Pour son 36ᵉ et ultime volume, la collection « Les Musiciens et la Grande Guerre » éditée par le label Hortus met en miroir Lucien Durosoir avec Funérailles et Philippe Hersant avec Sous la pluie de feu.
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Un rapprochement qui peut paraître anachronique à première vue, et pourtant…Un face à face qui fait sens quand on sait que Sous la pluie de feu, double concerto pour violon et violoncelle de Philippe Hersant fut composé en 2018 en hommage au même Lucien Durosoir, violoniste et compositeur et à Maurice Maréchal, violoncelliste, tous deux soldats de la Grande Guerre _ cf le superbe recueil de correspondances (de guerre) Maurice Maréchal, Lucien Durosoir, Deux Musiciens dans la Grande Guerre, par les soins de Luc Durosoir, publié aux Éditions Tallandier en octobre 2005.
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Ceux qui s’attendaient à une longue déploration méditative en seront pour leur frais, les Funérailles, chez Lucien Durosoir, sont grandioses, solennelles et quelque peu joyeuses _ mais oui ! cf mon article du 11 novembre 2019 : L’enchantement de l’océanique « Funérailles », Suite pour grand orchestre (1930), de Lucien Durosoir : un chef d’oeuvre de paix bouleversant… : « une merveilleuse impression de paix et de joie s’en dégage », y écrivais-je… _, comme en témoigne cette magnifique Suite pour grand orchestre. Cette œuvre fut composée entre 1927 et 1930 comme un hommage _ magnifique, absolument ! _ aux camarades disparus entre 1914 et 1918. Troisième œuvre symphonique du compositeur _ après le Poème pour violon, alto et orchestre (en 1920) et Déjanira, Etude symphonique sur un fragment des « Trachiniennes » de Sophocle (en 1923) ; et avant la Suite pour flûte et petit orchestre symphonique (en 1931) _, elle comprend quatre mouvements dont les titres respectifs s’appuient sur des fragments poétiques _ extraits de Cantilènes (1884) et de Syrtes (1886)... _ de Jean Moréas _ Athènes 15 avril 1856 – Saint-Mandé, 30 mars 1910 _ dont ils dictent l’éthos dominant _ en effet.
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Á propos de Lucien Durosoir et Jean Moréas, cf le détail le plus précis en ma contribution La poésie inspiratrice de l’oeuvre musical de Lucien Durosoir : Romantiques, Parnassiens, Symbolistes, Modernes au colloque « Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878-1955) » du Palazzetto Bru-Zane, à Venise, le 19 février 2011… ; et dont voici le résumé : « L’œuvre musical de Lucien Durosoir est en dialogue permanent et fondamental avec la poésie : pas seulement parce que la poésie – essentiellement celle de la seconde moitié du XIXe siècle – est, au plus haut des Arts, référence et modèle ; mais parce que la poésie est matrice même de sa création : un pôle consubstantiel du déploiement du discours musical. Un tel transfert d’imageance se révèle dès les intitulations des pièces de musique d’après des poèmes ; mais encore dans les vers placés en exergue des partitions, continuant ce dialogue. Et cela, alors que le compositeur répugne au genre de la mélodie, en déficience d’imageance musicale pour lui. Historiquement, entre les courants romantique, parnassien, symboliste et moderne de la poésie dont il est le contemporain, la préférence de Lucien Durosoir va, et avec fidélité, au modèle et idéal d’œuvre parnassien, dans la version de Leconte de Lisle surtout, tant sur un plan formel qu’ontologique. Avec aussi la fréquence de références thématiques à la Grèce, celle de Sophocle, Théocrite, Chénier, et Moréas. Ainsi que l’accomplissement, œuvre après œuvre, en la chair de la musique, d’une singulière puissante dynamique serpentine, au service du rendu le plus sensuel des forces de la vie. Et cela jusque dans le rapport de Lucien Durosoir aux œuvres de Baudelaire et Rimbaud. En même temps que, et alors que rien ne s’y réfère aux poètes du modernisme, selon la voie sereinement audacieuse d’une vraie modernité musicale, parfaitement libre, ouverte et renouvelée avec constance au fil des œuvres, magnifique en sa dense clarté d’affirmation« … Fin ici de l’incise. _
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Roses de Damas fait valoir son impressionnante ampleur sonore _ oui ! proprement « océanique« même… _ dans une vaste mélodie évoluant par vagues _ oui _, réunissant de façon assez condensée _ oui _ toutes les forces orchestrales _ la dynamique de Durosoir est toujours prodigieuse… Je me souviens… met en avant une orchestration foisonnante _ oui, ample, généreuse… _ avec une harpe omniprésente soutenue par une dynamique allègre _ mais oui. Toutes les facettes de l’orchestre s’y déploient _ oui _ dans un jeu de timbres (cordes, vents et percussions) une rythmique variée _ oui, constamment _ et une belle ligne mélodique _ qui unifie, toujours, le tout… Plus plaintif et recueilli Voix qui revenez… laisse une large place aux vents, tout entier occupé par un constant élan _ oui, une force, une puissance… _ nostalgique et un lyrisme contenu _ tout cela est d’une parfaite justesse… Toc, Toc, le menuisier des trépassés… change complètement de climat, s’éloignant de toute élégie par ses rythmes complexes, son phrasé haché _ oui _, prenant par instant une allure presque sarcastique (vents) étonnante et décalée, voire un peu jazzy _ j’employais aussi ce qualificatif… _, avant une coda un peu hollywoodienne par ses fanfares de cuivres.
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Sous la pluie de feu de Philippe Hersant, double concerto pour violon et violoncelle, s’inscrit dans une esthétique bien différente, plus épurée. Après un prologue d’une fluidité attentiste où ostinato du violoncelle et complainte du violon dépeignent, dans un dialogue serré, une certaine déploration angoissée, la partie centrale de l’œuvre décrit, dans un phrasé très narratif, l’horreur des combats par sa rythmique chaotique, et ses ostinatos répétés motoristes (violoncelle de Nadine Pierre) d’où émerge difficilement le lyrisme balbutiant du violon d’Hélène Collerette, dans une sorte de danse de guerre inexorable et dissonante, avant qu’un dialogue entre les deux instruments ne s’opère de façon plus apaisée, entrecoupé de soubresauts orchestraux récapitulatifs comme autant de réminiscences d’une mémoire qui peine à faire son deuil.
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Au plan interprétatif, il convient de saluer la maîtrise de la direction de Mihkail Golikov comme celle de Pascal Rophé à la tête de leur phalange respective, toutes deux irréprochables, sans oublier, dans ce concert d’éloges, les deux figures familières de Nadine Pierre au violoncelle et d’Hélène Collerette au violon, deux habituées de l’excellence.
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Ainsi s’achève cette superbe collection _ absolument ! _ avec deux œuvres de caractère qui seront pour beaucoup deux belles découvertes _ à partager…
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Lucien Durosoir (1878-1955) : Funérailles.
Philippe Hersant (né en 1948) : Sous la pluie de feu.
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(1) Taurida International Symphony Orchestra, direction : Mikhail Golikov.
(2) Hélène Collerette, violon ; Nadine Pierre, violoncelle ; Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction : Pascal Rophé.
1 CD Hortus. Collection Les Musiciens et la Grande Guerre Vol. 36.
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Enregistré
(1) à Saint-Pétersbourg en juillet 2017 ;
(2) en public lors de la création mondiale le 16 novembre 2018 à Radio-France.
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Notice bilingue : français-anglais.
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Durée : 61:03
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HORTUS