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L’enchantement de la « Liedersängerin » absolue : Jessye Norman (1945 – 2019), dans le coffret Decca « The Complete Studio Recitals » de 42 CDs et 3 DVDs…

25déc

Quel admirable cadeau de cette fin d’année 2023 que le copieux coffret Decca 4851014 « Jessye Norman – The Complete Studio Recitals » de 42 CDs et 3 DVDs, de cette admirable interprète, à la voix profonde et à l’élocution toujours claire, idéale dans le répertoire des Lieder (et Mélodies)…

Voici ce qu’en rapporte avec bon goût et claire intelligence de la sensibilité Jean Charles Hoffelé, sur son site Discophilia,

en un article en date du 26 novembre dernier, intitulé, précisément, « Liedersängerin« …


LIEDERSÄNGERIN

On l’oublie trop, Jessye Norman dans sa première vingtaine trouva au Deutsche Oper de Berlin mieux qu’une scène, un esprit. L’esprit de la troupe qui lui rappelait la collégialité des chorales de gospels de son enfance et qui lui permit d’aborder des rôles aussi opposés qu’Aida ou La Comtesse des Noces, et parallèlement au théâtre la pratique des lieder, l’esprit-même du chant allemand.

Déjà des soirées de récitals, Schubert, Schumann, Strauss, Wolf, Mahler, Jessye Norman suivait les pas de sa consœur Grace Bumbry. En Allemagne, personne ne s’y trompait, et au long des années soixante-dix, elle se forma _ voilà _ un vaste répertoire de lieder qui l’accompagnera sa vie durant, et sera le sujet dès 1971 de son premier album pour Philips, avec Irwin Gage : Schubert et Mahler _ et c’est le CD inaugural (n°1) de ce coffret de 42 CDs et 3 DVDs. Le commencer par les rares Schwestergruss et Der Zwerg montre dans ces deux scènes lyriques la diseuse absolue _ oui, d’une clarté exemplaire _, jamais embarrassée pour rendre les mots clairs dans cette voix si opulente _ oui ! _ : écoutez seulement Ich bin der Welt abhanden geekommen où elle va au-delà des mots même, cueillant l’émotion dans la pourpre des aigus.

La messe était dite, l’opéra se raréfiera _ en effet _ au profit du récital, Mahler deviendra l’un des objets de son art, Kindertotenlieder déchirants, deux fois Das Lied von der Erde et deux fois différemment, philosophique pour Sir Colin Davis au studio, dramatique et à vrai dire irrésistible en concert à Berlin pour James Levine. La question de l’ambitus se pose d’emblée : cette soprano savait être contralto, immensité des registres _ oui _, unité pourtant, de grain, de couleurs, de souffle sur toute cette colonne de son qui enveloppait ses auditeurs _ voilà _, les enivrant d’harmoniques. Entendre à ce point la chair dans cette voix qui ne craignait ni les profondeurs de la Rhapsodie de Brahms – elle aura gravé tous ses lieder de soprano et d’alto, commencez d’abord par les deux Wiegenlieder – ni les écarts vertigineux d’Erwartung, quelle expérience, d’autant que cet instrument si rare était absolument phonogénique.


La soprano Jessye Norman en arrière-plan, la poète Sonia Sanchez, à gauche, s’entretenant avec Gloria Steinem – Photo : © Jenny Warburg

Tout ce que Jessye Norman aura gravé hors opéra pour Philips se trouve enfin réuni, y compris les albums de gospels (même la bande son du spectacle de Bob Wilson), les cross-over où elle s’invite dans les song books avec un chic fou, son grand récital Michel Legrand, merveilles en marge que toisent pourtant les quelques albums de mélodies françaises, irrésistibles, où elle savoure les mots comme le faisait _ un des maîtresPierre Bernac, ajoutant la gloire de son timbre (L’invitation au voyage), et un esprit facétieux (Je te veux).

