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Pour célébrer Jehan Titelouze (c. 1563 – 1633), pour le 400e anniversaire de la publication de ses « Hymnes », en 1623…

06avr

Hier mercredi 5 avril,

et à l’occasion de la sortie du double album SACD Æolus Æ11341 « Hymnes de l’église pour toucher sur l’orgue« , de Jehan Titelouze (Saint-Omer, vers 1563 – Rouen, 24 octobre 1633), par l’organiste néerlandais Léon Berben,

le site Crescendo a publié un très riche passionnant entretien du chercheur Sébastien Bujeaud avec son journaliste Christophe Steyne, intitulé « 2023, quatre-centième anniversaire de la publication des Hymnes de Jehan Titelouze« …

2023, quatre-centième anniversaire de la publication des Hymnes de Jehan Titelouze

Le 5 avril 2023 par Christophe Steyne

Depuis 2018, Sébastien Bujeaud prépare une thèse de musicologie sur Jehan Titelouze (c1563-1633), que l’on peut considérer comme le père de l’école d’orgue française, notamment grâce à son recueil de douze Hymnes (1623) dont nous commémorons le quatre-centième anniversaire. Un magnifique album enregistré par Léon Berben est à la hauteur de l’événement. Le compositeur a bien sûr attiré l’attention de la science et a connu nombre d’études et d’articles, mais c’est la première fois qu’il est le sujet d’une telle synthèse monographique. À la faveur de ses récents travaux, sous la direction de Philippe Vendrix, le doctorant, rattaché au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (Université de Tours), a bien voulu échanger avec nous : pour nous aider à mieux cerner Titelouze, sa vie, son art, et la singularité esthétique de son œuvre.

Les recherches et publications de Jean Bonfils, Denise Launay, Maurice Vanmackelberg, Willem Elders, Norbert Dufourcq contribuèrent dès les années 1960 à mieux connaître l’existence, les talents et le génie de Titelouze. Pourriez-vous retracer les grandes étapes de son ascension, depuis sa naissance à Saint-Omer jusqu’à sa consécration à la cathédrale de Rouen ? Vos investigations ont-elles révélé des faits majeurs sur son parcours, ou contredit des vérités établies de sa biographie ?

Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité pour parler de mes recherches, à l’occasion de cet anniversaire des Hymnes. D’après ce que nous disent les sources audomaroises, Titelouze est issu d’une famille de ménétriers, amateurs et professionnels, d’origine toulousaine _ voilà _ et non anglaise, établis à Saint-Omer depuis plusieurs décennies. Grâce aux riches archives rouennaises, j’ai pu établir sa présence à Saint-Martin-sur-Renelle à Rouen dès 1583, avant qu’il ne soit nommé organiste de la cathédrale en 1588. Titelouze fut expert en facture d’orgues dès ses débuts rouennais, il bénéficia donc à Saint-Omer d’une formation d’instrumentiste, en facture et reçut probablement les ordres mineurs. Il fut également organiste dans d’autres églises rouennaises, et sut se faire apprécier du chapitre de la cathédrale malgré des rappels à l’ordre pendant les troubles.

Titelouze fut naturalisé _ français _ en 1604, pour pouvoir posséder des biens et des titres, prit l’habit de prêtre en 1609 (peut-être formé chez les Jésuites de Rouen rouverts en 1604) puis celui de chanoine en 1610. Je pense qu’il profita de la richesse culturelle de Rouen et de ses voyages à Paris pour compléter son savoir en théorie musicale et composition, en poésie, en liturgie et théologie en tant que chanoine ; la musique composée, son principal legs actuel, étant la dernière étape de sa riche vie et de ma thèse. Il voyagea de Poitiers à Amiens pour expertiser des orgues, et durant son canonicat puis sa retraite à partir de 1629, alla régulièrement à Paris pour publier ses œuvres, et élargir son entourage musical et savant.

