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Sur un enquêteur-passeur de vérité : le cinéaste-documentariste Leo Hurwitz (1909-1991) _ une oeuvre (de courage et de souffle) à découvrir

20mar

Découvrant dans Le Monde de ce jour, 20 mars 2011, un passionnant article de Jacques Mandelbaum, La Part maudite du rêve américain,

focalisé tout particulièrement sur l’œuvre (filmique)

_ qui continue d’en déranger beaucoup, en dépit du passage du temps (cf l’information donnée à la fin de l’article sur l’attitude des autorités américaines, même sous présidence Obama !) _

du cinéaste documentariste Leo Hurwitz (1909-1991),

je l’adresse illico

à mon ami Bernard Plossu,

qui a rencontré et connu _ et vénère ! _ le très grand Paul Strand (1890-1976),

qui lui-même travailla avec Leo Hurwitz

_ voilà ce qui m’a fait accorder une attention toute spéciale à cet article (et à Leo Hurwitz !) _ ;

ainsi qu’à Georges Didi-Huberman,

dont le travail en cours quant à L’Œil de l’Histoire _ cf ses passionnants Quand les images prennent position et Remontages du temps subi ; cf aussi mes articles sur ces deux livres majeurs : celui du 14 avril 2009, L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer ;  et celui du 29 décembre 2010, La désobéissance patiente de l’essayeur selon Georges Didi-Huberman : l’art du monteur dans “Remontages du temps subi” … _

porte sur de pareilles dialectiques (créatrices !) au montage _ probe ! _ d’images au service de davantage de vérité !!!

par l’intensité (d’un art juste !)…

Voici donc

_ truffé de mes farcissures _

l’article La Part maudite du rêve américain,

de Jacques Mandelbaum,

paraissant ce 20 mars dans l’édition du Monde :

La Part maudite du rêve américain

| 19.03.11 | 14h58  •  Mis à jour le 19.03.11 | 14h58

Voilà déjà trois ans que Javier Packer-Comyn, citoyen et cinéphile belge de 42 ans, a pris les commandes, à Paris, de Cinéma du réel, l’un des plus prestigieux festivals de films documentaires au monde. La manifestation, qui présente cette année quelque deux cents films, n’a pas à s’en plaindre, sa fréquentation ayant augmenté de plus de 30 %. Parallèlement à la compétition, la programmation patrimoniale est notablement devenue un pôle attractif. C’est particulièrement le cas de cette 33e édition, qui présente un passionnant panorama du documentaire engagé américain.

Hommage est d’abord rendu à une figure majeure du genre, Leo Hurwitz, mort en 1991 dans un relatif anonymat. Réalisateur pour le compte de la chaîne CBS de l’intégralité du procès Adolf Eichmann, en juin 1961, à Jérusalem _ c’est en effet, déjà, bien intéressant _, son nom fut évoqué lors de la sortie d’Un spécialiste (1999), un montage de cette archive _ voilà _ réalisé par Eyal Sivan et Rony Brauman. Pour autant, et l’homme et l’œuvre restent largement méconnus.

Issu de l’immigration juive de Russie, Leo Hurwitz naît à Brooklyn en 1909. Il étudie le cinéma à Harvard puis adhère, en 1931, à la Film and Photo League, un collectif de cinéastes proches du Parti communiste qui, en contrepoint au cinéma hollywoodien, veulent témoigner _ voilà _ de la lutte et de la répression des classes populaires aux États-Unis durant la Grande Dépression.

Sous l’influence de l’avant-garde cinématographique soviétique _ c’est à noter ! _, Hurwitz s’éloigne _ bientôt : trois ans plus tard _ de cette structure pour fonder en 1935, avec Irving Lerner et Ralph Steiner, la coopérative Nykino, sur des bases esthétiques qui prônent un dépassement _ voilà ! _ du documentaire. Cette recherche du « film révolutionnaire » qui synthétiserait _ voilà ! par quelque aufhebung _ l’exactitude _ vérité littérale _ du document et la liberté _ justesse (profonde) d’esprit et de cœur ! _ de la fiction _ là intervient l’art (davantage en mouvement !) de l’artiste… _ donne enfin naissance, en 1937, à Frontier Films, société de production _ sur de tels principes ! _ qui compte parmi ses membres le photographe Paul Strand _ l’immense artiste, ami (et vénéré !) de l’ami Plossu… _ et le cinéaste Joris Ivens _ de Paul Strand, le récent Paul Strand in Mexico (aux Éditions Aperture) est disponible en librairie : sur les tables du rayon Beaux-Arts de la librairie Mollat, au moins L’association sombre en 1941, l’effort de guerre, puis la guerre froide, rayant pour longtemps de la carte toute tentative de ce genre aux États-Unis.

Cette rétrospective permet de découvrir six films de Leo Hurwitz réalisés entre 1941 et 1980.

Les plus remarquables sont Native Land (co-réalisé avec Paul Strand _ le re-voici ! _ en 1941), chronique impitoyable du dévoiement de l’idéal _ aïe ! aïe ! aïe ! _ des Pères fondateurs et de l’injustice sociale qui règne aux États-Unis ; Strange Victory (1948), stigmatisation au vitriol _ boum ! _ de la ségrégation raciale gangrenant la nation qui vient de délivrer le monde du nazisme ; An Essay on Death (1964), hommage au président assassiné John F. Kennedy en forme de méditation panthéiste sur la mort ; A Woman Departed (1980), monumental et bouleversant « tombeau » _ un genre donnant parfois, sinon (assez) souvent, l’occasion d’œuvres (un peu plus) sublimes (que d’ordinaire)… : cf les tombeaux de Froberger et de Louis Couperin ; ou Le Tombeau de Couperin, de Maurice Ravel… _ dédié à son épouse décédée en 1971, Peggy Lawson, qui revisite l’histoire politique du XXe siècle.

Irritant, déroutant, exaltant

Ce parcours _ courageux et relativement singulier _ révèle un cinéaste étrange, irréductible _ voilà ; nous retrouvons ici la singularité, non politique certes, mais esthétique (en son très haut « Idéal d’Art« , en son cas), d’un Lucien Durosoir ! Irritant par certains aspects (l’emphase, l’ubiquité de la voix off, l’omniprésence de la musique) _ tous des traits d’irruption forte (dans le film) de l’artiste : un peu loin de l’impassibilité du documentariste des « faits«  bruts ! _, déroutant par d’autres (l’équilibre précaire _ vibrant, justement ! _ entre documentaire, images d’archives et scènes reconstituées) _ voilà bien de l’audace ; et de la vulnérabilité ! _, et néanmoins exaltant _ nous retrouvons bien là un des traits du « sublime«  tel que l’analyse si finement et justement Baldine Saint-Girons, en son indispensable Pouvoir esthétique Par son art dialectique du montage _ cf, donc, les travaux si éclairants de Georges Didi-Huberman ! notamment sur le génie de Brecht en son livre de photos sur la guerre de 39-45… _, par la puissance _ voilà : un facteur éminemment décisif ! à l’heure des robinets d’eau tiède uniformisée : surtout le moins de vagues possible… _ de son témoignage _ un acte crucial ; cf, ici, les travaux de Carlo Ginzburg ; ainsi Unus testis, pages 305 à 334 in l’important Le fil et les traces _ vrai faux fictif, traduit par Martin Rueff _, par son indignation  jamais désarmée _ voilà _, pour employer un mot redevenu d’actualité _ bonjour, Monsieur Stéphane Hessel !.. La collision _ oui ! _ entre vision personnelle et ambition unanimiste _ oui ! au nom du « peuple » entier : il n’est pas encore tout à fait assassiné… _, élégie intime et embrasement politique _ intimement unis, tissés… _, patriotisme et internationalisme, fait de cette œuvre au génie bancal _ oui : le « génie«  (cf ce qu’en dit Kant, en sa Critique de la faculté de juger…) l’est toujours si peu que ce soit, « bancal« , en ses avancées fortement singulières… _, perpétuellement à contre-courant, le lieu d’une utopie _ vive : au (haut) nom de l’Homme, et a contrario des bassesses utilitaristes ; cf Ernst Bloch, Le Principe-Espérance, et Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société

Au programme également _ de ce festival Cinéma du réel au Centre Pompidou… _, un document inédit entouré d’un grand mystère : Henchman Glance (Le Regard du bourreau). Il s’agit d’un remontage _ coucou, Georges Didi-Huberman ! _ réalisé récemment par Chris Marker d’une bande filmée par Hurwitz _ toujours lui _ durant le procès Eichmann, mais non intégrée _ alors _ à son film. Celle-ci fut tournée hors audience alors que le maître d’œuvre de la « solution finale » _ Adolf Eichmann, en l’occurrence _ découvrait en compagnie de son avocat le film d’Alain Resnais, Nuit et brouillard, qui devait être produit plus tard comme pièce du procès. Cette séance (samedi 2 avril, à 18 h 15 _ à noter ! au Centre Pompidou, pour ce visionnage du Regard du bourreau, donc, de Chris Marker re-montant ce qu’avait filmé, « hors audience« , Leo Hurwitz, en juin 1961… _) sera présentée par les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka, ainsi que par le fils du cinéaste, Tom Hurwitz.

On trouve enfin dans la programmation intitulée « America is hard to see« , un plus large échantillon de ces documentaires alternatifs américains.

Entre les contre-actualités _ voilà ! _ de la Film and Photo League

et les œuvres de Frontier Films,

ces archives sont précieuses,

car elles sont les seules à dévoiler _ voilà ! _ un pan occulté _ encore… _ de l’histoire contemporaine américaine, depuis les grandes marches de la faim des années 1930 jusqu’à la répression qui frappe les syndicalistes, en passant par les exactions commises contre la minorité noire.

On notera _ encore aussi _ dans cet ensemble _ riche et original _,

la première projection française de With the Abraham Lincoln Brigade in Spain (1938), saisissant court-métrage _ merci ! _ du photographe Henri Cartier-Bresson _ 1908-2004 _ retrouvé en 2010, consacré aux volontaires américains sur le front de la guerre civile espagnole.

Ce riche ensemble, qui fait partie intégrante du patrimoine américain, n’en a pas moins suscité une étonnante réaction :

contrairement à l’habitude, l’ambassade des États-Unis a refusé _ tiens, tiens ! sur quelles consignes ? _ toute participation financière aux frais de cette présence américaine au festival,

faisant savoir à Javier Packer-Comyn que la programmation « n’est pas conforme à l’image que veut donner le pays« … _ le souci de la vérité ne l’emporte donc pas encore sur une palette, somme toute, toujours bien étroite d’« intérêts«  ! Nonobstant le président Obama !.. De quoi donc ce « refus«  est-il l’indice ?.. Ah ! la realpolitik !!!

Cinéma du réel.

Centre Pompidou,

place Georges-Pompidou, Paris 4e,

M° Rambuteau. Tél. : 01-44-78-45-16.

Du 24 mars au 5 avril.

Cinemadureel.org

Jacques Mandelbaum

Article paru dans l’édition du 20.03.11

Un article et une manifestation

décidément

bien intéressants :

sur l’œuvre

assez singulière : encore dérangeante par ses audaces,

et « vraie« 

d’un Leo Hurwitz :

à aller découvrir…

Titus Curiosus, ce 20 mars 2011

Un homme de vérité : Miguel Delibes (1920-2010)

13mar

Un article superbe à la mémoire d’un écrivain d’exception _ d’une sorte assez peu nombreuse : casta n’étant peut-être pas le terme le mieux adéquat à cette qualité-là… _, mis en ligne le jour même de sa disparition, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, en sa ville de Vieille-Castille, Valladolid : le grand, mais assez peu médiatique _ il n’a pas reçu, lui, l’onction d’un Prix Nobel : pas le plus politiquement correct, quand le choix s’est proposé, probablement : ainsi lui préféra-t-on un José Camilo Cela (1916-2002), en 1989… _, Miguel Delibes (17 octobre 1920 – 12 mars 2010 ; auteur de cet immense livre qu’est « L’Hérétique » !), par un ami, philosophe, Emilio Lledó _ qui vécut pas mal en Allemagne, au cours et de sa formation, et des péripéties de sa carrière universitaire _, dans ce grand journal qu’est El Pais, à la date du 12 mars :

« Un hombre de verdad«  _ avec de petits commentaires miens, en vert…

Confieso que evoco con mucho dolor mis recuerdos. Son tantos que en una situación como esta, no sé cómo seleccionarlos, qué decir. Tuvimos la suerte de conocer personalmente a Miguel Delibes cuando en 1962, después de muchos años en Alemania, vinimos Montse y yo, con nuestro primer hijo Alberto, de Heidelberg a Valladolid. Habíamos conseguido cátedras de Instituto en la ciudad castellana _ cité universitaire, en effet _ y esa posibilidad de juntar nuestros puestos de funcionarios de la enseñanza publica en la misma ciudad, nos animó, entre otras razones digamos más idealistas, a dar el nada fácil paso. Nunca nos arrepentimos. Los tres años en Valladolid fueron una época de felicidad, por muy duro _ certes _ que fuera, en aquellos tiempos, cambiar la orilla del Neckar por la del Pisuerga. Dos personas inolvidable, Julio Valdeón, que he tenido que recordar también en su reciente muerte y, ahora Miguel Delibes, simbolizan, ya en la memoria, ese prodigio humano _ une rareté possiblement miraculeuse, sans doute, en effet _ de la amistad.

Conocíamos la obra de Delibes _ 1962 est l’année de « Las Ratas« , après « El Camino« , en 1950 et « La Sombra deel ciprés es alargada« , en 1947 _ y admirábamos al sorprendente y extraordinario escritor. Sorprendente y extraordinario porque su literatura, en un mundo en buena parte fantasmagórico y oscuro, era una mano que nos mostraba la realidad _ quand régnaient les mensonges en cette Espagne à la chape de plomb du franquisme _, una mano tendida hacia las cosas, hacia la vida _ cettte formulation est très belle. Me gustaría que al hacer resucitar _ voilà _ estos recuerdos frente a este paisaje de tristeza, las pocas palabras con las que tengo que expresarlo hicieran latir _ battre, tel un cœur qui continue de battre… _ aquellas realidades, paradójicamente ideales, que aprendimos con él : la amistad, la memoria, las palabras.

