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Ecouter Denis Kambouchner analyser l’expression « Quelque chose dans la tête » et la manie du souci de « transmettre » : l’entretien au Studio Ausone le 26 novembre dernier avec Francis Lippa, pour la Société de Philosophie de Bordeaux

10déc

Vient d’être mis en ligne

hier soir 9 décembre

sur son site par la librairie Mollat

le podcast (de 62′) _ cliquez sur podcast, et vous accéderez à son écoute ! _

de l’entretien du 26 novembre dernier à la Station Ausone,

_ et en ouverture de la saison 2019 – 2020 de la Société de Philosophie de Bordeaux _,

de Denis Kambouchner

_ président de la Société française de Philosophie _

avec Francis Lippa

_ vice-président de la Société de Philosophie de Bordeaux _

à propos du magnifique passionnant petit livre

_ de 154 pages : quelle lumineuse finesse et ampleur d’analyse ! _

de Denis Kambouchner,

paru le 28 août dernier aux Éditions Flammarion

Quelque chose dans la tête, suivi de Vous avez dit Transmettre ? ;

muni du bandeau suivant :

« Nous avons perdu la culture de la mémoire : avons-nous gagné celle du jugement ? » 

Cette question des moyens, outils et aliments

de la riche _ et positivement complexe : quelle variété de ressources et méthodes à apprendre à mettre en œuvre et inventivement connecter (ainsi que donner à cultiver à d’autres), sans esprit fermé de système, non plus que de formalismeformation et « culture » _ à tous égards _ du jugement

de tout un chacun et quiconque,

à commencer, bien sûr, par les enfants et les adolescents

_ auxquels s’adresse d’abord, originellement du moins, en sa conception première, le premier des deux essais, Quelque chose dans la tête ;

mais la question, bien sûr, ne s’arrête à nulle génération d’âge, ni d’époque :

apprendre à bien juger est l’affaire de l’entièreté, de son début à sa fin, de toute vie d’une personne,

je veux dire de la vie entière de tout un chacun ! et cela sans la moindre exception : face aux dangers et chausse-trapes incroyablement multiples des situations à tâcher d’éviter, auxquelles échapper quand elles surviennent, à entreprendre de surmonter, en apprenant comment y faire face et s’en dépêtrer et sortir vainqueur et vivant, et pas trop amoché, cabossé, blessé, souffrant… ; Montaigne nous en avertissait en ouverture du Livre III de ses Essais : « Personne n’est exempt de dire des fadaises » (ni de commettre des bêtises !)

et cela ne concerne pas seulement, bien évidemment, la vie humaine : puisque cet enjeu ô combien vital fait à coup sûr déjà partie des conditions de la vie et survie animales : que d’erreurs s’avèreront mortelles… _,

est en effet cruciale,

tant à l’échelle des individus,

qu’à celle des sociétés

et civilisations…

Et cette question-là

des « nourritures » fondamentales et ouvertes

_ ainsi qu’en chantier inventif et constructif permanent… _

du bien (ou toujours mieux) juger

ne cesse,

à côtés de ses recherches proprement cartésiennes

_ afin d’essayer toujours de mieux pénétrer les micro-subtilités infinies (et passionnantes) du travail philosophique de Descartes,

tâche peut-être principale du travail de Denis Kambouchner en sa carrière et œuvre philosophique _,

de constituer un pan essentiel du questionnement foncièrement pragmatique,

et à visée d’authentiques progrès de l’esprit,

de Denis Kambouchner.

Cet art de distinguer les nuances magnifiques et merveilleuses, à bien les considérer, du pensable

caractérise, me semble-t-il bien,

et court la culture philosophique française :

Montaigne, bien sûr, Descartes _ et le sillage des très nombreux cartésiens _, Pascal,

Voltaire, Diderot, Rousseau,

Bergson, Jankélévitch, Ricœur, Derrida, etc.

Tous assez peu adeptes du concept et de ses un peu trop rigides fermetures,

qui va dominer, me semble-t-il encore, la conquérante philosophie universitaire allemande,

au moins à partir de Kant et Hegel.

Oui, l’art des nuances subtiles, à partir de comparaisons ;

et même de métaphores

riches d’humour…

Afin de former et donner consistance à la finesse de la « sagacité » _ une notion cartésienne…

Quant au second des deux essais qui se répondent, « en écho« ,

Vous avez dit transmettre ?..,

celui-ci entreprend de mettre en garde _ délicatement, sans rechercher quelque polémique médiatique _ contre une tentation désagréablement fermée de concevoir l’enseignement de manière exclusivement conservatrice et rétrograde _ celle de certains idéologues réactionnaires, à la versaillaise ! _,

et de défendre un partage ouvert et inventif-créatif _ véritablement progressiste : mais à quels mots se fier parmi l’incroyable déchaînement orwellien de notre époque ? _ de la culture :

le maître judicieux étant seulement « un nain » _ humblement _ juché sur des « épaules de géants« ,

selon une formulation de Bernard de Chartres,

reprise notamment par Montaigne et Pascal…

Le vocable de « transmission » ne convenant, à proprement le penser,

qu’à l’opération de léguer à quelques proches

un héritage bien précis et spécifié à laisser en propriété et usufruit à ses descendants,

un patrimoine à ne pas laisser se disperser et disparaître, se dissoudre,

un secret de création-fabrication à ne pas laisser se perdre en le confiant ainsi à quelque disciple élu

qui saura en faire, à son tour, son miel propre…

Alors que la culture à même d’alimenter richement le bien juger d’autres que soi-même

est de l’ordre de ce « pollen » multiple et divers (de mille fleurs)

dont les abeilles _ montaniennes _ sauront faire leur « miel« ,

« en se l’incorporant » vraiment :

« Les abeilles pillotent de ça de là les fleurs ; mais elles en font après le miel qui est tout leur ; ce n’est plus thym, ni marjolaine ; ainsi les pièces empruntées d’autrui, il les transformera et confondra pour en faire ouvrage tout sien, à savoir son jugement : son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former.

Qu’il cèle tout ce duquel il a été secouru, et ne produise que ce qu’il en a fait. Les pilleurs, les emprunteurs, mettent en parade leurs bâtiments, leurs achats, non pas ce qu’ils tirent d’autrui. Vous ne voyez pas les épices d’un homme de parlement : vous voyez les alliances qu’il a gagnées, et honneurs à ses enfants. Nul ne met en compte publique sa recette : chacun y met son acquêt

Le gain de notre étude, c’est en être devenu meilleur et plus sage« , Essais, Livre I, chapitre 26, De l’institution des enfants

C’est cette profondeur et intensité de l’incorporation d’une authentique culture personnelle

par celui qui la reçoit,

comme par celui qui la donne _ et l’a donnée _,

qui,

en son authenticité généreuse et désintéressée _ pardon du pléonasme _ seulement,

en fait l’efficace seul effectivement consistant et durable.

Le reste, utile à court terme, se dissipera sitôt l’usage effectué…

Ensuite, selon le mot _ authentiquement progressiste et libérateur _ de Nietzsche, à propos de ce que donne le maître à son disciple :

« Vademecum, vadetecum« …

Tel est le paradoxe généreux du libérateur…

Ce mardi 10 décembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

P. s. :

voici encore, à titre de complément de luxe,

de quoi écouter le podcast de l’entretien _ merveilleux ! _ que j’ai eu avec Denis Kambouchner le 18 septembre 2013 à la librairie Mollat,

à propos de son essentiel _ lucidissime ! _ L’École, question philosophique.

Le « Borges » de Bioy, 8éme au classement par Babelia des 100 « mejores libros del siglo XXI »

30nov

Ce matin, parcourant El Pais de ce jour,

je découvre un article signé Javier Rodrigos Marcos,

intitulé Los 21 mejores libros del siglo XXI 

révélant le classement (par Babelia _ par un jury de 84 « experts » en littérature… _) des 100 meilleurs livres de notre XXIéme siècle,

dans lequel figure au 8ème rang

le Borges de _ mon cousin argentin (1914 – 1999) _ Adolfo Bioy Casares : Bioy

_ le livre, par les soins de Daniel Martino, fut publié, posthume, en novembre 2006 aux Ediciones Destino. Et telle est la raison qui fait de ce Borges de Bioy un classique du XXIème siècle. J’écris cela en rêvant de la publication, un jour (?), de l’intégralité de ce Journal personnel de Bioy ; dont l’intérêt va considérablement plus loin que son amitié littéraire avec Borges… Mais quel éditeur aura la folie de s’engager dans pareille immense publication ? Et pour quel lectorat ? En son indispensable Zarathoustra, au magnifique chapitre Lire et écrire du livre I, Nietzsche écrivait : « je hais les oisifs qui lisent« … Et les éditeurs-commerçants font des livres pour ce public de tels lecteurs-consommateurs-acheteurs-là… D’autant que Bioy, en rédigeant les pages de Journal personnel, n’avait certes pas la moindre visée de publication de ces notules personnelles-là… Bien éloignées de ses visées de perfection du style de ce qu’il donnait à publier… Son Journal était pour lui-même seulement ; une sorte d’aide-mémoire fixant un peu des instants fugitifs de sa vie.