Ma thèse est un rassemblement de sources éparses et une exploitation la plus exhaustive possible des archives, ce qui me permet une plus grande précision sur son ascension sociale et ses différentes activités. Je contredis les recherches antérieures à propos de sa formation, que je pense avoir été plus progressive, débutée à Saint-Omer puis renforcée à Rouen ; de même les archives précisent qu’il prit l’habit de prêtre en 1609 à Rouen et non dans sa ville natale. Les archives de la cathédrale de Rouen me permettent de le suivre jour après jour pendant son canonicat de 1610 à 1629, de noter ses absences, assez longues sans être indignes car il fut peu rappelé à l’ordre, les sujets à propos desquels il siège et décide. Je note trois mois d’absence fin 1622 pour aller à Paris faire éditer ses Hymnes, quatre mois en 1626 pour ses Magnificat et Messes. Outre ses expertises et voyages parisiens, Titelouze alla régulièrement dans ses prébendes dans l’actuelle Seine-Maritime, il participe au roulement de messes, offices et cérémonies à la cathédrale en tant qu’organiste exécutant et chanoine décideur, et devient un notable rouennais.

Titelouze prend même l’ascendant sur le Maître de chapelle nommé après le départ fracassant de H. Frémart en 1625, en s’occupant du financement des enfants et des chantres, en siégeant systématiquement au sujet de la musique et de la liturgie ; d’où ses messes publiées et les cérémonies qu’il dirigea pendant sa retraite. Je pense enfin qu’il dût aller à la Cour, à Paris et Saint-Germain-en-Laye, étant donné qu’il connaissait les Chabanceau de La Barre _ voilà ! _ , organistes et clavecinistes du Roi.

Dans le livret accompagnant le CD de Jean-Charles Ablitzer (Harmonic Records H/CD 9037, 1990), signé de l’éminent Claude Noisette de Crauzat, on relève ces propos (pp 2 & 4) : « On ignore tout de l’homme au particulier, sinon qu’il fut vite acariâtre, sans doute d’un abord difficile […] comment ne pas imaginer Jehan Titelouze assez proche de l’autoportrait de Poussin, douloureusement tourné vers lui-même, la silhouette un peu alourdie par des nourritures épaisses, s’essoufflant à escalader les degrés vers l’orgue […] souvent malade et même craintif ». À défaut de connaître ses traits, dispose-t-on de suffisamment d’indices pour en imaginer voire en dresser un portrait vivant ? Que sait-on aujourd’hui de la personnalité de Titelouze, de sa sociabilité, de ses activités quotidiennes, de ses relations aux contemporains, de son ouverture au monde ?

Les seules informations que j’ai sur son physique sont qu’il devait avoir de grandes mains pour l’époque car il y a un certain nombre de dixièmes dans les Hymnes, y compris dans les fugues sans Cantus firmus, ce qui lui sera reproché car il annonce avoir resserré la disposition du contrepoint dans ses Magnificat. Il souffrait également de la goutte, à cause de la nourriture très riche des chanoines et autres notables, et devait avoir un certain embonpoint. Pour son caractère, je note d’abord que Titelouze était d’une très grande patience, faisant peu à peu ses preuves après la fin des Guerres de Religion _ et c’est bien sûr à remarquer _, progressant en jeu de l’orgue, en facture, en connaissances liturgiques et musicales. Il m’est néanmoins difficile de le cerner avant son canonicat de 1610, car il n’était pas un personnage notable, et était alors peu mentionné dans les archives.

Titelouze était suffisamment ouvert d’esprit _ oui, et non sectaire _ pour écrire à M. Mersenne _ voilà ! _ qu’il connaissait Claude Le Jeune et les psaumes protestants, tandis que plusieurs des jeunes poètes qui lui ont écrit des dédicaces étaient des Libertins (libres-penseurs), membres du groupe des Illustres-Bergers. Sans être très aisé, il s’occupa régulièrement des affaires de ses prébendes, fit souvent réparer et meubler sa maison ; son testament nous apprend qu’il possédait une épinette organisée et contient un certain nombre de donations. Je pense qu’il composait plutôt à ses prébendes comme cela ressort de ses lettres, avant d’essayer les versets chez lui à Rouen et à la cathédrale. Il fut un chanoine assez assidu, siégeant de plus en plus à propos de musique et de liturgie, de facture d’orgues, mais intervenant aussi dans une affaire de sorcellerie _ tout cela, affaire d’époque, sous le règne de LouisXIII. S’il participe aux prières et offices au chœur, Titelouze ne dédaigne pas les mondanités à Paris : il fréquentait les salons et Académies des frères Dupuy, de Mersenne, et par ses amis poètes le Cercle Conrart (qui était protestant), plusieurs de ses contacts étaient des habitués du turbulent Gaston d’Orléans _ le frère du roi…

