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A propos du Roma de Bernard Plossu : un très bel article de Fabien Ribéry

11jan

Ce jour,

mon ami Bernard Plossu m’a fait parvenir un superbe article de Fabien Ribery

à propos de son superbe album, aux Éditions Filigranes,

Roma.

Voyages à Rome, par Bernard Plossu, photographe

par fabienribery

© Bernard Plossu
« Tout au 50 mm en noir et blanc, effets interdits, vision pure, classique – moderne quoi
Il y a le monde, oui, peut-être, gisant là comme un pantin effondré _ qui se découvre, ainsi donné et surtout saisi, au vol, en marchant voire dansant, en une sorte de sidération émerveillée, mais active et lucidissime : quel œil fantastiquement lucide que celui de Plossu ! _, et le monde _ aussi : quel plus ! délicieusement richissime, instantanément cultivé pluriellement, tout surgit immédiatement en ce regard… _ selon William Klein, Robert Frank, Walker Evans, Pablo Picasso, Jean Siméon Chardin, Giorgio Morandi, et Le Bernin, Borromini, Mimar Sinan _ c’est-à-dire le monde vu par bien d’autres artistes éclaireurs vivaces du regard (sur les espaces) ; et pas des moindres ; et des plasticiens d’abord (photographes, peintres, sculpteurs, architectes), mais pas uniquement ; la culture faite sienne par soi est nécessairement ouvertement plurielle (la musique y a aussi sa part, comme la cuisine, et les odeurs et les parfums, un peu typés ; comme les couleurs). La culture, ce sont des ponts, des voies, et pas des murs ou des remparts et fossés…
Il nous faut Paul Cézanne pour approcher un peu ce qu’est une pomme _ certes ; et l’on connaît l’assidue fréquentation aixoise par Plossu de l’atelier de Cézanne au chemin des Lauves…
Il nous faut Marcel Proust pour comprendre les mystères du temps _ merveilleusement retrouvé, repris, et travaillé, re-travaillé.
© Bernard Plossu
Il nous faut Le Christ voilé _napolitain _ de Giuseppe Sanmartino pour ne plus craindre de mourir totalement.
Il nous faut Ordet de Carl Theodor Dreyer _ là, j’y suis un peu moins : Rome est ultra-catholique… _ pour recommencer à prier.
Et il nous faut maintenant Bernard Plossu pour entrer à Rome _ entrer est magnifiquement choisi ! Entrer, et arpenter, ré-arpenter, joyeusement, à l’infini…
Livre publié par Filigranes Editions – tirages de l’ami italianophile Guillaume Geneste -, Roma _ 1979 – 2009  _ est le fruit de trente ans d’arpentages _ ce mot qui me plaît tant ! cf mes 5 articles sur Arpenter Venise du second semestre 2012 : , , et _, de déambulations, de flâneries amoureuses _ voilà _ dans la ville délicieuse _ on ne le soulignera jamais assez : quelles délectations nouvelles rencontrées à l’improviste chaque fois !
voilà
© Bernard Plossu
Le regard est d’un passionné de cinéma (De Sica), de peinture (La Scuola Romana), de littérature (Andrea Camilleri _ mais plus encore les vraies romaines que sont Rosetta Loy et Elisabetta Rasy ! _), parce que la culture _ plurielle, formidablement, et sans casiers jamais clos : la culture vraie, ce ne sont que des ouvertures et des invites à regarder toujours mieux un peu plus loin et d’abord tout à côté ; et pas toujours fétichistement au même endroit et sous la même sempiternelle focale… _ n’est pas que l’apparat de la domination analysé par Bourdieu, mais un mode d’accès majeur _ voilà : accéder (et surmonter) n’est pas si courant, tant nous en barrent les clichés des copier-coller à l’identique de la comm’ _ à l’autre, à l’être, à soi _ oui : l’autre, l’être, soi : constitué de myriades de pièces s’ajointant (et s’enrichissant ainsi) à l’infini d’une vie vraiment ouverte.
Ici, les ruines ne sont pas abordées comme un spectacle de délectation romantique _ à la Gœthe lors de son long séjour (de plus de deux années) romain : c’est seulement à la fin de son séjour que Gœthe en vient à s’affranchir enfin des clichés partagés ; cf mes articles des 22 et 23 mai 2009 :  et … Et en les relisant, je me rends compte que je m’y entretenais avec Bernard Plossu ! _, mais comme une source de vie _ oui ! _, une puissance _ éminemment constructive de joie bien effective _ existentielle _ à la Spinoza _, des directions sensibles _ à arpenter, step by step, toujours un petit pas plus loin ; cf le regard sur Rome du sublime L’Eclisse d’Antonioni (en 1962)…
A Rome, malgré la vulgarité marchande effrayante (relire les Ecrits corsaires de Pier Paolo Pasolini _ cher à mon ami René de Ceccatty _ ; revoir Ginger et Fred, de Federico Fellini), nous pouvons ne pas être seuls, mais portés, aspirés, exaltés _ oui _, par des siècles de raffinement, de délicatesse _ oui _, de _ très _ haute civilisation.

© Bernard Plossu
Pour Plossu, Rome est un aimant, un amer, un amour : « Rome m’attire sans arrêt, j’y vais presque chaque année et je photographie en désordre _ oui _, surtout rien de systématique ni d’organisé ! _ bien sûr : en parfaite ouverture à l’inattendu du plus parfait cadeau de l’imprévu non programmé, qu’il va falloir saisir au vol de sa marche dansée, quand il va être croisé… Divin Kairos ! Quartier par quartier _ bien sûr : aux frontières-passoires étranges, par exemple celles du Ghetto du Portico d’Ottavia, avec sa fantastique pâtisserie… _, n’écoutant que mon instinct et surtout ma passion _ pour Rome _ : je suis amoureux fou de cette ville et, en même temps _ c’est un autre pan essentiel du goût de Bernard pour quelque chose d’essentiel de l’Italie _, de toutes les petites îles italiennes où je vais le plus souvent possible » _ et je suis impatient aussi de la publication à venir de ses regards sur les îles (surtout les plus petites : les plus îliennes des îles !) de la Méditerranée.
A Rome, il y a les amis, installés ou de passage _ les Romains de longtemps, c’est tout de même mieux… _, le couple Ghirri, l’architecte Massimiliano Fuksas, Jean-Christophe Bailly, Patrick Talbot qui lui fait découvrir l’intégralité du _ sublime _ palais Farnèse _ pas seulement la galerie des Carrache _ (un cahier de plus petit format est inséré dans l’ouvrage), tant d’autres.
Toute occasion, invitation, proposition, est _ certes _ bonne _ utile _ à prendre _ pour le photographe voyageur _, qui permettra d’effectuer _ voilà : œuvrer, et s’accomplir, en photographe de la plus pure et simple, non banale (à qui sait la percevoir et la capter), quotidienneté... _ de nouvelles photographies, de faire des découvertes _ voilà le principal ; en tous genres, et à foison !

