Posts Tagged ‘propagande

Un admirable monument de micro-histoire de l’Occupation : le « Dictionnaire de la Collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions » de François Broche

12nov

Poursuivant un travail entamé avec L’Armée française sous l’Occupation (2002-2003), Une histoire des anti-gaullismes des origines à nos jours (2007) _ je viens d’en commencer la lecture ; et c’est passionnant et très riche ! _ et le Dictionnaire de la France Libre (2010 _ je viens de le parcourir de la première à la dernière page : c’est aussi une très riche source de micro-informations…),

François Broche nous livre ce mois-ci, avec son Dictionnaire de la Collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions, qui paraît aux Éditions Belin, un admirable monument (de 928 pages et 848 entrées) de micro-histoire, magnifiquement fouillée, sur le sujet ô combien complexe _ ainsi que délicat, encore, même si des braises s’apaisent… _ des Collaborations, compromissions et contradictions _ pour reprendre les termes excellemment choisis de son sous-titre _ de diverses sortes, et à des degrés très variés, vis-à-vis tant de l’Occupant allemand que de l’État français de Vichy.

Le temps est donc venu, comme ont bien commencé de nous l’apprendre les travaux très précis _ et très précieux, ainsi : la précision est en effet indispensable ! _ de Robert Belot (La Résistance sans De Gaulle, L’Affaire suisse, Les Secrets de la Résistance, Aux Frontières de la liberté) et de Bénédicte Vergez-Chaignon (Les Vichysto-Résistants), de dépasser l’ère de la domination des clichés tant résistantialistes que vichystes et néo-vichystes qui encombraient et gênaient une historiographie enfin suffisamment soucieuse des complexités, nuances et évolutions _ sinon contradictions : au gré des circonstances et changements survenant ; à commencer par l’issue des batailles se livrant sur divers fronts (au premier chef desquels ceux de l’Est et ceux d’Afrique), et influençant les attentistes de tous poils… dans le temps, des protagonistes des événements survenant en France ainsi qu’en son empire entre 1940 et 1944-45,

pour cesser de succomber aux manichéismes tant idéologiques que moralisateurs, simplificateurs :

écueil que sait magnifiquement éviter François Broche…

Pour ce qui _ modestement _ me concerne en tant que chercheur de la micro-histoire de mon père, entre le 7 juin 1942 et le 30 septembre 1944 _ dates de son départ de Bordeaux occupé, et de son retour à Bordeaux libéré ; cf mon article Poursuite d’enquête sur les liens de résistance entre Pierre de Bénouville et les Portmann, père et fils _, et en zone non-occupée (principalement Oloron, Gurs, Toulouse, Beaupuy),

c’est le fil d’Ariane de l’Armée Secrète qui principalement mobilise l’enquête que je poursuis,

à travers, d’abord, les personnalités des Résistants qui l’ont aidé (d’abord Jean Bonnemason et Pierre Klingebiel, les deux à Oloron) ;

mais aussi les commandants des GTE des Basses-Pyrénées (Marcel Brenot, Philippe Grandclément, E. Delluc, se succédant au 526e GTE d’Oloron _ rue Saint-Grat _, puis Jurançon-Pau _ Villa Montréal, avenue Henri IV _, à partir du mois de septembre 1943)

et de Haute-Garonne (Georges Ledoux, au 561e GTE de Beaupuy _ au Domaine de La Gaillarde _ ; et éventuellement Brouguière, au 562e GTE de Toulouse-rue de Belfort ; ainsi que Lemay, qui dirigeait le Groupement II des GTE de Toulouse, pour être exhaustif _ jusqu’ici j’ignore les prénoms de ces Messieurs Brouguière, Lemay et E. Delluc) ;

ainsi que le Professeur Georges Portmannn, le maître en ORL de mon père à la Faculté de Médecine de Bordeaux, qui lui a permis de fuir la Gestapo, à Bordeaux, les premiers jours de juin 1942, en l’informant à temps que la Gestapo allait venir l’arrêter _ cf à nouveau mon article précédent : Poursuite d’enquête sur les liens de résistance entre Pierre de Bénouville et les Portmann, père et fils.

Si le nom de Georges Portmann apparaît bien à la page 752 du Dictionnaire de la Collaboration de François Broche, à l’entrée « Radio-Vichy« , mais très succinctement _ trop succinctement pour ma curiosité _,

en revanche Georges Portmann n’y est pas cité comme ayant été Secrétaire général à l’Information au gouvernement de Vichy (du 2 janvier au 16 février 1941), ainsi que directeur de la Radio de Vichy, lors de l’intermède Flandin _ Pierre-Étienne Flandin, dont Georges Portmann était alors le « bras droit« , comme le signale, parmi d’autres, Philippe Burrin, en sa France à l’heure allemande (page 381) ; Olivier Wieviorka, en son Histoire de la Résistance, qualifie Georges Portmann d‘ »un des fidèles de Flandin«  _, entre un premier gouvernement Laval _ avec Jean-Louis Tixier-Vignancourt au Secrétariat à l’Information _ et le gouvernement Darlan _ les tous premiers jours, c’est Henry Moysset qui, seul, remplace Georges Portmann ; puis, à partir du 23 février, Paul Marion est associé à Henry Moysset à cette fonction gouvernementale ;

ni, non plus comme ayant fait partie, et cela dès l’origine, de la Délégation française à la Commission allemande d’armistice de Wiesbaden _ François Broche me précise que ce fut très précisément du 28 juin au 13 septembre 1940.

Alors que le nom de Max Brusset _ rencontré, lui, dans les Souvenirs de Georges Portmann (parus en 1982), comme dans Le Sacrifice du matin de Pierre de Bénouville (rédigé et paru dès 1945, aux Éditions La Palatine, à Genève ; le texte sera modifié-enrichi lors de plusieurs rééditions, dès 1946 et jusqu’en 1983, aux Éditions de son ami Robert Laffont) : à propos de l’intervention de la Gestapo chez lui, 28 Boulevard Raspail, le 26 mars 1944, à dix heures du matin, alors que devaient se retrouver dans ce salon et à cette heure plusieurs membres du réseau de Pierre de Bénouville, dont Georges (le père) et René (le fils aîné) Portmann, ainsi que Pierre de Bénouville lui-même : c’est ainsi que furent arrêtés ce 26 mars 1944 Armand Magescas et Alain de Camaret… _ en est absent.

Depuis, François Broche m’a appris que Max Brusset a été député gaulliste de Charente-Maritime de 1946 à 1958 _ d’abord ce fut sous l’étiquette du Parti Républicain de la Liberté, de Joseph Laniel, de décembre 1946 à juin 1951 (le RPF n’avait pas encore été créé en décembre 1946) ; puis comme député RPF, de juin 1951 à décembre 1955 ; et enfin sous l’étiquette des Républicains Sociaux (nouveau nom d’un parti rassemblant des gaullistes, avant 1958), de janvier 1956 au 30 novembre 1958) _ cf là-dessus le très utile et très précis Dictionnaire de la France libre, dirigé par François Broche, Joseph Caïtucoli et Jean-François Muracciole.

Max Brusset a été aussi maire de Royan, de mai 1953 à mars 1959,  démissionnant de ce mandat municipal, après avoir été battu le 30 novembre 1958 aux élections législatives par André Lacaze (candidat Indépendant et Paysan) ; à la mairie de Royan, lui succèdera alors, au mois de mars 1959,  l’amiral Hubert Meyer _ oncle de l’actuel maire de Royan, Didier Quentin.

J’ai découvert aussi, depuis, que, à partir de 1937 et pendant la guerre, Max Brusset, journaliste et homme de radio de son métier, a pris des parts, à partir de 1938, à une radio dans le Midi, à Antibes-Juan-les-Pins : Radio Nice-Côte d’Azur, qui était devenue le 20 mars 1937 Radio-Méditerranée. Et que cette radio deviendrait, suite à diverses péripéties durant la période de guerre, et impliquant les Allemands _ dont Otto Abetz _, Radio Monte-Carlo… Voilà donc un point de convergence entre Max Brusset et Georges Portmann, ainsi que Pierre de Bénouville, qui a vécu à Antibes, Biot, etc., sur la Côte d’Azur, sous l’Occupation.

Mais c’est au Dictionnaire de la Collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions de François Broche que je veux rendre ici l’hommage que ce travail considérable et magnifique, passionnant, mérite.

Les 848 entrées de ce Dictionnaire, magnifiquement précises et détaillées, et même fouillées, nous livrent en effet un portrait somptueusement riche _ et étonnamment vivant ! _, au travers de toutes ses complexités, de cette époque particulièrement riche en nuances _ et évolutions, sinon contradictions _ de toutes sortes ;

assorties, pour chacune des entrées, d’une bibliographie aussi complète que possible (et par là extrêmement utile), elle aussi.

Je tiens à souligner au passage le souci de François Broche de donner le maximum de précision, en matière de lieux _ pour ce qui concerne la domiciliation des diverses institutions abordées : un soin assez rare, il faut le souligner… _, de dates _ c’est aussi très appréciable _, de détails bibliographiques sur les personnes, sans s’en tenir, d’ailleurs, à la seule période (1940-1944) de la Collaboration _ tant ce qui précède (dans la formation et les carrières des individus) que ce qui suit ces moments (dans le devenir de l’après-guerre) est en effet très judicieusement porté à la connaissance du lecteur, et nous apprend beaucoup…

Max Brusset a lui-même beaucoup appris en travaillant à sa passionnante et très riche, déjà, histoire des anti-gaullismes des origines à nos jours

Et cela _ je reviens au Dictionnaire de la Collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions _ à partir d’une conception éditoriale elle-même extrêmement bien conçue : chaque titre de notice est accompagné d’un excellent sous-titre, et chaque entrée comporte une ou deux citations représentatives mises en exergue, à côté du corps du texte lui-même.

Si bien que ce Dictionnaire de la Collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions constitue désormais un outil de référence indispensable pour les chercheurs comme pour les curieux de cette période plus que jamais fascinante…

Au passage, je peux indiquer que deux éléments ont sollicité tout particulièrement ma curiosité, au point d’en désirer découvrir davantage… :

tout ce qui concerne, d’une part, les très riches interconnexions des milieux d’affaire, autour de ce qui alors fut qualifié par certains de synarchie _ cf ainsi, et entre bien d’autres, l’article que François Broche lui consacre aux pages 829-830 ; et au passage, je remarque l’absence d’une entrée consacrée à Pierre Taittinger (1887-1965)… _ ;

et d’autre part, ce qui concerne, parmi les divers medias d’information, communication, propagande, la radio _ cf les articles Radio-Paris et Radio-Vichy, aux pages 751-752-753 ; et j’aurai souhaité en apprendre davantage sur les autres radios, en particulier en zone d’abord dite non-occupée ; par exemple à propos de Radio-Méditerranée, à Antibes, et de la naissance de Radio-Monte-Carlo, autour des activités de Max Brusset ; ou encore du développement de Radio-Andorre… _ cf La Résistance à Toulouse et dans la Région 4, de José Cubero.

