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L’humilité sincère et sympathique d’un homme politique précis et courageux ; et son parcours existentiel…

19juil

Ce matin, ayant assisté à l’interview sur BFMTV de Clément Beaune par Philippe Corbé,

j’ai désiré en apprendre davantage sur l’histoire personnelle de Clément Beaune,

dont j’apprécie chaque fois, je dois le dire, les interventions…

Ainsi viens-je de découvrir un très intéressant entretien développé de Clément Beaune, le 31 janvier 2021,

dans lequel celui-ci détaille de manière précise et très intéressante son parcours existentiel :

Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, avec Radio J le 31 janvier 2021, sur l’Union européenne, l’intégration des immigrés, l’islamisme, l’épidémie de Covid-19 et l’élection présidentielle de 2022.

Intervenant(s) :

  • Clément Beaune – Secrétaire d’Etat aux affaires européennes

Mots-clés :

  • IMMIGRATION
  • CORONAVIRUS
  • ELECTION PRESIDENTIELLE

Prononcé le 31 janvier 2021

Texte intégral

Q – Bonjour, Clément Beaune.

R – Bonjour.

Q – Merci d’être avec nous. Puisque cette émission s’appelle « Les enfants de la République« , la question que je pose chaque dimanche à tous les invités de cette émission, c’est : qu’est-ce que représente la République, pour vous, Clément Beaune ?

R – Une chance de vivre ensemble, de pouvoir s’élever, se sortir, soit d’un milieu, soit d’une condition, et d’avoir une liberté, de choix, de vie, et d’être ensemble, dans cet esprit exigeant, parce que j’associe beaucoup la laïcité à la République, cela ne la résume pas, mais cela en fait partie, je crois, et c’est une forme d’exigence d’être ensemble.

Q – Pour commencer cette émission, on va parler un peu de vous, Clément Beaune. Vous êtes quelque part un enfant de la génération Mitterrand, puisque vous êtes né en août 1981, quelques mois après la victoire du 10 mai 81. Cette époque, ces années Mitterrand, cela a compté pour vous, Clément Beaune ?

R – Oui, beaucoup parce que c’était le Président de ma jeunesse, de mes quatorze premières années. Et dans ma famille, on s’intéressait à la politique, sans être actif, mais on était très intéressé par l’actualité politique. Et quand le Président de la République, quand François Mitterrand s’exprimait, on le regardait. Mes parents l’aiment bien. Donc, il y avait une forme d’attachement….

Q – Vos parents étaient socialistes ?

R – Oui, mon père avait été militant socialiste. Il ne l’était plus quand j’étais jeune, mais il était électeur socialiste et mitterrandien. Et donc, pour moi, il y avait à la fois une forme d’autorité, c’était le souvenir, quand j’étais jeune, parce que sans doute, on a une image d’enfant : je trouvais qu’il parlait avec une forme de sagesse, de lenteur. On regardait ses interventions. Moi, cela me fascinait un peu.

Q – Mais vous étiez tout jeune, alors.

R – J’étais tout jeune, je ne comprenais sans doute pas tout, mais il y avait une espèce de respect, d’affection, d’autorité qui s’en dégageait. Et puis, j’avais vraiment l’impression, parce que j’ai pris conscience de la vie politique, de l’actualité, à la fin des années 80, qu’autour de nous, avec François Mitterrand, mais plus largement en Europe, notamment, il se passait quelque chose, il y avait un mouvement.

Q – Ces mouvements, c’est après la chute du Mur. Mais François Mitterrand, quarante ans après le dix mai, vous en gardez quelle image ? Puisque depuis Mitterrand, vous avez eu Chirac, Sarkozy et Hollande, maintenant Emmanuel Macron. C’est un président qui aura marqué son temps, l’histoire ?

R – L’image rétinienne, si je puis dire, pour moi, c’est Mitterrand et Kohl, la poignée de main. Pas seulement parce que je m’intéresse à l’Europe…

Q – Donc la poignée de main à Verdun.

R – La poignée de main à Verdun en 84, je crois. Parce qu’après, dans beaucoup de circonstances, on me l’a décrite ; les circonstances, c’était un geste spontané et c’est lui qui l’a initié. Cela représentait…

Q – Donc c’est l’Europe.

R – C’est l’Europe, c’est la réconciliation. C’est littéralement la main tendue. C’est le sens de l’histoire. Moi, ce que je retiens de Mitterrand, c’est le sens de l’histoire par la grandeur, la vision de la France, la capacité à avoir cet attachement à la grandeur, à la vision, à la souveraineté, tout en acceptant de surmonter, pour lui-même, qui avait été jeune pendant la guerre – on connaît son passé avec ces zones d’ombre aussi, mais qui, malgré tout, était un enfant de la guerre.

Q – Donc c’est les ombres, et les lumières….

R – Bien sûr, les ombres et les lumières. Parce que j’ai aussi fait partie – c’était un peu mon éveil au débat politique…

Q – Donc, quand on parle d’ombres – pardon mais on précise les choses -…

R – Bien sûr, la Jeunesse française, avec Pierre Péan…

Q – Sa rencontre avec Pétain et puis son amitié avec Bousquet.

R – Oui, bien sûr, bien sûr. Et moi, j’avais, je crois, quand le livre de Pierre Péan est sorti, 12 ou 13 ans. Et donc, sans doute, là encore, je ne comprenais pas tout ce qu’il se jouait, mais je voyais que l’image était écornée, que l’on avait un débat sur l’histoire. Mais malgré tout, je garde tout de même, sans illusion, avec lucidité, l’image d’un grand président. Et avec ce sens du temps long, de prendre son temps, de maîtriser les choses qu’il dégageait.

Q – C’est lui qui avait eu cette formule : il faut laisser du temps au temps. Et alors ce qui a marqué votre jeunesse, vous le rappeliez il y a quelques instants, c’est la période 89/90, avec notamment la chute du Mur dans la nuit du 9 novembre 1989. Vous en avez quel souvenir ? Et puis, c’est peut-être d’ailleurs à partir de ce moment-là, que vous êtes vraiment intéressé à l’Europe ?

R – Ce n’est jamais une révélation comme ça. Cela sème une graine en quelque sorte… Mais j’étais tout jeune, j’avais huit ans. Absolument, mais j’ai le souvenir bien sûr de ces images. On m’expliquait ce qui se passait. Je comprenais que c’était important. Pour tout vous dire, mes images politiques de cette période-là, c’est plutôt, bizarrement, la révolution roumaine. J’ai le souvenir, je crois, Noël 89, l’hiver 89.

Q – Donc la chute de Ceausescu.

R – Oui, la chute de Ceausescu, la violence aussi, mais la chute d’une dictature, la mobilisation populaire, ces images de souffrance, d’une vraie révolution, qui avait une sorte de puissance d’évocation, et d’impression de mouvement massif, de liberté, avec aussi la violence qui s’accompagne…

Q – Et qui a débouché sur un faux procès.

R – Qui a débouché sur un faux procès effectivement, sur l’exécution, sur des fake-news aussi effectivement.

Q – Avec Timisoara.

R – Oui, Timisoara. Pour moi, 89, c’est d’abord ça. Et puis vous parliez du Mur de Berlin. C’est ensuite pas tant novembre 89, dont j’ai un souvenir, pour être honnête, assez vague personnellement, mais le fait que mes parents m’aient emmené à Berlin l’été 90.

Q – À Berlin.

R – Et j’ai vu le mur qui était cassé, encore debout, mais cassé, ouvert.

Q – Et donc vous avez ces images en mémoire.

R – Ah oui, j’ai ces images très claires, ces photos… des bouts de Mur d’ailleurs, que l’on a gardés dans la famille. Mes parents ont eu cette envie ou cette intuition qu’il fallait me montrer ce que c’était – pas encore une capitale – cette ville européenne coupée en deux, déchirée, réouverte, et tout ce qui s’en accompagnait, les grues qui reconstruisaient déjà, un sentiment d’immensité, parce que vous aviez cette zone au milieu de la ville qui s’ouvrait à nouveau. Et là encore, l’impression qu’il se passait quelque chose, et quelque chose de bon, de positif.

Q – Et je crois que vous avez visité d’autres pays, notamment des pays de l’Est, et aussi l’Italie, à ce moment-là.

R – Oui, parce que mes parents m’emmenaient souvent l’été en voiture. C’étaient des trajets assez longs, par étapes, vers d’autres pays européens. Donc, c’est peut-être comme cela d’ailleurs, que sans que je ne m’en rende compte à ce moment-là, mon goût de l’Europe qui, comme dit Steiner, se parcourt à pied. Moi, je la parcourais en voiture, mais je voyais bien qu’à quelques dizaines ou centaines de kilomètres, tout au plus, on changeait de langue, on changeait un peu d’architecture…

Q – Et on changeait quelque part de monde, aussi ?

R – Et on changeait de monde. J’ai d’ailleurs, en 90, été encore – puisque la réunification n’était pas faite – en Allemagne de l’Est. Et j’ai vu ce que c’était que les cantines d’autoroute… L’Allemagne de l’Est, ce n’était pas le même monde. Pour un enfant qui est habitué à l’Ouest, si je puis dire, ce n’est pas le même monde.

Q – Et la Tchécoslovaquie.

R – La Tchécoslovaquie… Mes parents m’ont emmené en 92 en Tchécoslovaquie, donc après la chute du communisme, mais avant d’ailleurs la partition. J’ai le souvenir d’une Prague encore très sombre, très noire, des immeubles qui avaient les impacts d’ailleurs des événements de 68, mais aussi des immeubles pas rénovés. Une ville très noire.

Q – C’est vrai que cela a changé, depuis.

R – Cela a changé beaucoup. Et je suis allé aussi à ce moment-là en Hongrie. J’ai eu la même impression, un peu partout en Europe de l’Est.

Q – Ensuite 95 : fin de l’ère Mitterrand, Clément Beaune, et début de l’ère Chirac, avec le 16 juillet 95, l’un des moments les plus forts de son mandat présidentiel, avec la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs de France. Vous avez un souvenir précis, Clément Beaune ?

R – Oui, j’ai le souvenir – là aussi, on me l’expliquait sans doute encore, même si j’étais plus âgé -, mais je comprenais mieux. Il y avait dans ma famille, pour être honnête, l’image, puisque l’on avait beaucoup aimé Mitterrand, que Chirac, c’était une autre ère et que c’était un changement qui n’était pas un moment heureux dans ma famille sur le plan personnel et politique. Mais ce discours-là avait donné de la grandeur et une forme de tournant, qui je crois d’ailleurs – quand le président Chirac s’est éteint, il y a quelques mois – que quand on pense à Jacques Chirac, aujourd’hui encore, on pense d’abord au discours du Vél d’Hiv. Et je sais que les débats – c’est d’ailleurs intéressant, parce qu’aujourd’hui, il y a une forme de consensus -, à l’époque…

Q – De consensus, et on se souvient que Mitterrand ne voulait pas du tout…

R – Ne voulait pas…

Q – Sur le fait de devoir reconnaître la responsabilité des crimes de Vichy…

R – Oui, parce que cela n’était pas la continuité de la France et de la République. Ce débat existait à l’époque. Et d’ailleurs, il ne faut pas le caricaturer : il y avait des arguments, si je puis dire, pondérés dans les deux sens. Mais néanmoins, Jacques Chirac a fait cet acte qui, je crois, à ce moment-là, cinquante ans, quarante ans après la libération, avait – cinquante ans, pardon, après la libération – avait besoin de se poser, de reconnaître aussi, parce que la France devait regarder son passé – on était justement après les révélations du début des années 90, les grands procès – devait faire, je crois, cet acte de rupture, de responsabilité et de transmission aussi. C’était une façon de dire – je ne sais pas si c’était son intention, mais moi, comme jeune, je le prenais comme une forme de responsabilité pour nous. Il fallait comprendre ce qui s’était passé, ne pas le refaire.

Q – Peut-être que vous avez eu cette réaction aussi, parce que vos arrières grands-parents, les Naroditzky ont fui l’Ukraine et sont arrivés à Marseille dans les années 1910 à cause des pogroms tsaristes. Ils ont fui l’Ukraine à cause de l’antisémitisme et des massacres tsaristes.

R – Oui, c’est vrai. J’ai une famille – la génération de mes arrières grands-parents, qui étaient établis à Odessa, dans ce qui était encore l’Empire russe, mais dans l’Ukraine actuelle, et qui ont fui avant la révolution, qui ont fui les pogroms, et qui _ en 1910 _, en passant par la Méditerranée et l’actuelle Turquie, sont arrivés à Marseille. Et c’est une histoire, comme la raconte un peu Henri Verneuil dans Mayrig, que je trouve un sublime récit…

Q – Donc un parallèle entre les Arméniens et les Juifs, à ce moment-là.

