Posts Tagged ‘Oasis versus désert

Au coeur du plus intime de la musique, et dont l’écoute provoque et vient toucher la part la plus secrète de notre humanité : le quatuor à cordes…

24mai

Les déclarations liminaires à l’article « Quatuors enchantés » de Jean-Pierre Rousseau _ présentant deux récents coffrets de CDs, l’un du Quatuor Cleveland, l’autre du Quatuor Cherubini _ que je découvre ce matin, vendredi 24 mai 2024 sur son blogne sont pas sans me surprendre, de la part d’un mélomane avisé et expert tel que Jean-Pierre Rousseau, et cela pour aller à rebrousse-poil de ma prédilection personnelle de mélomane passionné envers le quatuor (et la musique de chambre) :

« Je ne sais pas pourquoi, mais pendant longtemps j’ai très peu pratiqué l’écoute du quatuor _ tiens, tiens… _, tant au concert qu’au disque. Sans doute parce qu’on n’écoute pas un quatuor de Haydn, de Beethoven ou de Schubert distraitement _ justement ! Et alors ?.. Préfère-t-on privilégier des écoutes distraites ? Quel paradoxe !! _, comme on peut le faire d’une symphonie ou même d’un opéra qu’on connaît par cœur _ œuvres en effet plus composites et souvent plus bruyantes, et, pour la plupart, moins centrées sur l’essentiel (ces genres de musique s’adressant à un plus large public, ménageant, nécessairement, les capacités variables de durée et intensité d’attention-concentration de celui-ci ; là-dessus, consulter par exemple le significatif brillant pamphlet de Benedetto Marcello, paru à Venise en 1720 : « Le Théâtre à la mode« , qui visait notamment les productions opératiques ainsi qu’instrumentales d’Antonio Vivaldi – Aldiviva…) : existent aussi, bien sûr, de sublimes exceptions parmi ces symphonies et opéras… Sûrement aussi parce que c’est _ le quatuor, donc _ l’essence même de la musique _ mais oui, nous y voilà ! À dimension d’éternité, via le temps de la réalisation par les interprètes et de l’écoute attentive et hyper-concentrée de l’œuvre par l’auditeur… Est-ce alors à dire que cette essence même de la musique devrait être le moins souvent possible approchée, cultivée, et jouie ?.. _, qui s’adresse à l’intime _ voilà ! l’intime directement sollicité, et donc exposé (l’auditeur s’y exposant aussi lui-même) en cette plus intense, et souvent même brûlante, profonde et concentrée, attentive écoute _, qui provoque la part la plus secrète de notre humanité _ absolument ! Cette part-là, ainsi provoquée et touchée, doit-elle donc demeurer le plus possible préservée de notre habitus-fréquentation de mélomane ! Tout cela me surprend ! et presque me choque (j’ai même failli dire me révolte !) sous la plume d’un mélomane aussi avisé, d’expérience (et je dirais même compétent, expert), que’est Jean-Pierre Rousseau… Même si ces hyper-intenses moments d’exposition de soi au plus intime et essentiel de la musique, ne doivent certes pas non plus être galvaudés, banalisés, désensibilisés…

Ces derniers temps, j’ai de plus en plus souvent besoin _ oui, je note _ de me ressourcer _ mais oui ! la meilleure des meilleures musiques ressource en effet vraiment ! C’est là une de ses éminentes vertus… _ à l’écoute _ voilà _ de ces chefs-d’œuvre _ soit la crème la plus fine et la plus délectable du meilleur… L’effet de l’avancée en âge sans doute _ oui, bien sûr : aller désormais et de plus en plus à l’essentiel, se délester du poids finalement accablant des poussières du fatras de tout l’inessentiel ; cesser de gaspiller le temps d’écoute (ou de pratique) non infini qui nous reste ; là-dessus, cf le livre à paraître (aux PUF le 28 août prochain) de mon très avisé ami bruxellois Pascal Chabot « Un Sens à la vie _ enquête philosophique sur l’essentiel« , dont je savoure l’envoi très amical des épreuves… ; cf aussi la vidéo (de 64′) de mon entretien avec lui chez Mollat le 22 novembre 2022 à propos de son précédent excellent « Avoir le temps : essai de chronosophie« ... Avant de rencontrer Pascal Chabot lui-même en personne, et à diverses reprises (Bruxelles ne se trouvant pas tout à côté de Bordeaux), j’ai commencé ainsi à faire sa connaissance en le lisant très attentivement : à la lecture, lumineuse pour moi, à sa parution en 2013, de son lucidissime « Global burn-out«  _, la confrontation aussi avec l’évolution irréversible _ toute vie étant bien évidemment de passage (c’est-à-dire mortelle) : non infinie, toute vie (du moins pour les individus appartenant à des espèces sexuées) a eu et aura une fin _ des dégâts de la vieillesse chez ma mère _ la mienne est décédée en sa 101ème année de vie, le 27 octobre 2018 _ qui fête demain ses 97 ans _ fêter la vie est aussi un des grands pouvoirs thaumaturgiques de la musique (du moins celle qui est à son meilleur) ; cf ici mon recueil d’articles de « Musiques de joie« , rédigés au quotidien des jours du confinement du Covid, du 15 mars au 28 juin 2020, à fin précisément de ressourcement alors ainsi, et en priorité (et un ressourcement à partager éventuellement aussi avec qui me lira, puis écoutera cette musique…) : « « … La musique parlant et ressourçant vraiment très directement, oui !

Deux coffrets récents comblent mes attentes« …

Contribuer si peu que ce soit à partager, d’une manière ou d’une autre, de telles ressourçantes écoutes musicales est vraiment aussi _ et plus que jamais en ces temps disgraciés de barbarie endémique décomplexée… _ très important.

Et sur cette question qui me tient tout spécialement à cœur, de la civilisation face à la barbarie, je me permets de renvoyer à mon article « Oasis Versus désert » de 2016 pour le « Dictionnaire amoureux de la Librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 :