Et il me faut souligner que les articles consacrés aux différents organes de presse (ainsi que d’édition) de cette période de l’Occupation sont tout particulièrement riches, et nous font pénétrer fort judicieusement dans les arcanes de l’information et de la propagande sous l’Occupation ; mais aussi pour toute la période qui suit, où fleuriront de nombreuses publications néo-vichystes : ici, l’apport de François Broche est tout spécialement remarquable, et très précieux pour le lecteur…

Bref, cet ouvrage de 928 pages de François Broche est bien davantage qu’un simple dictionnaire :

c’est un monument passionnant et grouillant de vie de micro-histoire,

en plus de former un très riche répertoire d’informations, à consulter par entrées, au fur et mesure de ses curiosités, comme pour tout dictionnaire…


Titus Curiosus, le 12 novembre 2014          

L’incisivité du dire de Martin Rueff : Michel Deguy, Pier-Paolo Pasolini, Emberlificoni et le Jean-Jacques Rousseau de « Julie ou la Nouvelle Héloïse »

12déc

Le choix de Céline Spector de donner la parole, dans le cadre des conférences de la saison 2009-2010 de la « Société de Philosophie de Bordeaux« , à l’excellent Martin Rueff mardi dernier 8 décembre sur le sujet du « temps du récit » dans l’œuvre, multiforme _ et sous cet égard aussi, particulièrement intéressante ! _, de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) _ entre « L’Émile« , en 1762, et « Julie, ou la Nouvelle Héloïse« , en 1761 ; ou, encore, le premier des « Dialogues » (in « Rousseau, juge de Jean-Jacques« , commencé de rédiger en 1772 et paru, posthume, en 1780) _ en une conférence d’une très grande finesse _ à partir des réactions dont témoigna Rousseau lui-même à l’ultime tableau de Nicolas Poussin dont le sujet est « Le Déluge« , en « L’Hiver » de la sublimissime série des « Quatre saisons » du peintre des Andelys (1594-1665) : on peut les admirer se faisant face, les quatre, à un carrefour de grands couloirs du Louvre (depuis qu’elles furent intégrées, ces quatre-là, aux collections royales, Louis XIV les ayant gagnées, au jeu de paume, en 1665, contre le premier duc (après le cardinal lui-même !) de Richelieu (Armand-Jean, 1639-1715 : celui-ci, petit-neveu du cardinal, héritant du titre par lettres patentes, en 1657) qui les avait commandées au « romain«  Nicolas Poussin !  au sein d’un lot de vingt-cinq tableaux de la collection du duc de Richelieu !.. _ ;

le choix de Céline Spector de donner la parole à l’excellent Martin Rueff en une conférence d’une très grande finesse intitulée « Le Pas et l’abîme _ ou la causalité du roman gris » _ c’est-à-dire faisant (assez virtuosement !..) l’économie du romanesque, à la Samuel Richardson (1689-1761) : « romanesque«  réputé (justement ! se reporter aux chiffres !) vendeur … : avec un immense succès pour pareil exploit d’écriture (grise, donc, ici…) ! Le roman (« gris« ) de Jean-Jacques « Julie, ou la Nouvelle Héloïse« , qui parut en 1761 chez l’éditeur Marc-Michel Rey à Amsterdam et qui allait être maintes fois réédité, fut, en effet, lui aussi, à son tour, après le « Pamela«  (en 1740) et le « Clarisse Harlowe » (en 1748) de Richardson, l’un des plus grands succès de librairie de la fin du XVIIIe siècle _,

le choix de Céline Spector de donner la parole à l’excellent Martin Rueff

m’a non seulement personnellement permis d’un peu mieux pénétrer dans la pluralité des régimes d’écriture du très ingénieux polygraphe qu’a été Jean-Jacques Rousseau, insatiable chercheur de formes de reconnaissance éditoriales (ainsi qu’aussi de la part du lectorat), au moins autant que sociales, de sa singularité, en ce riche « siècle des Lumières« , au milieu de tant de talents d’esprits eux-mêmes acérés et brillants se disputant la focalisation des attentions des regards des membres assidus des salons parisiens _ Céline Spector m’avait déjà recommandé, il y a quelque temps, quand je lui faisais part de mon goût pour le très riche d’enseignements divers « L’Âge de la conversation« , de Benedetta Craveri (après son passionnant, déjà, « Madame du Deffand et son monde« ), du travail foisonnant, lui aussi, « Le Monde des salons : sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIème siècle » d’Antoine Lilti _,

mais aussi, et mieux encore _ pour ce qui concerne ma curiosité personnelle ! _, signalé le travail de fond de Martin Rueff _ d’abord, le colloque de Cerisy, en mai 2006 : « Michel Deguy : l’allégresse pensive«  (aux Éditions Belin) ; puis le récent « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel«  _ autour des soucis de l’incisivité de la parole d’un esprit aussi judicieux et lucide que celui de ce contemporain majeur, aujourd’hui, qu’est Michel Deguy _ né en 1930, c’est son ami Jean-Marie Pontévia (1930-1982), mon maître d’Esthétique à la Faculté des Lettres de Bordeaux, qui m’avait fait découvrir son œuvre avec « Actes« , dès 1966… _ :

du « grand » Michel Deguy, lire en toute première et radicale urgence son indispensable et si remarquablement incisif, en effet, « Le Sens de la visite« , paru aux Éditions Stock en septembre 2006 : un livre lui-même majeur (!!!) _ qu’il m’est arrivé plus d’une fois de citer dans des articles de mon blog, tout particulièrement pour sa critique acerbe et tellement perspicace de ce qui se présente, expose, affiche, montre (à quelque reconnaissance « admirative«  d’autres : un public…) comme « culturel« 

Le titre même de ce travail majeur pour l’intelligence même de notre aujourd’hui _ rien moins ! _ qu’est ce « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel »

s’éclairant par ces lignes superbes de l' »Avertissement » (qui ouvre et nous présente le travail de ce livre généreusement ample _ de 460 pages : alertes autant que charnues ! _ en même temps que merveilleusement précis _ l’« Avertissement » court de la page 7 à la page 36) de Martin Rueff, à la page 11 :

« En dépit de ses inachèvements et de sa difficulté, l’étude de Walter Benjamin sur Baudelaire

_ « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme » !.. traduite en français par Jean-Yves Lacoste en une parution chez Payot en 1982 ; et rééditée en « Petite bibliothèque Payot » en 2002 _,

dont je reprends le titre

et dont j’essaie de prolonger l’enquête _ nous avise très précieusement Martin Rueff en cette page 11 de son grand essai _

eût dû convaincre les plus obtus

_ c’est-à-dire ceux qui s’obstinent à comprendre « la question de la situation en terme de « réduction » (sociologique, économique, philosophique, etc…) et qui restent prisonniers du schème mal entendu d’une poésie comète impossible à situer, collection d’hapax et de constellations inexplicables« . Avec cette double conséquence (malheureuse !) qu’« ils dessinent des cartes où les fleuves sont privés de source et dont l’embouchure se perd«  et que, alors, « on a du mal à inscrire les noms dans le paysage«  _ de la vraie culture _ ;  qu’« on se perd«  ; et qu’« on se prend à rêver _ seulement !.. _ sur des portulans anciens où la poésie semblait plus facile à situer » _ et pour cause : bien des « routes de culture«  se sont depuis bien brouillées, en la « modernité«  hyper-technologisée… ; il s’agit là des phrases précédant immédiatement celle qui fournit la clé du titre de l’essai de Martin Rueff ! _

eût dû convaincre les plus obtus« , donc, que

« situer un poète,

c’est se donner le moyen de le lire :

se loger dans la réceptivité imposée par son œuvre,

l’habiter,

faire se rejoindre les conditions de son intelligibilité et les dimensions ouvertes par sa sensibilité. »

Ainsi que « comprendre sa beauté« , toujours page 11.

Et Martin Rueff de préciser encore, un peu plus largement, et toujours page 11 de cet « Avertissement«  :

« Toute situation de la poésie implique une réflexion sur l’imaginaire politique et social de la langue, une thèse sur les rapports entre les catégories historiques et les catégories linguistiques. Cette réflexion animait  _ oui ! _ la pensée de Walter Benjamin« . Et « Elle est au cœur de la réflexion de Michel Deguy sur la langue de la littérature  _ « Qu’est devenue la beauté « en français » (ou du français, si vous préférez) ?«  (in « Le Grand cahier Michel Deguy » qu’a dirigé et publié Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , à Bordeaux, en 2007) _ et de ses méditations récurrentes sur la traduction« , toujours page 11 de son magnifique « Différence et identité « 

Voilà pour présenter bien trop rapidement ce grand livre

_ auquel je ne manquerai pas de consacrer un plein (et vrai) article…

L’article récent de  Jean-Claude Pinson sur « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel » de Martin Rueff

est assez judicieux pour que je me permette de le relayer (à lire) ici…

Le voici :

« Si Michel Deguy, parmi les poètes de sa génération, n’est ni le plus immédiatement lyrique ni le plus avant-gardiste, il est cependant, nous dit Martin Rueff, le « plus décisif » _ un adjectif particulièrement perspicace ! Or, pour qu’une œuvre puisse être envisagée à _ juste _ hauteur de ses enjeux et de son ambition propres (de sa décisive incidence _ voilà ! _), il ne lui suffit pas de persister dans son être. Il faut encore qu’elle soit vraiment comprise et lue _ certes ! d’abord réellement « lue« , puis « vraiment comprise« , en profondeur, si je puis m’exprimer ainsi, par un large public qui fasse réellement « sienne«  sa « leçon » !..

C’est seulement alors qu’elle peut opérer _ voilà ! _ dans l’époque, une époque où plus rien de va de soi _ c’est même assez peu dire ! _ quant à la poésie _ face aux usages mercantiles massifs, marketing aidant, de la rhétorique qui a fait son (immense) retour ! Cf ici l’important travail dirigé par Gilles Philippe et Julien Piat : « La Langue littéraire _ une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon« , qui vient de paraître aux Éditions Fayard ; et sur lequel je rédigerai prochainement un article. Un travail très important ! Cette remarque étant, bien sûr, un ajout entièrement mien… Et la chose est d’autant moins aisée que l’œuvre _ poétique de Michel Deguy _, assurément difficile _ tant elle est fine, affutée, pointue jusqu’en l’« abstraction«  de concepts, et jusqu’à quelques néologismes, parfois, qu’elle manie : quand l’occasion de leur « précision«  acérée se fait « sentir«  _, déconcerte l’idée moyenne _ voilà _ de la poésie que façonnent les _ un peu trop _ habituels _ = convenus _ outils de sa réception. Dans cette perspective, en proposant l’approche la plus fouillée et synoptique _ oui ! une analyse magnifique de clarté ! _ que l’on connaisse à ce jour de l’œuvre considérable _ et le plus souvent « creusante« … _ de Deguy, le premier grand mérite _ oui ! _ de l’essai de Martin Rueff est de fournir les cadres conceptuels _ voilà ! _ d’une réception à la hauteur _ c’est exactement cela ! _ d’une poésie et d’une pensée poétique d’une rare exigence _ qui en font, aussi, les deux indissolublement, son prix.

Souvent l’érudition, plus qu’un étai, se révèle être un écran dans l’appréhension d’une œuvre. Bien qu’il fourmille de références et de notes de bas de page, le gros essai _ de 460 généreuses pages _ de Martin Rueff ne tombe pas _ en effet ! _ dans ce travers. Son érudition n’éblouit pas, mais éclaire _ c’est tout à fait cela ! _, convoquant _ avec une très grande générosité, donc _ les travaux des poéticiens comme ceux des philosophes, des anthropologues ou des linguistes, pour mieux mettre à jour et reconstruire de l’intérieur _ oui ! _ la « poétique profonde » _ en son « chantier de fouilles » en permanence poursuivi, sinon perpétuellement recommencé… _ de l’œuvre de Deguy _ voilà ! Et il n’en fallait pas moins sans doute _ au-delà des successifs ouvrages de Michel Deguy lui-même _ pour saisir les enjeux _ oui ! _ d’une œuvre qui se sera frottée _ avec un fier constant courage ! _, tout au long de plus d’un demi-siècle, à la plupart des grandes questions portées par les penseurs et créateurs de notre époque (de Heidegger à Derrida ou Negri en passant par Zanzotto ou Claude Lanzmann). Ce faisant, la somme de Martin Rueff, au-delà de l’œuvre propre de Michel Deguy, se présente _ aussi, même si c’est en une parfaite discrétion ! _ comme un grand traité de poétique _ oui ! _, susceptible de nourrir la réflexion _ oui ! _ de tous ceux qui continuent aujourd’hui à penser que l’affaire de la poésie, dans le moment même de son retrait, demeure paradoxalement une chose des plus sérieuse _ et comment ! Car si la naïveté (une naïveté seconde) peut être aujourd’hui recherchée par le poème, nul ne peut plus ignorer, « après le constat de Schiller et la leçon de Baudelaire », que la naïveté théorique n’est plus, ne peut plus, elle, être de mise _ cf pages 194-195.