8. ‘Borges’, Adolfo Bioy Casares

De las 20.000 páginas _ mazette ! _ de cuadernos íntimos que Bioy (1914-1999) escribió a lo largo de su vida, su relación con Borges ocupa 1.700_ soit 8,5 % de l’ensemble ; restent donc 91,5 %, soient 18 500 pages ! Un trésor !!! _, explicó en una información de 2006 Javier Rodríguez Marcos. Son las que preparó para este volumen antes de morir : “Aunque el libro se extiende entre 1931 y 1989, Bioy resume _ et c’est un peu dommage ; même si c’est mieux que rien ! _ los 15 primeros años _ entre 1931 et 1946 _ en una decena de páginas. Eso sí, brillantes. Los diarios borgianos de Bioy están llenos de literatura_ certes. Borges dijo que su relación era una profunda amistad “sin intimidad” cuya piedra angular eran los libros _ voilà. Mais la vie va bien au-delà des livres lus, écrits ou à écrire… Même si écrire son Journal est aussi de l’écriture…


Immédiatement je me souviens des mots prononcés par Edgardo Scott

à l’Institut Cervantes de Bordeaux le mardi 8 octobre dernier

lors d’une table ronde intitulée Regards croisés autour d’Adolfo Bioy Casares,

que j’animais,

avec les contributions très précieuses des auteurs argentins éminents lecteurs de Bioy

Stella Maris Acuña, Silvia Renée Arias et Edgardo Scott.

Edgardo Scott n’hésitant pas à qualifier ce Borges posthume de Bioy (1914 – 1999)

de plus grand livre argentin du XXIème siècle

_ et personnellement je porte ce Journal de Bioy au pinacle… Il m’intéresse passionnément.


Si bien que le vendredi 11 octobre suivant, à l’Auditorium de la Bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck,

lors d’une nouvelle table ronde que j’animais, et intitulée Les Héritiers d’Adolfo Bioy Casares,

avec Eduardo Berti et Edgardo Scott,

je n’hésitai pas à commencer la séance d’entretiens

en demandant à Eduardo Berti

ce qu’il pensait de cette remarque d’Edgardo Scott

qualifiant ce Borges de Bioy

de plus grand livre de la littérature argentine du XXIème siècle.

Voici cet article d’El Pais :

Los 21 mejores libros del siglo XXI

Un jurado de 84 expertos ha escogido para Babelia los títulos más relevantes de las dos primeras décadas del milenio


30 NOV 2019 – 00:24 CET

mejores libros

SETANTA

« Hacer listas« , escribe Alberto Manguel en su Diario de lecturas, “da lugar a cierta arbitrariedad mágica, como si la simple asociación pudiera crear sentido”. Pues bien, ¿qué sentido se puede encontrar en una lista que trata de hacer balance de las dos primeras décadas del siglo XXI? Empecemos por el principio. El martes 11 de septiembre de 2001, dos aviones de pasajeros secuestrados por terroristas suicidas derribaron las Torres Gemelas de Nueva York, mataron a casi 3.000 personas y cambiaron el mundo para siempre. De paso, mandaron al trastero de las hipótesis la teoría hegeliana del fin de la historia reciclada por Francis Fukuyama tras la caída del muro de Berlín y zanjaron la discusión sobre si el siglo XXI empezaba en el año 2000 o en 2001. La guerra de las galaxias se quedó en choque de civilizaciones. Los ordenadores pasaron la prueba del efecto 2000, pero sus usuarios — la nueva gran palabra — entraron en la era del miedo, la inseguridad, la precariedad, la intimidad (pública) y la realidad (virtual).



El futuro había llegado tan pronto en forma de metralla que los cines se llenaron de remakes ; las librerías, de cánones, recuentos y resúmenes y listas de lo muy muy y lo más más (que había que ver, leer y escuchar… antes de morir). También de relatos con un fondo de historia universal y libros de no ficción o de autoficción que dan tanto valor a la trama como a su making-of. Incapaz de imitar a una realidad presente que parecía de novela, la literatura se volcó en el pasado, en la memoria (histórica y a secas), en las investigaciones periodísticas, en la primera persona y en la propia literatura, que se volvió metatodo.


De ahí el triunfo absoluto de 2666, un libro total compuesto de cinco partes y publicado en otoño de 2004, al año siguiente de la muerte de su autor. Desde Borges —retratado minuciosamente por Adolfo Bioy Casares en un diario ya ineludible—, ningún escritor ha influido _ tel est donc le critère probablement décisif de ce choix _ tanto como Roberto Bolaño en las nuevas generaciones. Que sus libros empezasen a publicarse en Anagrama y actualmente lo hagan en Alfaguara — las dos editoriales más presentes _ un élément à prendre en compte _ en la lista de Babelia — es otro síntoma del peso de algunos sellos en la creación del gusto contemporáneo _ du moins hispanophone ; un facteur à noter, donc.


El escritor chileno Roberto Bolaño, en 1997.

El escritor chileno Roberto Bolaño, en 1997. MANOLO S. URBANO

Acaso por una mera cuestión generacional, la literatura canónica de las dos primeras décadas del siglo XXI se ha ocupado de hurgar en las heridas del XX _ pour ce qui concerne les dominantes thématiques. Las guerras mundiales, la guerra civil española, la posguerra, la descolonización, las migraciones, el apartheid, las dictaduras latinoamericanas, la caída del imperio soviético, los feminicidios en Ciudad Juárez o las turbulencias en Oriente Próximo pueden rastrearse en la obra del propio Bolaño, Ian McEwan, W. G. Sebald, Javier Marías, Javier Cercas, Tony Judt, Mario Vargas Llosa, J. M. Coetzee, Zadie Smith, Svetlana Aleksiévich, Emmanuel Carrère, Marjane Satrapi o Edmund de Waal _ oui.


Pero si esos autores empiezan a ser canónicos no es solo por los temas que abordan, sino por el modo _ voilà _ en que lo hacen _ un point forcément décisif, lui aussi _ : mezclando realidad y ficción, narración y reflexión, dinamitando los géneros tradicionales o dejando que su intimidad sin filtros discuta con la historia universal _ oui. Ese yo con voluntad de nosotros es el que ha producido además títulos como los de Joan Didion, Lucia Berlin, Anne Carson y Raúl Zurita — que tituló su obra magna con su propio apellido —, pero sobre todo los seis volúmenes de Karl Ove Knausgård _ j’ignorai jusqu’ici l’existence même de cet auteur.


También la gran historia y la intimidad cruda están presentes en títulos del siglo XXI tan exitosos como El Código Da VinciEl niño con el pijama de rayas o Cincuenta sombras de Grey. ¿Por qué no están en esta lista? Tal vez porque no cuadran con la definición que el crítico Northrop ­Frye acuñó para la “gran literatura” : aquella que es “dueña de una visión siempre más vasta que la de sus mejores lectores” _ ici encore un facteur décisif… El poeta Wystan Hugh Auden lo matizó así : “Hay libros que han sido injustamente olvidados ; ninguno es injustamente recordado” _ en effet !


La crisis económica de 2008 sumó la indignación a la inseguridad y dio la razón a una novela premonitoria publicada en España un año antes : Crematorio, de Rafael Chirbes. De paso, empoderó — el verbo del siglo — a un género y a una generación. El feminismo y el ecologismo son por ahora la respuesta más contundente a una deriva insostenible que va camino de convertir en realismo puro una novela de, digamos, ciencia-ficción como La carretera, de Cormac ­McCarthy. Protagonizada por dos hombres solos — un padre y un hijo — que vagan por un planeta devastado, la distopía del autor estadounidense incluye en sus páginas algo que se parece a una definición de la literatura de hoy : “Dios no existe y nosotros somos sus profetas”.


1. ‘2666’, Roberto Bolaño


« 2666 es lo mejor de una producción literaria prematuramente interrumpida », escribió Ana María Moix en Babelia en 2004, « Amalfitano, uno de los protagonistas de la segunda de las cinco partes o novelas que componen 2666, obra póstuma de Roberto Bolaño (1953-2003), rememora desde México una conversación sostenida, hacía años en Barcelona, con un joven farmacéutico que pasaba sus noches de guardia leyendo. Al joven le gustaba leer novelas breves como La metamorfosis, de Kafka ; Bartleby, el escribiente, de Melville ; Un corazón simple, de Flaubert, o Un cuento de Navidad, de Dickens, títulos que escogía en lugar de El proceso, Moby Dick, Bouvard y Pécuchet El Club Pickwick, novelas largas de los citados autores. ‘Qué triste paradoja, pensó Amalfitano’, escribe Bolaño. ‘Ya ni los farmacéuticos ilustrados se atreven con las grandes obras, imperfectas, torrenciales, las que abren caminos en lo desconocido. Escogen los ejercicios perfectos de los grandes maestros (…)‘. Y, de hecho, eso es 2666 : una gran obra torrencial, que abre caminos en lo desconocido ». Moix apunta que las cinco partes de esta gran obra pueden leerse por separado, pero se perdería la grandeza que alcanzan juntas.

