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La respiration océanique de Silvia Baron Supervielle en son « En marge », en contrechant des toiles ouvertes et nettes de son amie peintre Geneviève Asse

01juil

La collection Points-Seuil s’enrichit,

ce mois de mai 2020,

d’une importante édition, de 720 pages, de « Poèmes choisis » _ à méditer ! _ de Silvia Baron Supervielle,

réunis sous le titre de En marge (Points-Seuil P5212) ;

et avec une lucidissime préface parfaite _  de 7 pages, sans gras, et tirée au cordeau _ de René de Ceccatty,

intitulée _ coucou, Yves Bonnefoy _  « L’arrière-pays« …

Ces poèmes ont tous été écrits en français ;

mais certains d’entre eux ont déjà connu l’honneur d’une parution en recueil, à Buenos-Aires, en 2013, aux Éditions Adriana Hidalgo,

en une édition bilingue français – espagnol (traduits, pour cette occasion-là, du français).

Cette édition-ci, En marge,

reprend l’écriture originelle des poèmes, en français

_ parus, isolés, dans des revues, seulement,

ou bien en de précédents recueils : Lectures du vent, en 1988 ; L’Eau étrangère, en 1993 ; Après le pas, en 1997 ; Essais pour un espace, en 2001 ; Pages de voyage, en 2004 ; Autour du vide, en 2008 ; et Sur le fleuve, en 2013 _ ;

mais leur sélection, ici, par l’auteur, est « sensiblement différente » de celle de 2013.

La préface de René de Ceccatty,

toujours magnifiquement analytique et synthétique tout à la fois,

saisit d’emblée l’idiosyncrasie de la poïétique même de Silvia Baron Supervielle ;

qui ne distingue pas vraiment ce qui est prose ou poésie en son œuvre ;

et qui,

par son inscription _ particulièrement choisie _  dans l’espace à la fois très ouvert et délimité de la page

_ mais avec beaucoup de blanc : pour la respiration… _,

trouve un contrechant avec l’œuvre si singulière et tout simplement belle

des tableaux si impressionnants en leur sobriété et nuances de couleur

de son amie peintre Geneviève Asse.

Une parution poétique marquante,

et singulière ;

œuvre de toute une vie de respiration par et dans la poïesis même de l’écriture ;

ainsi que son inscription géographique

_ sur et dans la page, qui en est comme soulevée de mille brises océaniques et/ou souffles de chair _

à la fois ferme et nette,

et aussi estompée,

livrée, page après page, au lecteur fasciné et rêveur du livre.

Ce mercredi 1er juillet 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le mystère résolu de la matière des objets inspirant les « Mythologies » d’Alain Béguerie : la garluche, de certaines zones de la côte aquitaine

30oct

Hier mercredi 29 octobre, à 18 heures 30, 29 rue Bergeret à Bordeaux,

vernissage de l’exposition de photographies « Mythologies« 

de l’ami Alain Béguerie,

au jeu duquel je me suis prêté pour une pièce de ce qu’Alain m’avait dit être « d’alios« ,

en laquelle, répondant à son invite, je « voyais », ou « déchiffrais », en cherchant bien, la puissante figure du centaure Chiron, éduquant de son sage conseil son plus fameux élève, le (bientôt) bouillant Achille…

Sur les murs, côte à côte, une étonnante série d’images, de formats très voisins,

composées _ mais cela, je ne le soupçonnais même pas pour le cas de mon centaure, que je pensais fait d’une seule pièce ! _,

puis photographiées _ magnifiquement, par un jeu caressant de lumière _, par Alain Béguerie ;

et chacune accompagnée d’un texte qu’Alain avait demandé de proposer à ses amis,

et cela à l’entière fantaisie de chacun, pour ce qui concernait le genre et la longueur, sous l’unique indication du titre futur de la collection : « Mythologies« .