OASIS versus désert
Sans anticiper le réchauffement qui nous promet le climat de l’Andalousie ou celui du Sahel, et même si manquent en ses vastes espaces, lumineux, tout de plain-pied et d’équerre dans leur agencement, les palmiers-dattiers, fontaines-cascatelles et bassins à nénuphars de l’Alhambra de Grenade, l’image de l’Oasis sied admirablement à la librairie Mollat, et aux usages que j’en fais : face au désert qui gagne. Et cela, dans le style du classicisme français, en une ville dont le siècle d’accomplissement est celui des Lumières, et sur le lieu même où un temps habita Montesquieu.
Oui, la librairie Mollat est bien une luxuriante oasis de culture vivante, résistant au désert (d’absence de culture vraie)D’où mon attachement à elle, comme à la ville de Bordeaux, dont elle est le foyer irradiant de culture qui me convient le mieux : car par elle, en lecteur et mélomane toujours curieux d’œuvres essentielles, j’ai un contact tangible immédiat avec un inépuisable fonds (recelant des pépites à dénicher) d’œuvres de vraie valeur, à lire, regarder, écouter, avec lesquelles je peux travailler, m’entretenir-dialoguer dans la durée. Un peu comme Montaigne s’essayait en sa tour-librairie à ces exercices d’écriture qui feront ses Essais, par l’entretien avec les auteurs dont les voix dans les livres venaient conférer à demeure avec lui, leur lecteur, une fois qu’il fut privé de la conversation sans égale de La Boétie.
En son sens propre bio-géographique, le désert ne cesse de bouger : il avance-recule en permanence, mais si peu visiblement au regard ordinaire que la plupart de nous n’y prenons garde. Alors quand « le désert croît » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra), l’oasis foyer de résistance à la désertification, est-elle d’un vital secours – nourricier, mais aussi succulent ! –, pour tous les vivants dont la vie (et la vie vraie, la vie de culture : à cultiver !) dépend. Contribuer à faire reculer le désert en aidant les oasis à résister, se renforcer-développer, resplendir, est l’essentielle mission de civilisation. A l’envers de (et contre) tout nihilisme, c’est à cette fin que Nietzsche appelle à ce sursaut qu’il nomme « le Sur-humain ».
Ainsi en va-t-il des mouvements d’une oasis de culture vraie – expression pléonastique : l’oasis n’existant que d’être, et inlassablement, mise en culture par une minutieuse et très entretenue, parce que fragile en sa complexité, irrigation ; la barbarie s’installe dans l’Histoire quand et chaque fois que sont détruits sans retour les systèmes d’adduction aux fontaines et jardins – comme à Rome ou Istanbul. Et ce qui vaut à l’échelle des peuples vaut à celle des personnes, en leur frêle (improbable au départ) capacité de singularité de personne-sujet, qu’il faut faire advenir contre les conformismes, et aider à s’épanouir. La singularité suscitant la rage de destruction expresse des barbares.
… 
Je parle donc ici de la culture vraie (authentique, juste, probe, vraiment humaine) face aux rouleaux-compresseurs – par réalisation algorithmique, maintenant, de réflexes conditionnés panurgiques – de la crétinisation marchande généraled’autant plus dangereuse que l’imposture réussit – par pur calcul de chiffre de profit, sans âme : les âmes, elle les stérilise et détruit – à se faire passer auprès du grand nombre pour culture démocratique ; et à caricaturer ce qui demeure – en mode oasis de résistance – de culture authentique, en misérable élitisme passéiste, minoritaire, dépassé (has been), comme le serinent les médias inféodés aux marques.
… 
Ainsi, en ma ville aimée de Bordeaux – cité classique -, la librairie Mollat – sise le long du decumanus tiré au cordeau de l’antique Burdigala – est-elle cette vitale oasis de culture vraie, tant, du moins, et pour peu qu’elle résiste assez à l’emprise des impostures des livres (et disques) faux ; et il n’en manque pas, de ces leurres jetés aux appétits formatés et panurgiques des gogos consommateurs ! Et là importe la présence effective de libraires-disquaires qui soient de vraies capacités de conseils de culture authentique, et par là, passeurs d’enthousiasmes – quand il y a lieu –, autant que de vigilants traqueurs d’imposture de produits promis à rapide et méritée obsolescence. Cette médiation-là constituant un crucial atout de la dynamique de résistance et expansion de pareille oasis de culture vraie. Mes exigences d’usager sont donc grandes.
… 
Sur un terrain plus large, celui du rayonnement plus loin et ailleurs qu’à Bordeaux, de l’Oasis Mollat, j’ai l’insigne chance de disposer, sur son site, d’un blog ami : En cherchant bien _ Carnets d’un curieux, signé Titus Curiosus, ouvert le 3 juillet 2008, où j’exprime et partage en parfaite liberté, mes enthousiasmes – l’article programmatique « le carnet d’un curieux » _ à lire ici _, qui reprenait mon courriel de réponse à Corinne Crabos me proposant d’ouvrir ce blog, n’a pas vieilli.
Parfois sur ma proposition, parfois à sa demande, la librairie m’offre de temps en temps, aussi, la joie de m’entretenir vraiment, une bonne heure durant, dans ses salons, avec des auteurs de la plus haute qualité : ce sont les arcanes de leur démarche de création, leur poïétique, qu’il me plaît là d’éclairer-explorer-mettre au jour, en toute leur singularité – dans l’esprit de ce que fut la collection (Skira) Les Sentiers de la créationPodcastables, et disponibles longtemps et dans le monde entier sur le web, ces entretiens forment une contribution patrimoniale sonore consistante qui me tient très à cœur. Pour exemples de ces échanges nourris, j’élis la magie de ceux avec Jean Clair _ lien au podcast _, Denis Kambouchner, Bernard Plossu _ en voici un lien pour l’écoute.
A raison de deux conférences-entretiens quotidiens, la librairie Mollat constitue une irremplaçable oasis-vivier d’un tel patrimoine de culture : soit une bien belle façon de faire reculer, loin de Bordeaux aussi, le désert.
 …
Voilà pour caractériser cette luxuriante Oasis rayonnante qu’est à Bordeaux et de par le monde entier, via le web, ma librairie Mollat.

Et j’ai aussi très à cœur de partager à nouveau, ici, mon enthousiaste compte-rendu de dimanche soir dernier, 19 mai, de l’extraordinaire concert « Durosoir invite Ligeti » du merveilleux Quatuor Tana, au château Mombet à Saint-Lon-les-Mines, en pays d’Orthe, au sud des Landes, pour le « Mai musical Lucien Durosoir 2024 » :

« « .

Pour un sublime moment d’éternité ressentie et partagée

par de si extraordinairement belles _ « enchantées«  !.. _ musiques de ces Quatuors de Lucien Durosoir et György Ligeti sous les doigts justissimement inspirés des Tana… 

Encore merci, merci, merci !!!

Ce vendredi 24 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Sur l’idiorythmie esquissée en l’article inaugural de ce blog « En cherchant bien », « le Carnet d’un curieux », le 3 juillet 2008 + d’autres textes (et voix) à entendre en les lisant…

05jan

 

Venant de relire avec infiniment de joie 
et le « Penser avec les oreilles » et le« Un tout autre Sartre » de François Noudelmann,
et très sensible aux très fécondes pistes de penser qu’ouvrent
et la « troisième oreille » et l’« idiorythmie » qui irriguent ces textes,
je les relie à l’article de présentation et programmatique de mon blog « En cherchant bien », publié le 3 juillet 2008 (mais rédigé dès le 20 mai précédent), intitulé « le Carnet d’un curieux », 
et auquel voici un lien d’accès : «  »
 
J’y exposais à l’amie, Corinne Crabos, qui, au printemps 2008, m’avait proposé d’ouvrir un tel blog sur le site de la librairie Mollat,
le sens, la méthode (sans méthode, ouverte à mes seules fantaisies…), ainsi que quelques pistes que j’envisageais de donner à ce blog personnel de partage d’enthousiasmes…
 
On va pouvoir ainsi y constater la très jubilatoire proximité d’affinités avec les démarches assez atypiques, singulières et libres de François Noudelmann ;
et la raison pour laquelle j’ai désiré si vivement l’inviter, lui qui enseigne actuellement à New-York, à cet entretien-conférence de notre Société de Philosophie de Bordeaux, dont je suis vice-président, en la vaste Station Ausone, qui aura lieu mardi prochain 9 janvier à 18h,
à la fois à propos (et à partir) de son passionnant et très riche récit « Les Enfants de Cadillac »,
mais aussi sur l’ensemble de son tout aussi passionnant et très riche (et assez singulier, un peu atypique) parcours philosophique, 
car évidemment tout se tient…
 
Cf aussi ma contribution intitulée « Oasis versus désert » au « Dictionnaire amoureux de la Librairie Mollat » (paru en 2016), pages 173 à 177,
accessible en mon article «  » du 17 juin 2022.
 
Ainsi que mon texte « Pour célébrer la rencontre »
accessible en mon article «  » du 26 octobre 2016.
 