Conocíamos, como digo, algunos libros de Delibes, pero la persona, la personalidad de Miguel era tan luminosa y sugestiva _ tiens donc ! _ como su obra. Se me inunda la memoria de anécdotas, de momentos que han quedado en ese profundo hueco del pasado y que, sin embargo, jamás se esfumarán en el olvido. Creo que mientras palpite el tiempo en el fondo de nuestro corazón _ oui _ vive en él _ toujours _ la vida de aquellos que hemos perdido y que nunca podremos dejar de querer. Una modesta, hermosa, melancólica y alegre forma de humana inmortalidad _ voilà, en forme de reconnaissance, et mélodieuse, qui ne cessera pas.

No quisiera cortar estas líneas que se inundan de recuerdos sin mencionar algo que no tiene tanto que ver con su persona sino con su obra. Aunque si bien se mira lo que hacemos y sobre todo, lo que hablamos o escribimos es siempre lo que somos _ oui ! Porque de su pluma surgía esos personajes maravillosos, creados por unos ojos brillantes de bondad _ la maldad oscurece la mirada (comme tout cela est juste ! et comme cette lumière de la bonté brille le plus souvent, hélas, par sa consternante absence ou, du moins, sa trop grande exceptionnalité…) _, de compasión _que quiere decir « sentir con el otro » _, y de inagotable ternura _ tendresse : par l’attention vraie à cette altérité de l’autre ; à l’inverse des rapacités égocentriques qui se déchaînent ces derniers temps, sous prétexte bien fort proclamé d’efficacité réaliste et de mondialité…

Delibes no es sólo el gran escritor de Castilla, el creador de un universo vivo, palpitante de realidad, sino el autor también de El hereje _ « L’Hérétique« , paru en traduction française le 20 janvier 2000, aux Éditions Verdier _, uno de los grandes libros _ en 1999 _ de la cultura española. Un libro en el que ya no se miraban los senderos de aquellos campos que recorría _ en chasseur, souvent _, de aquellos personajes con los que conversaba, sino de otros campos y otros personajes de sus sueños y, sobre todo, de la memoria histórica en que los soñaba _ je pense ici à cet autre chef d’œuvre de la littérature hispanique, où est aussi évoquée la Valladolid d’alors (et de ses hérétiques !..), qu’est le sublime « Terra nostra«  du mexicain (non nobelisé, lui non plus) Carlos Fuentes (cet extraordinaire chef d’œuvre est paru en 1975 à Barcelone)… Creo que, en cierto sentido, ese libro _ « L’Hérétique« , donc _ es una especie de ajuste de cuentas _ tranquille mais ô combien puissant ! _ con el país en el que su autor vivía _ voilà… _ : el país de la degeneración mental, de la hipocresía, de la falsedad _ ici tout est dit ; et cette Espagne là n’est certes pas morte, ni même prête à se mettre à genoux (et demander pardon) ; c’est l’Espagne des séides toujours bien vivaces des Jose María Aznar et Esperanza Aguirre ; cf aussi les films à coup sûr non obsolètes de Luis Bunuel : « Tristana« , etc…. Un libro que es preciso conocer _ = qu’il faut connaître ! _ porque, en el espejo _ véridique _ de sus páginas, podemos encontrar algunos de nuestros peores defectos _ dit ici le philosophe espagnol qu’est Emilio Lledo _ y alguna de nuestras esperanzadas, maltratadas, hostigadas, virtudes _ aussi : au singulier, ici, cette vertu : le service de la probité... La historia es efectivamente, « maestra de la vida » y su magisterio _ = son enseignement, la transmission la plus large de sa connaissance véridique _ no debe cesar nunca _ c’est un devoir de l’exigence authentiquement (et pas seulement formellement) démocratique. El escritor de Castilla _ qu’est le très grand espagnol Miguel Delibes (qu’un cancer vient, maintenant, de nous enlever) _ planteó en su obra una valerosa, clara simbología _ voilà : lumineuse ! _ en la que se hacían transparentes _ parfaitement visibles, donc, à la lecture ! _ los verdaderos _ OUI ! _ problemas de una sociedad frente a la que, indefensamente, luchaba la « libertad de conciencia« , que Cervantes _ mais lire aussi « Terra nostra« _ pone en boca del maltratado Ricote _ le marchand maure expulsé d’Espagne (et qui y revient, expatrié qu’il était en Allemagne), au chapitre XXXIV de la deuxième partie des aventures de l’ingénieux hidalgo de la Mancha, « Don Quichotte« 

Miguel Delibes pertenece a la casta _ peu nombreuse : mais par le seul mérite du courage de l’œuvre et des actes ; rien d’hérité (ni de fermé) ici… _ de los hombres de verdad _ c’est dit ! No deja de ser un consuelo _ oui ! _ ante tantos personajillos _ on apprécie le poids du suffixe _ vacíos y ambiciosos _ une paire d’adjectifs on ne peut mieux parlants _ que, a veces, pretenden confundirse con ellos. Pero no pueden _ tant que demeurent des vigilances et résistances aux petits puissants hargneux de notre air du temps ; ce combat-là ne peut jamais cesser.

Emilio Lledó es filósofo y escritor.

Merci

à Miguel Delibes, pour son œuvre de vérité ;

à Emilio Lledo, pour ce très bel hommage ;

et à un journal tel qu’El Pais, pour sa mission au quotidien…


Titus Curiosus, ce 13 mars 2010

Quignard versus Simenon au schibboleth de la vraisemblance (du « monde » créé) : « Villa Amalia » / « La fuite de Monsieur Monde »

26avr

Je vais être forcément (très) injuste, pour n’avoir lu _ ce qui s’appelle lire : vraiment ; les livres (d’encre et de papier) _ ni le roman de Pascal Quignard « Villa Amalia » ; ni le roman de Georges Simenon « La fuite de Monsieur Monde » ;

mais seulement vu les réalisations filmiques tirées de ces deux romans-là.

Et encore pas dans les mêmes conditions :

le film « Villa Amalia » (sorti en avril 2008), dans une vaste salle de cinéma ;

le téléfilm « La Fuite de M. Monde » (tourné en 2003, diffusé pour la première fois le 24 novembre 2004), rediffusé hier soir sur France-3 ;


et, au passage, on voudra bien noter la transformation de la forme « Monsieur » (du titre du roman : « Monsieur Monde« ) en l’abrévation « M. » (du titre du téléfilm « M. Monde« )

_ là-dessus, consulter, et en urgence même (!), la belle acuité (et même magnifique ! :

cela ne se dit pas assez !!! autre phénomène d’époque (celle du nihilisme…), que l’oubli de l’essentiel au profit de misérables « leurres » médiatiques…)

de Renaud Camus, éminent « sondeur d’âme » derrière les épaisseurs de fard des « toiletteurs« , tant professionnels qu’amateurs, en tous genres : son « Répertoire des délicatesses du français contemporain« , paru en mars 2000 aux Éditions POL, vient d’être très opportunément réédité en février 2009 en format de poche, aux Éditions Points, en devenant « Répertoire des délicatesses du français contemporain : charme et difficultés de la langue du jour« ) _ fin de l’incise sur l’historicité de la langue (selon Renaud Camus, ou d’autres)… _

le téléfilm « La Fuite de M. Monde«  _ je reprends le fil et l’élan de ma phrase _ sur le petit écran de mon poste de télévision, hier soir, à 20 h 30, sur France 3 ;

soient les films _ éponymes _ des cinéastes (de grande qualité, tous deux) Benoît Jacquot et Claude Goretta.

Avec deux interprètes

(dans le « premier rôle« , chacun d’eux, et portant , également, tous deux, le film sur leurs « épaules«  : c’est-à-dire les « traits », comme un paysage, de leur visage frémissant _ en de nombreux tout à fait sobres (c’est un art ; et très français !) gros plans des cinéastes _ à toute la palette, ou gamme, vibrante d’infra-émotions !)

excellentissimes : Isabelle Huppert et Bernard Le Coq ;

lequel Bernard Le Coq a reçu pour ce rôle le « Prix d’interprétation masculine » au « Festival de la fiction TV » de Saint-Tropez, en 2004 ;

en attendant les récompenses qui ne manqueront _ très vraisemblablement pas _ de pleuvoir sur la (comme quasiment toujours) « parfaite » Isabelle Huppert : quel somptueux talent !..

Or, autant je me suis agacé à (et de) ce que « Villa Amalia« , le film de Benoît Jacquot, souffre en invraisemblance, de ce qu’il doit à l’ahurissant mépris de la vraisemblance du récit originaire de Pascal Quignard

quand il veut, à tout crin, endosser la « livrée » de « romancier« ,

qui lui convient comme une chasuble d’évêque à un cheval !!! ;

défaut assez endémique chez cet auteur :

autant sont admirables sa « Vie secrète » et ses « Petits traités » ;

autant sont (comme « romans« …) manqués (et comment !) ses romans ;

depuis « Le Salon du Wurtemberg » et « Les Escaliers de Chambord« 

_ et cela, en dépit de figures obsessionnelles de départ passionnantes (l’incapacité des personnages, issus de l’idiosyncrasie même de leur auteur, de nouer quelque vraie relation que ce soit, à commencer d’amitié comme d’amour, avec quelque autre : ce que figurent admirablement, en effet, les escaliers à double volée de marches qui se croisent sans pouvoir, ou vouloir, chercher à, se rencontrer jamais (!) au centre, névralgique, même du château de Chambord, sur une « idée« , et dessin, géniaux, de Léonard de Vinci _

jusqu’à ce difficultueux « Villa Amalia« -là _ bien que je ne l’ai, donc, pas (encore) lu… _, dont l’intrigue se déroule sur quatorze (infiniment) longues années (de la vie d' »Eliane« , « Ann« , ou « Anna« , sa protagoniste et « héroïne » principale) : de vide abyssal ;

« vide » (ou « abysse« ) qui rappellerait Moravia, « L’Ennui » ;

le célébrissime film de Godard, d’après le roman « Le Mépris » de ce même Alberto Moravia,

eut quelques scènes fameuses filmées dans l’île toute voisine (de celle d’Ischia ; où est sise la « Villa Amalia » du roman de Quignard ; dans la sublime « baie de Naples« ), je veux dire l’île de Capri : à la Villa « Come me » de Curzio Malaparte ;

Villa « Come me« , à propos de laquelle vient de paraître, aux excellentes Éditions _ bordelaises _ « Finitude« , un admirable récit du bordelais Raymond Guérin : « Du côté de chez Malaparte » ;

tellement impressionné, Raymond Guérin, par son séjour de trois semaines là-bas, en cette Villa « Come me« , en mars 1950, que, gravement malade, il écrivit, « le 7 mai 1955 dans son jounal (publié sous le titre « Le Pus de la Plaie« , Éditions « Le Tout sur le Tout », 1982) : « Si je meurs _ et il est mort le 12 septembre 1955, âgé de 50 ans, un mois et dix jours _, je voudrais non seulement être incinéré mais qu’on obtint par faveur spéciale que (Sonia _ son épouse _) pût disposer l’urne contenant mes cendres, l’emporter et aller disperser ces cendres dans la mer, en haut de la terrasse de Curzio Malaparte à Capri où j’ai passé, sans doute, les jours divins de mon existence » :

ce texte-là conclut, aux pages 117-118, ce magnifique (avec 23 photos de Raymond Guérin lui-même) « Du côté de chez Malaparte« …

Fin de l’incise « Villa Come me » / « Du côté de chez Malaparte » de Raymond Guérin _

jusqu’à ce difficultueux « Villa Amalia« -là, dont l’intrigue se déroule sur quatorze infiniment longues années : de vide abyssal

au moins le film de Benoît Jacquot ne semble pas, lui, probablement à la différence du roman,

_ la durée de ce qui y est cinématographiquement « narré » est, en effet, laissée dans le vague d’une sorte de « plage d’intemporalité«  ; mais assez vide ; et vaine (hélas, à mon goût, du moins !..) ; quasi « suicidaire« , me semble-t-il… _

se dérouler sur une aussi longue « durée » (de 14 ans !) : ce qui rendrait plus invraisemblable encore le « rien » auquel se contraint

_ masochistement ?.. pour se punir (?) elle, d’avoir été trahie par un partenaire veule, lâche, en tout médiocre : chercher l’erreur !.. ;

alors qu’elle se dérobe, par une fuite implacablement (et froidement) organisée, à toute « explication » avec le « traître » ; d’où le luxe de détail des « soins » (magnifiquement rendu à l’image !) apportés par la « fugueuse«  à détruire le moindre indice (données bancaires, carte bleue, téléphone portable, etc… jusqu’à ses bagages successifs…) qui permettrait de la re-pérer, re-trouver, re-joindre, re-nouer avec elle : c’est la partie « flamboyante de justesse » du film, déjà (il faudrait bien sûr lire aussi, afin de les comparer, l’art de le dire de Pascal Quignard dans le roman ! lui si habile, aussi, à la fermeture et pareil mutisme…) ; et le mutisme frondeur d’Isabelle Huppert (sur son visage, comme en sa gestique ; son art de bouger, se déplacer) y fait merveille, avec une gamme (ou palette) de nuances vraiment très belle (et juste)… _

ce qui rendrait plus invraisemblable encore le « rien » auquel se contraint _ je poursuis ma phrase _

à faire de sa vie l’héroïne, en son séjour prolongé à la « Villa Amalia » d’Ischia

(artiste _ musicienne : compositrice, qui plus est !!! hors de la parole ! _ créatrice d’œuvres jusqu’alors, pourtant !!! et qui arrête aussi TOUT cela !!!) ;

au point que l’on finit par se demander dans quelle mesure il n’y aurait pas, en cette figuration-là de ce personnage-là (= Éliane Hidelstein, devenant l’artiste Ann Hiden, puis Anna tout court, à la « Villa Amalia« , à Ischia, pour les Italiens qu’elle y fréquente ; et en changeant aussi de langue…), comme une transposition de la propre « dépression » _ au bord de la « mélancolie«  _ de l’auteur lui-même, soit Pascal Quignard en personne, si je puis dire, depuis quelque accident _ que j’ignore _ de sa vie privée _ telle que quelque « rupture« , d’avec une autre ; ou d’avec soi : je me livre ici à de pures conjectures…)…

autant je me suis agacé, donc

_ j’en ai enfin terminé de mes trop longues incises quignardesques _

à ce que « Villa Amalia« , le film de Benoît Jacquot, souffre en invraisemblance, de ce qu’il doit à l’ahurissant mépris de la vraisemblance du récit originaire de Pascal Quignard

quand il veut, à tout crin, endosser la « livrée » de romancier,

autant, a contrario, me suis -je délecté de ce que « La Fuite de M. Monde« , le téléfilm de Claude Goretta (adaptant pour les années de la décennie 2000 une intrigue et des décors d’il y a plus de cinquante ans : ceux du roman « La fuite de Monsieur Monde«  de Georges Simenon _ roman écrit à Saint-Mesmin, en Vendée _ ;

lequel roman fut achevé de rédiger le 1er avril 1944 ; et a paru l’année suivante, aux Éditions de la Jeune Parque, l »achevé d’imprimer » étant du 10 avril 1945, très précisément ;

et le prénom du « héros« , « M. Monde« , de « Norbert » qu’il était en 1944-45, pour Georges Simenon, devenant « Lionel » en 2003, pour Claude Goretta…)

autant me suis-je délecté, donc,

de ce que « La Fuite de M. Monde« , le téléfilm de Claude Goretta,

doit

à la justesse (= vérité !) du regard (de romancier) de Georges Simenon en sa « Fuite de Monsieur Monde« …

Telle est ici ma thèse !