Dans mon cas, ce texte à venir ne pouvait être qu’un poème,

et plutôt assez bref, voire elliptique,

indiquant seulement clairement de quel personnage de la mythologie l’objet montré ici par la photo témoignait de la prégnance

tant dans l’œuvre même exposée _ qui, déjà, avait capté l’attention du marcheur de la plage atlantique qu’était son découvreur et conserveur : Alain Béguerie, le photographe qui l’honorait de sa très belle prise de vue en couleurs _

que dans l’esprit du regardeur à l’écritoire,

invité, lui, à proposer ce qu’à son esprit, titillé par ce thème suggéré des « mythologies« , lui inspirait l’œuvre,

et, doublement, minérale _ « d’alios » m’avait dit Alain… _, et photographique,

confiée à nos bons soins (d’inspiration, à notre tour) par l’amitié d’Alain…

Or voilà que François Hubert nous apprend _ à tous _ et nous explique que

la plupart de ces pièces minérales _ à la rare exception de quelques unes, effectivement constituées d’alios _ sont d’un autre minéral que l’alios, et ferrugineux, lui aussi, la garluche, présent en quelques lieux de la côte aquitaine, dans les Landes, mais surtout dans le Nord-Médoc, en un lieu nommé « la pointe de la Négade« , qu’aime arpenter l’ami Alain Béguerie, à la rencontre de ces objets mystérieux et poétiques qui viennent déclencher sa rêverie « mythologique » de marcheur tranquille…

Sur les murs,

tout à côté de mon centaure Chiron éducateur d’Achille,

Eric des Garets utilise lui aussi _ je remarque _, à propos de son objet, le même vocable de « centaure« .

J’ai aussi retenu la présence de Prospero, de Caliban et d’Ariel, dans le texte court et alerte, lui aussi, de Donatien Garnier.

Ainsi que la très belle phrase de conclusion du texte de Fabienne Alexandre : « Démeter recherche Perséphone« …

Voici donc le texte de François Hubert qui « présente » ces « Mythologies » d’Alain Béguerie,

exposées au Boulevard des Potes, 29 rue Bergeret, à Bordeaux, du 26 octobre au 13 novembre 2015 :

Les mythes éphémères d’Alain Béguerie

Une connaissance dont je n’avais jamais douté du sérieux, me dit un jour sans sourciller qu’elle connaissait un photographe qui sculptait l’alios !


Passe encore de sculpter quand on est photographe, mais de l’alios ! Cet agrégat de sable, d’humus décomposé et d’hydrate de fer qu’on trouve au niveau de la nappe phréatique sous les étendues sablonneuses des Landes, est impropre à toute sculpture : sous la seule pression des doigts il s’effrite.


J’ai alors pensé qu’il pouvait s’agir de garluche, car cette roche est souvent confondue avec l’alios en raison de sa couleur et de son caractère ferrugineux. C’est un grès quartzeux, dur et compact, qui affleure en de rares endroits des Landes. On l’utilisait autrefois comme soubassement des maisons à colombage ou même dans les murs de certaines églises. Depuis des temps immémoriaux, on le réduisait aussi dans des forges pour en extraire le fer indispensable à la fabrication de l’outillage. Mais il est impossible de sculpter la garluche parce que, peu homogène et cassante, elle éclate sous le premier coup de burin.


Il fallut que je me rende à l’atelier du mystérieux photographe qui n’est autre qu’Alain Béguerie, pour constater, contre toute attente, que c’est bien la garluche qu’il travaille. Cependant, il ne la sculpte pas, mais assemble les pierres selon des formes qui ne parlent qu’à lui. En photographiant cet assemblage aussi hasardeux qu’éphémère, l’artiste joue sur l’angle de prise de vue et la lumière pour immortaliser les formes qu’il a voulu créer. Puis l’œuvre première est détruite, même si l’artiste met un point d’honneur à conserver les éléments qui la composent en les reliant avec du raphia.


Ainsi s’éclaircissait le mystère du photographe-sculpteur : ses mythes éphémères sont des œuvres de pierre de fer, dont seule la photographie prouve qu’elles ont pu exister quelques secondes.