Ce texte étant lui-même l’ouverture d’un essai demeuré inédit, rédigé en 2007, « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni »,
dans lequel j’analysais très méticuleusement en particulier l’admirable séquence ferraraise d’ouverture du film-testament d’Antonioni « Al di là delle nuvole » (paru en 1995), ainsi que les textes de « Ce Bowling sur le Tibre », d’Antonioni, en 1984, d’où cette sublime séquence ferraraise est tirée, et aussi les notes autobiographiques d’Antonioni concernant sa jeunesse à Ferrare, auxquels cette séquence très évidemment est liée…
Le comble étant que cet essai mien demeuré inédit, et auquel je tiens beaucoup, demeure pour le moment bien caché dans les piles de papiers de ma bibliothèque, et résiste jusqu’ici à mes efforts de redécouverte ! Une belle ironie du sort…
Cf là dessus notamment mon article «  » du 16 décembre dernier, 2023, dans lequel je mentionne « Les Airs de famille : une philosophie des affinités » de François Noudelmann, ainsi que le beau « Accueillir : venu(e)s d’un ventre ou d’un pays » de mon amie Marie-José Mondzain…
 
Et enfin mon mémoire de maîtrise, en 1968, portait sur la notion de « rythme » !
Je dois l’avoir conservé quelque part, mais j’ignore où !!!
 
Mes curiosités sont multiples, et entrecroisées…
Et mon blog me sert d’aide-mémoire, avec l’avantage de ne dépendre d’aucun éditeur…
 
En résumé, ces textes miens-ci sont accessibles sur mon blog « En cherchant bien » par ces liens-ci :
 
_  3 juillet 2008 : «  »

Bonnes lectures !
On y entendra certaines de mes voix grâce à la très subtile perspicace troisième oreille…
Ce vendredi 5 janvier 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

S’entretenir d’interprétations de chefs d’oeuvre de la musique : l’oreille quasi parfaite de Jean-Charles Hoffelé en son Discophilia, à propos, ce matin, du merveilleux « Ravel Piano Concertos » d’Alexandre Tharaud et Louis Langrée, avec l’Orchestre National de France _ ou la chance de pouvoir dialoguer un peu, à la lecture, à défaut de vive voix, avec une telle oreille musicale…

16oct

Une confirmation du coup d’éclat éblouissant d’Alexandre Tharaud _ et Louis Langrée dirigeant l’Orchestre National de France : magnifiques, eux aussi… _ dans les deux merveilleux et profonds, par delà leur virtuosité, concertos pour piano et orchestre de Maurice Ravel, en le CD Erato 5054197660719 « Ravel Piano Concertos«  qui vient de paraître vendredi 13 octobre dernier,

avec, au réveil ce lundi matin 16 octobre, le très bel article « Les deux visages » de Jean-Charles Hoffelé _ à la si juste et honnête oreille ! _ sur son si précieux site Discophilia…

Une oreille juste

comme est aussi, tellement de confiance, elle aussi, celle de Vincent Dourthe, mon disquaire préféré ;

et c’est assurément bigrement précieux que de pouvoir s’entretenir un peu précisément et vraiment _ de vive voix, ou à défaut, seulement par dialogue silencieux à la seule lecture… _ avec de tels interlocuteurs sur leur perception ultra-fine, au microscope _ ou stéthoscope musical… _, des interprétations au disque des œuvres de la musique…

Et tout spécialement, bien sûr, à propos de chefs d’œuvre d’interprétations de chefs d’œuvre _ pourtant passablement courus de bien des interprètes, qui s’y affrontent, se confrontent à de tels Everests pour eux, les interprètes… _ de la musique ; comme ici ces deux somptueuses merveilles du somptueux merveilleux _ et hyper-pointilleux et exigeant déjà envers lui-même, à l’écritoire, jusqu’au supplice ! _ Maurice Ravel…

Et je renvoie ici à mon article d’avant-hier samedi 14 octobre :

 

« « …

LES DEUX VISAGES

Cette douleur dans l’assombrissement de l’Adagio assai _ voilà _ qui ira jusqu’au quasi cri _ voilà : Ravel, éminemment pudique, demeure toujours dans de la retenue… _ invite _ voilà _ dans le Concerto en sol l’univers si _ plus évidemment _ noir _ lui _ du Concerto pour la main gauche, et rappelle que les deux œuvres furent écrites _ très étroitement _ en regard _ en 1930-1931 _, et de la même encre _ absolument ! Beaucoup _ d’interprètes _ n’auront pas même perçu cette _ infra-sismique _ tension, jouant tout _ de ce concerto en sol _ dans la même ligne solaire ; Alexandre Tharaud, qui connaît son Ravel par âme, s’y souvient probablement de la vision qu’y convoquait _ en 1959Samson François _ oui : c’est en effet à lui, et à Vlado Perlemuter aussi, que, sur les remarques si fines et compétentes de mon disquaire préféré Vincent Dourthe, je me référais hier dimanche matin, en mon post-scriptum à mon article de la veille, samedi, « «  : références d’interprétations marquantes, s’il en est !  _ et ose ce glas qu’on n’entend jamais _ chez les autres interprètes de ce Concerto en sol.

Mais le Concerto en sol majeur est aussi dans ses moments Allegro cette folie _ oui _ d’un jazz en arc-en-ciel _ débridé, voilà : Ravel avait été très vivement marqué par ce qu’il avait pu percevoir de ce jazz lors de sa grande tournée récente aux États-Unis, du 4 janvier au 21 avril 1928… _ dont le pianiste ne fait qu’une bouchée, swing et échappées belles, toute une enivrante suractivité rythmique _ à la Bartok aussi, autant qu’à la Gershwin ; Maurice Ravel avait fait la connaissance de George Gershwin le 7 mars 1928, lors d’un repas organisé pour son anniversaire chez Eva Gauthier à New-York, ainsi que Ravel en témoigne à Nadia Boulanger en une lettre du lendemain 8 janvier (citée aux pages 1162-1163 de sa « Correspondance » éditée par Manuel Cornejo en 2018 : « The Biltmore New-York 8/3/28 Chère amie, voici un musicien doué des qualités les plus brillantes, les plus séduisantes, les plus profondes peut-être : George Gershwin« , et il ajoutait : « Son succès universel ne lui suffit plus : il vise plus haut. Il sait que pour cela les moyens lui manquent. En les lui apprenant, on peut l’écraser. Aurez-vous le courage, que je n’ose pas avoir, de prendre cette terrible responsabilité ? Je dois rentrer aux premiers jours de mai et irai vous entretenir à ce sujet. En attendant, trouvez ici l’expression de ma plus cordiale amitié. Maurice Ravel« ) _ que pimentent les bois du National menés avec une intense fantaisie _ voilà ! l’orchestre lui aussi brûle… _ par Louis Langrée.

Cet accord magique _ oui, oui, oui _ se renouvelle dans le Concerto pour Wittgenstein, mais dans des nuances de cauchemar _ à la ravelienne Scarbo _, le prestidigitateur s’y fait diable, artificier tragique _ Ravel avait traversé et vécu, comme infirmier, les affres de la Guerre mondiale... _ dont le théâtre est un champ de mines _ oui, qui déchire et découpe les corps, comme ici le bras droit de son commanditaire Paul Wittgenstein…  La guerre de tranchées _ qui fut donc aussi celle de Maurice Ravel _ est partout sous les doigts d’Alexandre Tharaud _ oui ! _, qui convoque _ fort justement _ des visions de charnier, fait tonner son clavier en fureur, rage des traits de mitraillette _ oui, oui, oui _, proposition fascinante _ et tellement juste ! _, suivie au cordeau par un orchestre fantasque _ oui _ aux proclamations démesurées _ oui : quel chef aussi est le magnifique Louis Langrée !

