. Le violonisme indéniable dont fait preuve le véronais doit beaucoup à la leçon de Corelli, mais il est loin de tendre, comme cela s’avère chez un Vivaldi, vers un dépassement des limites techniques de l’instrument, et d’une amplification de ses ressources de timbres et de couleurs. (…) L’équilibre structurel de la musique de Dall’Abaco _ ainsi que l’a justement noté William S. Newman _ la montre très représentative de la sonate baroque au point d’équilibre de ce que l’on peut qualifier de son classicisme, par sa clarté et la maîtrise du dessin de ses lignes. »

Tout ce long développement historico-musicologique

rien que pour mettre un peu et enfin le projecteur

sur une musique absolument délicieuse !

Que j’ai découverte, dans la plus parfaite naïveté (et ignorance de tout ce contexte ! alors…), lors d’un concert de fin de stage, auquel j’avais couru assister, par désir d’écouter des amis musiciens, à Barbaste, il y a plus d’une dizaine d’années _ c’était au mois d’avril 1992… _ :

il y avait là, me souviens-je, mon ami flûtiste Philippe Allain-Dupré

(qui, avec Laurence Pottier, flûtiste, elle aussi, m’avaient accompagné à Prague, avec mon « atelier baroque », en 1993 ou 94) ;

Enrico Gatti, si remarquable violoniste (et « chef »), toujours si, à la fois, vivant et probe, en chacune de ses interprétations d’une impeccable justesse de poésie ;

Alfredo Bernardini, parfait, lui aussi ;

peut-être, et même plus que probablement, aussi Pierre Hantaï, le claveciniste prodigieux que tout le monde reconnaît ;

pour le talent desquels, tous, j’ai une immense profonde admiration…

Ce jour-là, à ce concert-de-fin-de-stage-là, dans la petite église tout à côté de Barbaste, à Lausseignan, j’ai bien imprimé en ma mémoire ce nom de Dell’Abaco ;

et depuis j’ai toujours vivement recherché les moindres témoignages discographiques des œuvres de cet immense compositeur-là ! ; et non sans quelque satisfaction, la plupart des fois…

Je pense ainsi à un _ très bon _ CD de « Concerti«  enregistré en janvier 1998 par l’ensemble Concerto Köln, comportant 4 concerti « a quattro da chiesa » de l’opus 2 ;

3 concerti _ un pour 2 flûtes ; un pour hautbois ; un pour cordes _ de l’opus 5 ;

et 2 concerti pour cordes de l’opus 6 :

il s’agit d’un CD Teldec (dans la collection « Das Alte Werk« ) n° 0639842216623 ;

ainsi qu’aux 2 CDs Stradivarius que j’ai mentionnés plus haut :

celui d’un choix de « Sonate« , des « op. I & III » (STR 33740) ;

et des 6 « Concerti à più Istrumenti _ Opera Quinta » (STR 33746)…

Fin de citation.

Bref,

le fils Dall’Abaco

est tout autant que son père

un magnifique compositeur !!!

Ce samedi 7 mars 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

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