Car Simenon a essentiellement le souci du « monde« 

de ses personnages,

ainsi que de l’intrigue de ce qui s’y produit, y survient ;

intrigue « romanesque« , voire intrigue de « roman policier » : mais ici l’enquête du commissaire est sans cadavre, et peut-être sans crime : la « disparition » (de Norbert-Lionel Monde, président-directeur général d’une grosse entreprise de transports, l’entreprise « Monde » : le nom « Monde » apparaissant bien en gras sur les carlingues des camions) ne résultant, ici, ni d’un meurtre, ni d’un suicide (avec cadavre restant sur la carreau ; ou, du moins, non « retrouvé« ) ; non, simplement on recherche un « disparu » ; quelqu’un qui vient de « disparaître«  le jour même de son quarante-huitième anniversaire (est-ce là un « détail » ? tout à fait « anodin » ?..) :

relire ici les admirables réflexions que prête Jean Giono à ses personnages (une cohorte de paysans du Trièves _ dans le Dauphiné _, et l’hiver, dans la décennie 40 du XIXème siècle) d’un « Roi sans divertissement« 

_ un des chefs d’œuvre majeurs de la littérature du XXème siècle (!) : écrit en 1945 (au printemps, de mars à juin, lors d’un séjour de quatre mois de Giono chez ses amis marseillais Pelous : à l’extrémité du Boulevard Baille ; il en fait le récit dans « Noé« …), écrit en 1945, justement, lui aussi !, je veux dire « Un Roi sans divertissement« , de même que « La fuite de Monsieur Monde« , le « Simenon« , paraît au mois d’avril 45…) ; fin de l’incise sur la concomittance _,

lors de la succession de disparitions de villageois, trois hivers durant (les hivers 1843-44-45) en un village du Trièves, donc, isolé sous la neige, et « sans cadavres« , avant la découverte, vers la fin de l’hiver 1845 (et dans la neige), et des cadavres, et de l’assassin (domicilié, lui _ et en « bourgeois » _, à Chichilianne) par le « héros« , lui-même merveilleusement complexe, le « capitaine de gendarmes » (puis « commandant de louveterie« ) Langlois…

Fin de l’incise de la « disparition« sous le regard très ironique et humoristique à la fois de Jean Giono ; et retour au « monde » simenonien !

Quant au « monde » quignardien,

il n’est tout bonnement pas « romanesque » ! Mais que veulent les lecteurs, sinon encore et toujours davantage de « romans » ? Et Pascal Quignard ne résiste, alors, pas assez aux sirénes

(sur les « Sirènes« , cf son « Boutès » ; et mon article du 19 novembre 2008 sur ce livre : « Ce vers quoi s’élance Boutès ; et la difficulté d’harmoniser les agendas« ) ;

aux sirènes éditoriales ; et succès promis des chiffres de vente de « romans » en librairie s’ensuivant…

Le « monde » de Georges Simenon _ m’y voici !!! _,

et en l’occurrence (très précise !), le « monde » de « La fuite de Monsieur Monde« ,

est très précisément (et « réalistement » : pour nos imaginaires, du moins) dessiné par l’écriture de « romancier » de Georges Simenon ;

ainsi, aussi, que parfaitement adapté, de 1945 (ou avant) à 2003, à son tour, « filmiquement« , par l’excellent « cinéaste » Claude Goretta :

ainsi la transformation du « personnage » de « Norbert _ ou plutôt « Lionel«  dans le film…  _ Monde » en « Simon » X

est-elle magnifiquement rendue _ d’autant plus remarquablement que c’est en une admirable sobriété (dépourvue du moindre maniérisme) _ par la caméra à la fois ultra-légère et ultra-sensible de Claude Goretta ;

comme par le jeu, « au quart de poil » (!), de celui qui l’incarne si excellemment, Bernard Le Coq.

Par exemple, peu après l’ouverture du film consacrée à la phase d’inquiétude exaspérée de la « disparition » de son mari pour son épouse Séverine

(= la « seconde épouse« , interprétée par Nathalie Nell ; Norbert (Lionel) Monde a dû, lors d’un scandale, « monté » ou « amplifié » par des « concurrents« , se séparer, « à son corps défendant« , de sa première épouse, Sophie, interprétée par Sylvie Milhaud)

auprès du commissaire de police (interprété par Frédéric Pierrot),

peu après l’ouverture (angoissée) du film, donc,

dans la succession des séquences du départ de son bureau, le jour de son quarante-huitième anniversaire (on dirait un vieillard !), du pdg de l’entreprise de transports « Monde« , Norbert (Lionel) Monde, dont Bernard Le Coq fait ressentir toute la pesanteur ;

puis avec l’image (fugitive, mais très clairement perceptible cependant) de son allure, immédiatement, beaucoup plus juvénile l’image d’après !

suivie des séquences du « rasage de la moustache » ;

puis du changement de toute la panoplie des vêtements ;

juste après la séquence(-pivot) du poivrot, au zinc d’un bar parisien, s’autorisant à palper l’étoffe _ belle _ du veston de costume du président-directeur général d’une entreprise cossue et florissante que, le voisin de comptoir de bar, Norbert-Lionel, pas tout à fait encore « Simon« , continuait de porter, au sortir de son entreprise ; en prenant un troisième café de la matinée…

« Simon« , après passage-éclair en « boutiques de mode » pour hommes,

étant, lui, « Norbert » (« Lionel« …) est déjà presque « oublié« .., désormais vêtu, ainsi que coiffé _ le réalisateur nous a fait grâce de la séquence du passage chez le coiffeur _, à la mode (davantage « couleur de muraille« , ou « passe-partout« ) de 2003… Le personnage de « M. Monde«  qu’incarne avec une superbe finesse de sobriété Bernard Le Coq prenant alors (2003 – 1945 =) 58 ans de moins d’un coup…

Et la Marseille et la Nice où le nouveau « Simon » se retrouve par hasard

_ il s’enquiert auprès du contrôleur du train dans lequel il vient de s’engouffrer très précipitamment sans passer par le guichet de la gare (et donc sans billet), de la destination terminale du train : « Marseille !«  ; va donc pour Marseille !.. Pétaouchnok ou Tataouine seraient pareil ! _,

sont,

pour la première,

la Marseille d’aujourd’hui ;

je me suis trouvé moi-même récemment à quatre reprises, l’année 2008 (en juillet en en décembre), sur le parvis de la gare Saint-Charles où débarque _ de nulle part _ « Simon » ; et du haut duquel il découvre la ville, tout en contre-bas, au pied de hauts et longs escaliers ;

de même que je suis passé par l’Estaque ce beau dimanche de juillet, quand mes amis Michèle Cohen et François Cervantès m’ont « présenté » panoramiquement « leur » Marseille, le long de la corniche, via le Vieux Port et Endoumes ; de l’Estaque, précisément (de cézanienne mémoire aussi !) au restaurant des Goudes où nous avons merveilleusement déjeuné, en la (festive) compagnie de Patrick Sainton et Laure Lerallut. Fin de l’incise marseillaise ;

..

Soit parfaitement et exclusivement la ville d’aujourd’hui, pour Marseille ;

et un mélange un peu plus subtil de l’ancienne (des années trente et quarante ; avec ses mondialement célèbres grands-hôtels et casinos et boîtes de nuit plus ou moins « de luxe » qui en demeurent) et de l’actuelle Nice,

pour la seconde (Nice-la-belle) de ces destinations de hasard…

Mais c’est là tout un monde précis qui,

et par la plume de Georges Simenon, et par la caméra de Claude Goretta,

nous est alors détaillé :

par exemple dans le contraste des petites pensions et hôtels pour touristes moyennement fortunés dans le Vieux-Nice ; et les résidences des « grand-fortunés » sur la « Promenade des Anglais » _ où résidait la richissime et « fêtarde » protectrice (qui vient d’être retrouvée morte d’une overdose en sa suite de « palace« ) de Sophie, la première épouse de Norbert (Lionel) ;

Sophie, par un bien complexe concours de hasards, « retrouvée« -là (et en bien piètre état !), sur les galets de la plage que vient rouler la mer, par « Simon » ; à moins qu’alors ce ne soit, dès à présent, et à nouveau, « Norbert«  (ou « Lionel« )

Voilà ces « mondes« 

et d’un « Simon« , « en fuite » durant trois mois et demi, très exactement (et pas quatorze ans !) : en un pays « étranger » à son « monde _ grand-bourgeois _ d’origine » (où il rencontre ; et suit, en ses « errances« , la jeune Leïla, qu’incarne Nozha Khouadra ; qu’il n’aurait jamais croisée sinon…) ;

et d’un « Norbert (Lionel) Monde« , qui va revenir « changé » chez lui (en sa riche demeure _ à étages _, des beaux quartiers de l’Ouest parisien) ;

après cette parenthèse probablement formatrice : la fin du téléfilm est « ouverte« , pour d’abord s’occuper comme il vient (= faire soigner comme il se peut) sa première épouse en clinique ad hoc : la « fugue » (de « Simon« ) a porté des fruits ; rien ne va plus être tout à fait comme avant, ni avec sa seconde épouse, Séverine Monde ; ni avec chacun de ses enfants, Stéphane et Agathe (et leurs « problèmes » respectifs)… _,

que nous font vraiment découvrir, en « artistes » justes » (dans les détails sobres et efficaces de leur art respectif…),

et Georges Simenon,

et Claude Goretta

(ainsi que, au tout premier chef, l’interprète magnifiquement « humain » que sait être Bernard Le Coq, pour ce « Monsieur Monde« , qui un moment s’est quitté (de « Norbert« , ou plutôt « Lionel« , dans le film ; et s’est métamorphosé, si peu que ce soit,  en « Simon » ; sinon « Simon-Pierre« …) ;

et ce qu’a sans doute manqué, pour l’essentiel, du moins, Benoît Jacquot, en « Villa Amalia« ,

en prenant trop vite une « option cinématographique » sur un roman de Pascal Quignard qui n’était même pas encore fini d’écrire (!) ;

à la seule « idée » d’un excellent rôle

pour Isabelle Huppert, avec laquelle il désirait beaucoup « tourner » à nouveau, a-t-il dit à maintes reprises dans les médias,

de femme « en fuite« , de femme « rompant » (sur trahison) _ du moins le croit-elle _ avec TOUT le « monde » de son passé ;

qui la rattrape quand même, mais en une « explication » déterministe un peu trop lourde, en la figure du « personnage » de son propre père, lui-même musicien (même si c’est à un niveau pas aussi « haut » que le sien : le niveau de la « création« ) : « La musique permet de mangeoter partout. Il y a toujours des funérailles et des noces. Moi je fais de la muzak, toi tu fais de la musique« , page 258) ; mais surtout, juif (roumain) ; et « être de fuite » : « S’en sortir, c’est partir. Toute ma vie je fus ainsi. Je suis ainsi. Je m’enfuis« , (même page) ; lors de la cérémonie des obsèques en Bretagne, à Erquy, de la mère d’Éliane, bretonne et catholique, et épouse il y a bien longtemps abandonnée ; et qui vient, à cette ocasion-là, des obsèques, parler à sa fille _ au chapitre premier de la quatrième (et dernière partie) du roman, pages 257 à 263…

Le vieux père a plus de quatre-ving-dix ans ; et vit à Los Angeles : « C’est vrai que je vis à Los Angeles, que je suis riche, que je fais de la muzik-muzak-muzok, que maintenant que ta mère est partie je vais pouvoir me remarier mais, en ce temps-là, les morts _ comprends-moi, je parle des vrais morts _, je les avais affreusement trahis en épousant ta mère. Ce n’était pas sa faute. J’avais grâce à elle des papiers. Je vivais. J’avais chaud. Je mangeais. J’enseignais la musique. Je luttais contre le vent sur ma bicyclette, la casquette enfoncée jusqu’aux yeux, pour donner de-ci, de là, des cours de piano aux Bretons. Et tout le monde criait sur moi« , page 262)…


Titus Curiosus, ce 26 avril 1009


Post-scriptum :


Sur la place du détail (et des « détails« ) en Art ; et comment ils font « vraiment » (ou pas !) « monde » !