En écho à Heidegger («Identité et différence », dans « Questions I« ) et à Deleuze (« Différence et répétition« ), le livre de Martin Rueff sonne, par son titre, comme un traité philosophique. S’il ne s’y réduit évidemment pas, ce n’est pas cependant usurpé _ en effet ! Non seulement parce que Deguy est _ bien _ un « poète métaphysique », mais parce que, déplaçant _ oui  _ les frontières ordinairement reconnues entre poésie et philosophie, l’auteur du « Tombeau de Du Bellay » _ aux Éditions Gallimard en 1973, puis en 1989 _ fait à sa façon œuvre de philosophe créateur (à propos notamment de questions aussi essentielles que celles de la différence ou du schématisme _ en effet ! _). De ce point de vue Martin Rueff n’a pas tort de parler d’un « tournant littéraire » de la phénoménologie, tournant dont le poète serait l’un des acteurs majeurs. Et l’on prend mieux la mesure, à lire cet essai majeur, de l’importance de Deguy aussi comme philosophe _ philosophe singulier, car philosophe depuis la poésie. En effet !

Le titre de l’essai l’indique, c’est rien de moins que dans le grand débat post-hégélien relatif aux limites de la raison dans son rapport au réel que s’inscrit la pensée de Deguy. Débat essentiel, tant pour la philosophie que pour la littérature, où l’héritage critique de Heidegger comme celui de Bataille ont connu maints développements majeurs, aussi bien chez des philosophes comme Derrida que chez des poètes penseurs comme Bonnefoy ou Prigent. Pour le dire très vite, l’apport propre de Deguy est de proposer une théorie de la connaissance poétique _ oui _ comme _ et l’expression est à relever ! _ « empirisme perçant » doublée d’une critique _ acerbe ! _ de notre époque comme apothéose de l’arraisonnement du monde _ voilà ! _ par la technique (le Gestell heideggérien) sous la forme du « culturel » _ d’où des références multipliées, ces derniers temps, aux travaux de Bernard Stiegler, de la part de Michel Deguy… À la réduction tautologique du réel, au clonage généralisé _ voilà ! _ de toute chose qui résulte du triomphe planétaire de l’image-simulacre _ cf ici les références au travail lumineux de Marie-José Mondzain _, au Goliath d’un « culturel » proprement « géocidaire » _ voilà l’urgence et l’étendue du dégât ! _, le David de la poésie et de la pensée poétique oppose, selon Deguy, une démarche qui est celle, homologique, de la comparaison _ et de la métaphore (et du métaphorique, aussi). Hospitalière, jetant de mille façons des ponts _ oui ! _ entre les choses, cette pensée du « comme », au lieu de ramener les choses à l’identique, se fait gardienne _ anti-technique _ de leurs différences _ reliquaires. Ainsi comprise, la poésie est ce qui peut « sauver les phénomènes », par son attention _ toujours singulière ! _ à leur surgissement _ intensif, au rebours des anesthésies extensives _, par le pouvoir d’une « pensée approximative » (fondamentalement métaphorique _ voilà ! _), approchante et rapprochante _ dans l’acte esthétique même du « recevoir » vivant ! _, où la comparaison suppose la comparution _ active ! et « incisive«  !


C’est donc bien dans le sillage de la phénoménologie que Deguy inscrit sa pensée. Mais il le fait, montre Martin Rueff, en mettant l’accent sur la dimension langagière _ avec la poiesis du jeu des signifiants, aussi ; outre celui des « figures » ; et du lyrisme _ de cette comparution. Il infléchit ainsi la phénoménologie dans le sens d’une figurologie, entendue en un sens plus ontologique d’ailleurs _ oui ! _ que rhétorique. À quoi s’ajoute une composante critique en un sens kantien, Deguy s’interrogeant sur les conditions de possibilité d’une parole poétique apte _ oui _ à se saisir _ avec probité ! _ de la vérité du phénomène. Ce pourquoi on trouve dans son œuvre toute une théorie du schématisme (de l’imagination transcendantale) comme source première de toute pensée et de toute diction _ et c’est crucial ! _, l’originalité de l’auteur étant de proposer un schématisme articulatoire _ voilà ! _, i. e. fondé sur les formes du discours, sur la temporalisation propre à la finitude humaine _ ce qui revient à faire de la « raison poétique » le lieu même _ activé _ des analogies de l’expérience et du transcendantal. Il s’ensuit que la poésie est tout sauf ornementale _ certes ! Au contraire, la théorie du « comme » permet d’asseoir l’idée d’une « vérité poétique » qui n’est pas simplement oraculaire. Deguy, pour ce faire, remanie la théorie heideggerienne (celle de l’alétheia, de la vérité comme « dévoilement ») en réhabilitant la vérité de jugement (et son caractère prédicatif) _ et sa responsabilité. D’où la prévalence chez lui, à rebours du privilège accordé par Heidegger à la nomination, d’une poétique _ assez française : au meilleur de son génie historique, veux-je dire… _ de la phrase _ oui _, de l’énoncé articulé.

L’ouvrage s’attache aussi à creuser la question cruciale de l’expérience poétique : comment, dans le contexte de ce que Benjamin a nommé la « chute de l’expérience », le poète peut-il encore témoigner _ oui _ de son être au monde, de son attachement _ oui ! passionné… _ aux phénomènes, s’il n’a plus affaire qu’à du simulacre ? La réponse de Michel Deguy consiste à inventer un lyrisme critique où le oui de l’affirmation, de l’attachement à ce qui survient à la faveur _ aimante _ de la circonstance _ soit l’espiègle dispensateur Kairos !.. _, ne va pas sans détachement _ condition de la hauteur de vue. Dans le droit fil de Du Bellay et de Mallarmé, la poésie est pensée comme « décevante » _ avec une pointe, ainsi, redoutable, de mélancolie... Si elle célèbre, si elle travaille à la « révélation », c’est sur fond de « profanation » _ acerbe, elle. Et cette tension _ oui _, montre Martin Rueff, renvoie en dernière instance à un « Je » de l’aperception lyrique foncièrement temporalisé _ en effet ! d’où le choix de l’expression (et titre) du « Sens de la visite«  : quant à toute une vie !.. En des pages d’une grande densité, l’auteur établit un lien entre la temporalité intime dévoilée selon Hegel par la musique et le « battement ontologique » propre à l’aperception lyrique (propre à une « pulsation d’apparition-disparition » essentielle _ le rythme ! _ chez Deguy). Tout le problème est alors de penser l’articulation de ce niveau temporel-existentiel avec le niveau proprement historique où s’inscrit la thèse benjaminienne de la « chute de l’expérience ». Martin Rueff ne s’y attarde pas explicitement ; il préfère mettre l’accent sur l’opération lyrique consistant, chez Deguy, à « ineffacer » le « devenu incroyable » _ formulation assez cruciale _, à témoigner en mode profanatoire de cette « merveille » qui naguère constituait l’aliment même du lyrisme. Et c’est cette opération négative-affirmative d’« ineffacement » qui explique pourquoi le lyrisme moderne ne peut être qu’ironique et articulatoire : « chez Deguy, ce qui appartient au lyrisme, c’est la phrase ». Le propre d’un ouvrage important consacré à une œuvre « décisive » est de nous conduire au seuil de questions elles-mêmes décisives _ oui !

Pour ma part, j’en retiendrai volontiers deux _ ajoute alors, en forme de « commentaire » un peu plus sien, Jean-Claude Pinson : je le suivrai moins sur ces terrains.

La première a trait au thème majeur du « culturel » ; s’il est certes un phénomène aujourd’hui plus que jamais « total », peut-il être réduit à ce versant apocalyptique _ certes _ que Deguy pointe par exemple dans sa critique du tourisme ? Le risque n’est-il pas, en demeurant trop tributaire d’une opposition frontale _ certes _ du Grand Art et de la culture populaire, opposition héritée de Heidegger autant que d’Adorno, d’appréhender de façon trop univoque cette réalité du « culturel » ? Dans son débat avec Negri, Deguy formule, à propos de l’idée de « multitude », une critique acérée des errements (notamment totalitaires) où risque de conduire l’ «ontologie de l’un » dont serait solidaire cette notion chez Negri. C’est cependant passer trop vite par pertes et profits, me semble-t-il, tout l’apport d’un concept qui, dissocié de celui de « masse », permet de faire droit à l’idée de singularités créatrices confluant vers le commun en même temps que maintenant leurs différences. Ainsi comprise, la « multitude » n’est pas séparable d’une puissance, d’une agency poétique, qui fait de ce que j’appelle _ avance Jean-Claude Pinson _ le « poétariat » autre chose que le sujet passif d’une fatalité d’époque. De ce point de vue, le livre trop méconnu de Negri sur Leopardi (« Lent genêt« ) est un livre décisif pour comprendre les ressorts d’une possible résistance biopoétique au biopouvoir dont l’hégémonie du « culturel » est synonyme.

Une seconde question porterait sur les divers horizons philosophiques possibles pour la poésie aujourd’hui. La démarche de Michel Deguy, Martin Rueff le montre bien, demeure solidaire d’un horizon de pensée qui est fondamentalement celui de la phénoménologie. Il en résulte une inflexion de sa « poétique profonde » dans le sens d’abord d’une gnoséologie, d’une réflexion sur ce que peut la poésie dans l’ordre du connaître. De ce point de vue, quant à la question fondamentale de l’habitation poétique, Deguy est l’héritier de Hölderlin, de sa poétique spéculative (je songe ici aux essais récemment rassemblés et traduits par Jean-François Courtine sous le titre de « Fragments de poétique« ). La dimension pratique, « poéthique » et politique, n’est évidemment pas absente de l’œuvre de Michel Deguy (de l’expédition de l’Améréïde aux réflexions sur la question de la communauté). On ne peut pas ne pas se demander, cependant, ce qu’il peut en être aujourd’hui, « à l’apogée du capitalisme culturel », de la poésie, quelque « décevante » qu’elle soit, si on l’envisage à la lumière d’une philosophie pragmatique plutôt que spéculative : que peut encore la poésie, comme schématisme pratique, dans l’ordre des formes de vie ? Peut-on avec elle reconstruire ? Sans doute alors faudrait-il aller vers d’autres horizons philosophiques, plus soucieux des usages, qu’il s’agisse du second Wittgenstein, de Foucault ou Deleuze, ou encore du Barthes de la fin, celui qui s’inquiétait, en même temps que du quoi (et pour quoi) écrire, du comment vivre. »

Une bien belle analyse de Jean-Claude Pinson ; ainsi qu’un commentaire ouvert…

Composant ce riche dossier,

voici encore une série passionnante de « documents » sur ce travail récent de Martin Rueff :

D’abord, et au premier chef, bien sûr, ce très remarquablement incisif article de Martin Rueff lui-même 

paru dans la rubrique « Monde » le 17/09/2009 à 00h00 du quotidien « Libération » :

« Berlusconi, l’homme qui a mis le spectacle à la place de la politique«  :

par Martin Rueff, poète, critique, professeur de littérature et de philosophie _ vivant et _ à Paris et à Bologne.

« Tu nous manques Pasolini, parce que nous manquent ta capacité de diagnostic et de dénonciation, ton sens des continuités et des discontinuités, ta force de frappe _ ou incisivité ! _ et ton génie poétique. Tu nous manques parce que nous manque ton indignation, que l’Italie va mal et qu’on ne s’indigne pas assez.

S’il est vrai que la société capitaliste contemporaine fonctionne bien plus à la séduction qu’à la répression et que la société du spectacle représente la vérité accomplie du libéralisme réellement existant, Silvio Berlusconi incarne la pointe extrême de ce libéralisme à n’en pas douter, cette pointe où la séduction vire rapidement à la répression comme au bon vieux temps du fascisme. «Fascisme» ? Le mot importe moins sans doute que les périls qu’il dénonce, et il ne doit certes pas nous rendre indifférent à ses avatars modernes. Berlusconi est la figure de ce règne autocratique de l’économie marchande qui a accédé à un statut de souveraineté irresponsable et a pu plier un pays tout entier par la domination spectaculaire. Il gouverne le spectacle et le spectacle gouverne l’Italie.

Aujourd’hui, la situation italienne a de quoi glacer le sang. Elle est effrayante ; et seules les images que la France s’obstine à entretenir _ bien trop folkloriquement, hélas ! _ de l’Italie expliquent que le danger ne soit pas dénoncé de manière plus pressante et plus systématique. Non, Berlusconi n’est pas un clown sympathique porté sur la bagatelle, amateur de soirées libertines et incarnant les excès de l’italian way of life (spaghetti e mandolino). Non, Berlusconi n’est pas un homme politique extravagant. Berlusconi est un homme d’affaires crapuleux qui s’est enrichi avec l’argent de la mafia, qui entretient encore des rapports étroits avec des opinions criminelles, qui a détruit l’opinion publique italienne en employant un opium plus fort que toutes les drogues, la télévision, et qui fait exploser la séparation des pouvoirs en réformant la justice et en intimidant les journalistes. Berlusconi est un danger pour la démocratie et si l’Europe n’est pas plus attentive à ses méfaits, elle devra _ elle aussi _ plus tard se plaindre qu’il ait fait école _ oui… Qu’est-ce qui constitue la singularité de Berlusconi ? Plusieurs facteurs semblent y contribuer.

