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Anniversaire La Fontaine (suite) : l’art de plaire et charmer en toute fluidité du raconter…

09juil

Ce jour,

ce très fin article-ci 400 ans de La Fontaine dans le Figaro,

sous la plume de Jean-Michel Delacomptée :

400 ans de Jean de La Fontaine: «Son rare talent a hissé les fables au rang de la poésie pure»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le 8 juillet 1621 naissait le célèbre fabuliste _ mais pas seulement _ Jean de La Fontaine. L’écrivain et spécialiste de La Fontaine, Jean-Michel Delacomptée, rend hommage à l’homme et à son œuvre.

«Mon sentiment a toujours été que, quand les vers sont bien composés, ils disent en une égale étendue plus que la prose ne saurait dire». (Jean de La Fontaine)

…«Mon sentiment a toujours été que, quand les vers sont bien composés, ils disent en une égale étendue plus que la prose ne saurait dire». (Jean de La Fontaine)

Jean-Michel Delacomptée a notamment publié Notre langue française (Fayard, 2018), grand prix Hervé-Deluen de l’Académie française. Il est aussi l’auteur de remarquables portraits littéraires, en particulier de Montaigne, La Boétie, Racine, Bossuet et Saint-Simon, souvent parus dans la prestigieuse collection «L’Un et l’Autre» de J.-B. Pontalis chez Gallimard. Son dernier ouvrage, La Bruyère, portrait de nous-mêmes (Robert Laffont, 2019), a été salué par la critique.


Le 8 juillet 1621, voilà exactement quatre siècles, Jean de La Fontaine naissait à Château-Thierry. Excepté son œuvre, il reste peu de chose de lui, pour cette raison qu’à sa mort, soixante-treize ans plus tard, il ne possédait quasiment plus rien. Joueur invétéré, s’y ruinant, il avait vendu tous ses biens, dont sa belle maison natale aujourd’hui devenue musée. La modestie de son bureau de travail, à l’étage, représente parfaitement celle de l’homme : une vie sans faits mémorables, passée, à l’âge adulte, dans l’entourage de Nicolas Fouquet, son Mécène, avant la disgrâce de celui-ci en 1661, écoulée ensuite entre Château-Thierry et Paris, et consacrée, pour l’essentiel, à la poésie, à l’amitié, aux plaisirs, ce qu’il avoue sans gêne :

«J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique/ La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien/ Qui ne me soit souverain bien, / Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique».

Il fuyait l’ennui comme pour chasser un vide en lui, livrant cette autre confidence où il s’affiche en papillon du Parnasse :

«Je suis chose légère, et vole à tout sujet:/ Je vais de fleur en fleur, et d’objet en objet ;/ À beaucoup de plaisirs je mêle un peu de gloire».

La gloire, il la connut sur le tard, en 1668, à quarante-sept ans, par ses Fables, genre littéraire mineur venu du fond des âges qu’avaient cultivé deux esclaves, Ésope d’abord, puis Phèdre au temps de l’empereur Auguste, et qui, fort au-dessous de l’épopée et de la tragédie, genres nobles, servait aux collégiens d’exercice de traduction du latin en français. Le miracle, avec La Fontaine, fut qu’il transforma ce pauvre matériau en trésor _ oui. Un premier succès immédiat, précédé par la parution vivement applaudie de Contes en 1665, avant qu’un deuxième recueil de Fables, en 1677, ne confirme à jamais _ en effet _ le génie du poète qui faisait parler les animaux, les jardins, les montagnes. Quelle audace chez cet original qui publia, outre des fables destinées aux enfants, non seulement des contes licencieux, mais _ sur le tard _ des poésies chrétiennes ! Un original, sans conteste, ce folâtre toujours dans la lune, à la fois libertin et proche des jansénistes, solide mangeur, buveur gaillard, débauché sans complexe, et doué du style le plus délicat, le plus raffiné dans ses écrits où prose et vers se mélangent avec un naturel accompli comme si, entre les deux, il ne parvenait pas à choisir. Retenons néanmoins ce qu’il note dans la préface à l’un de ses contes, Joconde, écrit fin 1663 :

«Mon sentiment a toujours été que, quand les vers sont bien composés, ils disent en une égale étendue plus que la prose ne saurait dire». Là se découvre l’un des secrets de ses Fables.

La Fontaine illustre l’aspect typiquement français de scènes villageoises, des manières de Cour, de traditions rurales, de la faune, de la flore, rapportant d’innombrables détails de la vie courante à son époque.

Jean-Michel Delacomptée

Du «Bonhomme», comme on l’appelait, on pourrait dire, «c’est la France». À tout le moins, que c’est le poète français par excellence. Celui qui, hissant les fables au rang de poésie pure, exprima le suc le plus précieux de notre langue tout en faisant de son ouvrage «Une ample comédie à cent actes divers/ Et dont la scène est l’Univers ./ Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle» (V,1). En quoi La Fontaine est « classique« . Il a en effet pour seul sujet la nature humaine. Il observe les idées, les comportements, les sentiments communs aux hommes partout et depuis toujours. Pour lui, comme pour la Bruyère ou La Rochefoucauld, pour ces moralistes à l’ouïe fine et aux yeux perçants, la nature humaine ne change pas, fixée une fois pour toutes. L’hypothèse qu’une révolution puisse inventer un homme nouveau n’existait pas pour eux. Ils étaient trop lucides pour croire à l’alchimie des tables rases. Cependant, sous l’universalisme des situations qu’il campe et des morales de bon sens qu’il édicte, La Fontaine illustre l’aspect typiquement français de scènes villageoises, des manières de Cour, de traditions rurales, de la faune, de la flore, rapportant d’innombrables détails de la vie courante à son époque, tout en les représentant merveilleusement _ voilà _ par la fluidité des vocables, le chant des vers aux ruptures soudaines, le rythme des phrases brèves ou longues, ici trois mots, là une proposition qui serpente comme une rivière. Variété, telle était sa devise _ oui ! En ajoutant la gaieté, non pas tapageuse, mais le sourire en coin _ c’est cela… _ qui s’en laisse d’autant moins conter qu’il fait partie du conte. Car La Fontaine est avant tout un conteur.

Ce rare talent réclame de la fantaisie, et deux qualités essentielles : l’allant du récit, sa musique, sa vitesse, ses lenteurs, ses procédés d’attente, et l’art de peindre avec les mots la singularité des êtres, des lieux, des anecdotes…

Jean-Michel Delacomptée

Ce rare talent réclame de la fantaisie, et deux qualités essentielles : l’allant du récit, sa musique, sa vitesse, ses lenteurs, ses procédés d’attente, et l’art de peindre avec les mots la singularité des êtres, des lieux, des anecdotes. Ainsi, exemple fameux, la vivacité du ton répond à celle des pas, et l’on voit la jeune laitière dans la réalité de sa marche :

«Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait/ Bien posé sur un coussinet, / Prétendait arriver sans encombre à la ville./ Légère et court vêtue elle allait à grands pas ; / Ayant mis ce jour-là pour être plus agile/ Cotillon simple, et souliers plats».

Comment mieux rendre présent ce qui est évoqué ?

Tantôt La Fontaine nous croque une image d’une seule touche :

«Damoiselle Belette, au corps long et floüet».

Tantôt en deux touches :

«Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où, / Le Héron au long bec emmanché d’un long cou».

La scène est posée, l’histoire va suivre, le lecteur est un spectateur dûment convié à participer lui aussi au spectacle. En fait, la leçon de morale importe, mais au second plan. La Fontaine veut instruire, certes, mais d’abord plaire _ oui. C’est un disciple d’Epicure… Le corps de la leçon gît dans la narration autant que dans la chute qui la condense, ce qui n’empêche pas que, frappée comme une monnaie, la morale passera souvent en proverbe. D’où la force avec laquelle ses Fables nous restent en mémoire : elles sont inscrites en nous.

Dans la querelle des Anciens et des Modernes, La Fontaine faisait partie des Anciens, de ceux, donc, qui jugeaient que les auteurs de l’antiquité ne pouvaient être dépassés, mais au mieux égalés. Charles Perrault, qui jugeait que les auteurs du siècle de Louis le Grand valaient bien ceux du siècle d’Auguste, faisait partie des Modernes. La Fontaine et lui étaient membres de l’Académie française. En septembre 1695, quelques mois après la mort de La Fontaine, Perrault plaça son confrère parmi les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle. Au-delà des disputes sur le goût littéraire, l’hommage valait parfaite reconnaissance d’un poète incomparable, reçu comme tel par la postérité.

Un très juste portrait.

Ce vendredi 9 juillet 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Cette mine d’intuitions passionnantes qu’est le « Dictionnaire amoureux de l’esprit français », du turco-suisse Metin Arditi

07mar

Le mardi 26 février dernier,

et suite à mon écoute, le dimanche 24, de l’émission Musique émoi, d’Elsa Boublil,

qui lui était consacrée

_ cf mon article  _,

j’avais brièvement présenté

mon très vif plaisir de l’entame

_ jusqu’à la page 167 / 661, ce premier soir de lecture : j’en arrivais à l’article Debussy, après l’article Dada _

de ma lecture de ce très riche travail

_ de l’helvéto-turc Metin Arditi (né à Ankara le 2 février 1945) _,

sur un sujet qui de très loin, moi aussi, et depuis très longtemps,

me travaille :

je veux dire

les mystères et arcanes de ce « esprit français« 

auquel je suis tellement sensible, moi aussi, dans les Arts

_ et sans nationalisme aucun (ni encore moins de sourcilleuse exclusivité !), est-il utile que je le précise ?!

Il s’agit seulement du simple constat renouvelé chaque fois

et non sans surprise

_ je ne le recherche en effet pas du tout ! Non, mais cela vient me tomber dessus,

et me ravir et combler… _

de ce qui vient au plus profond secrètement me toucher,

et me fait fondre de délectation :

telle la reconnaissance d’affinités intenses comme congénitales…

Voici,

pour aller d’emblée à l’essentiel de ce que vais un peu discuter,

le résumé

Dans ce dictionnaire, l’écrivain sélectionne des traits selon lui exemplaires de la culture française, comme le culte de l’élégance, le sens de l’ironie et l’art de la conversation _ rien à redire, bien sûr, à cet excellent choix-ci. Les entrées abordent aussi bien les institutions, les personnalités et des aspects historiques, de l’Académie française à Louise de Vilmorin, en passant par la haute couture, l’impressionnisme et Jacques Prévert.

puis la quatrième de couverture de ce Dictionnaire amoureux de l’esprit français, de Metin Arditi,

publié aux Éditions Plon et Grasset :

Dictionnaire amoureux de l’Esprit français :

« Je voudrais bien savoir, dit Molière _ plaidant ici pro domo _, si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire. » Partant de ce constat, Metin Arditi examine d’une plume tendre _ en effet _ les formes dans lesquelles s’incarne cet impératif de séduction _ oui… _ : le goût du beau _ davantage que du sublime _, le principe d’élégance _ oui, toujours ! a contrario de la moindre vulgarité _, le sens de l’apparat _ un peu survalorisé par l’auteur, selon moi _, mais aussi le souci de légèreté _ fondamental, en effet _, l’humour _ oui, avec toujours un léger décalage… _, l’art de la conversation _ très important : civilisateur _, un attachement historique à la courtoisie _ parfaitement ! _, l’amour du trait _ d’esprit et parole, seulement _ assassin, la délicatesse _ c’est très, très important aussi !!! l’égard et ses formes, envers l’autre _ du chant classique « à la française » _ la quintessence peut-être du goût français _, un irrésistible penchant pour la théâtralité _ surévalué à mon goût, à contresens de la délicatesse et de la discrétion, selon moi _, l’intuition du bon goût _ oui ! _, la tentation des barricades _ à l’occasion, faute de parvenir à assez se bien faire entendre _, une obsession du panache _ surévaluée, elle aussi, comme le penchant à la théatralité : le panache de Cyrano illustrant la couverture du livre ! _, et, surtout, une _ sacro-sainte et irrépressible ! _ exigence de liberté _ oui, cela, c’est incontestable : ne jamais être comdamné à emprunter des voies toutes tracées, ou disciplinaires ; mais disposer d’une capacité permanente d’invention, et de singularité. En un mot, le bonheur à la française _ oui : à savourer assez paisiblement et durablement en sa profonde et somme toute discrète intensité. À l’heure où chacun s’interroge sur la délicate question de l’identité _ mais non assignable à des traits fermés et une fois pour toutes donnés, invariants… _, ce dictionnaire rappelle que l’esprit français est, surtout, un inaltérable cadeau _ d’ouverture et fantaisie. Une lecture qui fait plaisir… et pousse à réfléchir _ et discuter, entamer le dialogue.

Voici aussi le texte accompagnant le podcast de l’émission Musique émoi du dimanche 24 février dernier,

qui reprend ces diverses thématiques :

Metin Arditi, amoureux  comme personne de  l’esprit français, examine d’une plume légère et souvent espiègle les  diverses formes dans lesquelles s’incarne en France le désir de plaire.

« On ne considère en France que ce qui plaît », dit Molière, « C’est la grande règle, et pour ainsi dire la seule ».


Partant de cet indiscutable constat, l’auteur de ce dictionnaire,  lui-même amoureux  comme personne de l’esprit français, examine d’une  plume légère et souvent espiègle les diverses formes dans lesquelles  s’incarne en France le désir de plaire : au fil des siècles se sont  développés le goût du beau, bien sûr, mais aussi le principe d’élégance,  le sens de l’apparat, le souci de légèreté, l’humour, l’art de la  conversation, un attachement historique à la courtoisie, la délicatesse  du chant classique « à la française », le penchant pour la théâtralité,  l’amour du juste, le goût des barricades, du panache, oui, du panache,  et, surtout, une exigence immodérée de liberté. Ce dictionnaire parle de  Guitry et de Piaf, de Truffaut et de Colette _ oui _, mais aussi de Teilhard de  Chardin, Pascal, Diderot, Renan, Péguy, les prophètes qui ont nourri  les artistes de leur pensée et les ont libérés dans l’exercice de leurs talents.


L’esprit français a aussi ses interdits. Ne jamais être lourd…  Ne pas faire le besogneux… _ c’est en effet capital ! Et Nietzsche vénérait tout spécialement cet aspect-là de l’esprit français… Comment plaire, sinon ?


Au fil des pages, ce dictionnaire rappelle que le goût des belles choses a _ aussi _ un prix _ économique, financier _, qu’un tel bonheur ne vient pas sans facture _ à régler in fine ! À défaut,  l’esprit français ne serait pas ce qu’il est… _ assez impécunieux…  Sans vouloir  transformer un pays qui, c’est heureux, n’est pas transformable, on  pourrait peut-être imaginer, ça et là _ mais c’est bien un vœu pieux ! une pure vue de l’esprit… _, quelques mesures aptes à diminuer _ mais est-ce vraiment réaliste ? _ le montant de l’addition.


À l’heure où chacun s’interroge sur la délicate question de l’identité du pays, ce dictionnaire rappelle combien l’esprit français est un  cadeau _ sans prix, eu égard au bonheur (d’être vraiment d’esprit français).

 

Je regrette aussi que manquent en ce Dictionnaire amoureux

certaines entrées

que pour ma part je trouve bien plus essentielles

que Sacha Guitry ou Edmond Rostand,

telles

Joachim du Bellay, Montaigne, Marivaux, Chardin, Monet, Paul Valéry, Pierre Bonnard, Charles Trenet, par exemple,

qui,

les uns comme les autres,

ont si merveilleusement _ et idiosyncrasiquement : un trait lui aussi bien français ! _ su chanter

l’incomparable douceur de notre France.

En tout cas,

j’éprouverais un très vif plaisir à dialoguer de tout cela

avec Metin Arditi,

s’il venait à Bordeaux.

Ce jeudi 7 mars, Titus Curiosus – Francis Lippa

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