Régalez-vous d’abord chez Schubert, Schumann, Brahms, Mahler, Wolf, mais n’oubliez pas sa Tove inégalée, son Nietzsche dans la Troisième Symphonie de Mahler à Vienne pour Claudio Abbado, n’oubliez pas surtout _ en effet… _ ces Vier letzte Lieder ouverts sur les plus vastes horizons que cette œuvre n’ait jamais connus _ sans oublier les Wesendonk Lieder, non plus…

LE DISQUE DU JOUR

Jessye Norman


The Complete Studio Recitals

Œuvres de Alban Berg, Ludwig van Beethoven, Hector Berlioz, Johannes Brahms, Claude Debussy, Gabriel Duparc, Georg Friedrich Haendel, Franz Joseph Haydn, Gustav Mahler, Francis Poulenc, Maurice Ravel, Erik Satie, Arnold Schönberg, Franz Schubert, Robert Schumann, Richard Strauss, Michael Tippett, Richard Wagner, Hugo Wolf, etc.

Jessye Norman, soprano

Un coffret de 42 CD et 3 DVD du label Decca 4851014

Photo à la une : la soprano Jessye Norman en arrière-plan, la poète Sonia Sanchez, à gauche, s’entretenant avec Gloria Steinem – Photo : © Jenny Warburg / Decca Records

Un pur enchantement, tout simplement…
Et une collection indispensable !

Ce lundi 25 décembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter et goûter l’admirable « Hôtel » (extrait de « Banalités) » de Francis Poulenc – Guillaume Apollinaire : le dialogue fécond des imageances idiosyncrasiques à l’oeuvre, exprimé et décrit dans « L’autre XXe siècle musical » de Karol Beffa…

06mar

Les pages 128-129-130 du chapitre « Interlude Francis Poulenc » (pages 125 à 135) de « L’autre XXe siècle musical » de Karol Beffa (qui vient de paraître aux Éditions Buchet – Chastel) consacrées à la mélodie « Hôtel » de Francis Poulenc, en 1940, sur un poème de Guillaume Apollinaire _ un poème publié pour la première fois le 15 avril 1914 dans la revue d’avant-garde éditée à Florence “Lacerba“ _ dans le recueil intitulé « Banalités« ,

m’ont bien sûr fortement incité à rechercher, pour en écouter et apprécier diverses interprétations, les CDs de ma discothèque la comportant.

Et jusqu’ici, j’ai réussi à mettre la main sur 7 CDs proposant cette admirable brève mélodie, « Hôtel » :

par Pierre Bernac et Francis Poulenc au piano, en 1950, à New-York _ pour l’écouter (1′ 38) ; la prise de son, très proche, nous fait accéder de très près à l’excellence de l’art de dire de Bernac et de l’art d’accompagner au piano de Poulenc… _ ;

par Nicolaï Gedda et Aldo Ciccolini, en 1967, à Stockholm ;

par Felicity Lott et Graham Johnson, en 1993, à Paris _ une merveilleuse lumineuse version ! _ ;

par Gilles Cachemaille et Pascal Rogé, en 1994, à Corseaux, en Suisse _ c’est tout à fait excellent ! _ ;

par Véronique Gens et Roger Vignoles, en 2000, à Metz _ une exceptionnelle réussite ; pour l’écouter (2′ 00) _ ;

par Lynn Dawson et Julius Drake, en 2004, en Allemagne ;

et par Stéphane Degout et Cédric Tiberghien, en 2017, à Paris _ et c’est très bien aussi…

Et sur le web, j’ai déniché ceci _ vraiment superbe !!! _cette merveilleuse interprétation :

par Régine Crespin et John Wustman, en 1967 _ pour l’écouter (2′ 05).