je viens de découvrir de remarquables analyses, et qui concernent, justement, la place du détail (et des détails) dans le « roman moderne » (= des XIXème et XXmes siècles)

dans le chapitre d’introduction, intitulé « L’Exposition de l’intime dans le roman moderne« , du dernier opus « La Conscience au grand jour« , qui vient tout juste de paraître le 25 ; il y a trois jours) du très perspicace et fin Jean-Louis Chrétien, premier volet d’un opus « Conscience et roman » : « Conscience et roman, 1 _ La Conscience au grand jour » :

je cite, page 31 : « Il y a aussi le détail en régime d’omnisignifiance, le détail révélateur, le détail qui n’a rien de contingent, lequel soulève la question de savoir s’il a vraiment quelque chose comme des détails. C’est lui _ précise alors Jean-Louis Chrétien _ qui hérite de l’omnisignifiance chrétienne en la métamorphosant : dans la lumière de l’humain, il n’est rien qui ne fasse sens. (…) Mais il y a des récits qui posent que tout fait sens dans le monde, et d’autres qui le nient. » En prenant cet exemple-ci : « Ceux qui se lassent des descriptions balzaciennes méconnaissent que voir une demeure et les choses qui s’y trouvent, c’est déjà explorer _ oui, activement _ l’âme et l’histoire de ceux qui l’habitent. L’importance croissant du concept de « milieu », si bien étudié par Léo Spitzer et par Eric Auerbach, va dans le sens de cette omnisignifiance. Tout étant signifiant, il n’y a plus de détails« … A l’artiste, au romancier, d’abord, en l’occurrence de choisir des focalisations plus et mieux perspicaces que d’autres ; et qui, en « montrant » (et avec son « génie« ), aident à mieux faire voir (= à vraiment regarder et à vraiment comprendre) …

Ici un excellent exemple civilisationnel : « Un lieu réel d’omnisignifiance est la ville, et plus particulièrement la grande ville«  _ et je renvoie au très important « Mégapolis » de Régine Robin (ainsi qu’à mon article de présentation de ce livre le 16 février 2009 : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« )…« Tous les historiens du roman ont montré son rôle essentiel dans le développement du roman, de sa production, de sa diffusion, et elle en est aussi, dans la modernité, un des grands thèmes » _ pages 31-32 : certes ; lire ici Walter Benjamin pour commencer… « C’est que se promener dans une ville, c’est se livrer à l’interprétation infinie d’un livre dont ce sont nos pas qui tournent les pages. D’où _ aussi ! _ notre saisissement devant l’inintentionnel, de l’herbe qui pousse entre les pavés, un oiseau qui niche dans le trou d’un mur » _ page 32. Avec cette arrivée : « Une ville est un lieu de saturation du sens, même si les formes de cette saturation et la nature de ce sens varient selon les temps » _ le concept de saturation intéressant aussi, à d’autres titres, Régine Robin : cf son étude « La Mémoire saturée« , aux Éditions Stock, en 2003… A nous d’apprendre à « défaire« , à « désaturer » (en apprenant à nous en « libérer« ), cette « saturation du sens« -là…  « C’est aussi le lieu de la prolifération des détails signifiants.«  Et « c’est aussi le lieu qui, par excellence, dans le croisement perpétuel des regards et des vies, me révèle la finitude et la solitude de mon point de vue, me montre sans cesse que je ne vois midi qu’à ma porte, et la rue que depuis ma fenêtre«  _ page 32. D’où la nécessité d’apprendre à se décentrer _ par un magnifique lapsus sur le clavier, j’avais écrit « déventrer«  ! c’est tout à fait de cela qu’il s’agit ; sortir de sa bulle, de son cocon, de la poche ventrale du kangourou ! qui ne permettent pas la clarté perspicace de l’intellection _ ; apprendre à se décentrer de soi-même, à mieux se faire attentif vraiment à l’altérité (de ce qui n’est pas nous, ni notre angle de vue (ou point de vue), notre focale : changer de « focales«  et de  « focalisation«  afin de mieux comprendre _ et sans mépris _, et l’altérité profonde de l’autre, et l’altérité profonde du réel).

Sur l' »intime« , cf déjà « La Privation de l’intime » de Michaël Foessel (ainsi que mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie  » ; et aussi « Les Tyrannies de l’intimité » et « La Conscience de l’œil » de Richard Sennett (ainsi que mon article du 21 avril 2009 : « Du devenir des villes, dans la “globalisation”, et de leur poésie : Saskia Sassen « .


En appendice, enfin,

j’ai plaisir à citer

_ et sans commentaire de ma part (du moins limité au maximum), j’ai assez exprimé ma « thèse » sur le travail de ce film-ci (= celui de Benoît Jacquot), _

cette « critique » de Jean-Michel Frodon, « Le Grand arbre de la réduction« ,

moins négative que la mienne, sur le rapport entre le film « Villa Amalia » de Benoît Jacquot, et le roman de Pascal Quignard, « Villa Amalia » :

C’est la nuit, la pluie. Les phares des voitures aveuglent et s’évanouissent. Elle conduit, elle est comme dans un état second. Tout à l’heure Georges parlera de fantômes, on dirait un rêve. Tout le film est-il un rêve, un rêve d’Ann ? Ou Ann elle-même est-elle le rêve d’Anne-Éliane, comme elle s’appelait avant ? Elle découvre comme en songe son compagnon depuis quinze ans dans les bras d’une autre ; aussitôt après tombe sur Georges, l’ami d’enfance perdu de vue depuis des lustres. Il y a une apesanteur, une manière pour les images et les sons, les situations et les personnages, de se manifester à la limite de la réalité. C’est le « prologue« , qui annonce un des motifs du film à venir. La mère de Georges vient de mourir. Sur un parking, seule, enclose dans sa voiture, Ann hurle. On ne l’entend pas. Fin du « prologue« .

Le premier mouvement, qui dure une heure _ soit les deux tiers du film entier _, est lui tout entier porté par un élan décidé, irrésistible. Ann Hidden, pianiste et compositrice renommée, a décidé de tout quitter. Son Thomas, son travail, son appartement… Elle s’en va, elle disparaît sans laisser de trace. La découverte de l’infidélité de Thomas a été le détonateur, bientôt il est clair que c’est avec toute sa vie qu’elle rompt. Situation romanesque s’il en est, qu’il serait possible de traiter en quelques minutes, on aurait compris. Mais non. Ce sera, pour ce qui est du temps consacré, l’essentiel de « Villa Amalia« . Elle dit : « Je veux éteindre ma vie d’avant », coup de force narratif qui devient étude technique des procédures de disparition dans le monde contemporain.

Ann, et le film avec elle, s’appliquent avec méthode à effacer les traces, à détruire les pistes, à semer les possibles poursuivants. C’est une folie. Il y a de la folie chez Ann, Georges embauché comme assistant pour cette opération d’évanouissement ne manquera pas de lui dire. Il y a surtout de la folie dans le film lui-même, dans sa construction, ses surplaces, son attention _ magnifique _ aux sacs-poubelle remplis des habits qu’on abandonne, aux formulaires de procuration, aux procédures bancaires et douanières, au déménagement des pianos, aux changements de serrures, de trains, d’habits, d’hôtels. D’abord il semble que ce soit une erreur de « construction dramatique » comme on dit ; bientôt il est évident que c’est au contraire le projet même du film. Et qu’ainsi il invente étrange espace, un espace à trois faces, à la fois très réaliste, très romanesque et très onirique. Le film se tient là, invente ça. Tout le cinéma, si varié et inégal pourtant, de Benoît Jacquot tend à ça : cohérence et hétérogénéité d’un cinéaste qui croit très fort au réel, très fort à la littérature, et très fort à l’inconscient. Et qui croit précisément que le cinéma se situe là, dans ce triangle qui serait à la fois celui des Bermudes et celui du démiurge _ disparition et apparition.

Cette déroutante machine descriptive, narrative et invocatrice trouve à fonctionner à la perfection en embrayant sur un autre dispositif magique, d’une tout autre nature. Il s’appelle Isabelle Huppert. Isabelle Huppert est une excellente actrice ; elle a joué remarquablement dans plus de grands films qu’aucune autre actrice européenne de sa génération _ peut-être même aussi des autres générations. On ne va pas faire semblant de découvrir Huppert maintenant. Mais ce qu’elle fait, ou en tout cas ce qui se passe avec elle dans ce film-là, elle ne l’avait encore jamais fait ; ni personne d’autre d’ailleurs. Disparition et apparition d’elle-même et de son personnage, la voici qui d’une séquence à l’autre mute littéralement, change de visage et de corps. Ce n’est pas la virtuosité technique d’une comédienne chevronnée, c’est autre chose qui fait écho à la folie du film et du personnage, lui donne très simplement son apparence. Terrorisée, volontaire, manipulatrice amusée, inquiète, triste, musicienne, petite fille, épanouie, noyée, habitée de voix qui ne sont pas la sienne, amoureuse mais de personne et puis _ enfin _ de la maison qu’annonce le titre. Ce ne sont pas des états psychologiques qu’elle jouerait, ce sont des états physiques où elle est tout entière. Étrange anamorphose où vingt visages paraissent, qui sont tous les siens. Dès lors, les images de Caroline Champetier et le montage de Luc Barnier concourent à l’élaboration de ce dispositif à fabriquer de la présence avec les mouvements de l’absence _ belle et forte analyse : mais quelle présence ? et pour en faire quoi  donc ?.. L’enchaînement de plans très brefs, comme des notes griffonnées sur un geste, un son, un changement d’humeur, compose un univers à la fois très précis et très fluide, qui en dit beaucoup en montrant peu, qui suggère davantage _ ou du vide ? Il faudrait faire une part singulière à l’écriture des dialogues, qui joue en savants agencements sur deux registres contradictoires, quasi dissonants. Certaines répliques sont écrites comme des aphorismes et proclamées comme des devises ou des slogans (« du beurre breton, tiens ! », « il n’y a pas de pourquoi », « pas les secrets, le secret », « c’est comme ça maintenant  : je dis non »…) ; beaucoup d’autres phrases sont à peine prononcées, à demi entendues, comme les plans ultracourts elles entrent dans un assemblage sans s’y distinguer _ comme un kaléidoscope aux figures aléatoires… Tout cela, et le film dans sa totalité, est comme habité par cette musique _ syncopée ? s’interrompant brusquement ? heurtée, car stochastique ? _ qu’est supposée composer Ann Hidden. Musique qu’on la voit jouer brièvement en concert avant de fuir son piano et la scène à la première toux dans le public. Musique qu’on dit « contemporaine« , comme l’est le cinéma joué ici, où l’expressivité des sentiments ne recule pas devant les ruptures de ton, les assonances inhabituelles, les longs silences ou les cataractes de notes _ en effet ! Très belle _ oui ! _, et utilisée avec une judicieuse parcimonie, la bande musicale écrite pour le film par Bruno Coulais en dessine à sa manière le code, moins le sens que les règles de style. On songe alors à un film que firent ensemble il y a dix ans Benoît Jacquot et Isabelle Huppert, « L’École de la chair«  : c’était tout le contraire : l’histoire, l’actrice, l’image, le montage, tout convergeait vers un seul point, tout s’additionnait et semblait finir par s’abolir dans cette surenchère, intensification éperdue et autodestructrice. Ici, en totale connivence, règnent à l’inverse la diffraction, le fragment, l’indice et l’esquisse. Et le film ainsi respire et bouge _ pour quel résultat autre qu’une recherche du vide (ou du hasard) ?..

Enfin, dans une île italienne, Ann trouva sa maison, la « Villa Amalia » : toute rouge devant la mer toute bleue, au sommet d’une montagne comme un lieu mythique ; et elle la conquit de haute lutte affectueuse avec celle qui en avait non les clés, mais la mémoire. Elle s’y installa. Elle mourut, noyée. Puis fut sauvée. Et alors naquit un autre personnage, une autre femme qui est pourtant toujours Ann Hidden, née Anne-Éliane Hidelstein : un autre film commence, qui serait comme les branches, ramifications et feuilles d’un arbre _ probablement zen, en quelque « jardin de pierres«  ; peut-être japonais… _ dont la première et principale partie aurait été le tronc.

On aura jusqu’alors parlé du film « Villa Amalia » comme s’il n’existait pas un livre « Villa Amalia« , paru chez Gallimard en 2006. C’est que, jusqu’alors, si le fil narratif et tous les éléments dramatiques sont bien empruntés au roman de Pascal Quignard, leur élaboration ne suit que les besoins et les enjeux propres au film, dessine ses propres horizons _ en effet… Et puis, entre ciel et eau, ces horizons se rejoignent. Dans son livre, Quignard prêtait à la pianiste et compositrice un génie particulier dans l’art de la réduction musicale. C’est cet art même qui préside à l’écriture de la fin du scénario. La rencontre amoureuse avec Giulia, les mésaventures de Georges, la mort de la mère, le retour du père, l’ami qui va mourir. Bien d’autres choses encore pourraient être contées, grandes ou petites, qui se trouvent ou non dans le livre, cela n’importe guère. Sans doute Benoît Jacquot a surtout fait le film pour sa première heure _ hélas : et la critique est forte ! _ ; il s’y met en place une telle force germinative _ germes de fiction, mais aussi de sensation du monde, et de captation des vibrations intimes, inconscientes et indicibles _ que toute péripétie romanesque comme toute considération plus générale (sur les pères, les Juifs, la musique, la mort…) _ quelle qu’elle soit ? indifféremment ? sans davantage de nécessité que cette force de « germination« -là ?.. _ devient _ vraiment ?.. _ à la fois légitime, concrète et touchante. Cela s’arrête là _ n’est-ce pas aussi, et d’abord, là l’effet du texte (mélancolique) quignardien ?.. A quoi bon une telle « force germinative » pour rien que ces « contiguïtés« -aléatoires-là ?..

Pour explorer l’espace-temps (selon Elie During) : l’apport du physicien Bernard d’Espagnat sur le questionnement de ce qu’est le « réel »

24avr

Et pour appréhender un peu davantage (ou mieux) à partir de quel espace-temps Elie During pense « A quoi pense l’art contemporain ?« ,

voici,

tout frais (de parution),

le dernier article, précisément intitulé « Dernières nouvelles du réel » _ sur le site nonfiction.fr _, d’Elie During

qui nous découvre « l’état des lieux » (-« état des temps« ) le plus récent de la réflexion physique et philosophique quant au statut (métaphysique) de ce « réel » même

_ à connaître ? à sentir ? à expérimenter ? ou seulement « penser » ; voire croire, plus ou moins rationnellement… :

à partir des « Entretiens » entre Bernard d’Espagnat et Claude Saliceti, en leur « Candide et le physicien« , à paraître le 30 avril, dans une semaine …

 Suite à un échange de mails,

que je me permets de donner, pour l’essentiel,

dans la mesure où il n’exprime rien de strictement personnel…

De :  Titus Curiosus

Objet : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 17 avril 2009 13:55:52 HAEC
À :   Elie During

Cher Elie,

J’ai rédigé un article sur mon blog à propos de ta conférence du 7 avril dernier au CAPC :

« Elégance et probité d’Elie During _ penseur du rythme _ en son questionnement “A quoi pense l’art contemporain ?” au CAPC de Bordeaux« 

J’y ai joint (en post-scriptum)
ton article « Intermondes« 
(farci de quelques commentaires miens) ;

l’œuvre (de Tatiana Trouvé) que tu y évoques
a-t-elle été montrée à Miami

puisque cet article a été publié dans le numéro 7 de Bing,
au moment même de l’exposition « Time Snares » à la galerie Emmanuel Perrotin de Floride ?

Je peux modifier mon article à tout moment !
Si quelque chose ne convient pas,
ce ne m’est pas difficile…

Bien à toi
(et à Bergson _ sur l’œuvre duquel Elie During travaille _
_ nous avons invité Frédéric Worms à la « Société de Philosophie de Bordeaux« ,
du temps de la présidence de Guillaume Le Blanc : ce fut une excellente conférence,
et un repas très convivial,
as usual…)


Titus

Frédéric Worms, quant à lui, est Professeur de philosophie à l’Université de Lille 3 et directeur du Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine à l’ENS (Paris). Ses travaux portent sur l’œuvre de Bergson

(outre « Bergson ou les deux sens de la vie« , aux P.U.F., en 2004, son dernier livre « bergsonien«  paru est (toujours aux P.UF., en novembre 2008, et avec Jean-Jacques Wunenberger) : « Bachelard et Bergson : continuité et discontinuité ? Une relation philosophique au coeur du XXème siècle en France« )

autour duquel il anime diverses entreprises collectives :

rédacteur des Annales bergsoniennes (trois volumes parus, PUF, coll. Epiméthée),

il est également responsable de l’édition critique de Bergson aux PUF,

et président de la « Société des amis de Bergson« .

Réponse d’Elie During, un peu plus tard :

De :   Elie During

Objet : Rép : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 22 avril 2009 22:13:28 HAEC
À :   Titus Curiosus

cher Titus,

avant de m’envoler vers les Amériques pour (une affaire personnelle), je voulais te remercier chaleureusement pour la manière dont tu as rendu compte de cette soirée-conférence, en y joignant le texte de Bing (quel titre étrange, quand on y songe !).

J’ignore quelles œuvres de Tatiana Trouvé ont été montrées à Miami (j’aurais bien aimé y être…).


En tout cas tu as vraiment inventé un nouveau style du billet : c’est une écriture pleine de petites bifurcations, pleine de bricoles

(j’apprends de Lévi-Strauss que ce mot désignait autrefois les embardées ou les changements de direction brusques de l’animal en mouvement) ;

une écriture qui s’offre comme une annotation continue d’elle-même, ou plutôt un contrepoint (voilà, nous revenons à la musique) à d’autres voix : la mienne, mais aussi celles de tous les auteurs dont tu fais entendre l’écho au fil de ta plume…

amicalement,
e

Je découvre ainsi que le lien (donnant accès à l’exposition « Time Snares » à la galerie Emmanuel Perrotin de Miami en décembre 2007) ne donne pas accès à des images de l’expo ; et je le modifie donc, ad hoc

De :   Titus Curiosus

Objet : Nouveau lien pour « voir » (un peu) l’expo « Time snares » à Miami en décembre 2007
Date : 23 avril 2009 07:31:54 HAEC
À :   Elie During

J’ai modifié le lien pour l’expo « Time Snares » de Tatiana Trouvé en décembre 2007 à Miami,
qui permet de découvrir quelques « vues » de l’expo…

Titus

Mais, juste avant,

j’avais accusé réception du précédent message d’Élie :

De :  Titus Curiosus

Objet : Bricoles, embardées, invention de style et « grandes affaires » _ ou du rythme
Date : 23 avril 2009 07:22:20 HAEC
À :   Elie During

Cher Elie,

(…)

Bravo pour la magnifique justesse de tes concepts.
Ceux de « bricole » et d' »embardée » me réjouissent merveilleusement !

_ « embardée » me rappelant le « à sauts et à gambades » de Montaigne…

cf déjà l’article programmatique de mon blog, le 3 juillet 2007 : « le carnet d’un curieux« …

D’autant que j’admire Claude Lévi-Strauss,
dont je possède _ quelque part en mon « bazar« … _ une très belle lettre manuscrite (émouvante),
en réponse à une « demande » de ma part
de rédiger une courte « présentation » de ce que pouvait représenter la musique de Jean-Sébastien Bach pour lui.
Il avait très gentiment répondu à ma « demande« , en me priant de lui pardonner de ne pas la satisfaire, en mettant en avant la difficulté, en son « grand âge« , de « se consacrer » à une telle « réflexion« ,
à côté des travaux divers qu’il avait déjà en cours…

J’avais reçu aussi un mot gentil de George Steiner, bousculé entre deux avions,
m’autorisant à faire usage de tout texte de lui à ma convenance…
Une réponse tapée à la machine de Michel Serres.
Et pas de réponse de François Jacob, dont j’admire « La Statue intérieure« …

C’était à l’ouverture de l’enregistrement par « Café Zimmermann » d’une intégrale (splendide ! et toujours en cours de « réalisation« ) des œuvres orchestrales de Bach, pour les disques Alpha ;
cette intégrale en est au volume IV (= le CD Alpha 137 : « Concerts avec plusieurs instruments _ IV« ), qui est paru récemment…

Cette image de l' »embardée«  _ en une vie comme une « course » à déjouer le trop prévisible _ est non seulement très belle,
mais, et c’est beaucoup mieux encore, me paraît d’une formidable justesse.
Merci de la qualité de ton attention !


Hier, Marie José Mondzain a commencé son message ainsi :
« quel plaisir chaque fois que vous écrivez de lire ces textes dans votre style chaleureux et nerveux, riche de toute cette culture sensible« 

Rencontrer quelque « réception » attentive et juste
fait plaisir ;

surtout de qui on s’enrichit tant à la lecture aussi…

Le terme de « rythme » m’est venu pour caractériser ton souci philosophique (en ta conférence du CAPC : « Elie During _ penseur du rythme« ) ;
comme il m’était venu, en 1968, pour rédiger un petit « texte » personnel
que nous avions « imposé » cette année-un-peu-particulière-là à nos professeurs, pour les épreuves de licence (de philosophie)…
J’étais « parti » des analyses d’Emile Benveniste, et m’était centré sur le « rythme » dans la poésie surtout (T.S. Eliot, Auden, Maïakovski, Hopkins, etc…) ;
ne m’étant pas encore (!) passionné pour la musique…


Bref, je te suis très reconnaissant de la qualité de ta perception des choses
en ce qui concerne aussi mon « écriture »
et ce que tu nommes l »‘invention » d' »un nouveau style de billet« 

_ merci !!! _,
avec « bifurcation« 

_ j’adore Michel Leiris _ l’auteur de « Biffures » _ ;

et je te recommande tout particulièrement ses derniers recueils de « Poèmes« , auxquels nul (critique) ne semble s’être encore intéressé :
« Ondes« 
(sublimissime !), en 1985 (aux Éditions « Le Temps qu’il fait » _ réédité ! en 2002),
suivi d' »Images de marque » (très beau aussi), un peu plus tard, après la disparition de la compagne de sa vie, Louise…
J’avais choisi d’étudier « Ondes » dans le cours de « Français » que j’assurais alors en Terminale _ c’était l’année scolaire où j’avais comme  élève
Hélène Dessales, qui intégra la rue d’Ulm un peu plus tard : c’est un repère (qualitatif) de temps pour moi (j’ai plus de mal avec les chiffres) : ce fut un régal rare pour moi
de parcourir en son plus infime détail l’ondoiement de Leiris…
De même, lors de mon premier voyage à Prague, au début des années 90 (en février 93 précisément), je l’avais choisi _ ce si beau « Ondes » _ comme cadeau à Václav Jamek,
que je ne connaissais pas encore
(sinon pour avoir lu son « Traité des courtes merveilles » _ paru en septembre 1989 aux Éditions Grasset, et « Prix Médicis de l’Essai« ), mais que je désirais faire rencontrer, comme « introducteur à Prague »
aux élèves de mon « atelier » de découverte du Baroque…
(l’année suivante _ depuis, nous sommes amis _, ce fut « L’Acacia » de Claude Simon…).

Je t’ai raconté le petit concert que nous avions improvisé (avec mes amis flûtistes Philippe Allain-Dupré et Laurence Pottier,
et quelques « baroqueux » tchèques rencontrés au Conservatoire de Prague où nous nous étions tout de suite rendus !)
dans les bureaux déserts de la maison d’édition
(« Odeon« ) que Václav Jamek dirigeait alors !..

C’était le 17 février 1994 : je retrouve la date sur mon agenda.

Un ou deux ans plus tard, Václav Jamek était « attaché culturel » de l’ambassade tchèque à Paris…

Fin des incises Leiris et Jamek… _

Quant au « contrepoint » des « voix« , en « écho » au « fil » de ma « plume« ,
c’est excellemment encore aller à l’essentiel, me semble-t-il

_ j’ai écrit un texte là-dessus : « Les Voix de l’écriture » (une de mes « Chroniques » d’Esthétique pour le site des disques Alpha, au printemps 2004 : avec « fantômes » !..)
à propos du style d’Antonio Lobo Antunes dans son très beau « Traité des Passions de l’âme« … _

Bref, je me réjouis
d’avoir croisé ton chemin, cher Élie.
Et suis impatient de découvrir la suite de tes travaux…


Bien à toi,

Titus

Ps : pour découvrir « de visu » quelques aspects de l’expo « Time Snares » à Miami,
je m’aperçois que le lien que j’avais indiqué sur mon blog ne fonctionne pas ;
en voici un autre : http://www.galerieperrotin.com/fiche_actu.php?id_pop=399&artist_pop=Tatiana_Trouve

Enfin, d’en partance pour l’aéroport, cet ultime message d’Elie :

De :   Elie During

Objet : Rép : Nouveau lien pour « voir » (un peu) l’expo « Time snares » à Miami en décembre 2007
Date : 23 avril 2009 10:53:18 HAEC
À :   Titus Curiosus

J’imprime ton mot et je pars pour l’aéroport. Au fait, si tu cliques sur le bandeau supérieur du portail de Nonfiction.fr, tu tomberas sur ma dernière production !
(« Dernières nouvelles du réel« )
amitiés
e

La voici donc ; et c’est passionnant !

Il s’agit d’une analyse _ lumineuse !!! Elie During est remarquablement doué ! _ d’un livre d’entretiens de Bernard D’Espagnat et Claude Saliceti : « Candide et le physicien« , aux Éditions Fayard (à paraître le 30 avril) :

Résumé :

« Penser un réel sans objet _ bigre ! le premier choc est rude ! _, et peut-être sans concept adéquat : tel est le défi _ oui _ auquel nous convie ce dialogue mené aux confins _ en dialogue, elles aussi _de la science contemporaine et de la métaphysique.« 

Trente ans de réflexion

En dépit de ce que son titre pourrait suggérer _ « Candide et le physicien«  _, ce livre d’entretiens n’a rien d’une espèce de « Monde de Sophie » adapté à l’univers de la physique contemporaine. C’est qu’ici celui qui endosse le rôle du « candide » (Claude Saliceti) est lui-même philosophe ; on pourrait du reste en dire autant du « physicien » (Bernard d’Espagnat), dont l’œuvre est consacrée depuis une trentaine d’années à certains des problèmes spéculatifs les plus ardus de la physique contemporaine (voir notamment « À la recherche du réel« , 1979) _ oui… Car la physique, telle est la conviction commune aux deux auteurs, nous oblige à réviser _ voilà ! _ la formulation traditionnelle de certaines questions philosophiques fondamentales, touchant notamment aux concepts d’espace, de temps, de causalité et d’objectivité. Il y va de l’ontologie de la physique (ses catégories ultimes) _ oui… _, mais aussi bien _ et c’est important ! _ de notre rapport à l’être, selon une tonalité plus existentielle qui traverse tout l’ouvrage _ et en élargit de beaucoup et l’impact de la signification, et le lectorat… D’Espagnat, qui a publié il y a quelques années un « Traité de physique et de philosophie » (Fayard, 2002), n’hésite pas à mobiliser en chemin Plotin et les gnostiques, Spinoza et Leibniz, Berkeley et Bergson, Pascal et Augustin, Kant et Wittgenstein, Mach et Schrödinger, Bohr et van Fraassen, et bien d’autres encore, philosophes et physiciens-philosophes ; il ne s’agit pas ici de touches décoratives _ ô le joli adjectif ! _ destinées à flatter le goût de l’honnête homme cultivé _ à la façon de bien des dessus de présentoirs de librairies (ou émissions « culturelles«  télévisées…) pour « propos de salons«  et « dîners en ville« _, mais de références théoriques précises _ oui ! _ qui permettent de donner _ sérieusement _ toute leur ampleur aux questions parfois très techniques abordées au fil de la discussion _ merci de cette fort claire mise au net préliminaire !

Relativité et physique quantique

Car Claude Saliceti est moins « profane » qu’il veut bien le dire, même s’il se place en retrait : la discussion, qui tient plus en réalité de l’échange épistolaire (sous la forme de cinquante « questions » disputées _ selon une antique tradition féconde… _) que d’une conversation d’après-repas, est d’assez haute volée _ sans rien sacrifier cependant aux exigences d’une pédagogie du concept _ fort utile ! et plus que nécessaire !!! _ dont feraient bien de s’inspirer beaucoup de vulgarisateurs _ aux bons entendeurs, salut ! Les premières sections sont un modèle du genre : on y parcourt, en suivant le développement du problème de l’objectivité de l’espace et du temps, l’histoire du développement de l’électromagnétisme et de l’optique, le passage du concept d’éther à celui de champ. La relativité, restreinte puis générale, mais aussi la théorie quantique, sont introduites, à leur tour, avec le même souci de clarté. Ces théories-cadres devraient être complémentaires, mais leur ajustement réciproque présente des difficultés inextricables _ à bien noter ! Il ne s’agit pas seulement, en effet, de faire tenir ensemble deux « régions » du monde (l’univers de l’extrêmement grand et celui des particules élémentaires), mais deux manières de penser qui, pour recourir à une métaphore optique, ne cessent d’interférer _ mais parasitairement, jusqu’ici _ l’une avec l’autre. Il n’était déjà pas simple de produire, comme l’a _ spécialement génialement _ fait Einstein entre 1910 et 1916, une théorie relativiste de la gravitation (relativité générale) : les générations de physiciens qui sont attelés, à grand renfort de prouesses mathématiques, à la tâche de concilier les principes de la mécanique quantique et de la relativité générale, sont encore loin d’en voir le bout _ merci de nous le rappeler ; et si clairement ! « Théorie des cordes » et « gravité quantique » ne désignent pas des théories achevées, mais des programmes de recherche, ou des chantiers _ en cours : ce que la recherche est on ne peut plus consubstantiellement : tant (y compris de politiquement haut-placés ; « au pouvoir« …) le négligent ; en commençant par l’ignorer !!! Et ignorer qu’ils l’ignorent !!! Et en ne voulant rien en savoir… Edgar Morin (« La Méthode« ), au secours !!! Et Lee Smolin a peut-être raison de s’inquiéter, dans un ouvrage récent (« Rien ne va plus en physique« , 2008) _ un utile rappel à l’ordre : mais pour qui, en priorité ? _, du ralentissement du rythme des grandes révolutions en physique théorique _ de fait, guère d’échos assez sonores, en tout cas, depuis Karl Popper (« La Logique de la découverte scientifique« ) ; Thomas Kuhn (« La Structure des révolutions scientifiques » ; ou Paul Feyerabend (« Contre la méthode _ esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance » ; ou « Adieu à la raison« ) : nous avons bien besoin de rafraîchir nos références…

Contre le « réalisme local »

Faut-il chercher le remède du côté d’un approfondissement philosophique des cadres conceptuels fondamentaux ? D’Espagnat souscrirait volontiers à un tel programme, mais l’obstacle le plus sérieux, à ses yeux, est du côté de la physique quantique _ ah ! Celle-ci ne se contente pas d’introduire, comme la relativité, des effets paradoxaux ; ou certaines conceptions inhabituelles de l’espace et du temps ; elle semble nous forcer, de façon plus générale, à renoncer globalement à toute interprétation descriptive ou réaliste des phénomènes envisagés (que ces phénomènes soient ou non « observés ») _ voilà un point majeur de la donne ! En effet, la notion de superposition d’états, le principe de « complémentarité » _ qui autorise à interpréter un même phénomène (un faisceau d’électrons) tantôt comme un comportement ondulatoire, tantôt comme un corpusculaire (particules localisées) _, les relations d’incertitude de Heisenberg _ qui prévoient qu’on ne puisse mesurer simultanément (avec une précision arbitraire) la position et la vitesse d’un électron _, tous ces aspects déroutants de la mécanique quantique rendent de plus en plus délicate la représentation _ stable et cohérente _ d’un monde constitué d’objets bien déterminés et individualisés, séparés et localisés, existant par eux-mêmes indépendamment de nous _ voilà bien, en effet, des conséquences on ne peut plus cruciales pour le confort de nos repères de représentation ! Si l’on veut rester réaliste _ et pas « idéaliste«  _ dans de telles circonstances, il faut se préparer _ c’est  là tout un enjeu, et de formation, et de diffusion, pédagogique ! _  à un réalisme d’un genre tout à fait nouveau : un réalisme non-objectiviste _ et voilà combien excellemment  cerné l’enjeu de cette très instructive approche !

Le problème se concentre, pour d’Espagnat _ il nous faut donc nous y arrêter _, sur la question de la non-localité (ou « non-séparabilité ») _ un concept-clé… Une des intuitions fondamentales du réalisme objectiviste _ qu’il faudrait, semble-t-il donc, « réviser« , « contester«  : « combattre«  ?.. _ peut en effet se formuler sous la forme d’une condition de proximité qui veut que les forces (gravitationnelles, électriques, magnétiques, etc.) s’exerçant entre deux objets soient d’autant plus faibles que la distance qui les sépare est grande. Ce « réalisme local » _ un concept dont il nous faut bien nous pénétrer, ici _ est actif au cœur même de la relativité restreinte sous la forme du deuxième postulat de l’article fondateur d’Einstein, en 1905. Poser que la vitesse de la lumière dans le vide admet une valeur constante finie (et indépendante du mouvement de la source), c’est ôter son caractère absolu à la simultanéité entre événements distants ; c’est reconnaître, plus profondément, que les influences causales ne peuvent avoir lieu que de proche en proche, contrairement à la physique des actions à distance. Le « réalisme local » soutient encore, en 1935, le fameux « paradoxe EPR » formulé par Einstein et deux de ses collègues (Podolsky et Rosen). Des particules initialement « corrélées » du fait de l’intrication de leurs états quantiques devraient, une fois séparées, continuer à communiquer, en ce sens que les observations menées sur l’une auraient pour effet de déterminer ce qui est susceptible d’être observé de l’autre, et ce indépendamment de la distance qui les sépare. Dans l’esprit d’Einstein, il s’agissait par là de pointer une contradiction dans la théorique quantique, ou du moins de mettre au jour son caractère incomplet. Car à moins d’admettre une influence occulte qui aurait lieu à une vitesse supérieure à celle de la lumière, il faut que la corrélation observée renvoie d’une manière ou d’une autre à quelque condition réelle sous-jacente, c’est-à-dire à des valeurs déterminées, au sein de chaque système, avant l’opération de mesure (on parle de « variables cachées »). Or une expérience menée par Alain Aspect au début des années 1980 a permis de transposer sur le terrain expérimental _ ah ! _ ce qui se présentait, d’abord, comme une simple « expérience de pensée ». En établissant la violation des « inégalités de Bell » quantifiant les conséquences du paradoxe EPR, l’expérience _ d’Alain Aspect, donc _ revenait à établir que des observations menées à distance sur des particules corrélées pouvaient entretenir une relation de détermination _ voilà ! _ en dépit de l’impossibilité objective de faire communiquer ces particules dans l’espace et dans le temps selon les voies de la causalité physique _ ah !

Il faut bien parler dans ce cas d’une influence non-locale _ qu’en déduire ? Or cette incongruité, d’après d’Espagnat, rejaillit sur l’ensemble de notre appareillage conceptuel _ théorique : même question… Si l’on accepte _ comme on le doit _ la possibilité ouverte par l’expérience d’Aspect, la localisation dans l’espace et dans le temps, en général, n’a plus rien d’évident _ oui… _ : elle n’est pas seulement relative (au système de référence adopté), elle paraît tout simplement incompréhensible _ rien moins ! _ dans les termes auxquels nous sommes habitués _ qu’il faut donc « réviser« , et pas seulement  « interroger« , « mettre en question », de ce point de vue de la théorie ; sur lequel se place Bernard d’Espagnat… À bien y réfléchir, c’est la notion même d’objet qui s’en trouve _ totalement ? _ affectée _ encore : rien moins ! ce n’est certes pas peu, même d’un point de vue « théorique »… _, et par extension celle d’une réalité indépendante _ oui… _ constituée par une multiplicité d’objets existant en soi, indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir _ soit un questionnement tant métaphysique que physique, si je comprends à peu près… Demeure toujours la question : qu’en déduire ?

Le « Réel voilé »

Ainsi la non-séparabilité quantique, qui constituait déjà le motif récurrent des premiers livres consacrés par d’Espagnat à la philosophie de la physique, constitue à sa manière _ mais le physicien s’entoure sur ce point de beaucoup de précautions _ une réfutation du « réalisme local » auquel le scientifique est porté par tempérament, tout comme le bon sens philosophique _ il me semble que je parviens à suivre le raisonnement... La forme philosophique du problème peut d’ailleurs se formuler simplement : il y a, dans la réalité, quelque chose de non-conceptualisable ; un « Réel », si l’on veut, mais un réel non-discursif, non-objectivable _ voilà ce qu’il nous faut essayer de « penser«  ici !.. _, qui nous demeure irrémédiablement « voilé » _ « éloigné« , en quelque sorte, ainsi, de notre atteinte _ par le système que forment _ syncrétiquement ? _ nos observations, nos instruments de mesure et nos concepts _ habituels : qui forment, à partir des usages (même diversifiés) que nous en faisons, nos repères, et normes, et cadres, de référence… « L’objet n’est pas l’être », disait _ en nous mettant en garde _ le philosophe Ferdinand Alquié (p. 225 _ de « La Nostalgie de l’être«  ? Parue aux P.U.F. en 1950).

D’Espagnat insiste sur le fait qu’on touche, avec la violation des inégalités de Bell, à quelque chose comme un point de résistance absolu, qui ne doit pas grand chose, en fait, à l’interprétation _ en aval _ qu’on peut en donner : « la preuve, expérimentale, de la violation en question restera […] valable même le jour, si jamais il advient, où la physique quantique aura été remplacée par une autre physique différente, fondée sur des idées radicalement autres » (p. 101-102). C’est l’universalité _ oui... _ de ce résultat expérimental et de ses implications conceptuelles _ capitales _ qui autorise à voir dans l’inséparabilité quantique _ voilà donc le « hic » ! « Hic Rhodus, hic saltus » !.. _ l’indice d’un véritable problème métaphysique transversal à toutes _ sans exception _ les interprétations physiques du phénomène.

Un éclectisme philosophique

Reste à déterminer précisément la nature _ ah ! _ du problème. C’est là que les choses se compliquent _ ah ! ah ! La thèse, défendue avec force, est celle d’un « réalisme ouvert » _ à bien noter… _, qui ferait son axiome de l’idée que « la pensée humaine n’est pas “le Tout” » (p. 179) _ face à l’altérité et extériorité (à elle) et transcendance (vis-à-vis d’elle) d’un « réel«  S’il est vrai que tout « positivisme » masque une forme d’idéalisme rampant, ce réalisme-là (le réalisme du réel non-objectivable _ il nous faut bien intégrer cete remarquable expression ! _) serait à sa manière plus authentiquement réaliste _ en sa plus grande fidélité à l’altérité de ce « réel«  ; oui… _ que le « réalisme local » _ et plus généralement « objectiviste » _ du sens commun physicien, parce qu’il se serait débarrassé pour de bon _ « libéré«  enfin… _ des dernières scories d’idéalisme _ naïf _ qui portent à réduire le réel à ce que nous observons et mesurons, autrement dit à la réalité empirique, celle qui est valable seulement « pour nous ». En une sorte de « course«  au (plus grand) respect (possible) de l’altérité de ce « réel« , autre _ et, corrélativement, à la (plus grande) modestie du sujet lui-même, en toute la palette de ses diverses opérations (d’objectivation) : en percevant, en connaissant, en pensant, etc…

C’est de ce point de vue que d’Espagnat aborde tour à tour quelques unes des grandes questions fondationnelles _ je retiens le terme _ de la théorie physique contemporaine, comme celles que suscite aujourd’hui la théorie quantique de la gravitation. Faut-il se passer de l’« arène » _ à la fois sol, et cercle ?.. _ que constitue l’espace-temps ; et travailler, en quelque sorte, à _ l’élaboration d’ _ une genèse physique _ nouvellement complexe _ de l’espace et du temps eux-mêmes ? Sur ce point _ physico-physique (purement) , donc, si je suis bien le raisonnement… _, d’Espagnat se montre particulièrement prudent. Il l’est peut-être moins sur le terrain de l’épistémologie, lorsqu’il critique, par exemple, les tenants du « réalisme structurel », qui identifient le réel avec les rapports véritables (de nature mathématique) entre les objets. Quant à ses affinités philosophiques, elles manifestent un certain éclectisme. C’est le cas du rapprochement avec le bergsonisme, dont d’Espagnat n’attend certes aucune « ontologie de remplacement » (p. 160), mais qui lui paraît tout de même capable de fournir « de précieux aperçus _ en quoi ? et lesquels ? _ sur le réel vrai » (p. 161) _ l’horizon de l’exigence (éthique) de vérité (et de justesse) demeurant fondamental… Le problème est que Bergson cherchait dans la saisie de la durée un absolu que d’Espagnat, pour sa part, entend placer _ oui ! _ par-delà toutes les notions phénoménales, espace et temps inclus _ certes. L’alliance tactique n’est donc pas entièrement convaincante _ d’Espagnat le reconnaît lui-même _ ; pas plus que ne l’est, nous semble-t-il, la référence récurrente à l’idéalisme kantien et à la position d’une « chose en soi » qui, manifestement, n’est pas d’une grande aide pour formuler _ opérativement, dirais-je… _ le problème de l’« Être », qui est l’autre nom du « réel voilé ». C’est que le problème de Kant n’est pas celui de d’Espagnat : rallié de force à la cause des adversaires du « réalisme local » _ un comble si l’on songe à son adhésion sans réserve à la mécanique newtonienne et aux formes de l’objectivité qui la rendent possible _, le sage de Königsberg offre pourtant du « Réel » une version trop austère, trop dépouillée _ en quoi ? comment ? il faudrait le creuser un peu davantage _ : c’est pourquoi du point de vue où se place le physicien, l’idéalisme transcendantal _ kantien _ se distingue à peine de l’idéalisme pur et simple. La « chose en soi » est le minimum métaphysique qui permet de garantir que quelque chose nous est encore donné _ et pas seulement projeté (ou a fortiori carrément créé) par nous. Et certes l’« en soi » du physicien, pour être non-discursif, mérite tout de même un peu mieux _ comment ? _ que cela ; mais alors le passage par Kant était-il bien nécessaire ? Bien des questions demeurent, pouvant en quelque sorte « ouvrir » (« opérativement« ) à d’autres « entretiens« 

Tout l’art de Claude Saliceti _ en « Candide«  _ est de conduire son interlocuteur, au fil des questions, à préciser davantage les attendus de ses propres positions métaphysiques. Jamais la discussion ne bascule dans la spéculation gratuite ; elle demeure étayée, d’un bout à l’autre _ et c’est positivement précieux ! _, par les résultats les plus précis _ oui _ de la science contemporaine, comme en témoigne, par exemple, l’ »appendice III » consacré à une mise en question expérimentale, d’ailleurs toute récente, des rapports entre la causalité et le temps _ lesquels ? comment ? en quoi ? cela mériterait de plus amples précisions.

Dans ce livre riche, foisonnant d’intuitions, chacun trouvera matière à penser : le physicien et le philosophe, bien sûr, mais plus largement tous ceux que n’effraie pas l’idée de s’attaquer _ en s’instruisant au passage (oui ! ) _ à quelques « questions ultimes » _ soit un (relatif) vertige du penser (entre « gardes-fou«  : tant scientifiques que philosophiques ; à l’écart de quelque schwärmerei…), au frémissement, en effet, séduisant…


Elie During

Voilà qui, à son tour, et lumineusement,

et nous « instruit » ; et nous « donne matière à penser » (sans délirer)

Bravo !


Titus Curiosus, ce 24 avril 2009

En post-scriptum

_ et complément un peu inutile, après cette brillante introduction d’Elie During _,

ces éléments issus de la quatrième de couverture des « Entretiens » de Bernard d’Espagnet et Claude Saliceti, en leur « Candide et le physicien«  (à paraître le 30 avril aux Éditions Fayard) :

Résumé

Le médecin et philosophe Claude Saliceti a posé cinquante questions au physicien Bernard d’Espagnat

sur les sciences physiques modernes et les implications philosophiques du passage de la physique classique aux physiques relativiste et quantique :

sur les notions d’objet et d’objectivité, de déterminisme, d’espace, de temps, etc.

Quatrième de couverture



Les avancées considérables de la physique d’après guerre n’ont été possibles qu’au prix d’une vraie rupture
_ théorique, conceptuelle _ entre elle et la physique dite « classique » _ celle de Newton, Galilée, Copernic… À quels changements cette rupture _ théorique, épistémologique _ nous contraint-elle _ en profondeur, pour peu qu’on s’y penche en vérité si peu que ce soit… _ en ce qui concerne des notions essentielles telles que celles d’espace, de temps, d’objet et d’objectivité ? Quelles en sont les incidences quant à la portée de la connaissance, au rôle de la conscience, aux relations entre science et ontologie ?

Ce sont là des questions de fond, délicates, auxquelles les personnes de formation si peu que ce soit philosophique sont souvent plus sensibles que ne le sont les physiciens. Malheureusement, elles ne disposent pas toujours des connaissances de pointe qui seules permettent d’approfondir de tels problèmes sans risquer de trop s’égarer.


Étant donné l’impact que, par ses applications, la science a sur nos vies, nombreux sont ceux qui souhaitent se former une idée plus juste de ce que cette science implique vraiment. Le présent ouvrage prend la forme d’un dialogue articulé autour d’une cinquantaine de questions posées par Claude Saliceti à Bernard d’Espagnat sur ces questions de fond. En des termes adéquats (et foncièrement neufs) et dans une langue accessible au profane, cet échange permettra à chacun de découvrir les directions dans lesquelles des réponses peuvent être recherchées.

Bernard d’Espagnat est membre de l’Institut et professeur émérite de l’université de Paris-Orsay, où il a dirigé le Laboratoire de physique théorique et des particules élémentaires.
Il a également enseigné la philosophie des sciences en Sorbonne. Il est l’auteur d’une dizaine d’essais, notamment : « Regards sur la matière« , en collaboration avec Étienne Klein (aux Éditions Fayard, en 1991), « Le Réel voilé » (aux Éditions Fayard, en 1994) et « Traité de physique et de philosophie » (toujours aux Éditions Fayard, en 2002).

Claude Saliceti est médecin et philosophe. Il est notamment l’auteur de « L’humanisme a-t-il un avenir ? » (aux Éditions Dervy, en 2004).

A propos d’un auteur majeur d’aujourd’hui : Roberto Bolaño _ succès (justifié) et ambiguïtés (extra-littéraires) du succès

22mar

 Ce matin, en parcourant la presse sur le net,

ce courriel à Bernard Plossu, passionné du Mexique :

Un article intéressant sur un écrivain important, Roberto Bolaño, dans El Pais du 22-3-09.

Je n’ai pas lu Bolaño encore ;
son plus grand livre, semble-t-il, est « 2666 » : un pavé énorme
; qui demande beaucoup de temps…

Il a vécu pas mal de temps au Mexique ; et aborde la question du degré phénoménal de sa violence.
Rien que cela devrait t’intéresser personnellement…

Peut-être l’as-tu déjà lu…

Titus

Voici l’article : « El enigma universal de Roberto Bolaño » _ les gras sont de ma responsabilité (de lecteur qui intervient)…


http://www.elpais.com/articulo/cultura/enigma/universal/Roberto/Bolano/elpepucul/20090322elpepicul_1/Tes

REPORTAJE

El enigma universal de Roberto Bolaño…

Nuevas obras explotan el éxito _ deux termes significatifs, en ce sous-titre de l’article _ planetario del autor chileno, muerto en 2003
LOLA GALÁN – Madrid – 22/03/2009

A Roberto Bolaño no le cambió el éxito. No le llegó a tiempo _ certes ! Cuando murió, a los 50 años _ c’est bien jeune… _, víctima de una cirrosis hepática _ ce n’est pas non plus tout à fait anodin _, el 15 de julio de 2003, tenía una decena de obras de culto, que le permitían, todo lo más, vivir con holgura _ expression intéressante _ de la literatura. Ahora, seis años después de su muerte, su nombre de escritor está en boca de todos. Se reeditan sus libros, se le dedican ensayos y artículos, se adaptan sus novelas para el teatro, se estudian como guiones de posibles filmes. Es el éxito _ et mondial, planétaire… _ con mayúsculas. Un vendaval que lo ha trastocado todo, aunque a su principal responsable no puede ya _ forcément… _ afectarle.


Nacimiento:          1953
Lugar:          Santiago de Chile

Echevarría: « Nada de lo que se publique va a sumar al escritor »
El éxito no pudo cambiar su vida, pero ha alterado el mundo que le rodeó
Bolaño ha provocado silencio entre los escritores del ‘boom‘ _ pour quelles raisons (qui soient vraiment de fond) ?..
« No está claro cuántos días estuvo detenido en Chile« , dice Montané

Lo que saboreó antes de morir, apreciado por la crítica, consagrado, incluso, como el mejor escritor latinoamericano de su generación, fue una celebridad a escala humana, por decirlo así _ oui… ; après, c’est l' »in-humain »… Su novela « Los detectives salvajes«  _ « Les Détectives sauvages » _, tejida con los mimbres de su experiencia juvenil en México, había sido la clave de ese ascenso, a partir de 1998, que se tradujo en dos premios importantes, el Herralde y el Rómulo Gallegos. Eso le proporcionó muchos más lectores y una cuenta bancaria saneada, después de una década de penuria económica, y mil oficios de sudaca que diría él.

El éxito con mayúsculas, su inscripción en una liga superior de autores, en la que sólo caben nombres como el de Gabriel García Márquez o Jorge Luis Borges, entre los latinoamericanos, le llegaría con una obra póstuma, « 2666« . O, mejor dicho, con su edición norteamericana, que llegó a las librerías el año pasado. Una obra monumental, la más ambiciosa y compleja, según los críticos, que le ha abierto las puertas de la celebridad _ ici, faire la part entre les raisons littéraires de ce succès, et les autres, devient assez intéressant…

Su traductora, Natasha Wimmer, tardó años en verterla al inglés. Preguntada por la dificultad del lenguaje de Bolaño, crecido en México, Wimmer, respondía al magazine del New York Times: � »Vivió veintitantos años en España, y se aprecia muy bien la influencia del español castellano, al menos tanto como la del español de México« �.

Novela del año para la revista Time, ponderada por la archifamosa Oprah Winfrey, « 2666 » ha sido elegida mejor libro de ficción por el prestigioso Círculo Nacional de Críticos Literarios de Estados Unidos.

Juan Villoro escribe en el prefacio de un libro de entrevistas sobre el autor, publicado en Chile : �« Como tantos grandes, Roberto Bolaño corre el albur _ dangereux pour l’auteur _ de convertirse en mito pop« �. De lo que no hay duda es de que es un fenómeno literario generador de millones de dólares. Una mina de oro susceptible de ser explotada _ voilà le mot… Porque si el éxito _ posthume de « 2666« , et via les États-Unis _ no pudo cambiar a Bolaño _ l’individu de chair : forcément ! _, ha cambiado al menos el mundo que rodeó al escritor, nacido el 28 de abril de 1953 en Santiago de Chile, y afincado en España a partir de 1977.


Su legado literario, en manos de su viuda, Carolina López, ha pasado a ser gestionado por el todopoderoso Andrew Wylie, el agente más famoso, y más temido, del panorama literario mundial. Wylie está inventariando _ le mot est intéressant _ el archivo del escritor, en busca de nuevas joyas. De momento, se ha anunciado ya la publicación de un libro, « El Tercer Reich« , y se habla de otras dos nuevas, « Diorama » y « Los sinsabores del verdadero policía » o « Asesinos de Sonora« .

Su albacea oficioso, el crítico Ignacio Echevarría, amigo íntimo de Bolaño, cree, sin embargo, que las obras en papel, el material que está siendo examinado ahora por la viuda del escritor y por Wylie,« es una parte arqueológica«  de su obra.« Nada de lo nuevo que se publique va a sumar al escritor que es ya« , dice _ soit la différence entre l’homme (mortel) et l’artiste (au destin plus large qu’une éphémère, mortelle, vie)… Obviamente, no opina lo mismo su viuda _ ah ! les veuves (et les « ayant-droit ») d’écrivains !!! On connaît ainsi (un peu) les péripéties de l’héritage littéraire de Borges : par exemple un certain contentieux entre Jean-Pierre Bernès et Maria Kodama : peut-être en voie d’apaisement-réglement… _, que vive todavía en Blanes, con los dos hijos de la pareja, Lautaro, de 18 años, y Alexandra, de 8. López declina, amablemente, hablar con este periódico. En un correo electrónico explica que necesita preservar la intimidad de sus hijos. No quiere entrar en cuestiones personales. ¿A quién puede importarle que antes de morir Bolaño la pareja estuviera prácticamente separada? Y, sin embargo, interesa. La revista chilena Quépasa dedicó recientemente un reportaje a la � »compañera final« � del escritor, la catalana Carmen Pérez de Vega.

La vida y la obra de Bolaño apasionan a un público cada vez más amplio, a medida que su obra escala en la lista de superventas. Y sus novelas son fuente de nueva inspiración. El Teatro Lliure presentó el año pasado una versión dramatizada de « 2666« . Y se habla de una posible adaptación al cine. « 2666« , un relato dividido en cinco partes, donde se mezcla el humor con la fantasía desbordante, y el inventario pormenorizado de los asesinatos de mujeres en Ciudad Juárez _ plus que jamais d’actualité, hélas, à l’aune (terrible !) du réel, en 2009 !!! _ , contiene todos los ingredientes necesarios para interesar al séptimo arte. Si « Los detectives salvajes » _ « Les Détectives sauvages » _ � »cambió el paradigma del escritor latinoamericano« �, según Echevarría, « 2666« , la novela del mal, ha provocado una verdadera deflagración en la sociedad lectora estadounidense.

Jorge Herralde, director y fundador de Anagrama, la editorial que ha publicado sistemáticamente la obra de Bolaño a partir de 1996, se explica el éxito del autor por un conjunto de factores.« Susan Sontag descubrió « Estrella distante«  _ « Etoile distante » _, editada por New Direction, en 2004, y no cesó de alabarla. Sontag era una entusiasta de la literatura _ oui ! _ y una propiciadora _ magnifique ! _ de grandes triunfos« �, dice el editor _ en effet ! Susan Sontag est une personnalité majeure, par son intelligence et sa générosité. Son œuvre (majeure !) est publiée en France par son amie Dominique Bourgois ; tout dernièrement, encore, en octobre 2008 : « Garder le sens, mais altérer la forme » ; après « Temps forts« , en avril 2005Ahí empezó la onda Bolaño _ oui : sa célébrité éditoriale et auprès du lectorat _, que con « Los detectives« … _ « Les Détectives sauvages » _ dio un salto enorme, porque fue designada novela del año, y con « 2666 » llegó al máximo, a la apoteosis, editada por Farrar, Straus & Giroux. La fuerza, la profundidad de Bolaño, su prosa adictiva, y su« mordaz examen del mal« �, según la crítica estadounidense, �han hecho el resto. La fascinación de Bolaño por la relación entre crimen y arte, su interés por la investigación detectivesca, su curiosidad de forense ante el horror y el mal, ha llevado a los críticos a compararle con Cormac McCarthy _ l’auteur désormais bien connu (et célébré de par le monde) de « De si jolis chevaux«  et de « La Route« 

Pero si ese era el Bolaño escritor, el Bolaño real _ une distinction bien intéressante, et nœud de cet article _, nieto de gallego, era, en cambio, una persona tímida, que creía en la bondad _ encore un terme décisif ! _ del buen escritor. Apasionado lector, devorador de cine y de programas de televisión � »siempre mejor la tele que un best seller« , solía decir �, cultivador de un cierto talante rebelde. En más de una entrevista, Bolaño recomendaba a sus lectores jóvenes que robaran los libros, sin más.