D’abord, sa richesse. Ses sources comme ses effets sont dévastateurs. Silvio Berlusconi est l’homme le plus riche d’Italie. Ce fait devrait déjà inquiéter, quand le pouvoir économique et le pouvoir politique se confondent, la démocratie court un danger (Tocqueville : «Lorsque les riches seuls gouvernent, l’intérêt des pauvres est toujours en péril»). Or, les sources de la richesse de Berlusconi sont criminelles. Berlusconi n’a rien du self-made-man. Il vient des milieux les plus véreux de la politique italienne. Sa prouesse a été d’avoir su émerger de l’opération mani pulite [mains propres, ndlr] _ qui avait essayé de mettre fin à la corruption de la vie politique italienne _ comme sa solution alors qu’il avait été une des causes du mal et restait une de ses expressions les plus parfaites.

Les effets ne sont pas moins graves que les causes. Ils sont réels et symboliques. Réels quand Berlusconi achète une partie de la classe politique italienne _ on dit même, dans ce pays où l’ironie est souvent _ qu’on y pense un peu plus ! _ le manteau de la lâcheté : «Avant, Berlusconi achetait des gens ; maintenant, certaines personnes sont prêtes à payer pour se vendre.» Symboliques quand Berlusconi détruit le tissu de la société par une culture de l’argent facile _ oui…

Qu’une certaine population puisse avoir comme idéal _ dont le statut serait à préciser… _ le proxénète organisateur de «ballets roses», qui n’a d’autres désirs _ = pulsions débridées _ que les filles faciles et les gros bateaux, cela peut s’expliquer si cette population se voit bombarder _ et bombardée : les deux ! _ par la représentation permanente de ce même idéal (il en va des images comme des rengaines à la radio : d’abord pénibles, leur répétition _ voilà comme « se font« , au quotidien du fil des jours, des « normes« _ les rend acceptables, puis agréables et enfin nécessaires). Que cet idéal _ le terme faisant décidément « tiquer«  _ soit le seul _ glissant ainsi en douceur vers du « totalitaire«  _ est un drame. Qu’il soit incarné par le chef de l’État, une tragédie. Et que dire de l’image de la féminité que cet obsédé sexuel diffuse par ses télévisions ? Les Italiennes se révoltent contre la société des veline, ces soubrettes en petite culotte qui accompagnent la télévision comme une «image de fond» : et putes, et soumises.

Ensuite, son empire médiatique. Berlusconi n’a rien d’un libéral. Ce n’est ni un homme de droite, ni un homme de droit. On réduit souvent l’opposition des Anglais et d’une grande partie des journalistes américains à Berlusconi à des conflits d’intérêts. Il n’en est rien. Rappelons que Berlusconi est le roi de la concentration et qu’il a tenté de regrouper autour de lui tous les pouvoirs de la presse et de la télévision (avant de vouloir regrouper tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire). Aujourd’hui, nous sommes arrivés à la situation suivante, que les libéraux de droite comme de gauche jugeront épouvantable : le président du Conseil possède les chaînes privées les plus regardées (pour l’essentiel des chaînes de divertissement qui monnaient l’idéologie capitaliste : jeux, défis entre pauvres qui se massacrent et donnent au public l’illusion de sa supériorité, compassion à deux balles, abêtissement organisé, pornographie) et dirige, par sa position politique, les chaînes dites nationales. Non content de cet empire, il va jusqu’à exiger de contrôler les nominations des directeurs de chaîne, le contenu des émissions et le choix des journalistes dans les émissions dites «politiques».

Un exemple suffira. Les affaires récentes qui entachent l’image du président du Conseil : les déclarations stupéfiantes de son épouse, son divorce, les relations qu’il entretenait avec une mineure, celles qui le lient au milieu de la prostitution de Bari, le rodéo sexuel qui a amené une trentaine de jeunes femmes dans sa demeure _ de Sardaigne : la villa Certosa _, le fait que ces femmes aient pu photographier cette maison en toute liberté ; on l’aperçoit, nabab au bandana d’une république bananière qui jamais ne débande, vêtu de blanc, en train de chanter comme un animateur de club de vacances. Ces affaires, donc, n’ont pas été jugées dignes d’être diffusées par les directeurs de l’information de Rai 1. Et la moitié du pays ne sait donc pas ce qui se passe. La moitié ? 80 % des Italiens ne sont informés que par la télévision.

Son pouvoir, ne l’oublions pas, s’étend aux journaux. Parce qu’il en possède (il vient de nommer Vittorio Feltri à la direction de Il Giornale _ journal qui appartient à la famille du président du Conseil et dont dire qu’il est proberlusconien est un euphémisme dangereux _ et la majorité de son équipe de rédaction est constituée par des personnes inculpées dans des procès mafieux) ; parce que ses sociétés entrent dans le capital de la plupart des grands tirages ; enfin, parce que ses pouvoirs économiques sont tels qu’il peut faire mourir des journaux en demandant aux grandes sociétés de ne pas faire de publicité dans ceux qui nuisent à son image.

Troisièmement, sa relation au pouvoir judiciaire. Parce qu’il fait de la politique pour échapper aux procès qui ne cessent de le menacer, Silvio Berlusconi a fait de la justice la priorité de ses réformes. Les lois ad personam ont fait leur effet. Il a réussi à faire passer un décret (la legge Alfano) qui le met au-dessus des lois _ entendons qu’il a fait passer par le Parlement une loi qui décrète son impunité. Mais il y a plus. Il a fait raccourcir les temps de la prescription et augmenter les temps des procès. Ces lois ciseaux lui permettent d’échapper à des condamnations ; le temps de la cassation est si long désormais que la prescription intervient toujours avant que justice ne soit rendue. Il dénigre les juges (dont l’aura avait permis à mani pulite de devenir un véritable mouvement politique). Ce scandale a un effet démoralisant pour un pays. Quand on voit un corrompu capable de corrompre les lois qui pourraient sanctionner sa corruption, il ne reste plus beaucoup de solutions. On les laisse imaginer. Elles vont du désespoir à la violence.

Enfin, sa relation à la politique. Berlusconi n’aime pas la politique. Il n’aime pas les idées, il n’aime pas les livres, il n’aime pas le discours. Il incarne en ce sens une figure décisive de la société du spectacle. Quand on a tout transformé en spectacle, le discours ne vaut plus rien. Le discours révèle sans montrer _ qu’on y médite ! _ _ voilà _ , il s’approche du réel sans prétendre le doubler ou le remplacer, il en dénonce les complexités, les contradictions, les surimpressions, l’épaisseur historique. C’est donc le discours qu’il faut faire taire en le remplaçant par des images. C’est la logique qu’il faut détruire par la spectacularisation du réel : jamais censure n’aura été _ en effet : en douceur (et sourires ; et rires de connivence)… _ si parfaite.

Le 6 août 1968, au moment de présenter la chronique intitulée
«Le chaos» qu’il allait publier chaque semaine dans l’hebdomadaire Il Tempo, Pasolini écrivait : «Il y a plusieurs raisons [à ma contribution]. La première est mon besoin de désobéir à Bouddha. Bouddha enseigne à se détacher des choses (pour le dire à l’occidentale) et le désengagement (pour continuer avec la grisaille de ce langage occidental) : deux choses qui sont dans ma nature. Mais il y a en moi un besoin irrésistible de contredire cette nature.» Il poursuivait : «Pour me justifier, j’invoque la nécessité « civile » d’intervenir _ incisivement ! _ dans la lutte de tous les jours, dans la lutte quotidienne pour clamer ce qui est selon moi une forme de vérité.» A côté de la poésie et des films de Pasolini, à côté de ses romans incandescents, et dont on peut penser que le dernier, « Pétrole« , n’est pas étranger aux événements qui ont causé sa mort, on rappellera l’activité journalistique de Pasolini : sa collaboration aux quotidiens et aux hebdomadaires qui ont donné lieu aux volumes décisifs des « Écrits corsaires« , d’« Empirisme hérétique » et des « Lettres luthériennes« .

Ses interventions ne se contentent pas de noter ce qui est (ce qui est déjà beaucoup tant la puissance de diagnostic _ voilà ! _ est ce qui manque _ hélas ! faute d’assez de prise de recul, tant quant à l’espace qu’au temps ! _ à beaucoup de nos contemporains). Elles prévoient ce qui va arriver (ce qui est le propre des «democratic vistas» des poètes, selon la formule de Walt Whitman _ cet immense poète auteur de « Feuilles d’herbe«  !.. : au souffle si puissant ! _). Mieux encore : elles envisagent aussi ce qui est préférable _ et qu’il faut proférer ! C’est l’œuvre du « génie » de l’imagination active et lucide ; cf ici, par exemple, outre l’œuvre si essentiel de Walter Benjamin, « L’Institution imaginaire de la société« , du grand Cornelius Castoriadis…


Tu nous manques Pasolini.

Puis,

cette participation de Martin Rueff à l’émission de Frédéric Taddei « Ce soir ou jamais » le lundi 5 octobre 2009 sur le sujet de « La Société italienne du spectacle refusé« 
http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/?page=sequence-du-jour&id_article=1583

Lundi 5 octobre 2009

La société italienne du spectacle refusé

« Près de 300 000 Italiens ont défilé dans les rues avant-hier pour protester contre la mainmise de Silvio Berlusconi sur les médias de son pays. Symbole du pouvoir du Président du Conseil italien : les chaînes de télévision publiques et celles dirigée par Il Cavaliere ont refusé de diffuser la bande-annonce du documentaire d’Erik Gandini « Videocracy« . Ce film entend démontrer comment la télévision italienne a façonné les esprits en glorifiant l’argent et la célébrité et en mettant en scène de jeunes filles dénudées. La bande-annonce est notre séquence du jour. »

L’invité :

Martin Rueff
Professeur de philosophie et poète

« Martin Rueff est poète, traducteur et professeur de philosophie et de littérature. Il enseigne à Paris VII et à l’Université de Bologne, en Italie. Il vient de publier « Différence et Identité » (éditions Hermann), ainsi qu’une tribune incisive dans Libération intitulée « Berlusconi, l’homme qui a mis le spectacle à la place de la politique ». »

Cf aussi le blog des Editions Hermann :
Martin Rueff : « Entre regard sur l’Italie de Berlusconi et regard sur l’œuvre poétique de Michel Deguy« 

http://hermannleblog.wordpress.com/2009/10/06/martin-rueff-entre-regard-sur-litalie-de-berlusconi-et-regard-sur-loeuvre-poetique-de-michel-deguy/

Le régime de l’image” par Martin Rueff, de Deguy à Berlusconi…

6 octobre 2009 at 16:44 (Bel Aujourd’hui, Martin Rueff-Différence et identité, Philosophie, Presse écrite, Présentation-Signature, Radio, Télévision, Video, poésie) (Aliocha Wald Lasowski, Éditions Hermann, Berlusconi, capitalisme culturel, Ce soir ou jamais, Danielle Cohen-Levinas, Différence et identité, Erik Gandini, France 3, France Culture, Frédéric Taddeï, Jean-Claude Pinson, L’Humanité, Le Bel Aujourd’hui, Libération, Maison des Écrivains, Matin Rueff, Michel Deguy, Petit Palais, Philosophie, poésie, Ronald Klapka, Séquence du jour, Videocracy)

« Martin Rueff, qui vient de publier, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui » que dirige Danielle Cohen-Levinas, un ouvrage consacré à l’œuvre poétique de Michel Deguy intitulé « Différence et Identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel« , est, depuis quelques semaines, un de ceux qui dénoncent, sur la scène médiatique française, la politique spectacle de Silvio  Berlusconi.