2. ‘Austerlitz’, W. G. Sebald

La novela del alemán W. G. Sebald (1944-2001) narra la odisea vital de un hombre sin historia llamado Jacques Austerlitz en busca de ese tejido perdido en el tiempo que son sus padres. El protagonista camina sobre los restos de una devastación insoportable después de dos guerras.Austerlitz es una formidable representación del destino del hombre moderno llevado a un extremo : el del desarraigo extremo ; también lo es de la capacidad de supervivencia del ser humano”, escribió en estas páginas José María Guelbenzu en 2002. Traducción de Miguel Sáenz.

3. ‘La belleza del marido’, Anne Carson


Anne Carson (1950) abordó en La belleza del marido el conflicto desencadenado por su separación. “Hay en este poemario”, escribió el crítico Ángel Rupérez en 2003, “una tensión entre la idealización inicial del marido (…) y el derrumbe de ese ídolo que consigue sobrepasar con creces el anecdotario más estrictamente autobiográfico y confesional, constantemente convertido en materia poética contaminada por un continuo y soterrado — no explícito — aliento lírico hecho de elegía comedida y de creencia incondicional en la belleza”Traducción de Ana Becciu.

4. ‘La Fiesta del Chivo’, Mario Vargas Llosa


La Fiesta del Chivo es un relato sobre el dictador dominicano Rafael Leónidas Trujillo Molina y, a la vez, un impresionante fresco de la corrupción destructiva de las dictaduras. En su crítica de 2000, el argentino Tomás Eloy Martínez definió la novela del premio Nobel Mario Vargas Llosa (Arequipa, 1936) como “un retrato implacable del poder absoluto en una novela que se lee sin respiro de principio a fin”.

5. ‘Expiación’, Ian McEwan


Con minuciosidad y un talento infinito, el británico Ian McEwan (Aldershot, 1948) ha ido construyendo una obra tan variada como imprevisible. Expiación es una de sus novelas más célebres, mucho antes de que fuese llevada al cine. En su crítica, Andrés Ibáñez calificó en 2002 la novela como “un relato de una ambición y un alcance nada frecuentes”. “Es, ante todo”, proseguía, “un triunfo de la imaginación creadora, una obra que justifica en sí misma la existencia del arte de la novela”Traducción de Jaime Zulaika.

6. ‘Limónov’, Emmanuel Carrère


Emmanuel Carrère (París, 1957) ha construido un género propio en el que mezcla la autobiografía con el retrato de personajes insólitos. Así definió el autor a su protagonista en 2013 : “Ha sido granuja en Ucrania, ídolo del underground soviético, mendigo y después mayordomo de un millonario en Manhattan ; escritor en París, soldado en los Balcanes, y, ahora, en el inmenso burdel del poscomunismo en Rusia, viejo jefe carismático de un partido de jóvenes desesperados. Él se ve como un héroe, pero también se le puede considerar un cabrón : yo no me atrevo a juzgarlo”Traducción de Jaime Zulaika.

7. ‘Tu rostro mañana’, Javier Marías



Javier Marías cerró su trilogía Tu rostro mañana en 2007 con Veneno y sombra y adiós, en la que reflexiona sobre el egoísmo, la verdad y la culpa. José-Carlos Mainer calificó la obra de ejemplo del género de la autoficción : “Marías ha logrado la construcción más sostenida, compleja e importante que tal voluntad (de estilo y de género) ha producido en las nuevas letras españolas”. Mainer describe la obsesión por “la naturaleza de la verdad” y cree que “el punto de partida de la existencia es el egoísmo”.

8. ‘Borges’, Adolfo Bioy Casares



“De las 20.000 páginas de cuadernos íntimos que Bioy (1914-1999) escribió a lo largo de su vida, su relación con Borges ocupa 1.700”, explicó en una información de 2006 Javier Rodríguez Marcos. Son las que preparó para este volumen antes de morir : “Aunque el libro se extiende entre 1931 y 1989, Bioy resume los 15 primeros años en una decena de páginas. Eso sí, brillantes. Los diarios borgianos de Bioy están llenos de literatura”. Borges dijo que su relación era una profunda amistad “sin intimidad” cuya piedra angular eran los libros.

9. ‘Verano’, J. M. Coetzee



Verano,
 la tercera entrega de las memorias del sudafricano J. M. Coetzee (1940), “revela una audacia literaria que no por consecuente con la última parte de su obra deja de ser un reto original”, escribió José María Guelbenzu en 2010. En este libro, cinco entrevistados crean con su testimonio un Coetzee personal e íntimo, en un documento que manifiesta la viveza de espíritu del escritor y su apuesta irreductible por la verdad literaria. Traducción de Jordi Fibla.

10. ‘El año del pensamiento mágico’, Joan Didion



“La obra de no ficción de Joan Didion (1934) ejemplifica bien el género conocido como ensayo personal, una forma de escritura cuyo objetivo es someter a examen circunstancias de orden histórico o sociológico desde una perspectiva radicalmente subjetiva”, escribió en 2005 en estas páginas Eduardo Lago. Este libro de duelo es, en palabras del escritor, “el más personal por lo íntimo y doloroso del tema” : la muerte de su marido. Traducción de Javier Calvo.

11. ‘Mi lucha’, Karl Ove Knausgård


El noruego Karl Ove Knausgård (1968) narra su vida en seis tomos bajo el título de Mi lucha ,como la autobiografía de Hitler. “Un vertedero documentario que necesita existir para que surja, de vez en cuando, un prodigio que, por sí solo, parecería puramente retórico pero que, nacido de la abrumadora acumulación de detalles, se convierte en una epifanía”, opinó Alberto Manguel en 2014. Traducción de Kirsti Baggethun y Asunción Lorenzo.

12. ‘La carretera’, Cormac McCarthy

Un padre y su hijo, supervivientes de una hecatombe nuclear, caminan hacia un sur que, solo quizá, sea su salvación. “Unidos por el amor y el miedo, son la expresión de una soledad intolerable”, escribió J. M. Guelbenzu en su crítica de esta novela de Cormac McCarthy (1933). Traducción de Luis Murillo Fort.

13. ‘Crematorio’, Rafael Chirbes

Rafael Chirbes (1949-2015) narró en esta novela la corrupción urbanística en España. “Con una escritura de precisión clínica en la que a veces recala un medido lirismo, el escritor no cede al olvido de la grande y pequeña historia de nuestro país. Como si Galdós vigilara”, escribió sobre el autor y su obra J. E. Ayala-Dip.

14. ‘Dientes blancos’, Zadie Smith

“El rasgo más característico de la escritura de Zadie Smith (1975) es su propensión a la sátira. No obstante, Dientes blancos no es una novela divertida”, escribió Francisco Solano en 2001. “Retrata el espacio multirracial habitado por hijos de inmigrantes, cuya asimilación a la metrópoli, junto con la confrontación con los padres, les aboca a ser víctimas de una mezcolanza ideológica y religiosa que produce claros efectos de atolondramiento”Traducción de Ana M. de la Fuente.

15. ‘Manual para mujeres de la limpieza’, Lucia Berlin

La estadounidense Lucia Berlin (1936-2004) empezó a publicar (no a escribir) muy tarde y solo a finales del pasado siglo se la comenzó a reconocer como una narradora excepcional. Manual para mujeres de la limpieza es una antología de relatos basados en la vida itinerante de la autora, alcohólica, que trabajó en toda clase de oficios para mantener a sus hijos. “Todo cuanto relata tiene olor a verdad”, aseguró José María Guelbenzu en 2016. Traducción de Eugenia Vázquez Nacarino.

16. ‘Zurita’, Raúl Zurita

“La primera impresión que produce Raúl Zurita (Santiago, 1950) es la de un poeta perdido en el mundo del misterio y la espiritualidad”, escribió el cronista Patricio Fernández en 2012. “No lee, canta, se lamenta, y reza”. Y este poeta publicó aquel año su particular autobiografía, un poemario de 800 páginas en el que se expone más crudamente que nunca.

17. ‘Postguerra’, Tony Judt

El historiador británico (1948-2010) logró con este libro una hazaña, mezclando las lavadoras, los Beatles y Margaret Thatcher. Esto es, la vida cotidiana, la cultura y la política. “La nueva Europa constituye un éxito notable vitalmente vinculado a un terrible pasado”, escribió Santos Juliá en su reseña. “Para que los europeos conserven siempre ese víncu­lo vital hay que enseñárselo de nuevo a cada generación”Traducción de Jesús Cuéllar y Gloria E. Gordo del Rey.

18. ‘Soldados de Salamina’, Javier Cercas

J. Ernesto Ayala-Dip habló en su crítica de Soldados de Salamina en 2001 de la mezcla entre “el relato real” que se plantea en el libro de Cercas y la “obra de ficción” que realmente es. La historia del fallido fusilamiento de Rafael Sánchez Mazas, escritor y fundador de la Falange, se desarrolla con “esa prosa que se desliza con la naturalidad que da la madurez”, añadió Ayala-Dip sobre esta novela.

19. ‘El fin del Homo sovieticus’, Svetlana Aleksiévich

Cuando Svetlana Aleksiévich (Ucrania, 1948) recibió el Premio Nobel de Literatura, muchos lectores descubrieron la fuerza de una obra, a medio camino entre el periodismo y la historia. El fin del ‘Homo sovieticus ofrece las voces de los que vivieron el fin del comunismo. “Su obra es también una revancha del periodismo”, escribió Lluís Bassets sobre su obra, “que busca las fuentes más modestas y las experiencias más sencillas para explicar lo que fue silenciado durante las siete décadas soviéticas”Traducción de Jorge Ferrer.