© Bernard Plossu
Non pas d’épuiser le lieu _ ce qui est bien heureusement impossible : quel fou rêverait de cela ? _, mais de l’ouvrir toujours davantage _ et l’attention aux détails les plus particuliers des instants intensément ressentis, au passage si furtif du présent, mais ainsi saisis (par le pur instantané de l’acte photographique) en leur éternité, est ici tout particulièrement d’une richesse incroyablement profonde et infinie pour qui les regarde, ne serait-ce qu’un instant, ainsi vivifié-magnifié, maintenant… Voilà ce qu’apporte le regard sur le livre.
Aucune grandiloquence _ superficiellement décorative et extérieure, répétitive _ ici _ non : rien que du singulier délicieux raffiné _, mais de l’intimité _ oui _, de la familiarité _ mieux encore _, du simple _ comme le plus chaleureux et fraternel de ce qu’offre une vie, notamment dans les rues _, comme dans un tableau du maître Camille Corot.
Le sublime est un kiosque à journaux inondé de soleil, une devanture de magasin, un tunnel de périphérique, une moulure de cadre, une chaise, les longues jambes d’une passante, un pavé luisant, un if _ l’un après l’autre, et en une telle diversité : à l’infini de ce qui se prodigue si généreusement à qui passe ; tels les si incroyables merveilleusement imprévisibles, et surtout plus délicieux les uns que les autres, parfums des glaces de Giolitti, Via degli Uffici del Vicario, 40, peut-être le centre même du monde. A fondre de bonheur sous la langue… Il y a aussi les restaurants romains que connaît si bien ma fille Eve, pour avoir été romaine une année…
Venant de Santa Fe, passé par le désert _ oui : le contraste est assez impressionnant, mais pas tant que ça, à un peu y réfléchir : il y a en chaque vie un côté de Guermantes et un côté de chez Swann… _, Bernard Plossu découvre à Rome _ et s’en réjouit à l’infini _ un summum de présence _ voilà : fémininine, généreuse, maternelle ! _, une énigme métaphysique _ offerte _ à sa mesure, une joie de Nouvelle Vague _ cinématographique aussi, en effet _ poursuivie jusqu’à aujourd’hui _ sauf que le cinéma italien a, lui aussi, maintenant, pas mal hélas décliné. Bernardo Bertolucci est décédé le 26 novembre 2018.

© Bernard Plossu
De la classe _ toujours : et à un point extraordinaire ! _ en pantalon moulant ou robe de soirée, de la piété _ aussi, et aussi populaire _, des palais _ à foison ; des églises aussi, même si le plus souvent fermées au public ; avoir la chance d’y pénétrer quelques instants, à l’occasion furtive de quelque messe ou cérémonie, se prend et reçoit avec gratitude comme un petit miracle…
Des statues ont perdu leur nez, ou leur tête, ou leur phallus, si belles et fortes dans leur vulnérabilité même _ une richesse poétique du temps et de son œuvre ouverte.
Cité du dieu unique des catholiques, Rome est aussi _ bien sûr _ païenne, polythéiste _ oui _, animée de mille entités de grande vigueur _ assurant sa pérennité.
Le photographe la parcourt en tous sens _ bien sûr, Rome, elle aussi, est un labyrinthe : peu de voies qui soient tout uniment droites _ à pied, la regardant aussi de la vitre d’un train, d’un autobus, d’une voiture _ un dispositif très plossuien, intégrant (et surmontant) une dimension de défi à la vitesse, tout en étant protecteur : une distance demeure, hors viol. Et aidant au cadrage…

© Bernard Plossu
Rome est Cinecittà, kinésique, cinétique, cinématographique _ oui.
Vous arrivez à Roma Termini _ ou à Roma Ostiense, parfois aussi : en plein cœur déjà de la Ville… _ mais tout ne fait pourtant que commencer, recommencer, reprendre vie _ voilà, avec éclat, mais sans excès de théâtralité : pas pour quelque galerie extérieure ! juste pour dérouler son propre innocent plaisir, sa joie… Ni vulgarité trash, ni affèterie, jamais, chez Plossu… _ dans la bande passante _ voilà _ de votre regard _ dont témoigneront quelques unes, heureuses, des milliers de photos alors prises.
Un pyramidion, une arche, un parapluie _ oui.
Des voitures, des escaliers, des jardins _ belles spécialités romaines, en effet.
Des empereurs, des cyclistes, des naïades _ voilà ; les fontaines sont aussi une splendeur romaine…
Comme dans ce que donnent à apercevoir de Rome, par exemple, les merveilleux Journal intime de Nanni Moretti (en 1993) et La Luna de Bernardo Bertolucci (en 1979).

© Bernard Plossu

Des rails et des murailles.
Le Colisée _ sans y _ et ses lions.
Les toitures et les chambres d’hôtel _ Bernard m’a fait cadeau d’un tirage d’une magique vue de nuit prise d’une fenêtre de sa chambre d’hôtel près de Sant’Eustacchio… Un quartier que j’idolâtre, moi aussi, autour du sublime Panthéon, et non loin de Navona.
Les anonymes, le peuple, la rue _ si importants ici, en la noblesse sans apprêts de leurs allures chaloupées et rapides.
Roma témoigne du corps de son auteur _ marchant, dansant, lui aussi _, d’un esprit _ ouvert _ sans cesse en mouvement, d’une volonté de voir _ vraiment ce qui passe, se croise, dans le plus vif de l’instant bientôt évanoui _, encore et encore, jusqu’à l’ivresse _ oui, comme en témoignent les photos qui restent. Bref, ce qu’offre Rome à qui s’est dépris des œillères des clichés.
Roma _ le livre que, page après page, nous regardons _ traverse le temps, entre ici et là, regarde un arbre, une place, une foule, un prêtre, une femme.
Roma ? Amor fati bien sûr _ en ayant le malicieux divin Kairos de son côté, avec soi : à la suite du regard de Bernard Plossu…


Bernard Plossu, Roma, 1979-2009, textes Alain Bergala, Patrick Talbot et Bernard Plossu, Filigranes Editions, 2019, 320 pages
Filigranes Editions

© Bernard Plossu

Roma, pour rajeunir dans l’éternité la plus fraîche et vive que peut offir une vie

_ sa vie à soi, ouverte au meilleur le plus réjouissant de la vie des autres,

par la grâce d’un vrai pur regardeur tel que Bernard Plossu _,

ou la joie même.

Un bien bel article de Fabien Ribery.

Pour un nouveau chef d’œuvre de l’ami Bernard Plossu.