Il était hier soir l’invité de Frédéric Taddeï pour commenter, dans le cadre de la « Séquence du jour » de « Ce soir ou jamais« , les images de la bande-annonce du documentaire de Erik Gandini, « Videocracy« , qui raconte comment la télévision privée a changé l’Italie de ces trente dernières années.

Et, le 17 septembre, il écrivait, dans Libération, une tribune libre intitulée « Berlusconi, l’homme qui a mis le spectacle à la place de la politique« , dont voici un extrait :

« Berlusconi n’aime pas la politique. Il n’aime pas les idées, il n’aime pas les livres, il n’aime pas les discours. Il incarne en ce sens une figure décisive de la société du spectacle. Quand on a tout transformé en spectacle, le discours ne vaut plus rien. Le discours révèle sans montrer, il approche du réel sans prétendre le doubler ou le remplacer, il en dénonce les complexités, les contradictions, les surimpressions, l’épaisseur historique. C’est donc le discours qu’il faut taire en le remplaçant par des images. C’est la logique qu’il faut détruire par la spécularisation du réel : jamais censure n’aura été si parfaite. »

Or, écrivant cela, Martin Rueff rejoint précisément le 7 ème point du chapitre (II) de son livre, « Différence et Identité« , consacré au « culturel » et intitulé “Le régime de l’image, organon et puissance du culturel : la technologie des images ; les quatre indications sur l’imagerie culturelle“. Je vous propose également ici d’en lire un extrait (son début, pages 89-90) :

« Si le culturel impose l’empire des mauvaises duplications et le trafic des doubles, l’image est son organon. Il l’impose, elle le masque _ voilà le dispositif ! Deguy est proche ici de Debord : selon ce dernier, le capitalisme en sa forme ultime se présente comme une immense accumulation de spectacles où tout ce qui était immédiatement vécu s’est éloigné _ déréalisé _ dans la représentation. Pourtant, loin que le spectacle coïncide simplement avec la sphère des images, il « constitue un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ». La formule est devenue célèbre : « le spectacle est le capital parvenu à un tel degré d’accumulation qu’il devient image ». »

Ici, je me permets de citer aussi la conclusion, fort éclairante, de ce passage, aux pages 95-96 de « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel » _ assortie d’un peu de commentaires miens :

« L’image culturelle (…) n’est pas chargée d’histoire car son flot n’est pas tel qu’il nous offre une relation dialectique au présent

_ voilà ce qui devrait être visé ! « une relation dialectique au présent«  ! Martin Rueff vient ici de citer les décisives « images dialectiques«  de Walter Benjamin (in « Paris capitale du XIXe siècle _ le livre des passages« ) : « celles-là mêmes dont Deleuze a construit la théorie (in « Cinéma 1 _ l’image-mouvement« ) et Godard magnifié la pratique » (in « Histoire(s) du cinéma« ), page 95 ; sur ce processus capital, cf aussi mon article du 14 avril 2009 sur la lecture par Georges Didi-Huberman du passionnant l’« ABC de la guerre«  de Bertolt Brecht dans son premier volume de « L’Œil de l’Histoire«  (« Quand les images prennent position« ) : « L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer« 

Elle nous en prive _ autoritairement, cette « image culturelle« , donc ! de cette « relation dialectique au présent«  !.. _ parce qu’elle s’y substitue _ mine de rien. Elle fait écran _ voilà ! et massivement… Paradoxalement, l’image culturelle qui opère la réduplication du réel, son retour en force (mais d’une force qui n’est pas _ la distinction est cruciale ! _ une énergie), n’est pas un phénomène de la répétition s’il faut entendre par « répétition » (de Kierkegaard à Deleuze en passant par Nietzsche et Heidegger) ce qui, loin de faire revenir le même, assure _ a contrario _ le retour _ joueur et jouant : c’est décisif ! et avec lucidité ! _ de la différence ; ce qui, loin d’imposer le ressassement _ pathogène, « névrosant« , lui… _, offre la possibilité _ plastique (cf ici les belles analyses de Catherine Malabou, par exemple dans « La Plasticité au soir de l’écriture _ dialectique, destruction, déconstruction« ) et libératrice : épanouissante, c’est là le critère discriminant !.. _ de ce qui a été ; son retour comme possibilité _ mouvante, jouante ; invitant, à notre tour, à « jouer« 

La définition de l’image spectaculaire _ s’imposant à une réception passive et tétanisée : à l’inverse (absolu !) de l’« acte esthétique » selon Baldine Saint-Girons (in « L’Acte esthétique« ) et de l’« homo spectator » selon Marie-José Mondzain (in « Homo spectator« ) : des ouvrages majeurs et admirables, je ne le dirai jamais assez ! _ est qu’elle répète _ et rabat _ à l’identique et impose _ violemment sournoisement : en tapinois… _ cette répétition comme fatalité _ sans nulle autre issue _ en la fermant _ et bloquant, rien moins ! _ sur elle-même : elle transforme _ ainsi, subrepticement ; en parfaite invisibilité (= inconscience des spectateurs passifs, la pupille béatement anesthésiée, tétanisée dans l’insignifiance de ce « spectaculaire« -là…) : ni vu, ni connu ; le tour est ainsi de main de maître (de prestidigitateur) joué !.. _ le nécessaire en réel et le réel en nécessité.

L’image du poème trouve ici _ par lumineux contraste _ sa tâche _ éminemment « humaine », elle : poïétique ! _ : transformer le réel en possible _ tout ouvert, lui : ludiquement (et même artistement ! à quelques exigences à satisfaire près, évidemment…)… _ et le possible en réel «  _ de l’œuvre se réalisant (« in progress« , elle…) : avec une ouverte et dansante, musicale, plasticité…


Soit trouver, ou re-trouver, le jeu même de la vie créatrice, la vie comme jeu riche de l’ouverture de ses créations (imprévisibles, incalculables, improgrammables : ce qui sépare l’art de la technique) « à réaliser« , « se réalisant« , peu à peu _ parfois même à la vitesse de l’éclair ! _ en jouant vraiment…

La démonstration de Martin Rueff est limpide !


« Pour en savoir plus sur l’ouvrage :

la critique de Jean-Claude Pinson

le compte rendu de Ronald Klapka

l’article d’Aliocha Wald Lasowski paru dans L’Humanité du 5 octobre 2009

Par ailleurs, Martin Rueff sera au Petit Palais, en compagnie de Michel Deguy, le mercredi 28 octobre 2009, de 13h à 15h, dans le cadre des rencontres publiques organisées par la Maison des Écrivains, pour débattre de la questionLa poésie, pour quoi faire ?. La rencontre sera diffusée sur France Culture le 16 novembre. »

Voilà le dossier…

Et bonne lecture de « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel » de Martin Rueff…


Titus Curiosus, ce 12 décembre 2009

Sur le réel et le sérieux : le « point » de Paul Krugman sur l’enjeu de l’élection du 4 novembre aux Etats-Unis

02nov

Sur l’article de Paul Krugman « Desperately Seeking Seriousness » dans l’édition du New-York Times du 26 octobre dernier…

Pour poursuivre la réflexion sur ce qu’il en est du « réel »,

ainsi que du « sérieux » _ quant à la recherche (élémentaire !) de la vérité sur ce « réel », face aux « marchands » d’illusions (et croyances) en tous genres (et ça se bouscule au portillon !), et autres camelots et bateleurs d’estrades (politiques) _

et/ou,

en conséquence de quoi,

de l’élémentaire honnêteté intellectuelle

(des chercheurs, conseilleurs, discoureurs, etc… jusqu’à tout un chacun : vous et moi…),

en une société (civile) dominée _ depuis voilà plus de trente ans, maintenant : cela commence à faire un peu long

(cf mon précédent article : « de la crise et du naufrage intellectuel à l’ère de la rapacité _ suite : les palais de l' »âge d’or » à Long Island« , d’après un très bel article, déjà, de Paul Krugman, dans le New-York Times, le 20 octobre 2002) _,

par les « marchands »

et autres « camelots politiques » (style Thatcher et Reagan),

appuyés sur l’idéologie pseudo compétente d’idéologues _ stipendiés _ du genre d’un Milton Freedman (« prix Nobel d’Economie » en 1976 :

né le 31 juillet 1912 à New York et décédé le 16 novembre 2006 à San Francisco, Milton Freedman est « généralement » considéré comme l’un des économistes les plus « influents » de ce XXe siècle _ qui est peut-être en train de s’achever ces mois d’octobre et novembre 2008 (et pas le 11 septembre 2001 !)…

Titulaire du « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » _ voilà, en fait, l’expression juste ! _ de l’année 1976, Milton Freedman a été un ardent défenseur du « libéralisme », à moins que ce ne soit, plutôt, et en fait, de l' »ultralibéralisme » :

sur cette dernière nuance-ci (« libéralisme« / »ultralibéralisme« ),

on peut se reporter à l’excellente contribution _ elle aussi _ d’hier, dans le numéro du Monde daté du 2 novembre, de Michel Rocard, interrogé par Françoise Fressoz et Laetitia Van Eeckhout, sur la « crise financière » : « la crise sonne le glas de l’ultra-libéralisme« ),

voici,

ici et maintenant,

un magnifique article

_ d' »actualité politique », d’abord, simplement, et modestement : l’élection aura lieu le 4 novembre ! _,

intitulé « Desperately Seeking Seriousness«  dans l’édition du New-York Times du 26 octobre,

par le tout récent

_ le vent venant de tourner ; et les girouettes de suivre : pardon de permettre l’impression de qualifier l’honorable jury suédois de « girouette : on pourrait dire, plus noblement (à la Hegel, et selon son souci « réaliste » de la « wirklichkeit« ), « zeitgeist » : « esprit (ou « air« ) du temps » : mais est-ce bien différent ?  _

par le tout récent « prix Nobel d’Économie »

(ou plutôt « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel« ),

Paul Krugman ;

pour ceux qui lisent l’espagnol,

l’édition d’El Pais d’aujourd’hui, 2 novembre, en propose une traduction en castillan _ « En busca desesperada de la seriedad » _, par María Luisa Rodríguez Tapia.

Je n’en ai pas (encore : hélas !) trouvé une édition en « traduction en français »

_ ce que je me permettrai d’interpréter, et sans trop de « mauvais esprit » (j’espère…), comme un certain « retard »(hélas), de la France (ou des Français), dans le défi (et urgence !) de mieux comprendre (et mieux agir dans _ ou sur) le monde d’aujourd’hui… ;

un « retard » qui donne « à penser », lui aussi…

Voici cet excellent article de Paul Krugman « Desperately Seeking Seriousness« 

en version originale,

puis en traduction en castillan ;

et je me permettrai de « mettre en gras » ce qui me paraît le plus significatif

_ ainsi que de truffer (un peu) l’article original de quelques commentaires (parfois un peu « philosophiques » : avec des références aux œuvres de Platon, Machiavel, ou Freud…), en vert _,

comme modeste contribution d’un « simple » _ dans tous les sens du terme _ « curieux »,

à la recherche un peu « désespérée » _ à son modeste niveau _ d’un peu mieux comprendre « sérieusement » le « réel« ,

ou le monde,

afin d’un peu mieux, très simplement, « s’y orienter »

(comme en complément bien « empirique » à la préoccupation d’un Emmanuel Kant, en 1786, de préciser quelque réponse à la question « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?« …

D’abord, dans la version originale, sous la _ vraiment excellente ! _ plume de Paul Krugman :

October 26, 2008
Paul Krugman : Desperately Seeking Seriousness _ quel beau (car juste !) titre !

« Maybe the polls and the conventional wisdom are all wrong… But right now the election looks like a … solid victory, maybe even a landslide, for Barack Obama…

Yet just six weeks ago the presidential race seemed close, with Mr. McCain if anything a bit ahead. The turning point was the middle of September, coinciding precisely with the sudden intensification of the financial crisis… But why has the growing financial and economic crisis worked so overwhelmingly to the Democrats’ advantage? …

I’d like to believe _ car c’est un peu trop beau pour être « vraiment vrai » : d’où ce conditionnel (« j’aimerais croire »  : « croire » au sens, ici, de « supposer »…) lucide ! _ that the bad news convinced _ et c’est bien de cela en effet qu’il s’agit : « convaincre » ; et non pas « persuader«  (= faire « passionnellement croire ») : là-dessus, relire inlassablement « Gorgias » de Platon ; ou/et les si justes pédagogiquement « Propos » (sur l’éducation, les pouvoirs, le bonheur, etc…) d’Alain _ many Americans, once and for all, that the right’s economic ideas are wrong and progressive ideas are right. And there’s certainly something to that…

But I suspect that the main reason for the dramatic swing in the polls is something less concrete… As the economic scene has darkened, I’d argue, Americans have rediscovered the virtue of seriousness _ « the virtue of seriousness » : voilà l’expression décisive ! Celle qui m’a incité à rédiger cet article… And this has worked to Mr. Obama’s advantage, because his opponent has run a deeply unserious campaign.