20. ‘Persépolis’, Marjane Satrapi

En Persépolis, el único cómic en la lista, la autora iraní cuenta la revolución islámica de 1980 vista por una niña, la que Marjane Satrapi era entonces, con 10 años, cuando tuvo que ponerse pañuelo por primera vez para ir a la escuela. “Tenía un deber para con mi país”, le dijo en 2002 a Jaume Vidal en una entrevista. Un cómic en blanco y negro porque, según Satrapi, “el rojo de la sangre podría ser muy dramático”Traducción de Albert Agut.

21. ‘La liebre con ojos de ámbar’, Edmund de Waal

A través de la historia de 264 miniaturas japonesas llamadas netsukes — entre ellas, la liebre que da título al libro —, Edmund de Waal (Nottingham, 1964) construye la historia de su familia, aunque va mucho más allá en un retrato de la historia reciente de Europa y de sus profundas heridas y ausencias. Traducción de Marcelo Cohen.

Del 22 al 50

22. La grande, Juan José Saer
23. Nunca me abandones, Kazuo Ishiguro
24. Anatomía de un instante, Javier Cercas
25. Demasiada felicidad, Alice Munro
26. La tabla rasa, Steven Pinker
27. Los años, Annie Ernaux
28. Temporada de huracanes, Fernanda Melchor
29. Sapiens, Yuval Noah Harari
30. Kafka en la orilla, Haruki Murakami
31. El nervio óptico, María Gainza
32. Los diarios de Emilio Renzi, Ricardo Piglia
33. La novela luminosa, Mario Levrero
34. En presencia de la ausencia, Mahmud Darwish
35. Incendios, Wajdi Mouawad
36. Pensar rápido, pensar despacio, Daniel Kahneman
37. Las correcciones, Jonathan Franzen
38. El adversario, Emmanuel Carrère
39. La mancha humana, Philip Roth
40. Canadá, Richard Ford
41. Elizabeth Costello, J. M. Coetzee
42. Terror y utopía, Karl Schlögel
43. Lectura fácil, Cristina Morales
44. Las poetas visitan a Andrea del Sarto, Juana Bignozzi
45. Ordesa, Manuel Vilas
46. Distancia de rescate, Samanta Schweblin
47. La noche de los tiempos, Antonio Muñoz Molina
48. Teoría King Kong, Virginie Despentes
49. El mundo deslumbrante, Siri Husvedt
50. Los testamentos, Margaret Atwood

Del 51 al 100 (por orden alfabético del apellido del escritor)

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie
Diccionario de autores latinoamericanos, César Aira
Experiencia, Martin Amis
Patria, Fernando Aramburu
Un país mundano, John Ashbery
Fun Home, Alison Bechdel
Genios : un mosaico de cien mentes creativas y ejemplares, Harold Bloom
Vida precaria, Judith Butler
El día del Watusi, Francisco Casavella
Las ensoñaciones de la mujer salvaje, Hélène Cixous
Hombre lento, J. M. Coetzee
A contraluz, Rachel Cusk
La maravillosa vida breve de Óscar Wao, Junot Díaz
Jamás el fuego nunca, Diamela Eltit
El olvido que seremos, Héctor Abad Faciolince
Un ángulo me basta, Juan Antonio González Iglesias
El giro, Stephen Greenblatt
El tejido del cosmos, Brian Greene
Homo Deus. Breve historia del mañana, Yuval Noah Harari
Trabajos del reino, Yuri Herrera
Sumisión, Michel Houellebecq
La posibilidad de una isla, Michel Houellebecq
La doctrina del shock, Naomi Klein
La casa de la fuerza, Angélica Liddell
Berta Isla, Javier Marías
Asterios Polyp, David Mazzucchelli
Necropolítica, Achille Mbembe
C, Tom McCarthy
Aquí, Richard McGuire
Todo lo que tengo lo llevo conmigo, Herta Müller
Escapada, Alice Munro
Suite francesa, Irène Némirovsky
Infiel. Historias de transgresión, Joyce Carol Oates
El salto del ciervo, Sharon Olds
El capital en el siglo XXI, Thomas Piketty
Un apartamento en Urano, Paul B. Preciado
Diccionario sánscrito-español. Mitología, filosofía y yoga, Òscar Pujol
Retaguardia roja, Fernando del Rey
La conjura contra América, Philip Roth
Harry Potter y el misterio del príncipe, J. K. Rowling
La última noche, James Salter
Clavícula, Marta Sanz
El artesano, Richard Sennett
La estupidez, Rafael Spregelburd
La poesía del pensamiento, George Steiner
La gran brecha. Qué hacer con las sociedades desiguales, Joseph Stiglitz
Los errantes, Olga Tokarczuk
Nada se opone a la noche, Delphine de Vigan
Hablemos de langostas, David Foster Wallace
Fabricando historias, Chris Ware

Así ha decidido el jurado : hombres que votan a hombres y jóvenes que leen a extranjeros

_ je remarque aussi que les nombreux lecteurs de ce très intéressant article paru dans El Pais qui prennent la peine de commenter-critiquer les choix de cette liste, indiquent les « oubliés » selon eux de cette liste. Et parmi ceux-ci, revient le plus souvent le nom de l’écrivain roumain Mircea Cartarescu, et son roman Solénoïde, paru en traduction française le 22 août 2019 (aux Éditions Noir sur blanc).

Mircea Cartarescu : un auteur que m’a vivement recommandé l’ami Eduardo Berti, qui s’est rendu tout spécialement à Pollença (dans l’île de Mallorca) pour la remise à Mircea Cartarescu (pour l’ensemble de son œuvre) du Prix Formentor, le 29 septembre 2018 ; le jury de ce Prix Formentor s’était réuni à Buenos Aires le 9 avril 2018 ; et en faisait partie Alberto Manguel, le lauréat précédent de ce Prix Formentor, en 2017 ; et grand lecteur (et ami, mieux encore !) de Bioy, Silvina Ocampo, et Borges.

Et lire aussi de mon ami Bernard Sève :

De haut en bas _ philosophie des listes

_ cf mon article du 4 avril 2010 :

Ce samedi 30 novembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Jean Clair, ou « ressaisir le fil qui relie à la vie », et résister à la catastrophe des mésusages de la langue _ et des cinq sens, et du penser…

02août

Mes deux précédents articles consacrés à l’admirable Terre natale _ exercices de piété, de Jean Clair :

et

constituaient un prologue à mon article d’aujourd’hui, sur le fond.


Terre natale _ exercices de piété est la poursuite (et reprise) des précédents « écrits intimes » _ et déjà « exercices de piété«  _ de Jean Clair

que sont Journal atrabilaire (en 2006), Lait noir de l’aube (en 2007), La Tourterelle et le chat-huant (en 2009), Dialogue avec les morts (en 2011), Les derniers jours (en 2013), La Part de l’ange (en 2015) ;

et cela après un accident de santé sien évoqué très discrètement (rien ne sera jamais indiqué de sa nature) à la page 320, au cours du chapitre XIX Athènes et Jérusalem : et seulement afin de justifier (un peu) le fait de n’avoir pu se rendre sur les lieux du Sépulcre, malgré la présence sienne à Jérusalem le 28 septembre 2016, au moment des obsèques de Shimon Pérès ; et c’est là une des rares dates d’événements évoqués… _ qui semble avoir un peu durablement affecté sa santé alors _ et rudoyé son moral _, et maintenu un certain temps alité _ à l’hôpital ou chez lui, ce n’est pas spécifié ; Jean Clair évoque les images suscitées par différentes positions du corps couché, à l’instar de ce qui peut se produire pour des rêves au cours du sommeil… _, et sans pouvoir _ ni d’abord même désirer _ aller rencontrer des interlocuteurs un peu vrais : seule restait comme ressource de présence et interlocution vraie, et avec une altérité riche _ de répondant _, que la lecture :

Pages 31-32, au chapitre I :

« Je n’ai plus _ convalescent, et plutôt déprimé _ la  force que de lire, jour après jour, et du matin au soir. Je m’assois dans mon fauteuil, et je lis à m’épuiser les yeux. (…) Aucun médium, radio, télévision, cinéma, n’a ce pouvoir _ thaumaturgique _ de faire entendre une voix à travers un objet, et de parler en elle. On ne fait pas que ressusciter le mort qui gisait dans ces pages, on lui donne sa voix.