Titelouze est certes assez pédant dans ses lettres et ses préfaces, il peut être sec en s’énervant contre Mersenne qui lui pose trop de questions ; mais il fait preuve d’humanité quand il auditionne des aspirants prêtres, il insiste pour qu’ils soient rémunérés et disposent de temps pour réviser, il fut attentif à ce qu’il y ait suffisamment d’argent pour les enfants, et sut fort bien naviguer au sein du chapitre pour s’imposer après le départ de Frémart (qu’il avait invité en 1600, à son retour d’aller chercher le facteur d’orgues Carlier). Notre chanoine fait montre d’une très grande curiosité _ voilà _ : il s’intéresse autant à la poésie archaïque du Puy des Palinods de Rouen (concours de poésie mariale très couru par la notabilité), qu’aux bergeries de ses amis parisiens ; il coanima un cénacle scientifique à Rouen, affilié à l’Académie de Mersenne puis à celle des Dupuy, s’intéressant à la physique, la chimie qui se sépare de l’alchimie, aux découvertes scientifiques de Descartes ou Galilée (tous deux condamnés par l’Église), et Mersenne le cite à propos d’acoustique ; enfin ses écrits et ses fréquentations révèlent un intérêt pour l’ésotérisme _ cela aussi, affaire d’époque…


Titelouze s’inscrit dans un fertile terreau européen, où le répertoire pour clavier brillait par les contributions de William Byrd, John Bull, J.P. Sweelinck, Samuel Scheidt, Girolamo Frescobaldi, Francisco Correa de Arauxo… Dans le contexte de la Contre-Réforme et des décrets tridentins, et contrairement aux compositeurs précités, l’œuvre publié de Titelouze s’en tient à la vocation liturgique (Hymnes et Magnificat). Est-ce la seule singularité de ce corpus ? Comment est-il perfusé par l’art de ses prédécesseurs et les influences esthétiques de son temps ? Quels ingrédients et adjectifs distingueraient son langage ? Peut-on le considérer comme un précurseur du choral protestant tel qu’il sera bientôt développé par les organistes d’Allemagne du Nord ?

Il faut savoir que le Concile de Trente, qui contient peu de règles à propos de la musique composée, ne fut pas rapidement appliqué en France : Rouen et plusieurs diocèses ont gardé des mélodies et rituels locaux, très mélismatiques comme l’hymne Annue Christe, des longueurs dont se plaint Titelouze dans une lettre. Je rappelle que G.B. Fasolo, H. Scheidemann, S. Scheidt et les Praetorius ont surtout écrit des versets liturgiques (chorals ou plain-chant selon la religion) ; de même, la musique vocale de W. Byrd, P. Philips, Michael Praetorius, J.P. Sweelinck ou C. Merulo est majoritairement liturgique, en latin ou vernaculaire. Titelouze est certes exclusif, mais ses contemporains n’écrivaient pas tous des danses ou des toccatas (ou des madrigaux), même si ces pièces ont la faveur des enregistrements.

Je note plusieurs particularités dans les versets de Titelouze : dans les Hymnes, le systématisme des premiers versets comportant le plain-chant en Cantus firmus à la basse, suivis d’un subtil équilibre entre des fugues libres sur le thème de l’hymne, et des versets où le Cantus firmus est joué d’une voix à l’autre, sans oublier quelques canons ; ensuite, la différence entre ces versets d’Hymnes très structurés, assez développés, et ceux de Magnificat plus courts, plus virtuoses, d’une structure presque toujours binaire comme la psalmodie, plus dissonants et parfois expérimentaux. Titelouze n’écrit presque jamais de ternaire, un contrepoint très majoritairement à quatre voix, plus allégé dans les Magnificat, une virtuosité bien plus contrôlée que chez J. Bull ou Correa de Arauxo.

Sa musique est proche de celle de son contemporain portugais M.R. Coelho, car tous les deux furent influencés par A. de Cabezón, dans la façon d’écrire le contrepoint au clavier sur thèmes de plain-chant ; je note des points communs avec Scheidt dans leur utilisation des modes, par la lecture de Glarean et l’influence de la polyphonie franco-flamande. Titelouze s’inscrit dans un style français, depuis les messes très aérées de Sermisy jusqu’au contrepoint syncopé dense de Du Caurroy (sa musique vocale et ses Fantaisies instrumentales) sans oublier R. de Lassus abondamment chanté en France. Même s’il a connu G. Costeley et C. Le Jeune, il fut moins influencé par la Musique Mesurée à l’Antique, et écrivit dans ses messes quelques timides essais rythmiques et prosodiques. Malgré sa naissance dans les Pays-Bas espagnols, sa musique a peu à voir avec celles de Sweelinck, P. Cornet, Correa de Arauxo, plus libres et hardies, de même G. Frescobaldi ou encore les « virginalistes » anglais ; je suppose qu’il se forma à la composition à Rouen et non à Saint-Omer.

