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la pharmacopée du professeur de médecine civilisationnelle Bernard Stiegler : une posologie d’urgence des écrans

18nov

Un délicieux et urgentissime diagnostic, assorti d’une rapide posologie d’urgence _ à propos des enfants et de l’éducation, d’abord (cf déjà le plus que très utile « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations«  !..) _ du « professeur de médecine civilisationnelle » Bernard Stiegler, en une collection d' »Entretiens«  (réalisés ici _ excellemment ! _ par Thierry Steiner) qu’édite, aux Éditions Mordicus, l’excellent Pierre Veilletet : « Faut-il interdire les écrans aux enfants ? » :

voilà en un petit livre de 112 pages  _ avec deux entretiens : un avec Serge Tisseron (pages 17 à 58), l’autre avec Bernard Stiegler (pages 61 à 103) _, sur lequel je suis tombé en recherchant sur le site mollat.com un lien (pour l’article précédent de mon blog) pour un des ouvrages de Bernard Stiegler,

ma toute récente formidable découverte de lecture !..

En 43 pages, Bernard Stiegler, lumineux comme d’habitude en ses exposés « missionnaires »

_ page 74, vient à l’appui de cette intuition l’affirmation : « les pouvoirs publics doivent prendre des mesures régaliennes pour obliger les médias de masse, d’une part, à mener des politiques d’innovation adaptées à la convergence (numérique : nouvelle !), et d’autre part et surtout, pour leur imposer de nouvelles missions (voilà !), et en particulier une mission d’éducation«  !.. _

en direction des publics les plus divers, comme je l’ai expérimenté à chaque reprise _ je l’avais reçu pour la « Société de Philosophie de Bordeaux«  dans les salons Albert Mollat le jeudi 18 novembre 2004 sur le sujet de « la décadence des sociétés industrielles« , au moment de la parution de son « Mécréance et discrédit » volume 1 : « la décadence des sociétés industrielles«  (les volumes 2 & 3 de ce travail furent consacrés aux « sociétés incontrôlables d’individus désaffectés » et « l’esprit perdu du capitalisme« ) ; ou à Saint-Émilion, le 30 mai 2009 sur le sujet « du marché au commerce«  (cf mon article du lendemain, le 31 mai : « très fortes conférences« ) ; et aussi à l’OARA-Scène d’Aquitaine, le 4 avril 2007, sur le sujet « du consumérisme culturel à l’éthique de l’amateur«  ; ainsi qu’au Conseil Régional d’Aquitaine pas plus tard que le 23 octobre dernier (cf mon article du 26 : « Pour une économie de la contribution : diagnostic et pharmacopée anti-Viagra d’une économie de la culture du docteur Stiegler« …)… _,


Bernard Stiegler livre son diagnostic et sa pharmacopée avec une clarté et une efficacité magnifiques…

L’entretien avec Thierry Steiner est dédié (page 61) à Rosine Gautier et Geneviève Piéjut _ co-auteur de « La Télévision et son public 1974-1977 : Place, programmation et audience des différentes catégories d’émissions« , paru à La Documentation française, en 1978… _ avec lesquelles Bernard Stiegler travailla à L’INA (dont il fut le Directeur-général adjoint et chef du département Innovation de 1996 à 1999)…

« L’attention des enfants et des adolescents est de plus en plus souvent sollicitée par plusieurs médias simultanément, ce qui conduit à une véritable dispersion de l’attention. (…) Ces effets (…) qui relèvent de ce que l’on a appelé la convergence numérique des médias, sont pour le moment destructeurs de l’attention« , nous dit-il, page 64. Mais « on peut cependant imaginer que les agencements nouveaux entre médias rendus possibles par la convergence soient mis au service de la formation et de l’approfondissement de l’attention plutôt que de sa destruction« , pages 64-65. « Les nouveaux médias, parce qu’ils sont bi-directionnels, ont des caractéristiques très intéressantes et offrent d’immenses possibilités par rapport aux médias audio-visuels analogiques. Mais leur mise en valeur nécessiterait une politique publique qui fait aujourd’hui totalement défaut« , page 65. « Pourtant (…), un agencement intelligent entre ces médias, mis au service de l’éducation plutôt que soumis à l’hégémonie absolue du marketing, pourrait apporter mille possibilités nouvelles de formation de l’attention profonde, c’est-à-dire de ce que l’on appelle la culture, le savoir et l’éducation. Malheureusement, les tentatives actuelles d’agencer les médias en tirant parti de la convergence numérique (…) n’ont qu’un objectif : continuer à capturer l’attention au service du marketing, en la tirant toujours plus vers la pulsion, et en la détruisant« , page 68. « Le fonctionnement de l’audio-visuel dans son ensemble est devenu pathogène », page 72. « Une question d’écologie de l’esprit se pose ainsi », page 74 : « les pouvoirs publics doivent prendre des mesures régaliennes pour obliger les médias de masse, d’une part, à mener des politiques d’innovation adaptées à la convergence, et d’autre part et surtout, pour leur imposer de nouvelles missions, et en particulier une mission d’éducation. Les médias sont de nos jours tous soumis au marketing et à « la tyrannie de l’audience quart d’heure par quart d’heure » (…) du fait de leur financement par la publicité. Il faut les contraindre à développer une autre utilité sociale », page 74. « Ceci suppose de repenser en profondeur le rôle des médias non seulement dans l’éducation, mais dans la recherche scientifique, et comme nouveaux instruments du savoir, dans les laboratoires aussi bien qu’à l’université. D’immenses possibilités se présentent ainsi pour ce qu’on appelle les industries de la connaissance, les sociétés de savoir et la bataille de l’intelligence. Mais sans une politique publique hardie, capable de soutenir ces évolutions qui n’ont pas, pour le moment, d’économie, rien de cela ne pourra advenir« , page 75.

« La télévision est mauvaise pour les enfants très jeunes quel que soit le programme, parce que la captation de l’attention juvénile est directement destructrice ; et le facteur qui prime est ici non simplement l’écran, mais l’appareil _ tel qu’il induit passivité, perte de motricité et perte de relations d’attachement intergénérationnelles« , page 76.

« Le facteur « programme » devient plus important à mesure que l’enfant grandit«  (…) et « il est sûr que (…) la captation massive et constante de l’attention, en détruisant les relations interindividuelles, détruit les structures et les processus par lesquels la formation d’un réseau symbolique entre les individus permet de transformer les pulsions _ dont nous sommes tous porteurs _ en investissements sociaux, c’est-à-dire en énergie libidinale, pour parler comme Freud _ ce que Lacan appelle le désir« , pages 76-77.

Or « les consommateurs désirent de moins en moins, mais dépendent de plus en plus de besoins artificiellement produits, qui sollicitent toujours plus leurs comportements pulsionnels aux dépens de leur libido, c’est-à-dire de leur désir. C’est ainsi que le téléspectateur tend à devenir dépressif (la dépression est précisément une perte de désir) ; et que les médias deviennent eux-mêmes massivement pulsionnels et populistes : ils cherchent à tirer le « temps de cerveau disponible » vers le bas, c’est-à-dire qu’ils l’encouragent à suivre une pente naturelle, contre laquelle lutte toute élévation culturelle et toute éducation. Cette pente conduit à  une sorte de déchéance dont nous voyons bien qu’elle s’est emparée de toute la société, et que personne n’y échappe _ pas plus les femmes et les hommes politiques que les psychanalystes ou les pédiatres qui, pour des raisons vénales ou parce que leurs propres cerveaux sont devenus fondamentalement disponibles à tout cela (…), cautionnent Baby First _ la chaîne « pour » le « public » des bébés ! _, ou conseillent l’industrie du jeu vidéo et les industries de programmes en général« , pages 77-78…

« Quant à l’État, en renonçant à réguler cet état de fait de plus en plus ruineux pour la société, il renonce à soutenir la culture et l’éducation, et préfère multiplier les policiers en développant un état d’esprit paranoïaque qui exploite les tensions intergénérationnelles et les pulsions de destruction.C’est une politique absolument irresponsable qui hypothèque très gravement l’avenir, et que l’Histoire jugera comme telle. Il ne s’agit pas de condamner les médias, mais plutôt la façon dont, par le fait d’une politique publique démissionnaire _ qui avait commencé avec François Mitterrand _, ils se sont soumis _ à rebours du « bien public«   _ à l’hégémonie du marketing ; et avec eux, tous ceux qui ont renoncé à ce que l’homme (et ses enfants) s’élève _ voilà ! cf sur cette dynamique civilisationnelle le philosophe Alain… _ plutôt que de se vautrer dans la fange« , page 78.

« La télévision : ce pharmakon, qui empoisonne _ présentement _ la société contemporaine, pourrait devenir, notamment à travers une politique industrielle aussi bien qu’éducative _ voilà ce qu’il faut de toute urgence « construire«  ! _ des nouveaux médias, un formidable renouveau _ telle une nouvelle « renaissance«   _ au service d’un dépassement du consumérisme » _ mortifère, page 80.

« L’éducation est une forme de thérapeutique , c’est-à-dire de soin prodigué à l’enfant« , page 81. « La télévision, lorsqu’elle court-circuite ces structures fondamentales où se forme _ et se construit ; cf Freud, Mélanie Klein, ou le grand Winnicott… _ la psychè, atrophie le développement des capacités psychosociales de l’enfant _ et fragilise, voire anéantit le processus primordial que Freud appelle l’identification primaire. Dans cette période, l’enfant construit une relation à ses éducateurs telle qu’ils deviennent son imago, c’est-à-dire ce qui servira de base à son « idéal du moi ». (…) L’identification primaire, qui est la base même de la construction de l’appareil psychique, permettra plus tard à l’adulte mature de continuer _ toujours, toujours : le travail, en sa « plasticité«  (cf Catherine Malabou) n’a heureusement pas de fin… _ à se construire en intériorisant des identifications secondaires entre lesquelles elle lui servira d’arbitre, en cas de conflits _ au sein du « jeu » de cette « plasticité«   _ d’identification : dès avant l’adolescence, on s’identifie _ pluriellement  _ à des personnages successifs« , pages 82-83.

Or, « le marketing, qui veut que l’enfant s’identifie _ bien moins pluriellement …  _ aux chaînes, aux marques et aux personnages des médias de masse, tend _ par domestication sommaire _ à le priver d’identification primaire. Or, un enfant sans identification primaire est un psychotique en puissance _ voilà ! Voilà pourquoi j’estime qu’il s’agit d’une question de santé publique, outre que l’exposition des enfants à la télévision affecte _ sans remède ! cf aussi ce qu’en dit Serge Tisseron…  _ la synaptogénèse et constitue un facteur d’apparition du déficit attentionnel _ étudié par Katherine Hayles. C’est faute de prendre soin des enfants, et de leurs parents, et de les protéger de ce poison qu’est devenu le pharmakon médiatique _ cf le livre majeur de Bernard Stiegler « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations« … _, que l’État préconise de les envoyer en prison prématurément« , page 84.

« Ces questions passent par _ rien moins que _ une nouvelle culture, par un discours prescriptif de la puissance publique, et _ mis en œuvre on ne peut plus effectivement (et dans toute son ampleur nécessaire !) _ par des actes et des budgets appropriés« , page 85.

« Les pouvoirs publics ont totalement démissionné _ voilà ! _ par rapport à cette question, et il faut les ramener à leurs responsabilités _ civilisationnelles : mais que sont donc devenus (et continuent de devenir !) les États ?!.. _, non pas pour leur demander d’interdire quoi que ce soit, mais pour qu’ils prennent des initiatives positives _ et dynamisantes ! _ et fassent que les médias en général soient remis au service du bien public _ à rebours de l’hégémonie du marketing (et des profits de quelques « particuliers«  privés) ! _, et en particulier de l’éducation : qu’ils cessent d’empêcher _ en effet ! _ les parents, l’école et la République d’éduquer les enfants, et qu’ils aident _ aussi, voire pour commencer ! _ les parents à s’éduquer avec les médias. Car tel est l’humain _ non-inhumain ! faut-il le spécifier ?.. _ dans l’homme : non seulement il est capable d’apprendre jusqu’au dernier jour de sa vie, mais il le désire _ et même s’y passionne _, pour autant qu’on ne fait pas de lui un porc« , page 86.

« On a admis que le tabac tue ; et on a pris des mesures en fonction. Admettons que l’usage actuel des médias de masse tue la société _ voilà ! _ en la rendant de plus en plus pulsionnelle ; et prenons des mesures en fonction. (…) C’est à une véritable entreprise de désintoxication qu’il faut procéder, notamment en alertant les parents sur le fait que les médias ont des effets toxiques _ déjà _ sur eux-mêmes. S’ils n’en prennent pas conscience, ils ne pourront pas comprendre quels ravages ces effets peuvent provoquer sur leurs enfants« , pages 86-87.

« Le psychopouvoir est ce qui constitue une économie libidinale consumériste. Le problème est que cette économie est _ aussi elle-même _ autodestructrice : en court-circuitant les milieux, fonctions et structures symboliques où sont les objets producteurs du désir individuel, elle est devenue un obstacle au développement et au fonctionnement de l’appareil psychique, c’est-à-dire la transformation des pulsions en désir _ facteur de dépassement de soi et d’authentique « progrès«  ! cf Nietzsche… Le désir est en effet ce qui, par structure, diffère la satisfaction de la pulsion _ au profit d’un « déploiement » (enthousiasmant, lui !) des qualités personnelles… Et l’éducateur est celui qui apprend à celui qu’il élève ainsi à trouver plus de plaisir dans le désir _ et son « déploiement » ; cf, par exemple, Deleuze…  _ que dans la pulsion _ ponctuelle (et répétitive : réduite à un réflexe). Cependant, chacun d’entre nous est toujours prêt à désapprendre _ masochistement ! _ cette différence entre désir et pulsion ; et c’est cette tendance régressive qu’exploite _ en effets terriblement ravageurs _ aujourd’hui le psychopouvoir en désapprenant le désir _ et en installant ainsi une véritable bêtise systémique, à laquelle personne n’échappe tout à fait« , page 89.

« La captation de l’attention des publics par les écrans, en premier lieu par la télévision, mais aussi par un mésusage d’Internet, détruit _ ainsi, journellement _ les capacités attentionnelles soutenues. Or, l’attention est la faculté sociale _ de l’« égard« _ par excellence _ quand l’autre n’est pas seulement un moyen (pour la seule _ ainsi misérable ! _ utilité) ; mais une vraie « personne« , un autrui… Il est donc urgent _ en effet ! _ de réguler tous les processus _ oui : nombreux _ qui conduisent à sa destruction. L’école va mal avant tout parce que les enfants n’ont plus les capacités _ d’abord d’attention ; et curiosité ; et enthousiasme… _ requises. Là est l’enjeu primordial d’une écologie de l’esprit« , page 94.