Le jazz s’invite ici aussi _ en effet, en ce concerto pour la main gauche _, mais déformé, amer, acide, osant la charge, le grotesque _ oui ; mais qu’on se souvienne aussi de la formidable viennoise ravelienne Valse de 1919-1920 !.. : une course à l’abîme… _, une parodie de Laideronette, impératrice des pagodes faisant diversion. Quel kaléidoscope ! _ voilà un trait éminemment ravélien… _, qu’Alexandre Tharaud fait tourner à toute vitesse _ telle sa propre viennoise Valse, créée le 12 décembre 1920… _ pour saisir cette folle course à l’abîme _ nous y voilà donc ! cf aussi, en sa course, le plus contenu et retenu, mais tout de même.., Bolero de 1928 _ et mieux suspendre les cadences où seul il élève son chant vers une voie lactée inquiète _ une des boussoles nocturnes de Maurice Ravel, sur son balcon en surplomb de la forêt et face à la nuit de Montfort-l’Amaury…

J’attendais _ moi aussi _ un couplage jazz, le Concerto de Gershwin comme réponse au jazz de Ravel _ certes _, mais non, ce seront les Nuits andalouses de Falla, sauvées de tant de ces lectures affadies qui les inféodent à un pâle debussysme _ voilà qui est fort bien perçu…

Alexandre Tharaud hausse leurs paysages fantasques _ oui _ à l’étiage de ceux _ fantasques eux aussi _ de Ravel, ardant leur con fuoco, tout duende, cambrant la gitane de la Danza lejana, implosant le feu d’artifices d’En los jardines de la Sierra de Córdoba dans l’orchestre flamboyant _ oui _ de Louis Langrée, faisant jeu égal avec les ardeurs osées par Alicia de Larrocha et Eduardo del Pueyo _ oui. Et c’est bien sûr qu’est très profond aussi le tropisme espagnol de Maurice Ravel… Ne serait-ce pas dans les jardins d’Aranjuez que se seraient rencontrés et fait connaissance ses parents, lors de leurs séjours madrilènes ?..

Quel disque ! _ voilà ! voilà ! _, splendidement saisi par les micros de Pierre Monteil _ et il faut en effet saluer aussi la splendide prise de son de cet éblouissant raveliennissime CD…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur, M. 82 (Pour la main gauche)


Manuel de Falla (1876-1946)


Nuits dans les jardins d’Espagne

Alexandre Tharaud, piano
Orchestre National de France
Louis Langrée, direction

Un album du label Erato 5054197660719

Photo à la une : le pianiste Alexandre Tharaud –
Photo : © Jean-Baptiste Millotune _ _ 

Pouvoir dialoguer vraiment si peu que ce soit avec des mélomanes à l’oreille et au goût ultra-fins et ultra-exigeants, mais capables d’enthousiasmes vrais et sincères,

est plus que jamais indispensable,

eu égard à la solitude grandissante des individus que nous sommes devant la misère en expansion, le désert gagne _ cf mon « Oasis (versus désert) », in le « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; une contribution redonnée en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici.. _, de la plupart des médias _ le plus souvent très pragmatiquement vendus aux plus offrants… _, pour ne rien dire de pas mal des publics...

Car c’est ainsi qu’il arrive parfois un peu heureusement, telle une étape enfin rafraîchissante (et bien évidemment vitale) en une oasis verdoyante en la traversée assoiffante du désert si aride et si morne, que des œuvres de la civilisation _ ici musicale _ rencontrent un infra-minimal plus juste écho qui, en son petit retentissement, les prolonge, et surtout et aussi réanime leur flamme, en un partage irradiant de vraie joie…

Et écouter de telles interprétations de tels chefs d’œuvre de musique fait un immense bien…

Et ces tous derniers temps,

les grandes interprétations, majeures et magistrales, véritablement marquantes, qui ont vu le jour, cette année 2023,

_ celles de « L’Heure espagnole » et du « Bolero » par François-Xavier Roth et ses Siècles _ Harmonia Mundi HMM 905361 _,

_ celle du « Trio pour piano et violoncelle » de 1914 par le Linos Piano Trio _ CAvi-Music 8553526 _,

_ celles de l’intégrale de « L’Œuvre pour piano » du double album par Philippe Bianconi _ La Dolce Volta LDV109.0 _,

_ et maintenant celles du « Concerto en sol » et du « Concerto pour la main gauche » par Alexandre Tharaud, Louis Langrée et l’Orchestre National de France _ Erato 5054197660719 _,

toutes,

savent faire enfin entendre en toute sa clarté et fluidité, allègre, intense, tonique, la puissance incisive et au final impérieuse en son irradiante tendresse, jubilatoire, de Maurice Ravel compositeur…

Une force de plénitude absolument accomplie…

Ce lundi 16 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Langage de la parenté versus jeu contingent des affinités, ces alliances de différences : un éloge du nomadisme et de la créolisation, à la Edouard Glissant, par François Noudelmann dans « Les enfants de Cadillac » ; soient un regard depuis New-York, pour François Noudelmann, et un regard de sa tour bordelaise, à la Montaigne, pour Titus Curiosus – Francis Lippa…

25mai

Ce jeudi 25 mai,

je poursuis pour le cinquième jour ma quête de ce que je caractérise, en lisant, dans l’enthousiasme, cette pépite et ce trésor, qu’est, de François Noudelmann, son « Les enfants de Cadillac« , comme une prise de conscience progressive, par l’auteur, au fil de ses découvertes, recherches, puis re-découvertes, d’une vie mouvante et émouvante, sienne, de « tensions entre affiliations (et plus encore désafilliations, ruptures, coupures, fuites, départs, déplacements, éloignements…) et un jeu contingent et ouvert, renversant, d’affinités de rencontres, alliances de différences (nourrissantes, greffantes et métamorphosantes, bien plus que de ressemblances fermées et fermantes, aliénantes), ou les routes et déroutes d’un homme (et « amant à double vie« , dit-il aussi...) plus libre« …

Cf donc la continuité de mes articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ et mercredi 24 mai : « « 

De fait, une autre logique que celle la plus attendue (de la part des généalogistes), se fait jour et se dessine très clairement, page 189 :

« Les généalogistes, obsédés par la continuité _ chaque génération succédant à celle (de ses parents) qui la précède, déjà génétiquement, même s’il n’y a jamais, et de loin, pure et simple duplication (clonage !) d’individus… _, sous-estiment le marrainage et le parrainage _ par lesquels filleuls et filleules empruntent, par certaines identifications souples et ludiques, bien d’autres traits que ceux directement reçus génétiquement, mais aussi culturellement, de leur père et de leur mère _, qui introduisent du jeu _ de la complexité, de la variété et des variations… _ dans la transmission _ qui est aussi, et pour une très bonne et large part, culturelle ; avec la richissime part des œuvres…….

(…) Il faut bien admettre que certains tuteurs et protecteurs ont nourri cet imaginaire parental, m’obligeant parfois _ plusieurs fois, donc ; pas seulement en quittant Limoges en 1976… _ à devenir un fils fuyant pour ne pas endosser _ tel que l’a endossé Énée quittant Troie en flammes… _ un Anchise trop pesant.

Grâce à eux, je ne suis pas resté dans le no man’s land _ asséchant et destructeur _ où me destinait le ballottage _ acté par le juge des divorces, en 1967 _ entre deux milieux _ celui du père et celui de la mère, chacun des deux bien mal remarié, un peu plus tard, aux yeux de leur fils François _ hostiles ou négligents.

Ces grands aînés, souvent professeurs _ oui, par exemple de Lettres ou de Philosophie ; et aussi de Piano… _, m’ont vu comme un chien perdu au milieu d’un jeu de quilles, et ils m’ouvrirent leurs espaces _ différents (et ouverts d’œuvres vraies et non factices)… _ et m’apprirent _ et c’est fondamental pour l’épanouissement de la personnalité en gestation en ce moment tendu (et souvent à vif) de changement de carapace, et d’éclosion de l’adolescence… _ la passion des œuvres _ un élément capital ! et assurément fondamental ! Même si beaucoup, et même la plupart, craignent et fuient les trop vives passions…

La première fut ma professeur de piano _ je regrette pour ma part que François Noudelmann n’honore pas son récit du nom de celle-ci… _, rencontrée quand j’avais dix ans _ en 1969, donc, et à Lyon où François résidait avec son père, seuls tous les deux, mais ensemble… _ parce qu’il fallait occuper mon temps libre, et qui me fit peu à peu découvrir la musique et bien d’autres choses aussi essentielles, une fois l’adolescence venue. En termes de transmission, elle tiendrait une place majeure dans l’arbre.

(…) Et le dernier, emblématique de ces pères qu’on pourrait dire supplétifs, annexes, cooptés ou assimilés : Édouard Glissant  _ Sainte-Marie, Martinique, 21 septembre 1928 – Paris 15e, 3 février 2011 ; cf le beau livre que François Noudelmann, qui a accompagné son parcours de 1999 à son décès en 2011, lui a consacré, en 2018 : « Édouard Glissant, l’identité généreuse« …   _  fut à la fois le théoricien et le praticien de ces relations imprédictibles, anti-généalogiques, refusant la vérité _ exclusive, réductrice, fermée _ de l’origine, des races et des racines, leur opposant le nomadisme et la créolisation _ ouverts aux grands vents, voilà.

(…) Combien d’autres paternités et maternités, fraternités et sororités sans liens de sang, agrégeons-nous pendant notre existence ?

Le langage de la parenté devrait _ ainsi _ céder _ dans les discours et représentations sociales les plus répandues, dominantes (et idéologiques) _ devant la force _ combien féconde, elle _ de ces adoptions incessantes et laisser place au jeu contingent _ ouvert et créateur, lui _ des affinités, ces alliances de différences _ nous y voici !, page 190. Ce concept d’« affinités«  étant crucial dans l’idiosyncrasie de François Noudelmann ; cf son tout à fait décisif « Les Airs de famille. Une philosophie des affinités« , paru en 2012.

Et il faudrait y ajouter non seulement ces libres cousinages humains, mais aussi des animaux, des livres, des musiques, des habitats, des voyageurs, des événements historiques et des malheurs intimes _ aussi, bien sûr, même si le discret et pudique François Noudelmann est loin de s’y attarder : il les floute plutôt, mais sans totalement les masquer ; car ce serait là mentir… Il faut et il suffit donc de bien le lire… _,

tout ce qui forme et déforme plus ou moins plastiquement _ un être, le nourrit _ et irrigue ; cf l’intuition de ma contribution personnelle, intitulée « Oasis (versus désert) », au « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; et cette contribution, je la donne à lire en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici _ comme une sève abondante _ oui.

Le hasard des rencontres _ avec le nécessaire concours, aussi, du malicieux (et terrible : son tranchant à l’égard de la pusillanimité et la procrastination étant implacable !) divin Kairos ; cf là-dessus mon article du 26 octobre 2016, comportant mon texte « Pour célébrer la rencontre« , qui constituait l’ouverture de mon essai de 2007 demeuré inédit « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni », à partir de ma lecture très détaillée du chef d’œuvre (bien trop méconnu) de Michelangelo Antonioni « Al di là delle nuvole« , en 1995 ; et mon analyse de sa riche genèse chez Antonioni ;

cf là-dessus les inestimables ressources des volumes publiés par Alain Bonfand aux Éditions Images modernes : « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , en deux volumes (un volume de présentation, « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , et surtout, bien sûr, les « Écrits«  d’Antonioni), en 2003 ; ainsi que l’indispensable lui aussi « Ce Bowling sur le Tibre«  d’Antonioni , en 2004… _,

et l’incitation à entrer sur des terrains que je pensais réservés _ socialement _ à d’autres, ont guidé mes routes et déroutes« , lit-on ainsi page 191.

On comprend ainsi comment je me sens personnellement pas mal d’accointances et affinités, déjà, avec ce que François Noudelmann dit ici de sa formation-construction de lui-même _ philosophique, littéraire, musicale, etc. _ et de ses cheminements…

..

Même si je n’ai, pour ce qui me concerne, nulle attraction new-yorkaise _ non plus qu’américaine… _ :

New-York, où le 29 avril 1892, à l’âge de 32 ans (il était né en 1860 à Entradam, alors en Hongrie, mais actuellement en Roumanie), est décédé Samuel Kahan, le grand-père maternel de mon pére, né lui en 1914 _ et c’est un vieux et très émouvant film muet (en yiddish), « Hester Street«  (de Joan Micklin Silver, d’après « Yekl«  d’Abraham Cahan, paru en 1896; cf ici la bande-annonce de ce film), vu, par hasard, au Festival du Film d’Histoire de Pessac, qui m’a permis de comprendre comment certains pères de famille juifs faisaient le voyage de l’Amérique, New-York et Ellis Island, afin d’y préparer la venue de leur épouse et enfants… Samuel Kahan est décédé assez vite après son arrivée. Son épouse et ses trois enfants, Fryderyka, Rose et Nison (né à Lemberg le 25 octobre 1983, et décédé à Haifa en 1949), sont ainsi demeurés alors en Galicie, à Lemberg ; et n’ont pas gagné New-York… Mais lui, Samuel Kahan, est inhumé à New-York. Et je descends de lui, je suis son arrière-petit-fils (né le 12 décembre 1947), via sa fille Fryderyka, ma grand-mère paternelle, et son petit-fils Benedykt Lippa, mon père… Et c’est par la cousine germaine Eva de mon père, fille du frère Nison de Fryderyka, Eva Kahan, épouse Speter (Budapest, 15 mars 1915 – Tel-Aviv, 2007 ; Eva a survécu à un passage à Auschwitz, en 1944 ; et en a laissé des témoignages !..) qu’un soir de juillet 1986, j’ai pris connaissance, au restaurant où elle dînait, de cet arbre généalogique familial galicien… De bref  passage à Bordeaux, et sachant que son cousin Benedykt avait fait ses études de médecine à Bordeaux, Eva Speter, de passage à Bordeaux, était tombée sur le nom de « Lippa » dans l’annuaire téléphonique de Bordeaux qu’elle avait voulu consulter ; et c’est ainsi qu’elle m’avait joint au téléphone : « _ Êtes-vous parent avec le Docteur Benedykt Lippa ? _ Oui, c’est mon père« , avais-je bien sûr répondu… De fait, mon père, lui même très sportif (il a pratiqué très longtemps le tennis ; et avait fait de la boxe en sa prime jeunesse ; il avait aussi appris le violon !), avait raconté plusieurs fois, non sans fierté, qu’il avait une cousine Eva qui, en sa jeunesse, avait été championne de natation, à Budapest : je connaissais donc l’existence de cette cousine Eva ; et c’est probablement une des raisons qui m’avait suggéré, en 1981, de donner le prénom d’Eve à notre seconde fille, née le 10 octobre 1981…Et plus tard, Eva, ainsi que son frère Andrew Samuel Kahan (né à Budapest le 28 février 1921), sont chacun d’eux venus d’Israël rendre visite à mes parents… 

L’épouse de Samuel Kahan, Sara Sprecher (Lemberg, 1860 – Lviv, 1937) _ les Sprecher, très aisés, possédaient plusieurs immeubles à Lemberg – Lwow… _, mon arrière-grand-mère paternelle, la mère de la mère, Fryderyka Kahan, de mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislaus – Stanislawow – Ivano-Frankivsk, 11 mars 1914 – Bordeaux, 11 janvier 2006), était donc native de la même ville (Lemberg -Lwow – Lvov – Lviv) que Marie Schlimper (Lemberg, 1881 – ?, ?), la mère d’Albert Noudelmann (Paris, 24 juin 1916 – Limoges, 16 juillet 1998), et grand-mère paternelle de François Noudelmann (Paris, 20 décembre 1958)…

Pour ma part, je me sens _ culturellement, philosophiquement et humainement _ proche d’un Montaigne, et de sa lumineuse et si féconde tour, où je pouvais, enfant et adolescent, me rendre à pied dans la journée depuis le domicile familial de Castillon-la-Bataille ;

cette tour dans laquelle très sereinement, et très activement, par l’exercice inventif  de son très alerte penser _ ce que je nomme, en dialogue avec l’amie Marie-José Mondzain, son « imageance«  _, et surtout à l’écritoire de ses « Essais« , Montaigne (Saint-Michel-de-Montaigne, 28 février 1533 – Saint-Michel-de-Montaigne, 13 septembre 1592) _ une fois la si riche conversation effective de l’ami La Boétie interrompue : La Boétie (né à Sarlat le 1er novembre 1530) est décédé à Germignan, près de Bordeaux, le 18 août 1563… _ entretenait un dialogue quasi permanent et archi-vivant _ « tant qu’il y aurait de l’encre et du papier«  ! Et du souffle de vie en lui… _ avec les auteurs _ vivant à jamais dans l’éternité de leur plus vif penser _ des livres de sa bibliothèque, et des inscriptions de citations peintes par lui sur les poutres de sa « librairie », au second étage de la tour ; cf d’Alain Legros le passionnant « Essais sur poutres« …

Je suis donc _ en toute modestie, bien sûr : je ne me prends pas pour Montaigne !.. _ attaché à ma propre tour bordelaise _ avec ses rangées et piles de livres et disques ; mais dénuée de poutres… _, ainsi qu’à la librairie Mollat, et aux dialogues avec les auteurs (d’œuvres) avec lesquels j’ai la passion et la chance insigne de m’entretenir _  voilà ! _ très effectivement _ et pas seulement par la lecture et l’écoute active de leurs œuvres ; j’aime rechercher et découvrir de leur bouche même, en notre échange sur le vif, quels ont été et sont, selon eux, les « sentiers » même les plus secrets de leur création _ ;

cf ce catalogue-ci récapitulatif de podcasts et vidéos de mes entretiens : « « 

Et je me sens aussi pas mal d’accointances et affinités _ déjà philosophiques de fond, mais aussi littéraires : François Noudelmann adore et Montaigne et Marivaux ; si chers à moi aussi ; et musicales : François Noudelmann vénère Fauré, Debussy, Ravel, et Poulenc : moi de même !.. Pour ne rien dire de ses positions culturelles et civilisationnelles ; je les partage absolument aussi… _ avec François Noudelmann,

ne serait que par notre passionnée mélomanie, et notre attention singulière à l’écoute…

Ainsi que nos regards transversaux, à tous deux, sur le réel…

Et ici je renvoie à mon article programmatique qui a précédé, le 3 juillet 2008, l’ouverture de mon blog « En cherchant bien _ carnets d’un curieux« , le 4 juillet 2008 ;

avec un article intitulé, emblématiquement, et je n’y ai pas dérogé depuis, «  » : exemples détaillés à l’appui, il est très explicite ; le consulter ici

Et j’avais choisi d’en baptiser le signataire _ je désirais un nom d’auteur _ « Titus Curiosus« , soit quelque chose, en mon esprit, comme « petit curieux« ,

sans autre ambition que de m’essayer, en pleine liberté, à bien chercher à découvrir vraiment… ; et partager ainsi, par le blog, modestement, sans tapage ni compromission de quelque sorte, ces efforts d’un peu mieux penser, un peu mieux regarder, un peux mieux écouter, un peu mieux sentir et ressentir, les altérités _ en leur  plus authentique singularité et idiosyncrasie : distinctes, donc, et indépendantes de moi-même… Les approcher, simplement, d’un tout petit peu plus près : comme quand on aime vraiment.

« Former son jugement« , disait le cher Montaigne _ en le frottant et osant le confronter, sans timidité ni crainte, à ceux d’autres qu’on estime ou admire : en un dialogue poursuivi, via des œuvres que ces autres ont données et laissées, en une vivante libre interlocution éruptive et féconde, tenue et entretenue (et constamment revue) au présent, avec eux, dans la distance actuelle et exigeante de l’éloignement géographique ou/et historique, en une dimension de quelque chose qui s’apparente, et cela forcément en toute modestie (et avec un brin d’humour, et surtout sans présomption), à comme de l’éternité, dont le signe annonciateur ressenti est la joie… Ce que l’amie Baldine Saint-Girons caractérise superbement comme un « acte esthétique« , en son justissime et si beau « L’Acte esthétique« , pour déclencher et entretenir cette joie du plus vif et actif penser en soi-même : être vraiment vivant, au contact parlant de ces altérités chantantes, à recevoir, et auxquelles répondre, et avec lesquelles, oui, dialoguer vraiment. Et de fait cela advient, vraiment… Vraiment.

Ce jeudi 25 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Christian Gerhaher, Franz Schubert et Othmar Schoeck, à Zermatt avec Gerold Huber : Christian Gerhaher, un artiste intelligent !

15sept

Dans la continuation de mon article «  » du 2 septembre dernier,

voici 2 articles que ResMusica, sous la plume de Vincent Guillemin, et en date d’hier 14 septembre, consacre à ce remarquable et très intelligent baryton qu’est Christian Gerhaher :

« Elegie et Winterreise dans la pureté des Alpes par Gerold Huber et Christian Gerhaher » à l’occasion de 2 concerts à Zematt, face au Cervin,

et « Christian Gerhaher ou l’art absolu de la déclamation« , un très riche entretien avec le merveilleux chanteur…

À 2222 mètres d’altitude, dans la petite Kapelle Riffelalp des Alpes suisses, Christian Gerhaher met en regard Elegie, op.36 d’Otmar Schoeck avec le Winterreise, D.911 de Franz Schubert, tous deux magnifiés par la qualité de déclamation du baryton, sous le piano toujours accordé de Gerold Huber.


Considéré comme le Winterreise d’Otmar Schoeck, Elegie est remis à l’honneur par Christian Gerhaher, qui a enregistré le cycle en 2020 dans sa version pour orchestre de chambre, avec le Kammerorchester Basel et Heinz Holliger _ cf mon article du 2 septembre dernier : « «  Il le reprend dans le cadre du Festival de Musique de Zermatt dans sa version piano-voix. Écrit pour le baryton-basse Felix Löffel, le cycle très sombre, à l’image de la majeure partie des pièces du compositeur suisse, débute par Wehmut (Nostalgie), texte de Joseph von Eichendorf, poète dont cinq autres poèmes seront utilisés pour ce cycle de vingt-quatre lieder, tous les autres étant de Nikolaus Lenau.

Encore plus que dans l’enregistrement pour Sony Classical, Gerhaher développe dans l’œuvre créée il y a bientôt un siècle toute sa qualité de déclamation. La précision du texte marque ainsi chaque instant et plonge au fur et à mesure du voyage dans les mots obscurs de Lenau, Stille Sicherheit (Sécurité silencieuse) ou Herbstklage (Plainte d’Automne), pour finir par les mélancoliques Dichterlos (Sans poète) et Der Einsame (Le Solitaire) d’Eichendorf. Porté par le piano de Gerold Huber et par l’acoustique idéale de la petite chapelle, en matinée à moitié remplie tandis qu’elle le sera totalement le soir pour Winterreise, le baryton décuple sa partie par des grandes variations de dynamique, toujours en accord avec la puissance des mots.

La pureté de la ligne et les fines modulations de couleurs dans le grave touchent pour le monochrome Frage Nicht (n°4), tandis que la nervosité du Waldlied (n°7) profite ici d’une voix puissante qui emplit toute l’église alpine placée face au sublime Mont-Cervin. Déjà développé par le piano dans la version pour orchestre, ce lied comme d’autres gagne à être joué dans cette version seulement pour piano et voix. Gerold Huber y traite la partition à sa pure justesse, sans jamais trop l’appuyer, pour toujours laisser son développement et les amplitudes émotives à celui qu’il accompagne depuis plus de trente ans.


Six heures plus tard, le temps de voyager par les chemins escarpés de cette magnifique partie des Alpes, les deux mêmes artistes reprennent leurs places sur la scène de la Kapelle Riffelalp, cette fois pour un cycle beaucoup plus célèbre _ et attireur de foules. Déjà enregistré par les deux chez RCA et Arte Nova, Winterreise de Schubert retrouve les qualités de conteur de Christian Gerhaher, ainsi que sa façon d’aborder l’œuvre sans la dénaturer, mais au plus proche de la lettre, comme il nous l’expliquera en interview juste après. De façon assez surprenante, il se défend d’un court discours, avant d’aborder le Voyage d’Hiver, pour se justifier de quelques changements de place de lieder, parce que ceux-ci, toujours joués dans le même ordre, ont en réalité été écrit avec plus de liberté par Schubert.

Alors les cinq premiers ne bougent pas, trop habituellement retenus dans cet ordre par l’auditeur. En revanche Die Post s’insère en sixième position plutôt qu’en treizième. Finalement, et mis à part le fait d’enlever à Die Nebensonnen l’avant-dernière position pour la laisser à Mut ! (habituellement vingt-deuxième et sans doute trop contrasté pour s’accoler à Die Leiermann, forcément ultime), l’idée fonctionne et crée une écoute moins confortable, qui force à plus d’attention pour se concentrer sur le texte. À l’opposé de beaucoup de chanteurs aujourd’hui, Gerhaher développe les vingt-quatre poèmes de Wilhelm Müller avec là encore de grands écarts de dynamique, qui profite toujours de l’acoustique de la petite chapelle, ainsi que d’un public très attentif et très silencieux, sauf pour tourner et retourner les pages du programme de salle imprimé dans l’ordre habituel.

Sous le piano fin de Gerold Huber, particulièrement naturel pour Rast (placé ici en n°19 plutôt qu’en 10) puis seulement touché par la fatigue du doigté à Die Nebensonnen (n°20 ici) et légèrement pour la fin du cycle, Christian Gerhaher porte avec un niveau d’exception un cycle qu’il ne caricature jamais dans l’émotion facile. Il est peut-être tout juste moins profond par cette approche pour l’écriture de Schubert qu’il n’était parvenu à l’être dans sa prestation d’exception le matin pour l’Elegie de Schoeck. Malheureusement, ces splendides concerts ne seront gravés que dans l’esprit des auditeurs du Festival de Zermatt présents, car aucun micro ne se trouvait dans la salle.

……

Crédits Photographiques : © ResMusica

Zermatt. Kapelle Riffelalp.

11-IX-2022.

11h : Otmar Schoeck (1886-1957) : Elegie, op. 36.

18h : Franz Schubert (1797-1828) : Winterreise, D.911.

Gerold Huber, piano ; Christian Gerhaher, baryton

Christian Gerhaher ou l’art absolu de la déclamation

Invité du Festival de Zermatt pour le concert d’ouverture et deux récitals, Christian Gerhaher développe pour nous son intérêt pour la musique du compositeur suisse Otmar Schoeck, en plus de revenir sur son répertoire et sur l’importance de la musique classique dans le monde actuel.


ResMusica :
Vous chantiez en matinée au Festival de Zermatt Elegie après l’avoir enregistré récemment, comment avez-vous découvert la musique d’Otmar Schoeck ?

Christian Gerhaher : J’ai découvert le compositeur lors d’un festival de musique moderne il y a vingt ans, lorsqu’on m’a proposé de chanter le cycle avec quatuor à cordes Notturno, pour lequel mon sentiment a été le même que pour Elegie : ces pièces fascinantes m’ont rendu addict. Je ne pouvais plus arrêter de les écouter et d’y penser pendant que je les travaillais, car le style de déclamation y est très spécial. Après les deux marqueurs vocaux du répertoire germanique au XIXᵉ siècle que sont pour moi Schumann d’abord et Wagner ensuite, je pense qu’une troisième voie _ voilà _ est apparue au XXᵉ avec Otmar Schoeck, avec une technique musicale particulièrement portée par les mots, plus principalement ceux de Nikolaus Lenau, poète qu’il adorait. De plus, Schoeck choisissait avant tout les poèmes dans lesquels l’artiste se montrait dévasté par la mort.

Dans ces poèmes, Lenau ne peut assumer que cela va arriver et utilise des sujets lyriques qui se posent sur d’autres angles comme la nature, les feuilles mortes ou les oiseaux, pour toujours revenir à cette question sans réponse, fondamentale, quant à la fin de l’existence. Dans Notturno, au centre de la pièce, il établit particulièrement cette idée avec une façon de déclamer à bout de souffle, qui implique que cela ne doit pas véritablement s’arrêter, pas tout-à-fait, pas définitivement… L’écriture est alors toujours non-mélismatique, purement syllabique, une syllabe étant égale à un ton, un peu à la manière de celle de Claude Debussy en France, autre maître de la déclamation dans ce siècle.

RM : Elegie est parfois comparé au Winterreise de Schubert, mis en regard le même jour en Suisse lors d’un second concert ?

CG : C’est la troisième fois que je chante Elegie dans cette version avec piano, et la deuxième que je le combine à Winterreise. Cela est peut-être risqué, mais j’aime l’idée, qui permet de donner un nouvel horizon au cycle de Schubert. Après que Fischer-Dieskau eut arrêté sa carrière en 1992, la façon de chanter le Voyage d’Hiver a changé et a pris beaucoup de liberté, ce qui m’attriste quelque peu, car cette œuvre géniale ne doit pas être trop heurtée, afin qu’elle garde toute son atmosphère sans être dénaturée. J’essaye pour ma part d’y délivrer toute sa sentimentalité en restant au plus près du texte, et même si l’on m’a déjà dit que cela était très bien chanté mais pas toujours très touchant, je cherche à l’inverse à porter cette œuvre sans lui ajouter ce qui pour moi ne sont que des effets superfétatoires.


RM : Vous avez enregistré Elegie pour Sony Classical dans sa version pour orchestre de chambre et voix et la chantiez à Zermatt seulement avec piano, dans une approche clairement différente, sans doute aussi exaltée par l’acoustique de la petite Chapelle de Riffelalp ?

CG : Nous avons enregistré l’œuvre avec Heinz Holliger et le Basel Orchestra en mars 2020 au début du confinement, puisqu’il n’était plus possible de faire une tournée, comme cela était d’abord prévu. Nous l’avions répétée longuement, alors nous avons décidé de la graver, tant nous y trouvions de beauté. L’orchestration y est sublime, mais la pièce écrite comme presque tous les lieder de Schoeck pour Felix Löffel est faite pour un baryton à la voix très basse, ce qui n’est pas problématique pour un baryton placé plus haut dans la tessiture, tel que je le suis, mais oblige à trouver des variations de couleurs dans un registre réduit, souvent porté vers le grave.

Ce chant resserré crée des pressions sur la voix, où il est très intéressant de réussir à développer de nouvelles couleurs, ce pour quoi le piano devient idéal en comparaison de l’orchestre, car c’est alors un instrument monochrome qui vous accompagne et vous laisse la possibilité d’étaler toute l’identité polychromatique de votre voix _ voilà. Avec un orchestre, qui apporte par lui-même une polychromie musicale, vous avez à réduire votre propre approche et à altérer les dynamiques. C’est d’ailleurs pour cela que cette pièce est particulièrement difficile à chanter dans sa version avec orchestre, notamment dans ses parties très douces. À Riffelalp, le piano associé à l’acoustique idéale de la chapelle de montagne m’ont permis d’exprimer toutes ces idées merveilleusement.

RM : On connait donc de vous Notturno et Elegie, vous intéressez-vous à d’autres cycles de Schoeck ?

CG : Je n’ai pas encore pu en apprendre d’autres, mais cela fait maintenant partie de mes priorités pour la fin de ma carrière, avec notamment Lebendig Begraben (Enterré vivant). Comme évoqué précédemment, Schoeck composait presque toujours ses lieder pour son ami Felix Löffel, qui possédait une véritable technique, mais pas une très belle voix _ hélas. Alors, lorsqu’il a entendu Dietrich Fischer-Dieskau dans l’œuvre, il a découvert à quel point on pouvait chanter superbement sa partition, avec une fantastique qualité de déclamation. Je souhaite donc m’atteler à ce cycle prochainement pour tenter d’y apporter la même pureté _ oui _, en plus de découvrir aussi mieux les opéras, car je connais surtout Penthesilea et malheureusement, il ne s’y a pas vraiment de rôle pour moi.

RM : Pour le lied, vous êtes très majoritairement accompagné par Gerold Huber, avec lequel on ressent une cohésion parfaite. Est-ce important pour vous d’avoir ce partenaire si proche et comment travaillez-vous en répétition ?

CG : Nous ne parlons presque pas. Gerold Huber a été l’une des plus belles rencontres de ma vie, et j’ai immédiatement ressenti avec lui la possibilité de ne pas être concentré sur le fait de répéter pour se coordonner, mais plutôt pour aborder tout de suite la forme, le son et les couleurs. Il était malade cette année et je suis très heureux qu’il soit revenu à son meilleur, pour m’accompagner ainsi que d’autres chanteurs, bien que je doive admettre avoir une relation très particulière avec lui, qui dure depuis bientôt trente-cinq ans. Il s’agît ici de beaucoup plus qu’une collaboration artistique, et je ne sais pas comment je ferais pour chanter du lied sans lui, ni si je continuerais à en chanter autant. Lorsqu’il joue, j’aime sa densité et sa tranquillité à maintenir une ligne _ voilà _, qui me permet de développer le chant et la dynamique comme je le souhaite, sans être surexposé par le piano.


RM : Nous avons parlé principalement de Schoeck et sommes donc restés concentrés sur le répertoire germanique, évidemment celui que vous chantez le plus, mais que vous dépassez aussi parfois. Pensez-vous l’ouvrir encore, notamment par des œuvres moins sombres ?

 

CG : J’ai un peu chanté de l’opéra italien, Mozart ou Simon Boccanegra de Verdi, que je reprends prochainement, et j’aime aussi beaucoup la mélodie française. Malheureusement, la langue française est très complexe et m’impose un travail d’apprentissage très long, mais j’adore Debussy, Fauré et Berlioz et veut développer leurs œuvres. Et puis j’ai déjà porté Pelléas, mais il faut maintenant que j’approche véritablement Golaud.

On reste donc dans de l’art sombre, mais comment le définir exactement ? Si l’on prend Kafka par exemple, si célèbre pour la noirceur de ses œuvres ; il était connu qu’avec son ami Max Brod, pendant les lectures publiques, il utilisait un véritable humour et riait souvent _ énormément, même. Le sérieux et la noirceur ne sont donc pas opposé au rire et à la joie, ce qui est aussi le cas avec Cosi fan Tutte ! C’est également grâce à cela qu’on crée de la distance sur les choses, ce qui est primordial _ en effet…

RM : Pour rester dans les idées noires, la musique classique souffre toujours de la pandémie avec un public plus difficile à capter qu’auparavant, quelle est votre vision pour son avenir ?

CG : La pandémie a été très dure pour tous mais plus encore pour les artistes qui vivent de concerts. Les restrictions ont touché la vie musicale pour longtemps et vont peut-être réduire à jamais le nombre de spectacles de musique classique. J’ai eu une discussion publique récemment avec des hommes et femmes politiques allemands, où le ministre de la culture m’a fait remarquer que « nous restions avec notre ancien monde, tandis qu’eux avançaient« . Cela m’a profondément heurté _ oui !!! L’incurie de la plupart des politiques est une catastrophe, dont on ne récolte que trop les effets… _ et j’ai rétorqué que des milliers de concerts devant des centaines de milliers de gens vivants n’étaient pas l’ancien monde, mais bien le présent.

Je sais que les lieder intéressent une part très réduite et sans doute de plus en plus réduite de la population, mais il faut continuer à les porter et à les promouvoir, car l’art n’est pas juste un hobby _ certes ! _, comme certains politiciens le croient aujourd’hui : c’est une nécessité _ cruciale ! _ pour le bien-être de l’humanité _ et contre la barbarie qui gagne… Cela n’apporte pas juste des émotions, mais aussi de la réflexion _ oui ! _, alors il faut se battre _ oui _ pour continuer à rendre attractive la musique classique par ses aspects les plus grands, et moins celle-ci cherchera à être seulement un divertissement _ hélas, hélas, hélas _, plus elle survivra _ cf mon propre texte « Oasis versus désert » pour le « Dictionnaire amoureux de la Librairie Mollat », paru notammenr en mon article du 17 juin 2022 : « «  Être sérieux ne veut pas dire ne pas être drôle ou ne pas intégrer toutes les émotions, mais cela veut dire rester à un niveau d’intelligence élevé, très important pour notre société _ ô combien !

Crédits Photographiques : © Credit: David Parry/PA Wire (recital) & © Olivier Maire (récital Zermatt)

Christian Gerhaher, un artiste important et intelligent.

Ce jeudi 15 septembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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