La musique de Titelouze est très adaptée aux claviers, facile à doigter avec peu de grands écarts comme il dit dans sa Préface des Magnificat, une mise en page étudiée pour faciliter les tournes, des guidons pour indiquer quand changer de main. Titelouze nous indique qu’il a exploré le tempérament dit « mésotonique » (tout en expérimentant sur son épinette en tiers de tons) ce qui lui a permis d’explorer les dissonances à base de quartes et la quarte-et-sixte, intervalles qui sonnent bien dans ce tempérament et tombent bien sous la main. Ses versets révèlent une connaissance pointue du plain-chant, un contrepoint varié, renouvelé par des contre-sujets et un subtil figuralisme, un goût des péroraisons virtuoses ou au contraire majestueuses, des renversements de thèmes. Il écrit dans un style plus harmonique dans les Magnificat, où il multiplie les dissonances et les modulations qui le rendent plus moderne, avec une maîtrise de l’enchaînement des sections du contrepoint, et quelques expériences syncopées ou chromatiques.

Il existait déjà plusieurs façons de composer des chorals pour orgue, dès la fin du XVIe siècle par E.N. Ammerbach, les Schmid, Jacob Paix (cité par Mersenne), les Praetorius d’Hambourg. Ensuite, Sweelinck et ses élèves Scheidt et Scheidemann diversifièrent les formes, comparables à celles composées par notre organiste rouennais : Cantus firmus fixe ou migrant, fugue sur le thème, canons, avec une ébauche de verset en « prélude » exposant la mélodie, suivi d’une fugue sur le thème. Mais les caractères et possibilités des mélodies de choral et de plain-chant sont différents, le choral étant plus rythmique, mélodiquement plus simple et plus aisé pour le contrepoint, sans oublier les grandes différences liturgiques.

Si on considère Titelouze comme un fondateur de l’école d’orgue française, on lui connait peu d’élèves directs. Quelle est son influence sur la postérité ?

Le principal « souci » de la postérité de Titelouze est la naissance concomitante vers 1660 de l’orgue classique français et de l’opéra français _ c’est important à relever _, qui reprit certes les styles antérieurs des Airs de Cours et des danses, mais pas la polyphonie liturgique. Comme « père de la musique d’orgue classique française », G.G. Nivers est moins prestigieux mais plus juste que Titelouze, et surtout Louis Couperin, compositeur d’un style de transition à la fois contrapunctique, dansant et orné, qui à mon avis a connu les pièces de son aîné rouennais. Titelouze apparaît dans les dictionnaires musicaux anciens et fut cité comme autorité par N. Gigault ; mais le coup de grâce _ voilà ! _ porté à son influence, après le retour en force du contrepoint dans l’œuvre de Grigny, fut le style corellien de J.F. Dandrieu. Titelouze fut réellement redécouvert par des érudits normands peu avant A. Guilmant et A. Pirro, à la toute fin du XIXe siècle et, comme le savent les organistes, M. Dupré lui rendit hommage en 1942.

En 1601, Titelouze fit restaurer l’orgue de la Cathédrale de Rouen par un des meilleurs artisans du royaume, Crespin Carlier, et il expertisa de nouveaux instruments dans la cité normande, mais aussi à Poitiers et Amiens. Que sait-on des caractéristiques qu’il apprécia pour ces constructions ? Les saillies poétiques de ce « prince des Palinods » nous renseignent-elles sur ses goûts en matière de facture ?