Think about the themes of the McCain campaign… Mr. McCain reminds us, again and again, that he’s a maverick _ but what does that mean ? His maverickness _ en français : « être un franc-tireur » _ seems to be defined as a free-floating personality trait, rather than being tied to any specific objections… to the way the country has been run for the last eight years.

Conversely, he has attacked Mr. Obama as a “celebrity”, but without any specific explanation of what’s wrong with that…

And the selection of Sarah Palin… clearly had nothing to do with what she knew, or the positions she’d taken _ it was about who she was, or seemed to be _ et le modèle n’a été que trop exportable outre-Atlantique, hélas !!! Americans were supposed to identify with a « hockey mom » who was just like them _ comme si l’identification était un argument de choix pertinent d’un dirigeant politique ! C’est baigner là dans la pensée magique (cf Lucien Lévy-Bruhl : « Primitifs » ; « Esquisse d’une théorie générale de la magie » de Marcel Mauss ; et Claude Lévi-Strauss : « La Pensée sauvage« )…

In a way, you can’t blame Mr. McCain for campaigning on trivia _ after all, it’s worked in the past. Most notably, President Bush got within hanging-chads-and-butterfly-ballot range of the White House only because much of the news media, rather than focusing on the candidates’ policy proposals, focused on their personas : Mr. Bush was an amiable guy you’d like to have a beer with, Al Gore was a stiff know-it-all, and never mind all that hard stuff about taxes and Social Security. And let’s face it: six weeks ago Mr. McCain’s focus on trivia seemed to be paying off handsomely.

But that was before the prospect of a second Great Depression concentrated the public’s mind.

The Obama campaign has hardly been fluff-free _ in its early stages it was full of vague uplift. But the Barack Obama voters see now is cool, calm, intellectual and knowledgeable, able to talk coherently about the financial crisis in a way Mr. McCain can’t _ ou l’épreuve du réel… And when the world seems to be falling apart, you don’t turn to a guy you’d like to have a beer with, you turn to someone who might actually know how to fix the situation _ soit Socrate (et Platon) versus Gorgias, Polos et Calliclès, in « Gorgias » ! et encore Socrate (et Platon) versus Thrasymaque et le point de vue rapporté par Glaucon, dans « la République« , toujours de Platon…

The McCain campaign’s response to its falling chances of victory has been telling : rather than trying to make the case that Mr. McCain really is better qualified to deal with the economic crisis, the campaign has been doing all it can to trivialize things again. « Mr. Obama consorts with ’60s radicals ! He’s a socialist ! He doesn’t love America ! » Judging from the polls, it doesn’t seem to be working.

Will the nation’s new demand for seriousness last ? Maybe not _ remember how 9/11 (2002) was supposed to end the focus on trivialities ? For now, however, voters seem to be focused on real issues. And that’s bad for Mr. McCain and conservatives… : right now, to paraphrase Rob Corddry, reality has a clear liberal bias

_ c’est le « réel », en ses « apparitions », qui change ;

les « réalistes » (= « pragmatiques ») sont bien forcés

(par l’avantage, provisoire _ sur la scène sociale, économique et politique ; ainsi qu’idéologique ! _, du « principe de réalité » sur le « principe de plaisir« 

_ cf Freud dans « Au-delà du principe de plaisir« , en 1920, publié in « Essais de psychanalyse«  : un très grand livre ! _

de s’y « adapter » (machiavéliennement, si j’ose dire ;

à moins que ce ne soit « machiavéliquement », seulement ; en revenir au « Prince« )

si peu que ce soit,

du moins pour un moment, le temps que le temps tourne à nouveau, et soit, de nouveau, plus propice à leurs manœuvres peu, honnêtes (ou intègres)…

Et dans sa traduction en castillan, par Maria Luisa Rodríguez Tapia, dans el Pais de ce 2 novembre :

« En busca desesperada de la seriedad »

Paul Krugman 02/11/2008

Es posible que todos los sondeos y opiniones generalizadas se equivoquen, y que John McCain, inesperadamente, gane. Ahora bien, en estos momentos da la impresión de que el triunfo demócrata es inevitable : una victoria sólida, tal vez incluso aplastante, de Barack Obama ; gran aumento del número de escaños demócratas en el Senado, tal vez incluso suficientes para darles una mayoría a prueba de bloqueos parlamentarios, y también un amplio avance demócrata en la Cámara de Representantes.

Hace sólo seis semanas los resultados parecían ajustados e incluso levemente favorables a McCain. El momento decisivo de la campaña se vivió a mediados de septiembre, coincidiendo con la repentina intensificación de la crisis financiera tras la bancarrota de Lehman Brothers. Pero ¿ por qué la crisis económica y financiera ha beneficiado de una forma tan abrumadora a los demócratas ?

Con todo el tiempo que he dedicado a presentar argumentos contra el dogma económico conservador, me gustaría creer que la mala situación convenció a muchos estadounidenses, por fin, de que las ideas económicas de la derecha son erróneas y las ideas progresistas son las acertadas. Y no cabe duda de que hay algo de eso. Hoy, cuando incluso el propio Alan Greenspan reconoce que se equivocó al creer que el sector financiero podía autorregularse, la retórica reaganesca sobre la magia del mercado y los males de la intervención del Gobierno resulta ridícula.

Además, McCain parece asombrosamente incapaz de hablar sobre economía como si fuera un asunto serio. Ha tratado de responsabilizar de la crisis a su culpable favorito, las asignaciones presupuestarias especiales del Congreso, una afirmación que deja atónitos a los economistas. Inmediatamente después de la quiebra de Lehman, McCain declaró: « Los cimientos de nuestra economía son sólidos« , por lo visto sin saber que estaba repitiendo casi al pie de la letra lo que dijo Herbert Hoover después de la crisis de 1929.

No obstante, sospecho que la razón fundamental del espectacular giro en las encuestas es algo menos concreto y más etéreo que el hecho de que los acontecimientos hayan desacreditado al fundamentalismo del libre mercado. En mi opinión, a medida que la situación económica ha ido oscureciéndose, los estadounidenses han redescubierto la virtud de la seriedad. Y eso ha beneficiado a Obama, porque su rival ha llevado a cabo una campaña tremendamente poco seria.

Piensen en los temas que han centrado la campaña de McCain hasta ahora. McCain nos recuerda, una y otra vez, que es un heterodoxo, pero ¿qué significa eso? Su heterodoxia parece definirse como un rasgo independiente de su personalidad, no vinculado a ninguna objeción concreta contra la manera de gobernar el país durante los últimos ocho años.

Por otro lado, ha criticado a Obama diciendo que es un « famoso », pero sin explicar en concreto qué tiene eso de malo; se da por supuesto que las estrellas de Hollywood tienen que caernos mal.

Y es evidente que la elección de Sarah Palin como candidata republicana a la vicepresidencia no tuvo nada que ver con sus conocimientos ni sus posturas; fue por lo que era, o lo que parecía ser. Se suponía que los estadounidenses debían identificarse con una hockey mom parecida a ellos.

En cierto sentido, es comprensible que McCain haga campaña apoyándose en nimiedades; al fin y al cabo, en otras ocasiones ha funcionado. El caso más notable fue el del presidente Bush, que si logró colocarse a un paso de la Casa Blanca y que todo dependiera de una cuestión de papeletas mariposa y perforaciones mal hechas fue sólo porque gran parte de los medios, en vez de prestar atención a las propuestas políticas de los candidatos, se centraron en sus personalidades: Bush era un tipo simpático con el que uno podía tomarse una cerveza, mientras que Al Gore era un tieso sabelotodo; y eso era lo importante, no ese lío de los impuestos y la Seguridad Social. Y seamos francos: hace seis semanas parecía que la atención de McCain a las nimiedades estaba dándole buenos resultados.

Pero eso era antes de que la perspectiva de una segunda Gran Depresión captara la atención de la gente.

La campaña de Obama no ha estado tampoco libre de tonterías; en sus primeras fases estaba llena de un vago optimismo. Pero el Barack Obama que ven los votantes hoy es un hombre sereno, tranquilo, intelectual y enterado, capaz de hablar sobre la crisis financiera con una coherencia que McCain no tiene. Y, cuando parece que el mundo se viene abajo, uno no recurre a un tipo con el que le gustaría tomarse una cerveza, sino a alguien que quizá sepa realmente cómo arreglar la situación.

La reacción de la campaña de McCain al ver que disminuyen sus posibilidades de victoria ha sido significativa: en vez de argumentar que McCain está más preparado para hacer frente a la crisis económica ha hecho todo lo posible para volver a frivolizar las cosas. ¡Obama se junta con radicales de los años sesenta! ¡Es un socialista! ¡No ama a Estados Unidos! A juzgar por las encuestas, no parece que esté sirviendo de nada.

¿Persistirá la nueva exigencia de seriedad del país? Quizá no; ¿se acuerdan de que se suponía que con el 11-S iban a acabarse las frivolidades? Pero, de momento, parece que los votantes sí están interesados por los temas que de verdad son importantes. Y eso es malo para McCain y para los conservadores en general: en estos momentos, para parafrasear al cómico Rob Corddry, la realidad es claramente progresista. –

© 2008 New York Times News Service. Traducción de María Luisa Rodríguez Tapia.

De quoi réfléchir un minimum, sur le « sérieux » des compétences réelles,

face à la légéreté des « convictions », des « croyances », du poids de la « crédulité » aussi…

Même si,

tant Paul Krugman, dans son article du New-York Times du 26 octobre,

que Michel Rocard, dans son entretien avec Françoise Fressoz et Laetitia Van Eeckhout du Monde de ce 2 novembre,

sont loin d’être naïfs sur l’efficacité immédiate ou directe, à court terme

_ le « contexte » (du « présent » historique) jouant, aussi, beaucoup pour donner du poids et de l' »autorité » à leur « parole » et à leur « intervention » (et « focalisation » pertinente)

auprès de ceux qui

_ en masse, grégairement, le plus souvent (ils préfèrent « copier-coller » des opinions qu’ils croient majoritaires) _

veulent si peu (ou si mal) entendre, et comprendre _ ;

même si tant Paul Krugman que Michel Rocard, donc,

sont loin d’être naïfs sur l’efficacité

de leur « action » _ de sagacité _ de « désembrouillage » de la complexité du « réel », déjà, même

(et des « faits » à « établir » : avec validité objective) ;

et de « désembrouillage » des idéologies « intéressées » et bien peu objectives, elles,

qui ajoutent leur « confusion » (subjective et passionnelle ; quand ce n’est pas, même, de parfaite « mauvaise foi ») aux brouillages

(et brouillards, déjà) de ce « réel » lui-même ;

et si il appartient à chacun, _ comme « honnête homme«  _ à son niveau, à sa place, et hic et nunc, « en situation« , dirait un Sartre (cf ses « Situations« ),

de sempiternellement inlassablement,

avec « vaillance » _ c’est un « travail » de l’esprit à l’œuvre ! _ et avec « courage« 

_ les deux « vertus » que Kant met en avant dans son indispensable et toujours d’extrême actualité et urgence, « Qu’est-ce-que les Lumières ? » _ pour lui, c’était en Prusse, à Koenigsberg, et en 1784, déjà… _

et si il appartient à chacun

de faire effort si peu que ce soit,

en commençant par (bien) écouter, (bien) s’informer

(à bonnes, et plurielles, sources : en « débats » ouverts, « libres » : c’est-à-dire exigeants quant à l’effort de « vérité », au-delà des « intérêts », économiques, surtout, qui s’affrontent ;

qu’il en ait, ce « chacun », claire conscience, ou pas,

c’est-à-dire une conscience embrumée, ou brouillée)

pour _ toujours essayer, chacun, de mieux _ « comprendre »...