Les nouveaux médias : « leur succès tient d’abord au fait qu’ils requièrent de la part de ceux qui les pratiquent une activité. Et c’est là _ oui ! _ une grande chance (…) ; et les comportements que l’on voit émerger sur Internet ne s’inscrivent plus dans le modèle industriel consumériste.«  (…) Mais « sans une politique éducative qui saura tirer _ avec une ingéniosité mise au service, cette fois, du déploiement des facultés humaines authentiquement créatrices d’humanité _ tout le parti possible de ces nouvelles sortes de pharmaka, (…) les nouveaux médias seront _ sinon !… _ à leur tour _ une nouvelle fois ! _ mis au service d’une hégémonie du marketing productrice d’encore plus de pulsion et d’addiction. Cet enjeu de civilisation _ où il s’agit de développer un nouveau savoir-vivre aussi bien qu’une autre économie (« de la contribution« ) _ concerne l’avenir de tous les enfants d’aujourd’hui _ de par le monde « mondialisé«  _, les fameux digital natives. (…) Il faut _ donc _ absolument que les parents interpellent les pouvoirs publics et les placent _ et vraiment ! _ devant leurs responsabilités. Les hommes et les femmes politiques sont spontanément _ par intérêt « personnel » à très court terme : celui de l’échéance de leur « élection » ou « ré-élection«  _ du côté des médias, qui leur sont nécessaires pour être élus _ voilà ! Mais il faut leur faire savoir que l’opinion elle-même est de moins en moins du côté de ces médias-là, et qu’ils seront de moins en moins efficaces pour être élus. Tel est le combat _ des citoyens un peu responsables _ de demain _ pour une écologie de l’esprit, et avant tout pour la protection de l’appareil psychique des petits comme des grands« , pages 96 à 98.

« La puissance publique doit faire émerger de nouvelles règles du jeu social _ et politique, culturel, civilisationnel, donc… _ intégrant pleinement les technologies numériques ; et ce que les nouvelles pratiques sociales ont de profondément positif. (…) Il faut qu’une politique d’investissement public soutienne et accompagne le développement des pratiques sociales _ pleinement « démocratiques«  ; à rebours des sinistres populismes ! qui ont si tristement aujourd’hui le vent en poupe ! _ que ces instruments rendent possibles, et qui les conduisent à repenser très en profondeur les modèles éducatifs. C’est ainsi qu’on fera des pharmaka des instruments plutôt thérapeutiques que toxiques« , pages 98-99.

« Il faut faire émerger des règles, et pas simplement décréter : cela veut dire inventer _ cf Cornelius Castoriadis : « L’Institution imaginaire de la société«  _ une nouvelle culture, celle qui correspond aux spécificités des technologies numériques. C’est d’émergence _ de très grande largeur… _ qu’il s’agit et qu’il s’agira de plus en plus« , pages 99-100.


« Mais pour que tout cela puisse se développer, il faut aussi et surtout créer un appareil d’intelligence collective où l’éducation nationale et les industries de programme doivent apprendre à travailler _ de facto et in concreto _ ensemble, où les universités doivent être profondément réorientées dans leurs finalité, et où les structures de recherche doivent faire de ces questions leurs priorités« , pages 100-101.

« Aujourd’hui, il faut défendre la société contre ce qui la détruit : l’hégémonie du marketing. Il faut rebâtir la société« , page 101.


« En attendant, certains parents s’organisent en petits groupes pour mener des opérations de « désintoxication collective ». Ainsi Jacques Brodeur et ses « dix jours sans télévision », conçus sur la base d’une théorie de Thomas Robinson, professeur à l’université de Stanford, qu’il a généralisée au Canada et qu’il développe à présent en France. Soulignant que le nombre d’élèves du primaire avec troubles de comportement a augmenté de 300 % entre 1985 et 2000, que les 13-17 ans commettent deux fois plus de crimes violents que les adultes, et deux fois plus qu’il y a 20 ans, il a créé des groupes de parents qui travaillent avec les éducateurs pour avoir un bon rapport aux écrans. En posant notamment le principe que, pour apprendre à en faire quelque chose intelligemment, il faut commencer par apprendre à vivre sans. (…) Les effets positifs sont spectaculaires à tous égards, en matière de résultats scolaires, équilibre physique et psychique, rapport à la lecture, notamment« , pages 102-103…

Ces extraits de « Faut-il interdire les écrans aux enfants ?« 

font entrevoir la richesse de ces analyses remarquablement claires et extrêmement concrètes de Bernard Stiegler.

A confronter avec les remarques « de terrain » du psychanalyste et psychiatre Serge Tisseron, en première partie de ces « entretiens«  avec Thierry Steiner…

En une collection toute « pratique«  (des Éditions Mordicus, que dirige l’excellent Pierre Veilletet) qui donne à réfléchir avec « prises« 

Titus Curiosus, ce 18 novembre 2009

Le livre va-t-il « survivre » à Internet ? une « alerte » et une stratégie de « riposte » de Bruno Racine (cf aussi Roger Chartier…)

31oct

Un très intéressant article dans l’édition de ce samedi 31 octobre du « Monde » _ « Il ne faut pas édifier de ligne Maginot«  _ « sous la plume » (ou par les doigts sur le clavier…) de Bruno Racine, Président de la Bibliothèque nationale de France ;

juste après une « libre opinion » passionnante dans ce même « Monde » il y a quatre jours _ intitulée « L’avenir numérique du livre«  _ par Roger Chartier,

Président du Conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France, ce très grand « historien des pratiques culturelles (qui) a pris pour objet principal de son étude la lecture, ainsi que le livre sous l’Ancien Régime et dans les temps modernes, y compris dans leurs aspects les plus matériels (diffusion, sociétés de pensée, bibliothèques, académies, imprimeries, etc.)« , auteur des « Origines culturelles de la Révolution française«  (aux Éditions du Seuil, 1990, réédité depuis), suivi de nombreux travaux scientifiques comme « Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe -XVIIIe siècle) » (aux Éditions Albin Michel, 1996) ou « L’Histoire de la lecture dans le monde occidental » (avec Guglielmo Cavallo, aux Éditions du Seuil, 1997-2001)…

et dans le champ des explorations lucidissimes d’un Bernard Stiegler _ par exemple dans l’important « Pour en finir avec la mécroissance«  (avec les contributions éclairantes d’Alain Giffard et de Christian Fauré, aux Éditions Flammarion en 2009) ; cf mon article du 31 mai 2009 : « Très fortes conférences…«  _

et d’un Régis Debray en son « labourage » méthodique de la « médiologie » _ « Cahiers de médiologie : une anthologie« 

Voici cette contribution à l’action de connaissance, ainsi qu’au débat, de Bruno Racine, ce jour _ avec mes farcissures ! (ou sans : « Il ne faut pas édifier de ligne Maginot« , au choix…) _ :

« Après avoir bouleversé les industries de la musique et de l’audiovisuel, la lame de fond numérique _ voilà la « révolution en marche » !.. pas rien qu’un tsunami ponctuel ! une irréversible fractale qui modifie sans retour toute la géographie installée des continents !.. _ aborde au rivage du livre. Ne pleurons pas la fin d’un monde : l’histoire de l’écrit _ cf Roger Chartier et Régis Debray, passim _ est jalonnée d’évolutions techniques _ successives ; Bernard Stiegler renvoie régulièrement au travail-maître de Sylvain Auroux « La révolution technologique de la grammatisation« , paru aux Éditions Pierre Mardaga, le 1er avril 1995… _ qui en ont modifié le support, le contenu et les modes de lecture _ un objet d’analyse passionnant ! et aux enjeux (« civilisationnels« ) assez considérables (cf Bernard Stiegler…) que ces « modes de lecture«  ; ainsi que leur(s) « déstabilisation« (s) _, entraînant dans leur sillage les mutations culturelles et économiques successives qui fondent _ de fait ? de droit ? _ notre civilisation _ pouvant aussi l’effondrer ?.. Et ce ne sont pas (jamais) tout à fait les mêmes (personnes, classes, institutions, États, etc… : en tout cas des forces qui avancent leurs pions, se taillent des territoires…) qui en « profitent«  ; ou en subissent les conséquences… Des batailles féroces se livrant sur ces « champs » : « réformes«  (et « contre-réformes« ), « révolutions » (et « contre-révolutions« ), etc… Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle étape de cette histoire. Les maillons traditionnels de ce qu’il est convenu d’appeler en France « la chaîne du livre » s’en trouvent bousculés _ et doivent y réagir ; envisager, sinon une riposte, du moins une stratégie, non seulement de « survie » plus ou moins « précautionneuse« , mais d’« adaptation« , ou plutôt « accommodation«  (un distinguo crucial !) offensive ; de « mise à profit » (et « conquête » !) : en déterminant, au-delà simplement des moyens à mettre en œuvre, les finalités (essentielles !) à servir ; et selon quelles priorités (ou hiérarchie) !!!

L’arrivée en Europe du Kindle d’Amazon, l’annonce par Google de l’ouverture prochaine d’un service de librairie en ligne _ et à rien moins que l’échelle du monde : instantanément, quasiment, ainsi « googelisé » ?.. _ et, bien plus largement, la révolution de l’accès au savoir _ sans tri ? sans le tamis de quelque « krisis » (= une « critique« … ; relire, après le « Socrate«  rendu à jamais (en dépit de ses propres arguments : éternisés, in « Phèdre« , contre l’écrit !) accessible, en sa « voix« , par les « Dialogues«  de Platon (qui envisage et œuvre pour une autre forme de pouvoir ! que celle de Socrate…) ; relire, donc, Kant : sa décisive « Critique du jugement«  !..) ? _ rendue possible par les nouvelles technologies de l’information et de la communication _ Bernard Stiegler préfèrant, quant à lui, substituer à ces expressions (« obsolètes« , dit-il) celles de « technologies cognitives et culturelles«  _ suscitent des inquiétudes _ voire des paniques _ parmi lesquelles il importe de faire le tri _ voici l’apport que se propose de nous offrir en cet article Bruno Racine. Le numérique invite à reconsidérer la définition même de l’objet livre _ peut-être : en sa matérialité physique, manipulable : tourner ses pages au rythme de lecture et de notre œil et de notre intellect, du moins… _ et à repenser l’écosystème _ vaste, riche, complexe ; matérialisé, lui aussi, notamment, en des murs d’« entreprises«  ayant pignon sur rue ; investies dans de la pierre aussi… _ qui s’est construit autour de lui. La numérisation massive des fonds conservés par les bibliothèques _ oui ! _ et l’usage qui en est fait _ plus encore : il s’agit bien sûr de « services » (plus ou moins publics ou privés, aussi : les enjeux socio-politiques en sont considérables ! et « civilisationnels« , je ne dis pas !!! cf le jeu des forces qui s’y empoignent, à commencer électoralement ! mais à quels degrés de conscience ??? bien divers…)… _ par des opérateurs privés _ nous y voici ! et voilà ce qui mobilise aujourd’hui, en cet article-ci, et la réflexion et la plume de Bruno Racine _ transforment notre rapport _ à tous et à chacun : lecteurs alphabétisés (et plus ou moins « cultivés« , au participe passé, et « se cultivant« , au participe (actif et créatif !) présent !.. y compris ces « oisifs qui lisent«  que Nietzsche, en son indispensable (« Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne« , Livre premier, chapitre « Lire et écrire« ), disait « haïr«  !.. : « je hais les oisifs qui lisent«  ; et « se crétinisent« , pourrions-nous préciser ; même si des moyens beaucoup plus performants en vitesse (audio-visuels) ont été depuis mis en place pour y aider… _ au patrimoine écrit _ que gèrent, notamment, des bibliothèques telle que celle (Nationale de France) dont Bruno Racine a présentement la responsabilité politique…


Parallèlement, les liseuses, téléphones intelligents et ordinateurs de poche se multiplient et offrent des supports de lecture supplétifs _ voilà _ du livre papier dont on aurait tort toutefois de prédire la disparition prochaine _ en effet : à preuve par l’exemple : une librairie performante comme la librairie Mollat est, en ce temps de crise, assez richement « achalandée«  ; on afflue en ses nombreuses allées… Enfin, la place prise dans l’économie de la culture par les grands opérateurs privés du numérique _ voilà ! _ et leur pénétration rapide _ oui _ des marchés français et européens abolissent les frontières des métiers du livre _ certes _ et en ébranlent les fondements économiques et juridiques _ un fait très important : une dynamique qui ignore le vide en s’y engouffrant…

Prenons garde à ne pas tomber dans la déploration prématurée _ sans rien faire contre ce qui la menace ? cf à nouveau Bernard Stiegler, « Pour en finir avec la mécroissance » et « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » ; même si celui-ci ne se tient certes pas dans le registre de la « déploration«  ! ni de l’inactivité !.. ce n’est pas un « mélancolique«  _ de la mort de la lecture attentive _ s’en soucier, cependant : à l’école ! tellement esquintée, cette école ; si peu (et mal) centrée sur l’activité exigeante et formatrice d’actants authentiquement dynamiques !.. _, de l’agonie des circuits de distribution et de médiation classiques _ l’édition, les librairies _, voire de la fin programmée de l’exception culturelle française _ assez mal en point sous les coups de boutoir des auto-prétendus « réalistes » « aux manettes«  en France comme à l’Union Européenne (et ailleurs aussi…)… _, sans voir aussi dans cette nouvelle donne _ offerte et imposée par les applications avancées de ces applications inventives et pragmatiques, elles-mêmes, du numérique _ un formidable élan vers des formes d’expression, de création et de partage inédites _ en effet ! à commencer par un blog tel que celui-ci !..