Je pense en effet que l’influence de Titelouze est celle d’un « père de l’orgue classique français ». D’après les devis qu’il écrivit et les orgues qu’il expertisa, il recommande un clavier principal issu de l’orgue médiéval, décomposé en registres avec quelques flûtes (souvent bouchées) et anches, une solution différente des claviers complémentaires aux Pays-Bas et du Ripieno italien séparant chaque rang de tuyaux. Titelouze importa des Pays-Bas un pédalier classique « de 28 à 30 touches » novateur en France, le Positif de dos est assez peu développé encore, il connut à la fin de sa vie le demi-Récit. Les quintes et nasards sont nombreux, de même les quintatons, les tierces sont assez peu répandues et surtout en taille de principal, les 16’ sont courants au Grand-Orgue. L’expert Titelouze est très au fait des différentes mécaniques de l’orgue, l’alimentation en vent, l’agencement de la console. Il parle de facture dans la Préface des Hymnes, en lien avec l’interprétation, en mentionnant le jeu du contrepoint sur deux claviers (les deux voix aiguës au Grand-Orgue et le ténor au Positif), la basse au pédalier.

Après les importantes destructions des Guerres de Religion, à cause desquelles de nombreuses paroisses mirent des décennies avant de reconstruire leur orgue, Titelouze fusionne donc _ voilà ! _ l’orgue français Renaissance, le Blockwerk médiéval et les instruments joués par Sweelinck ou Cornet. Il influença surtout de nombreux facteurs, plutôt que des organistes ou compositeurs : Carlier, son gendre et successeur de V. de Héman, G. Lesselier, les débuts de la dynastie normande Lefebvre, et imposa un instrument plutôt qu’une musique _ et c’est à relever. L’orgue français préclassique offre donc un certain équilibre entre les différentes hauteurs de registres, entre les fonds, mutations, mixtures, anches fortes et douces, entre les flûtes, bourdons et principaux ; alors que l’orgue français classique louis-quatorzien favorisera les flûtes, les mutations, les anches, les cornets, tandis que l’orgue du XVIIIe siècle multipliera les registres médiums et graves, et une grande puissance sonore.

Son premier poème, écrit pour les Palinods en 1613, est en effet consacré à l’orgue, mais il traite tout autant de liturgie et de musique vocale. Titelouze poète y loue l’alternance liturgique entre orgue et musique vocale, et les registres modernes de flûtes et anches. Son second poème de 1630, édité par Vanmackelberg, est plus ésotérique, pythagoricien et augustinien, sur la symbolique du chiffre 6 qui se retrouve entre autres en musique (hexacordes, douze modes) mais aussi dans d’autres domaines comme l’astronomie. Titelouze fut primé aux Palinods dans le genre archaïque mais prestigieux du Chant royal, il devait être le Prince du concours l’année de sa mort.

Les Hymnes et Magnificat ne mentionnent aucune registration. Quelle liberté s’accorder dans le cadre des codes de l’époque ? Quelles sont selon vous les spécificités d’un orgue qui peut en extraire les trésors polyphoniques ? Dans le paysage organistique d’aujourd’hui, en France ou ailleurs, quels instruments pensez-vous les mieux adaptés ?

Les registrations sont traitées par Mersenne dans sa monumentale Harmonie Universelle, et quelques sources transcrites par Lopes. Elles reflètent l’équilibre sonore de l’orgue préclassique : une majorité relative de mutations, plusieurs Pleins-Jeux différents grâce aux mutations en taille de principal, un emploi courant des 16’ ; les registrations basées sur les 4’ servent plutôt au Positif et aux petits instruments. Les documents mentionnent beaucoup de mélanges creux, et une forte combinatoire. Tous les Cantus firmus à la basse peuvent se jouer une octave en-dessous au pédalier (parfois avec ravalement) si les claviers sont en 16’, de même le ténor au Positif pour jouer sur deux claviers avec Grand-Orgue en 16’.

J’ai pu discuter avec M. Léon Berben qui joue le Cantus firmus au soprano sur le clavier supérieur au petit doigt, ce qui n’est pas si acrobatique, car Titelouze évite les grands écarts, de plus les touches étaient plus petites à l’époque et les claviers plus rapprochés. Cela permet d’utiliser un clavier de Récit et peut aussi s’appliquer à l’alto joué au pouce au clavier inférieur, comme le recommandent Louis Couperin et Gigault (on peut le jouer au pédalier avec un registre de 4’ mais à l’époque de Titelouze il n’existe que la Flûte 4’). Je suggère encore de ne pas mettre la basse au pédalier à la française si elle est virtuose (doubles-croches en C ou croches en ₵), ne pas oublier aussi l’ornementation ou les notes inégales qui donnent beaucoup de relief.