Ce samedi 11 janvier 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

De la place de la pudeur dans l' »intimité Plossu » : conversation à distance…

25fév

Pour continuer d’explorer l’intimité dans la poïétique des artistes qui me touchent le plus,

telle Elisabetta Rasy _ cf mon article du 22 février : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy » _,

ou tel Bernard Plossu _ cf mes articles du 27 janvier : « L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma” » ; et du 14 février derniers : « Bernard Plossu de passage à Bordeaux : la photo en fête ! pour un amoureux de l’intime vrai… » _,

voici un article, « Plossu Cinéma au FRAC PACA » _ signé Nathalie Boisson _, du magazine (gratuit) marseillais Ventilo tel qu’il vient de m’être transmis, hier soir, par l’ami Bernard Plossu :

De :   Bernard Plossu

Objet : Trans. : suite mail précédent interview Taktik Ventilo en fait !!
Date : 24 février 2010 19:15:11 HNEC
À :   Titus Curiosus

interview dans la revue Ventilo

plo

—–E-mail d’origine—–
De : Denis Canebière

A : Bernard Plossu

Envoyé le : Mercredi, 24 Février 2010 17:03
Sujet : suite mail précédent interview Taktik Ventilo en fait !!


Bernard,
Dans mon mail précédent, je te parle de Taktik qui est l’ancêtre du journal gratuit actuel Ventilo !
C’était au siècle dernier !
Correction donc !
Il s’agit de Ventilo et pour me faire pardonner, au cas où tu ne l’aurais pas déjà, voici le lien : http://www.journalventilo.fr/expo/ 
Amitiés
Denis C

Le voici donc ici aussi ! Farci, selon ma coutume, de commentaires miens (en vert)…

expo

Plossu cinéma au FRAC PACA

Publié le 24 fév 10 dans Expo

L’interview : Bernard Plossu

Rencontrer Bernard Plossu, c’est un peu comme réactiver la célèbre formule de Lautréamont : « Beau comme la rencontre _ voilà _ fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection » _ en un peu moins potache (!) et surréaliste, probablement… C’est convoquer _ gentiment ! _ une esthétique de la surprise _ en effet ; en douceur _, une poésie du quotidien où la beauté est une trouvaille fugace _ c’est tout à fait cela ! à apprendre à accueillir… Généreux _ et comment ! _, le photographe a accepté de partager une partie de sa sagesse _ ça peut se dire ainsi… _ en se soumettant au questionnaire de Sophie Calle _ même si assez peu plossuïen (ou plossuïenne : pour la dame) ; et c’est un euphémisme ! : remarquer le niveau particulièrement gratiné de « négativité«  de la moindre des pistes proposées par ce « questionnaire«  callien ! : « mort« , « rêve« , « détester« , « manquer« , « renoncer« , « défendre« , « reprocher«  et « servir«  ! nous voilà en plein dans l’air nihiliste du temps ; et donc aux antipodes d’un Bernard Plossu !!! mais Bernard n’entre pas dans ce piège… _, puis de se dévoiler _ un peu : avec délicatesse _ le temps d’un abécédaire improvisé _ pourquoi pas ?

Plossu-portrait.jpg


Quand êtes-vous déjà mort ?

Je suis mort de douleur en 1985, mais je ne révèlerai pas pourquoi. En revanche, je suis retourné à la vie en 1986.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Eh bien je les rêve encore. Plutôt que de rêves, je parlerais du réel de l’enfant _ « réel«  tout imaginatif, ludique ; lire là-dessus (le génial) Winnicott… _, et en ce qui me concerne, un enfant qui lisait beaucoup de bandes dessinées et a donc appris à cadrer avec la ligne claire très tôt _ un élément important dans l’historique de la poïétique photographique Plossu ! A quand, après le Plossu Cinéma, un « Plossu BD ligne claire«  ?.. Ce qu’il y a dans le carré explique _ fait comprendre _ tout le reste, ce qui se passe autour _ le hors cadre : le monde autour… Et en fait la photo, c’est la mise en rectangle ou en carré des leçons _ voilà comment procède l’intuition foudroyante (à mille à l’heure) de l’artiste _ que j’ai apprises _ voilà ! quand la plupart n’apprennent jamais rien ! de rien ! ni de personne ! ah ! la pédagogie ! quel art d’atteindre (= dégeler ; et disposer à l’élan et à la joie de réfléchir) les cervelles !… _ de la ligne claire en BD. Donc, ce ne sont pas les rêves d’enfant, c’est plutôt le côté rêveur _ à la Bachelard (l’art de la rêverie), alors ; pas à la Freud (et le rêve nocturne : inconscient, lui) ; ou plutôt « le côté joueur« , à la Winnicott !.. Un très grand ! A re-découvrir ! _ d’une vie d’enfant _ continué toute sa vie d’adulte par l’artiste, « jouant«  : mais oui !!! on ne peut plus sérieusement et joyeusement à la fois. Vivre, c’est « habiter«  la vie « en poète«  : en dansant… Et c’est divin : cf Nietzsche : « je ne croirais qu’en un dieu qui sache danser«  !…

Citez trois artistes que vous détestez
Le mot est trop fort _ un peu violent _, il y a _ seulement _ une énergie _ voilà ! _ qui ne me correspond pas _ simplement… _ : « entrer en correspondance«  avec une énergie est bien, en effet, la « proposition«  de l’artiste ; et au spectateur, lui, et alors, de « se connecter«  ou pas (« à la chinoise«  : cf François Jullien, par exemple dans La Grande image n’a pas de forme…), à l’énergie « proposée« , en fonction de la co-disposition des formes (elles-mêmes encore un peu mouvantes ; et plus ou moins émouvantes) présentées, par cette œuvre rencontrée, venant entrer ici et maintenant en composition avec ses propres dispositions cinesthésiques du moment (de cette rencontre avec l’œuvre) ; ou de toujours, aussi : c’est cette « connexion« -là que Baldine Saint-Girons nomme on ne peut mieux proprement « acte esthétique » (son livre, passionnant, est magnifique !) ; et souvent, sinon le plus souvent même, nous, spectateurs potentiels, nous y refusons, à cette « connexion«  d’énergies, nous n’y sommes pas prêts ; ou carrément la rejetons ; et ce pour des raisons de non agrément qui peuvent même être, parfois, parfaitement fondées !.. D’autres fois, et même le plus souvent, nous subissons seulement les conditionnements des autres, sous forme de goûts (socialement) institués (c’est ici qu’on peut lire Bourdieu ; ou Lahire ; ou Nathalie Heinich…), formatés, et figés, fossilisés ; et notamment sous l’aspect de « modes«  (sociales ; et idéologiques). Bref, que ce soit pour de bonnes, ou pour de mauvaises raisons, je veux dire qui soient fondées ou pas, nous nous anesthésions nous-mêmes le plus souvent face aux « propositions«  (ludiques pourtant) des œuvres des artistes… En peinture, je n’aime pas Fernand Léger, De Stael, Mathieu _ trop massifs, probablement ; voire, pour le dernier du moins, poussifs, ajouterais-je… En photo, plutôt que de nommer _ un Gary Winogrand ? un Sebastiaõ Salgado ?.. là, c’est moi seul qui m’avance ! pas Bernard ! _, je préfère ne dire que ce que je n’aime pas : le trop grand angle _ trop embrassant, mal étreignant… _, le spectaculaire _ voilà ! soit l’inverse de ce que je qualifierais de l’attention fine du  « choix de l’intime«  plossuïen… _ qui en fonçant le ciel des images rajoute _ vulgairement : en surlignant ; pour les un peu trop lourds, ou pas assez finauds, qui risqueraient, les disgraciés, de ne pas assez vite « piger » ce qu’il y aurait ici à leur « communiquer« , en le pointant plus fort du doigt : ce sont, ceux-là, des « communiquants«  (et ils « savent faire »…) ; et on comprend que le succès, via les médias, leur arrive ; et se répande, massif : c’est plus gros et facile à repérer (comme « marque«  de fabrique)… _