Un livre est toujours un Livre saint. (…) Pour échapper à mon mal _ de « dépression » et absence abyssale à soi-même… _, je lis interminablement et, pendant quelques instants, je suis Baudelaire, Proust ou Flaubert. La magie _ voilà _ peut durer des heures. Fatigué par la transmigration, je referme les pages. L’âme en paix, j’essaie de retrouver le souffle qui est le mien« …

Le texte de ce livre magnifique s’inscrit entre deux acceptions,

aux pages 15 _ et il s’agit là, au chapitre I L’Intrus, de la phrase incipit du livre ! : « J’ai fini par me refuser l’hospitalité«  _

et 398 _ au tout dernier chapitre, le chapitre XXIV La Terre vaine, et juste quatre pages avant la fin : « Si je ne peux plus m’offrir l’hospitalité«  _

du terme « hospitalité » _ accordée, ou pas, à soi-même ; et c’est bien là que gît la difficulté (de « dépression« ) à laquelle s’affronte courageusement l’entière méditation sans cesse creusée, fouillée et approfondie de ce merveilleux livre… _ :

Page 15 : « J’ai fini par me refuser l’hospitalité. Personne _ de conséquent _ n’est là où je suis. (…) Qui étais-je ? Qui suis-je, après toutes ces années ? (…) Comme par distraction, je me suis mis à distance de moi, ouvrant un vide _ abyssal _ que je ne peux plus remplir » ;

page 16 :  « Je suis entré dans la saison du saisissement, qui est la saison du dessaisissement _ de soi-même. Séparé de ce que je croyais être moi et qui me donnait contenance et chaleur _ voilà. Désemparé, sans rempart. (…) Saisi, dessaisi : une outre-tombe. (…) Grelottant, je ne suis pas là, et qui est là, à ma place ? » ;

page 17 : « Penser est une continuité que je n’ai plus _ par défaillances répétées de la mémoire ? par rupture de fil ? _ une fidélité que je ne respecte pas » ;

page 18 : « C’est une disparition. Je me défais » ;

page 20 : «  »Étre soi«  ne serait qu’une obstination à croire en ce qui n’est qu’une suite _ purement accidentelle _ de sensations disparates, une habitude _ de simple fait, mais sans légitimité de droit _, une distraction _ superficielle.

On porte le deuil de _ la consistance de _ sa vie bien avant d’être mort« …

Et page 398 : « Si je ne peux plus m’offrir l’hospitalité _ accueillante _, me reconnaître, me souvenir de ma présence en moi, et m’y réconforter, me souvenir de mon nom paternel _ Régnier _, devenu étranger à moi-même _ faute de fil assez cultivé _, c’est que je ne peux plus habiter la terre natale dont ne me restent que des souvenirs informes, ni reconnaître miens les paysages et les humains que j’ai ensuite aimés » _ et seule une écriture réellement consistante, et renouant les fils et liens négligés, est en mesure de leur rendre forme.

Deux chapitres, vers la fin, le chapitre XVI, Les Dardanelles, et le chapitre XXI, La fugue, développent magnifiquement la ressource du « fil » à renouer

_ « ressaisir » (page 273), « retrouver » (page 274), « rétablir » (page 274), « reprendre » (page 274), faire que « le fil ne soit pas rompu«  (page 275), faire que « un fil échappe au circulum diaboli du temps » (page 278), « ne pas casser le fil » (page 351), trouver le mot qui « redonnerait la vie (…), trouver le mot juste, qui donnerait à la phrase son assise et son sens » (page 352), « vous faire ressaisir le fil de vos pensées et le dérouler dans l’esprit  » (page 354) ; et cette opération très exigeante-là, versus « la catastrophe des « mots libres »«  (page 353), car « « les mots en liberté », dont les surréalistes avaient fait leur profession de foi, étaient un contresens, une impiété. Il n’y avait pas de liberté des mots, mais un choix, un respect, l’obéissance à un ordre », condition absolue de sens, de vérité et de beauté (page 352) _,

par l’écriture, que met en œuvre Jean Clair en ses divers « écrits intimes« ,

et tout particulièrement en ce volume postérieur à l’épisode de la maladie _ qui s’était déclarée en septembre 2016, à Jérusalem _ et de la sévère dépression qui l’a suivie, en ce Terre natale _ exercices de piété.

 


Mais des ressources effectives s’offrent.

Et pour commencer « les papillons«  _ cf le titre du chapitre IV : Les Papillons... _ à saisir _ même si c’est bien difficile _ des rêves nocturnes : par l’écriture notamment ;

à bien distinguer _ Jean Clair y insiste _  de l’activité _ que Jean Clair repousse vigoureusement, elle _ de fiction :

« Parler (…) d’êtres vivants, les imaginer vivants, inventer des personnages et leur prêter des sentiments, des gestes, des paroles : les romans me donnent une insupportable sensation d’ennui. (…) J’ai toujours détesté la fiction _ moi aussi. Je suis incapable d’inventer. Je n’aime pas raconter des histoires, respecter des plans _ convenus à l’avance _, préparer des intrigues _ misérablement artificielles. Moins encore composer des dialogues, cet usage frauduleux de l’écriture. On n’écrit _ vraiment _ que pour obéir au besoin de dire quelque chose qu’on ignore _ encore. On avance alors sans trop savoir. Et puis viens la récompense du mot _ du mot juste et fécond _ qui dit ce que vous ne saviez pas« , lit-on à la page 58 du chapitre III Les Nocturnes..

Ainsi que cette précision-ci, page 60, du même chapitre III Les Nocturnes :

« Il faut être un peu désespéré pour trouver le courage de s’isoler et de tenter d’écrire. La réalité apparaît pourtant si riche alors _ en ce défi aventureux et ouvert de l’écrire _, et si inépuisable _ voilà _, qu’on comprend qu’il est vain de vouloir la changer, voire simplement de l’imaginer autre. Il y a assez à dire _ oui ! _ de ce qui est ou de ce qui a été pour occuper les années de son existence. Proust, Morand, Aragon, Malaparte _ ou Montaigne _ n’ont jamais rien inventé, imaginé, jamais écrit de « romans ». Ils ont été le peintre qui s’efforce, tableau après tableau, de dire, de décrire, de prolonger un peu _ la qualité de présence de _ ce qu’il a sous les yeux, en tournant le dos à la tentation, « fasciste » en effet, de vouloir changer le monde, de recourir à la fantaisie, à l’abstraction, à la violence, à la création _ arbitraire, gratuite _, en usant de systèmes de couleurs et de formes qui seraient capables d’améliorer la réalité, ou, pire encore, à exalter ce qu’on dit être son « moi » « …

 Je reviendrai, bien sûr, à cette ressource capitale qu’est l’écrire _ et à sa conception précise _, pour Jean Clair… Mais pour l’instant c’est à la ressource de « présence«  _ cruciale aussi, fortément _ du rêve nocturne que je désire m’attacher.

À preuve : 

aux pages 64-65 du chapitre III Les Nocturnes, ceci :

« L’étonnant pouvoir _ voilà _ du rêve _ nocturne. (…) D’un être, il nous offre _ la grâce de _ sa présence sensible, parée de toutes les qualités. Nous (…) voyons (…) surgir devant nous ce qu’on pourrait nommer _ en usant du vocabulaire théologique _ une présence réelle, avec sa chaleur _ son éclat _, sa spontanéité _ indépendante de soi _, sa voix _ surtout _, remontée d’on ne sait lequel de ces enfers, qui ne sont pas forcément des lieux de souffrance comme dans nos religions, mais des lieux imaginés par les Anciens ou par le Shéol juif, où ils sont _ seulement _ tenus en réserve, endormis eux aussi _ comme nous-mêmes qui rêvons en notre propre sommeil _ attendant de nous revoir _ et de reprendre notre conversation.

(…) Le rêve est revenance et révélation _ post mortem. (…) Mes rêves se remplissent de figures et deviennent des salons où l’on s’entretient _ voilà _ avec douceur _ surtout. Ce dont le quotidien _ de la maladie, comme de la quotidienneté… _ m’a privé, la nuit me le redonne« …

Je peux maintenant en venir à l’instrument capital du rétablissement du fil de la vie et du soi le plus vrai, je veux dire l’écrire de Jean Clair.


Les deux chapitres _ superbes :  peut-être les sommets de ce livre ! _ sont les chapitres XVI, Les Dardanelles (pages 269 à 280) et XXI, La fugue (pages 351 à 358).

Au chapitre XVI, Les Dardanelles, après avoir expliqué en quoi ce qu’avaient été les Dardanelles selon Paul Morand, l’Isonzo, pour son père, »en 17-18 avait été son grand voyage » : « Mon père n’avait jamais quitté son Morvan : l’Isonzo serait ses Dardanelles« , écrit Jean Clair page 170.

Et c’est à partir de la page 272 que Jean Clair développe ce qu’est pour lui personnellement l’écrire, d’abord abordé par l’expérience d’être lu et entendu par qui sait lire vraiment :

« La puissance, la présence _ et les deux sont très intimement liées : pas de puissance sans vraie présence ; pas de présence sans vraie puissance _ de l’écrivain, qui demeure _ pour celui qui le lit, loin de lui, pourtant, dans l’espace comme dans le temps _, qui ne s’épuise pas, sont bien supérieures à celles du cinéma ou du théâtre _ et je partage complètement cet avis. Invisible, on entend _ oui ! _ sa voix _ et son souffle _, mais on ne le voit pas ; et souvent même, mort depuis longtemps on ne l’a jamais vu. Il est pareil à Dieu, une voix _ sidérante _ dont on ne voit pas le visage. Ou si l’on veut, en termes plus profanes, proche de l’analyste dont le pouvoir de guérison vient du fait qu’il écoute _ et comprend _ et répond _ surtout par ses silences _, mais qu’on ne le voit pas« , page 272.