Titelouze en tant qu’instrumentiste, expert, acousticien et compositeur, favorisa le tempérament « au ton moyen » à huit tierces pures, dont je rappelle que le répertoire immense va de la fin du XVe siècle au début du XVIIIe, voire le XIXe selon les pays. Les orgues de Bolbec, Champcueil, Mont-Saint-Aignan, Charolles, Saint-Jacques de Liège, me viennent à l’esprit ; les Magnificat peuvent sonner sur des instruments plus petits, de style varié, d’inspiration Renaissance, comme Saint-Amant-de-Boixe, Saint-Martin-de-Boscherville, Lorris-en-Gâtinais, Saint-Julien-du-Sault. Je pense d’ailleurs que ce recueil de 1626 est de destination polyvalente, intime, avec peu de Cantus firmus, jouable sur une épinette organisée, un clavecin, un clavicorde/manicordion…

En 2017 paraissait chez le label Paraty un album « Les messes retrouvées » par l’ensemble Les Meslanges, dirigé par Thomas Van Essen. Votre sujet de thèse porte en épithète « un organiste au-delà de l’orgue ». Lui connait-on des créations profanes ? Au-delà des deux recueils imprimés par Pierre Ballard, pensez-vous que le défrichage des archives pourra mettre au jour des partitions inédites ?

Titelouze est peut-être le compositeur des exemples sur les douze modes du Traité de l’Harmonie Universelle de Mersenne (1627), car tous les deux en discutèrent dans leur correspondance, surtout les exemples du volume 2 qui tiennent compte des remarques de Titelouze sur les ambitus ; mais cela ne fait pas beaucoup de musique. Il n’a a priori pas composé d’Airs de Cour alors qu’il s’intéressait au genre et qu’il en fit acheter pour la cathédrale de Rouen, d’autant que les Illustres-Bergers publièrent un recueil de chansons. Mais Titelouze était parfaitement intégré à la notabilité de Rouen, avait ses entrées dans les salons parisiens et probablement à la Cour.

Les messes de Titelouze furent en effet redécouvertes en 2016, publiées et enregistrées peu après. Ma thèse contient la première analyse de ces messes, comparées à d’autres messes françaises et aux versets d’orgue, avec des indications d’interprétation selon les effectifs de la cathédrale de Rouen. In Ecclesia est une messe à quatre voix très contrapunctique, dans le style de Bournonville ; la messe Votiva à quatre voix, probablement dédiée à la Vierge, est d’une écriture plus libre, très chantante, que l’ensemble propose avec des violes mentionnées dans les archives de Rouen ; Simplici corde est une messe à six voix assez courte, verticale, euphonique ; sa messe la plus démonstrative est Cantate à six voix, très variée dans ses effectifs, qui se prête aux sonorités cuivrées, probablement pour les grandes occasions comme celles qu’il dirigea en 1631 (inauguration de l’église des Jésuites de Rouen, Sainte-Cécile à la cathédrale). Le style vocal de Titelouze est différent de ses pièces d’orgue, avec beaucoup de croisements de voix, de longues lignes mélodiques, peu de dissonances surtout à six voix, plus d’allègements du contrepoint et de passages verticaux ; mais j’y retrouve les effets subtils de figuralismes, quelques chromatismes et essais rythmiques, des notes tenues pouvant évoquer le pédalier, et les renversements de thèmes.

Sans atteindre la variété des genres abordés par Byrd ou Scheidt, Titelouze nous lègue tout de même vingt pièces pour orgue divisées en 95 versets, et quatre messes divisées en 20 mouvements et 52 sections. Je pense qu’il envisageait d’écrire pour clavecin _ tiens, tiens… _, ainsi que des pièces en double-chœur pour aller au-delà de sa messe Cantate, dans les pièces « hors du commun » qu’il comptait envoyer à Ballard pour publication en 1633. Ma thèse est aussi « au-delà de l’orgue » grâce aux archives et aux nombreux documents très diversifiés que j’ai pu étudier, qui me permettent de faire le lien entre la vie, la pensée, l’œuvre d’un exécutant et penseur, son contexte local et national, ses intérêts en musique et dans de nombreux autres domaines, de comparer l’orgue et la musique vocale, et enfin toutes les facettes de la musique à cette époque charnière.