Même si,

tant Paul Krugman

que Michel Rocard, donc,
demeurent, forcément, circonspects

sur les capacités d’un (isolé) article,

et, plus généralement, de leur action

_ chacun des deux à son niveau, et dans sa sphère (d’influence) _ ;

sur les capacités

de « convaincre » les décideurs, les pouvoirs,

ainsi que les individus, et, au-delà de leur individualité séparée, les peuples

_ ou du moins leurs « majorités » politiques (en démocratie !),

à la veille des élections présidentielles américaines de ce mardi 4 novembre : après-demain ! _ ;

soit de « convaincre »,

en raison (et pas « en affects » populistes),

tout un chacun,

de changer d’attitude

tant de l’entendement que de la volonté, en action,

au profit d’un « réalisme de la vérité

et de la justice »…

Où commence la naïveté ? où commence l' »utopie » ?

Où se trouve le vrai « réalisme » ?

Sur ce point, afin d’un peu mieux le « penser », je me permettrai de « renvoyer » à ce grand livre

qu’est « L’Institution imaginaire de la société« , en 1975,

de Cornelius Castoriadis (1922, Constantinople, ou Istamboul _ comme on voudra _ – 1997, Paris)…

Bref,

de quoi réfléchir ;

et agir,

quant à notre « crise »…


Titus Curiosus, ce 2 novembre 2008

Sur la crise (de confiance et aveuglement) : la méthode d' »attention intensive » de Titus Curiosus

30oct

Petite réflexion-bilan (de Titus Curiosus : sur 4 mois de blog « En cherchant bien _ les carnets d’un curieux« )
sur les enjeux de « la crise«  (confiance et aveuglements « graves » en tous genres),
par rapport à la vérité et aux œuvres vraies des artistes, philosophes, historiens, chercheurs de diverses disciplines
que proposent les livres (et disques _ vive la musique !) qui nous attendent, si nous les « dénichons », sur les rayons d’une grande librairie, telle que la Librairie Mollat, à Bordeaux…

A confronter avec mon article d’ouverture de ce blog, le 4 juillet dernier :

« le carnet d’un curieux« …


Par sa méthode (d' »attention intensive »),
en ce blog « En cherchant bien _ les carnets d’un curieux« ,
Titus Curiosus se propose de
(s’essaie à)
_ en ses phrases longues, complexes, « cahoteuses » parfois

(c’est le mot _ « cahoteux » _ par lequel Maxime Cohen qualifie le « style » de Montaigne même, en ses « Essais« , à la page 43 de ses « Promenades sous la lune » ; cf mon article « Sous la lune : consolations des misères du temps« )

par lesquelles l’écrivant se confronte, un peu dans le détail,

au style de l’écrivain, du peintre, du musicien, du photographe,

bref de l’artiste, ou du philosophe, ou de l’historien, etc…

car « le style, c’est l’homme même« , retenons-nous de Buffon, en son « Discours sur le style » (prononcé à l’Académie française, lors de sa réception, le 25 août 1753 _ et qui n’a pas pris une ride !) _

Par sa méthode (d' »attention intensive »), donc,

Titus Curiosus se propose de (s’essaie à)

et propose à
ses lecteurs (en ce blog-ci)

d’essayer (et prendre envie) de
mieux regarder, écouter, lire

de « vraies » œuvres d’auteurs (« véritables » ; et pas des « faisant-semblant de » ; quand s’étalent et se répandent presque partout les impostures)…

Et, par là, de « rencontrer » « mieux » ces auteurs (d’œuvres),
en tant qu' »humains »

_ « non » encore (trop) « in-humains« 

(j’emprunte ce mot-concept de « non-inhumain« au Bernard Stiegler de « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » _

« rencontrer » mieux ces auteurs « non-inhumains« , donc,

en leur expérience (d’artistes)
du « réel », leur « réel »

le plus « réel »,
celui auquel ils ont « réellement » affaire,
auquel ils se coltinent « vraiment »
(= « en vérité », le plus « réellement » possible _ et pas seulement fantasmatiquement, tel un « réel » qui ne serait que « rêvé » ;

et pas en faisant rien que des moulinets, ronds-de-jambes, « bulles-de-savon » et autres « ronds-de-fumée », en prenant des poses _ de paroles _ cajoleuses et racoleuses « vendeuses »)…


un « réel », pour chacun d’eux

_ ces artistes (écrivains, peintres, photographes, cinéastes, etc…), ces philosophes, historiens, chercheurs _,

chaque fois _ un par un _,

spécifique (précis, particulier, singulier)

_ et parfois
(ou même assez souvent ; mais pas à tous les coups : l' »œuvre vraie » n’est jamais « mécanique » !)

« de génie »

(tel qu’ils le « montrent », ce « réel » : tel qu’il leur apparaît, « en vérité » la plus objective ; et selon leur style…) _,

c’est-à-dire de les « rencontrer » vraiment, « en vérité »,

ces auteurs-là, en ces œuvres particulières-là ;

et cela, en allant _ à leur « réception-rencontre » _ un peu (plus et mieux : par le regard, par l’écoute, par la lecture « attentifs » et « intensifs »)

à la rencontre des traces
qu’en ces œuvres

_ livres, disques (que l’on trouve en un « antre » débordant tel que la librairie Mollat) ;

telles d’improbables « message(s) in a bottle » (de la grande, belle, chanson du groupe Police, tirée de l’album « Reggatta de blanc » en 1979) ;

confiés par eux, ces auteurs « vrais », à quelque « bouteille », donc,

elle-même confiée à la mer, vers, sur d’autres rivages, d’improbables lecteurs ;

ou, encore (autre océan !) enfouies « dessous des cendres » : comme dans l’indispensable « Des voix sous la cendre » édité par Georges Bensoussan et le Mémorial de la Shoah (qu’on lise seulement ce que nous a « légué », de son « enfer » si improbable (mais si « réel ») et très court sursis (!), « en témoignage » « pour toujours », un Zalman Gradowski !

Que son nom et que son « message » (de ces « bouteilles » de « sous la cendre« ) survivent ! Un livre peut aussi remplir cet « office »-là !… Car il n’est pas vrai que, ainsi que beaucoup « pensent », et Staline l’a dit (à Moscou, au général de Gaulle, en 1945, il me semble), « à la fin, c’est la mort qui gagne !«  _

en allant à la rencontre des traces
qu’en ces œuvres

_ livres, disques _, donc,

ils _ ces auteurs « vrais » _ ont adressées _ les « traces » ! _ aux spectateurs-regardeurs-écouteurs-lecteurs éventuels que nous sommes
_ déjà potentiellement, en effet, en arpentant les rayons de la librairie _ ;

et devenant _ revenus chez nous _, « en acte » par notre regard (de regardeur, d’écouteur, de lecteur effectif :

« attentif intensif« , dis-je…),

devenant un peu plus « réels » et effectifs nous-mêmes, ainsi _ que d’ordinaire :

l’ordinaire dominant et commun, disons « social »,
anesthésié qu’est cet « ordinaire » (socialisé) _ et nous-mêmes aussi, en conséquence : anesthésiés _,
par les valeurs (sociales : intimant du silence et de l’acceptation)

et les propagandes (asphyxiantes, à force, sans qu’on en prenne réellement conscience :

telle la grenouille, au final ébouillantée, dans la casserole dont on a monté insensiblement _ traitreusement, pour la dite grenouille _, degré après degré, la chaleur) ;

l’ordinaire anesthésié
par les « valeurs« , donc,

des seuls « intérêt »
(pour le « travail« )
et « agréable »
(pour le « loisir« )…

_ ou « Panem et circenses« ,

selon la formule (ayant fait ses preuves) de pouvoir (sur les autres ; et de la relative tranquille « paix sociale »

_ ou plutôt « apathie » ; il n’y a de paix effective que par des actes et des engagements actifs _

qui en résulte) d’autres potentats…


devenant un peu plus « réels » et effectifs nous-mêmes

en allant

_ je reviens au lecteur « actif », dés-anesthésié, r-éveillé : telle « la belle-au-bois-dormant » (cent ans plus tard !!!) du conte _,

en un « acte esthétique »
_ ainsi que le nomme(
nt), assez génialement, Baldine Saint-Girons (en son « Acte esthétique« , paru aux Éditions Klincksieck), et Marie-José Mondzain (en son « Homo spectator« , paru aux Éditions Bayard)_,

en allant

vers ce « réel » vrai, via

_ médiation nécessaire, indispensable, pardon d’y insister ! _

via les œuvres (« vraies ») de vrais _ et pas des imposteurs, pas des camelots _, « au charbon » (= à l’œuvre » !),

de « vrais artistes »,
et « vrais » philosophes »,
« vrais historiens »,
« vrais chercheurs (scientifiques) »
de toutes disciplines « vraies »,

en s’y salissant _ nous, lecteurs, après eux, auteurs :

« honnêtes », « vaillants et courageux« , dit Marie-José Mondzain en ouverture de son « Homo spectator« , page 12 _ ;

en s’y salissant (un peu : nul lecteur-regardeur-écouteur-spectateur « vrai »
n’en sort tout à fait le même _ indemne ! _ qu’il était avant de s’y coltiner)
en les « rencontrant », ces œuvres « vraies » ;

en s’y salissant (un peu) nos mains, nos yeux, nos oreilles _ un peu de notre propre corps (et de notre âme) _ ;

de même que l’artiste « vrai »
s’est, déjà, lui,
lui-même le premier,
« engagé »
_ et « mouillé » ; et « sali », aussi ! _ dans le « réel » d’une « œuvre de vérité » à la rencontre « vraie » de son « réel » singulier
(où court l’aimantation du désir vif

_ pour un autre ; et, de toutes façons, pour l’altérité du « réel » même !!!..) ;

en une époque de « règne » _ « empire » ? _ du « virtuel »,
des « faux-semblants », mensonges, illusions en tous genres
_ à commencer par ceux des (ou, du moins, de pas mal de) « décideurs »
financiers, économiques, politiques et autres
gens de pouvoir, « aux manettes« , comme ils disent :

nous découvrons (mieux),

en ces jours de « crises » (des valeurs boursières d’abord,
mais pas seulement elles, les valeurs boursières : ce n’est qu’un sommet d’iceberg…),

en quels vides (abîmes, gouffres) ils mènent, ces « décideurs »-là,
les (majorités du moins d’) aveugles
qui leur font d’ordinaire assez « aveuglément », bonnassement, confiance…

Parler d' »économie réelle« , déjà

_ au-delà de l’économie « virtuelle« , elle (= irresponsable ?..) _,

est assez vertigineux,

par rapport aux millions de dollars, ou d’euros, ou de livres sterling, et autres monnaies, que des traders (et des banquiers _ l’expression « banque » est la même à la roulette du casino !) jouent

à la roulette (russe ?),

des fluctuations de jeu de yo-yo

des côtes des Bourses mondiales…


On jettera un œil
sur la « Parabole des aveugles » de Breughel
(à la Renaissance) ;

et autres « Vanités«  _ à « tabagies » et « bulles de savon » _, un peu après (au XVIIème siècle), du Baroque…


Car (quelques uns) des artistes savent dire (exprimer et montrer) parfois _ ou souvent, quand ils sont vrais et « véridiques » _ la vérité…

A l’autre bout _ de l’œuvre _,

il faut _ aussi _ le regard vif et actif

(et « véridique », non, sans « vaillance« , ni « courage » _ comme l’indique Marie-José Mondzain en son « Homo spectator« , dès l’introduction du livre, page 12 : le livre est paru aux Éditions Bayard en novembre 2007) _,

il faut aussi le regard vif et actif, donc,

du spectateur-regardeur-écouteur-liseur,

pour la part d’acte

(« esthétique« , dit Baldine Saint-Girons _ cf tout « L’Acte esthétique« , paru aux Éditions Klincsieck, en janvier 2008)

qui lui revient, du moins, si peu que ce soit

_ mais nul, non plus, ne peut regarder, écouter, lire (ni expérimenter, ainsi que vivre), à la place d’un autre !!!) ;

il faut un « vrai » regardeur, écouteur, liseur ;

un tant soit peu vraiment « curieux » de ce que mettent à sa disposition

de vrais (et « véridiques ») auteurs.