R – Oui, parce que c’était les communautés qui fuyaient une persécution, déjà, qui trouvaient refuge en France, avec un grand dénuement. C’était une famille très nombreuse. Ils étaient neuf enfants. Certains sont nés en France après leur arrivée, mais la plupart étaient déjà nés, et qui a trouvé dans la France un espoir immense qui n’a pas d’ailleurs été déçu, et une exigence, là aussi, immense. C’est pour cela que je faisais ce lien avec la République. Pour eux, cela voulait dire quelque chose. La France, c’était la République française. C’était l’école, c’était la langue. Ils tenaient absolument à ce que leurs enfants ne parlent pas leur langue, mais apprennent tout de suite, à marche forcée, le français, pour s’intégrer.

Q – Parce que vos arrière-grands-parents _ Naroditzky _ parlaient le russe et le yiddish à la maison.

R – Je crois qu’entre eux, ils parlaient russe et yiddish, surtout russe ; et ils n’ont pas voulu que leurs enfants continuent à même utiliser la langue à la maison pour s’habituer et apprendre vite le français, parce que pour eux, c’était la liberté, l’intégration.

Q – Pour vous parler de cette émission, en préparant cette émission, je suis allé voir sur le site du mémorial de la Shoah et j’y ai appris – on apprend – que votre arrière-grand-père, Israël Naroditzky, qui est né le 18 janvier 1876 à Odessa, a été déporté par le convoi 67 du 3 février 1944 et il a été gazé à Auschwitz _ le 8 février 1944, il venait d’avoir 68 ans.

R – Oui. Vous m’apprenez les dates. Je savais évidemment sa déportation, celle de tous les hommes de la famille, d’ailleurs, lui, ses deux garçons, ses deux fils. Les sept autres enfants étaient des filles qui ont échappé – c’est aussi une histoire française : ce sont des gens qui se sont intégrés, qui venaient d’ailleurs, qui ont trouvé dans la France cet accueil, qui ont vécu l’antisémitisme. Et je crois – je crois, parce que je n’ai que des récits, pudiques d’ailleurs, et parcellaires – qu’ils l’ont vécu durement, mais que pour eux, cela n’entachait en rien leur amour de la France, mais pendant la guerre, ils ont vécu la dénonciation et la déportation…

Q – Dénonciation, donc, ils ont été dénoncés. Ils vivaient à Marseille et donc ils étaient, ils ont été déportés. Et je ne sais pas si j’ai raison, mais j’ai l’impression qu’il y a une certaine émotion chez vous, quand vous parlez de cette filiation.

R – Oui, parce que, à la fois, elle a toujours été dans la famille et dans ma construction personnelle, et on en parlait peu.

Q – Un non-dit, un tabou.

R – Oui, un non-dit, une pudeur, sans doute un sentiment, parce que beaucoup d’autres, dans la famille, qui heureusement ont été sauvés, n’ont pas été d’ailleurs inquiétés ou déportés, mais s’étaient cachés, pour éviter cela, et ont changé d’identité. Donc, il y avait beaucoup de – et je le comprends d’ailleurs, pour cette génération, celle de ma grand-mère Rose – de volonté, non pas de cacher, mais je crois, de garder une réserve, d’avoir un sens du secret parce qu’ils avaient été marqués par cet épisode où ils avaient dû faire des faux papiers, trouver une famille d’accueil… trouver aussi beaucoup de générosité, en même temps que d’autres avaient fait face à l’horreur de la dénonciation puis de cette déportation…

Q – Avec quand même, quelque part, d’après ce que je comprends, une transmission familiale.

R – Oui.

Q – Transmission familiale autour de la vigilance, autour de la déportation.

R – Oui, parce que tout de suite, très vite, je ne me souviens plus quand, mais j’ai toujours su cette histoire, de venir d’une famille juive qui ensuite, n’était plus pratiquante. Pour moi, cela voulait dire d’abord l’histoire, parce que je n’avais pas une éducation ni religieuse, ni même culturelle, si je puis dire, de cette famille, de cette histoire dont je connais peu de choses encore aujourd’hui. Mais une forme de leçon que ma grand-mère notamment – qui par ailleurs vivait dans mon immeuble, donc que je voyais beaucoup – me transmettait. Ce n’était pas une sorte de leçon professorale, comme on dit à un enfant, fais attention ! Elle n’avait pas besoin de le dire. Elle disait ce qui s’était passé, qui me paraissait à la fois une évidence, parce qu’elle me l’a dit tout petit.

Q – Elle vous disait quoi. Comment elle vous le disait ?

R – Comme quelqu’un… comme cela, comme un récit, simple…

Q – Elle portait une plaie en elle ?

R – Sûrement, mais elle ne se plaignait jamais. Il n’y avait ni rancoeur personnelle, ni aucune – cela, je ne l’ai jamais ressenti – ni aucune rancoeur vis-à-vis de la France, de la République ; au contraire, une immense reconnaissance. Jamais, ils n’ont pensé quitter le pays, ou lui en vouloir, même s’ils savaient ce qui s’était passé, ce que leurs proches, en France, à Marseille, avaient fait.

Q – Alors l’histoire de votre famille, c’est l’histoire aussi de l’intégration, quelque part ?

R – Complètement d’ailleurs, des deux côtés.

Q – D’une intégration.

R – D’une intégration de ces migrants, comme on dit aujourd’hui – je n’aime pas ce terme, parce que cela donne une impression administrative – qui ont trouvé, encore une fois, cette chaleur et cet accueil. Avec les errements et aussi les comportements affreux de certains. Ils ont connu cela dans ces périodes-là, comme on voit le pire et le meilleur de l’humanité. Puis de l’autre côté, d’ailleurs, du côté de mon père, c’est une histoire républicaine aussi, parce que c’est une histoire d’agriculteurs devenant instituteurs, devenant pharmaciens, devenant professeurs…

Q – La méritocratie républicaine.

R – Oui, j’en ai une – et j’ai grandi là-dedans d’ailleurs – une immense reconnaissance à l’égard de l’école, en particulier, de l’Etat, si je puis dire. J’aime ce mot, sans avoir de naïveté sur le fait que cela ne se passe pas comme cela pour tout le monde, bien sûr. Mais je crois que ces histoires, parfois c’est dans sa famille, parfois c’est chez un voisin, dans un livre, on en a besoin parce que cela nous montre que ce n’est pas systématique, mais que cet espoir est possible et qu’il y a peu d’endroits au monde où il a été possible et où il l’est encore.

Q – C’est que quelque part, le modèle français ?

R – Oui, c’est le modèle français dont je connais… Le défendre, ce n’est pas nier ses failles. Ce n’est pas nier ses dysfonctionnements, au contraire. C’est avoir un attachement si profond qu’on doit essayer de le réparer, de le défendre parce que nous l’avons vu au moment de, encore, l’assassinat du professeur Samuel Paty, des attaques contre la laïcité. On doit l’expliquer, le défendre. Moi, s’il y a une chose pour laquelle je me battrai, c’est cette exigence de la République et cette liberté qu’elle nous offre.

Q – Alors vous êtes, quelque part, Clément Beaune, un symbole de la méritocratie républicaine. Vous avez fait Sciences Po, le Collège d’Europe de Bruges en Belgique, puis l’ENA, promotion Willy Brandt. Est-ce que le problème de la France, l’un de ses problèmes aujourd’hui, c’est que l’on déteste ses élites et que l’on ne respecte plus les élites, et notamment les enseignants ?

R – Cela existe. Oui, mais c’est un symptôme.

Q – Un symptôme de quoi ?

R – Un symptôme d’une société qui n’a pas su assez – je pense que justement, on a considéré que c’était des notions désuètes, l’école, la République, la devise, le drapeau. Moi, je suis, par mes fonctions et par mon engagement, un européen convaincu, précisément parce que j’aime la France et je pense que c’est une chance pour nous. Cela n’enlève pas un gramme de mon attachement viscéral à cette identité, à ces symboles, à ces lieux de mémoire, comme on les dit au sens de Pierre Nora. Et je crois qu’on ne les a pas assez défendus. Ce sont des petits renoncements, des petites lâchetés, dans la vie quotidienne, dans la relation entre les hommes et les femmes, dans la tolérance, dans le rapport à l’autorité, aux professeurs en particulier _ oui… Donc oui, cela existe. Je ne veux pas jouer – mon jeune âge encore ne me le permet pas – au vieux con, si je puis dire, mais c’est de tout âge de défendre cette idée. Encore une fois, cela passe d’abord par l’école _ oui, et c’est crucial…

Q – Cela passe d’abord par l’école. Mais alors, est-ce que quelque part, les intellectuels jouent encore leur rôle, on va dire, de lanceurs d’alerte, peut-être aussi de transmetteurs des valeurs républicaines ?

R – Pas assez ; pas assez, je crois. Quand vous avez eu d’ailleurs ces violences, ces débats, après l’affaire Samuel Paty, ce drame qui nous a beaucoup marqué, très peu ont relancé des débats intellectuels sur la laïcité, ont défendu l’Etat, ont défendu l’école. Heureusement, quelques voix. Parfois, elles sont décriées, elles sont vues comme presque conservatrices. Quand Caroline Fourest fait son travail, que je considère remarquable, de défense de la laïcité, de l’égalité entre les hommes et les femmes, qui en fait partie, elle fait une oeuvre utile, mais elle est menacée. Elle est attaquée. Je prends cet exemple mais on peut en trouver quelques autres, et heureusement. Est-ce qu’elle est aujourd’hui vue comme une figure du débat intellectuel soutenue par tous ? Non. Et je ne dis pas que cela a été mieux dans d’autres périodes. Dans les années 80, on voyait des manifestations sous les fenêtres de Robert Badinter. Ma grand-mère me disait d’ailleurs, elle-même, dans les années 60-70…

Q – Votre grand-mère, Rose ?

R – Rose, oui, dont on a parlé tout à l’heure. Elle me disait qu’elle avait été une fois dans un taxi, où le chauffeur de taxi lui avait dit, je ne sais pas comment, mais peu importe, « les juifs, je les sens à deux kilomètres« . Elle est sortie. Donc, je veux dire, n’idéalisons pas.

Q – C’est comme le  » vieil homme et l’enfant « …

R – On a été sans doute un peu trop faible.

Q – Par rapport à la défense de la laïcité ?

R – Oui, on le sait. Le drame des démocraties, c’est d’arriver à être libre sans être faible. Leur immense avantage, mais leur fragilité, c’est ça.

Q – Alors, justement dans l’actualité, il y a un fait qui a un certain lien avec ce que vous dites. Le maire d’Ollioules dans le Var, a voulu rendre hommage au professeur Samuel Paty, décapité le 16 octobre dernier par un terroriste islamiste. Il a voulu lui rendre hommage en donnant son nom au collège de sa commune. Mais voilà, le maire a dû renoncer à ce projet. Pourquoi ? Parce qu’une partie non négligeable des professeurs, dont la responsable du CNES _ ou plutôt SNES ? _, Sandrine Olivier, et je cite son nom parce qu’il faut le citer, une partie aussi des parents d’élèves, ont refusé que cet hommage soit rendu à Samuel Paty à travers le fait que l’on donne son nom au collège. Pourquoi ? Parce que cette responsable du CNES a dit, je la cite « On ne veut pas que notre collège devienne une cible« . On ne veut pas devenir une cible. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

R – Il ne faut jamais renoncer. Après je ne veux pas personnaliser. Ce que je peux comprendre quand on est parent, quand on est professeur, c’est pour sa sécurité. Pour moi, c’est plus facile de vous le dire ici, pas de lâcheté. Mais je le pense profondément, on ne doit rien céder, même quand c’est dur. Mais la responsabilité des autorités républicaines, dans l’Education nationale, ailleurs, c’est de protéger aussi. Parce que sinon, on demandera à chacun de faire cet arbitrage. Il faut ce courage. Quand je parlais de petits renoncements… chacun, on a été menacé, et je ne donne aucune leçon parce que je n’ai jamais été une victime de quoi que ce soit, de très peu de choses. Donc, quand un professeur est menacé, je comprends qu’il ait peur dans sa chair.

Q – Je vais vous poser la question simplement, brutalement. Est-ce que quelque part, ce n’est pas de la lâcheté ?