Sobre sus años en México, adonde la familia se trasladó desde Chile, cuando él apenas tenía 15 años, creó casi _ ah ! _ una leyenda. Los elementos más vívidos de aquella etapa, han quedado atrapados en « Los detectives salvajes«  _ « Les Détectives sauvages » _, una novela por la que deambula el autor, convertido en « Arturo Belano« , y su amigo Mario Santiago, transmutado en « Ulises Lima« . Bolaño reconoció siempre una deuda profunda con México, donde sintió la llamada de la escritura, y se hizo poeta.

Bruno Montané Krebs lo conoció en ese país, en 1974, y se hicieron amigos. Montané aparece en « Detectives » _ « Les Détectives sauvages » _, convertido en « Felipe Müller » _ ce nom a très certainement à voir avec le Filip Müller, auteur du très important « Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz« , aux Éditions Pygmalion ; et témoin majeur du film « Shoah » de Claude Lanzmann…« En la obra de Roberto no habrá más de un 30% de material real, el resto es pura invención. Conviene tenerlo en cuenta« �, dice _ et le point est aussi très important, quant au sens de ce qu’est « écrire », puis, en aval, « lire », de la littérature ! _  el poeta chileno, afincado en Barcelona. � »A Roberto lo frecuenté en Barcelona. Cuando se trasladó a Blanes [a comienzos de los años ochenta], ya nos veíamos menos. Pero hablábamos mucho por teléfono. Roberto era excelente conversador por teléfono, sobre todo cuando llamaba él« �.

Herralde y Echevarría le recuerdan como un tipo con gran sentido del humor, muy divertido. Trabajaba en un estudio bastante modesto, en Blanes, en la Costa Brava. En horario nocturno. Con un paquete de cigarrillos a mano e ingiriendo litros de infusiones con miel, � »porque no podía beber otra cosa« �. A Bolaño le inspiraba la música, pero nada de autores clásicos. Solía escuchar rock duro a través de los auriculares _ un point à « méditer » : son rapport au réel (et à l’époque) allait-il jusqu’à un tel degré (par l’exclusion des œuvres d’« autores clásicos«  et l’exclusivité de « rock duro« , veux-je dire ; moi qui y trouve tant, en cette force de beauté du classicisme...) de masochisme ?.. Cela pourrait, peut-être (!..) donner à comprendre un des facteurs, parmi d’autres (plus objectifs, peut-être), de sa disparition prématurée ; de sa mort trop jeune ; de la « maladie » mortelle qui put si vite le porter à son « tableau de chasse« … Je pense ici, à l’exemple, en un sens tout contraire, de Susan Sontag, face à la maladie, et en son combat acharné, et à répétition, contre la maladie de la mort : lire ses très grands  « La maladie comme métaphore«  et « Devant la douleur des autres«  ; ainsi que le témoignage si beau de son fils, David Rieff, « Mort d’une inconsolée : les derniers jours de Susan Sontag« ..

Roberto Bolaño pertenecía a una generación que creció esperanzada con la revolución cubana y como chileno, vio un horizonte de cambio en el Gobierno de Salvador Allende. En 1973 atravesó América, de México a Santiago, en autobús y en autoestop, mochila al hombro, para contribuir con su granito de arena a aquella revolución pacífica. Pero en Santiago le pilló el golpe de Pinochet y fue detenido. Un encuentro con dos viejos compañeros de estudios convertidos en policías le permitió ser liberado ocho días después. Y regresar a México en avión. Allí reemprendió su carrera y fundó el infrarrealismo _ à noter… Un experimento de rebeldía literaria, inspirado en el dadaísmo, radicalmente contrario a los grandes escritores institucionales, a los santones del régimen. � »Detestábamos a Octavio Paz« �, declaraba Bolaño en una entrevista a la televisión chilena, en 1999, �pero es un gran poeta, y un ensayista de los más lúcidos� _ la distinction demeure d’importance !..


Aquella etapa le sirvió a Bolaño para construir su propio mito _ comment l’interpréter ? � »La mayor parte de lo que cuenta es verdad, aunque no está claro cuánto tiempo estuvo detenido en Chile« �, corrobora Montané. Después de todo, Bolaño adoraba a Borges, un maestro de la recreación inventada _ et l’ami de mon cousin Adolfo Bioy Casares : qui la pratiquait allègrement, lui aussi : seul (cf, par exemple, cette sélection de ses « romans« , chez Robert Laffont ; le plus célèbre étant, peut-être, « L’Invention de Morel » ; mais lire aussi « Le Songe des héros » ; et « Le Héros des femmes« ) ; ou à deux plumes, et maintes fois : cf, par exemple, « Les Chroniques de Bustos Domecq« ), avec Borges ; qui la pratiquait, donc, cette « recreación inventada« , en sa « fiction » ; de même que la pratiquait, et à quel degré de sublime, son épouse, Silvina Ocampo (cf « Ceux qui aiment, haïssent« )… Au passage, j’indique (encore !) que le titre de l’autobiographie de Claude Lanzmann, « Le Lièvre de Patagonie« , est empruntée à un titre de récit de ma cousine Silvina : « La liebre dorada« , traduit en français par Elisabeth Pagnoux… Fin de l’incise familialo-littéraire ; et retour aux retombées sonnantes et trébuchantes de la célébrité nouvelle de Roberto Bolaño Había leído dos veces toda su obra, y casi todos los libros publicados sobre él. Pero distinguía los trucos y las trampas en su personalidad _ ah ! Adoraba el malditismo de poetas adolescentes como Rimbaud y Lautreamont, pero tenía claro que eran vidas extremas que no quería para su hijo _ ce qui s’appelle « faire la part des choses »… Qu’en est-il, alors, et plus généralement, du rapport de la fiction au réel ? Et quelles sont les diverses fonctions de cette fiction ? Rêver peut-être (à la Hamlet : « To die, to sleep ? Perchance to dream ?..« )… Sont-elles bien toutes « équivalentes » ?.. L’auteur de l’article, Lola Galán, semble se le demander assez fortement…

De la fauna literaria no tenía buena opinión.« La escritura es un oficio poblado de canallas y de tontos, que no se dan cuenta de lo efímero que es« �, declara en la misma entrevista de la televisión chilena, realizada en su primer viaje a la patria, tras 25 años de ausencia.

Fue una ocasión perfecta para opinar de todo, especialmente de literatura, y de autores chilenos. Bolaño, que admiraba a Nicanor Parra _ dont l’œuvre la plus connue est « Poemas y antipoemas » ; né le 5 septembre 1914, il appartient à la famille Parra ; dont on connaît, entre autres membres : Roberto, Violeta, Angel, Isabel et Eduardo (« Lalo ») _, fue bastante duro con sus compatriotas. Se despachó a gusto contra algunos de los más destacados. Ya lo había hecho _ ya = déjà _ con los autores del famoso boom y, sobre todo, con la larga secuela de los que transitaron esos caminos trillados con enorme fortuna. Sus declaraciones despreciativas no fueron pasadas por alto. � »Es curioso que salvo Jorge Edwards _ l’auteur du « Poids de la nuit » et de « L’Origine du monde » qui ont été traduits en français… _ y, mucho más tarde, Vargas Llosa _ bien mieux connu en France ; cf, par exemple, « La Ville et les chiens«   _, ninguno de los autores del boom haya dicho una palabra de Bolaño« �, comenta Herralde.

Enrique Vila-Matas _ de lui, vient de paraître en français, le 12 mars, « Journal volubile«  _, que frecuentó al chileno a partir de 1995, dice que se dio cuenta de la grandeza de Bolaño, �« cuando leí « Estrella distante«  _ « Etoile distante » _ y « Los detectives salvajes«  _ « Les Détectives sauvages« . Junto a Jorge Edwards, presenté este último libro en Barcelona, en 1999, y allí ya expuse por escrito mi percepción de estar ante un genio de la literatura« �. Por eso no oculta su extrañeza ante otro fenómeno ligado al autor chileno. � »Siempre me ha llamado la atención el poco interés que ha despertado Bolaño entre una gran parte de los escritores españoles. Es una indiferencia que hay que encuadrarla dentro de esa falta de interés que sienten normalmente los escritores españoles hacia sus propios colegas, y más aún si son latinoamericanos« �.

Puede ser. Tampoco Roberto Bolaño se anduvo con muchas diplomacias. Criticó a muchos autores consagrados sin importarle lo más mínimo hacerse enemigos. ¿Qué pensaría ahora de esta consagración global? ¿Cómo juzgaría las nuevas obras que tiene en cartera su agente norteamericano? Seguramente con satisfacción, pensando al fin y al cabo en la seguridad económica de sus hijos _ beaucoup de lucidité et d’humour (ou d’ironie ?) en cet article…


Titus Curiosus, ce 22 mars 2009


En appendice, et pour le plus simple plaisir,

voici « La Liebre dorada« ,

conte de Silvina Ocampo :

En el seno de la tarde, el sol la iluminaba como un holocausto en las láminas de la historia sagrada. Todas las liebres no son iguales, Jacinto, y no era su pelaje, créeme, lo que la distinguía de las otras liebres, no eran sus ojos de tártaro ni la forma caprichosa de sus orejas; era algo que iba mucho más allá de lo que nosotros los hombres llamamos personalidad. Las innumerables trasmigraciones que había sufrido su alma le enseñaron a volverse invisible o visible en los momentos señalados para la complicidad con Dios o con algunos ángeles atrevidos. Durante cinco minutos, a mediodía, siempre hacía un alto en el mismo lugar del campo ; con las orejas erguidas escuchaba algo.

El ruido ensordecedor de una catarata que ahuyenta los pájaros y el chisporroteo del incendio de un bosque, que aterra las bestias más temerarias, no hubieran dilatado tanto sus ojos; el antojadizo rumor del mundo que recordaba, poblado de animales prehistóricos, de templos que parecían árboles resecos, de guerras cuyas metas los guerreros alcanzaban cuando las metas ya eran otras, la volvían más caprichosa y más sagaz. Un día se detuvo, como de costumbre, a la hora en que el sol cae a pique sobre los árboles, sin permitirles dar sombra, y oyó ladridos, no de un perro, sino de muchos, que corrían enloquecidos por el campo.

De un salto seco, la liebre cruzó el camino y comenzó a correr ; los perros corrieron detrás de ella confusamente.
_ ¿Adónde vamos? _ gritaba la liebre, con voz temblorosa, de relámpago.
_ Al fin de tu vida _ gritaban los perros con voces de perros.

Este no es un cuento para niños, Jacinto; tal vez influida por Jorge Alberto Orellana, que tiene siete años y que siempre me reclama cuentos, cito las palabras de los perros y de la liebre, que lo seducen. Sabemos que una liebre puede ser cómplice de Dios y de los ángeles, si permanece muda, frente a interlocutores mudos.

Los perros no eran malos, pero habían jurado alcanzar la liebre sólo para matarla. La liebre penetró en un bosque, donde las hojas crujían estrepitosamente; cruzó una pradera, donde el pasto se doblaba con suavidad; cruzó un jardín, donde había cuatro estatuas de las estaciones, y un patio cubierto de flores, donde algunas personas, alrededor de una mesa tomaban café. Las señoras dejaron las tazas, para ver la carrera desenfrenada que a su paso arrasaba con el mantel, con las naranjas, con los racimos de uvas, con las ciruelas, con las botellas de vino. El primer puesto lo ocupaba la liebre, ligera como una flecha ; el segundo, el perro pila ; el tercero, el danés negro ; el cuarto, el atigrado grande ; el quinto, el perro ovejero ; el último, el lebrel. Cinco veces la jauría, corriendo detrás de la liebre, cruzó el patio y pisó las flores. En la segunda vuelta, la liebre ocupaba el segundo puesto, y el lebrel siempre el último. En la tercera vuelta, la liebre ocupaba el tercer puesto. La carrera siguió a través del patio; lo cruzó dos veces más, hasta que la liebre ocupó el último puesto. Los perros corrían con la lengua afuera y con os ojos entrecerrados. En ese momento empezaron a describir círculos, que se agrandaban o se achicaban a medida que aceleraban o disminuían la marcha. El danés negro tuvo tiempo de levantar un alfajor o algo parecido, que conservó en su boca hasta el final de la carrera. La liebre les gritaba :
_ No corran tanto, no corran así. Estamos paseando.

Pero ninguno la oía, porque su voz era como la voz del viento.

Los perros corrieron tanto, que al fin cayeron exánimes, a punto de morir, con las lenguas afuera, como largos trapos rojos. La liebre, con su dulzura relampagueante, se acercó a ellos, llevando en el hocico trébol húmedo que puso sobre la frente de cada uno de los perros. Éstos volvieron en sí.

_ ¿Quién nos puso agua fría en la frente? _ preguntó el perro más grande _, y ¿por qué no nos dio de beber?
_ ¿Quién nos acarició con los bigotes? _ dijo el perro más pequeño. Creí que eran las moscas.
_ ¿Quién nos lamió la oreja? _ interrogó el perro más flaco, temblando.
_ ¿Quién nos salvó la vida? _ exclamó la liebre, mirando a todos lados.
_ Hay algo distinto _ dijo el perro atigrado, mordiéndose minuciosamente una pata.
_ Parece que fuéramos más numerosos.
_ Será porque tenemos olor a liebre _ dijo el perro pila rascándose la oreja. No es la primera vez.

La liebre estaba sentada entre sus enemigos. Había asumido una postura de perro. En algún momento, ella misma dudó de si era perro o liebre.

_ ¿Quién será ese que nos mira? _ preguntó el danés negro, moviendo una sola oreja.
_ Ninguno de nosotros _ dijo el perro pila, bostezando.
_ Sea quien fuere, estoy demasiado cansado para mirarlo _ suspiró el danés atigrado.

De pronto se oyeron voces que llamaban :
_ Dragón, Sombra, Ayax, Lurón, Señor, Ayax.

Los perros salieron corriendo y la liebre quedó un momento inmóvil, sola, en el medio del campo. Movió el hocico tres o cuatro veces, como husmeando un objeto afrodisíaco. Dios o algo parecido a Dios la llamaba, y la liebre acaso revelando su inmortalidad, de un salto huyó.

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