Contre les impostures qui « occupent » la « place » ; tiennent, avec morgue et arrogance, ou avec inertie, le « haut-du-pavé » _ sans même parler (d' »occupation » et « tenue ») des médias…

Voilà ce que la « crise » des « valeurs » m’a « arraché » ce matin

pour souligner un peu, ici et maintenant, les modestes ambitions (= propositions, sinon « attentes », de lecture…) de ce blog-ci, « En cherchant bien _ les carnets d’un curieux« …

en relais

de ce qu’est _ en matière de « services » _ une excellente librairie (avec d’excellents libraires : actifs !) ;

en relais du travail, en amont, des éditeurs ;

et en relais d’abord _ et surtout _, à la source,

_ car c’est cette transmission-ci qui importe, pour la communauté d' »humains » que, tous, nous formons, embarqués sur un seul et même bateau ! _,

de ce qu’offrent à « consulter » les auteurs…

Soit une « chaîne » improbable de « personnes » (« vraies » : véridiques et honnêtes),

où et quand « flambent », encore, bien des imposteurs (et impostures

_ les plus discrètes n’étant pas les moins efficaces, comme cela se sait)…

Mais lire Machiavel

(« Le Prince » ;

on peut lire aussi,

sur « Léonard et Machiavel« , de Patrick Boucheron (le livre est paru aux Éditions Verdier au mois de juillet dernier), mon précédent article : « l’agudezza du temps juste _ art rare et ô combien précieux« ) ;

mais lire Machiavel, donc,

ne suffit certes pas _ à soi seul, du moins _, à prévenir (= parer) de pareilles manœuvres

et de tels circuits bien institués ;

et incrustés dans des habitudes…

Titus Curiosus, ce 30 octobre 2008

Decorum bluffant à Versailles : le miroir aux alouettes du bling-bling

12sept

Sur une très fine _ comme à son habitude _ « lecture »
par Philippe Dagen
dans le Monde du 11 septembre
de l’expo Jeff Koons à Versailles

_ suite de mes articles précédents :
« Art et tourisme à Aix _ 1, 2, 3 et 4«  ;
« Du tourisme _ suite _ une surfréquentation destructrice »
et « De Ben à l’Atelier Cézanne à Aix à Jeff Koons au château de Versailles« …

« Philippe Dagen : Jeff Koons honore Louis XIV »
Le Monde 11.09.08 | 14h53
•  Mis à jour le 11.09.08 | 18h43

L’exposition Jeff Koons à Versailles a lieu jusqu’au 31 octobre 2008
Château de Versailles

Voici ce remarquable article ; mes (modestes) « farcissures » se glissant ici en vert…


Quinze œuvres de l’artiste américain Jeff Koons, 53 ans, sont disposées dans les appartements royaux du château de Versailles
tandis que « Split Rocker« 
, le monumental animal bicéphale recouvert de cent mille fleurs, trône dans les jardins.

Il serait difficile d’ignorer l’événement, vu son orchestration médiatique.

Les touristes n’ont du reste pas l’air surpris _ mondialisation (à commencer par médiatique) aidant, forcément un peu ! _, qu’ils viennent du Japon, du Brésil ou de l’est de l’Europe. Ils prennent immédiatement des photos des œuvres
_d’eux devant les œuvres de préférence
_ le dispositif de « projection »-« introjection » (cf Mélanie Klein : « Essais de psychanalyse« ) fonctionnant à plein (cf Bernard Stiegler, passim _ dont Prendre soin).
Les jeunes couples posent devant le gros cœur rouge et or suspendu au-dessus de l’Escalier.
« Balloon Dog » _ le chien géant rose magenta _ et « Rabbit » _ le lapin géométrique argenté _ attirent les objectifs _ des touristes photographiant.
Des sourires et des rires dans la foule cosmopolite, des indignations, aussi, mais bien rares.
Koons ne fait pas vraiment scandale

_ et pour cause :

qui de ce public ne s’y reconnaît,

en ses repères, si je puis dire, « culturels » médiatiques (de « marques » dûment estampillées) mondialisés ?… Versailles devenant l’annexe (sur « circuit ») d’Euro-Disney, à Marne-la-Vallée,

avant passages _ ou le « retour d’Ulysse« , mais assez peu monteverdien, lui, à Ithaque

(ou à son « petit Liré » ; d’après un « beau voyage » par les « Antiquités de Rome » et « Regrets » _ de Joachim du Bellay ; ou de Julien Gracq, dans l’attristant « Les Sept collines« ) ;

avant passages dûment réitérés par la case caddie /supermarché, ou la fidélité pénélopienne (cf les rêves de Molly Bloom au final de l' »Ulysse » de James Joyce) au quotidien… Tout se tient…


Il _ Jeff Koons, l' »artiste » dont il s’agit ici, donc : « Koons ne fait pas vraiment scandale«  _ n’y tient pas _ l’affluence des visiteurs et l’aura (planétaire) qui en découle, lui suffisant ! Il l’a répété _ et les faits lui donnent raison. Son goût pour le brillant et le pompeux s’accorde au décor des appartements.
Son « Autoportrait » en marbre blanc se dresse sur un socle en faux marbre vert de style à peu près Louis XV.
« Moon« , lune aux lueurs bleues, est à sa place à l’extrémité de la « Galerie des Glaces ».
Un grand vase de fleurs en bois peint est opportun dans la « Chambre de la Reine ».

Entre la sirène de porcelaine qui étreint « la panthère rose » et les dames nues et dorées qui soutiennent les candélabres, une parenté se devine.
La porcelaine de « Michael Jackson and Bubbles » n’est pas plus dorée et étincelante que les ornements des portes et des corniches.

Quand l’accord visuel est impossible, Jeff Koons et Laurent Lebon, commissaire de l’exposition, s’en sortent par une astuce. Les « aspirateurs », alors ultramodernes, que Koons superposait en 1981 dans des vitrines, occupent l' »Antichambre du Grand Couvert », sous le portrait officiel de Marie-Antoinette. Deux états de la condition féminine se font ainsi face. « L’Ours et le Policier » sont logiquement dans le « Salon de la Guerre » ; et le « Rabbit » ventripotent dans « celui de l’Abondance ». Le plus souvent, aucun heurt ne se produit entre le néopop de Koons et les décors royaux. L’artiste se glisse ici avec souplesse.

C’est que la question de l’unité ne se pose pas seulement en termes visuels. Elle touche à la nature des objets qui se trouvent rapprochés.

Pourquoi avoir, au temps de Louis XIV, si ostensiblement surchargé ses appartements de bronzes, marbres, peintures allégoriques, orfèvreries et argenteries ? Pour « démontrer » à ses sujets et aux autres nations _ à « méduser » _ la prospérité et la puissance de la monarchie française et imposer aux regards et aux mémoires leurs symboles.

Que fait Koons, si ce n’est mettre en évidence des objets tout aussi symboliques ? Ils exaltent l’Amérique, son mode de vie, son culte du nouveau et de la richesse.
Les sujets ont changé,

les procédés se ressemblent _ soit, au-delà de l’Histoire, une leçon d' »Histoire de l’Art » ; à moins que ce ne soit l’inverse.

A Versailles, au temps de Louis XIV, ce sont les codes de la mythologie antique _ cf Philippe Beaussant : « Louis XIV artiste » : un livre merveilleux de justesse et d’agrément pour le lecteur, autant que d’érudition (passionnément instructive) _ qui ont servi.
Koons, lui, se sert des codes d’Hollywood et de la publicité, du kitsch populaire et de la consommation courante.

C’est l’essentiel de son entreprise _ le terme est d’une justesse absolue _, dont ne sont montrés ici que quelques exemples parmi bien d’autres. Depuis les années 1980, non sans méthode ni logique, il met en scène la société dans laquelle il est né. On peut la juger sévèrement, la dire simpliste et parfois stupide. Mais Koons a le mérite _ en est-ce donc vraiment un ? _ de donner à en voir la vérité, avec une candeur et une ardeur qui laissent parfois perplexe _ tiens donc !..

Il ne crée pas des formes _ tel n’est en rien son but. Il s’empare de formes connues
_ les plus connues possible
(of course !!! c’est là un commentaire de ma part…) _
et les magnifie

_ est-ce le terme adéquat ? la lisibilité jusqu’à la boursouflure mérite-t-elle le qualificatif de « magnificence » ?… _

par l’agrandissement, le matériau de prix, le socle ou la vitrine

_ tout ce qui améliore la « visibilité » : peu y échappent, en de tels dispositifs politico-médiatiques, si efficacement financés et « machinés » !..

Mais reprendre les figures de Diane, de Mars ou d’Hercule à la fin du XVIIe siècle, était-ce si différent ?

Lire, en plus de Philippe Beaussant, les conseils de Louis XIV lui-même pour gouverner (au Dauphin : « Mémoires pour l’instruction du Dauphin« )…

Les artistes de Versailles, accomplissant un programme politique et propagandiste
_ on ne saurait mieux dire, cher Philippe Dagen _

les artistes de Versailles, accomplissant un programme politique et propagandiste

_ donc,

issu, via Mazarin, d’Urbain VIII Barberini (et des galeries des Palazzi et Ville romaines : à cet égard,
la référence au Baroque est on ne peut mieux « venue », en effet, de la part de Jeff Koons _,

n’ont rien inventé, reprenant des thèmes
_ et procédés, me permettrai-je d’ajouter à Philippe Dagen _
usés
_ mais « relancés » par le Baroque, via les labyrinthes moins lisibles du maniérisme _
depuis la Renaissance
_ cf la splendeur de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine.

Ils leur ont conféré une efficacité
_ c’est tout le jeu

(politico-médiatique, au service de la « Propagande de la Foi », à l’ère de la Contre-Réforme),

du « baroque » barberinien _ d’Urbain VIII _, précisément !!! _
irrésistible
_ c’est là un terme crucial _
en accomplissant des prodiges techniques nouveaux et ruineux.

L’intrusion des objets à la fois si triviaux et si luxueux de Koons dans le château

rend cela soudain bien plus sensible
_ voilà bel et bien, en effet, l' »effet » visé et sans doute obtenu par cette exposition Koons à Versailles.
Elle fait regarder avec moins de respect
_ coucou « L’art m’emmerde ! » de Ben (et Érik Satie)
au seuil de l' »Atelier Cézanne » d’Aix-en-Provence !… _ ;

elle fait regarder avec moins de respect
ce qui les entoure _ qu’est ce qui ici, par ce « dispositif », est « décor » ? _,
ces productions prestigieuses et convenues

_ à commencer par les kilomètres d’allégories de Lebrun aux murs et aux plafonds :

à Versailles, comme dans les palais romains

(qu’on aille admirer, le samedi matin seulement, la spendide galeria du Palazzo Colonna !…) _

qui déclament la gloire du roi,
nymphes en série, mètres de moulures dorées, glaces si précieuses.


Il y a là une certaine conception de l’art et de sa fonction,
celle de l’art qui aspire à éblouir et à fasciner le plus grand nombre
,

la foule des sujets autorisés à pénétrer à la cour

_ hier :
Louis XIV y tenait beaucoup !

Louis XV (dans les petits-appartements)

et Louis XVI (dans la serrurerie) l’ont fui !… _,
le cortège des touristes autorisés à y piétiner
_ amenés en foules compactes par tours operators _

à leur tour

_ aujourd’hui.

Cette conception, on peut s’en méfier
_ esthétiquement

(pour ce qu’il en est de la beauté _ des critères de légitimité artistique) ?
politiquement

(pour ce qu’il en est de la justice _ des critères de légitimité politique ?) _,

d’autant que son efficacité
_ un critère régnant on l’a appris au moins depuis 1532 (date de la publication du « Prince«  de Nicolas Machiavel _ 1469-1527 ; « Le Prince » a été écrit en 1513…) _
est certaine.

L’exposition Koons à Versailles en est la manifestation récente la plus explicite.
En ce sens, elle est remarquable.


Titus Curiosus

lisant Philippe Dagen ce 12 septembre 2008

Exposition Jeff Koons à Versailles, château de Versailles, Versailles (Yvelines).
Tous les jours, de 9 heures à 18 h 30, jusqu’au 31 octobre.
( et jusqu’à 17 h 30 ensuite)
Nocturne les samedis de 18 h 30 à 22 heures. Entrée : 13,50 €.
Jusqu’au 14 décembre.

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur