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une flopée de merveilles de musiques, et une passionnante exposition, aussi, « Deadline », cette Toussaint

02nov

Est-ce la difficulté (commerciale ?) des temps qui courent ?..

toujours est-il que les éditeurs de disques redoublent ces derniers temps-ci d’exigences de qualité pour nous offrir d’admirables interprétations de chefs d’œuvre de la musique…


D’abord, cette Toussaint _ et « remarqués« , pour une fois, par les magazines de disques : tout arrive !.. _ trois admirables CDs de piano à divers « stades » de composition du Romantisme : Schubert ; Liszt ; Brahms _ et encore ai-je (provisoirement?) « délaissé » _ ni lui ai seulement prêté une oreille ! pour le moment… _ le « Chopin chez Pleyel«  d’Alain Planès (CD Harmonia Mundi HMC 902052) _ sur lesquels, CDs, je ne regrette pas de m’être « précipité » ! :

des « merveilles » et de musique, et de musicalité !


De Franz Schubert (1797-1828), le CD « Wandererfantasie and other Works for solo piano«  _ la « Fantasie in C (Grazer Fantasie) » D 605A ; « Three Piano Pieces« , op. posth. D946 ; « 13 Variations on a Theme by Hüttenbrenner«  D 576 ; en plus de la « Wandererfantasie » op. 15D 760 _, par Michaël Endres (CD Oehms OC 731) ;

de Franz Liszt (1811-1886), le CD « Franz Liszt « un portrait » » _ avec « La Danza _ Tarantella napoletana » (des « Soirées musicales » de Rossini S. 424) ; les « Funérailles » (des « Harmonies poétiques et religieuses » S. 173) ; la « Bagatelle sans tonalité«  (ou « Mephisto-valse«  n°4b) S. 216a ; « Saint-François de Paule marchant sur les flots«  (des « Deux Légendes » S. 175) ; les « Consolations«  S. 172 ; la « Vallée d’Obermann«  (des « Années de pélerinage, 1ère année, Suisse«  S. 160 ; « Liebestraum«  (« Rêve d’amour« ), « Nocturne » n°3 S. 541 ; et la « Rhapsodie hongroise » n° 2 S. 244/2 _, par Guillaume Coppola (CD Calliope CAL 9412) ;

 …
et de Johannes Brahms
(1833-1897), le CD « Die Späten Klavierstücke Op. 116 – 119«  _ les 7 « Fantasien » op. 115 ; les « 3 Intermezzi » op. 117 ; les 6 « Klavierstücke » op. 118 ; et les 4 « Klavierstücke » op. 119 _, par Anna Gourari (CD Berlin Classics 0016472BC) ;

toutes œuvres transcendées ici par des interprétations magnifiquement inspirées et idéalement adéquates, toutes trois ; et selon des styles fort divers…


Le Schubert de Michaël Endres chante à la perfection … »à la Schubert« , avec une grâce (légère en sa gravité : le génie est toujours oxymorique, à « résoudre » sans effort et dans la jubilation la « quadrature du cercle » !..) : il nous enchante ! tout simplement…

Le Liszt de Guillaume Coppola « chante« , lui, aussi _ en une inspiration d’ascendances italiennes : napolitaine, sicilienne, etc… _, mais « au concert« , cette fois, avec la virtuosité pleine de panache (frisant le gouffre _ d’entre Charybde et Scylla ! entre Calabre et Sicile : là même où se produit le miracle de « Saint-François de Paule marchant sur les flots«  (la plage 4 de ce CD !)… _ de l’emphase, mais, le défiant, victorieusement, pour, n’y sombrant pas, en triompher brillamment !..) de Franz Liszt : une joie puissamment rayonnante anime ce vaste « portrait » de Franz Liszt (ainsi, médiatement, que celui, aussi, du jeune interprète (d’ascendance sicilienne, celui-ci prend bien soin de rendre hommage, en couverture du disque, et à sa grand-mère Lina, et « à la mémoire de (s)on grand-père Vincenzo » ! et par-delà eux, peut-être aussi, au catanais Giovanni Bellini, le maître du bel canto ; qu’a pu, à Paris, admirer Liszt…). Chapeau !

Quant au Brahms d’Anna Gourari, tout en assumant, pleinement, et magnifiquement, un certain pianisme (qui était passé, ces dernières années, pour ainsi dire de mode), il demeure, avec un « plus que parfait » éclat, fidèle à la magie mirifique de la poésie feutrée et chargée de goutelettes de toute fraîche rosée translucide, tout à la fois, de ces (20) « petites » œuvres, si grandes (sublimes ! oui…), de la « fin de vie » de musicien de Johannes Brahms… Bravo ! Bravissimo, la « parfaite » musicienne…

Sur les œuvres de « fin de vie« ,

mais cette fois en ce qui concerne les arts plastiques (principalement la peinture) contemporains,

on se plongera avec d’infinies délices dans le regard _ et la lecture ! _ du magnifique catalogue « Deadline«  _ avec une très belle « préface-présentation » de la commissaire (aidée d’Emile Ouroumov) Odile Burluraux : « Mourir « vivant »«  (pages 17 à 25) _ qui accompagne l’actuelle (16 octobre 2009 – 10 janvier 2010) exposition éponyme, « Deadline« , au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, consacrée à des œuvres « terminales » de Martin Kippenberger (Dortmund, 1953 – Vienne, 1997), Absalon (Ashdod, 1964 – Paris, 1993), Hans Hartung (Leipzig, 1904 – Antibes, 1989), James Lee Byars (Detroit, 1932 – Le Caire, 1997) _ c’est un cliché (étincellamment tout doré !)

Performance pour le vernissage The Death of James Lee Byars à la Galerie Marie-Puck. Broodthaers, Bruxelles 1994.(Photo : Marie-Puck Broodthaers)

de James Lee Byars lui-même lors de sa « performance pour le vernissage de l’exposition « The Death of James Lee Byars«  à la Galerie Marie-Puck Broodthaers, à Bruxelles« , à l’automne 1994, qui figure en (fascinantissime !) couverture (sur fond noir) de l’album !.. _,

Felix Gonzales-Torres (Guáimaro, 1957 – Miami, 1996), Joan Mitchell (Chicago, 1925 – Vétheuil, 1992) _ est amplement cité un « entretien«  avec Yves Michaud, le 12 janvier 1986, aux pages 97 et 98 de l’album (extrait du catalogue « Joan Mitchell, les dernières années«  des expos au Musée des Beaux-Arts de Nantes et à la Galerie nationale du Jeu de Paume, en 1994… _, Robert Mapplethorpe (New-York, 1946 – Boston, 1989), Chen Zhen (Shanghaï, 1955 – Paris, 2000) _ qui avait participé (brillamment !) en juillet 1990 à l’exposition « Chine demain pour hier«  qu’avait organisée à Pourrières, près de la Sainte-Victoire, mon amie Michèle Cohen, qui dirige la Galerie « La Non-Maison«  à Aix-en-Provence (elle m’a invité à y disserter « Pour un Non-art du rencontrer«  le 13 décembre 2008 dernier) ; le catalogue de cette expo « Chine demain pour hier«  ayant reçu un « avant-propos«  (excellent !) de notre ami Yves Michaud, Directeur alors de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris… ; cf pour précisions mon post-scriptum au bas de cet article _, Gilles Aillaud (Paris, 1928 – Paris, 2005), Willem de Kooning (Rotterdam, 1904 – East Hampton, 1997), Hannah Villiger (Zug, 1951 – Aug, 1997) et Jörg Immendorff (Bleckede, 1945 – Düsseldorf, 2007)…

Les notices (et « entretiens » avec les artistes…) pour chacun des douze artistes présentés sont passionnant(e)s, dans la finesse de précision des analyses (par Ann Temkin, Joël Bartoloméo, Odile Burluraux elle-même, Joachim Sartorius, Lewis Baltz, Molly Warnock, Sophie Delpeux, Hou Hanru (avec Odile Burluraux), Éric Darragon, Joachim Pissarro, Annelie Pohlen et Nicole Hackert, Bruno Brunnet & Michael Werner _ avec aussi un « Avant-propos«  de Fabrice Hergott, pages 13 à 15 _), d’un art qui atteint le maximum de sa « liberté » face au temps (qui reste) et sa dimension (d’élévation) d’éternité : ce à quoi s’affronte, se confronte, s’entretient, se nourrit, s’enchante, tout art « véritable«  ; par rapport aux impostures courant les rues de ce qui prétend s’afficher « art » et n’en est que tristes et pénibles « contrefaçons » ; d’autant plus grossières que vulgaires… La discrétion (envers la personne d’autrui) étant politesse essentielle d’un artiste…

A ces 3 « divins » CDs de piano romantique,

j’ajouterai encore le volume VIII de très, très belle facture (toujours !) que nous offre la maestria d’Éric Le Sage (double album CD Alpha 154) en la « continuation » _ et parfaite captation sonore de Jean-Marc Laisné à la Salle de musique « L’Heure bleue« , à La Chaux-de-Fonds, en Suisse, en janvier 2009 _ de l’intégrale « éclatante » (et diaprée) des « Klavierwerke & Kammermusik«  de cet autre immense génial musicien (romantique, aussi…) qu’est Robert Schumann (1810-1856) _ avec les « Études pour le Pianoforte d’après les « Caprices » de Paganini« , Op. 3 ; les « Études de concert pour le pianoforte d’après les « Caprices » de Paganini« , Op.10 ; l’« Allegro«  Op. 8 ; la « Faschingsschwank aus Wien, Fantasiebilder » Op. 26 ; les « Vier Klavierstücke » Op. 32 ; et les « Drei Clavier-Sonaten für die Jugend » Op. 118 : la « Kinder-Sonate Julien zur Erinnerung » ; la « Sonate Elisen zum Andenken«  ; et la « Sonate Marien gewidmet » ; musiques pour trois des filles de Robert et Clara Schmann _ ; pour ces musiques de l’âge romantique, donc…

Pour le Baroque,

quelques merveilleux bijoux, aussi :

d’abord, du génial Alessandro Stradella ; et par un interprète dont j’admire depuis longtemps (après l’avoir entendu en masterclasses à Barbaste, aux stages _ quant aux « fondamentaux » de l’interprétation musicale baroque _ de Philippe Humeau) la parfaite musicalité (ainsi que probité de jeu _ mais les deux vont de pair ! là où se pressent et précipitent (hystériquement…) tant d’impostures, justement : devant (et rien que pour) les sunlights, les caméras, les micros, les foules… _, je veux parler d’Enrico Gatti, dirigeant ici, avec sa merveilleuse justesse « musicale » coutumière, l' »Orchestra Barocca della Civica Scuola di Musica di Milano« , ainsi que les chanteurs Lavinia Bertotti, Barbara Zanichelli, Emanuela Galli, Roberto Balconi, Maurizio Sciuto et Carmo Lepore, un magnifique enregistrement de deux « cantates de Noël«  _ de la période « romaine«  de Stradella : vers 1675, sous le pontificat (29 avril 1670 – 22 juillet 1676) de Clément X Altieri…, ainsi que l’indique, à la page 19 du livret du CD, Carolyn Gianturco _ du grand, mais pas assez enregistré (non plus que donné en concert) Alessandro Stradella (Nepi, 3 avril 1639 – Gênes, 25 février 1682), donc : « Cantate per il Santissimo Natale« , « Si apra il riso » et « Ah! Troppo è ver«  (ainsi qu’une « Sonata di viole _ con concertino di due violini et leuto e concerto grosso di viole« ) ; en un CD splendide de l’Arcana du regretté Michel Bernstein (CD Arcana A 331) ;

puis,

un électrisant récital, sans affèteries ni assauts de (trop) gratuites vocalises, d' »airs d’opéras » napolitains _ un répertoire loin d’être assez exploré encore !.. et pourtant ô combien crucial dans l’histoire de l’opéra !.. (faute de pouvoir « remonter«  vraiment dans leur intégralité de tels « spectacles«  ?.. _, de Giovanni-Battista Pergolese (1710 – 1736), Nicola Antonio Porpora (1686 – 1768), Leonardo Vinci (1696 ? – 1730) & Johann-Adolf Hasse (1699 – 1783 _ présent à Naples, le saxon, lui, pour s’y « former« , auprès de Nicola Porpora et d’Alessandro Scarlatti, en ces si ingénieux conservatoires de Naples, de 1724 à 1727) : « Lava _ Opera Arias from 18th Century Napoli« , par la parfaite Simone Kermes, soprano, et « Le Musiche Nove« , dirigées par Claudio Osele : un CD Deutsche Harmonia Mundi 8869754121 2 ;

puis, en remontant vers des contrées au climat un peu plus « tempéré« ,

d’abord, un très rafraîchissant _ intense et profond en son élégance… _ CD de « goûts réunis » de Jean-Marie Leclair (Lyon, 10 mai 1967 – Paris, 22 octobre 1764) _ compositeur à l’élégance, donc, hautement raffinée ; et violoniste virtuose (sans excès, à la Locatelli…), formé à Turin auprès du maestro Giovanni-Battista Somis _ constitué des quatre premières des six « Sonates en trio pour deux violons et basse continue » op. 4 (de 1731-1732) et de la « Deuxième récréation musicale d’une exécution facile pour deux flûtes ou deux violons » op. 8 (de 1737), interprétées ici par deux hautbois, un basson, une contrebasse et un clavecin _ tenus par David Walter, Hélène Gueuret, Fany Maselli, Esther Brayer & Patrick Ayrton, en un ensemble s’intitulant « Pasticcio barocco«  _ ; soit le _ délicieusement fruité ! _ CD 01 de Hérissons Production s’intitulant « Jean-Marie Leclair, ou l’apogée des Goûts Réunis« 

et un peu plus en amont, dans le temps, à Paris,

et en changeant cette fois de siècle :

un tout simplement « magique » récital de « Pièces de luth«  en sol majeur, la mineur, fa majeur et si mineur de Denis Gaultier (dit « Gaultier de Paris« , ou « Gaultier le jeune » : Paris, 1603 – Paris, janvier 1672) _ avec l’appoint de deux chaconnes (en do majeur et fa majeur) du cousin Ennemond Gaultier (dit « le vieux Gaultier » ou « Gaultier de Lyon » : Vilette-en-Dauphiné, 1575 – Nèves-en Dauphiné, 11 décembre 1651) _ ; intitulé « Apollon orateur« , sous les doigts _ inspirés par le dieu maître des Muses ?.. _ du parfait luthiste qu’est le maître Anthony Bailes, chez Ramée : le CD Ramée RAM 090La musique qu’adorait, pour son infini raffinement, sa poésie, la délicatesse de sa grâce divine, La Fontaine : peut-être la quintessence de l’art musical français…

Et enfin,

au XXème siècle, cette fois, et ni en Italie, ni en France, mais en (un violent) exil d’Allemagne _ en 1938-39 pour deux des principales pièces : somptueuses ! _

des œuvres d’un maître bien injustement mis sous l’éteignoir, et qui réveille pourtant l’acuité la plus fine de nos ouïes, par le brillant « profond » (sans clinquant !) de la clarinette, ici : les « Clarinet Quintet ; Clarinet Quartet ; Clarinet Sonata ; Three Easy Pieces » de l’immense Paul Hindemith (Hanau, 16 novembre 1895 – Francfort 28 décembre 1963), un des « plus grands » de ce siècle… : un CD Naxos 8.572213 de « Chamber Music » par le décapant (en même temps que magnifiquement élégant : autre « quadrature du cercle » !) ensemble « Spectrum Concerts Berlin« , que dirige de son violoncelle Frank Dodge ; et avec le clarinettiste virtuose (excellent !) Lars Wouters van den Oudenweijer !..

Le contraste avec le luth de Denis Gaultier sera magnifique ; révélant, si besoin en était, toute l’amplitude de la magie féérique de la musique…


Titus Curiosus ce 2 novembre 2009

Post-scriptum :

je joins, ce matin du 3 novembre, ce courriel

à mon amie Michèle Cohen, directrice de la Galerie « La Non-Maison » à Aix-en-Provence

(où je vins le 13 décembre 2008 présenter mon « Pour un Non-Art du rencontrer« ) :

De :   Titus Curiosus

Objet : En lisant mieux « Deadline« , je découvre que c’est ton exposition à Pourrières en juillet 1990 qui est citée dans l’interview de Hou Hanru, page 123 de « Deadline »
Date : 3 novembre 2009 09:40:06 HNEC
À :   Michèle Cohen

En lisant un peu mieux le catalogue de l’expo « Deadline« ,
il s’avère que
l’expo que tu avais organisée (comportant des réalisations originales de Chen Zhen)
est très précisément citée (avec son « titre » !), page 123 de ce catalogue
« Deadline :

je cite : « l‘exposition « Chine demain pour hier« ,


organisée par Fei-Da-Wei dans le sud de la France.
Cette exposition avait lieu dans le village de Pourrières, à côté de la montagne Sainte-Victoire.
C’était vraiment une exposition intéressante.

(…)
Chen avait conçu des pièces très importantes, dans un grand camion.
Il s’agissait d’une sorte de parcours qui reproduisait des pierres tombales suspendues à l’envers,
et de la terre au sol avec les matériaux, les journaux recyclés comme il les utilisait depuis les années 1990.

C’était assez impressionnant.
Et l’autre pièce était encore plus étonnante
: c’était dans la forêt.
A l’époque, on commençait seulement à parler d’écologie.
Il y avait eu un débat sur les incendies qui avaient dévasté la Sainte-Victoire. Les gens se plaignaient que certains ne respectaient pas la nature et qu’ils mettaient le feu.
En fait, Chen était allé derrière le village, dans la forêt brûlée, où il a trouvé des centaines et des centaines d’objets abandonnés, des déchets ;
il en a effectivement récupéré beaucoup (quatre-vingt-dix-neuf, je crois),
et il les a ensuite suspendus aux arbres.

C’était un geste extrêmement fort,
qui semble très léger mais en même temps très fort.
Cette pièce est vraiment formidable
« …
« A partir de ce moment-là, nous avons commencé à nous voir, à discuter ; nous sommes devenus très amis« ,
continue Hou Hanru…

est celle-là même que tu montas, Michèle !!!

bien que ton nom ne soit pas cité par Hou Hanru _ celui qu’interviewe la « commissaire » de l’expo actuelle, Odile Burluraux, pages 123 à127… _,
Fei Da-Wei en étant, en effet, lui, le « commissaire«  (cf page 4 de ton catalogue de 1990 !)…

Je viens de mettre la main sur le catalogue (que tu m’as donné l’an dernier à Aix) de cette expo qui eut lieu à Pourrières du 7 au 31 juillet 1990, « Chine demain pour hier« ,
organisée par l’association « les Domaines de l’Art » dont tu étais la « présidente » ;
avec une préface de toi, page 11
et un avant-propos de l’ami Yves Michaud, page 9 !


Je vais introduire cette précision
dans mon article :
et voilà qui est fait !..

Titus

Réponse par retour de courriel de Michèle :

De :   Michèle Cohen

Objet : Rép : En lisant mieux, je découvre que c’est ton exposition à Pourrières en juillet 1990 qui est citée dans l’interview de Hou Hanru, page 123 de « Deadline »
Date : 3 novembre 2009 09:45:04 HNEC
À :   Titus Curiosus

Titus,
Tu es vraiment gentil. Peu de gens citent leurs sources. Tu fais un travail de passeur incroyable….
Merci d’avance
Michèle

Dans son « Avant-Propos«  de juillet 1990 à ce catalogue « Chine demain pour hier« , page 9, Yves Michaud, disait que « trop souvent la culture est laissée au soin des institutions«  ; alors que « la création culturelle a, au contraire, besoin de se déplacer et de bouger ; elle n’a pas vraiment besoin d’atours et de pompe. La respectabilité arrive toujours trop vite. La création nous intéresse quand elle vient _ généreusement : tel Kairos… _ là où nous ne l’attendons pas, quand elle nous surprend _ sans calcul d’aucune sorte… _ dans un monde où prédominent aujourd’hui _ certes : les choses, depuis, n’ayant fait que s’aggraver… _ les spécialistes en attente et en motivations«  :

« un monde où prédominent _ voilà ! _ aujourd’hui les spécialistes _ « professionnalisés« , en quelque sorte !.. diplômés peut-être même !.. _ en attente et en motivations » ; comme c’est justement « croqué » ! Comme ils nous pèsent, ces experts ; et plombent tout ce à quoi ils s’attachent, ces « spécialistes » patentés ès « attentes et motivations » ! Comme ils sont loin du véloce, divin et éternellement jeune, lui, capricieux et ludique Kairos ! Tout le contraire des « amateurs » qui « aiment » _ auxquels s’intéresse, par exemple, un Bernard Stiegler…

Là où il s’agit pour la « vitalité«  (de l’Art : d’artistes authentiques !) de « s’affirmer à travers _ avec la fluidité véloce de la souplesse _ des installations, des rencontres, des concerts, à travers des interventions transitoires et momentanées _ oui ! _ qui gardent _ par cette délicate finesse de la légèreté _ le sens de la vie«  _ plutôt que de se perdre ; ou d’être anéantie, ou exténuée, lourdement, cette « vie«  ; désorientée, sans boussole, faute de l’« aimant«  (et de l’« aimantation« ) de vrais profonds désirs, amours, passions

Sur cela, cf toujours Bernard Stiegler (importants travaux en cours !) autour de l’« amatorat » !

Yves concluait ce « mot de présentation » de 1990 par un bref commentaire du titre même de l’exposition : « D’où, je suppose, au-delà du jeu de mots _ « Pourrières » est déjà un nom magnifique : alors le lieu lui-même (!) au flanc de la « magique » Sainte-Victoire : on comprend qu’il y a eu là de quoi inspirer « vraiment » un artiste « profond » tel que Chen Zhen ! quant à quelque « résilience » (à la Boris Cyrulnik…)… _,


D’où, je suppose, au-delà du jeu de mots,

le titre de l’ensemble de la manifestation _ de Pourrières, ce mois de juillet 90-là ; cela a fait dix-neuf ans cet été ! _ : « Chine demain pour hier« . « Pour hier », comme pensée et hommage ; « pour demain », comme création et vie » _ cf ce que François Jullien, expert en sinologie, nomme, avec beauté autant que justesse, les « transformations silencieuses » du « vivre« , par-delà le « mourir » ; qui peut ainsi, face au « trou noir«  du néant, n’en être qu’une « phase« , un « moment » : quand le processus, y compris celui du jeu des mouvements-forces de la « nature«  (mais y a-t-il vraiment « séparation » ?..), est « artiste« , du moins : c’en est l’impérative condition !..

Tout le crucial est dit ! Bravo Yves ! Bravo Michèle ! En 1990 déjà !

Sur « L’Holocauste comme culture » d’Imre Kertész

10juil

A propos de l’important recueil de discours et d’articles d’Imré Kertész « L’Holocauste comme culture« , paru le 1er avril 2009 aux Éditions Actes-Sud,

un article de Samuel Blumenfeld, dans « Le Monde » du 18 juin 2009, « « L’Holocauste comme culture », d’Imre Kertesz : réinventer l’Europe après Auschwitz« ,

porte très opportunément le projecteur sur un aspect jusqu’ici méconnu, en France du moins _ faute de traduction en français jusqu’à ce jour _, de l’œuvre de cet immense écrivain qu’est Imre Kertész : sa part méditative d’essayiste lucidissime et particulièrement (comme assez peu !) incisif ;

même si son génie éclate d’abord et surtout dans l’usage (dynamiteur !) de la fiction

(à base autobiographique :

mais justement, Kertész choisit tout spécialement le mode narratif de la fiction _ cf « Être sans destin«  et « Le Refus » ; mais aussi « Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas » ; et, peut-être le sommet de tout, « Liquidation » ! _ pour tenter de se faire mieux entendre, enfin !)

afin d’aider à faire enfin ressentir si peu que ce soit, au lecteur anesthésié lambda, que nous sommes tous, peu ou prou.., l’horreur absolue de ce que l’individu Imre Kertész a pu (ou pas tout à fait !), lui, vivre (jusqu’au bord d’en mourir, d’être irrémédiablement détruit),

et dans la négation nazie _ entre la rafle de Budapest, le 7 juillet 1944, et la libération, le 11 avril 1945, du camp de Buchenwald (via un passage express à Auschwitz et un séjour au camp de travail de Zeitz, dans le land de Saxe-Anhalt : entre juillet 1944 et avril 1945, donc) _

et dans la négation stalinienne _ à Budapest, ensuite (jusqu’à octobre-novembre 1989 ; avec « répliques » et « suites » sismiques, encore : cf le troisième récit du recueil « Le Drapeau anglais« ).

Voici cet intéressant article de Samuel Blumenfeld _ farci de quelque commentaires miens :

« « L’Holocauste comme culture », d’Imre Kertesz : réinventer l’Europe après Auschwitz »

LE MONDE | 17.06.09 | 16h13  •  Mis à jour le 17.06.09 | 16h13

Le recueil de discours, conférences et textes écrits entre la chute du mur de Berlin et 2003, reprend l’intitulé d’une conférence donnée par Imre Kertesz à l’université de Vienne en 1992, « L’Holocauste comme culture » _ pages 79 à 92. Cette formulation surprenante vise à prendre la mesure d’un phénomène qui a mûri dans les années 1990 : la banalisation de la Shoah. Alors même que l’on parle de plus en plus de l’Holocauste, la réalité de celui-ci, le quotidien de l’extermination, échappe de plus en plus au domaine des choses imaginables _ = représentables, dans l’horreur absolue de toute leur « incompréhensibilité«  même, dans la difficulté de s’en faire une « idée«  tant soit peu « approchante« , par tout un chacun ne l’ayant pas « vécu« , pas « éprouvé« , pas « ressenti«  (c’est une affaire d’« aisthesis«  : et c’est là que se situe le pouvoir spécifique et irremplaçable, sans doute, de la littérature ! de permettre à un autre, lecteur tant soit peu attentif, curieux et patient, de s’en « rapprocher«  un tout petit peu mieux…) ; et ne lui ayant pas, non plus, « physiquement«  au moins, « survécu« 

L’institutionnalisation _ actuelle : là-dessus cf aussi Annette Wieviorka : « L’Ère du témoin« _ de la Shoah passe, selon l’écrivain, Prix Nobel de littérature en 2002 _ dont le discours de réception, superbe, intitulé « Eurêka ! » se trouve aux pages 253 à 265 _ et survivant des camps, par un rituel moral et politique, un langage de pacotille _ bientôt, très vite kitsch... _, qui se manifeste par une sous-culture _ barbare… Ses effets vont de la muséification _ et « touristification«  _ de cet événement _ cf le terrible récit : « Le Chercheur de traces«  ; repris aussi dans le recueil « Le Drapeau anglais«  : retour à Buchenwald et son « musée«  : bouleversant ! Ainsi que la visite à Auschwitz et son « musée« , aussi, in l’extraordinaire « Liquidation« … _, qui fait dire à Kertesz qu’un jour « les étrangers qui viennent à Berlin se promèneront dans le parc de l’Holocauste pourvu d’un terrain de jeu », à des œuvres kitsch comme « La Liste de Schindler« , et, à travers elle, à l‘ »hollywoodisation » de la Shoah, devenue, depuis le film de Spielberg, un genre cinématographique.

Ces phénomènes ont un double effet : dépouiller _ aux yeux des autres, tout au moins ; aux leurs propres, cela paraît plus difficile ! _ les survivants des camps de leur vécu _ rendu, ainsi « en-niaisé« , travesti, plus encore inaccessible, incompréhensible : déjà qu’il était si difficile à faire écouter et si peu que ce soit comprendre : cf le sublime final, au retour chez lui, à Budapest, du jeune György Köves d’« Être sans destin« , face à ses anciens voisins, Steiner et Fleischmann… (pages 348 à 359) _ ; et réduire Auschwitz à une affaire entre Allemands et juifs, quand il s’agit _ pour Kertész ; et nous-mêmes _ de l’envisager comme une expérience universelle _ et pas seulement « générale« Kertesz estimait, dans son discours de réception du prix Nobel _ présent dans ce recueil de discours et d’articles qu’est « L’Holocauste comme culture«  _, que l’Holocauste marquait le terminus _ avec ou sans « rebond » possible ?.. _ d’une grande aventure où les Européens sont arrivés au bout _ en quel sens le comprendre ce « bout » ? est-ce la « toute fin » de l’Histoire ? ou pas ?.. _ de deux mille ans de culture et de morale _ avec basculement régressif dans une « barbarie » ?.. ou l’opportunité de quelque « résilience«  ? pour reprendre (plus « optimismement«  !..) le concept de Boris Cyrulnik…

D’où la grande question de son ouvrage : comment l’Europe peut-elle se réinventer _ = rebondir ; question posée à l’horizon de ce grand livre de Cornélius Castoriadis qu’est « L’Institution imaginaire de la société«  … cf aussi « Le Principe Espérance«  d’Ernst Bloch… _ après Auschwitz ?

Kertész défend une culture _ vraie, pas un simili mensonger : et barbare !.. _ de l’Holocauste, détaillée dans des textes consacrés à des thèmes _ ou plutôt des questionnements actifs : le « thème » tombant vite dans le poncif, lui… _ aussi divers _ et d’une très mordante acuité critique, en leur « traitement«  par lui ! _ que « le totalitarisme communiste« , « la république de Weimar« , « les intellectuels hongrois« , ou « Jérusalem« , ce dernier article _ « Jérusalem, Jérusalem…« , pages 241 à 251 _ se révélant l’un des plus décisifs du recueil, l’auteur y définissant avec subtilité et pertinence sa spécificité d’écrivain juif.

L’Holocauste est une question vitale _ et assez mal résolue, pour le moment _ pour la civilisation européenne, qui se doit _ à elle-même : pour être et demeurer vraiment ! _ de réfléchir à ce qui a été fait dans son cadre, si elle ne veut pas se transformer en civilisation accidentelle _ c’est-à-dire disparaître très vite en tant que « vraie«  civilisation : accomplissant, en sa « disparition« , le triomphe du nihilisme ; celui, proliférant, des régimes totalitaires du siècle passé, pourtant apparemment vaincus (en 1945, pour l’un ; en 1989, pour l’autre). Pour ma part, j’attends (et non sans une réelle impatience, même !) la « réaction«  de Kertész (ou la traduction en français de ses textes écrits en hongrois ; et paraissant d’abord en traduction allemande, en Allemagne : il vit désormais à Berlin…) au nihilisme (voire néo-totalitarisme) des régimes ultra-libéraux… « Si l’Holocauste a créé une culture, sa littérature peut _ en quel sens le comprendre ?.. _ puiser son inspiration à deux sources de la culture européenne, les Ecritures et la tragédie grecque, pour que la réalité irréparable donne naissance à la réparation, à l’esprit, à la catharsis » _ à la résilience, ajouterait Cyrulnik… _, écrit Kertész _ y croit-il donc ?.. _, qui, à défaut de savoir ce que peut faire l’Europe, n’a aucun doute sur ce qu’elle doit faire _ comme « idéal régulateur« , condition absolue de sa sauvegarde comme « civilisation« , face à la « barbarie«  qui la gangrène…


L’HOLOCAUSTE COMME CULTURE d’Imre Kertesz. Actes Sud, 276 pages, 22 €….Samuel Blumenfeld…Article paru dans l’édition du 18.06.09.

Imre Kertész : un auteur majeur, à lire de toute urgence ;

et in extenso

Titus Curiosus, le 10 juillet 2009

Emérger enfin du choix d’Achille !..

21sept

Sur « Zone » de Mathias Énard (aux Éditions Actes-Sud, ce 20 août 2008), immense livre d’un immense écrivain.

Un livre de très grand souffle _ à la Walt Whitman, si l’on veut (dont, au passage, vient de paraître une nouvelle traduction du chef d’oeuvre « Feuilles d’herbe« , par Éric Athenot, aux Editions José Corti) _ ;

très grand souffle

qui n’est guère courant dans la tradition littéraire française,

sauf Agrippa d’Aubigné _ « Les Tragiques » _ et (tout) Victor Hugo ;

ainsi que _ des deux auteurs de prédilection du personnage de la belle et méthodique Stéphanie dans ce « Zone« , Proust et Céline _ la « Recherche«  et le « Voyage« …

Quel souffle, en effet, dans ce voyage

_ ferroviaire, entre les gares Centrale et Termini de Milan et de Rome, un « 8 décembre »

(2004 : il faut le « calculer » : « il y a tout juste un an le jeudi 11 décembre Mohammad el-Khatib se faisait exploser à cinq heures du matin à l’angle de la place Mazzini à quelques mètres de la synagogue, une des plus belles d’Italie » _ à Modène, page 200 ; « son suicide n’empêcha pas Luciano Pavarotti de se marier  le surlendemain au Teatro di Modena (le théâtre est l’église des artistes, dira-t-il) à quelques centaines de mètres de là » _ est-il aussi précisé, page 202)

en 519 pages d’un unique formidable mouvement (de la pensée) _

du narrateur Francis Servain Mirković, alias Yvan Deroy (et quelques autres identités de rechange : « Pierre Martin« , « Bertrand Dupuis » _ page 211…), pour tenter de sortir d’une « Roue de l’Histoire« 

_ ou, encore, une « étrange roue du Destin

où les dieux donnent et reprennent ce qu’ils ont donné » (page 109) _,

au milieu « de chemins qui se recroisent dans la grande fractale marine où (le narrateur) patauge sans le savoir _ d’abord _ depuis des lustres, depuis (ses) ancêtres (ses) aïeux (ses) parents (lui : « moi« , dit-il forcément !) (ses) morts et (sa) culpabilité » (pages 76-77)…

Car il s’agit ici ni plus ni moins que de tenter d’échapper à « une pyramide de pères haute comme l’échelle de saint Jean Climaque, imbriqués

_ les pères, en tant, déjà, que fils _

les uns dans les autres riant comme des démons de voir leurs fils ployer sous eux«  (page 479)…

Ainsi que (à la même page, vingt lignes plus haut) : « ne pas faire le choix d’Achille le stérile mais celui d’Hector » : « il y aura un Astyanax quelque part qui me ressemblera, qui

_ tel Énée, son père Anchise dans l' »Enéide » de Virgile _

portera son père sur ses épaules

comme moi je porte le mien, hors de la ville en flammes,

je me suis vu avec mon père sur le dos, et lui le sien »

_ d’où la figure de la « pyramide«  qui s’ensuit alors ;

remontant rien moins que jusqu’à « la guerre du feu » (page 32) : « la nuit des temps« , « l’homme préhistorique » (page 81)…

Ce père « silencieux »,

porté en terre « à onze heures du matin précises au cimetière d’Ivry, un jour de printemps ni gris ni bleu » (page 170), et pour lequel le narrateur ne parvient « qu’à ânonner un Notre Père poussif, la sueur au front en guise de larmes _ qui se trouve dans ce sarcophage, qui est-il

_ s’interroge page 172 le fils _,

est-ce l’appelé d’Algérie, l’ingénieur catholique, le mari de ma mère, l’amoureux des jeux de patience _ et des trains électriques _, le fils du serrurier forgeron de Gardanne près de Marseille, le père de ma soeur,

est-ce le même » s’interroge (page 172) « aux abords de Reggio » le narrateur, en ce train qui file dans la nuit vers Roma-Termini…

Ce père qui avait été aussi

« aide interrogateur dans une villa d’Alger, l’ingénieur chrétien spécialiste de la baignoire, de la barre d’acier et de l’électricité,

il n’en a jamais parlé, bien sûr, jamais,

mais il savait quand il me regardait, il avait vu, repéré en moi des symptômes qu’il connaissait, les stigmates, les brûlures qui apparaissent sur les mains des tortionnaires« ,

se souvient de l’enterrement de son père, au cimetière d’Ivry _ à « la section 43« , « de l’autre côté de la rue, dans le petit cimetière » (précision de la page 170) _ ;

se souvient de l’enterrement de son père, donc,

le narrateur, « aux abords de Reggio belle et bourgeoise » (page 173).

Car, « tous ces cercles dessinés sur un bouclier doré

_ tel que celui d’Achille, ainsi que le narre Homère dans « l’Iliade » _,

ce sont les mères qui fourbissent les armes,

Thétis l’aimante console Achille son enfant en lui donnant les moyens de se venger,

une cuirasse une épée un bouclier aveuglant où le monde entier se reflète,

comme Marija Mirković

_ c’est là le nom de jeune fille de la mère du narrateur, née en 1939 _

m’a fourni la patrie l’histoire l’hérédité Maks Luburić et Millán Astray le faucon borgne

_ que Marija Mirković ou son fils Francis Servain ont pu croiser sur leur chemin, à Madrid et en personne, lors d’un concert de piano Bach-Scarlatti, le 14 avril 1951 (page 342) pour la première, le général espagnol, quand elle avait douze ans ; à Carcaixent, près de Valence et d’Alzira, plus récemment, pour les traces, seulement indirectement, du  second, le croate (assassiné en avril 1969 _ page 263) _ ;

ne pleure pas Achille, sèche tes larmes et va te venger,

réconcilie-toi avec l’Atride contrit _ Agamemnon _

et massacre Hector de ta furie,

vengeance, vengeance,

je sens la vengeance gronder dans ce train dévalant les collines« 

_ du Latium,

nous approchons maintenant de Rome, au chapitre XXI du récit du narrateur, page 463…

Ce souffle magnifique du roman de Mathias Énard, se déroule

_ à l’exception de trois chapitres de citation de récits d’un « petit bouquin libanais »

(l’expression se trouve page 60

_ qui font office de pause, pour s’absorber, narrateur comme lecteur, dans quelque lecture, et échapper, un peu et provisoirement, à ses pensées ; ou à ses fantômes, si fidèles…)

d’un auteur s’appelant « Rafaël Kahla« ,

« né au Liban en 1940, dit la quatrième de couverture » et qui « vit aujourd’hui entre Tanger et Beyrouth » ;

« Tanger gardienne de la lèvre inférieure de la Zone« …  (page 369) :

« je me demande si Rafaël Kahla me ressemble, pourquoi écrit-il ses histoires terrifiantes, a-t-il essayé d’étrangler sa femme comme Lowry, ou l’a-t-il assassinée comme Burroughs, incita-t-il à la haine et au meurtre comme Brasillach ou Pound, peut-être est-ce une victime comme Choukri le misérable, ou un homme trois fois vaincu comme Cervantès » (pages 445-446) _ ;

ce souffle magnifique du roman de Mathias Énard, se déroule, donc,

du tenant (et élan) d’une phrase unique, sans un seul point pour l’interrompre et le couper, ce long et ample « souffle » du narrateur..

Mais le rythme de ce qui s’y exprime est aux antipodes de la virtuosité artificielle, ou, a fortiori, « expérimentale » : c’est le rythme même de la pensée livrée à elle-même seule ;

et peuplée d’impressions et de souvenirs qui ne cessent, richement, d’affluer, et d’orienter ce qui se pense vers l’ailleurs (encore et seulement du réel)

_ notamment, mais pas seulement, la « zone » d’affectation de l’agent du service

(d’enquête de sécurité extérieure : « délégué de défense » ainsi que le spécifiait frileusement l’intitulé du concours administratif« , est-il indiqué page 124 ;

devenant « un expert, un spécialiste de la folie politico-religieuse qui est une pathologie de plus en plus répandue« , se dit le narrateur au passage de « Parme qui s’enfuit dans la nuit« , page 137) ;

notamment, mais pas seulement, la « zone » d’affectation de l’agent du service du Boulevard Mortier à Paris ;

vers l’ailleurs (du réel), donc,

et vers un passé (bien réel, lui aussi !) assez obsédant ;

pas réellement vraiment passé et _ proustiennement ! _ dépassé, en tout cas, pour le malheureux narrateur,

qui a manqué à plusieurs reprises _ dont une fois à Venise _ de bel et bien (physiquement) s’y noyer :

« trop de choses il y a trop de choses tout est trop lourd même un train n’arrivera pas à amener ces souvenirs à Rome tant ils pèsent, ils pèsent plus que tous les bourreaux et les victimes dans la malette au-dessus de mon siège, cette collection de fantômes (…), il faudrait être saint Christophe pour porter tout cela » (page 355)…

Et saint Christophe _ « géant de Chaldée » _ vient, « à l’aéroport de Fiumicino » (page 516) :

« Achille calmé« 

peut enfin « traverser des fleuves au trois fois triple tour et d’autres Scamandres barrés de cadavres«  (page 517)…

L’adéquation entre la matière

(affronter les violences des guerres _ au-delà de l’ex-Yougoslavie, toutes celles de la « zone » de la Méditerranée et du Moyen-Orient qui donne son titre, délibéré, au livre ! _ d’aujourd’hui :

un brin plus loin que les ronds de nombril du tout-venant tristement auto-complaisant de bien de la production éditoriale française, par les temps qui courent…) ;

et ce souffle de l’écriture de Mathias Énard

est absolument magnifique.

Un univers, qui est le nôtre aussi _ et en constante expansion _, se découvre et s’éclaire au fil des pages, en renouvelant constamment, pour notre plaisir, la joie d’une découverte en profondeur.

Et quel incroyable sens de l’écriture

(et richesse prodigieuse de l’expérience,

poétiquement méditée, qui plus est, et c’est bien peu de le dire !)

pour un auteur d’à peine trente-six ans !


Ainsi, à l’ouverture du (particulièrement magnifique) chapitre XIX autour de Trieste _ et de son contact là-bas « Rolf le Gentil » : « l’Austro-Italien (…) ni juif, ni slave, Rolf Cavriani von Eppan (…) cousin des Habsbourg-Lorraine et des princes de Thurn und Taxis inventeurs de la poste, né à Trieste pendant la guerre, un petit monsieur moustachu dernier descendant d’une famille ducale qui possédait autrefois la moitié de la Bohème et de la Galicie » (page 423)  « ignore que je connais son dilemme,  je sais que le Destin vengeur a voulu qu’il naisse duc d’Auschwitz, Rolf von Auschwitz und Zator, titre antique et princier remontant au XIe siècle, c’est son nom, le nom de ses ancêtres que les nazis ont terni, obligeant son blason à rester dans l’ombre à jamais, Rolf dont le fief est aujourd’hui lié à la plus grande usine de mort jamais construite porte plus qu’un autre le poids de l’histoire« …

Et Francis Servain Mirković poursuit : « je me demande s’il faut rire ou pleurer de ses scrupules héraldiques et de sa mère aux amitiés troubles, le soleil s’est couché, je remonte lentement le front de mer, deux millions de morts _ à Auschwitz-Birkenau _ ne pèsent pas si lourds, en fait, des mots des chiffres du papier, les hommes sont de grands techniciens de la prise de notes, du raccourci » (page 435)…

Et la remarque est d’expert : « Lebihan mon chef me félicitait sans cesse pour ma prose _ a-t-on, appris page 134 _, on s’y croirait disait-il, vous êtes le champion toutes catégories de la note,

mais ne pourriez-vous pas

être un peu plus sec,

aller un peu plus vite à l’essentiel,

imaginez, si tout le monde faisait comme vous

on ne saurait plus où donner de la tête,

mais bravo mon cher

bravo« …

« pauvre Rolf le noble auquel les nazis ont pris son titre

_ venait juste de marmonner le narrateur dans le train _,

auquel l’histoire a pris son titre,

il se venge

_ voilà le point crucial de l’épisode triestin du « délégué de défense » _

en me donnant ces documents,

les rapports de Globocnik à Himmler entre 1942 et 1945,

toutes les activité de l’Aktion Reinhardt en Pologne et en Italie,

il se défait d’un poids, Rolf, il a l’air soulagé de contribuer au remplissage de la valise,

il me serre la main, je le remercie pour le déjeuner, il esquisse un sourire et monte dans sa voiture« …

Tel était le passage précédant immédiatement ce que j’ai retranscrit juste avant, page 435…

J’en viens à cet incroyable début du (particulièrement magnifique, donc) chapitre XIX, sur Trieste, pour un auteur d’à peine trente-six ans :

« tout est plus difficile à l’âge d’homme

_ soit la reprise de l’incipit du chapitre I _

la sensation d’être un pauvre type l’approche de la vieillesse l’accumulation des fautes le corps nous lâche

_ le sait-on déjà si bien à trente-six ans ?.. _

traces blanches sur les tempes veines plus marquées sexe qui rétrécit oreilles qui s’allongent la maladie guette, la pelade les champignons de Lebihan ou le cancer de mon père terrassé par Apollon sans que le couteau de Machaon y puisse rien, la flêche était trop bien plantée, trop profonde, malgré plusieurs opérations le mal revenait, s’étendait, mon père commençait à fondre, à fondre puis à sécher, il paraissait de plus en plus grand, étiré, son visage immense et pâli se creusait de cavités osseuses, ses bras se décharnaient, l’homme si sobre était presque complètement silencieux, ma mère parlait pour lui, elle disait ton père ceci, ton père cela, en sa présence, c’était sa pythie, elle interprétait ses signes, ton père est content de te voir, disait-elle lors de mes visites, tu lui manques, et le corps paternel dans son fauteuil se taisait« … (page 415).

Voilà ce que c’est qu’écrire !

Mais le plus terrible _ il y a longtemps qu’on n’a lu aussi terrifiant !.. _ concerne les souvenirs _ si réels ! _ des opérations de guerre

en Slavonie _ contre les tchetniks serbes _

et en Bosnie _ contre les musulmans,

avec ses copains Vlaho Lozović, le « débonnaire«  (page 247) et « magnanime«  (page 464) vigneron dalmate de Split, et Andrija; « le furieux » (page 161), « féroce » (page 276) et « brave » (page 277 ou page 384), voire « divin » (page 388) ou « sauvage«  (page 404), paysan slavon d’Osijek :

« heureusement il y avait Andrija,

Andrija le lion avait du courage à revendre

c’était un paysan des environs d’Osijek il pêchait des brochets et des carpes dans la Drave et le Danube avec lesquelles sa mère cuisinait un méchant ragoût de poisson terriblement piquant à l’odeur de vase

_ j’ai sans doute faim pour y repenser à présent » (un peu après Lodi, page 43)…

« son courage était lié à une parfaite innocence,

pour lui les obus n’étaient que du bruit et des morceaux de métal, un peu plus qu’un pétard d’exercice, c’est tout,

il n’envisageait pas l’effet que ces explosifs pouvaient avoir sur son corps, pas même inconsciemment,

et pourtant il en avait vu, des types percés de shrapnels fumants, amputés et éventrés ou juste éraflés,

mais il avait une telle foi en son destin que rien ne pouvait l’atteindre,

et rien ne l’atteignait » (page 384)…

« Nous étions bien ensemble

à Osijek

en virée à Trieste

 à Mostar

à Vitez

nous étions bien

drôlement bien

la guerre est un sport comme un autre finalement

on doit choisir un camp

être une victime ou un bourreau

il n’y a pas d’alternative

il faut être d’un côté ou de l’autre du fusil

on n’a pas le choix

jamais 

enfin presque« , avance le narrateur page 333.

Déjà l’ouverture des tout premiers mots du livre _ la voici, donc, maintenant _, et sans majuscule initiale :

le lecteur prend en quelque sorte en cours,

comme par quelque légère effraction

_ le narrateur est encore légèrement ivre, sous les effets d’une « gueule de bois » qui est loin de se résumer aux petites frasques de son hier soir _,

le défilé

_ qu’accompagne aussi le bruit lancinant régulier du rythme des essieux des wagons

ne cessant de peser, en les enfilant à toute vitesse, sur les travées des rails du « Pendolino diretto Milano-Roma qui vous portera à la fin du monde, prévue à la gare de Termini à vingt et une heures douze » (lui avait prédit page 59 entre Prague et Francfort « la Mort » : « un tchèque germanophone avec un horaire de chemin de fer » universel…) _ ;

le défilé _ donc _ d’une pensée qui afflue, à flots qui voudraient s’apaiser

_ celle du narrateur, face à lui-même et à ses altérités, surtout (pays, ennemis, guerres, famille, femmes), bien réelles : même l’alcool (et les amphétamines) échoue(nt) à les estomper jamais si peu que ce soit _ ;

le défilement, même, d’une pensée obsédante qui ne débute certainement pas à cette seule première page… :

« tout est plus difficile à l’âge d’homme

_ quand y accède-t-on donc (et sort-on jamais enfin de l’enfance) ? _,

tout sonne plus faux un peu métallique comme le bruit de deux armes de bronze l’une contre l’autre elles nous renvoient à nous-mêmes sans nous laisser sortir de rien c’est une belle prison, on voyage avec bien des choses, un enfant qu’on n’a pas porté une petite étoile en cristal de Bohème un talisman auprès des neiges qu’on regarde fondre, après l’inversion du Gulf Stream prélude à la glaciation, stalactites à Rome et icebergs en Egypte, il n’arrête pas de pleuvoir sur Milan j’ai raté l’avion j’avais mille cinq cents kilomètres de train devant moi il m’en reste cinq cents, ce matin les Alpes ont brillé comme des couteaux, je tremblais d’épuisement sur mon siège sans pouvoir fermer l’œil comme un drogué tout courbaturé, je me suis parlé tout haut dans le train, ou tout bas, je me sens très vieux je voudrais que le convoi continue continue qu’il aille jusqu’à Istanbul ou Syracuse qu’il aille jusqu’au bout au moins lui qu’il sache aller jusqu’au terme du trajet j’ai pensé oh je suis bien à plaindre je me suis pris en pitié dans ce train dont le rythme vous ouvre l’âme plus surement qu’un scalpel, je laisse tout filer tout s’enfuit tout est plus difficile par les temps qui courent le long des voies du chemin de fer j’aimerais me laisser conduire tout simplement d’un endroit à l’autre comme il est logique pour un voyageur tel un non-voyant pris par le bras lorsqu’il traverse une route dangereuse mais je vais juste de Paris à Rome, et à la gare de Milan, dans ce temple d’Akhenaton pour locomotives où subsistent quelques traces de neige malgré la pluie je tourne en rond«  Etc…

_ c’est moi qui interromps le texte ;

lequel ne connaît que le « saut » des chapitres

_ au nombre de XXIV, comme les chants de « l’Iliade » : car l’on renoue ici, avec ce « Zone« , avec l’épopée ! _  ;

mais sans davantage de point ; ni de majuscule initiale…

C’est le souffle du lecteur (passionné) qui vient repérer la découpe

_ pleinement (et exclusivement) respiratoire !.. _

des expressions et les sauts de pensée (et mémoire) du narrateur, inquiet et fatigué

donc par l’alcool et les amphétamines de la nuit de cuite

(et de « binage »

d’une « Françoise » : « une femme d’une soixantaine d’années très maigre avec un long visage fin

qu’est-ce qui m’a pris,

elle était très surprise de mon intérêt, méfiante » ;

« Françoise ne parlait pas d’épingler, elle disait je veux bien que tu me bines« , se souvient le narrateur page 131) ;

de la nuit de cuite précédente, à Montmartre (au bar de « la Pomponette rue Lepic« , page 130 ;

« sa langue était très épaisse et amère elle buvait de la Suze« , page 131)

dans ce train qui l’emporte vers Rome :

« même mort sur un siège ce train m’amènerait à destination,

il y a dans les chemins de fer une obstination

qui est proche de celle de la vie« ,

n’est-ce pas ? constate le narrateur (page 252)…

Que va donc, agité de tous ces fantômes,

rechercher le narrateur de « Zone » à Rome ?

Et va-t-il, in fine, s’en retourner (lui aussi à Paris),

tel le « tu » de « La Modification » de Michel Butor ?

Mais on se trouve, en ce « Zone« -ci, sur d’autres pistes encore d’altérité (du réel)…

L’enjeu étant probablement pour le personnage, page 217, de

« disparaître et renaître« ,

« si cela est possible« …

Envisager de (res-)sortir peut-être, pour son compte,

s’évader, si cela se pouvait,

du cauchemar épouvantable « sur rails »

_ à la faveur du train général (partagé, collectif) qui vous emporte si aisément un peu plus loin _,

de ce tunnel-étau broyant bien réel

de l’Histoire (des pyramides enchassées de pères et de mères)

au moins depuis qu’on en a trace _ Homère, Schliemann _, à Troie

(que vont visiter,

depuis leur « hôtel-club » de vacances, « en juillet 1991« , proche des Dardanelles, page 49,

Francis Servain Mirković et sa plantureuse première compagne _ « le corps de Marianne m’obsède malgré les années et les corps qui lui ont succédé« , page 53 :

« dans ce club ennuyeux on pouvait profiter d’excursions organisées, une aux Dardanelles une à Troie c’est tout ce que Marianne parvint à me faire accepter » ;

« l’expédition à Troie fut un calvaire de poussière et de chaleur« , page 50) ;

depuis en fait probablement la nuit des temps…

Un grand auteur

_ et un grand sujet (d’aveuglante actualité de « vérité » : la « guerre« …)

intimement mêlés l’un à l’autre, faisant corps

dans une très puissante écriture : le souffle ! _,

est à découvrir là, en « Zone« ,

toutes affaires cessantes…

Titus Curiosus, ce 21 septembre 2008

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