R – Encore une fois, je ne veux pas que l’on renonce s’il y a un projet de cette nature à Ollioules, ou ailleurs. Il faut revenir, cela se posera ailleurs, il faut le défendre. Il ne faut jamais céder. Mais il faut que l’on se donne les moyens de protéger. Parce que si un professeur, on ne peut que le déplorer, est menacé parce qu’il défend, parce qu’il enseigne sur la Shoah, parce qu’il défend la liberté d’expression, et heureusement il doit le faire, il ne doit jamais arrêter de le faire, jamais, malgré les menaces. Mais il faut aussi qu’on le protège de ces menaces. Ça, c’est de la responsabilité de l’Etat. C’est la responsabilité de l’Education nationale, de la police nationale. On le fait d’ailleurs. Mais il faut qu’on le fasse encore davantage, sinon on n’est pas honnête, quand on est responsable politique et que l’on appelle à ce courage _ voilà. Mais oui, bien sûr, c’est mon obsession. Tous les jours, on peut, chacun d’entre nous, vous, moi, être complices, d’un esprit de Munich _ oui. Qu’est-ce que c’est ? C’est le renoncement facile.

Q – C’est le cas ?

R – Oui et je veux aller au-delà. Ce que vous me décrivez le montre. Il est partout dans notre société. Il menace chacun d’entre nous.

Q – Il est où par exemple ?

R – Quand vous assistez, j’imagine qu’on l’a tous vécu, à une insulte homophobe, antisémite, raciste, c’est la même chose à la fin. En se taisant, en ne dénonçant pas, où pour des drames, on a vécu des affaires ces dernières semaines, sexuelles ou autres, quand on ne dit pas, on est complice. Tous les jours, nous sommes confrontés, chacun d’entre nous, à plus ou moins grande échelle, à ce choix, entre dire et prendre un risque, ou ne pas dire, et préparer nos sociétés à cet esprit de renoncement.

Q – Alors, une question personnelle, c’est pour cela que vous avez dit, que vous avez fait votre outing quelque part, et expliqué dans le magazine Têtu, en décembre 2020, que vous étiez homosexuel ?

R – Oui, d’abord, je ne cherche pas à donner une grande leçon d’histoire avec moi-même, cela serait ridicule. Mais oui, il y a un peu de cela, parce que je l’ai fait à l’occasion, et cela compte parce que je ne l’aurais pas fait autrement, je crois, d’une interview sur le respect des droits et la défense des droits LGBT en Pologne et en Hongrie. J’ai hésité et je l’ai fait, d’abord parce que cela se dit, encore aujourd’hui, on le dit, chacun a son histoire personnelle, à sa famille, à ses amis, à ses proches.

Q – Il y en a beaucoup qui le cachent.

R – Oui, mais justement, je ne prétends pas être un modèle ou un porte-parole. Ce n’est ni mon rôle ni mon tempérament _ de timide _, ce serait une forme d’arrogance _ et Clément Beaune est aux antipodes de l’arrogance, lui. Mais il y en a effectivement qui ne peuvent pas le dire en France, encore aujourd’hui.

Q – Y compris au sein de leur famille.

R – Bien sûr, y compris au sein de leur famille. J’ai vu tellement de familles où l’on pensait que c’était facile, que les choses étaient apaisées, que la famille était progressiste, ouverte ; des amis qui l’ont dit et des réactions ont parfois été violentes, dures. Moi, je vis à Paris, j’ai grandi à Paris, c’est globalement, parce qu’il n’y a pas de règle absolue, plus facile. Je n’ai pas eu de problème, très peu ; mais je sais, par des amis, par des récits, par des associations, par ce que l’on voit, malheureusement…

Q – Ce que l’on voit à Paris et beaucoup aussi dans les banlieues.

R – Pas que dans les banlieues. Cela peut être difficile. Donc, j’aurais trouvé cela étrange, finalement, de me donner à moi-même le sentiment que je cachais quelque chose, et je préfère dire les choses plutôt que subir des rumeurs, des on-dit _ voilà. J’y suis attaché, cela fait partie de mon histoire personnelle, justement, souvent c’est plus facile de dire que de ne pas dire, donc il faut parfois aussi prendre sur soi pour verbaliser ; cela fait partie de ce combat _ oui.

Q – Parce que quelque part aussi, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, ont en commun le rejet de l’autre.

R – Oui. Et si l’on fait notre examen de conscience, nous avons tous une forme d’intolérance. Au fond de nous. C’est un travail de surmonter cette intolérance _ certes. Et si chacun, à partir de son expérience personnelle, parce que l’on a une famille qui a connu la déportation, parce que l’on a soi-même une orientation sexuelle qui fait l’objet encore aujourd’hui, pas forcément pour soi mais en général, de discrimination. Je ne me pose en rien en victime ; ce serait indécent puisque je ne le suis pas. Par exemple, l’histoire de ma famille que l’on a retracée rapidement, cette déportation, ne me donne aucun droit. Elle me donne une responsabilité _ voilà _ de parler.

Q – Est-ce que quelque part, vous avez ressenti de l’antisémitisme ou de l’homophobie ?

R – Peu. Une fois.

Q – C’est-à-dire ?

R – A Paris. Une tentative, heureusement, d’agression physique, homophobe. Mais je l’ai très peu vu. A l’échelle de ce que vivent beaucoup de gens, ce n’est rien. Mais d’abord, j’ai été confronté malgré tout à une haine que je ne comprenais pas.

Q – Vous aviez quel âge ?

R – J’étais étudiant. J’avais 23 ou 24 ans, je n’étais pas tout jeune. Je savais ce que c’était. Ce n’est pas pareil de le vivre, même s’il ne m’est rien arrivé, à la fin. J’étais protégé, j’ai pu échapper. Mais je pense que, d’une certaine façon, c’est une leçon et que l’on doit essayer de partir de cette petite difficulté, douleur, ou expérience personnelle, pour en faire un combat. Chacun le vit à sa façon, par un engagement associatif, par un engagement public, par un témoignage, mais cela ne nous donne pas de droits. Cela nous donne une responsabilité quand on a, dans son histoire personnelle, familiale, vécu une douleur ou un drame. Il faut le transformer _ voilà.

Q – Alors, on poursuit sur votre parcours. Il y a eu l’ENA. Ensuite, on passe les années. 2012, c’est la rencontre avec Jean-Marc Ayrault. Cela a compté ces années à Matignon ?

R – Oui, j’ai effectivement, comme beaucoup, et d’assez loin, participé à la campagne présidentielle de 2012, pour François Hollande, à l’époque. Et j’ai rejoint le cabinet de Jean-Marc Ayrault qui était Premier ministre, que je ne connaissais pas et qui m’a fait confiance. Oui, d’abord il a aussi renforcé ma conscience et mon engagement européen, qui était chez lui sans doute viscéralement enraciné, et une certaine éthique du sérieux, de la sobriété _ voilà. Je sais qu’on le lui a reproché. Moi, je considère qu’il m’a donné une leçon à cet égard. Et puis, à titre personnel, c’était une première expérience politique, au sens large. Je n’étais pas en première ligne, j’étais conseiller de. Mais la confrontation au pouvoir, à sa dureté, à ses coûts, à ces décisions, à la difficulté de ces décisions, c’était l’expérience probablement la plus formatrice.

Q – Et alors, 2014, c’est votre arrivée à Bercy auprès d’Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l’économie, avant de rejoindre avec lui, auprès de lui, l’Elysée, en 2017. Est-ce que vous pressentiez, en 2014, ou éventuellement un peu après, qu’Emmanuel Macron, pourrait, pouvait, devenir un jour Président de République ? Ou en tout cas qu’il ait cette ambition ?

R – Non, je ne le savais pas. Je ne m’étais pas posé la question, pour tout vous dire. Je l’avais connu rapidement quand il était conseiller de François Hollande. Je travaillais pour Jean-Marc Ayrault, on se croisait de temps en temps. Et puis, il a été nommé ministre, ce qui pour moi était inattendu, et il m’a proposé, ce qui était tout aussi inattendu, de le rejoindre. J’étais heureux de pouvoir, justement, assister, et c’est cela que j’avais en tête, à une sorte de rafraîchissement. Un jeune, en politique, qui voulait s’engager, dont je connaissais l’esprit d’innovation, d’optimisme, qui m’avait toujours marqué, et je me disais que c’était une aventure à vivre, mais je ne savais pas où elle mènerait.

Q – Elle vous a mené à l’Elysée. Ensuite ministre, secrétaire d’Etat aux affaires européennes. La crise sanitaire, Clément Beaune, elle bouleverse tout, aujourd’hui ?

R – Oui, elle bouleverse nos vies, d’abord. C’est une des rares crises, pour plusieurs générations qui la vivent en ce moment, qui touche tout le monde ; dans le monde entier d’abord, en Europe, de la même façon, à peu près partout, et violemment. Et en France, dans nos villes, tout le monde aura fait l’expérience de la Covid. J’allais dire, malheureusement, tout le monde n’est pas égal, par sa santé, son logement, ses revenus, etc. face à la Covid. Mais tout le monde aura vécu cette expérience un peu surréaliste d’être entravé, d’être inquiété. Une espèce de menace invisible, mais dont on connaît la présence, dont nous voyons, chacun dans notre entourage, qu’elle peut toucher, frapper, et elle emporte évidemment, dans ce moment, à peu près tout, même si je crois que chacun d’entre nous a une forme de résilience _ voilà _ et de résistance personnelle qui fait que l’on a envie, toujours, de se projeter sur autre chose, de faire autre chose. Donc, on est dans cette espèce de tension où la Covid est là, on le sait et en même temps, on ne veut pas se laisser enfermer, pas au sens des restrictions, mais enfermé au sens de nos occupations, de notre esprit qui serait trop habité par cette épidémie.

Q – Alors, le coronavirus est venu de Chine il y a un petit peu plus d’un an. La question que nous pouvons nous poser, qui est peu posée d’ailleurs, est-ce que la Chine doit contribuer, entre guillemets, à la réparation des dégâts qu’elle a fait subir à l’économie mondiale ? Parce que si l’on en est là aujourd’hui, c’est tout de même à cause de ce qui s’est passé en Chine.

R – Alors, pour qu’il y ait réparation, il faut qu’il y ait responsabilité. Ce qu’on demande aujourd’hui, par l’Organisation mondiale de la santé en particulier, c’est qu’il y ait de la transparence. La première responsabilité des Chinois, c’est que l’on puisse reconstituer exactement ce qui s’est passé.

Q – D’ailleurs pour éviter que d’autres pandémies puissent voir le jour.

R – Ce qui m’inquiète plus, pour être tout à fait franc, puisque l’on parle de la Chine, c’est la dépendance supplémentaire que cette pandémie aura créée à l’égard de la Chine. On va regarder ces responsabilités et il faudra sans doute réformer l’Organisation mondiale de la santé. La Chine a une stratégie habile que l’on a parfois trop laissé faire, d’influence dans ses grandes organisations, pas que l’OMS. Plus généralement, de dépendance du reste du monde, vis-à-vis d’elle.

Q – Notamment en matière de médicaments ?

R – Les masques, les médicaments, la production industrielle.

Q – Electronique ?

R – Bien sûr. Je crois que le logiciel des Européens, pas que des Français, qui sans doute était, sur ce point, en avance, s’est retourné. Il y a l’idée d’une naïveté, d’une dépendance, finalement anodine, qui est passé. Mais la pandémie va accélérer…

Q – Donc, cela veut dire que rien ne sera plus comme avant ?

R – Je me méfie toujours de cela, mais je crois que non. Il faut, dans toute crise, on l’a vu sur l’Europe, chercher le renforcement. Il faut chercher les leçons. Je pense que les gens auront une aspiration à autre chose et une mémoire aussi, effectivement, de chocs que l’on a vécus, quand on a découvert que l’on produisait des deux tiers aux trois quarts des médicaments de base, en dehors de l’Europe. Aussi, nous l’avons heureusement rattrapé, et on a réussi déjà à tirer des leçons en produisant des masques, mais au début, on ne savait pas le faire. On avait laissé passer des grandes technologies, partir _ voilà. Des choses extrêmement élémentaires, qui devenaient souveraines tout à coup, qui devenaient essentielles. Je pense que c’est un autre rapport au commerce _ à méditer _, un autre rapport à l’échange, un autre rapport à la dépendance mondiale.

Q – Quand vous voyez, Clément Beaune, ce qui se passe autour de nous, vous êtes secrétaire d’Etat aux affaires européennes, donc ce qu’il se passe dans les autres pays, notamment européens, cela se passe aussi ailleurs, est-ce que vous êtes inquiet pour l’avenir de la France ? C’est-à-dire lorsque l’on voit toutes ces manifestations, ces demandes de faire en sorte que l’on fasse comme s’il ne se passait rien ?

R – Sur le confinement, sur les restrictions ?

Q – Sur les restrictions, oui.

R – Ce qu’on voit ailleurs en Europe. J’ai vu, nous l’avons vu, ce qu’il s’est passé par exemple aux Pays-Bas, où c’était une réaction au couvre-feu. La vérité, c’est que nous ne savons pas, jamais, comment les choses vont réagir.

Q – Il y a des manifestations violentes dans un certain nombre de pays.

R – La France d’ailleurs, n’a pas manifesté cela. Je pense que c’est parce que, contrairement aux clichés que l’on véhicule parfois, nous sommes responsables, plus qu’on ne le dit. On a un attachement, même si l’on râle, même si l’on critique, même si on invective, on a un attachement à l’autorité publique et à l’espace commun. Pas toujours ; on a vu des émeutes, des manifestations violentes, encore récemment. Mais je crois qu’il y a un sens du collectif dans ces moments-là ; ce, à quoi il faut faire plus attention, ce sont les effets de long terme. Une espèce de déprime ou de décrochage _ oui… _, à l’école, dans la santé mentale, que cette crise pourrait entraîner. C’est ça qui aujourd’hui nous anime pour essayer de trouver le bon équilibre. L’école en particulier, on y revient _ et c’est très urgent ! C’est tellement important. Nous nous sommes battus et d’ailleurs, je le rappelle là-dessus, parce qu’on fait beaucoup de comparaisons, on est le pays qui, au jour où nous parlons, a été le plus ouvert d’Europe. Ce que je veux dire, c’est que les écoles sont restées, bien que malheureusement fermées au début pendant le premier confinement au printemps 2020, mais nous les avons rouvertes plus tôt et ne les avons pas refermées par rapport aux autres. Il y a des situations très douloureuses à l’université, par exemple. Pour l’enseignement, les transmissions, on cherche des solutions. Parce que nous voyons bien que décrocher du groupe, de la vie collective, de l’apprentissage au sens large du terme, de l’éducation, c’est un drame personnel et cela peut être un drame pour une génération _ oui. C’est cela qu’il faut éviter aujourd’hui, bien plus que, bien sûr, ça compte, plus que des mouvements de court terme.

Q – En tant que secrétaire d’Etat aux affaires européennes, vous êtes aussi concerné par ce qu’il se passe au niveau des vaccins, au niveau de la stratégie vaccinale, aussi bien française qu’européenne. On ne comprend pas très bien ce qu’il se passe avec les laboratoires pharmaceutiques produisant des vaccins. D’abord, est-ce que Pfizer a une juste interprétation du contrat signé avec l’Europe en livrant 20% de flacons en moins, en partant du fait qu’un flacon contient six doses et non pas cinq ?

R – Alors là, il y a beaucoup de questions différentes. Ce que vous dites sur les doses, il n’y a pas de réduction des livraisons à ce titre, il y a un débat qui est un débat d’abord scientifique, pour savoir, sans être trop technique, si chaque flacon peut donner lieu à cinq doses ou à six doses.

Q – A priori, Pfizer dit : c’est six doses.

R – Non, ce n’est pas Pfizer qui le dit. C’est nous qui avons demandé aux autorités sanitaires et elles nous ont dit que l’on pouvait, oui, prélever une sixième dose.

Q – Et Olivier Véran dit : c’est cinq, 5,99…

R – Dans tous les cas, pour faire clair et simple, dans tous les cas où l’on peut prélever six doses, on le fait aujourd’hui et de plus en plus, nous sommes capables techniquement de le faire. Ensuite, il y a des contrats que l’on a signés, par dose, avec un prix fixé. Et si un flacon donné peut donner lieu à plus de doses, c’est en soi une bonne nouvelle parce que cela veut dire qu’à production donnée, on peut vacciner plus de gens. Donc, cela ne doit pas être une excuse pour faire moins, ou pour livrer plus tard. Avec Pfizer, d’ailleurs, il faut quand même souligner les choses quand elles sont positives, d’abord, le vaccin a été rapide, on a recommandé 300 millions de doses au niveau européen et nous avons évité que le retard, qui était annoncé, perdure. Il a été limité à une semaine et maintenant, on reprend la cadence et l’on accélère.

Q – Avec des commandes supplémentaires.

R – Il y a un sujet qui est en train d’être clarifié, pour un laboratoire qui est AstraZeneca,

Q – Justement, il y a un mystère autour d’AstraZeneca qui ne livrera que 4,6 millions de doses à la France, de son vaccin contre la COVID, d’ici à la fin du mois de mars, soit la moitié de ce qui était attendu. Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu’il y a une logique là-dedans ? Ou est-ce qu’il y a un gros problème ?

R – C’est cela, c’est un problème en soi, mais c’est cela que l’on essaie de déterminer, avec la ministre de l’industrie, Mme Agnès Pannier-Runacher : savoir ce qu’il se passe. S’il y a un problème industriel, ce n’est pas une bonne nouvelle, mais cela peut arriver. Et regardons tout de même, même si nous sommes tous, on en a marre et que l’on veut se faire vacciner vite, on veut sortir de tout cela. Le vaccin est l’espoir, et tant mieux ; mais on l’a développé en moins d’un an ; il est produit plus vite que l’on ne le prévoyait, il y a encore quelques semaines ; donc, s’il y a un problème, un pépin industriel, si je puis dire, il faut le savoir, cela peut arriver. On comprendrait.

Q – Vous y croyez, à ce pépin industriel ?

R – Si c’est un pépin industriel qui donne lieu à une réduction de livraisons pour l’Europe et pas pour les autres, ça, c’est un problème. Parce qu’il n’y a pas de raison. Je pense aux Britanniques.

Q – Quand vous dites « pas pour les autres« , ce sont les Britanniques. Avec cette déclaration de Michael Gove, c’est le ministre d’Etat de Boris Johnson, qui dit : il est hors de question de livrer aux Européens les vaccins des usines AstraZeneca situées en territoire britannique ; en clair, le mystère d’AstraZeneca ressemble quelque part à une entourloupe britannique, non ?

R – Alors, je ne veux pas être dans le soupçon, dans le complot…

Q – C’est une question que je vous pose.

R – Non, mais je vous le dis, il faut de la clarté et la transparence. En ce moment même où nous parlons, il y a une enquête qui est en train d’être finalisée, pour voir précisément ce qui a été livré en Europe et au Royaume-Uni, à partir des usines qui produisent en Europe. Et nous avons, ce vendredi…

Q – Donc, notamment en Belgique.

R – Exactement, nous avons, ce vendredi, au niveau européen, mis en place une autorisation d’exportation, concrètement, toute dose de vaccin qui doit quitter le territoire européen doit faire l’objet d’une autorisation parce qu’elle est produite sur notre sol, quelle que soit la nationalité du laboratoire, pour vérifier que, – il peut y avoir des livraisons ailleurs, dès lors que nos contrats sont respectés -, mais on respecte d’abord nos contrats. Donc, c’est cela que l’on vérifie. Il peut y avoir un problème industriel. S’il y a eu une préférence qui a été donnée aux Britanniques par rapport à nous, là, c’est un problème, je ne le sais pas.

Q – Et vous y croyez, vous, vous, c’est quoi la thèse qui est la vôtre ?

R – Je ne sais pas. Moi, je ne veux pas avoir de thèse par avance. Il faut les étayer scientifiquement ; ce sont des accusations graves, donc, cela ne se fait pas à la légère. Il faut de la clarté _ certes. Le seul moyen de savoir ce qu’il s’est passé, c’est que cela soit transparent, que l’on retrace les livraisons. C’est ce que l’on est en train de faire et qu’ensuite, le laboratoire et la Commission européenne mettent sur la table ce qui se passe exactement ; ce qui est très important, parce que moi, j’insiste toujours sur l’Europe. Je défendrai bec et ongles ce cadre européen de l’achat des vaccins, parce qu’il est bon. Imaginons ce qui serait passé si aujourd’hui, chaque pays européen, la France, l’Allemagne et les autres, étaient en train de négocier et de passer ces coups de fil pour les doses, on ne gagnerait pas forcément à cette compétition. Ce serait la guerre en Europe et peut-être même littéralement.

Q – Et la guerre, peut-être, à l’intérieur du pays, parce qu’il y a un certain nombre peut-être de régions, de municipalités…

R – Quand les régions nous disent : moi, je veux aller négocier dans mon coin. Il faut savoir ce que cela veut dire.

Q – Qu’est-ce que cela veut dire ?

R – Cela veut dire que potentiellement, vous auriez plus de doses en Île-de-France qu’en Auvergne, Rhône-Alpes, plus de doses dans le Grand Est qu’en Nouvelle-Aquitaine. Moi, ce n’est pas de ce pays-là que je veux. Et je ne veux pas de cela pour l’Europe, parce que c’est une question d’éthique, mais c’est une question même d’intérêt. Imaginez ce qu’il se passe si la France est bien vaccinée, et pas l’Allemagne, ou vice versa. On réimporterait immédiatement le virus parce que l’on peut se barricader, il y a tout de même des mouvements inévitables. Donc, c’est une folie de croire que l’on s’en sortirait mieux si l’on se divisait _ certes. En revanche, moi, je crois à une Europe qui défend ses intérêts. Et s’il y a problème, – je ne dis pas qu’il y a problème -, mais s’il y a un problème, et que l’on a privilégié d’autres destinations d’autres pays, par exemple le Royaume-Uni, plutôt que nous, là, nous défendrons nos intérêts.

Q – De quelle manière ? Par des mesures de rétorsion ?

R – En faisant respecter nos contrats. Des contrats, ce ne sont pas des engagements moraux, ce sont des engagements juridiques _ oui. Tout contrat peut être sanctionné par des pénalités, des sanctions…

Q – Par le non-paiement de ce qui est dû à AstraZeneca, par exemple ?

R – Oui, ou la non-commande de doses supplémentaires ou des pénalités. Tout cela est prévu par les contrats et c’est normal, dans un cadre juridique. Mais je ne dis pas qu’il faut en arriver là, je dis d’abord qu’il faut faire la clarté. Et moi, je ne veux pas une Europe qui cache les choses ou qui ne défend pas ses intérêts. Et je crois que ce qu’a fait la Commission, cette semaine, à notre initiative notamment, faire la transparence, hausser le ton, c’était ce qu’il fallait faire.

Q – Boris Johnson peut-il jouer un mauvais coup à l’Europe et à la France ou pas ?

R – Je ne le sais pas. Encore une fois, je ne veux pas faire de mauvais procès.

Q – Est-ce que c’est une hypothèse que vous pouvez avoir en tête ? Est-ce que cela peut être une conséquence du Brexit, d’ailleurs ?

R – Non, alors, non, ce n’est pas une conséquence du Brexit, parce que ce que fait le Royaume-Uni, un pays européen, s’il le souhaitait, pourrait sortir du cadre et le faire. Ce qu’a fait le Royaume-Uni, concrètement, c’est souvent d’accélérer les procédures, en prenant, c’est un fait, plus de risques dans les campagnes de vaccination ; aussi, avec une situation sanitaire qui est douloureuse et qui est difficile, donc, on peut le comprendre, mais qui n’est pas la situation de la France et de l’Union européenne. Il faut regarder les choses que l’on compare. Quand on compare, on dit « en Israël, cela va beaucoup plus vite« . C’est vrai, mais il y a un accord pour transférer des données médicales au laboratoire Pfizer. Je ne crois pas que ce soit le modèle que les Européens veuillent. Au Royaume-Uni, il y a eu une prise de risque ; je ne dis pas « n’importe quoi« , mais « une prise de risque« , qui a été faite sur l’espacement entre les injections de doses, sur l’utilisation de tel ou tel vaccin sur les populations, sans tenir compte de restrictions scientifiques, etc. Et donc, les Européens, je crois, n’accepteraient pas, à juste titre sans doute, cette prise de risque avec leur santé. Donc, je crois que ce qui apparaît parfois, qu’il y ait des lenteurs que l’on puisse surmonter, c’est un fait, faisons-le, très bien. S’il y a des lenteurs qui sont liées à de la prudence et de la recommandation scientifique nécessaire, là, je crois qu’il faut la respecter et que c’est aussi notre modèle, malgré tout.

Q – Dernière question sur ce sujet : ces retards de livraison de Pfizer, d’AstraZeneca, de Moderna, est-ce qu’ils remettent en cause l’objectif du gouvernement qui était de vacciner, et qui est de vacciner tous les Français d’ici à la fin de l’été ?

R – Non. L’objectif que nous avions annoncé, c’est de faire le maximum d’ici à la fin de l’été _ voilà. Et Olivier Véran, Agnès Pannier-Runacher l’ont rappelé, cette semaine : quinze millions de personnes vulnérables, à l’horizon du mois de juin. Cela reste notre objectif.

Q – On assiste, autre sujet, Clément Beaune, depuis 2017, à une recrudescence de discours de haine, de l’omniprésence de la violence dans la rue, et même au sein du débat politique, une remise en cause, aussi, des décisions démocratiques, y compris à une « dé-légitimation » de l’élection du Président de la République et des députés. Est-ce que c’est compatible avec la démocratie, voire avec les valeurs de la République, et comment vous avez vécu cela de l’intérieur ?

R – Je pense qu’il faut toujours faire attention, moi, j’ai un immense respect pour les institutions et le vote. Et je crois qu’il ne faut pas considérer, que l’on a tendance à considérer que le vote, cela a été anecdotique. Quand on met un bulletin dans une urne, on choisit un maire, un député, un Président de la République, pour une durée de cinq, six ans. Cela nous engage. C’est un geste sérieux. Nous n’allons donc pas considérer qu’il y a mieux que cette légitimité de l’élection. Laquelle ? Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas avoir des moments de respiration, de participation démocratique.

Q – Ce n’est pas à la rue de décider.

R – Non, cela ne veut pas dire que quand il se passe quelque chose dans une société, quand il y a un mouvement, un mouvement social, on l’a vu au moment des gilets jaunes, il ne faut pas l’entendre parce que cela veut dire quelque chose ; mais il ne faut pas confondre une protestation, une colère sociale à laquelle je pense qu’il faut répondre en ouvrant la discussion, en prenant des mesures comme nous l’avons fait, et une sorte de légitimité parallèle, hors élections, parce que cela, je crois que c’est l’essence de la démocratie. On parlait de ne pas renoncer, de ne pas être lâche. Cela fait partie de la défense ferme de nos principes.

Q – Comment expliquez-vous cette haine contre Emmanuel Macron ?

R – Je ne sais pas si elle est spécifique. On a malheureusement, dans notre société, par le jeu des réseaux sociaux, de l’information permanente, du déversement continu, on a une société qui est plus haineuse qu’elle pouvait l’être, il y a quelques années. Et je crois que cela, il faut l’avoir toujours en tête, – cela peut paraître une banalité et tant mieux si cela l’est -, la violence verbale ne s’arrête jamais aux mots. D’abord, elle peut gravement blesser, mais ceux qui commencent anonymement à déverser des insultes, des mots d’une extrême gravité…

Q – Cela peut conduire à la violence.

R – Bien sûr, cela conduira toujours à la violence. On l’a vu d’ailleurs, aux Etats-Unis, récemment.

Q – Un sondage Harris Interactive publié, lundi, par L’Opinion, place Marine Le Pen devant Emmanuel Macron au premier tour, 26 à 27 pour Le Pen, 23 à 24 pour le président Macron et au coude à coude au second tour : 48% pour elle, contre 52 pour celui qui pourrait être, qui devrait être le président candidat. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Est-ce que, quelque part, il n’y a pas le feu au lac ?

R – Il ne faut pas, si je puis dire, se décider ou juger des choses en fonction d’une enquête d’opinion ou d’un sondage. Mais ce que cela veut dire, moi, je…

Q – Est-ce que cela veut dire que le pire est possible ?

R – Mais bien sûr.

Q – Et le pire, pour vous, c’est Marine Le Pen, présidente ?

R – Je pense que ce serait immensément grave, mais je ne suis pas un pessimiste. Mais il faut regarder l’histoire avec les yeux ouverts et le sens de ce qui s’est passé. Nous ne sommes jamais à l’abri. Ce n’est pas une garantie d’être dans un espace, une Europe apaisée, un pays démocratique, ce n’est pas une garantie que ce sera toujours le cas. Et au-delà de ces grandes bascules, je pense que croire que ce qui nous paraît être redoutable, dangereux, voire très dangereux, ne peut pas arriver, ne pas y croire, ça, c’est aussi un début de lâcheté et de renoncement. Il faut ne pas se résigner, il faut combattre, politiquement, démocratiquement en l’occurrence, mais ne jamais penser, – je ne crois jamais au retour de l’histoire -, que nous avons définitivement écarté les menaces.

Q – Pour vous, Marine Le Pen, présidente, c’est possible ?

R – Oui, c’est possible, si l’on ne se bat pas. Il faut se battre, toujours. Moi, je ne considère pas que personne n’a droit à, que personne n’a une garantie de, personne n’a une sécurité absolue, et croire, en politique, que ce que l’on pense impossible, impensable, n’arrive pas, nous l’avons vu ! Moi, vous le savez, j’étais en charge des questions européennes auprès d’Emmanuel Macron quand le Brexit est arrivé. Peu de gens croyaient que c’était possible ; eh bien, même chose, c’est arrivé. Donc, tout est possible, bien sûr. Toujours, tout est possible, tout est ouvert, mais le pire n’est jamais sûr et on peut l’éviter. Cela ne dépend que de nous.

Q – On se quitte sur cette phrase : « cela ne dépend que de nous« . Merci, Clément Beaune, d’avoir répondu à notre invitation. Bonne fin de journée sur Radio J et à dimanche prochain. Merci.

Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2021

 

Un entretien assez utile, me semble-t-il…

Ce lundi 19 juillet 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

La remarquable humanité profondément vraie du maire Bernard Mounier dans l’affaire de la tragédie des Plantiers (Gard)

15mai

Le traitement de l’affaire de la tragédie des Plantiers _ le meurtre de Luc Teissonnière et Vincent Guérin, puis la traque quatre jours durant de Valentin Marcone _ par les autorités locales,

soient

le maire de la commune des Plantiers, M. Bernard Mounier,

le procureur de la République de Nîmes, M. Eric Morel,

le général de Gendarmerie de la Région Provence-Alpes-Côtes d’Azur, M. Arnaud Browaeÿs,

la préfète du Gard, Mme Marie-Françoise Lecaillon,

a été tout particulièrement remarquable ; 

et tranche singulièrement _ au moins à mon regard _ avec bient des comportements politiciensd’un éhonté cynisme démagogique instrumentalisant _ auxquels nous ne sommes désormais hélas que trop bien habitués…

Pour ma part,

j’ai été très touché de l’humanité profonde et vraie _ telle que je l’ai ressentie _ de M. Morel, le procureur, et de M. Mounier, le maire,

tout spécialement,

et, bien entendu, chacun à sa place institutionnelle

_ mais transcendant aussi cette place institutionnelle et légale de tout le rayonnement de leur personne humaine…

De quoi ne pas désespérer de la fonction publique, au moins,

de notre présente République…

À mon jugement, 

le Procureur Morel a simplement été parfait ;

et le maire Mounier, admirable d’humanité profonde,

dans le moindre de ses mots et gestes : sobres, humbles, et surtout vrais.

Aussi ai-je désiré en apprendre un peu plus sur la personnalité et le parcours de vie de ce maire

de cette toute petite commune du Gard cévenol, qu’est le village des Plantiers _ dans le canton de Saint-André-de-Valborgne (Gard) _,

au flanc du Mont Aigoual, sur les confins des départements du Gard et de la Lozère

_ non loin du lieu où est décédée, au pied d’une falaise, côté Lozère, la fille de Bernadette Lafont, Pauline : les Lafont sont de Saint-André de Valborgne. Un haut pays de camisards et résistants.

Et là je suis tombé, sur le Net, sur le Discours de Réception à l’Académie de Nîmes, le 9 janvier 2004, de Bernard Mounier : admirable d’humanité déjà _ aux pages 10 à 32 de ce document accessible en entier : lisez-le !

Bernard Mounier est natif _ le 6 février 1955 _ de la ville minière de La Grand Combe, quelques kilomètres au nord d’Alès, dans le département du Gard.

Et c’est au cours de ses années d’études à la Faculté libre de Théologie protestante, à Aix-en-Provence _ en 1979, il y présente son mémoire sur la pensée de René Girard : « Réflexion sur la violence, et recherche sur le bouc-émissaire«  : tiens, tiens… _ qu’il fait la connaissance de celle qui devient, le 5 juin 1977, aux Plantiers (dans le Gard), son épouse : Sylvette Bonfils _ les Bonfils y disposent d’une résidence secondaire…

De 1977 à 1984,

Bernard Mounier est pasteur, dans les Cévennes, à Sainte-Croix-Vallée-française (Lozère),

à une vallée de distance de Saint-André-de-Valborgne (Gard).

Jusqu’à ce que Bernard Mounier estime qu' »il ne suffit plus d’être croyants,

mais qu’il faut aussi devenir crédibles,

et entrer dans un chemin de risque« …

C’est ainsi que le 12 juillet 1987, Bernard Mounier crée une société de production audio-visuelle : Acor Vidéo Télévision.

Il a en effet remarqué que dès 1929 _ cf la publication en 1928 de « Propaganda _ comment manipuler l’opinion en démocratie« , le maîtrelivre du marketing, d’Edward Bernays, le neveu (devenu américain) de Freud ; cf par exemple mon article du 25 janvier 2013 : _, a commencé l’ère du marketing,

pour lequel « il faut communiquer pour faire désirer et acheter« …

D’où sa volonté de s’engager, dès lors, dans la vie de la société telle qu’elle se transforme ;

et adopter les langages qui vont devenir dominants,

afin d’être un peu compris de ceux auxquels on veut s’adresser un peu plus efficacement…

Etc. Etc…

Et c’est ainsi que le 15 mars 2020

Bernard Mounier est élu au premier tour des élections municipales aux Plantiers,

dont il va devenir le nouveau maire,

succédant au maire précédent, Francis Maurin.

La fonction publique de notre république a donc encore quelques beaux restes, bien vivants

là même où « le désert gagne« …

Ce samedi 15 mai 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Aller écouter Michaël Foessel présenter son passionnant « Récidive 1938″ à la Station Ausone vendredi 24 mai prochain

21mai

En remerciement-hommage à Michaël Foessel,

philosophe

d’une singulière lucidité,

pour son passionnant Récidive 1938qui vient de paraître aux PUF
Récidive 1938 :
Tombé presque par hasard sur l’année 1938, un philosophe inquiet _ oui _ du présent est allé de surprise en surprise. Au-delà de ce qui est bien connu (les accords de Munich et la supposée « faiblesse des démocraties »), il a découvert des faits, mais aussi une langue, une logique et des obsessions étrangement parallèles _ voilà ! _ à ce que nous vivons aujourd’hui. L’abandon _ trahison _ de la politique du Front populaire, une demande insatiable d’autorité, les appels de plus en plus incantatoires _ c’est-à-dire de plus en plus éloignés des procédures d’une démocratie effective ! _ à la démocratie contre la montée des nationalismes, une immense fatigue _ hélas ! _ à l’égard du droit et de la justice : l’auteur a trouvé dans ce passé une image _ assurément  troublante _ de notre présent. Récidive ne raconte pas l’histoire de l’avant-guerre. Il n’entonne pas non plus le couplet attendu du « retour des années 30 ». Les événements ne se répètent pas _ non _, mais il arrive que la manière de les interpréter _ au présent de leur actualité _ traverse _ expression d’une assez parente contamination _ la différence des temps. En ce sens, les défaites anciennes de la démocratie _ soit l’abandon de ce qui allait bientôt mener à la supression, carrément, de la république à Bordeaux à la mi- juin 40, puis Vichy, au mois de juillet _ peuvent _ et devraient _ nous renseigner _ voilà ! _ sur les nôtres. Récidive est _ ainsi _ le récit d’un trouble _ quant au vécu (et au pensable : urgent !) de notre présent politique _ : pourquoi 1938 nous éclaire-t-elle tant sur le présent ?
et qu’il viendra présenter à la Station Ausone vendredi 24 mai prochain,
en un entretien _ qui promet assurément beaucoup ! _ avec l’excellent Nicolas Patin, historien,
voici, simplement, le courriel _ sans rien de personnel _ que je viens d’adresser au philosophe
dont j’apprécie depuis longtemps le travail.
Cf mes articles des 23 janvier 2011, 18 janvier 2011, 8 août 2011 et 22 avril 2010 ;
a aussi existé un podcast (de 65′) de sa présentation chez Mollat le 18 janvier 2011

Voici donc ce simple courriel à Michaël Foessel :

Achevant à l’instant ma lecture de Récidive 1938,

je tiens à vous dire, cher Michaël, ma vive admiration
pour la pertinence féconde de ce très riche travail
historico-philosophique.
Sa méthode : l’imprégnation méthodique de courants dominants de l’esprit d’une époque (1938) via la lecture la plus large de la presse, c’est-à-dire ses divers journaux
_ avec aussi la notation hyper-lucide de la cécité de cette presse à certains événements : trop latéraux à leurs (étroites et répétitives) focalisations intéressées ! _ ;
plus le rappel _ issu de votre culture philosophique _, de quelques vues singulières de penseurs particulièrement lucides : Bernanos, Mounier, Pierre Klossowski ;
et Hannah Arendt, Walter Lippmann _ le créateur du concept de néo-libéralisme _, Marc Bloch ;
Maurice Merleau-Ponty aussi.
Sans compter votre analyse de L’Enfance d’un chef, de Sartre.
Mais aussi l’éclairage que vous y cherchez _ et trouvez ! (cf votre très fécond Epilogue) _ pour l’intelligence (urgentissime !) de notre préoccupant présent,
face au massif rouleau compresseur de la propagande des pouvoirs _ politiques, médiatiques, etc. _ assénant, avec le plus éhonté cynisme (très a-démocratique, lui aussi), 
la pseudo-évidence _ confortée par l’élimination de vrais débats de fond _ de leur idéologie…
Et les chiens de garde veillent au grain…
Ce présent-ci, et comparé à celui de 1938, est assez effrayant !
même si l’à-venir demeure, bien sûr, ouvert…
Francis Lippa

 
Je viendrai vous écouter vendredi chez Mollat…
Nicolas Patin est lui aussi très bon !
P. s. :
avez-vous rencontré dans vos lectures sur l’année 1938 le nom du sénateur de la Gironde Georges Portmann,
bras droit de Pierre-Etienne Flandin,
et qui sera auprès de lui, à Vichy, en janvier-février 1941, son Secrétaire d’Etat à l’Information ?
Mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislawow, 1914 – Bordeaux, 2006),
fut l’assistant en ORL de Georges Portmann à la Fac de Médecine de Bordeaux en 1940-41-42 ;
et c’est Portmann _ bien informé _ qui a permis à mon père d’échapper à la Gestapo au début du mois de juin 1942
Cf l’article de mon blog le 12 novembre 2014 :
J’ai en effet travaillé
et sur les mouvements de Résistance, 
et sur les Collaborations…

De la latitude de faire comprendre la complexité de l’Histoire : l’éclairante conférence d’Emmanuelle Picard à propos de « La Fabrique scolaire de l’Histoire »

27mar

Jeudi soir dernier, 25 mars 2010, Emmanuelle Picard est venue présenter, dans les salons Albert-Mollat, le travail collectif qu’elle a co-dirigé, avec Laurence De Cock, et publié au sein de la collection « Passé & Présent » des Éditions Agone, et sous l’égide du « Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire« , intitulé La Fabrique scolaire de l’Histoire _ ouvrage sous-titréIllusions et désillusions du roman national.

L’enregistrement écoutable et podcastable de cette conférence, avec la participation d’Alexandre Lafon, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard-Palissy d’Agen et doctorant en Histoire, et Éric Bonhomme, professeur d’Histoire en Khâgne au Lycée Michel-Montaigne de Bordeaux et président de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie d’Aquitaine ; et modérée par Francis Lippa, philosophe, dure 67 minutes.

Emmanuelle Picard est chargée de recherche au Service d’Histoire de l’Éducation de l’Institut National de la Recherche Pédagogique, à l’École Normale Supérieure. Elle a participé tout récemment à un important travail collectif européen _ qu’elle a très opportunément cité, et auquel elle a renvoyé, au cours de sa conférence _ : Atlas of the Institutions of European Historiographies _ 1800 to the Présent, publié aux Éditions Palgrave MacMillan, à Londres, en 2009 ; une référence à prendre en note : afin d’en faire usage !

Avec une magnifique clarté, ampleur et profondeur de vue,

Emmanuelle Picard nous a présenté les tenants et les aboutissants de ce travail collectif de huit chercheurs

_ Marc Deleplace (Comment on enseigne la Révolution française _ Quelques questions à l’écriture scolaire de l’Histoire),

Benoît Falaize (Esquisse d’une théorie de l’enseignement des génocides à l’école),

Charles Heimberg (Constructions identitaires et apprentissage d’une pensée historique _ L’Histoire scolaire en Suisse romande et ailleurs),

Évelyne Héry (Le Temps dans l’enseignement de l’Histoire),

Françoise Lantheaume (Enseignement du fait colonial et politique de la reconnaissance),

Patricia Legris (Les Programmes d’Histoire dans l’enseignement scondaire),

André Loez (La Fabrique scolaire de la « culture de guerre »)

et Marie-Albane de Suremain (Entre clichés et Histoire des représentations : manuels scolaires et enseignement du fait colonial) _,

présenté par les deux co-directrices de l’ouvrage Laurence De Cock (Avant-Propos ; II Quelle place pour les acteurs historiques dans l’Histoire scolaire ? Des prescriptions officielles aux manuels ; III Entre devoir de mémoire et politique de la reconnaissance, le problème des questions sensibles dans l’école républicaines et IV Pour dépasser le roman national) et Emmanuelle Picard (I Programmes et prescriptions : le cadre réglementaire de la fabrique scolaire de l’Histoire ; II Quelle place pour les acteurs historiques dans l’Histoire scolaire ? Des prescriptions officielles aux manuels et IV Pour dépasser le roman national ),

et pourvu d’une préface de Suzanne Citron (Un Parcours singulier dans la fabrique scolaire).

J’en ai d’abord retenu l’importance de la latitude plus ou moins accordée _ en marges de temps données et en diversité d’intensité de pression de l’étendue des programmes et autorité des prescriptions imposées _ aux professeurs d’Histoire (aux divers échelons de l’institution scolaire, mais principalement, ici, aux lycées et collèges)

et cela en fonction de la qualité _ parfois menacée ! _ de leur propre formation _ passée, certes (au moment de leurs études et de la préparation des concours de recrutement), mais aussi continuée ! _ universitaire

afin de leur permettre,

pas seulement de faire connaître et d’expliquer _ plutôt que de faire croire ou de faire savoir, au sens de « communiquer«  seulement ; comme tend à y inciter une instrumentalisation pressée (et pas assez authentiquement démocratique ! cf par exemple le livre de Nicolas Offenstadt L’Histoire bling-bling _ le retour du roman national, aux Éditions Stock)… _,

mais bien de faire comprendre, et dans toute sa complexité _ du moins en la respectant suffisamment, eu égard aux impératifs de transmission et de vulgarition des connaissances historiographiques mêmes, scientifiques (= celles des historiens eux-mêmes) _ ;

de faire comprendre, donc,

à leur élèves _ dans la diversité (et parfois grande hétérogénéité) de la composition des classes _

avec clarté,

mais sans simplifications abusives, ni généralisations faussement simplificatrices,

le sens (riche) du devenir historique collectif de l’humanité,

des hommes regroupés en États et Nations entretenant des rapports complexes, et souvent tragiquement (= violemment) conflictuels…

Et en s’efforçant de décentrer l’approche de cette intelligence (enseignée) du devenir collectif

de perspectives un peu trop nationalement centrées _ les échanges de la conférence ont confronté un traditionnel (et conservateur) franco-centrisme à un certain européo-centrisme (en chantier) ; mais aussi à une « global history« , ou, mieux, une « world history« _,

au profit d’une intelligence un peu plus critique _ ainsi qu’auto-critique ; ce qui n’est pas le plus facile… _ des propres représentations de départ de chacun (= représentations d’abord reçues et idéologiques : ce n’est certes pas une nouveauté à notre époque ; mais le poids des instruments de communication et de propagande leur procure une force d’impact d’autant plus considérable qu’inaperçue et reçue naïvement, sans assez d’interrogation ni de débat critiques)…

Tout cela demande, sinon beaucoup de temps (= d’heures d’enseignement pour la discipline), du moins une marge de latitude _ pédagogique : dans la conduite de l’heure de cours _ suffisante de l’enseignant afin de permettre

et avec une qualité suffisante

l’activité de l’effort de compréhension des élèves eux-mêmes,

dont l’attention et la curiosité _ c’est capital ! _ doit être mobilisée par l’enseignant en sa classe

au-delà de ce qui n’est que le travail _ de base _ du faire connaître, de l’expliquer

la complexité, déjà, du jeu des causes et des effets,

sans inciter à faire penser et/ou croire une détermination univoque et téléologique de ce devenir collectif des hommes

qu’est l’Histoire historique elle-même _ = l’objet même qui doit essayé d’être éclairé et compris par la discipline historienne.

Dans cette marge de latitude orientée vers le faire comprendre,

la part du questionnement _ épistémologique _ des historiens au travail (en amont, donc, de l’enseignement de la discipline de l’Histoire à l’école, par les professeurs d’Histoire en leurs classes _ et les professeurs devant impérativement y accéder eux-mêmes autrement qu’à travers des résumés rapides ! _),

n’est pas mince ;

ni celle des débats historiographiques _ Emmanuelle Picard l’a fort justement et très clairement évoquée à partir des exemples de la pratique scolaire de l’Histoire dans l’Allemagne d’aujourd’hui ; ou en Suisse romande, avec l’accent mis sur la préoccupation, aussi, des compétences à former des élèves _

au-delà de la seule érudition (à partager, donner, diffuser auprès des élèves)…


On voit bien la nature ici de ces enjeux pédagogiques
_ et au-delà d’une didactique plus ou moins mécanicienne ; ou du stress, tant des professeurs que des élèves…

Voilà ce à quoi le regard éminemment compétent, tant sur les enjeux pédagogiques (et citoyens) que de connaissance

et lumineusement éclairant _ et vivant ! _

d’Emmanuelle Picard

nous introduit

et dans le livre La Fabrique scolaire de l’Histoire qu’elle a et co-dirigé, avec Laurence De Cock, et publié dans la collection « Passé & Présent » aux Éditions Agone,

et dans cette belle et claire conférence donnée dans les salons Albert-Mollat jeudi 25 mars dernier ; et désormais écoutable par tous…

Merci à elle ! ainsi qu’à tous ceux qui ont été ses interlocuteurs…


Titus Curiosus, ce 27 mars 2010

Post-scriptum :

En un courriel à Emmanuelle Picard, j’ai apporté quelques précisions à cette idée de « latitude«  (à « faire comprendre la complexité de l’Histoire« ).

Le voici, tel quel :

Mon article est rapide et circonstanciel et ponctuel ;
je n’ai retenu qu’un trait : celui de la « latitude » (de).
Mais il est pour moi crucial…

La « latitude » (de), est un pouvoir ; une liberté (de pouvoir faire, ou ne pas pouvoir)…

Il me semble que c’est sur cela que vous avez voulu mettre l’accent dans votre regard
sur le « jeu » entre les programmes (prescriptifs, parfois jusqu’à l’autoritarisme…
_ eu égard aux horaires draconiennement fixés, tout particulièrement !..) et la marge de manœuvre du professeur
comme auteur de sa pratique d’enseignement…


C’est en cela qu’au-delà du concept de « roman national » (d’après Pierre Nora, vous l’avez rappelé _ dans le livre aussi, déjà : cf page 153 et suivantes ;

vous renvoyez aussi, en note, page 202, à votre article du n°113 de la revue « Histoire de l’Éducation« , en janvier 2007 : « Quelques réflexions autour du projet de l’European Science Foundation : « Representations of the Past : The Wrinting of National Histories in Europe« ),
c’est le concept de « récit » qui dérange au sein de la pratique pédagogique…

Mais vous avez bien distingué ce qui ressort de la connaissance en tant que telle, voire de l’érudition _ y compris chez les élèves _
et ce qui ressort des « compétences » à former ;
les unes allant, aussi, avec les autres…


Je n’ai pas pris le temps de développer des remarques là-dessus (le « récit« ), me contentant d’une allusion trop elliptique à l’œuvre de Ricœur ;
de même que je n’ai pas posé une question précise là-dessus _ ce que j’aurais fait si je n’avais pas eu à partager le questionnement avec mes collègues Alexandre et Éric… _ ;
mais ce moyen, voire cet objectif (pédagogique)-là fait problème pour le développement et la formation même de l’esprit critique des élèves,
face au cours et à ce qu’il donne à organiser (et connaître, expliquer et comprendre) des faits historiques…

Mais l’objectif de pareille conférence est principalement de donner le goût d’aller lire le livre dont il est question ;
de même que l’objectif du livre est de faire réfléchir et (se) questionner…

Et sur ces objectifs dynamiques, il me semble que nous avons été assez « positifs« ,
dynamisants…

La « latitude » est capitale, donc…
Chez le professeur, comme chez l’élève (et l’historien même).
Bref, chez l’homme.
Elle est gestuelle, physique
_ comme mentale.

Sur la spatialité et la joie qui s’y déploie, répand, étale, éclate,

cf le très beau livre de Jean-Louis Chrétien La joie spacieuse _ essai sur la dilatation

Bien à vous,

Titus

P.s. : vous ai-je parlé de « Versant d’Est » de Bernard Plossu (consacré au Jura, pour une expo à Besançon) :
il est superbe…
Poétique…

Jeudi 25 mars à 18 h, dans les salons Albert Mollat, Emmanuelle Picard présente « La Fabrique scolaire de l’Histoire » (aux Edition Agone)

23mar

Après-demain jeudi 25 mars, dans les salons Albert-Mollat, 11 rue Vital-Carles à Bordeaux,

l’historienne Emmanuelle Picard viendra présenter l’important travail qu’elle a co-dirigé, aux Éditions Agone, avec Laurence De Cock, La Fabrique scolaire de l’Histoire _ ouvrage sous-titré « Illusions et désillusions du roman national« 

La fabrique scolaire de l’Histoire
Conférence suivie d’un débat autour de l’ouvrage du même nom, sous la direction de Laurence De Cock et d’Emmanuelle Picard (Marseille, Éditions Agone, 2009)
dans les Salons Albert-Mollat de la Librairie Mollat, 11 rue Vital-Carles, Bordeaux,
jeudi 25 mars 2010 à 18h.


A l’heure de la mise en place de la Réforme des lycées (qui poursuit celle entreprise au collège), et notamment autour de la détermination des programmes en Histoire,

plusieurs acteurs du système scolaire, historiens, chercheurs, enseignants, reprennent dans ce livre stimulant qu’est
La Fabrique scolaire de l’Histoire _ aux Éditions Agone, sous la direction de Laurence De Cock et Emmanuelle Picard _ le dossier des modalités de l’élaboration de l’enseignement de l’Histoire à l’école de la République.

L’enseignement de l’Histoire, comme construction et transmission d’un « récit historique » produisant un socle culturel partagé, a pour finalité importante la prise de conscience du « vivre ensemble ». Une difficulté présente est de répondre à la fois à ce postulat de départ, et aux grandes évolutions sociales dont les lois mémorielles récentes témoignent… D’autant que l’enseignement de l’Histoire doit faire avec les changements d’orientation politique et l’apparition de nouvelles sensibilités qui placent différents groupes en position d’attente vis-à-vis de « mémoires » particulières : ce qui pose la question de l’articulation entre Histoire (telle qu’elle « se construit » dans la recherche permanente des historiens), enseignement de l’Histoire et « mémoires » s’élaborant, elles aussi, au sein de la société…

De ces questions « sensibles » s’entrecroisant,  et de la prise en compte de l’ensemble des acteurs de la « fabrique » scolaire de l’Histoire _ concept décidément crucial _ les auteurs de ce livre s’emparent et le proposent à la connaissance et au débat public sans faux semblants, avec sérieux et pertinence.

Emmanuelle Picard, co-directrice avec Laurence De Cock de ce La Fabrique scolaire de l’Histoire _ Illusions et désillusions du roman national _ publié aux Éditions Agone, présentera ce travail collectif,
en une conférence animée par Francis Lippa
_ philosophe _, modérateur, avec Alexandre Lafon, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard Palissy d’Agen, et Éric Bonhomme, président de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie d’Aquitaine ;
suivie d’un débat.

En introduction à cette conférence et à ce débat _ avec pas mal de professeurs d’Histoire _,

Alexandre Lafon _ professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard-Palissy d’Agen, ainsi que doctorant en Histoire _ propose cette lecture-ci de ce recueil passionnant qu’est La Fabrique scolaire de l’Histoire :

Décidément, l’Histoire, et singulièrement l’Histoire comme discipline scolaire ne laisse pas de nourrir débats et controverses tant elle reste au carrefour d’attentes collectives fortes et complexes.

En ces temps de « Réforme » des programmes du lycée et devant les débats suscités par les différentes lois mémorielles et les velléités d’instrumentalisation actuelle de l’Histoire dans son usage public, ce petit livre dense apporte une saine et pertinente réflexion sur les enjeux de l’enseignement de l’Histoire dans le système scolaire français. Il ne se contente pas de proposer de penser superficiellement sa « fabrique » scolaire, à la fois au prisme des valeurs qu’elle est sensée porter dès l’origine et encore aujourd’hui, valeurs à la fois scientifiques, morales et civiques ; mais également en se tournant vers les acteurs concernés, décideurs de ses grandes orientations, groupes de pressions, manuels scolaires ou enseignants. Cette approche résolument socio-historique conduit le lecteur à prendre en compte l’ensemble des facteurs qui déterminent cet objet singulier.

Articulé autour de quatre parties centrées tour à tour sur les cadres réglementaires de la fabrique scolaire de l’Histoire, la place des acteurs historiques dans l’Histoire enseignée, les questions sensibles telles l’enseignement des génocides ou du fait colonial, et enfin sur la question de la mise en récit du « roman national » à l’école, l’ouvrage est lui-même construit, comme le souligne Laurence De Cock, sur le modèle d’un « aller retour entre plusieurs échelles d’analyse », de la synthèse des problématiques citées à l’étude de cas éclairant pertinemment chacune d’elle.

La première partie insiste sur la fabrique institutionnelle de l’Histoire scolaire à travers l’élaboration des programmes et le traitement du « temps » historique à l’école. L’Histoire en tant que discipline scolaire a pris dès l’origine dans la France républicaine une place essentielle : tout à la fois discipline pensée comme dispensatrice de connaissances permettant aux élèves de comprendre mieux le monde dans lequel ils vivent et doivent s’intégrer, elle fut aussi pensée comme une « fabrique » de la citoyenneté républicaine. Ce postulat originel permet de mieux comprendre les débats et questions qui agitent l’enseignement de l’Histoire aujourd’hui encore. L’article de Patricia Legris revient justement sur l’évolution de la rédaction des programmes scolaires depuis la Libération, notant sur les questions de fond le rapport de force quasi continu entre historiens, politiques et monde enseignant, avec pour point d’orgue la définition de l’Histoire comme « connaissance du passé » qui pose le problème de la conception du temps historique. La linéarité du temps de l’histoire scolaire permet-elle de rendre compte de l’enchevêtrement des temps qui devrait caractériser la démarche historienne ? Problème loin d’être anodin tant il met en lumière le sens même que l’on veut donner à la discipline enseignée et à ses effets pédagogiques, à court comme à long terme.

L’Histoire à l’école est conçue comme l’apprentissage d’une triple conscience : historique, critique et civique, contre les lieux communs de l’immédiateté et la surface des événements. La question du temps et de son apprentissage, complexe, enchevêtré,  se pose alors avec acuité. L’organisation des programmes et l’histoire scolaire dans notre république, certes, souvent téléologique et instrumentalisée, comme le rappelle Évelyne Héry, devrait offrir à partir de la lecture du passé, des clés du « vivre en semble » aujourd’hui et pour l’avenir. Mais confrontée à des attentes politiques, sociales lisibles dans la conception très conventionnelle et conservatrice, au final, des programmes, comment la « fabrique » de l’Histoire peut-elle s’affranchir de la continuité et de son instrumentalisation, afin de penser le passé dans toutes ses composantes (temps longs, temps court, passerelles) ? Vaste question qui demeure en suspens.

Dans une seconde partie, les auteurs s’intéressent logiquement à la traduction pratique des données institutionnelles à travers l’élaboration des manuels scolaires, domaine effectivement largement délaissé par la réflexion critique, alors même que les manuels, présents dans tous les cartables des élèves, constituent la traduction concrète la plus immédiate des programmes et le support logiquement essentiel de l’élaboration des séquences pédagogiques, du primaire au lycée. A cela près que, comme le rappellent les contributeurs à plusieurs reprises, « le manuel n’est pas le cours ». D’un côté, des logiques commerciales et pratiques pèsent sur son élaboration, alors même que les enseignants n’en font pas forcément un usage systématique. Depuis une vingtaine d’années, les manuels se sont construits autour de documents « incontournables », souvent reproduits d’une collection à l’autre, alors même qu’en parallèle le succès d’une histoire culturelle souvent réductrice et du retour dans son sillage de l’Histoire politique centrée sur l’individu et l’opinion publique appauvrissent la complexité des points de vue sur le passé. L’étude de Marie-Alban de Suremain met ainsi en lumière les évolutions du traitement du fait colonial, portant de plus en plus, en lien avec ce renouvellement historiographique, sur les représentations. Mais cette propension, sans doute au départ positive, à insister sur les représentations, s’ancre encore, en priorité, sur un point de vue européocentré, notamment à travers le choix des documents proposés. Il s’agirait alors pour l’auteur de « sortir d’une histoire des représentations fonctionnant pour elle-même » (p. 83), en travaillant davantage sur le statut des documents utilisés. Il reste à mettre à distance les « images », confrontées plus lucidement à la présentation des réalités, en particulier de celle des colonisés ; et à mieux rendre, également, la complexité de ces réalités, comme par exemple l’engagement de certains Africains dans l’armée coloniale par « tradition ». En quelque sorte, sortir des stéréotypes en analysant généalogie et circulation des représentations (p.92).

Le cas du traitement de la « Grande Guerre » dans les manuels apparaît de ce point de vue symptomatique, comme le montre avec justesse André Loez. Comme pour le fait colonial, les programmes et manuels reprennent de grands concepts clés en main, donc un peu trop séduisants, issus d’une historiographie culturelle dominante et pourtant contestée par bien des historiens, simplifiant à outrance les réalités : « consentement », « culture de guerre », « brutalisation » se retrouvent ainsi comme l’alpha et l’oméga de la « Grande Guerre » totalisante, les deux derniers termes ou expressions évoqués souffrant de définitions pourtant changeantes, témoignant d’un flottement entretenu au départ dans la sphère scientifique elle-même. Cette simplification scientifique à partir d’une histoire culturelle partant des représentations des élites et du discours officiels, qui laisse de côté la complexité des motivations, de la réception de ces discours dominants, aboutit donc à une simplification de l’événement, diffusée dans les manuels : simplification pratique qui évacue les « acteurs », d’autant que le temps imparti pour enseigner la « Grande Guerre » est court, le facteur temps étant particulièrement crucial, à l’heure de la tendance forte à la « réduction » des horaires d’enseignement pour les enseignés. La fabrique scolaire de l’Histoire, on le voit, laisse alors comme un goût de désenchantement, bien qu’elle puisse être armée pourtant pour produire tout à la fois un apprentissage de connaissances et d’esprit critique.

Il apparaît donc bien que l’école se trouve au carrefour de plusieurs enjeux contradictoires : les ressources produites par les historiens, le débat public sur lequel les communautés mémorielles pèsent avec plus de force aujourd’hui et le souci de l’institution de construire un « récit » historique, linéaire, sensible et politiquement partagé. Mais la connaissance de l’Histoire, son intelligence, est-elle de l’ordre du récit à assimiler ?

Dans ce contexte, et alors que l’émergence de la figure de la « victime » dans l’espace civique, traduite à l’école par le succès d’une formule comme le « devoir de mémoire », semble renforcer l’émotion comme vecteur d’apprentissage, la question des « enseignements sensibles » prennent de plus en plus d’acuité sur le terrain de la classe. La question de la fragmentation des identités et du communautarisme est en jeu, et pose problème : une Histoire enseignée devant construire un « bien commun » compris comme tel et effectivement partagé. L’Histoire coloniale, si elle a connu une évolution certaine dans la manière dont elle est enseignée (place du point de vue des colonisés, référence à la torture pratiquée pendant la guerre d’Algérie, par exemple), laisse de côté des éléments pourtant essentiels à sa compréhension en terme de pratiques et de conséquences sur les sociétés, tout en s’appuyant sur des considérations plus morales qu’historiques. Françoise Lantheaume montre ainsi, en le contextualisant, le processus complexe qui sous-tend l’enseignement du fait colonial : intervention des associations d’historiens ou de militants œuvrant pour une politique de reconnaissance (mémoires négatives, discrimination des minorités), des gouvernants (loi de 2005), virulence du débat public ; et finalement intervention de l’enseignant qui tente simplement de « tenir » sa classe en lissant les sujets sensibles, tout en profitant d’un tel cours pour continuer à faire passer le message républicain essentiel de tolérance.  L’enseignement des génocides, et particulièrement du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale qui en constitue l’élément central, appelle lui aussi à s’intéresser à la genèse de son intégration dans les programmes scolaires, sa spécificité (en particulier cette « indicibilité ») qui en fait un objet d’émotion, comme si l’impératif mémoriel prenait le pas sur le devoir d’histoire. Benoît Falaize évoque les difficultés des enseignants à concilier autour de cet objet d’analyse justement l’impératif cognitif d’Histoire, alors que l’émotion suscitée surexpose l’événement et les victimes, attisant une « concurrence des mémoires » qui en relativiserait la portée. Sur cette question, on a du mal à comprendre le rapprochement entre le génocide arménien et la « brutalisation » des rapports humains dans les sociétés européennes proposé par les nouveaux programmes de collège, alors même que cette dernière affirmation est largement contestée. Ainsi donc, généralisation et pathos pèsent sur l’enseignement des sujets « sensibles », car conditionnés par des impératifs politiques et/ou émotionnels, transformant le cours et l’enseignant plus en commémoration qu’en apprentissage de l’Histoire.

Dans une dernière partie sous forme de conclusion, les auteurs reviennent sur la question du lien entre la fabrique scolaire de l’Histoire et le « roman national », lien organique revitalisé par les nouveaux programmes de collège qui remettent le récit au centre des apprentissages. Pourtant, le récit d’Histoire scolaire semble encore à inventer tellement il reste spécifique et marqué par ses postulats originels. Le cas des séquences dévolues à la Révolution française en classe montre « la remarquable persistance d’un modèle disciplinaire » fondé sur un récit à portée civique. La fabrique scolaire de l’Histoire navigue ainsi, de fait, entre vérité, subjectivité, analyse critique, devoir civique, mais toujours centrée principalement sur l’Histoire nationale, malgré quelques tentatives parfois intéressantes (le manuel franco-allemand d’Histoire), au résultat final bien maigre… Laurence De Cock et Emmanuelle Picard soulignent qu’il serait souhaitable de plonger, à l’école, dans une global history permettant aux élèves de penser tout à la fois le monde et l’Histoire en tant que science.

Au final, l’ensemble des articles, au contenu et au questionnement riches et stimulants, conforte le lecteur dans l’idée que l’Histoire, et l’Histoire comme discipline enseignée, apparaît comme nécessaire, comme apprentissage de savoir et comme apprentissage du regard critique des élèves, gage d’une citoyenneté bien comprise. Suzanne Citron, revenant dans la préface sur son parcours scolaire « singulier », ne fait pas autre chose, en enjoignant historiens et enseignants, comme s’y emploient tous les auteurs de La Fabrique scolaire de l’Histoire, à adopter eux aussi un regard critique sur leurs pratiques et le cœur de leur discipline.


Alexandre Lafon, Professeur d’Histoire-Géographie, au Lycée Bernard Palissy d’Agen

En post-scriptum un peu _ voire pas mal… _ décalé par rapport à cette belle recension par Alexandre Lafon de
La Fabrique scolaire de l’Histoire,

j’ajouterai ce courriel à Emmanuelle Picard,

lors de la correspondance qui a suivi notre rencontre à Marseille le vendredi 22 janvier :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un texte assez opportun d’Eric Sartori dans Le Monde + Lanzmann sur le roman de Haenel…
Date : 30 janvier 2010 15:11:21 HNEC
À :   Emmanuelle Picard

Un texte à placer dans le débat

que cet article d’Éric Sartori ouvre dans Le Monde parmi les lecteurs…

L’apprentissage (de la complexité) et la réflexion (épistémologique sur la construction _ ou « fabrique«  _ des savoirs)
demandent du temps ; et une « école » réelle (avec assez de temps et d’argent !)…

Il faut aussi apprendre (= aussi enseigner à) à comparer les démarches des historiens _ soit une initiation effective à l’épistémologie.
Et cela vaut pour toute (!) démarche scientifique…

Cf aussi l’article de Claude Lanzmann sur le roman de Haenel, « Jan Karski » (dans Marianne, le 23 janvier) : « Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman« …

ainsi qu’un article d’Éric Sartori, le 28 janvier dans Le Monde : « Histoire, terminales scientifiques et identité nationale« …


Je recopie ce dernier en post-scriptum

J’ai lu le « Jan Karski » de Haenel,
mais n’ai pas encore écrit d’article sur lui…

Les arguments (sur le « roman » de Haenel) de Claude Lanzmann, après ceux d’Annette Wieviorka,
sont à verser au dossier…

Le problème _ voici où je veux en venir ! _ est celui de l’articulation entre l’imagination historienne et l’imagination poétique… Une chose d’importance !
En plus de l’articulation mémoire / Histoire !..


Je ne connais pas la position là-dessus (i.e. sur le « Jan Karski » de Haenel) de Georges Bensoussan _ avec qui je suis en relation de temps en temps.
En janvier 2008, j’étais allé accueillir le Père Desbois (à l’aéroport) venant à un colloque à Bordeaux… Etc…
C’est encore une autre histoire… Le dîner le soir avec lui, et Georges Bensoussan, m’a formidablement marqué…
C’est là que j’ai fait connaissance avec eux !

Mais je peux dire, pour en revenir au « roman » de Haenel, que j’avais été irrité par le modérateur de la conférence de Yannick Haenel (chez Mollat, le 20 octobre 2009), faisant du Karski historique une sorte de héros picaresque !
J’étais même intervenu !
Haenel m’avait paru, lui, bien plus « intelligent« …
Cependant, les « pensées » qu’il prête à Karski auprès de Roosevelt, ainsi qu’après 1945, aussi, font en effet problème !!!
Attention aux amalgames !

En cela la polémique qui se lève
n’est peut-être pas inutile !!!

De même que ne seront pas inutiles les éléments filmés de l’interview de Karski (non retenus dans le film « Shoah« ) que va présenter maintenant Claude Lanzmann _ en un nouveau film : Le Rapport Karski : diffusé sur Arte le mercredi 17 mars dernier ; je rajoute cette précision à mon courriel…

Et le « témoignage » de Karski _ Mon témoignage devant le monde _ Histoire d’un État clandestin _ sur sa résistance
va lui aussi enfin reparaître en sa traduction française ! _ c’est fait : il est reparu aux Éditions Robert Laffont ce mois de
mars, lui aussi…


Cet été (2009), j’ai écrit 7 articles sur Le Lièvre de Patagonie (qui m’a passionné à de multiples égards)
_ au passage, l’auteur du conte placé en exergue (La liebre dorada), Silvina Ocampo,
est l’épouse de mon cousin Adolfo Bioy Casares (ma mère est une Bioy, d’Oloron)…


Voici ces articles sur Le Lièvre de Patagonie :

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ présentation I

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ quelques “rencontres” de vérité II


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ la nécessaire maturation de son génie d’auteur III


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ dans l’imminence de la fulguration selon la “loi” et le
“mandat” de l’oeuvre IV


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ l’amplitude du souffle et le goût, toujours, du “bondir” V


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ le film “nord-coréen” à venir : “Brève rencontre à Pyongyang”
(VI)

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ dans l”écartèlement entre la défiguration et la permanence”,
“là-haut jeter le harpon” ! (VII)



Et maintenant,
la déclaration d’Éric Sartori :

LEMONDE.FR | 28.01.10 | 22h42

Histoire, terminales scientifiques et identité nationale par Éric Sartori

Un débat chasse l’autre, c’est la méthode Sarkozy. Alors, avant que passe, avec l’approbation de certaines associations de parents d’élèves, une réforme tendant à priver près de la moitié des élèves de la filière générale d’un enseignement d’Histoire en terminale, tentons un dernier baroud. L’historien des sciences que je suis ne peut évidemment se résigner à cet appauvrissement de notre enseignement : veut-on que les scientifiques dont nous avons tant besoin soient ces spécialistes idiots que dénonçait déjà Comte ?

HISTOIRE ET IDENTITÉ NATIONALE

Commençons par cette remarque d’un connaisseur : « Un peuple qui n’enseigne pas son Histoire est un peuple qui perd son identité « , François Mitterrand, 1982. Le débat sur l’identité nationale est l’occasion de relire le texte de Renan de 1882, Qu’est-ce qu’une nation ? Pour Renan déjà, la nation se construit contre le communautarisme : « Prenez une ville comme Salonique ou Smyrne, vous y trouverez cinq ou six communautés dont chacune a ses souvenirs et qui n’ont entre elles presque rien en commun. Or l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s’il est burgonde, alain, taïfal, wisigoth« . La nation est construite par l’Histoire : « La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens… » Et la nation vit par l’Histoire et par la volonté de continuer l’Histoire : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel… L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis… Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore. »

En France donc, l’identité nationale s’enracine dans la culture historique, comme le note Antoine Prost dans son ouvrage remarquable Douze leçons sur l’Histoire. Les républicains ont compté sur l’histoire pour développer le patriotisme et l’adhésion aux institutions _ c’était tout le projet magnifique de Lavisse. Ce fait _ l’importance de l’Histoire _ n’est peut-être pas aussi universel que le pensait Renan _ il semble par exemple que l’Angleterre se pense, se représente à elle-même davantage par l’économie politique. Mais en France, l’importance de l’Histoire est indiscutable ; c’est sans doute le seul pays où l’enseignement de l’Histoire est, au sens littéral, une affaire d’Etat, qui peut être évoquée en conseil des ministres… et provoquer de véritables passions.

Il faut donc sans doute que nos gouvernants actuels connaissent bien mal leur pays ou qu’ils s’en sentent bien détachés pour avoir pensé que la suppression des cours d’Histoire dans les terminales scientifiques, principalement pour des raisons d’économie maquillées en volonté de renforcer les filières littéraires, passerait sans provoquer de réactions.

L’HISTOIRE CONTRE LES MANIPULATIONS DE LA MÉMOIRE

Il faut aussi bien méconnaître l’Histoire pour confondre Histoire et mémoire et mettre celle-ci au service de médiocres manipulations politiques, comme le fait l’actuel président qui voudrait bien nous plonger dans une dictature quasi orwellienne de l’émotion. Dans un texte célèbre, Pierre Nora a bien démontré l’opposition profonde entre mémoire et Histoire : « La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’Histoire, parce qu’opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique… La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude… il y a autant de mémoire que de groupes, elle est par nature multiple et démultipliée. L’Histoire, au contraire, appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l’universel » (Les Lieux de mémoire). Lucien Febvre est même allé plus loin, retrouvant la fameuse nécessité d’oublier dont parlait Renan : « Un instinct nous dit qu’oublier est une nécessité pour les groupes, pour les sociétés qui veulent vivre. L’Histoire répond à ce besoin. Elle est un moyen d’organiser le passé pour l’empêcher de trop peser sur les épaules des hommes » (Vers une autre histoire). A trop et mal manipuler les « devoirs de mémoire« , on renforcera les communautarismes au détriment de la nation. Au contraire, l’Histoire doit permettre de préparer l’avenir. « On fait valoir sans cesse le devoir de mémoire, mais rappeler un événement ne sert à rien, même pas à éviter qu’il ne se reproduise, si on ne l’explique pas. Il vaut mieux que l’humanité se conduise en fonction de raisons que de sentiments« , note Antoine Prost (Douze leçons sur l’Histoire).


Il y a vraiment une méchante ironie à lancer un débat sur l’identité nationale et à supprimer en même temps l’Histoire en terminale pour les séries scientifiques, en cette année de terminale qui doit clore le socle commun de l’enseignement et permettre une réflexion plus approfondie sur le mode moderne grâce au savoir historique – que l’on pense au superbe programme exposé, rêvé par Braudel dans sa Grammaire des civilisations.

On a parfois reproché aux socialistes de vouloir par idéologie détruire les formations élitistes. Ils n’ont rien fait de tel, et les plus courageux ou les plus lucides ont défendu l’élitisme républicain. Il est paradoxal de voir aujourd’hui la droite, du moins celle qui est au pouvoir, s’acharner à dévaloriser la section S, ce qui, évidemment, ne fera aucun bien à la section L, qu’on n’aide d’ailleurs pas en raillant l’étude de La Princesse de Clèves. Faut-il chercher ici d’autres raisons que le faible intérêt porté à l’enseignement dans la famille présidentielle ? Qu’en pensent des électeurs de droite plus traditionnels ?

Il faut donc se battre, au nom de l’identité nationale, de l’intégration, mais surtout au nom de l’intelligence et même de l’efficacité économique pour que l’enseignement continue à former des têtes bien faites et harmonieusement remplies ; donc pour l’enseignement de l’Histoire en terminale scientifique et son rétablissement dans l’enseignement technique. Et aussi pour un enseignement scientifique dans les classes littéraires, un enseignement qui permette d’acquérir une bonne connaissance des principes, méthodes et résultats fondamentaux des sciences et qui pourrait être basé sur l’Histoire des sciences et des techniques.

Éric Sartori est l’auteur d’Histoire des femmes scientifiques, Plon 2006.

Bref,

un dossier

_ pour lequel je recommande aussi « La mémoire, l’Histoire et l’oubli« , de Paul Ricœur, auteur majeur sur les problématiques du « récit » ; ainsi que le « Régimes d’historicité _ présentisme et expériences du temps » de François Hartog : deux ouvrages majeurs sur la question ! _

et un questionnement

passionnants : jeudi prochain, 25 mars, à 18 heures, dans les salons Albert-Mollat, 11 rue Vital-Carles à Bordeaux,

autour d’Emmanuelle Picard _ historienne de l’enseignement de l’Histoire _ et de La Fabrique scolaire de l’Histoire (aux Éditions Agone)…


Titus Curiosus, ce 23 mars 2010

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