le spectaculaire qui en fonçant le ciel des images rajoute, donc, une couche au drame _ à ces « couches«  massives lourdingues, la touche toute de vivacité de Bernard Plossu préfère un grain léger très fin… C’est exactement le même principe qu’au cinéma, lorsque la musique devient _ pléonastiquement _ dramatique _ trémolos aidant _ pour que le public soit bien conditionné _ et pris : voilà ! Une bonne photographie, c’est une photo qu’on _ ou qui ? _ ne doit pas conditionner à l’avance _ ce qu’Umberto Eco baptise du joli nom d’« œuvre ouverte«  Enfin, je n’aime pas le manque de pudeur _ voilà le mot-clé lâché. Ils sont plus que trois, les photographes qui font de mauvaises photos de nu _ par exemple : trop près d’être « pornographiques«  ! _ et n’ont pas compris que la plus grande beauté de la photo, c’est la pudeur _ et on en trouve quelques unes, de ces photos de « nu«  éminemment pudiques, dans l’œuvre Plossu, sans chercher très loin.

Vous manque-t-il quelque chose ?
Vu la passion _ voilà : sans ce moteur (proprement thaumaturge), que peut-il jamais se faire, en Art du moins (mais dans la vie aussi) ?.. rien qui ait de l’élan, en tout cas… _ que j’ai pour l’objectif de 50 mm, il ne me manque rien, je crois _ c’est magnifique ! Bernard n’a rien, lui, chère Sophie Calle, d’un frustré : de Sophie Calle, je me souviens surtout de l’inénarrable « No sex to-night » : quelle sublime expérimentation ! Combien de gogos suivent cela ?.. Le 50, c’est l’objectif de la redoutable intelligence et de l’acuité visuelle _ voilà ! l’acuité du regard et son intelligence ! C’est une jolie métaphore que de s’apercevoir qu’un objet technique peut t’apporter _ en prolongement du travail propre de l’œil, en quelque sorte ; c’est à dire le déploiement de l’acte crucial du regard : sur ces « lunettes« -là, se faisant parfois « télescope« , et parfois « microscope« , bref : mouvement d’accommodation constant, on trouve une sublime remarque de Proust dans Le Temps retrouvé ; le passage est fort justement célèbre… _ l’âme _ voilà _ que tu recherches _ et c’est la tienne, l’artiste ! qu’il te faut simplement désherber de ce qui l’encombre… _, et en même temps c’est un choix très rigoureux _ au résultat photographique net et impitoyable (y compris avec du flou !)…Et c’est aussi cela que je trouve dans le cinéma (= l’œil en mouvement formidable) d’Antonioni…

Sur cet œil-là « au travail« , je conseille le très beau journal de travail du film Par delà les nuages (Al di là delle nuvole), en 1995, qu’a tenu très scrupuleusement Wim Wenders : Avec Michelangelo Antonioni _ chronique d’un film (aux Éditions de l’Arche, en 1997)… C’est un document irremplaçable sur la poïesis du cinéaste Antonioni _ à l’œil incomparablement photographique ; là-dessus j’ai écrit tout un essai : « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise« , avec ce sous-titre un peu explicitatif : « Un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni«  : inédit…

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux voyages lointains, pas uniquement à cause de l’âge, parce que j’ai déjà beaucoup voyagé, mais aussi parce que les pays « motivants » ont été complètement matraqués _ oui _ de voyages organisés, où les gens _ débarqués en « touristes«  et constamment pressés… _ ont abusé _ oui _ de la photo et emmerdé le Tiers Monde _ oui _ en leur mettant un numérique sur le nez sans aucun respect, aucune pudeur _ par rien moins que « vols d’âmes«  Il faut voyager en ami _ mais oui _, pour partager ses photos _ et être « reçu » avec une hospitalité « vraie«  _, pas en conquérant _ que de malotrus prédateurs (= touristes grossièrement voyeurs en même temps qu’exhibitionnistes) de par tous les déserts (forêts, montagnes) les plus reculés du monde, désormais !..


Que défendez-vous ?

Les jeunes photographes, passionnément _ mais oui ! Et, je déteste qu’on dise d’un jeune photographe qu’il me copie. Il ou elle a tout à fait le droit de copier _ = prendre modèles, pour « commencer«  _ ses aînés _ qui l’ont simplement « précédé«  dans le temps ; c’est-à-dire « essayé«  déjà, eux aussi, un peu, avant lui-même… _ pour se trouver _ voilà, voilà le but : un artiste a à « se former« , peu à peu, acte après acte, avec patience et obstination, afin de « se découvrir« , peu à peu, et « devenir« , enfin, peu à peu aussi, et de plus en plus, et de mieux en mieux, presque « lui-même«  (la coïncidence n’étant qu’un idéal asymptôtique ! jamais complètement pleine ! ni, encore moins, et heureusement, définitive ! il y a toujours, et joyeusement, à continuer à « œuvrer«  !) ; l’identité se construit (toute une vie) dans la multiplicité des rencontres, des apports, des échanges, des « introjections«  assumées et dépassées ; et surtout celles, rencontres, qui sont « vraiment«  fécondes et « vraiment«  ouvertes ; pas dans la fermeture et l’isolation ! qui sont pauvreté ; et négation de soi ! Moi aussi, j’ai copié _ c’est-à-dire imité : « mimesis«  est le mot qu’employaient Platon et Aristote… _ tout le monde _ comme les peintres débutants (et continuant toujours à se former, évoluer), apprennent en imitant les maîtres (= en apprenant d’eux et par eux) ; l’isolement est une stérilisation ! une barbarie ! qu’on y réfléchisse un peu plus et mieux à l’heure de la diminution imposée (pour raisons de « saine économie« , qu’ils serinent et claironnent ! en pratiquant la charité la mieux « ordonnée«  qui soit, bien entendu, ces « vertueux«  en exhibition ! ici, lire Molière, en plus de La Fontaine…), à l’heure de la diminution imposée des horaires d’enseignement (eh ! oui !) en classe… Là-dessus, lire aussi l’indispensable Prendre soin _ de la jeunesse et des générations du vigilant et infatigable et passionnant Bernard Stiegler… L’exposition Plossu cinéma, ça n’est que _ ici, comme une exagération orale : rhétorique… _ de la copie de cameramen

_ ceux d’Antonioni ; ou le Coutard de Godard : cf la phrase, page 180 de Plossu Cinéma, dans l’échange magnifique et si important avec Michèle Cohen dans la voiture entre la Ciotat et Aix : « Récemment je t’ai écrit que je trouvais les scénarios d’Antonioni rasoirs et bourgeoisement convenus ; mais je dois, je me dois, en homme d’image, de dire que la photographie de la trilogie en noir et blanc est grandiose ! La Notte avait pour directeur de la photo Gianni di Venanzo, L’Avventura, Aldo Scavarda, et L’Eclisse, Enzo Serafin _ Bernard le sait par cœur ! Comme c’est étrange que ce soient trois directeurs différents ! Pourtant le ton, ultra photographique, est si semblable : du coup totalement du Antonioni ! La séquence de la fin de L’Eclisse, ces quinze ou vingt minutes tout en photographies filmées, est tellement belle, tellement moderne, comme on aime à dire maintenant, d’un mot qui veut tout dire vaguement.«  Etc.. Et Bernard de citer derechef Raoul Coutard, par exemple dans Alphaville de Godard… « Le rôle des « directeurs de la photo » n’est pas assez connu du public. Les musiques, après tout, font parler d’elles au cinéma. Alors pourquoi ne parle-t-on pas plus des photographes de films ? » Voilà !.. _, et c’est ce que j’aime dans cette expo _ Plossu Cinéma _, montrer d’où je viens _ ce que Alain Bergala nomme, dans sa contribution (aux pages 16 à 27), dans le livre, si beau, Plossu Cinéma : « Le cinéma séminal de Bernard Plossu » : « séminal » en sa poïétique photographique ! rien moins !.. Fin de l’incise sur la photo au cinéma lui-même ! _

Il y a un côté courageux et culotté de montrer ses racines _ voilà _ et de dire qu’on a copié _ c’est-à-dire qu’on s’est « inspiré » des autres, tout simplement… Nul n’est une île !

Que vous reproche-t-on ?
De faire trop de livres. L’expo du FRAC montre à quel point je fais des livres comme un cinéaste fait des films. Je fais deux sortes de livres : les purement créatifs ou expérimentaux, comme Plossu Cinéma _ sur une idée (de génie !) de Michèle Cohen, la directrice de la galerie LaNonMaison à Aix-en-Provence : comment le petit Bernard est devenu Plossu ! _, qui correspondent à mon langage _ ainsi que sa poïétique, en mon vocabulaire (cf Le Poétique de Mikel Dufrenne, en 1963, aux PUF)… _, et les commandes _ ce sont celles-là qui lui sont reprochées (ou plutôt, en fait, jalousées !) ; cf mon article d’indignation du 15 juillet 2008 : « Probité et liberté de l’artiste« , à propos d’une critique acerbe à l’égard du si beau et si juste (= si rigoureux dans la réalisation de ses objectifs) Littoral des lacs, une « commande« , en effet, du Conservatoire du littoral pour les deux départements de Savoie… L’article n’a pas vieilli ! Donc, au final, ça fait beaucoup _ soit une œuvre ! Mais cette démarche a permis _ oui ! Eluard dit que le poète est « moins l’inspiré que l’inspirant«  _ à d’autres jeunes photographes d’oser _ oui ! on est d’abord timide ! trop craintif, pour la plupart… _ le faire. Au fond, un éditeur a plusieurs auteurs pour vivre, pourquoi un auteur n’aurait-il pas droit lui aussi à plusieurs éditeurs ?

A quoi vous sert l’art?
L’art sert

_ un mot bien ambigü… ; mais l’art a toujours des visées, en effet ; même s’il n’est jamais simplement « moyen«  en vue d’une rien qu’« utilité«  (servile) ; auquel cas, il s’agit seulement d’une « technique« , mécanique et reproductive : mécanisable… ; et quant à l’Art (avec la majuscule) servile, il s’agit de celui des propagandes, et pas seulement celles, plus commodes à stigmatiser (tant elles sont peu discrètes), évidemment, des régimes totalitaires !.. Par exemple, ce pseudo Art admirable qui se met au service relativement discret des saints et saintes « Communication« , « Idéologie » (relookée et maquillée style invisible-imperceptible, désormais) et « Marketing« … _

l’art sert, donc, avant tout à partager (pour les autres _ ce qu’il donne à ressentir et éprouver : merci de cette générosité inépuisable… _) et à être curieux (pour soi _ et à l’infini : et Titus Curiosus d’opiner ! à son tour… _). Je dis souvent à mes élèves de ne pas s’intéresser _ de manière désintéressée : cela ne se forçant pas… _ qu’à la photo _ certes ! les « voies«  du sens et de la sensibilité (et donc de la création : tout ensemble !) sont multiples ; et s’interconnectent, aussi !.. Aujourd’hui, je rentre du jardin de Monet à Giverny. A quoi sert ce jardin ? Il a été un prétexte, « un motif » _ oui ! qui met en « mouvement » et « émeut« , rend plus « mobile«  : voilà son étymologie ! il « inspire«  ; et fait mieux respirer ! _ pour l’art de Monet _ lui-même, d’abord _, et il a tellement marqué l’histoire de l’art que c’est devenu un jardin pour le monde entier. On retombe sur cette idée de partage entre le particulier et l’universel _ et du jeu d’ouverture entre ce qui est « dans«  le cadre, et ce qui du monde autour y entre, « venant y pénétrer«  discrètement, presqu’invisiblement, aussi, pour qui s’y sensibilise, à ce « cela«  (presqu’invisible) du monde, avec et grâce à l’artiste, qui nous le fait ainsi délicatement « entrevoir« , percevoir et recevoir ; a contrario des foules d’« anesthésiés«  (et donc insensibles, sourds, aveugles, etc.., Béotiens satisfaits d’eux-mêmes, « idiots«  au sens littéral du terme !) « auto-anesthésiés«  par précaution ; en expansion, hélas, par les temps qui courent : l’humanité est en train d’en crever !.. Cf la fausse sagesse mesquine (criminelle autant que suicidaire pour la civilisation !) des trois singes… D’où la bêtise sans nom et le crime grave qu’est l’absence d’apprentissage véritable (grâce à un enseignement, d’abord, effectivement digne de son nom ! suffisant ! et pas light !) et suffisamment développé de ce que sont les démarches d’Art (= la poïesis en acte et en œuvres !) à l’école : au lycée !!! L’art, c’est aussi un effort _ un geste, un écart, d’un millième de seconde même, le plus souvent… _ qui nous oblige à ralentir _ voilà : dans un monde de pressés, aux « ratiches«  si longues, qu’elles labourent le sol ! ceux-là ne sont pas des artistes !_, à ne pas faire comme cette personne qui vient de passer à toute vitesse avec son 4×4 _ ah ! les 4×4 ! et le mépris des autres… _ dans un endroit où il y a des gens _ qui passent, eux aussi ; et peuvent se faire écraser : par ceux-là, du 4×4, sans égard… L’art, c’est être capable de lever le pied _ tel le narrateur de Du côté de chez Swann, s’abîmant une heure entière à contempler en son détail, tellement luxueux, une haie (éblouissante en son éclat) d’aupébines… _, c’est lutter contre la vulgarité _ certes : que de faux artistes blin-bling, encore, courant nos rues, nos places, nos avenues ; et même nos palais de la république : avec la complicité obséquieuse des micros et caméras des medias ! cf mon article, par exemple, du 12 septembre 2008 : « Decorum bluffant à Versailles : le miroir aux alouettes du bling-bling« …

PETIT ABECEDAIRE

Plossu

A comme… Afrique :

le continent de l’origine _ peut-être pas toute, tout de même… Mozart, ainsi, n’était pas « Africain« … Bernard parle ici surtout du jazz… et du rythme… _ de la musique, de la danse… L’Amérique ne serait rien culturellement _ hum ! hum ! _ sans la musique africaine. Tous les musiciens blancs, d’Elvis à Dylan, ont été influencés par elle _ certes ; mais ce n’est là qu’un type de musique : celui que diffusent le plus (et aident à « consommer«  et faire acheter, plus encore, sans doute…) les radios…

C comme… Chocolat :

j’aime beaucoup / Cézanne : j’avoue ne pas aimer ses verts et ses bleus _ moi si ! mais Cézanne est (comme il s’est reconnu lui-même !) un « couillu » ; Bacon, aussi : Bernard ne l’apprécie pas trop, lui non plus, je sais ; moi, si !.. _, pour moi le sud, c’est Soutine _ pulvérisant sublimement les clichés ! en effet ! _ / Cubisme : un photographe, c’est un danseur qui du haut de son entrechat voit cubiste _ merveilleuse définition ! qu’on se le dise ! Quand on bouge, les lignes de force _ oui ! voilà le vivant ! la « Nature naturante« , dirait un Spinoza, à côté des Chinois !.. se mouvant juste, juste en-dessous des « formes«  un peu moins (mais à peine…) mobiles, elles, et donc un tout petit peu plus (c’est affaire de degrés : infinitésimaux !) arrêtées ; un peu, à peine, moins musicales, en conséquence de quoi, ou un peu, à peine, moins rythmées, si l’on préfère, de la « Nature naturée«  ! Cf ici, en France (et même en Provence, au pays des cyprès qui s’élancent, se tordent…) un Van Gogh à Arles et Saint-Rémy ; ou un Cézanne se posant face à la Sainte-Victoire afin de la regarder se mettre à danser !.. _

quand on bouge, les lignes de force , donc,

que l’on voit tout le temps _ déjà ! et en relief, donc ! _ changent _ voilà : c’est là le bougé-dansé, musical, de Plossu ! La photo, c’est du cubisme en mouvement _ c’est magnifique !

E comme… Espagne :

j’adore y aller. C’est le pays du très grand photographe Baylon _ un grand ami ; et un complice en poïesis _ et du peintre Miguel Angel Campano.


H comme… Histoire / Hésitation :

donc la connaissance, mais le doute _ certes : lire Popper (et son critère décisif de « falsiabilité«  pour la « vraie«  recherche scientifique) ; ou Alain : « penser, c’est dire non«  Mais Hélas l’Histoire n’hésite pas à se répéter _ sans « leçons«  ; cf Hegel…

I comme… Italie !

A lui seul ce mot veut _ pour Bernard ; pour moi aussi : (presque) tout y virevolte et danse ; avec le charme de l’élégance et, aussi, passablement d’humour… _ tout dire…
Illusiones optica : le dernier film que j’ai vu.

J comme… Jawlensky :

j’aime ses portraits _ moi aussi : ils fouillent loin ; quelles profondes couleurs !..
Jalousie :

le sentiment le plus difficile à vaincre, à surmonter _ peut-être pas pour tous, pourtant…
Je :

Céline disait « Je, le pronom le plus dégoûtant » ou un truc comme ça. Je, c’est l’ennemi de l’intelligence _ quand le Je n’est qu’égocentrique, du moins ; mais il peut aussi être « départ de perspective«  (et de construction « vraie«  d’une « personne« …), par son ouverture, précisément, profonde et grave, en même temps que joyeuse, sans peur, sur l’altérité ; cf Montaigne… Ne pas trop le détruire, ce Je-là ! ni le « haïr«  (à la Pascal)…

L comme… Lumière :

en photographie, c’est le noir et blanc, le gris _ leur infini intense camaïeu ; le jeu profondément soyeux de leurs vagues. En beauté, j’aime celle _ si sensible par la tension calme et tellement puissante de sa quasi transparence flottante _ du nord : Vermeer, Brueghel, Constable…


N comme… Napoléon :

l’homme qui n’a pas hésité à faire mourir de froid des milliers de soldats pendant la campagne de Russie. Quelle folie de pouvoir envoyer des êtres humains mourir de froid ! _ sur le froid : lire Le Froid de l’immense Thomas Bernhard, avec son rire formidablement si « humain«  : « tout est risible quand on pense à la mort« … Un rire, à ce degré d’« humain« , qui nous manque très fort aujourd’hui ; même si nous avons, tout de même, l’immense, lui aussi, Imre Kertész (l’auteur du grand Liquidation) : en ces temps de « déshumanisation«  galopante…

Propos recueillis par Nathalie Boisson


Intime conviction

Au FRAC, l’exposition Plossu cinéma présente une œuvre singulière _ eh ! oui ! _ au carrefour de la photographie et du cinéma autour de cinq thématiques. Brillant !

Plossu.jpg

Montrer ses racines, dire d’où l’on vient _ en deux expos (au FRAC de Marseille et à La NonMaison d’Aix-en-Provence) et un livre tels que ce (en trois volets, si l’on veut) Plossu Cinéma _ est un exercice difficile _ a priori, du moins, dans une société assez intimidante et plutôt décourageante, en général. Il s’agit de se livrer _ oui : un peu, au moins… _ à travers l’autre _ effleuré : dans les photos _ tout en gardant une distance respectueuse, une distance amoureuse _ voilà ! Cette distance, c’est celle du regard de Plossu _ absolument ! Il s’est construit très tôt _ en effet ; par son regard même… _ à travers le cinéma de la Nouvelle Vague, où l’image, en prise avec le réel _ oui ! _, dénuée de tout artifice _ quel défi ! _, retrouvait de sa brutalité _ du moins de sa probité, de sa vérité et de sa liberté face au réel (et par là de sa force !) ; puis par l’exercice de plus en plus passionné de la photographie ! à la Plossu… Ces images constituent un double, une entité _ réalisée _ pour lui _ et qu’il lui fallait (existentiellement, humainement !) retenir (du vivre passant : qui passe vite…)… On retrouve à la lecture du Livre de l’Intranquillité de Pessoa quelque chose de cette doublure photographique interprétative, et plus précisément dans le regard de Bernardo Soares : « Voir, c’est avoir vu » _ avec la perspective, nourrissante, de la mémoire : une culture vive et vivante incorporée, en quelque sorte… Comment être proche et distant ? _ par le regard : voilà ! Comment être intime et pudique ? _ c’est l’essentiel !!! Pour l’artiste _ « vrai«  qu’est Bernard Plossu _, la pudeur est l’une des clés de la photo _ davantage : le sas « humain » obligé ! _ et c’est ce qui ressort de cette exposition _ oui ! oui ! _ où la réflexion _ du spectateur convié et comblé _ doit se saisir d’un paradoxe _ oxymorique, comme tout ce qui est essentiel ! _, des deux faces _ absolument indissociables _ de l’intime : « enfoui et fouillé, dedans et dehors »

_ lire aussi là-dessus mon article juste précédent (du 22 février) sur l’écriture sublime, en la sobriété de sa pudeur, d’Elisabetta Rasy, se retournant sur l’histoire de son « intimité«  avec sa mère, mise à vif (à pleurer ! sinon hurler…) lors du cancer terminal de celle-ci, dix huit mois durant, dans L’Obscure ennemie : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« 

L’intime opère _ voilà : il est dynamisant ! c’est un élan ! _ donc systématiquement dans un entre-deux _ absolument : se mouvant quasi reptiliennement, en danses… _, se situant entre l’apparition et la disparition _ oui ! _, la « monstration » et l’effacement du sujet _ avec, à la réception (active) de l’Homo spectator, encore, ce qui doit s’appeler un Acte esthétique du même ordre (clignotant !)… Le sujet ici, c’est à la fois _ et tout ensemble ! : l’« intime«  est une relation, un vecteur magnifiquement en tension : vers l’altérité désirée et à jamais possédée, hors de « saisie«  (et de « maîtrise« ) en tant que telle, de l’autre… _ celui qui est photographié et le photographe _ en un unique mouvement se déployant, dansé. Au spectateur, à travers ses déambulations au sein des cinq thématiques (« Plossu cinéma », « Le déroulement du temps », « Les cinémas de l’ouest américain », « Réminiscences » et « Train de lumière » _ de l’exposition Plossu Cinéma_), de se laisser porter _ oui : avec délicatesse et plénitude d’attention, aussi… en toute amitié… et avec douceur… _ par l’univers poétique et mystérieux _ qui tout à la fois vient nous cueillir et vient nous accueillir _ d’un homme _ « humain » !.. _ à l’âme voyageuse et au cœur cinéphile.

Nathalie Boisson


Plossu cinéma : jusqu’au 17/04 au FRAC Provence Alpes Côte d’Azur (1 place Francis Chirat, 2e) et à la Non-Maison (22 rue Pavillon, Aix-en-Provence). Rens. 04 91 91 27 55 / www.fracpaca.org

A noter également :
Le 27/02 à 14h au Cinémac (63 avenue d’Haïfa, 8e) : présentation en avant-première des films Le voyage mexicain
(30 mn) de Bernard Plossu et Un autre voyage mexicain (1h50) de Didier Morin,  en présence des réalisateurs.
Le 20/03 à 14h30 au FRAC, dans le cadre du Week-end Musées Télérama : projection du film Le voyage mexicain, en présence de Bernard Plossu et Dominique Païni.
Le 26/03 à 17h à l’Alcazar : rencontre avec Bernard Plossu autour du processus de création de ses livres : « Faire un livre, c’est comme faire un film », suivie d’une projection cinématographique.

Merci beaucoup à ce très intéressant article de Nathalie Boisson !

Celle-ci a su obtenir de Bernard Plossu _ et quasi mine de rien… _ des analyses (de son Art) profondes : absolument passionnantes ! Chapeau !

Titus Curiosus, le 25 février 2011

Des bouffées de souvenir : « Alabama Song » _ ou Brecht par The Doors _ et Edward Hall, « La Dimension cachée » : la « mine » que sont les « notes » de Bernard Plossu…

01avr

Une brassée de souvenirs (excellents) en remontée du (joyeux) passé,

en cet échange de courriels avec Bernard Plossu : voici…

Le 29 mars 09 à 22:51, Bernard Plossu a écrit :

des petites notes (dans le train : « en route vers Carcassonne« …)

plo

De : Bernard Plossu

A : Amicus X

Envoyé le : Dimanche, 29 Mars 2009 22:48
Sujet : notes

Dans le livre « Quinze hommes splendides » de Yvonne Baby, Bresson parle de « bizarre mélange de hasard et de prédestination« , ça me fait un peu penser à ma lubie de parler de « rencontre de sagesse et de délire » en photographie…

Page 60, Robert Bresson cite Corot : « il ne faut pas chercher mais attendre« , citation que je cite toujours, tout le temps…

Robert Bresson parle, tourne, réfléchit autour du silence, de son rôle, sa présence plus forte que le bruit (que la musique), le non-bruit… Et même on pourrait dire que sa musique est une forme de silence, non ? elle ne dit pas quoi penser (grossière erreur de penser que Bresson est moral, on le disait janséniste, je dirais plutôt « puriste », comme Dreyer dans « Ordet » : chef d’œuvre d’image avant tout).

De son côté, Edward Hall (mon maître et ami) a analysé, décortiqué, le rôle des odeurs dans la société américaine, qui mourra un jour de ne plus en avoir.

Etc… Je passe les notes qui suivent…

Ma réponse (à ce passage-là ; qui « me retient » tout spécialement…) :

—–E-mail d’origine—–
De : Titus Curiosus

A : Bernard Plossu

Envoyé le : Lundi, 30 Mars 2009 6:24
Sujet : Re: notes : Kairos + Edward Hall + Brecht par Didi-Hubermann

La « rencontre » me passionne, comme tu le sais (notamment par ce que j’ai pu aussi en écrire :
« Pour célébrer la rencontre« , que publia sur son site (« Ars Industrialis« , en mars 2007) Bernard Stiegler ;
« Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni« , ce gros essai inédit).

Sur le hasard, et sa réception, le concept (grec) de « kairos » va très loin…
Je n’aime pas beaucoup, en revanche, le mot (de Bresson) de « prédestination« .
Je préfère plutôt ton cocktail à toi de « sagesse et délire« 
; même si « délire » n’est peut-être pas le terme (un peu trop « mode » ; « jeune »…) le plus adéquat à mes yeux, du moins…
Mais l’oxymore est parlant…

Sur le silence, oui… : un espace où peut _ et où seulement peut _ se déployer le jeu de la créativité
pour un artiste…


Le livre que je suis en train de lire, de Georges Didi-Huberman, « Quand les images prennent position _ l’œil de l’Histoire 1« ,
traite pleinement de cela
à travers le montage photos/légendes/épigrammes poétiques
que Brecht a élaboré en son « Kriegsfibel« 
(« ABC de la guerre«  ) qui ne put être publié qu’en 1955…

« Le livre se vendit très médiocrement, laissant à Brecht, peu avant sa mort, l’impression douloureuse que le public allemand cultivait un « refoulement insensé de tous les faits et jugements concernant la période hitlérienne et la guerre » (selon une expression de Brecht lui-même, citée par Klaus Schuffels, en une présentation intitulée « Genèse et historique« , de l’édition française, traduite par Philippe Ivernel, de cet « ABC de la guerre« , aux Presses Universitaires de Grenoble, en 1985)…

Ce livre (rare) de Brecht devrait te passionner.

Je ne crois pas, cependant, qu’on en trouve facilement des exemplaires, que ce soit en allemand, ou en français (cf la note page 30 du livre de Didi-Hubermen, pour toutes les précisions : Brecht ne put publier »Kriegsfibel« , et encore pas comme il le voulait _ il dut y opérer des « coupures » ; ainsi que promettre un second volume (qui aurait été) plus « positif », lui… _, qu’en 1955

_ né le 10 février 1898 à Augsbourg, en Bavière, Bertolt Brecht est mort très vite après cette publication de novembre 1955 : le 14 août 1956, à Berlin-Est, pour être précis : il n’a donc pas eu le temps d’écrire cette « suite »…)…

J’en suis page 198 de ce (très beau !) livre de Didi-Huberman ; et il me reste 60 pages.
J’écrirai bien sûr mon prochain article sur lui…


Le concept central, à partir de celui de « montage/démontage »
étant celui de « rythme« …
C’est fondamental.


« Ne pas chercher, mais attendre« , dis-tu : oui ; et encore, sans traquer ; seulement être prêt à recevoir,
et sans crispation, forcément… « Kairos » dit ici l’essentiel…

Se reporter à ce que j’ai pu en écrire
et en mon (petit) article (de mars 2007), et en mon (gros) essai (terminé en janvier 2008)…

Que tu parles de Edward Hall
comme ton « maître et ami« 
  est assez extraordinaire, pour moi : je parle de ses livres (« La Dimension cachée« , « Le langage silencieux » ; et « Au-delà de la culture« , « La danse de la vie _ temps culturel, temps vécu« , etc…) à mes élèves chaque année…

Il faudra que tu me racontes un peu
comment vous vous connaissez…


Edward Hall est un maître génial de l’attention !!!


Titus

La réponse de Bernard, enfin :

De :   Bernard Plossu

Objet : Re : notes : Kairos + Edward Hall + Brecht par Didi-Hubermann
Date : 31 mars 2009 10:22:34 HAEC
À :   Titus Curiosus

Je voyais très souvent Hall à Santa Fe !
(il m’a même cité plusieurs fois dans ses articles !)


Il a écrit un petit texte d’intro aussi à mon livre « Bernard Plossu’s New Mexico » publié il y a pas longtemps aux USA à University of New Mexico Press, on le trouve pas cher sur Abebooks ….

et je commence le texte de mon livre  » The African desert » publié à University of Arizona Press (Usa aussi) par une citation de « La Dimension cachée »
(on le trouve aussi pas cher sur Abebooks, mais le problème des livres américains est l’envoi postal qui peut être plus cher que le livre !)

Sa théorie de la proxémie s’applique totalement à la distance juste que la focale du 50 mm me permet en photo !

J’ai passé du temps voici 10 jours avec David Lebreton

_ cf mon article du 7 août sur le superbe « Éloge de la marche«  de David Lebreton, en mai 2000 : « Continuer d’apprendre à marcher«  _,

à Digne ensemble : il est à 100 % le successeur de Hall !

plo

Jamais lu encore Didi-Huberman, mais on me le conseille de toutes parts !

Merci de m’en parler si bien

b

ps :

à propos  de Brecht, un de mes « 33 tours » préféré a toujours été Lotte Lenya chantant « Surabaya Johnny » de « L’Opéra de 4 sous« , tu connais surement : sublime ! ! !

Oui !!! je le vénère aussi ;

et je collectionne même les chansons (et interprétations) de Brecht/Weil : outre Lotte Lenya, bien sûr _ plusieurs disques !!! _, Gisela May, Marianne Faithfull, Cathy Berberian, Milva _ j’aime tout particulièrement sa voix si chaude ! _, Teresa Stratas, Ute Lemper, etc… J’ai aussi un album de 2 CDs passionnants d’enregistrements des années trente et quarante, intitulé « From Berlin to Broadway« , édité par Pearl : GEMM CDS 9189 ; plus un autre d’extraits de cette compilation-là… Et encore un étonnant (et remuant les tripes) « September songs _ the music of Kurt Weill« , avec, parmi bien d’autres, Nick Cave, P. J. Harvey, David Johansen, Elvis Costello, Charlie Haden, Betty Carter, Lou Reed; et même Bertolt Brecht lui-même _ en 1930 : ne pas manquer !!! _ ; et Kurt Weil _ le charme ! _ ; et Lotte Lenya (en 1955) ; et encore William B. Burroughs : un CD Sony SK63046, en 1997… Le temps va son train… J’aime aussi, un peu à part _ quelle féminité ! _ le « Speak low« , particulièrement raffiné (= « sofistiqué » !), d’Anne Sofie Von Otter, en 1994 (CD Deutsche Grammophon 439 894-2) ; pour compléter cette somptueuse et fort variée palette d’interprétations…


Ainsi, l’autre jour, n’ai-je pas pu résister à l’écoute, au rayon Musique de la Librairie Mollat, juste à l’instant où j’y effectuais mon petit tour, presque de routine (pour jeter un œil _ ou une oreille _ aux derniers arrivages), à une interprétation par Les Doors _ ou par la voix sublime de Jim Morrisson ? mais les autres aussi y sont très bien ! _ d' »Alabama Song« , sur un Live (de mars 1967) « At the Matrix« , à San Francisco (double CD DMC 8122-79884-8 : une merveille !) : j’ai acheté l’exemplaire unique ; et me le repasse en boucle… C’est renversant de beauté…

Cela m’a rappelé, en outre, mon copain Pierre Géraud _ qui vit depuis longtemps à l’île de La Réunion _, chez lequel passait si souvent la musique des disques-vinyle _ je revois les pochettes ; comme je ré-entends les chansons ; et la voix si prenante de Jim Morrisson ! _ des Doors : ce devait être cette extraordinaire année 1969, l’été de laquelle notre groupe (de philosophie) auto-intitulé (!) « Freud » _ sur l’œuvre duquel nous « planchions » passionnément dans les sous-sols de la Fac des Lettres, Cours Pasteur, à Bordeaux _, avons, suite à la vision du film de Buñuel, « La Voie Lactée« , entrepris notre « pélerinage » à Compostelle : en fait l’aller-retour Bordeaux-Santander en vélo (un peu plus de 1000 kilomètres ; et camping sauvage : il pleuvait aussi pas mal) ! Quel merveilleux voyage de plus de cinq semaines… Dira-t-on jamais assez le charme des (rudes !) côtes des (ultra-vertes !!!) montagnes basques, et des ventas où se désaltérer, et se restaurer : tortillas, o huevos con jamón : le vélo creuse passablement l’appétit ! Un soir à Deva, nous avons même dîné deux fois _ la seconde rien que pour tenir compagnie à d’autres (joyeux !) convives de l’auberge… C’est (assez) beau, la jeunesse (= la décennie des « vingt ans »…) !

Et tout cela « revient » magnifiquement _ les « bouffées de souvenirs »… _ en écoutant Brecht et Les Doors ;

comme en me souvenant de ce que dit si finement Edward Hall, dans cette « Dimension cachée« …

Merci donc de tes « notes« , envoyées _ comme il se doit _ « au débotté« .., Bernard…

Titus Curiosus, le 1er avril 2009

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