Nouvelle donne

Il n’y a là nul angélisme : le numérique interpelle _ dynamiquement ! _ la chaîne du livre et ses acteurs traditionnels _ et met au défi les ressources du « génie » (= l’ingéniosité ; appuyée sur l’ingénierie…) pour y « répondre » efficacement : autrement que par quelque « ligne Maginot » (en 39-40 ; lire ici Marc Bloc : « L’Etrange défaite«  : admirable analyse de la défaite…), si l’on s’appuie déjà sur la métaphore (militaire) du titre de l’article, mise en avant par Bruno Racine en son titre ici… La législation sur la propriété littéraire et le système de rémunération des auteurs ne pourront rester immuables _ sans doute. La question du prix du livre numérique, les modalités de réutilisation et de partage des fichiers, leur protection et leur sauvegarde, ou encore l’interopérabilité de leurs formats constituent autant d’enjeux majeurs _ certes ! _ qui doivent faire l’objet d’une concertation _ dont l’ordre est à préciser ! _ avec les pouvoirs publics _ à quel échelon ? que sont-ils ? que valent-ils (en terme de « démocratie« , veux-je dire…) ? _ et ne peuvent _ en droit ? selon quels fondements ? une question aussi « à creuser » d’urgence ! au secours Antoine Garapon ! et Mireille Delmas-Marty ! _ faire les frais _ certes ! _ de règles imposées _ sans répliques… _ par les seuls opérateurs privés _ qui ont aussi le bras assez long politiquement (cf les lobbies de Bruxelles, aussi ; et d’ailleurs…). La nouvelle donne numérique _ s’installant ainsi très vite _ implique de redéfinir _ et très urgemment _ les liens qui unissent ces acteurs _ certes ! « embarqués« , volens nolens, sur un même bateau… La Bibliothèque nationale de France (BNF) s’y est attelée depuis plusieurs années _ dont acte, Monsieur le Président…

Le signalement d’ouvrages de l’édition contemporaine dans « Gallica« , qui met en place une offre légale et payante de contenus sous droits, participe d’une volonté d’établir de nouveaux modèles économiques _ oui _ et de contribuer à fédérer _ certes : un concept utile… (en phase de faiblesse…) _ la chaîne du livre français. Les discussions menées _ maintenant _ par la BNF avec des partenaires privés s’inscrivent dans le dialogue nécessaire _ vitalement ! _ avec les nouveaux acteurs du numérique _ partenaires de « négociations«  devenus (bien) « obligés«  _ et ne constituent en aucun cas un renoncement _ nous notons bien le distinguo… _ à ses missions de service public _ officielles ; statutaires _ qui consistent notamment à diffuser ses fonds patrimoniaux _ un bien public fondamental, en effet.

Qu’ils s’appellent Google ou Amazon, les géants du numérique ont su _ de fait ! _ séduire l’internaute _ sur un marché d’offre « libre«  Ils font peur parce qu’ils sont dotés de moyens financiers sans commune mesure _ sur le marché de fait (voire la « guerre« ) de la concurrence _ avec les nôtres, et parce que leurs desseins, en profondeur _ voilà le principal : les finalités sous-jacentes ; et le plus souvent masquées : hors d’atteinte des décisions (et d’abord débats) politiques authentiquement (ou même pas, d’ailleurs !) « démocratiques«  !!! _, diffèrent de nos attentes. Alors, menace, concurrence ou complémentarité ? Tout dépendra du rapport de forces _ voilà ! et celui-ci dépend de ce que font (et avec quel succès) ou ne font pas (ou font mal) les divers « acteurs » de ce jeu (qui s’impose à eux) en situation (au départ du moins) défensive ; réagissant (avec un petit temps de retard) aux offensives d’autres, plus entreprenants et avec de remarquables succès… Ce qui est certain, c’est que l’on ne répondra pas à ce défi _ en effet _ en édifiant d’improbables « lignes Maginot« , comme l’a dit le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand _ le ministre de tutelle de Bruno Racine ; et dont l’oncle avait pu lire le « Vers l’armée de métier » d’un certain Charles de Gaulle, publié en 1934...

En France et en Europe, les libraires, les éditeurs, les bibliothèques sont loin d’être démunis _ certes _ : leur histoire, leur savoir-faire, leurs fonds sont des atouts de poids, mais ces atouts risquent d’être très amoindris _ voilà une donnée conjoncturelle, ou circonstancielle, si l’on veut, importante en une « guerre de mouvements » comme celle qui fait l’objet de l’article (et des soins, sur le terrain, plus encore !) de Bruno Racine… _ si chacun agit en ordre dispersé. La lame de fond numérique n’a pas encore _ voilà _ déferlé sur la chaîne du livre _ dont les maillons ont une « solidarité » factuelle ! _, mais tous les signes précurseurs sont là _ avec la conséquence que « à bon(s) entendeur (s), salut !«  Si, grâce à l’engagement de l’Etat et de l’Union européenne, les différents acteurs savent s’unir _ est-ce donc un « savoir » difficile ? y aurait-il, aussi, « des loups » déjà « dans la bergerie«  ?.. _ sur des positions communes _ et lesquelles ?.. _, il sera possible de faire prévaloir _ voilà ! _ la diversité des contenus _ une donnée factuelle, sinon « de droit« , importante jusqu’ici des cultures européennes _ et le rayonnement de notre culture » _ menaçant, lui, d’être de plus en plus « éteint«  ; toutefois, on peut aussi s’inquiéter du précédent de ce que déjà la France ou l’Europe n’a (ou n’ont) pas su faire dans l’immédiat après-guerre sur le front de l’industrie cinématographique (face à  l’entreprise « Hollywood« ) ; je me souviens bien d’avoir entendu, il y a quelques années à Mérignac, au « Pin Galant« , une intervention particulièrement judicieuse sur ce fait historique-là de Catherine Lalumière, lors d’une « rencontre« , autour de l’« Europe de la culture« , organisée par Sylviane Sambor (et le « Carrefour des Littératures« ) ; étaient présents aussi, je me souviens, José Saramago et Eduardo Lourenço…

Titus Curiosus, ce 31 octobre 2009

Post-scriptum :

A cet article (d' »alerte«  :

en faveur d’une action véritablement « commune » des acteurs concernés)

de Bruno Racine,

je joins ici l’article de Roger Chartier cité plus haut,

« L’avenir numérique du livre«  _ toujours avec mes farcissures ;

ou sans : « L’avenir numérique du livre« , au choix…) _ :

« Googlez « google » sur Google Recherche dans www.google.fr : l’écran indique la présence du mot et de la chose dans « environ 2 090 000 000 » documents. Si vous n’êtes pas inquiet du sacrilège, renouvelez l’opération en googlant « dieu » : « environ 33 000 000 » de documents vous seront alors proposés.

La comparaison suffit pour comprendre pourquoi, ces derniers mois ou ces dernières semaines, tous les débats à propos de la constitution de collections numériques ont été hantés _ voilà ! _ par les incessantes initiatives _ de légitimité à examiner _ de l’entreprise californienne. La plus récente, annoncée il y a quelques jours à la Foire du livre de Francfort, est le lancement de la librairie numérique payante Google Edition, qui exploitera commercialement une partie des ressources accumulées dans Google Books.

L’obsession « googlienne« , aussi légitime soit-elle, a pu faire oublier certaines des questions fondamentales _ ce sont celles-là que Roger Chartier commence dans cet article-ci à inventorier _ que pose la conversion numérique _ cf « La Grande conversion numérique«  de Milad Doueihi, aux Éditions du Seuil _ de textes existant dans une autre matérialité, imprimée ou manuscrite. Cette opération _ de numérisation _ est au fondement même de la constitution de collections numériques permettant l’accès à distance des fonds conservés dans les bibliothèques.

Bien fou serait celui qui jugerait inutile ou dangereuse cette extraordinaire possibilité offerte à l’humanité. « Quand on proclama que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant », écrit Jorge Luis Borges _ in « La Bibliothèque de Babel« , dans le (grand !) recueil « Fictions«  _ ; et c’est une même immédiate félicité que produit la nouvelle Babel numérique. Tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit : le rêve est magnifique, promettant un accès universel aux savoirs et à la beauté _ wow !

Il ne doit _ cependant _ pas faire perdre raison. Le transfert du patrimoine écrit d’une matérialité à une autre n’est _ certes _ pas _ en effet _  sans précédents _ historiques. Au XVe siècle, la nouvelle technique de reproduction des textes _ par l’imprimerie _ se mit massivement au service _ forcément ! _ des genres qui dominaient _ déjà _ la culture du manuscrit : manuels de la scolastique, livres liturgiques, compilations encyclopédiques, calendriers et prophéties.

Dans les premiers siècles de notre ère, l’invention du livre qui est encore le nôtre, le codex, avec ses feuillets, ses pages et ses index _ un tournant décisif _, accueillit dans un nouvel objet les écritures chrétiennes et les œuvres des auteurs grecs et latins. L’histoire n’enseigne _ cf déjà Hegel… _ aucune leçon, malgré le lieu commun, mais, dans ces deux cas, elle montre un fait essentiel pour comprendre le présent, à savoir qu’un « même » texte n’est plus le même _ voilà !!! _ lorsque change le support de son inscription ; donc, également, les manières de le lire et le sens que lui attribuent ses nouveaux lecteurs _ soient ses « réceptions » actives ; soit toute une « constellation«  vibrionnante cruciale (= « contextuelle«  mouvante…) tout « autour«  de ce « texte« 

Les bibliothèques _ professionnellement, en quelque sorte… _ le savent, même si certaines d’entre elles ont pu avoir, ou ont encore, la tentation de reléguer loin des lecteurs, voire de détruire, les objets imprimés dont la conservation semblait assurée par le transfert sur un autre support : le microfilm et la microfiche d’abord, le fichier numérique aujourd’hui. Contre cette mauvaise politique, il faut rappeler que protéger, cataloguer et rendre accessible (et pas seulement pour les experts en bibliographie matérielle) les textes dans les formes successives ou concurrentes qui furent celles où les ont lus leurs lecteurs du passé, et d’un passé même récent, demeure une tâche fondamentale _ une mission de « droit«  universelle… _ des bibliothèques _ et la justification première _ voilà ! _ de leur existence comme institution et lieu de lecture _ publics ! et « universels«  (« de droit«  !)…

A supposer que les problèmes techniques et financiers de la numérisation aient été résolus ; et que tout le patrimoine écrit puisse être _ très effectivement _ converti sous une forme numérique, la conservation et la communication de ses supports antérieurs n’en seraient pas moins _ elles aussi _ nécessaires _ « de droit«  ! donc… Sinon, le « bonheur extravagant » promis _ aux « lecteurs » les plus curieux et boulimiques, du moins ; tels un Borges ; ou un Bioy… _ par cette bibliothèque d’Alexandrie enfin réalisée se paierait au prix fort de l’amnésie _ on ne peut plus effective : dans les têtes de millions de personnes !.. pas aussi curieuses, ni boulimiques qu’un Borges… _ des passés qui font que les sociétés sont ce qu’elles sont.

Et ce d’autant plus que la numérisation des objets de la culture écrite qui est encore la nôtre (le livre, la revue, le journal) leur impose une mutation bien plus forte _ aujourd’hui _ que celle impliquée _ jadis _ par la migration des textes du rouleau au codex. L’essentiel _ nous y voici !!! _ ici me paraît être la profonde transformation de la relation _ à effectuer ! par le « lecteur«  effectif… _ entre le fragment et la totalité _ cette dernière se trouvant alors « oubliée« , effacée des esprits ainsi « oublieux« 

Au moins jusqu’à aujourd’hui, dans le monde électronique, c’est la même surface illuminée de l’écran de l’ordinateur qui donne à lire les textes, tous les textes _ identiquement, ainsi… _, quels que soient leur genre ou leur fonction _ sans nul « relief« , ni « hiérarchie«  Est ainsi rompue la relation _ effective… _ qui, dans toutes les cultures écrites antérieures, liait étroitement des objets, des genres et des usages _ avec reliefs et hiérarchies, précisément ; rappelés par la matérialité même des « supports » et des « cadres » (de l’opération de « lecture« ) forcément sensiblement perçus… C’est cette relation qui organise les différences immédiatement perçues _ voilà ! par des personnes qui en soient (vraiment !) ; soient des « lecteurs« , et pas de simples « déchiffreurs » (d’« informations« ) _ entre les différents types de publications imprimées _ proposées ! _ et les attentes _ esquissées, avancées, construites _ de leurs lecteurs _ actifs _, guidés dans l’ordre ou le désordre des discours par la matérialité même _ voilà ! _ des objets qui les portent _ matériellement _ cf dans cet « ordre de choses« , la difficilement résistible expansion actuelle des feuilles de journaux « gratuits« 

Et c’est cette même relation qui rend visible _ au « lecteur«  un peu plus que « déchiffreur«  _ la cohérence _ et « consistance«  aussi … _ des œuvres _ au-delà de la « page«  lue _, imposant la perception _ par le « lecteur«  _ de l’entité textuelle _ intégrale _, même à celui qui n’en veut lire que quelques pages. Dans le monde de la textualité numérique, les discours ne sont plus inscrits dans des objets _ matériels spécifiques : le livre, la revue, le journal, etc… _, qui permettent de les classer, hiérarchiser _ voilà _ et reconnaître dans leur identité propre _ voire singulière. C’est un monde de fragments décontextualisés, juxtaposés _ épars, quasi brisés (schizophréniquement…)… _, indéfiniment recomposables _ en d’infinies alternatives (kaléidoscopiques !) dénuées le plus souvent de tout « relief« _, sans que soit nécessaire ou désirée _ ni même seulement envisagée !.. par qui « déchiffre«  à la va-vite… _ la compréhension de la relation qui les inscrit _ voilà ; et les « relie » avec une certaine « consistance » ainsi... _ dans l’œuvre dont ils ont été extraits _ ou « coupés«  (« schizés« …) : la signification même de la réalité (et « consistance« , donc) d’une « œuvre » pouvant aller, même, jusqu’à être « perdue de vue« , « noyée« 

On objectera qu’il en a toujours été ainsi dans la culture écrite, largement et durablement construite _ in concreto _ à partir de « recueils » d’extraits, d' »anthologies » de lieux communs (au sens noble de la Renaissance), de « morceaux choisis« . Certes. Mais, dans la culture de l’imprimé, le démembrement _ voilà ! la « mise en pièces«  par charcutage… _ des écrits est accompagné de son contraire _ tout aussi effectif _ : leur circulation _ physique _ dans des formes qui respectent leur intégrité et qui, parfois, les rassemblent _ toujours physiquement ; pour commencer, du moins… _ dans des « œuvres« , complètes ou non. De plus, dans le livre lui-même, les fragments sont nécessairement, matériellement, rapportés à une totalité textuelle, reconnaissable _ matériellement, donc _ comme telle..

Plusieurs conséquences découlent de ces différences fondamentales _ entre le jadis (le codex, puis le livre imprimé) et le maintenant « numérique«  L’idée même de « revue » devient incertaine, lorsque la consultation des articles n’est plus liée à la perception immédiate d’une logique éditoriale _ entreprise par un éditeur ou une équipe éditoriale : « responsable« … _ rendue visible _ in concreto _ par la composition de chaque numéro ; mais est organisée à partir d’un ordre _ seulement _ thématique _ inerte _ de rubriques. Et il est sûr que les nouvelles manières de lire _ le plus souvent proches du déchiffrage minimal… _, discontinues et segmentées _ kaléidoscopiques _, mettent à mal les catégories qui régissaient le rapport _ activement pensé, lui… _ aux textes et aux œuvres, désignées, pensées _ voilà ! _ et appropriées dans leur singularité et cohérence _ et mises en relation à des « auteurs« , responsables de leur signature, en bout de « ligne«  de ces diverses opérations et « acteurs« 

Ce sont justement ces propriétés fondamentales de la textualité numérique et de la lecture face à l’écran _ tels étant les facteurs à prendre ici en compte _ que le projet commercial de Google entend exploiter _ à divers égards. Son marché _ c’est là sa logique dominante ! _ est celui de l’information _ ponctuelle (et rapide : « Time is money«  ; comme « Money is time« ) ; pas celui de la pensée, de la méditation, de la réflexion, de la culture critique « filée« Les livres, tout comme d’autres ressources numérisables, constituent un immense gisement _ quasi immédiatement disponible _ où elle _ cette « information« , donc _ peut être puisée _ et livrée telle quelle, plus ou moins (et plutôt plus que moins…) brute… Comme l’a écrit Sergey Brin, l’un des cofondateurs de l’entreprise _ Google _ : « Il y a _ en soi, déjà là… _ une fantastique quantité _ juteusement intéressante ! _ d’informations dans les livres. Souvent, quand je fais une recherche _ au moins thématiquement « active » !.. _, ce qui se trouve _ déjà ; « placé«  là (pas n’importe comment !) par un « auteur«  : en effet !.. _ dans un livre est cent fois au-dessus de ce que je peux trouver sur un site électronique » _ faute de « vrais » « auteurs » ; de « vraies » « personnes« , commenterais-je…

De là, la perception immédiate et naïve de tout livre, de tout discours comme une banque de données _ la métaphore est déjà parlante… _ fournissant les « informations » à ceux qui les cherchent. Satisfaire cette demande et en tirer profit, tel est le premier but _ pragmatique à très court terme (faute de « patience«  sollicitée…) ; et très juteux : pour l’entreprise au premier chef ! _ de l’entreprise californienne ; et non pas construire une bibliothèque universelle _ à la Borges de la nouvelle de « Fictions«  _ à la disposition de l’humanité.

Google ne semble d’ailleurs pas très bien _ technologiquement _ équipé pour le faire, à en juger par les multiples erreurs de datation, de classification et d’identification produites par l’extraction automatique _ certes : algorithmique… _ des données et relevées avec ironie par Geoffrey Nunberg _ dans son article « Google’s Book Search: A Disaster for Scholars«  _ dans The Chronicle of Higher Education du mois d’août _ le 31 août précisément. Pour le marché de l’information, ces bévues sont secondaires _ statistiquement négligeables eu égard à la somme (= foultitude !) des « services rendus«  informationnels… Ce qui importe, c’est l’indexation et la hiérarchisation des données et les mots-clés et rubriques qui permettent d’aller au plus vite _ le temps et l’argent pressent !.. _ aux documents les plus « performants » _ « thématiquement » (et non « problématiquenent« , pour reprendre un distinguo très utile d’Élie During _ cf mon article du 17 avril 2009 : « élégance et probité d’Elie During…« … ;

voici la citation : « La pensée a une forme, mais elle doit se comprendre dans toute son extension, de façon à y inclure formats et dispositifs, gestes et procédés _ disait Elie During _ : c’est là le facteur décisif ; ce qui distingue irrémédiablement une problématique (effective : dynamisante !) d’une thématique (inerte ; et par là stérilisante, plombante : aveugle et sans filiation en aval) ; problématique où se donne à ressentir (et retentir, pour commencer) la complexité en jeu des modalités actives de l’espace et du temps, tout d’abord » ; fin de la citation de cet article du 17 avril…),

selon la satisfaction « de fait«  (et non « de droit«  !..) des « usagers« 

Cette géniale découverte d’un nouveau marché _ fructueux pour l’entreprise initiatrice _, toujours en expansion, et les prouesses techniques qui donnent à Google un quasi-monopole sur la numérisation de masse ont assuré le grand succès et les copieux bénéfices _ voilà ! tel étant l’« étalon«  de mesure de la valeur (marchande) ! _ de cette logique commerciale. Elle suppose la conversion électronique de millions de livres, tenus comme une inépuisable mine d’informations  _ voilà…

Elle exige, en conséquence, des accords passés ou à venir avec les grandes bibliothèques du monde _ principaux « lieux«  (et aisément repérables !) de ce « gisement« _, mais aussi, comme on l’a vu, une numérisation d’envergure _ c’est la « somme » totale qui « compte«  ; on ne regarde pas tant au « détail« … ; le raisonnement, quantitatif, fonctionne sur de « grandes masses«  _, guère préoccupée par le respect _ et selon quelles normes de droit ? là où tout, « sans tabous« , « se négocie » et « se marchande«  _ du copyright ; et la constitution d’une gigantesque base de données, capable d’en absorber d’autres et d’archiver _ aussi : vive la capacité mémorielle simplement algorithmique !… _ les informations les plus personnelles sur les internautes _ = un gigantesque fichier (à exploiter, comme à vendre…) de clients potentiels !.. _ utilisant les multiples services proposés par Google.

Toutes les controverses actuelles _ qui agitent les divers « acteurs » de ce « jeu«  aux enjeux capitaux ! du devenir et du « livre«  et de la « lecture«  elle-même… _ dérivent de ce projet premier _ de Google. Ainsi, les procès faits par certains éditeurs (par exemple La Martinière) pour reproduction et diffusion illégales d’œuvres sous droits ; ou bien l’accord passé entre Google et l' »Association des éditeurs » et la « Société des auteurs » américains, qui prévoit le partage des droits demandés pour l’accès aux livres sous copyright (37 % pour Google, 63 % pour les ayants droit)… Ce « settlement » inquiète _ en effet _ le Department of Justice puisqu’il pourrait constituer une possible infraction à la loi antitrust ; et il reviendra le 9 novembre devant le juge new-yorkais chargé de le valide _ puis à la Cour suprême des Etats-Unis…

Ou encore, le lancement spectaculaire de Google Edition, qui est, en fait, une puissante librairie numérique _ « en ligne« _ destinée à concurrencer Amazon dans la vente _ on ne peut plus effective… _ des livres électroniques. Sa constitution a été rendue possible par la mainmise de Google _ déjà _ sur cinq millions de livres « orphelins« , toujours protégés par le copyright _ certes _, mais dont les éditeurs ou ayants droit ont disparu _ et ne se plaindront donc pas ! _, et par l’accord qui légalisera _ par transaction « amiable«  _, après coup, les numérisations pirates _ d’abord « illégales » ; mais plus ensuite de cela : merci les avocats et les juges…

Les représentants de la firme américaine courent _ donc _ le monde et les colloques pour proclamer _ urbi et orbi _ leurs bonnes intentions _ rhétoriques _ : démocratiser l’information ; rendre accessible les livres indisponibles ; rétribuer correctement auteurs et éditeurs ; favoriser une législation sur les livres « orphelins« . Et, bien sûr, assurer la conservation « pour toujours » d’ouvrages menacés par les désastres qui frappent les bibliothèques _ comme le rappelle _ si opportunément : à la bonne heure !.. _ Sergey Brin dans un article _ « A Library to Last Forever«  _ récent _ le 8 octobre _ du New York Times, où il justifie l’accord soumis au juge par les incendies qui détruisirent la bibliothèque d’Alexandrie ; et, en 1851, la bibliothèque du Congrès _ de Washington : « pour durer éternellement«  ; enfin !.. ô la merveilleuse « assurance«  (contre la mort même)…

Cette rhétorique _ juridique, commerciale et idéologique : oui ! relire ici la force de la mise en garde de Socrate in le plus que jamais pertinent (et urgent) « Gorgias«  de Platon… _ du « service du public » et de la « démocratisation universelle » ne suffit _ hélas _ pas pour lever les préoccupations _ de droit, surtout _ nées des entreprises de Google. Dans un article _ « Google & the Future of Books«  _ du New York Review of Books du 12 février et dans un livre très bientôt publié « The Case for Books : Past, Present and Future » (Public Affairs), Robert Darnton convoque les idéaux des Lumières pour _ nous _ mettre _ tous _ en garde contre _ l’impérialisme de _ la logique du profit _ non désintéressé _ qui gouverne les entreprises googliennes. Certes, jusqu’ici une claire distinction est établie entre les ouvrages tombés dans le domaine public, qui sont accessibles gratuitement sur Google Books, et les livres sous droits, orphelins ou non, dont l’accès et maintenant l’achat sur Google Edition sont payants.

Mais rien n’assure que dans le futur l’entreprise, en situation de monopole _ avec ce qui en découle pragmatiquement… _, n’imposera pas _ de fait, et selon ce que devient, de par le monde (et les États…), la « Justice«  _ des droits d’accès ou des prix de souscription considérables _ en l’absence de concurrence effective alors… _ en dépit de l’idéologie _ doucereuse, sirénique… _ du bien public et de la gratuité qu’elle affiche _ généreusement _ actuellement. D’ores et déjà, un lien existe _ bien _ entre les annonces publicitaires, qui assurent les profits considérables _ voilà ! _ de Google, et la hiérarchisation _ essentiellement comptable… _ des « informations » qui résulte de chaque recherche _ d’« utilisateurs » internautes… _ sur Google Search _ certes : beaucoup le « savent«  déjà ; mais pas tous ; pardon pour l’euphémisme !..

C’est dans ce contexte _ historique : de court comme de long (et très long) terme : brûlamment « actuel«  donc !.. _ qu’il faut situer les débats suscités par la décision _ d’ores et déjà advenue _ de certaines bibliothèques de confier la numérisation de tout ou partie de leurs collections à Google, dans le cadre d’une convention ; ou, plus rarement, d’un appel d’offres _ concurrentiel, lui… Dans le cas français, de tels accords et les discussions ouvertes pour en signer d’autres ne concernent jusqu’à maintenant que les livres du domaine public _ ce qui, on l’a vu, ne protège pas les autres, scannés dans les bibliothèques américaines. Faut-il poursuivre dans cette voie ?

La tentation _ pragmatico-économique _ est forte dans la mesure où les budgets réguliers _ fort minces ; et le plus souvent en fortes baisses !.. _ ne permettent pas de numériser _ in concreto_ beaucoup et vite. Pour accélérer la mise en ligne, la Commission européenne, les pouvoirs publics et certaines bibliothèques ont donc pensé _ jugé… _ qu’étaient nécessaires _ plus qu’utiles : judicieux, financièrement d’abord… (et par là « légitimes«  !.. dans « le monde tel qu’il va«  désormais ; « réalistement« , donc !.. au moins eu égard à la pression des « comptables«  !..) _ des accords avec des partenaires privés et, bien évidemment, avec le seul qui _ de fait _ a _ présentement _ la maîtrise technique (d’ailleurs gardée secrète _ forcément !..) autorisant des numérisations massives _ inutile de le nommer… Au nom du « réalisme«  pragmatique le mieux entendu…

De là, les négociations, d’ailleurs prudentes et limitées, engagées entre la Bibliothèque nationale de France (BNF) et Google. De là les désaccords _ se faisant jour, de-ci, de-là… _ sur l’opportunité _ ou « légitimité » ?.. selon quels « fondements » ?.. _ d’une telle démarche, tant en France qu’en Suisse, où le contrat signé entre la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne et Google a entraîné une sérieuse discussion (_ « Google dévore les livres« _ Le Temps du 19 septembre).

A constater la radicale différence qui sépare les raisons, les modalités et les utilisations des numérisations des mêmes fonds lorsqu’elle est portée par les bibliothèques publiques et _ c’est là l’autre terme de l’alternative ! _ par l’entreprise californienne, cette prudence est plus que justifiée ; et pourrait, ou devrait, conduire _ par prudence quant à la détermination de qui dispose du « final cut » !.. ; et de qui s’en dessaisit… _ à ne pas céder à la tentation. L’appropriation privée _ voilà ! _ d’un patrimoine public, mis à disposition d’une entreprise commerciale, peut apparaître comme choquante _ bel euphémisme…

Mais, de plus, dans de nombreux cas, l’utilisation par les bibliothèques de leurs propres collections numérisées par Google (et même s’il s’agit d’ouvrages du domaine public) est _ d’ores et déjà _ soumise à des conditions _ acceptées par contrat signé par elles : un « passage«  par quelques « fourches caudines » ?.. _ tout à fait inacceptables, telles que l’interdiction d’exploiter les fichiers _ ainsi _ numérisés _ « de leurs propres collections« , donc !.. _ durant plusieurs décennies ; ou celle de les fusionner avec ceux d’autres bibliothèques. Tout aussi inacceptable _ eu égard au droit public des démocraties : dont le « souverain » demeure (en théorie) « le peuple« _ est un autre secret : celui qui porte sur les clauses _ notamment financières ; mais pas seulement, loin de là… _ des contrats signés avec chaque bibliothèque.

Les justes réticences _ avance donc Roger Chartier, s’en faisant ici le rapporteur… _ face à un partenariat _ cf Jean de La Fontaine : « Le Pot de terre et le Pot de fer« , « Fables« , V, 2… ; et « Les Animaux malades de la peste« , VII, 1 ; voire « Le Chat, la belette et le petit lapin« , VII, 16 _ aussi risqué _ telle la signature d’un chèque en blanc ?.. _ ont plusieurs conséquences _ quant à des mesures de garanties préventives à prendre impérativement et d’urgence ! D’abord, exiger _ pour les éventuels contrats à passer : mais comment l’obtenir concrètement, au-delà de (vagues, si elles sont seulement énoncées…) « promesses«  qui ne seront guère (ou pas du tout !) tenues… ; on ne peut plus cyniquement… _ que les financements publics des programmes de numérisation soient _ de la part des gouvernements des États ! _ à la hauteur des engagements, des besoins et des attentes _ des usagers les mieux exigeants _ ; et que les États _ que deviennent-ils donc, eux-mêmes, au fait (!), par les temps qui courent ?.. _ ne se défaussent pas sur des opérateurs privés _ comme cela se pratique pourtant de plus en plus ; et s’affiche même comme « ligne politique«  « saine«  !.. _ des investissements culturels à long terme qui leur incombent _ l’acceptent-ils donc ? ces États ?.. et devant les « peuples » ? dont ils ne sont, in fine, que les « représentants«  (strictement contractuels, « mandatés«  ; et pour une période strictement limitée) ?..

Ensuite, décider des priorités _ sans abandonner un tel pouvoir de décision (du choix de ces « priorités« …) à d’autres ; et contrôler ce qu’il en advient… _, sans nécessairement penser que tout « document » a _ en soi _ vocation à devenir numérique ; puis, à la différence du « gisement d’informations » googlien, construire _ d’intelligence « la meilleure » (en consultant « vraiment » des « autorités » « culturelles » incontestables compte tenu des formidablement majeurs ! enjeux « civilisationnels«  !) ; pas seulement l’intelligence performante technologiquement ; ou rien que rentable financièrement… : il s’agit là rien moins que de la responsabilité des « valeurs«  de référence de notre « monde commun«  à bâtir (cf Cornélius Castoriadis : « L’Institution imaginaire de la société » ; ou Bernard Stiegler : passim : par exemple « Mécréance et discrédit«  _ des collections numériques cohérentes, respectueuses des critères d’identification et d’assignation des discours qui ont organisé et organisent encore la culture écrite et la production imprimée _ un point capital !

L’obsession, peut-être excessive et indiscriminée, pour la numérisation ne doit pas _ non plus _ masquer un autre aspect de la « grande conversion numérique », pour reprendre l’expression du philosophe Milad Doueihi _ cf « La Grande conversion numérique« , aux Éditions du Seuil _, qui est sans doute, avec Antonio Rodriguez de las Heras _ l’auteur du livre électronique « Los estilitas de la sociedad tecnológica« , notamment… _, l’un de ceux qui insistent sur la capacité de la nouvelle technique à porter des formes d’écriture originales _ vraiment ! _, libérées des contraintes imposées, à la fois, par la morphologie du codex et le régime juridique du copyright _ c’est un facteur intéressant… Cette écriture palimpseste et polyphonique, ouverte et malléable, infinie et mouvante _ ce peut-être une richesse de vraie « création«  de la part du « génie » humain, en effet ; et de ses capacités formidables de « progrès«  (authentique !)… _, bouscule les catégories qui, depuis le XVIIIe siècle, sont le fondement de la propriété littéraire.

Ces nouvelles productions écrites, d’emblée numériques _ tels les blogs… _, posent dès maintenant la difficile question _ concrète et hypertechnologique _ de leur archivage et de leur conservation. Il faut y être attentif _ aussi ! _ ; même si l’urgence aujourd’hui _ et la priorité, selon Roger Chartier _ est de décider comment et par qui doit être faite _ et surveillée (contre des « abus«  de droit humain authentique) : l’enjeu (de « pouvoir« ) est, et au plus beau sens du terme, « politique«  !!!.. il concerne la Cité (mondiale, désormais…) d’un monde « commun«  et vraiment « humainement«  « partagé«  _ la numérisation du patrimoine écrit ; en sachant que la « république numérique du savoir » _ son concept est utile autant que beau ! _, pour laquelle plaide avec tant d’éloquence l’historien américain Robert Darnton _ de lui, par exemple : « Édition et sédition : l’univers de la littérature clandestine au XVIIIème siècle« , aux Éditions Gallimard… _, ne se confond _ décidément _  pas _ tristement réductivement… _ avec ce grand marché de l’information auquel Google et d’autres proposent leurs produits ».

Roger Chartier est professeur au Collège de France.

Altermondialismes versus néolibéralisme : un passionnant état des lieux sur laviedesidees.com , par Geoffrey Pleyers

29jan

Afin de (un peu) comprendre (un peu mieux) l’état des « forces », « poussées » et « luttes » (actuelles)

_ soit altermondialisme(s) versus néolibéralisme _

sur notre planète (commune : partagée et divisée),

voici un passionnant « état des lieux »,

précis, détaillé et assez nuancé, me semble-t-il,

de Geoffrey Pleyers,

sur le toujours très remarquable site de laviedesidees.com :

l’article « Les défis du Forum Social Mondial 2009« 

Je surlignerai ce qui, personnellement, m' »interpelle » ;

et ponctuerai, légèrement, le texte de quelques remarques de « commentaire », à l’occasion ; selon la « méthode » que je me suis donnée ; et propose aux lecteurs de ce blog _ qui permet de ne lire, aussi, que l’article original, si on le préfère _ ;

telle une amorce, en quelque sorte, de « conversation » avec chaque lecteur…

Les défis du Forum Social Mondial 2009

par Geoffrey Pleyers [28-01-2009]

Domaine : International

Mots-clés : altermondialisme

Toutes les versions de cet article :

Alors que s’est ouvert au Brésil, mardi 27 janvier, le huitième Forum Social Mondial,

Geoffrey Pleyers dresse l’état des lieux _ c’est l’expression juste _ du mouvement altermondialiste :

en dépit d’un essoufflement apparent, les idées essaiment et de nouveaux terrains d’action sont déjà ouverts.

<!–

Voir en ligne : http://www.flickr.com/photos/haerin…

Vers le Forum Social Mondial 2009

Ce mardi 27 janvier s’ouvre le huitième Forum Social Mondial (FSM) à Bélem, au Brésil. [1] Bien des choses ont changé sur la planète altermondialiste depuis la dernière visite du Forum au Brésil il y a quatre ans, en janvier 2005. Le Forum qui s’était alors tenu à Porto Alegre reste considéré comme le plus réussi tant par la qualité et l’ouverture de nombreux ateliers qu’il a hébergés que par son ampleur : 200 000 manifestants pour la marche d’ouverture, un demi-million de personnes recensées par la police sur le site du FSM, 2 500 ateliers organisés de manière décentralisée par 5 700 associations et 6 923 journalistes accrédités pour couvrir l’événement. Le FSM achevait alors une phase de croissance impressionnante, passant en quatre ans de 15 000 à 170 000 participants [2]. Il était devenu un immense rassemblement qui avait permis aux activistes _ si l’on veut… _ venus de toutes les régions du monde d’échanger leurs expériences et de discuter d’alternatives locales et globales.

Depuis ce grand rendez-vous de 2005, la géographie de l’altermondialisme a été profondément modifiée. Le mouvement a considérablement décliné dans plusieurs de ses bastions historiques, à commencer par la France et l’Europe occidentale. Dans le même temps, il a connu des succès nouveaux dans des régions qui revêtent une importance symbolique et stratégique : l’Afrique et l’Amérique du Nord. Plus de soixante Forums Sociaux nationaux ou régionaux ont par exemple été organisés en Afrique depuis 2005. Bamako en 2006, puis Nairobi en 2007 ont accueilli le Forum Social Mondial, suscitant d’importantes dynamiques au sein de la société civile _ un acteur important du réél _ des pays de ces deux régions du continent. Plusieurs Forums ont également animé _ _ le Maghreb. En Amérique du Nord, les altermondialistes canadiens n’ont cessé d’être dynamiques depuis 2001 ; et le premier Forum Social des États-Unis, organisé à Atlanta en juin 2007, a réuni une dizaine de milliers de militants venus de différents courants de la société civile progressiste américaine et des minorités. Le Forum Social du Mexique qui tiendra sa seconde session en même temps que le Forum de Bélem est lui aussi parvenu à initier une nouvelle convergence dans une société civile nationale très fragmentée [3].

Les transformations qu’a connues l’altermondialisme depuis 2005 sont cependant bien plus profondes que sa seule recomposition géographique _ dont acte ! D’où cette « analyse »… Les querelles autour des objectifs des Forums Sociaux et des orientations politiques que certains souhaitent lui voir afficher [4] ; ou le déclin de l’impact médiatique dont jouissait le mouvement _ à noter _ constituent des symptômes d’une transformation profonde du mouvement ; qui a conduit à sa réorganisation autour de trois courants _ tel va être le point de focalisation de cette analyse de Geoffrey Pleyers. Elle s’est également traduite par certains aveux de faiblesse du mouvement _ dont acte _ en cette période de crise globale. La réaction des altermondialistes face à l’important sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui s’est tenu à Genève en juin 2008 a constitué une illustration particulièrement claire à cet égard.

Le « paradoxe de Genève »

Du 22 au 29 juillet 2008, trente délégations des pays les plus influents de l’OMC se sont réunies à Genève à l’initiative de Pascal Lamy pour ce qui était alors présenté comme une « réunion de la dernière chance » destinée à remettre en piste le processus de libéralisation du commerce initié à Doha en 2001. Après l’échec des négociations à Seattle (1999), Cancun (2003) et Hong Kong (2005), la crédibilité même de l’organisation était en jeu. Or, malgré l’importance de l’enjeu, les associations et réseaux altermondialistes n’ont cette fois pas été capables _ _ de mobiliser leurs troupes comme elles l’avaient fait les années précédentes à Gènes, Gleaneagle ou Rostock. Genève n’a pas connu de mobilisations comme celles qui avaient animé la ville en 2003 lors du sommet du G8 d’Évian.

Pourtant, dans un même temps, le succès de certaines idées _ oui : ce sont aussi des « acteurs » de l' »Histoire » ; du « Réel »… _ altermondialistes connaissaient un succès sans précédant, bien au-delà des sympathisants du mouvement et même des clivages politiques. Alors qu’au cours des années 1990, l’ouverture d’un pays au commerce et aux investissements internationaux était considérée comme l’unique voie vers la croissance économique et la modernisation, N. Sarkozy, alors président en exercice de l’Union Européenne, et le premier ministre indien M. Singh affichaient clairement  _ c’est une « proclamation » _ leur « refus de sacrifier des centaines de milliers d’emplois dans l’agriculture sur l’autel du néolibéralisme » (Le Monde, 22 juillet 2008)Avec la crise financière de l’automne 2008, même Gordon Brown s’est transformé en nouveau leader _ proclamé, lui aussi _ d’une coalition internationale qui promeut une économie plus régulée et un nouveau Bretton Woods. Le nouveau président américain Barack Obama a lui aussi adopté certaines positions proclamé en public, du moins : à la date du 8 novembre 2008, il n’était que »président élu » ; pas encore en activité… _ qui tiennent particulièrement à cœur aux altermondialistes, notamment face à l’impunité des paradis fiscaux (Guardian, 08/11/2008). La crise financière globale de 2008 a constitué une théâtralisation d’un profond changement idéologique :

la fin de trois décennies d’hégémonie de la pensée néolibérale [5] _ une expression qui me paraît capitale !!!

Les institutions internationales qui avaient supervisé la libéralisation du commerce mondial et prônaient les mesures néolibérales auprès de leurs membres ou de leurs créanciers ont considérablement perdu de leur légitimité et de leur influence _ voilà le fait marquant ; et désormais incontournable. Les gouvernements latino-américains ont enterré le projet de Zone de Libre Échange des Amériques (ZLEA) et plusieurs ont payé anticipativement leurs dettes pour échapper aux diktats des institutions de Bretton Woods. Le processus de libéralisation du commerce s’est arrêté _ un tournant historique d’importance ! _ et les sommets de l’OMC se sont soldés par une série d’échecs. Le FMI de Dominique Strauss-Kahn est devenu inaudible _ mazette ! _ malgré l’ampleur de la crise mondiale. La Banque Mondiale est sans voix ; et fait désormais face _ les courants de pouvoir changent donc… _ à des projets alternatifs comme la Banque du Sud en Amérique Latine.

Au cours des quinze dernières années, le mouvement altermondialiste a activement contribué à miner la légitimité _ voilà… _ dont se paraient le Consensus de Washington et les institutions qui le promouvaient. Il est notamment parvenu à ouvrir les débats _ tiens… _ sur les politiques économiques et commerciales, jusqu’alors réservés _ voilà _ à quelques cercles restreints _ et discrets… _ d’experts et de technocrates des institutions internationales. Les altermondialistes ont demandé _ un peu plus haut et fort _ que les politiques néolibérales soient évaluées suivant leurs résultats, arguant qu’elles se sont révélées _ de fait _ contre-productives _ _ en termes de réduction de la pauvreté ou de stabilité économique, comme en avaient attesté les crises financières asiatique (1997-1998), argentine (2001), américaine (2007) et globale (_ at last, but not at least, en _ 2008). Les activistes et les experts altermondialistes avaient également insisté sur la légitimité des interventions des États _ coucou ! les revoilà ! _ dans le domaine économique, contrairement aux conceptions néolibérales _ eh oui ! _ qui jugeaient _ de très haut _ le marché et les experts indépendants plus rationnels _ ah ! la « ratio » économique ! _ et davantage orientés vers le long terme _ plus décisif et « réel » _ que les élus politiques [6] _ obnubilés, eux, par leur maintien au pouvoir, aux prochaines échéances électorales… Avec la crise globale _ telle on doit la nommer _, les positions altermondialistes sont désormais _ voilà la nouveauté dont il faut impérativement  tenir compte désormais ! _ hégémoniques _ du moins « dominantes » _ sur cette question. En mai 2008 déjà, l’ancien président brésilien F.H. Cardoso, qui fut l’une des cibles favorites des altermondialistes, expliquait que « très peu de pays qui ont adopté les recettes néolibérales ne se sont pas complètement effondrés, comme ce fut le cas de l’Argentine. Les pays qui ont réussi leur passage dans la mondialisation y sont parvenus parce qu’ils ont maintenu une capacité de décision de leur État  _ voilà ! _ dans le domaine économique » [7].

Le paradoxe est donc qu’au moment _ maintenant : janvier 2009 _ où quelques-unes des principales idées _ c’est de cela qu’il s’agit, pour le moment, du moins… _ altermondialistes sont reprises _ au moins en paroles _ par les décideurs politiques de tous bords _ mais oui !.. _ ; et que les institutions internationales qui furent les cibles des altermondialistes sont largement discréditées _ ah ! la confiance… _, l’avenir des associations et des événements qui ont le plus fortement incarné le mouvement semble pour le moins incertain _ du moins en balance, hésitant… Des réseaux qui furent au cœur du mouvement ont aujourd’hui disparu (comme le Mouvement de Résistance Globale de Barcelone ou de nombreux Forums Sociaux locaux) ou considérablement décliné (comme ATTAC). Les derniers Forums Sociaux continentaux à Malmö (17-21 septembre, 12.000 participants) et à Guatemala City (7-12 octobre 2008, 7.500 militants) n’ont plus attiré les foules des éditions précédentes. Plutôt que d’y célébrer la « fin du néolibéralisme » décrétée par J. Stiglitz en juillet 2008, _ à aller regarder d’un peu plus près… _ les activistes européens se sont inquiétés de l’avenir du mouvement sur leur continent. Deux semaines plus tard, le Forum Social des Amériques a surtout ressemblé à un « show politique bien orchestré » [8] plutôt qu’à un débat stimulant _ et fécond _ entre des organisations de base. Le mouvement a par ailleurs perdu beaucoup de l’aura médiatique qui le caractérisait entre 1998 et 2005. Les Forums Sociaux et des dizaines d’associations avaient développé d’impressionnants dispositifs d’ « éducation populaire » qui ont familiarisé des dizaines de milliers de citoyens avec les problématiques macroéconomiques et financière. Mais peu d’entre eux sont parvenus à faire entendre _ plus largement _ leurs visions de la crise dans les grands médias.

Vers des « résultats concrets »

Le mouvement aurait-il été victime de son succès ? Les grandes manifestations et les Forums Sociaux ont probablement perdu de leur utilité alors que certains slogans altermondialistes sont désormais repris _ mais avec quelle signification, impact et résultats effectifs ? _ par l’establishment politique et économique [9]. Cependant, si le mouvement a contribué à bloquer le processus de libéralisation du commerce _ ce qui n’est pas tout à fait rien _, les alternatives concrètes et constructives qui en sont issues demeurent encore limitées ; et le nouvel ordre mondial auquel en ont appelé les militants reste à construire. L’importance d’une régulation globale _ oui _ et des défis planétaires  _ pas moins ! _ rappelle chaque jour _ aux consciences des décideurs, comme de tout un chacun des citoyens _ l’urgence d’une coopération internationale [10]. La crise alimentaire et les conséquences de la crise économique n’ont fait que renforcer la nécessité de porter davantage d’attention _ et d’action ; et de « soins » _ à la cohésion sociale, à la pauvreté et aux inégalités. Aussi, après avoir remporté un certain succès au niveau des idées _ sur le terrain d’une certaine « opinion publique »… _, les altermondialistes estiment qu’il s’agit désormais de se focaliser sur des applications concrètes _ voilà ce qui peut se dégager d’une attention au « terrain »… Cependant, alors que les Forums Sociaux, les grandes manifestations et l’opposition claire au néolibéralisme fournissaient une large couverture médiatique et une image unifiée au mouvement _ un peu lisiblement, en quelque sorte _, les altermondialistes sont bien plus divisés lorsqu’il s’agit de promouvoir des alternatives et des politiques à mettre en œuvre. Le mouvement apparait dès lors fragmenté autour de trois grandes orientations _ et voici l’apport concret et précis de cette contribution de Geoffrey Pleyers…

1. Le changement à partir du niveau local

Plutôt que dans un mouvement global et des forums internationaux, les activistes de la « composante culturelle » du mouvement altermondialiste s’investissent dans des réseaux locaux. Ils considèrent qu’une transformation sociale profonde viendra d’une mise en œuvre des valeurs d’horizontalité, de participation, de convivialité et de respect de l’environnement dans les pratiques quotidiennes et les espaces locaux. Comme d’autres mouvements indigènes latino-américains, les zapatistes ont par exemple concentré leurs énergies depuis 2001 sur le développement de communautés autonomes gérées selon ces principes, développant notamment sur des pratiques de gouvernement participatif _ qu’est-ce à dire précisément ? _, un système d’éducation alternatif et une revalorisation de la place des femmes au sein des communautés [11].

Dans les villes occidentales, on assiste également à la multiplication des réseaux d’activistes qui prétendent apporter des alternatives concrètes à la mondialisation néolibérale, aux multinationales et à la consommation de masse à partir d’initiatives locales et conviviales. La « consommation critique » et les initiatives visant à promouvoir une sociabilité dans les quartiers semblent par exemple occuper la place laissée vacante par un déclin de l’altermondialisme dans les centres sociaux italiens [12]. Une vaste panoplie de réseaux urbains, généralement de taille modeste, se sont répandus au cours des dernières années dans les villes occidentales, depuis les « vélorutionnaires » qui promeuvent l’usage du vélo jusqu’aux jardiniers clandestins qui embellissent les ronds-points et autres espaces publics. Des « Groupes d’Achats Communs » (GAC) ou des « Associations Pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne » (AMAP) se sont multipliées en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Leurs membres s’organisent pour acheter ensemble des produits biologiques aux agriculteurs locaux. Leur objectif est non seulement de permettre une alimentation de qualité à des prix abordables, mais aussi d’incarner une alternative _ civilisationnelle _ à l’ « anonymat des supermarchés » et de promouvoir les liens sociaux _ conviviaux, « non-inhumains » _ à l’échelle locale. Dans un registre similaire, la vaste mouvance pour une « décroissance conviviale » et ses « objecteurs de croissance et de vitesse » sont axés sur la mise en pratique de styles de vie _ un concept bien intéressant _ moins voraces en ressources naturelles.

2. Des lobbies altermondialistes et citoyens

Plutôt que des mobilisations massives et de grands forums, une autre composante de l’altermondialisme considère que le mouvement ne pourra parvenir à des résultats concrets qu’en organisant des réseaux thématiques capables de développer une argumentation solide et un lobbying efficace _ voilà la piste d’action _ auprès des décideurs politiques et des institutions internationales. Ils se sont organisés autour de thèmes comme « la souveraineté alimentaire« , « la dette du Tiers-Monde«  ou « les transactions financières« . À partir de questions spécifiques comme la gestion collective de l’eau [13], les militants entendent débattre de problèmes plus vastes comme la défense des biens publics ou la promotion de l’idée selon laquelle « le service public (!) est la forme de gestion de ces biens la plus efficace _ oui… _ sur le long terme » [14] _ un point levier décisif. Après plusieurs années de discussions autour d’une même thématique, le niveau des débats et la qualité de l’argumentation s’est considérablement élevé dans la plupart de ces réseaux. Quelques-uns d’entre eux ont d’ailleurs connu certains succès _ d’opinion ou médiatique, pour commencer ; puis très effectif… Le réseau de l’eau a par exemple contribué au « lobbying citoyen » qui a conduit la ville de Paris à décider de remunicipaliser la gestion de l’eau sur son territoire à l’automne 2008. De même, les experts des réseaux contre la dette du Tiers-Monde ont eu un impact important sur certaines politiques économiques adoptées par le gouvernement équatorien.

3. Soutenir des régimes progressistes

Les militants de la troisième composante du mouvement sont quant à eux convaincus qu’un grand changement social ne peut être atteint sans passer par les gouvernements progressistes _ et le niveau et la structure de l’Etat. Depuis les débuts du mouvement, les altermondialistes ont milité pour un renforcement de la capacité d’agir des décideurs politiques face aux acteurs économiques _ un point  très intéressant ; et décisif _ et aux défis sociaux et environnementaux. Maintenant _ c’est très récent ! _ que la légitimité de l’intervention des États n’est plus _ ou du moins, est un moins moins _ questionnée, _ c’est-à-dire « mise en question », « contestée »cette composante « plus politique » de l’altermondialisme estime qu’il est temps d’unir les efforts du mouvement à ceux des responsables politiques progressistes. Beaucoup ont ainsi manifesté leur soutien aux présidents Chavez au Venezuela ou Morales en Bolivie. Pour ces militants, l’État continue de constituer la base essentielle à partir de laquelle des politiques sociales et économiques différentes peuvent être mises en œuvre ; et des alliances internationales autour de projets progressistes nouées, comme c’est le cas pour la « Banque du Sud ». Pour des raisons historiques et de culture politique, les altermondialistes indiens et latino-américains sont généralement plus proches des partis et des leaders politiques. De tels rapprochements ont cependant également été observés dans les pays occidentaux. Une partie importante de la dynamique qui avait fait le succès du premier Forum Social des États-Unis en 2007 a par exemple été réorientée vers la longue campagne électorale _ avec succès ! _ de Barack Obama.

Au-delà du constat de la fin _ indéfinie ?.. _ du néolibéralisme et de la fin _ idem ?.. _ du modèle économique qu’il a promu _ des points nodaux majeurs ! _, les activistes de ces trois composantes de l’altermondialisme trouveront-ils des terrains communs de discussion ? Leurs divergences politiques  _ certes _ se sont étalées dans les nombreux débats qui ont émaillé le mouvement au cours des dernières années. Pourtant, à l’aune de la tâche qu’il reste à accomplir pour que la crise financière, économique et écologique débouche _ peut-être _ sur une nouvelle donne en terme de gouvernance globale, de régulations économiques et de styles de vie, c’est par la complémentarité des stratégies promues par ces trois composantes de l’altermondialisme que des alternatives constructives pourraient _ l’avenir se construit : cf Cornelius Castoriadis : « L’institution imaginaire de la société« , ce très grand livre _ émerger.

par Geoffrey Pleyers [28-01-2009]

Notes

[1] Une version longue de ce texte paraîtra dans Kaldor M., Anheier G., Glasius M., Schoolte J.A. eds. (2009), « Global Civil Society 2008/9« , Londres : Sage, mars 2009.

[2] Cf. Pleyers G. (2007) « Forums Sociaux Mondiaux et Défis de l’Altermondialisme« , Brussels : Academia.

[3] Voir à ce propos, déjà, l’article de Geoffrey Pleyers « L’altermondialisme : essoufflement, ou reconfiguration ? » sur ce même site de laviedesidees.fr le 21 mars 2008

[4] Sen J. and Kumar M. eds. (2007), « A Political Programme for the World Social Forum ? Democracy, Substance and Debate in the Bamako Appeal and the Global Justice Movements », New Delhi : CACIM et Durban : Centre for Civil Society ; Bello W. (2007), The Forum at the Crossroads ; Whitaker F. (2007), Crossroads do not always close roads (Reflection in continuity to Walden Bello) ; Cassen B., Ventrura C. (2008), Which alter-globalism after the « end of neo-liberalism » ? , 18 sept.

[5] Held D and McGrew A (2007) Globalization/Antiglobalization, 2nd ed., Cambridge : Polity Press ; Stiglitz J. (2008),  » The End of Neo-Liberalism ?« .

[6] Barro R. (1986), Recent Developments in the Theory of Rules Versus Discretion, The Economic Journal, V. 96, p. 23-37.

[7] Conférence à l’Institut d’Études Politiques de Paris, 12/06/2008. Voir aussi Cardoso F. H. (2008), A Surprising World, International Journal of Communication 2 (2008), Feature 472-514.

[8] Selon les termes de l’anthropologue américain J. Juris.

[9] Voir notamment sur cette question François Polet (2008), « Clés de lecture de l’altermondialisme« , Charleroi : Couleur Livres.

[10] Held D. (2007), Reframing Global Governance : Apocalypse Soon or Reform !, in : Held D. and McGrew A. eds. Globalization theory, Cambridge : Polity Press, 250-259.

[11] Cf. Raúl Ornelas Bernal (2007), « L’Autonomie, Axe de Résistance Zapatiste« , Paris, Rue des Cascades.

[12] Rebughini P and Famiglietti A (2008), Un consumo diverso è possibile : la via dei centri sociali, in L. Leonini and R. Sassatelli eds., Il consumo critico, Roma : Laterza, p. 85-112.

[13] Voir par exemple Dicke W. and Holland F. (2007), Water : a Global Contestation, in : Kaldor M., Albrow M., Anheier H., Glasius M. eds. Global Civil Society 2006/7, London : Sage, p. 122-143.

[14] Extrait du texte adopté par la « Water network assembly », Forum Social Européen 2008.

Pour essayer de s’informer (et un peu mieux comprendre _ au moins _ ce qu’il en est : des faits !)

quant à « la marche du monde »…

Titus Curiosus, le 29 janvier 2009

Et toujours pour un peu mieux comprendre ce qui vient de se jouer aux Etats-Unis

20jan

Et toujours pour (un peu mieux) comprendre

ce qui vient de se jouer

aux États-Unis,

un excellent article _ de Romain Huret _ sur le passionnant _ chaque jour ! _ site

laviedesidees.fr :

« L’étrange défaite de John MacCain« …

Au-delà de la magistrale campagne de Barack Obama, comment comprendre la très lourde défaite du candidat républicain à la présidentielle américaine ? Pour l’historien Romain Huret, l’échec de John MacCain signe la faillite morale et politique de trente années de conservatisme.

« Ils invoquaient avant tout l’intérêt ; et c’est en se faisant de cet intérêt prétendu une image terriblement étrangère à toute vraie connaissance du monde qu’ils ont lourdement induit en erreur les disciples, un peu moutonniers, qui, en eux, mettaient leur foi. […] Comme la parole qu’ils prêchaient était un évangile d’apparente commodité, leurs sermons trouvaient un facile écho dans les instincts paresseusement égoïstes qui, à côté de virtualités plus nobles, dorment au fond de tout cœur humain. Ces enthousiastes, dont beaucoup n’étaient pas personnellement sans courage, travaillaient, inconsciemment, à faire des lâches. Tant il est véritable que la vertu, si elle ne s’accompagne pas d’une sévère critique de l’intelligence, risque toujours de se retourner contre ses buts les plus chers ».
Marc Bloch [1]

Employés en un autre temps, pour une autre défaite, ces propos _ d’une rare et magnifique lucidité ! _ de Marc Bloch _ dans le magistral (et toujours de la plus brûlante actualité ! « L’Etrange défaite«  ; qu’on peut lire aussi dans « L’Histoire, le guerre, la résistance »_ rendent également compte de l’étrange défaite de John McCain. Si nul ne peut contester le manque de dynamisme de sa campagne face à l’extraordinaire candidat que fut Barack Obama, si nul ne peut remettre en cause le ridicule du choix de Sarah Palin, chacun doit s’interroger sur cet étonnant constat : comment un politicien si ouvert dans le passé à des solutions de compromis avec les Démocrates, comment un homme longtemps favorable à une politique migratoire plus audacieuse, comment un individu si souvent iconoclaste a-t-il été condamné à n’apparaître que comme le candidat d’une Amérique blanche, très conservatrice, repliée sur ses prérogatives économiques ? La réponse est simple : s’il fut choisi précisément pour cela par des militants qui ne l’avaient guère ménagé jusqu’alors, John McCain n’a pas su faire oublier la trahison des élites conservatrices et leur échec de gouvernance depuis une vingtaine d’années aux États-Unis.

Le bilan politique du mouvement conservateur

Pour comprendre le caractère étonnant de cette défaite, il convient de revenir aux origines mêmes du mouvement conservateur [2]. Dans les années 1960, les conservateurs ont l’impression de vivre dans un monde foncièrement hostile, dangereux et inquiétant. Ce sentiment d’appartenir à une minorité, sociale, intellectuelle et politique, les conduit à entrer en politique. Cette politisation n’emprunte pas des trajectoires familières : elle se met en place dans les foyers ; le prosélytisme se développe dans le voisinage ; les réunions ont lieu dans de paisibles salons de la classe moyenne américaine. Pour un observateur avisé, la mobilisation relève de l’amateurisme et du bricolage si on la compare à la puissance des structures d’organisation mises en œuvre au même moment par les libéraux (liberals) [3]. Mais cette faiblesse devient rapidement un atout. Car la mobilisation tire sa force de cette accumulation de petites formes de militantisme locaux : ici une manifestation contre l’homosexualité dans l’Idaho, là une dénonciation des manuels scolaires dans le Texas ; bref des milliers d’actes individuels qui s’agrègent lentement dans le paysage politique américain. Dans les universités, les lycées, les usines, au cœur même de ces banlieues souvent présentées comme des lieux d’apathie politique, des formes inédites de contestation se mettent progressivement en place pour critiquer l’ordre établi par les libéraux (liberals). Si le conservatisme américain présente des visages multiples, des fondamentalistes religieux aux partisans du libre marché, en passant par les libertariens, qui souhaitent une rupture brutale avec l’État, l’investissement militant sur le terrain relie bien souvent les courants conservateurs entre eux [4]. D’abord invisible, cette contestation est omniprésente dans le pays au début des années 2000. La chaîne de télévision Fox News, principal médiateur aujourd’hui des idées conservatrices, en est la preuve la plus éclatante.

Depuis une trentaine d’années _ vers 1980 _, les conservateurs occupent les principaux postes de pouvoir et affichent avec fierté leur capacité à gouverner le pays et à garantir sa sécurité dans un monde dangereux. Dès les années 1960, les cadres de l’organisation étudiante Young Americans for Freedom annonçaient qu’ils allaient prendre le pouvoir très rapidement pour mettre un terme à la faiblesse de gouvernance des Démocrates [5]. À la fin des années 1990, Tony Blankley, un temps proche conseiller du leader du parti républicain, Newt Gingrich, compare la révolution conservatrice à un « trotskysme de droite », non pour son idéologie, mais pour son travail de sape de minorité très agissante [6]. Hostiles à l’État social, les conservateurs promettent un État fort, centré sur la sécurité nationale, utilisant des méthodes de gestion et d’évaluation qui ont parfaitement fonctionné dans le privé. Depuis l’arrivée de Ronald Reagan, la dérégulation du monde du travail, la disparition progressive des programmes sociaux et la création d’un État militarisé fort _ voilà qui devrait nous rappeler quelque chose… _ ont été mis en œuvre lentement, mais sans discontinuer, par les militants conservateurs.

L’administration de George W. Bush aura révélé avec cruauté l’échec de gouvernance de cette génération de conservateurs. Le décalage entre l’effondrement des cadres élémentaires de la société et un discours très convenu a frappé _ tout récemment _ tous les Américains. Les terribles conséquences de l’ouragan Katrina ont révélé l’ampleur des effets sociaux du désengagement de l’État et du rôle accordé à la famille comme seule structure de régulation sociale. Devant une commission de la Chambre des représentants, Mike Brown, le responsable, fort critiqué à l’époque, de l’agence en charge des catastrophes naturelles, répondit avec une franchise désarmante, lorsqu’on lui demandait pour quelle raison le gouvernement n’avait pas veillé à apporter de la glace pour conserver les aliments après le passage de l’ouragan, que ce n’était pas « le rôle du gouvernement fédéral de m’aider à conserver au frais ma viande de hamburger dans mon réfrigérateur » [7] ! En Irak, l’échec de gouvernance a paru identique. Dans la conduite de la guerre contre le terrorisme et la gestion des affaires de la planète, les conservateurs ont semblé obtus, incapables de comprendre le monde qui les entoure au-delà de leurs croyances personnelles et religieuses. La crise financière a encore plus contribué à démontrer leur incompétence en matière de gouvernance. C’est à un échec générationnel  _ oui _ auquel nous avons assisté au cours des huit années de mandat de George W. Bush.

La mobilité sociale américaine en crise

Alors que les conservateurs promettaient davantage de mobilité sociale, accusant l’État d’être un facteur de blocage et un outil utilisé par les élites libérales (liberal) pour garantir leur reproduction sociale, ils lèguent au pays une crise structurelle de la méritocratie à l’américaine [8]. À plus d’un titre, l’ouragan Katrina a révélé les conséquences du désinvestissement social de l’État _ qu’on le médite, et bien vite, partout ! _, qui a pourtant fait l’objet d’un consensus politique dans les années 1990 [9]. Il est frappant de constater la prégnance de la thématique du concept sociologique d’underclass dans les écrits des journalistes qui ont rendu compte du désastre. L’ouragan a permis une redécouverte médiatique des soubassements économiques mais également socio-culturels de la pauvreté : être pauvre, c’est certes manquer d’argent, d’une voiture, mais aussi de contacts à l’extérieur, de relais dans le reste du pays. Bref, ce n’est pas un hasard si les pauvres furent les principales victimes de la catastrophe [10]. De façon cruelle, Katrina a mis au jour les blocages structurels de la société américaine. Les difficultés des populations pauvres à sortir de la ville révèlent, plus largement, une mobilité sociale en panne dans l’ensemble du pays.

Incontestablement, l’éducation américaine _ à prendre très vite, aussi, et partout !!! il y a urgence grave !!! _ ne joue plus son rôle d’ascenseur social et renforce le capital culturel et social des élites. Longtemps justifiés par la logique du marché, ces chiffres inquiètent aujourd’hui : alors que les déclarations d’un Bill Gates sur la corrélation entre la détention d’un diplôme d’études supérieures (master’s degree) et le niveau de réussite sociale sont acceptées par tous, le nombre d’étudiants diplômés stagne. Seuls l’Allemagne et les États-Unis sont dans ce cas aujourd’hui, alors que l’ensemble des pays industrialisés connaît une croissance forte du nombre de diplômés du supérieur _ même si ce critère est loin de suffire… La diversité sociale du recrutement dans les universités s’étiole. La part des bourses dans le financement des études s’étant réduite de 55 à 41% depuis 1980, le recours à l’emprunt est de plus en plus souvent obligatoire pour les parents et/ou les enfants. Cette stratégie familiale n’est pas identique partout. Une étude sur les quartiers pauvres de Boston a montré que seulement un tiers des lycéens issus des quartiers pauvres avaient passé l’examen SAT, indispensable pour l’admission dans l’enseignement supérieur, au cours du mois d’octobre de leur dernière année de lycée, contre 97% des enfants issus des milieux favorisés [11]. À cela s’ajoute le manque d’informations des milieux défavorisés qui, peu au fait des systèmes de bourses, hésitent à envoyer leurs enfants dans des universités coûteuses [12].

Les universités sont en effet contraintes de répercuter sur les frais d’inscription le ralentissement de l’investissement public. Cette diminution des fonds publics s’est opérée à un moment où le coût moyen de formation par étudiant a considérablement augmenté. Dans l’enseignement supérieur, les frais d’inscription ne cessent de s’accroître : entre 1976 et 1995, ils ont été multipliés par quatre à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA) [13]. L’écart se creuse inexorablement entre les universités publiques et privées, en raison de la croissance des frais d’équipement, notamment dans le domaine informatique [14]. Est-ce un hasard si les critiques virulentes se multiplient contre l’élitisme de l’université américaine depuis une dizaine d’années ? D’après les données contenues dans le Social Register, le « bottin mondain » contenant la liste des familles de l’élite américaine, 92% des familles présentes en 1940 y sont toujours en 1977 [15]. En dépit des velléités réformatrices de l’après-guerre, les écoles préparatoires (prep schools) demeurent élitistes : seulement 4% des étudiants y accédant sont issus de la communauté afro-américaine, alors qu’ils représentent 19% des lycéens [16].

Sans surprise donc, les enfants issus des milieux défavorisés réduisent souvent leur temps de scolarisation à deux années. Pour financer leurs études, ils doivent travailler dans la restauration rapide et la grande distribution : Wal-Mart en emploie plusieurs milliers. Faute de réussite suffisante aux tests de fin d’année, ce sont souvent des petites universités (community colleges) qui les acceptent. En leur sein, les étudiants s’inscrivent en grande majorité pour des cours de rattrapage en anglais et en mathématiques. On estime à 60% le nombre de Latinos scolarisés dans le supérieur qui intègrent ce type d’université. Toutefois, et c’est là que le bât blesse, seulement 30% des étudiants inscrits décident de prolonger leur cursus au-delà des deux années requises [17]. Ces universités ne jouent plus le rôle de sas qu’elles avaient longtemps joué dans le pays pour recruter les meilleurs éléments. En d’autres termes, la société américaine apparaît de moins en moins égalitaire _ cf Paul Krugman. Le contrat social conservateur ne facilite donc guère l’ascension sociale de l’homme de la rue (common man).

La défaite d’un franc-tireur et d’un système

Le choix de John McCain par les militants républicains a été une réponse à cette crise structurelle. Longtemps considéré comme inclassable (maverick) dans la vie politique, il a toujours combattu en faveur de mesures de compromis, d’une politique migratoire moins frileuse à l’égard des Hispaniques et d’une lutte contre la corruption du personnel politique. À plusieurs reprises, il a montré sa volonté de faire de la politique autrement. Est-ce un hasard si McCain a appelé son bus de campagne le « bus du franc-parler » (straight talk bus) ? Sa différence l’avait pourtant longtemps handicapé. En 2000, le candidat George W. Bush n’avait pas hésité à distiller des insinuations racistes contre l’un des enfants adoptés par la famille McCain. Ses rapports amicaux avec les Démocrates, en particulier John Kerry, avaient également joué en sa défaveur. En 2008, en raison de l’échec de l’administration Bush, le processus s’inverse : sa différence devient un atout électoral pour les militants républicains. Tout dans son parcours semble faire de lui l’homme capable d’éviter une cuisante défaite de la droite américaine. Son passé de militaire et ses allures de sémillant retraité plaident plus encore en sa faveur. Il joue à merveille de sa carte de « dur » (tough guy), distillant à dessein les anecdotes sur son passé de bagarreur et, bien évidemment, utilisant son statut d’ancien combattant du Vietnam et de victime de la torture. Que s’est-il donc passé pour expliquer la défaite de John McCain ?

McCain est demeuré prisonnier de l’échec de gouvernance de l’administration Bush pendant toute la campagne électorale. La crise économique a agi comme un révélateur pour nombre d’électeurs. Au lieu de dénoncer la gestion dérégulée en cours depuis de nombreuses années, il a repris un discours convenu sur la bonne santé du système et les inévitables « canards boiteux » tout au long du mois de septembre. Ensuite, il n’a jamais réussi à lutter contre l’influence croissante de la base conservatrice qui imposa le choix de Sarah Palin. Au-delà de son incompétence flagrante pour la fonction, le parcours politique de Palin est entaché par la corruption. Pour le grand malheur de John McCain, l’Alaska et ses petits arrangements avec la morale ressemblèrent tout à coup à la manière dont, à Washington D.C., les conservateurs ont envisagé le pouvoir politique comme un patrimoine appartenant à celui qui l’exerce.

Dans un ouvrage récent, le fils de l’écrivain Saul Bellow _ Adam Bellow _ a émis l’hypothèse que le népotisme serait un élément structurant de la nation américaine depuis l’époque coloniale [18]. Au sein de l’administration du président George W. Bush, on comptait les fils de Strom Thurmond, d’Antonin Scalia, de Michael Powell, de Dick Cheney et de William Rehnquist. In fine, la campagne de John McCain a donné de plus en plus l’impression de ne s’adresser qu’à cette caste conservatrice qui, après s’être approprié le pouvoir, ne semblait pas prête à le rendre _ à méditer, bien sûr, pour d’autres lieux... Bien évidemment, et chacun doit avoir en tête l’ampleur de la tâche, les raisons mêmes de l’étrange défaite de John McCain rappellent à quel point _ certes ! _ le mandat de Barack Obama sera décisif pour les États-Unis, tant l’héritage conservateur apparaît dramatique.

par Romain Huret [19-01-2009]

Notes

[1] Marc Bloch, « L’Etrange défaite« , Paris, Coll. Folio Histoire, Gallimard, 1990, p. 174-175.

[2] Je me permets de renvoyer à mon ouvrage, « Les Conservateurs américains se mobilisent. L’autre culture conservatrice« , Paris, Autrement, 2008.

[3] Aux États-Unis, le terme libéral (liberal) désigne les personnes de gauche favorables au Parti démocrate.

[4] Alan Brinkley, « The problem of American conservatism », American Historical Review, 99, 1994, p. 409-429.

[5] Gregory Schneider, Cadres for Conservatism : Young Americans for Freedom and the Rise of the Contemporary Right, New York, New York University Press, 1999.

[6] Tony Blankley, « Street-Fighting Days », George, July 1998, p. 53.

[7] Cité dans Éric Lipton, Shane Scott, « Leader of Federal Effort Feels the Heat », New York Times, 3 septembre 2005, p. 1 ; Romain Huret, « L’ouragan Katrina et l’État fédéral américain. Une hypothèse de recherche », Nouveau Monde. Mondes Nouveaux, revue électronique, 7, 2007.

[8] Romain Huret, « Le recrutement des élites aux États-Unis au XXe siècle », Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 39, septembre 2005, p. 25-36.

[9] Romain Huret, « Le trou du donut ou l’inachèvement de l’État-providence américain », in Denis Lacorne (dir.), « Les États-Unis 1880-2000« , Paris, Fayard, 2006, p. 281-294.

[10] Matthew Mulcahy, « Hurricanes, poverty, and vulnerability : an historical perspective ».

[11] Cité dans Robert Haveman, Timothy Smeeding, « The role of higher education in social mobility », The Future of Children, vol. 16, n° 2, 2006, p. 125-150.

[12] Dans les 146 meilleures universités du pays, qui représentent 10 % de l’ensemble des étudiants, 74% des étudiants viennent des fractions les plus riches de la société, alors que seulement 3% viennent de milieux défavorisés. Dans les 253 universités de rang inférieur, les pourcentages sont respectivement de 46 % et 7%. Seules les petites universités (community colleges) accueillent de façon significative les étudiants pauvres.