Et page 273 :

« L’écrivain _ qu’on lit vraiment _ est pareil à la mère des premiers moments, dont on entend la voix, filtrée par l’eau du ventre, alors qu’on n’a pas encore vu le jour, et dont on ignore encore les traits. On ne connaissait pas son visage, et pourtant sa voix avait le pouvoir de guérir« …

Puis Jean Clair passe à ce qu’est pour lui l’écrire, et sa fonction première pour lui _ tout particulièrement en sa phase présente de dépression _ :

« À peine avalé le café du matin, je suis devant ma machine, comme s’il me fallait ressaisir au plus tôt _ et c’est bien de cela qu’il s’agit là ! « se ressaisir », « se reprendre«  _ le fil _ fuyant, il le constate _ qui me relie à la vie. Un mot pour sortir _ émerger _ du néant de la nuit _ et prendre pied, faire face.

Le phénomène est connu des neurologues : au milieu d’un blanc, d’une amnésie, d’une absence, un mot suffit pour reprendre, puisque l’on parle en enchaînant les mots, sans penser au suivant, non pas mécaniquement, mais musicalement _ voilà ; et cela sera magnifiquement repris et développé au merveilleux chapitre XXI, La fugue _, de même qu’un simple accord suffit à dérouler dans la tête la partition oubliée.

Ce qui se dérobe, c’est toujours le commencement. Mais il suffit que je le retrouve et le reste suivra, comme une mélodie, une suite de sons, qui n’ont plus besoin de ma mémoire _ un peu pesamment activée _ pour s’enchaîner, comme si la partition qui me deviendra familière avait été écrite ailleurs et courait _ d’elle-même, indépendamment de soi _ invisible sous les notes« …

Et déjà, avant même de mettre en mouvement et saisir le fil même de son écrire, lire nous offre l’expérience _ modèle ? _ d’un semblable fil se déroulant _ mais c’est déjà celui du langage humain, grâce à l’ordre ouvert de la syntaxe de toute langue : faire des phrases ayant du sens (cf Chosmky) _ :


Pages 274-275 :

« Un livre dont la lecture ne me donne pas l’envie _ et le mouvement entrepris _ d’écrire aussitôt quelques mots, quelques lignes, quelques pages, est un livre inutile _ vain. La lecture est un échange _ ce point est capital ! ouvrant sur une interlocution réciproque entre lecteur et auteur !.. _ où chaque mot se fait l’écho d’un autre _ voilà : oui ! _, sa réponse peut-être _ déjà les mots eux-mêmes (de la langue) se répondent d’eux-mêmes entre eux ! Dans la langue, d’abord (le vocabulaire) ; puis dans les discours (les phrases réalisées) ; et dans la littérature (les œuvres de fond) qui font le meilleur et le plus profond du fond de ses usages… Dans le texte imprimé _ du livre lu _, on devine _ lecteur hyper-attentif _ plus ou moins visible par endroits, le texte caché _ premier, à la source même (de l’écriture) : pensé, murmuré déjà en sa tête par l’auteur qui le reçoit et s’y essaie… _ qu’on va tenter de rétablir _ y accédant à son tour de lecteur. Ainsi se crée cette chaîne ininterrompue des mots qu’on appelle « littérature », mais qui est une parole interprétée sans fin _ par les lecteurs devenant à leur tour auteurs _ par delà les années et les lieux.

Tout lecteur, comme tout écrivain, reprend _ voilà _ le fil, il continue _ oui _, il prolonge _ c’est exactement cela _, en espérant que Shariar _ la vie même, ou/et le lecteur captivé _, au matin, voudra bien surseoir à sa mort _ comme à celle de Shéhérézade dans les Mille et une nuits _ et lui permettre de reprendre _ continuer et poursuivre _ la suite. Un livre à lire, un livre encore à trouver ce matin, un livre _ bouée de secours, bouffée d’air respirable _ comme une main _ et un interlocuteur ! _ qui va vous aider à vous lever, et, si je l’ouvre, la journée pourra se passer, supportable enfin, contenue toute entière dans la tête d’un autre, et le fil _ voilà : le mot est décisif en ce livre, je l’ai déjà souligné _ ne sera pas rompu.

Combien douloureux d’être en revanche interrompu quand, recherchant une idée _ à formuler, donner forme _ et sur le point de la fixer, un importun vient vous troubler et rompre le fil _ du méditer-formuler. Le rompre à jamais ? Comme dans la mort de Bergotte, le vol du papillon qui jamais ne reprendra sa course, l’idée, ici enfuie, qui ne reviendra pas.« 

Et Jean Clair de poursuivre-développer ici ses réflexions sur l’écrire :

« Écrire un livre, se livrer. Cet abandon _ à l’image de celui de l’analysé se livrant au flux de sa parole incontrôlée, dé-chaînée, sur le divan de l’analyste _ suppose une pudeur _ protectrice _, qui vous tiendra _ ce moment-là au moins _ éloigné du monde _ et ses agressions. L’écrivain _ nous y revoilà en plein _ paie par son isolement _ au monde, aux autres _ la liberté de livrer _ ici sans la moindre retenue ni censure : sur la page _ ses sentiments. Ou bien livrer serait se délivrer. Le livre serait alors proche des libérations, des affranchissements qui vous autorisent à parler, à dire, à écrire« …

Puis, pages 278-279, à nouveau sur les modalités les plus sensibles de l’écrire :

« Écrire, se faire invisible. De l’auteur _ quand on le lit _, on entend _ parfaitement _ la voix _ la moindre de ses inflexions et des infimes variations des rythmes de son souffle _, mais on ne le voit pas. (…) A cet égard, c’est un dieu, la voix dont on ne voit pas le visage. Écrire, c’est entrer _ au présent du plus pur instant : celui du commencement, de l’initiative _ dans un temps délivré du temps _ contextuel immédiat, dont alors l’écrivant se sépare. On écrit, et du temps soudain on s’échappe _ au profit d’un pur présent ouvert et fécond, de notre intitiative : libre _ ; et l’on continuera d’écrire ; on poursuit, délivré du temps. La pendule n’a pas cessé de tourner mais sur le papier, un fil _ ouvert ou retrouvé, et nous reliant à notre histoire _ échappe _ se délivrant en l’audace libératrice de son initiative même _ au circulum diaboli du temps.

L’écrivain possède un pouvoir _magistral en dépit de la modestie-humilité de sa solitude _ qui a affaire avec les débuts, avec la naissance des mots, avec le bruit de la langue _ et de la parole formée _, si puissante dans son murmure, que ni les hommes d’action, ni les hommes politiques, de ceux qui croient dans leurs discours peser sur nos vies et emporter nos décisions, ne possèdent _ oui : leur réel à eux étant considérablement plus lourd. La force du for intérieur _ oui _ est le murmure des origines, que la lecture _ du lecteur, qui viendra _, comme une prière, déroule _ le retrouvant _ et permet au monde d’exister. Les mots que l’on écrit disent toujours _ sacralement en quelque sorte _, peu ou prou, nos dernières volontés _ et leur vigueur _ certes _ naît de cette nécessité _ testamentaire vitale. Mais l’on peut toujours modifier ces derniers mots« …


Sur ce sujet de l’écrire, le chapitre XXI, La fugue (aux pages 351 à 358) est encore plus décisif : explicite et magnifique de justesse.

À nouveau sur l’écrire et « ne pas casser le fil« , aux pages 351-352-353 :

« Se soumettre à l’analyse _ psychanalytique _, à peine quittée l’adolescence, et suivre pendant longtemps sa discipline _ de penser sans censure, mais pas anarchiquement, nous l’allons voir _, sans doute pousse à écrire _ et dans des buts que nous allons voir se préciser ; une source indéniable de ce qu’est « écrire«  vraiment pour Jean Clair. Ecrire au fil de la plume ou de la pensée _ les deux profondément liées _, sans trop voir _ à l’avance _ où l’on va, avec, ici et là, la même règle : dire tout ce qui vous passe par la tête. Pas de plan, pas de propos _ fixé _, pas de projet, mais le seul besoin de parler, d’enchaîner les mots, les uns après les autres _ l’un amenant de lui-même l’autre, le suivant, selon quelque improbable et pensée  (mais bien réelle) logique, insue jusqu’ici  _, pour échapper au vide mortel _ déprimant _ du matin et, dans leur embarras, trouver le début _ à poursuivre, un peu plus consciemment _ d’un sens.

Nulla dies sine linea, non la perfection d’un métier qui ne s’atteint qu’à ne pas s’interrompre, mais le souci de ne pas casser _ mais poursuivre, filer, dérouler _ le fil, le fil de la vie même, le fil de la plume, non pas le fil de la plume d’acier, non pas le fil de la plume d’oie, mais le fil du duvet fin et fragile du verbe, du textile dont l’entrelacs est pareil au fil arachnéen dont le tissu cérébral serait fait.

Un mot, parfois, du fond de la nuit _ et d’un rêve reçu _ me venait à l’esprit et s’attardait _ on ne sait comment _ au matin. Ce simple mot suffirait _ de sa force _ à me tirer du lit. Je n’aurais pas de plus grande hâte que d’aller vérifier son existence dans le dictionnaire, d’en découvrir l’étymologie, l’origine et l’histoire _ les filiations dans les langues et la langue _, et par conséquent qu’il avait raison d’exister. C’était comme une révélation théologique _ sacrée. Le mot, le simple mot, n’importe quel mot, redonnait la vie _ qui se fuyait dans une dépression _, après la nuit et son angoisse. Le jour serait nécessaire à _ voilà une direction (et directive) à suivre _ épuiser son _ très riche, toujours _ sens _ les usages des mots sont toujours très divers : pas univoques. 