Mais un deuxième mystère m’intriguait : d’où pouvaient bien provenir toutes ces pierres rassemblées dans l’atelier d’Alain Béguerie ? Certaines d’entre-elles avaient des formes peu communes : on aurait dit des objets fossilisés dans le fer. J’ai vu ainsi un bois flotté dont on reconnaissait les stries à travers le métal qui le dévorait. J’ai vu aussi un galet et un fossile et probablement ce qui avait pu être une pendeloque du Néolithique, victimes de la même métallisation, comme si un alchimiste fou tentant de tout transformer en or ne parvenait qu’à produire un fer de mauvaise qualité !


Car le caractère fantastique de cette création vient aussi du lieu où Alain Béguerie « cueille » ses pierres : la pointe de la Négade qui est un autre finis-terre où les éléments se livrent une guerre sans merci depuis la nuit des temps. Qui n’a pas navigué dans ces eaux où bancs de sables, battures et hauts-fonds soulèvent de terribles déferlantes même par beau temps, ne peut imaginer la violence avec laquelle la mer affronte ici la terre. Au fil du temps la ligne de côte bouge sans cesse. Soulac, l’Amélie, la Négade ont été loin à l’intérieur des terres à certaines périodes de l’histoire, et à d’autres au contraire cette pointe du Médoc n’était qu’un chapelet d’îles qui courrait jusqu’à Lesparre. Depuis le Néolithique ces terres sont habitées. A l’âge du bronze, on contrôlait (pas toujours pacifiquement) le commerce de l’étain qui arrivait des îles britanniques, et à l’époque gauloise on y fabriquait probablement déjà des armes en fer à partir de la garluche. Il fallait bien trouver un intérêt à vivre sur des terres aussi inhospitalières, et ici, la créativité humaine n’a d’égale que son avidité. Aujourd’hui où la mer reprend ses droits sur la terre, surgissent à chaque marée ces pierres de garluche, mais aussi une multitude d’objets pétrifiés dans le fer. Parfois, au moment des grandes marées, on trouve aussi sur l’estran des objets exceptionnels venus du fond des âges, comme un poteau funéraire en bois miraculeusement conservé ou un sanglier enseigne en laiton, qui tous deux datent du bien nommé âge du fer ! On peut les voir dans les musées de la région où ils font figure de pièces exceptionnelles.


Les mythes de pierre d’Alain Béguerie entrent en résonance avec cette agitation permanente des éléments et de l’histoire humaine, ici rien ne dure, tout est éphémère. Mais il ne faut pas se fier aux belles figures féminines qu’il crée avec tant de légèreté : maintenant j’en suis sûr, elles viennent de l’enfer.


François HUBERT


Allez-y donc rêver vous aussi

en contemplant ces photos

et parcourant ces textes de votre propre rêverie-fantaisie…

Titus Curiosus, ce jeudi 30 octobre 2015

le regard de la musicologue sur le regard du philosophe (Bachelard) sur l’activité féconde de l’imaginer

12juil

Ceci

serait comme une conclusion un peu synthétique à la seconde partie de mon article précédent, A propos de la poïétique, deux exercices d’application : Jean-Paul Michel et Gaston Bachelard,

je veux dire un bilan de ma lecture de l’essai de la musicologue Marie-Pierre Lassus _ celle-ci est maître de conférences HDR en musicologie à l’université de Lille-3… _ Gaston Bachelard musicien _ Une philosophie des silences et des timbres

Le titre lui-même de l’essai, déjà, fait un peu difficulté :

ce serait par pur quiproquo qu’un tel essai se retrouvât au rayon « musique«  (ou au rayon « Beaux-Arts« ) d’une bibliothèque _ comme d’une librairie, aussi.

Car le terme « musicien » est pris ici métaphoriquement par Marie-Pierre Lassus :

Gaston Bachelard n’est pas (du tout ; en rien) compositeur de musique ;

ni _ ou trop peu _ non plus, praticien de quelque instrument que ce soit (de musique ; ni même d’une voix s’adonnant au chant !)… Il semble avoir renoncé à toute pratique instrumentale _ peut-être le violon… _ au décès de sa femme, en 1920 _ il avait trente-six ans.

Si la « thèse » de Marie-Pierre Lassus (les expressions qui suivent se trouvent aux pages 15 et 16 du livre)

est bien que

« cet art«  _ la musique ! _ fut le véritable fantôme de son imagination _ œuvrante en Gaston Bachelard : jusque, et surtout, dans l’écriture de ses essais de poïétique : la part probablement la plus originale de sa recherche de pensée, de son travail d’analyste-philosophe : consacré à l’« imaginer«  (ou « rêver«  ; cf, en forme de synthèse, sa Poétique de la rêverie, publiée en 1960… _,

le « clair-obscur » _ irradiant _ de son être,

sa partie vibrante _ et, ainsi, inspirante… ; rien moins ! _ ;

ce qui amène Marie-Pierre Lassus à se demander illico, page 16 :

« Mais qu’est-ce que la musique pour ce poète ? _ l’auteur devrait ici un peu plus et mieux distinguer le caractère poétique de l’écrire (et penser) de Gaston Bachelard d’avec l’objet de l’analyse visé par celui-ci : la Poiesis, à l’œuvre dans l’activité féconde de l’« imaginer«  (que Bachelard nomme aussi, ou baptise, « rêverie« , ou « rêver«  _ Comment écrire ce pur mouvement de la vie ?«  ;

et aussi, encore, page 20, à pointer

que

Bachelard « possédait des dons exceptionnels _ de perception ? d’écoute ? _ de musicien

qu’il a su mettre à profit dans son écriture au style _ = rythme ? _ inimitable » ;

au point que, toujours page 20,

« le philosophe _ analyste de la poiesis _ était _ rien moins que _ habité _ hanté, donc, avec la plus grande fécondité : celle du « génie« , dirait un Kant… _ par cette pensée _ creusante, labourante, fécondante : voilà ! _ musicale,

tellement intégrée à son discours, qu’elle fut pour lui une seconde peau«  _ celle qui ressent, en tout cas, en vibrant de (et par) toutes ses pores ; pas seulement un étui translucide et élastique pour les organes… ;

« la musique était pour Bachelard de l’ordre de l’expérience immédiate« , page 21.

il n’empêche qu’il ne s’agit pas là d’un travail de musicien-compositeur de la part de Gaston Bachelard ;

non plus, d’ailleurs que

d’un travail de poète _ même si tout au long de l’essai Marie-Pierre Lassus parle de la « poésie de Gaston Bachelard«  _ ;

mais de poïéticien…


Par exemple, page 23,

après avoir affirmé que,

à partir d’une « poésie induite » de la musique, « Bachelard a découvert le secret de l’activité poétique, d’origine musicale,

qui doit créer son lecteur et le vivifier«  _ oui ! _,

et noté, dans l’élan, que

« de fait, après une lecture _ de notre part, comme de la sienne à elle, l’auteur de cet essai… _ de Gaston Bachelard,

l’effet éprouvé est comparable à celui qui anime l’auditeur à la sortie d’un concert

ou à l’écoute d’un disque

qui l’a é-mu : on se sent plus vif, plus actif,

et on a la même _ voilà _ impression d’entrer _ mais oui ! _ dans un monde _ riche et cohérent en ses diaprures _ de mouvements et de forces _ c’est bien là LE facteur décisif ! en effet ! _,


Et Marie-Pierre Lassus d’en conclure :

« De là cette magie de l’écriture bachelardienne

_ voilà l’objet de l’analyse de la musicologue ici : ou comment la « poésie«  (en acte !) du style de Bachelard est l’instrument approprié (et efficient) à l’objet de sa recherche analytique (philosophique) : comprendre la poïesis œuvrante de l’« imaginer«  ;

objet traqué par notre philosophe bourguignon sous les espèces variées sensibles et plus ou moins mouvantes (et chatoyantes) de l’air, du feu, de l’eau et de la terre _

qui est le résultat d’une activité intense _ du poïéticien _, transmise au lecteur par l’intermédiaire du texte _ écrit _ et de sa musicalité » _ rien moins !!! page 23.

Et, page 24 :

« Chez Bachelard, « l’excès de vie »

_ Marie-Pierre Lassus emprunte l’expression à la page 40 des Fragments pour une Poétique du Feu, œuvre posthume (inachevée) de Gaston Bachelard, établie et publiée par les soins de sa fille Suzanne Bachelard en 1988 : « si nous pouvions faire sentir que dans l’image poétique brûlent un excès de vie, un excès de paroles,

nous aurions, détail par détail, fait la preuve qu’il y a un sens à parler d’un langage chaud _ voilà : une lave en fusion ! dirais-je, pour ma part… Bachelard mettant l’expression « langage chaud«  en italiques ! _,

grand foyer _ autre métaphore _ de mots indisciplinés

où se consume de l’être,

dans une ambition quasi folle _ de la part du poïéticien qu’il se fait alors… _ de promouvoir un plus-être, un plus qu’être« … :

curieusement, Marie-Pierre Lassus interrompt sa citation à « excès de vie«  : et manque le reste ! si merveilleux ! si lumineusement parlant de l’ambition du style même de Gaston Bachelard à l’œuvre, à l’écritoire ! _ ;

Chez Bachelard, « l’excès de vie », donc _ je reprends le fil de ma citation initiale _,

perçu dans le fil (et l’élan) des « images poétiques«  à déchiffrer-analyser,

provient de son expérience _ sonore (timbres et silences compris)… _ de musicien«  _ toujours cet usage ambigu…

Et d’ajouter, toujours page 24 :

« Bachelard a conservé dans sa poésie _ encore un autre usage ambigu !!! _ cet arrière-plan musical _ à relief et développements _ qui le caractérise »…

Là où l’intuition de Marie-Pierre est beaucoup plus heureuse _ que ces ambiguïtés de formulation et d’usage des termes de « musicien«  et « poète«  _,

c’est dans l’exploration ultra-fine de ce qui demeure de « musical » dans le style philosophique d’écrire et de penser _ mais est-ce dissociable ? _ de Gaston Bachelard s’essayant à l’exploration _ « quasi folle » ?.. _ du poïétique _ opération de « de promouvoir un plus-être, un plus qu’être«  : ces expressions sont cruciales !.. On eût apprécié que Marie-Pierre Lassus s’y arrête, les relève, les retienne, en en déduise (davantage qu’elle ne le fait : trop vite, et trop en passant) ce qu’elles impliquent et de la méthode et de l’ambition quant à l’ontologie (et au rapport de soi et de l’exercice à affiner de ses sens à l’être) _ :


« En répertoriant tous les noms de musiciens, musicologues et chanteurs cités dans ses livres,

nous avons trouvé des révélations sur sa manière _ générale autant que particulière et singulière _ d’entendre », page 24.

« Il nous est apparu ainsi que

la discontinuité

qui est au fondement de la pensée bachelardienne

rejoignait une notion centrale dans la musique du début XXème siècle« 

_ et « parmi les contemporains de Bachelard, Claude Debussy nous est apparu le plus proche en tant que créateur d’une nouvelle manière d’écouter la musique _ celles des choses, ou de l’être, ou du moins de ses flux, de ses ondes, aussi ?.. auxquels se rapporter, soi et ses sens… _ au XXème siècle« , ajoutera l’auteur, Marie-Pierre Lassus, page 25… _

: « loin de se soumettre à une continuité supérieure, d’essence mélodique (comme le pensait H. Bergson),

le temps _ musical, tout autant que bachelardien _ y est toujours jaillissant,

et non donné d’avance

_ ici je renvoie à mon article (du 10 mars 2009) : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« , une lecture de l’essai remarquable de Jean-Yves Tadié : Le Songe musical _ Claude Debussy

En musique, cela correspond au rythme

qui surgit de cet ensemble _ si riche en la complexité qualitative sensible et mouvante, sans cesse « altérée« , activement et ultra-finement « variée« , de son tissu déroulé… : cf ici l’analyse magnifique de Bernard Sève : L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe… _ constitué par les sons _ ou, mieux, « les timbres« _ et les silences« , pages 24-25…


Avec ce résultat, page 25, que,

si « le temps est essentiellement affectif » _ la citation est empruntée par Marie-Pierre Lassus à L’Intuition de l’instant (page 39) _,

« la poésie _ de l’écrire, tel que se l’assigne Gaston Bachelard (en sa poïétique), selon Marie-Pierre Lassus _ doit être polyphonique et verticale,

comme la musique et l’homme«  _ cf ici L’Air et les songes (page 283) ; voir aussi L’Intuition de l’instant (page 224)…

Au passage, cela m’évoque la thèse de l’« angularité«  que formule l’assez génial, lui aussi, Henri Van Lier, en son Anthropogénie, paru récemment, aux Impressions nouvelles ; cf le bel article sur ce livre (et ce philosophe hors des sentiers battus : Henri Van Lier), par Robert Maggiori, le 6 mai 2010 dans Libération : « Le tour de l’homme« 

Chez Gaston Bachelard aussi, nous avons affaire et à une anthropologie, et à une « anthropogénie«  ! Je note au passage seulement ici cette remarque de Robert Maggiori à propos des aperçus de Van Lier sur la voix : « Pour la voix, Van Lier ne se contente pas de voir les modifications anatomiques du visage et de la cavité buccale qui ont permis son apparition : il fait une théorie du ton, du timbre _ voilà ! _, du son, du chant, du rythme _ nous y sommes !!! _, des instruments musicaux, une histoire de la musique dans le monde grec, l’Inde ou la Chine, une sémiotique du signe musical, une étude de ses fonctions incantatoires, de la magie, du chamanisme, etc.« … Avec cette thèse : « la chance de l’Homme, c’est qu’il fait des angles »… A comparer avec les intuitions de Bachelard sur ce que la verticalité vient apporter (humainement) à l’horizontalité ; et l’importance décisive, ou cruciale, du rythme… Fin de l’incise Van Lier…


Par là, « l’esthétique bachelardienne et l’esthétique sino-japonaise _ Marie-Pierre Lassus y renvoie de façon judicieuse, notamment via l’œuvre de Tchouang-Tseu ! elle y revient à plusieurs reprises en ce livre ; et la page de couverture du livre présente trois illustrations (« Libellules à fleur de l’eau«  ; « Papillon poudré émergeant des fleurs«  ; et « Les Phénix chantent en harmonie« ), d’après des planches extraites du Fengxuan xuanpin, « un des manuels de cithare qin présentés dans la compilation Qinqu jicheng (introduction à l’étude du qin) dite QQJC, pp. 407 et 398«  _ partagent une même conception du monde fondée sur les éléments de la Nature dans laquelle tout est signe pour l’homme, appelé à en déchiffrer les mystères« , page 26.

Aussi, « en tant qu’imaginaire commun à l’humanité, la Nature, et ses mouvements, fut aussi le point de départ de la musique de Debussy (fervent amateur des estampes japonaises) et de la poésie (sic) bachelardienne« , toujours page 26.


Et Marie-Pierre Lassus d’annoncer qu’elle précisera en le détail des analyses de son livre « en quoi consiste l’universalité de son « esthétique concrète »

et ce que signifie, d’autre part, l’expression de « conscience créante » en regard de la notion d’activité issue de son expérience musicale (sic),

créatrice d’une poétique _ oui ! _ conçue comme une « philosophie de l’acte » ou « philosophie de vie en action »« ,

pour aboutir à cette proposition séminale, page 27 :

« C’est à cette source musicale _ en amont _ que Bachelard revient toujours _ en son écrire ! (ou style) _, en sollicitant _ en aval _ la mémoire sensorielle du lecteur qui, au contact de ses livres _ et à son tour : en lisant vraiment ! _, se reconstruit _ voilà ! _ en apprenant _ en le lisant ! donc… _ à bien respirer (ou à chanter).

Ce faisant, il a ouvert une voie nouvelle à la pensée _ poïétique : dont l’objet d’exploration (=visé) est la poiesis_ et a suivi d’autres chemins que les voies _ traditionnelles, déjà tracées et déjà empruntées par certains _ théoriques _ Aristote distinguait theoria, praxis et poiesis _ ou esthétiques _ en tant que déjà configurées, formées, sinon formatées…

En concevant _ c’est du moins l’hypothèse de travail ici de Marie-Pierre Lassus _ la musique comme une phénoménologie _ en acte (et en œuvres ! en résultant…) _ liée à une expérience humaine _ se faisant et défaisant, et métamorphosant sans cesse : à son plus vif, du moins… _,

il s’est intéressé à ce qui est au fondement _ radical ! _ de la relation _ vivante _ entre les êtres et les choses.

La musique, telle qu’elle est envisagée _ implicitement _ par Bachelard à travers _ principalement _ sa pratique d’écoute,

n’est pas un domaine réservé aux seuls spécialistes et musicologues. Elle fait partie _ de même que la poésie (des poètes ; ainsi que de quelques uns, aussi, des prosateurs…) _ de la vie« …


Alors, « elle est chez lui à l’origine d’une ontologie,

ou d’une « poétique de la relation »

pouvant permettre à l’homme de mieux habiter _ hölderliniennement ! « en poète » ! _ le monde,

à condition de se faire lui-même _ eh ! oui ! sans le craindre, mallarméennement… _ instrument, « harpe éolienne » _ cf le final musical éolien de Vendredi in le Vendredi et les limbes du Pacifique de Michel Tournier… _, à l’écoute des sonorités des êtres et des choses« …


Et Marie-Pierre Lassus de proposer, au final de son « Coup d’archet » d’introduction à son essai,

d' »inviter le lecteur à écouter cette action secrète de la musique sous les mots _ voilà ! c’est ce que signifie le mot « style » ! _

et à les vivre comme le recommandait Bachelard afin de mieux s’éprouver lui-même« , page 28 ;

et mieux penser (musicalement et poétiquement) en le ressentant mieux (ainsi !)

ce qui n’est pas nécessairement visible (= repérable ; ni calculable : ainsi un rythme n’est-il certes pas une cadence mécanique programmable !) :

tels les timbres et les silences, par exemple ;

et les rythmes…

Une dernière chose sur cet essai, Gaston Bachelard musicien _ Une philosophie des silences et des timbres, de Marie-Pierre Lassus :

si le livre ne donne pas lieu à une réelle et claire synthèse en son final, ainsi que je le relevai en mon article précédent,

c’est que l’écrire même de Gaston Bachelard _ à l’instar de celui d’un Montaigne, ou d’un Nietzsche, et de quelques autres de ce même acabit, tel un Pascal aussi… _ ne s’y prête guère,

me semble-t-il…


Et se révèlent infiniment précieuses à cet égard
,

alors,

les remarques de Suzanne Bachelard, sa fille, en Avant-Propos : Un livre vécu (de la page 5 à la page 24) au livre posthume de son père, dont elle a établi une version qu’elle a proposée (au lectorat un tant soit peu curieux) en janvier 1988 : les Fragments pour une Poétique du Feu :

« Quand mon père entreprenait la rédaction d’un livre, après des lectures nombreuses et des notes accumulées,

il commençait par le commencement _ futur, définitif _ du livre _ achevé et proposé ainsi à la lecture du lecteur à venir _,

il ébauchait _ voilà ! _ l’introduction,

plus exactement _ et la précision a toute son importance ! on va s’en aviser… _ le commencement de l’introduction,

parfois avec une note marginale : « un début possible ».

Il travaillait par reprise et rectification. Il ne raturait pas _ mais re-commençait… Il annotait le déjà écrit et récrivait.

Nombreuses sont _ ainsi _ les pages où n’étaient marquées que les premières phrases

auxquelles il attachait _ voilà ! un « départ«  ! _ une valeur dynamique _ de propulsion du penser : de l’écrire comme du lire !

Je me souviens qu’en lisant les Monologues de Schleiermacher il me parla avec admiration du « grand coup d’archet » par lequel commence le livre : « Keine köstlichere Gabe vermag der Mensch dem Menschen anzubieten, als war er im Innersten des Gemüths zu sich selbst geredet hat ».

Écrire les premières pages, c’était prendre son élan _ oui ! se lancer… _,

se donner confiance _ comme c’est juste ! la joie du résultat de l’essayer !

Ces pages ébauchées,

la ligne d’intérêt _ la piste _ suffisamment définie pour être un premier guide _ un premier phare, fût-ce rien que la lueur vacillante d’une lanterne, ou la flamme gracile d’une chandelle ; avec son encouragement ! _,

il se mettait à la tâche, dans un continuel va-et-vient entre l’introduction et les chapitres du livre.

Cette fois _ -ci : pour ce qui ne put pas aller plus loin que des Fragments pour une Poétique du Feu _,

le livre projeté est resté, pour reprendre une expression de mon père, « en chantier ».

Le livre n’est pas resté seulement inachevé. Le livre s’est fait _ aussi ! ou plutôt est demeuré… _ plusieurs. Les intérêts _ les pistes commencées de tracer et explorer… _ se sont multipliés, entrecroisés.

Le choix (éditorial ! impératif !) _ difficile _ est resté ouvert.


Plus loin, page 17,

Suzanne Bachelard note aussi, à propos de l’exploration de l’image du Phénix,

à partir de cette citation de son père : « Pour écrire un livre sur le Phénix il faudrait être maître d’une riche érudition. Il faudrait devenir un historien instruit des mythes et des religions » :

Mon père n’en avait ni la possibilité _ temporelle : il vieillissait _ ni fondamentalement le goût. D’autres intérêts _ d’autres pistes _ l’animaient _ voilà le terme moteur !

Pourtant un regret était _ à demeure et obstinément _ actif _ toujours ce vecteur dynamique ! _ de ne pas être assez instruit.

Éternel écolier _ voilà le sort valeureux de ceux qui ont l’âme sempiternellement curieuse ! _,

mon père aimait _ encore et toujours ! _ apprendre.

On peut noter dans ses livres maintes évocations de l’enfance. Ces évocations sont le signe, non pas d’une nostalgie d’un état _ comme induré _ d’enfance,

d’une nostalgie de l’innocence _ dépassée _,

mais bien plutôt d’une nostalgie des capacités _ voilà ! ludiques ! joyeuses… _ de l’enfance,

capacité d’émerveillement de l’enfant rêveur et libre,

mais aussi capacité d’apprendre _ voilà _ et de se transformer _ ou les métamorphoses de l’épanouir passionné ! 

Le désir se renouvelait constamment de lectures de livres érudits _ à la fois ouvreurs d’autres chemins, encore, et rassureurs de connaissances elles aussi joyeuses…

Transparaissait une tension _ voilà _ entre l’audace de l’imagination libre _ ouverte à de l’altérité et créatrice : génialement peut-être… _

et le contrôle _ plus rigoureux _ d’une pensée instruite _ par-dessus l’ignorance première.

Était en jeu également le besoin de rassurer un imaginaire qui se voulait excessif« …

Voilà…

Une quête sans fermeture d’horizon, de la part de Gaston Bachelard…

C’est de là que m’est venue l’affect (= l’impression première) d’un certain piétinement de la démarche de Marie-Pierre Lassus, en son livre ;

comme si celle-ci (ou plutôt celui-ci, ce livre !) ne nous livrait qu’un état encore un peu trop frais, pas assez (éditorialement) reposé ou muri (= épanoui), de sa propre découverte à elle (= la chercheuse), peu à peu,

du « chantier » infiniment ouvert, et laissé ainsi, de la Poétique (fastueuse en ses audaces comme en sa densité, parfois !) de Gaston Bachelard : des années trente à sa mort, le 16 octobre 1962…

Le dossier est ainsi très riche ; et son exploration par Marie-Pierre Lassus

vaut assurément le détour, déjà…

Merci de ce travail

patient, ample et probe !


Titus Curiosus, ce 12 juillet 2010

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