Et voici maintenant ce qu’analyse Karol Beffa, page 128, de cet exemple de la mélodie « Hôtel » de Francis Poulenc, à propos de ce qu’il nomme « les saveurs jazzistiques » qui « parsèment nombre des pièces » de Francis Poulenc, et cela en dépit de maintes « proclamations » de « détestation« , voire de « phobie« , du jazz, de la part de Poulenc :

« Il est rare que Poulenc utilise l’accord de septième de dominante à l’état pur, il l’enrichit presque toujours d’une neuvième, d’une onzième, éventuellement d’une treizième. Cette construction d’harmonies par empilement de tierces ne surprend pas chez un compositeur post-debussyste. Ce qui est original, en revanche _ nous y voilà _, est l’insistance sur la septième ajoutée, dans les accords majeurs ou mineurs. Sans doute l’inspiration vient-elle du jazz, directement ou par l’intermédiaire de Ravel, la concomitance de certaines innovations harmoniques chez Ravel et chez Duke Ellington faisant qu’il est difficile de déterminer lequel des deux a influencé l’autre. « Hôtel » _ nous y voici ! _, extrait de « Banalités » _ le recueil des 6 mélodies de Poulenc, en 1940, reproduit le titre du recueil des 6 poèmes d’Apollinaire, en 1914 _, est comme un condensé de tous ces traits stylistiques communs à Poulenc, à Ravel et au jazz : enrichissement des accords de septièmes d’espèce et de dominante par ajout de sixtes, de neuvièmes ou de onzièmes, fausses relations intentionnelles, retard de la présence de la basse d’un accord de dominante pour colorer un enchaînement et en différer l’impact. C’est pour toutes ces raisons qu’« Hôtel«  plonge _ superbement _ l’auditeur dans l’atmosphère moite et interlope d’un jazz frelaté« .

Et Karol Beffa d’ajouter alors aussitôt, page 129 :

«  »Hôtel«  m’a beaucoup marqué.C’est à travers cette pièce et d’autres œuvres vocales que j’ai vraiment pénétré l’univers de Poulenc« _ le mystère attractif et fascinant de son idiosyncrasie de compositeur singulier et marquant.

Et toujours à cette page 129 :

« Si l’univers harmonique de Poulenc ne m’a guère influencé, je me reconnais en revanche _ toutes proportions gardées _ dans ce que Jean-Joël Barbier a écrit de sa démarche : « Dans Apollinaire par exemple, il ne choisira pas les poèmes les plus célèbres, mais les meilleurs quant au résultat _ musical _ final _ envisagé-escompté-espéré pour l’imageance féconde de la composition à venir _ (…) : ceux qui laissent une marge autour des mots,  ceux qui n’étant pas rigidement cimentés _ le mot n’est pas très heureux _ au départ, justifient un ciment musical, laissant la place à un espace sonore qui, sans faire pléonasme _ bien sûr ! _ avec les mots, leur donnera, au contraire, des dimensions _ poétiques et musicales _ nouvelles ». 

Et page 130 :

« Poulenc est connu pour avoir été un admirable pianiste et accompagnateur. Et lorsque j’écris _ nous y voici ! _ pour voix et piano, j’essaie de garder à l’esprit le soin extrême qu’il accordait à la partie instrumentale dans ses cycles de mélodies.

Quant à son écriture vocale proprement dite, là aussi il s’y montre un maître, tant il sait parfaitement ce qu’il peut exiger des voix : émettre les aigus les plus doux, les graves les plus timbrés, et toujours dessiner des lignes souples _ fluides, flottantes, aériennes…

« Primauté de la mélodie » : ce credo de Messiaen, Poulenc aurait pu le faire sien« …

Voilà ce que la création singulière d’un compositeur se mettant à son tour à l’œuvre peut, en dialogue hyper-attentif, apprendre à la lecture et à l’écoute extrêmement précises, jusqu’aux plus infimes détails, des œuvres les plus originales, riches et, en puissance, inspirantes, du travail singulier (et de la poiesis en acte !) d’autres compositeurs éminemment créateurs à leur propre table de travail ; et de leur imageance idiosyncrasique féconde, en cet artisanat patient infiniment exigeant et  précis…

« Le style, c’est l’homme même« , disait Buffon :

le défi étant de parvenir, œuvre à œuvre, pas à pas, coup de crayon à coup de crayon (et de gomme) à réaliser _ ainsi nourrie par ce riche dialogue avec d’autres œuvres marquantes  _ cette singularité sienne _ et très vite ce style propre à soi s’entend, se perçoit et se reconnaît…


Ce dimanche 6 mars 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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