[13] R. Benjamin, S. Carroll, Breaking the Social Contract : The Fiscal Crisis in Higher Education, Santa Monica, Council for Aid to Education, RAND, p. 17.

[14] C. H. Persell, P.W. Cookson, Jr., « Microcomputers and elite boarding schools : educational innovation and social reproduction », Sociology of Education, vol. 60, avril 1987, p. 123-134.

[15] David Broad, « The Social Register : directory of America’s upper class », Sociological Spectrum, 16, p. 173-181.

[16] C. H. Persell, P.W. Cookson, Preparing for Power : America’s Elite Boarding Schools, New York, Basic Books, 1985, p. 67.

[17] Chiffres tirés de Robert Haveman, Timothy Smeeding, « The role of higher education in social mobility », The Future of Children, vol. 16, n° 2, 2006, p. 146.

[18] Adam Bellow, « In Praise of Nepotism« , New York, Doubleday, 2003.

De quoi (nous) donner bien à connaître ; et penser…


Titus Curiosus, le 20 janvier 2009

Tenants et aboutissants de l’interview des Obama par Mariana Cook en 1996 ; et « réactions » des lecteurs-abonnés du Monde

11jan

Simplement pour information,

et en tant que « tenants » et « aboutissants » de cette si précieuse « interview » de Michelle et Barack Obama en 1996 par la photographe Mariana Cook, En 1996, les confidences de Michelle et Barack Obama_ en plus de la photo non publiée alors _,

ces deux fort intéressants articles « en suivant », en quelque sorte, du Monde :

 « Genèse d’un entretien exclusif »

et « les réactions des lecteurs-abonnés du Monde.fr  » :

« C’était une après-midi de novembre 1996. La photographe Mariana Cook se souvient _ la remarque est déjà intéressante _ d’un appartement modeste, près de l’université de Chicago. Elle se souvient d’un parquet en bois, de peintures balinaises et de statues africaines. Elle se souvient surtout d’un couple, amoureux et très naturel _ voilà… Lui, Barack, était avocat et écrivain. Il venait de terminer son premier livre, « Les Rêves de mon père« , et songeait à se présenter au Sénat _ ce qui n’était pas rien, tout de même… Elle, Michelle, parlait du bébé qu’ils voulaient avoir. Tous deux étaient très présents _ un terme assez significatif _ dans la vie communautaire de leur quartier et de la ville.

Mariana Cook se souvient d’avoir fait six ou sept rouleaux de pellicule en deux heures et avoir été touchée par le charme du couple _ en effet ! et il ne s’est pas « évaporé »… Elle était allée à Chicago pour un projet de livre sur les couples. Un ami lui avait signalé les Obama, qui s’étaient mariés en 1992. Elle les a donc photographiés et interrogés, mais ils ne seront pas dans le livre… Car « Chronicle Books« , l’éditeur, les a supprimés à l’impression. « Trop ordinaires« . Il a préféré un autre couple noir plus « exotique » _ l’édition est assez souvent « impayable » !.. A ce jour, cet entretien n’a donc jamais été publié.

Mariana reverra Michelle en 2007 au début de la campagne de son mari, lors d’un rallye à Martha’s Vineyard. Elles parleront d’enfants. Michelle en a deux, Mariana un, une fille de 14 ans, avec Hans Kraus, le plus important marchand de photographies du XXe siècle. Chez les Kraus-Cook, la photographie est une passion _ tiens donc : elle a au moins du regard !.. C’est le B. A. BA de la photo !!! Mariana y est venue très jeune. Fille d’un couple flamboyant, elle est une enfant timide au-delà de toute expression.

Pour aller vers les autres, s’ouvrir un tant soit peu _ voilà… _, mais néanmoins rester protégée _ par l’écart de la distance photographique _, Mariana choisira la photographie. Son professeur particulier : Ansel Adams _ cf « 400 photographs » (aux Éditions Little Brown and Company) ; le (beau !) livre est bien présent sur les tables du rayon Beaux-Arts (de la librairie Mollat, rue Vital-Carles). Son maître : Walker Evans _ cf, par exemple, et parmi bien d’autres : « Walker Evans _ la soif du regard » de Gilles Mora & John T. Hill, aux Éditions du Seuil en 2004. Son mentor à l’université Yale : Walter Rosenbaum.

Mariana reste très méconnue dans le monde photographique, malgré ses huit livres et ses trente expositions. Groupie francophile, pour un projet raté avec Agathe Gaillard, elle a photographié à la fin des années 1980 toute une partie de l’intelligentsia française, de François Mitterrand à Jacques Attali, d’Alain Finkielkraut à Patrice Chéreau. Son prochain livre de portraits de mathématiciens, intitulé « An Outer View of the Inner World« , sera publié au printemps par l’université de Princeton.

Jean-Jacques Naudet
Article paru dans l’édition du 11.01.09.


Et :

A la suite de « En 1996, les confidences de Michelle et Barack Obama« , les réactions des lecteurs-abonnés au monde.fr

LE MONDE | 10.01.09 | 13h51  •  Mis à jour le 10.01.09 | 20h24


FSP 10.01.09 | 21h37

Un vrai plaisir _ oui ! _ à lire cette remarquable interview. Merci _ bien ! _ au journaliste du Monde qui a eu l’idée _ lumineuse ! _ de le publier. Par ces temps de crise, c’est rassurant _ quelque part, probablement, en effet… _ de savoir _ avec confiance, du moins... _ qu’il y a une réelle épaisseur humaine _ mais oui ! _ derrière ce couple présidentiel.

Yves C. 10.01.09 | 20h51

Une bouffée d’intelligence et d’humanisme dans ce monde de plus en plus centré _ par les media !!! complices ! _ sur les ‘people‘ et autres ‘VIP‘. Il n’est donc pas interdit _ encore tout à fait… _ de désespérer !

Africa-survie 10.01.09 | 20h46

Quelle bouffée d’air ! Quelle sagesse, quelle simplicité ! Comme quoi, ils existent encore des hommes et des femmes pour lesquels il y a d’autres valeurs en dehors du fric : les valeurs humaines _ on peut le dire ainsi ; ou bien « non-inhumaines », comme le dit Bernard Stiegler… Bonne chance _ certes… _ à Michelle et Barack OBAMA.

Bertrand D. 10.01.09 | 20h10

Vu son ancienneté et son contexte, cet article est important _ oui ! _ et très encourageant _ en effet ! _ quant à la personnalité _ au singulier _ du nouveau couple _ vrai, lui… _ présidentiel américain.

Gilles Chenaille 10.01.09 | 19h22

C’est extrêmement intéressant _ oui _, et les profils psychologiques de Barack et Michelle O. ressortent bien _ photographiquement ? _ de cette série de questions-réponses. Et donnent à Barack une certaine profondeur de pensée et de sentiment _ oui _, une épaisseur humaine _ ne courant pas trop les rues ; ni les allées des pouvoirs… _, qui confortent la sympathie que j’éprouve instinctivement pour ce bonhomme _ comme pas mal d’autres de par le monde ; mais pas tous, non plus : ne nous leurrons pas trop…

Juliana P. 10.01.09 | 18h56

La 7ème université dans la liste de l’Ivy League s’appelle « Princeton » et non pas « Portsmouth« .

we want more ! 10.01.09 | 18h51

Le sens de l’autre et de l’intérêt collectif, la simplicité, la modestie, l’efficacité et la compétence, la noblesse d’âme, la générosité… _ tout cela, en effet ! _, ça rassure un peu _ à côté de (et face à) tant de forces cyniques _ sur l’humanité en ces périodes _ hélas, cela ne se constate que trop ! _ nauséabondes… Pourvu qu’ils agissent, pourvu qu’ils résistent, pourvu qu’ils se ne fassent pas simplement abattre _ certes ! Si seulement pouvait _ aussi _ émerger un Obama en France !

michel l. 10.01.09 | 18h51

D’accord avec les priorités d’alors _ oui _ des Obama ! Souhaitons qu’elles persistent _ oui _ au contact du pouvoir _ une constance et une cohérence semblent toutefois émerger, au moins des grands discours, si importants (Sprinfield, Chicago) de la campagne de 2008…

Parigot 10.01.09 | 18h48

Il n’y a pas d' »Université de Portsmouth » dans l’Ivy League. Il faut certainement lire « Dartmouth College« …

Erreur de l’auteur (peu probable si elle est américaine, Dartmouth est très connu), de la traductrice, de la rédaction du Monde ? Pour l’amour du ciel, quelqu’un pourrait-il RELIRE pour éviter des erreurs de cet acabit ? Il n’en faut pas plus pour détruire la crédibilité d’un journal….

Renaud D. 10.01.09 | 18h18

Humanité, simplicité, intelligence… ces gens sont admirables de classe, sans prétention _ probablement : Chapeau !

Alain B. 10.01.09 | 18h16

Bravo pour le « scoop » ; je ne suis pas people, mais j’avoue que je suis ému _ c’est en effet le mot juste… c’est rassurant _ quelque part _ que des personnalités de ce type soient « à la tête » de l’Etat dominant ; ou en tout cas dont nous ne pouvons mésestimer le rôle, en bien ou en mal… _ et cela changerait un peu…

henri 10.01.09 | 17h55

tiens ! un président peut marcher _ le mot est intéressant _ à autre chose qu’au « bling bling » démago !?

Joseph E. 10.01.09 | 17h43

Quand on referme « Les Rêves de mon père« , on cerne mieux son auteur : Obama. On voit combien il est « articulate« , comme disent les américains. Les Mitterrand, De Gaulle, et tous ces présidents écrivains avant le pouvoir, ont un plus sur les autres : l’écriture _ sans doute : la capacité, en s’en donnant le temps, de réfléchir _ ; qui permet souvent de se poser les vraies questions de la vie _ Oui ! La France est _ ou a été ; voire fut… _ un grand pays de l’écriture. Qu’elle en fasse un critère de choix de ses dirigeants _ est-ce un voeu pieux ? Cela lui évitera _ au futur ? ou au conditionnel, plutôt ?.. _ la pensée unique. Nous autres, n’avons pas cette chance en Afrique.

Edouard F. 10.01.09 | 17h22

Barack et Michelle Obama sont deux personnages époustouflants _ probablement _, de vrais _ le mot devient presque incongru _ humanistes comme on aimerait en rencontrer plus souvent dans la vie. J’en suis presque ému _ bis _ …

philippe R. 10.01.09 | 17h22

Obama est la seule chance pour les USA de s’en sortir. Cela va être difficile, mais avec un couple pareil, on ne voit pas qui pourrait mieux faire _ sans doute… tels que furent les Roosevelt, Franklin et Eleanor… Souhaitons leur 8 ans à la Maison Blanche… Mais le diable est toujours dans les détails _ certes _ ; et les détails aux USA, les diablotins sont toujours _ du moins assez souvent ; mais le pire n’est pas forcément absolument certain ! _ là pour les faire sortir. Yes he Can !


Emilie G 10.01.09 | 16h06

C’est « Sidley Austin« …

ERIC F. 10.01.09 | 15h27

Assez passionnant et assez peu peopleVivent les euphémismes !

FOXTERRIER Groupie du MONDE 10.01.09 | 15h132/2

Voilà qui augure de bonnes choses pour l’Amérique et la cause des femmes, face à toutes les « FIRST » pas toujours « first » ; c’est un peu plus relevé, sans méchanceté, que de faire des révérences et sussurer dans un micro ! L’Elysée et le gouvernement n’ont qu’à bien se tenir, face à ce DUO DE CHOC ! TRES CHIC , PAS TOC _ on peut peut-être le dire ainsi… _ ET AU Q.I. HARMONIEUSEMENT DEVELOPPE ! On ne va pas rêver ; et cela sera, c’est évident, « AMERICA FIRST » ; MAIS PAS COMME DES PIGNOUFS Républicains !

LIONEL P. 10.01.09 | 15h06

C’est fantastique _ presque trop beau pour être vrai ?.. au point de devoir se pincer pour s’assurer de ne pas rêver ?.. _ … La capacité à se mettre à la place de l’autre _ oui ! _, l’attention _ intensive ! même… _ à l’avenir des enfants les plus fragiles… Le désir de travailler les valeurs du collectif _ que signifie donc « socialisme » ?… Ici, en France, au pays de la baguette, celle qui fait mal, pas celle qui nourrit, notre nouveau chef incarne la démolition du collectif _ et des services publics _ et le chacun pour soi _ charité bien ordonnée !.. _ au service du profit, de l’argent et la revanche des plus forts, des plus brutaux économiquement et politiquement au détriment des autres _ relire aussi les articles de Paul Krugman sur l’histoire des Etats-Unis depuis un siècle… Alors, oui, on attend _ aussi en France _ un Obama _ et pas un clone, pour la photo, l’affiche, le micro et la caméra !

FOXTERRIER Groupie du MONDE 10.01.09 | 15h06

C’est ni plus ni moins qu’un régal ! Lire une interview si simple, équilibrée dans ses questions, avec une liberté donnée aux intervenants ! Bravo au journaliste _ c’est une artiste ! _ ! Félicitations ! Excellente idée du MONDE de nous offrir comme cadeau de NOEL ! du bon travail ! PLEIN D’ENSEIGNEMENT ET DE DELICATESSE _ un terme bien significatif !.. _ ! Grand DIEU, que les journalistes en prennent de la graine ! Il faut dire aussi que cette interview prend tout son jus _ en effet ; il y fallait de la constance, de la patience, de la persévérance… _ du fait de l’élection ! Mais cette MICHELLE Obama est impressionnante ! 1/2

Francesco A. 10.01.09 | 14h57

Décidément, ils me plaisent vraiment bien ces deux là ! L’espoir fait vivre _ davantage que les spéculations des mathématiques appliquées financières !.. _, et ces deux là sont bien en Vie ! _ oui _ ça fait du bien…

ChrisCraft 10.01.09 | 14h38

Pour une fois, sur un sujet « people« , un document intéressant. Bravo Le Monde d’avoir publié. Cela a déja un intérêt historique. Et rassure un peu vis à vis du candidat Obama, qui n’a pas mégoté sur le populisme pendant sa campagne… (les Obama fans, attendez vous à être déçus!) _ le seul réflexe (sur 23) de lecteur non généreux…

Jean A. 10.01.09 | 14h22

D’où il se confirme que dans cette crise structurelle grave _ on peut le dire _, on pouvait difficilement espérer un président US meilleur _ oui ; et politiquement ; pas seulement éthiquement ! Haut les cœurs !

Dont acte…


Titus Curiosus, ce 11 janvier, au réveil…

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