(…) Un seul mot pour franchir le vide : « Sed tantum dic verbo, et sanatibur anima mea… » (…) C’est par la parole, verbo, et non par l’usage illimité _ sans règle, arbitrairement _ du verbum que vient _ oui _ la grâce. Qu’attend donc le patient de celui qui l’écoute, sinon d’entendre le mot qui va le libérer ?

La parole latine était si proche de ce qu’était _ ou de ce qu’aurait dû être en un autre lieu (que l’église) _ le mot de l’analyste _ et verbo sanabitur anima mea _, qu’il était un rappel à l’ordre. Il fallait écouter, et choisir ce qui délivrerait.

On pouvait passer des heures _ en effet _ à trouver le mot, le mot juste _ voilà _, qui donnerait à la phrase son assise _ oui : il en faut une _ et son sens _ c’est très exactement cela. Mal choisi ou mal taillé, il serait comme de ces cubes mal équarris qui font tomber le petit château des constructions enfantines. Le mot qui manque, et le monde s’écroulerait peut-être.

(Mais tout cela avait été _ hélas, après Dada _ compris à l’envers. « Les mots en liberté », dont les surréalistes avaient fait leur profession de foi, étaient un contresens, une impiété _ voilà. Il n’y avait pas de liberté _ anarchique, en folie _ des mots mais un choix, un respect, l’obéissance à un ordre.)

(Non, chacun désormais puisait dans la langue comme il l’entendait et il n’entendait rien. Il attrapait, goulu, déformait, mutilait les mots et les phrases, sans un instant penser à leur origine et à leur histoire _ en rompant les justes filiations : pourtant comportant de l’ouverture. Il croyait tout cela mis à disposition, depuis toujours, inépuisable, et renouvelée, les mots, comme la nourriture dans les supermarchés. Mais c’était une tromperie et, finalement, une catastrophe _ c’est bien le mot. On ne s’entendait plus _ non plus : chacun enfermé dans sa bulle ou les stéréotypes fallacieux. Il n’ y avait d’ailleurs plus rien à entendre _ hélas. Les « gros mots » _ et leur cancer _ avaient fini par remplacer les vocables qui avaient exprimé la finesse du monde _ voilà : en tout son nuancier délicat. La radio, les journaux, les livres mêmes désormais _ « encore un siècle, disait Nietzsche en 1884 en son Zarathoustra, et l’esprit va se mettre à puer«  _, débordaient de ces immondices« …

Et pages 354-355 :

« Les pouvoirs de la langue me semblent de plus en plus méprisés, au profit du bruit, du cri, de l’éclat, de tout ce qui vous assaille, blesse, écorne, meurtrit, déchire, dilacère, éparpille. Le son des radios et des écrans TV vous met l’âme en sang _ là où les mots des vieux prêches étaient, nés du silentium, des onguents, des pommades, des baumes _ apaisant.

(…) Qu’un mot, un seul, puisse vous faire ressaisir _ voilà ! _ le fil _ coupé, perdu _ de vos pensées, et le dérouler _ alors _ dans l’esprit avec la même sûreté, le même entrain et la même joie que si vous écriviez la phrase entière, la linea d’avant, c’est un miracle aussi confondant qu’en musique, quand un seul accord _ mais un accord musical est beaucoup  plus qu’un simple mot : déjà une expression un peu détaillée et complexe ; et bien et mieux plus lié, organiquement, à ce qui le précède et à ce qui va le suivre _, détaché _ de son contexte _ et par hasard entendu, avant même d’en connaître la suite, fait se dérouler dans votre oreille tout le fil de l’Orfeo de Monteverdi, du dernier quatuor de Beethoven, ou le dernier des Lieder de Strauss _ mais, déjà, cela convient mieux à certaines œuvres, telle aussi celles de Bach ou de Mozart, qu’à d’autres, comme par exemple l’œuvre de Debussy ; lequel détestait que l’oreille puisse se représenter à l’avance et prévoir ce qui allait suivre… L’enchaînement des sons y est d’une rigueur _ ou plutôt perfection musicale ; le mot « rigueur«  ne me paraît pas ici approprié _ telle, au plus profond, là où, précisément, si l’on cherche à savoir, on ne se souvient de rien, que c’est la linea _ musicale _ qui sans effort se déroule en vous, dès la première note » _ mais la cohérence-consistance d’une œuvre musicale n’est pas du même ordre, ni de la même intensité, que la cohérence-consistance d’une œuvre littéraire, considérablement moins organique. Et Jean Clair va bientôt lui-même, dans les lignes qui suivent, en convenir…


La confrontation entre littérature qui suit immédiatement, pages 355-356, est, ainsi, très intéressante :

 

« Deux secondes, un simple accord, et de longs moment superbes vont résonner, comme s’ils étaient inscrits, sans qu’on pût les voir, dans une légende invisible sous les portées _ tout ce que déteste un Debussy, par exemple, dans les œuvres musicales germaniques _, un texte caché, une parole dont on croit entendre les mots, écrite avec la même nécessité que les textes dans les Evangéliaires, au point que le prodige de la mémoire, qui nous restitue des partitions entières, nous fait comprendre comment la création, qui opère sur des durées infinies, est tout entière dans l’instant qui la déclenche, et fait que la musique tient en effet beaucoup plus du miracle qui survient que de la logique que l’on suit, dans une opposition qui contient sans doute la meilleure part de son enchantement, au point qu’elle a le pouvoir de se passer des mots pour dire précisément la plus subtiles des émotions, qui se trouve aussi la plus rigoureuse et la plus attendue _ mais cela seulement l’œuvre une fois très bien connue, et son charme idéalement assimilé ; certainement pas à la première écoute.

« Ich schreibe jeden Tag eine kleine Fugue für den lieben Gott« , la profession de foi de Jean-Sébastien Bach, chaque jour redite

La littérature _ à la différence de la musique selon Jean Clair : mais entend-il cela aussi, au sein de la littérature, de la poésie ?.. _ s’entend toujours pour la première fois. C’est comme si jamais encore on n’avait lu ces mots, lors même qu’il arrive qu’on les relise pour la seconde ou la troisième fois. La musique, en revanche, on l’a _ nous semble-t-il _ toujours entendue, lors même qu’on la découvre. Tout se passe comme si l’on se souvenait d’elle _ comme si la musique, elle, était inscrite de toute éternité ! _, alors qu’on n’en sait rien encore. De quel fond resurgit-elle, alors que la littérature semble toujours arrivée du futur ? _ mais aurait-on pu dire cela aussi des poèmes d’Homère ou de la Chanson de Roland, retenus et retransmis par cœur ? On peut avoir les larmes aux yeux en écoutant Mozart ou Wagner _ à l’Opéra, après et à la suite de tant de mélomanes qui connaissaient effectivement Don Giovanni ou Tristan par cœur  _, comme si le son revenait d’un passé _ c’est-à-dire d’une tradition d’audition passionnément suivie et continuée _ très ancien que l’on redécouvrait _ à notre tour _, bouleversé, avec l’émotion de celui qui retrouve ce qu’il avait oublié et lui était si cher, alors que lire tel ou tel écrivain _ mais solitairement, pas avec d’autres en une salle de concert _, quand même ils nous sont chers et qu’on connaît leurs écrits, ne nous tire pas une larme _ de reconnaissance-retrouvaille avec ce qu’on a déjà lu _, mais nous projette chaque fois vers ce qui arrive _ dans l’œuvre, et nous surprend à nouveau _, nous réveille, nous suscite, au mieux nous tire de notre angoisse ou calme notre souffrance »…

C’est aussi que notre rapport à la littérature n’est pas le même que notre rapport à la musique. et que la langue de la littérature n’est pas non plus celle de la musique : et cela qu’il s’agisse de lire (de la littérature) et écouter (de la musique), ou d’écrire (de la littérature) et composer (de la musique).

En tout cas, maintenir-garder ou ressaisir-retrouver le fil et les filiations est donc on ne peut plus vital pour Jean Clair.

Ce vendredi 2 août 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

La remarquable acuité philosophique de Barbara Stiegler en son « Il faut s’adapter : un nouvel impératif politique »

16mar

Le mardi 5 mars dernier,

eut lieu à la Station Ausone,

la quatrième et dernière séance de la saison 2018-2019

de notre Société de Philosophie de Bordeaux,

avec la présentation par notre collègue Barbara Stiegler

de son récent _ et lumineux et brillant _ essai de philosophie politique :

Il faut s’adapter : un nouvel impératif politique,

paru aux Èditions Gallimard.

En voici le podcast (de 69′) ;

ainsi que la vidéo.

En voici aussi la quatrième de couverture :

D’où vient ce sentiment diffus, de plus en plus oppressant et de mieux en mieux partagé, d’un retard généralisé _ des personnes, des citoyens _, lui-même renforcé par l’injonction permanente _ et massive _ à s’adapter au rythme des mutations d’un monde complexe ? Comment expliquer cette colonisation progressive du champ économique, social et politique par le lexique biologique _ voilà _ de l’évolution ? La généalogie _ selon une méthode nietzschéenne _ de cet impératif nous conduit dans les années 1930 aux sources d’une pensée politique, puissante et structurée, qui propose un récit très articulé sur le retard _ ou néotonie _ de l’espèce humaine par rapport à son environnement _ culturellement mouvant _ et sur son avenir _ à construire. Elle a reçu le nom de « néolibéralisme » : néo, car, contrairement à l’ancien _ libéralisme (classique) _ qui comptait sur la libre régulation du marché pour stabiliser l’ordre des choses, le nouveau en appelle _ lui _  aux artifices de l’État (droit, éducation, protection sociale) afin de transformer l’espèce humaine _ voilà _ et construire ainsi artificiellement le marché : une biopolitique _ pour reprendre le terme foucaldien _ en quelque sorte. Il ne fait aucun doute pour Walter Lippmann _ 1889 – 1974 _, théoricien américain de ce nouveau libéralisme, que les masses sont rivées à la stabilité de l’état social (la stase, en termes biologiques), face aux flux qui les bousculent. Seul un gouvernement d’experts peut tracer la voie de l’évolution des sociétés engoncées dans le conservatisme des statuts. Lippmann se heurte alors à John Dewey _ 1859 – 1952 _, grande figure du pragmatisme américain _ voilà _, qui, à partir d’un même constat, appelle à mobiliser l’intelligence collective des publics, à multiplier les initiatives démocratiques, à inventer par le bas _ lui _ l’avenir collectif. Un débat sur une autre interprétation possible du sens de la vie et de ses évolutions au cœur duquel nous sommes plus que jamais.

Ce samedi 16 mars 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Cette mine d’intuitions passionnantes qu’est le « Dictionnaire amoureux de l’esprit français », du turco-suisse Metin Arditi

07mar

Le mardi 26 février dernier,

et suite à mon écoute, le dimanche 24, de l’émission Musique émoi, d’Elsa Boublil,

qui lui était consacrée

_ cf mon article  _,

j’avais brièvement présenté

mon très vif plaisir de l’entame

_ jusqu’à la page 167 / 661, ce premier soir de lecture : j’en arrivais à l’article Debussy, après l’article Dada _

de ma lecture de ce très riche travail

_ de l’helvéto-turc Metin Arditi (né à Ankara le 2 février 1945) _,

sur un sujet qui de très loin, moi aussi, et depuis très longtemps,

me travaille :

je veux dire

les mystères et arcanes de ce « esprit français« 

auquel je suis tellement sensible, moi aussi, dans les Arts

_ et sans nationalisme aucun (ni encore moins de sourcilleuse exclusivité !), est-il utile que je le précise ?!

Il s’agit seulement du simple constat renouvelé chaque fois

et non sans surprise

_ je ne le recherche en effet pas du tout ! Non, mais cela vient me tomber dessus,

et me ravir et combler… _

de ce qui vient au plus profond secrètement me toucher,

et me fait fondre de délectation :

telle la reconnaissance d’affinités intenses comme congénitales…

Voici,

pour aller d’emblée à l’essentiel de ce que vais un peu discuter,

le résumé

Dans ce dictionnaire, l’écrivain sélectionne des traits selon lui exemplaires de la culture française, comme le culte de l’élégance, le sens de l’ironie et l’art de la conversation _ rien à redire, bien sûr, à cet excellent choix-ci. Les entrées abordent aussi bien les institutions, les personnalités et des aspects historiques, de l’Académie française à Louise de Vilmorin, en passant par la haute couture, l’impressionnisme et Jacques Prévert.

puis la quatrième de couverture de ce Dictionnaire amoureux de l’esprit français, de Metin Arditi,

publié aux Éditions Plon et Grasset :

Dictionnaire amoureux de l’Esprit français :

« Je voudrais bien savoir, dit Molière _ plaidant ici pro domo _, si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire. » Partant de ce constat, Metin Arditi examine d’une plume tendre _ en effet _ les formes dans lesquelles s’incarne cet impératif de séduction _ oui… _ : le goût du beau _ davantage que du sublime _, le principe d’élégance _ oui, toujours ! a contrario de la moindre vulgarité _, le sens de l’apparat _ un peu survalorisé par l’auteur, selon moi _, mais aussi le souci de légèreté _ fondamental, en effet _, l’humour _ oui, avec toujours un léger décalage… _, l’art de la conversation _ très important : civilisateur _, un attachement historique à la courtoisie _ parfaitement ! _, l’amour du trait _ d’esprit et parole, seulement _ assassin, la délicatesse _ c’est très, très important aussi !!! l’égard et ses formes, envers l’autre _ du chant classique « à la française » _ la quintessence peut-être du goût français _, un irrésistible penchant pour la théâtralité _ surévalué à mon goût, à contresens de la délicatesse et de la discrétion, selon moi _, l’intuition du bon goût _ oui ! _, la tentation des barricades _ à l’occasion, faute de parvenir à assez se bien faire entendre _, une obsession du panache _ surévaluée, elle aussi, comme le penchant à la théatralité : le panache de Cyrano illustrant la couverture du livre ! _, et, surtout, une _ sacro-sainte et irrépressible ! _ exigence de liberté _ oui, cela, c’est incontestable : ne jamais être comdamné à emprunter des voies toutes tracées, ou disciplinaires ; mais disposer d’une capacité permanente d’invention, et de singularité. En un mot, le bonheur à la française _ oui : à savourer assez paisiblement et durablement en sa profonde et somme toute discrète intensité. À l’heure où chacun s’interroge sur la délicate question de l’identité _ mais non assignable à des traits fermés et une fois pour toutes donnés, invariants… _, ce dictionnaire rappelle que l’esprit français est, surtout, un inaltérable cadeau _ d’ouverture et fantaisie. Une lecture qui fait plaisir… et pousse à réfléchir _ et discuter, entamer le dialogue.

Voici aussi le texte accompagnant le podcast de l’émission Musique émoi du dimanche 24 février dernier,

qui reprend ces diverses thématiques :

Metin Arditi, amoureux  comme personne de  l’esprit français, examine d’une plume légère et souvent espiègle les  diverses formes dans lesquelles s’incarne en France le désir de plaire.

« On ne considère en France que ce qui plaît », dit Molière, « C’est la grande règle, et pour ainsi dire la seule ».


Partant de cet indiscutable constat, l’auteur de ce dictionnaire,  lui-même amoureux  comme personne de l’esprit français, examine d’une  plume légère et souvent espiègle les diverses formes dans lesquelles  s’incarne en France le désir de plaire : au fil des siècles se sont  développés le goût du beau, bien sûr, mais aussi le principe d’élégance,  le sens de l’apparat, le souci de légèreté, l’humour, l’art de la  conversation, un attachement historique à la courtoisie, la délicatesse  du chant classique « à la française », le penchant pour la théâtralité,  l’amour du juste, le goût des barricades, du panache, oui, du panache,  et, surtout, une exigence immodérée de liberté. Ce dictionnaire parle de  Guitry et de Piaf, de Truffaut et de Colette _ oui _, mais aussi de Teilhard de  Chardin, Pascal, Diderot, Renan, Péguy, les prophètes qui ont nourri  les artistes de leur pensée et les ont libérés dans l’exercice de leurs talents.


L’esprit français a aussi ses interdits. Ne jamais être lourd…  Ne pas faire le besogneux… _ c’est en effet capital ! Et Nietzsche vénérait tout spécialement cet aspect-là de l’esprit français… Comment plaire, sinon ?


Au fil des pages, ce dictionnaire rappelle que le goût des belles choses a _ aussi _ un prix _ économique, financier _, qu’un tel bonheur ne vient pas sans facture _ à régler in fine ! À défaut,  l’esprit français ne serait pas ce qu’il est… _ assez impécunieux…  Sans vouloir  transformer un pays qui, c’est heureux, n’est pas transformable, on  pourrait peut-être imaginer, ça et là _ mais c’est bien un vœu pieux ! une pure vue de l’esprit… _, quelques mesures aptes à diminuer _ mais est-ce vraiment réaliste ? _ le montant de l’addition.


À l’heure où chacun s’interroge sur la délicate question de l’identité du pays, ce dictionnaire rappelle combien l’esprit français est un  cadeau _ sans prix, eu égard au bonheur (d’être vraiment d’esprit français).

 

Je regrette aussi que manquent en ce Dictionnaire amoureux

certaines entrées

que pour ma part je trouve bien plus essentielles

que Sacha Guitry ou Edmond Rostand,

telles

Joachim du Bellay, Montaigne, Marivaux, Chardin, Monet, Paul Valéry, Pierre Bonnard, Charles Trenet, par exemple,

qui,

les uns comme les autres,

ont si merveilleusement _ et idiosyncrasiquement : un trait lui aussi bien français ! _ su chanter

l’incomparable douceur de notre France.

En tout cas,

j’éprouverais un très vif plaisir à dialoguer de tout cela

avec Metin Arditi,

s’il venait à Bordeaux.

Ce jeudi 7 mars, Titus Curiosus – Francis Lippa

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