Propos recueillis par Christophe Steyne

Crédits photographiques : DR

Un entretien-article passionnant pour nous faire entrer dans l’œuvre du « père de l’école française d’orgue« … 

Et cf aussi mon article «  » du 14 février 2019…

Ce jeudi 6 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La persistance des blancs dans l’ascendance recherchée des Langlois normands, présents à Sèvres depuis l’installation là de Polyclès Langlois (1814 – 1872) ; ainsi que de leurs descendants…

13juin

Je continue à rechercher de plus précises donnés biographiques concernant les Langlois originaires de _ et installés _ dès 1591 _ au moins _ à Pont-de-L’Arche, en Normandie,

et présents à Sèvres, depuis Polyclès Langlois (Pont-de-l’Arche, 29 septembre 1814 – Sèvres, 30 novembre 1872), et époux de la sévrienne Amable-Ursule Landry (Sèvres, 19 mai 1825 – Sèvres, 7 février 1898).

A Sèvres

où ce graveur, dessinateur et peintre _ disciple de Camille Corot _, que, en digne héritier des talents de peintre, dessinateur et graveur _ qualifié, lui, de Callot normand _, de son _ assez fameux _ père Eustache-Hyacinthe Langlois _ on remarquera au passage la présence assez fréquente (parmi les seconds prénoms…) du prénom de Hyacinthe parmi de nombreux descendants Langlois _, né, lui, Eustache-Hyacinthe Langlois, à Pont-de-l’Arche le 3 août 1777, et décédé à Rouen, le 29 novembre 1838,

Polyclès Langlois, son fils, posséda lui aussi ;

ce qui lui permit aussi de bientôt faire œuvre utile _ et reconnue _ à la célébre Manufacture de Porcelaines de Sèvres.

Car les données biographiques de ces ancêtres Langlois _ et de Bertrand Langlois, auteur de l’arbre généalogique de ses ancêtres Langlois, et son frère Hervé Langlois, le père de Pauline Langlois de Swarte, et de Théotime Langlois de Swarte _

demeurent obstinément muettes pour la génération intermédiaire entre celle de Robert Langlois (Sèvres, 16 février 1900 _ Montreuil-aux-Lions, Aisne, août 1944) et celle des petits-enfants de ce dernier _ dont font partie et Bertrand (Robert-Hyacinthe-Denis-Pierre) et Hervé (Alexandre-Yves) Langlois, dont je continue d’ignorer les dates et lieux de naissance (ainsi que de mariage(s), aussi)… _ ;

car je continue d’ignorer les prénoms de leur père _ fils unique de Robert Langlois et son épouse Denise Dubourg _, ainsi que les prénoms de leur mère, née Kuntz _ et fille de parents tous deux originaires de Bavière : Eschlkam, Bamberg… _ ;

de même que j’ignore _ non sans avoir pas mal cherché pourtant : il faut être patient et opiniâtre… _ leurs lieux _ pour certains d’entre eux peut-être à Boulogne-Billancourt ; parmi lesquels semblent en effet au moins y avoir vécu Thibaut (Hyacinthe-Jacques-Gérard) Langlois, Matthieu (Adrien, Paul) Langlois et Xavier (François-Henri) Langlois, les trois fils de Bertrand Langlois et son épouse Sylvie Poinsot  _ et dates de naissance ;

ainsi, même, que si ils sont toujours en vie _ ce qui est, sinon probable, du moins tout à fait de l’ordre du possible…

Mais rien, de tels renseignements biographiques concernant ces Langlois, n’apparaît hélas accessible, du fait de nombreux blancs, dans l‘arbre généalogique élaboré par Bertrand Langlois,

notamment concernant la descendance de sa grand-mère bavaroise Katharina Hastreiter (Eschlkam, 26 novembre 1890 – Bamberg, 14 avril 1973)

_ descendance issue des deux mariages de Katharina Halstreiterle mariage avec Jacob Kuntz (4 enfants Kuntz, dont la dernière de la fratrie est la mère de Bertrand Langlois et son frère Hervé Langlois) ; et le mariage avec Ernst Edler (3 enfants Edler) ; cf aussi l’arbre de la descendance du musicien Wenzl Hastreiter, le père de Katharina… _ ;

si bien qu’un certain _ et plutôt intriguant _ secret semble _ mais peut-être fais-je là erreur _ régner…

À suivre donc,



Ce dimanche 13 juin 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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