Posts Tagged ‘Stéphane Degout

Le grand Michael Spyres dans les sublimes « Nuits d’été » d’Hector Berlioz et Théophile Gautier (version, avec orchestre, de 1856) : qu’en penser ?..

14avr

Les « Nuits d’été » d’Hector Berlioz sur des poèmes de Théophile Gautier, sont le plus sublime monument de la mélodie française ;

et Michael Spyres est un des plus merveilleux chanteurs en activité aujourd’hui.

Cependant, la prestation de celui-ci dans le CD « Les Nuits d’été Harold en Italie«  _ le CD Erato 5054197196850, paru le 18 novembre 2022 _, en un enregistrement à Strasbourg du 12 au 15 octobre 2021, sous la direction de l’excellent berliozien qu’est John Nelson, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg,

constitue une relative déception à mes oreilles et à mon goût :

pae ce que j’estime être un certain manque de naturel de l’interprète,

un peu trop opératique…

Voici l’opinion de Jean-Charles Hoffelé, en un article significativement intitulé « Timothy«  _ en l’honneur de l’altiste Timothy Ridout, en verve dans le « Harold en Italie » de ce CD Erato…en date du 7 janvier 2023, sur son site Discophilia :

TIMOTHY

…Passons à pieds joints _ rien que cela !!! _, sur le tour de force parfois pénible _ hélas, oui… _ des Nuits d’été selon Michael Spyres : si son « baryténor » lui permet d’offrir chaque mélodie dans sa tonalité originale, les dotant d’un français plus étudié que naturel _ hélas ! _, comment ne pas entendre que les notes lui résistent pourtant, plus que les sentiments d’ailleurs : Sur les lagunes est vraiment bien senti _ personnellement, je le trouve un peu trop théâtral, opératique… _, et évidemment John Nelson met à son orchestre une poésie, un art d’évoquer qui suffisent à rendre l’écoute attractive.

Pourtant, lorsque l’alto de Timothy Ridout murmure la première méditation de Byron de son archet diseur, soudain ce personnage qui manquait aux Nuits d’été parait. Il ne quittera plus l’auditeur au long de cet Harold en Italie débarrassé de toute grandiloquence jusque dans les tonnerres de l’orgie de brigands, voyage dans des paysages dont l’orchestre de peintre rêvé par Berlioz s’incarne enfin avec toutes ses subtilités : décidément les Strasbourgeois y sont étonnants, tout comme hier dans la Messe Glagolitique de Janáček. Mais c’est d’abord la sonorité ambrée du jeune altiste anglais qui vous cueillera.

Cet ambre des cordes, ce fluide de l’archet, quel altiste les aura possédés avant lui ? Lionel Tertis, et comme Tertis Timothy Ridout sait ce que chanter suppose, le phrasé, les mots imaginaires derrière les notes, les couleurs pour les émotions. Justement, il grave la transcription que Tertis réalisa à son usage du Concerto pour violoncelle d’Elgar, le compositeur l’ayant adoubée jusqu’à diriger la création de ce que l’altiste espérait comme un ajout majeur au répertoire de l’instrument.

Las, cette mouture singulière ne s’imposa pas, affaire de sonorité certainement, l’alto de Tertis était un mezzo haut et sa transcription tire à l’aigu, mais justement la sonorité claire de Timothy Ridout retrouve l’esprit de celle du transcripteur et dans l’orchestre savamment allégé par Martyn Brabbins donne à l’œuvre une couleur nostalgique émouvante.

Contraste total avec la Suite pour alto et orchestre aux couleurs extrêmes orientales que Bloch composa en 1919. C’est l’univers balinais qui ouvre le voyage (initialement Bloch avait intitulé le premier mouvement « Jungle »), le compositeur emportant son alto dans un orchestre hautement évocateur.

L’œuvre est demeurée rare, même au disque, elle culmine dans les lacis vénéneux d’un Nocturne ténébreux, moment magique où le jeune altiste déploie une incantation inquiète, phrasée pianissimo, d’une poésie fascinante, hypnose et sortilèges. Quelle œuvre !

LE DISQUE DU JOUR

Hector Berlioz (1803-1869)


Les nuits d’été, Op. 7, H. 81
Harold en Italie, Op. 16, H. 68

Timothy Ridout, alto
Michael Spyres, ténor
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
John Nelson, direction

Un album du label Erato 5054197196850

Sir Edward Elgar (1857-1934)


Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 85 (arr. pour alto : Lionel Tertis)


Ernest Bloch (1880-1959)


Suite pour alto et orchestre, B. 41

Timothy Ridout, alto
BBC Symphony Orchestra
Martyn Brabbins, direction

Un album du label harmonia mundi HMM902618

Photo à la une : l’altiste Timothy Ridout – Photo : © Kaupo Kikkas…

Et lire aussi _ et surtout _ l’excellent article très détaillé, lui, de Laurent Bury, intitulé « Les Nuits d’été par Michael Spyres – et si en plus il était soprano ? » en date du 19 novembre 2022, sur le site de Première Loge :

Les Nuits d’été par Michael Spyres – Et si en plus, il était soprano ?

19 novembre 2022

Le label Erato poursuit son projet Berlioz dirigé par John Nelson, après notamment des Troyens très remarqués et un Benvenuto Cellini qui n’est pas non plus passé inaperçu. Le chef américain a trouvé ses interprètes de prédilection, que l’on retrouve donc d’un disque à l’autre (Joyce DiDonato, par exemple), mais pour graver Les Nuits d’été, il n’a pas choisi de respecter le souhait du compositeur, qui prévoyait _ en 1856 _ des chanteurs différents pour les six poèmes de Théophile Gautier. Ou du moins, il a préféré un seul interprète qui se targue d’avoir plusieurs voix. Ce n’est en effet plus un secret pour personne : après avoir longtemps été ténor, Rossini étant d’abord son terrain d’élection, Michael Spyres se présente désormais comme baryténor _ voilà ! cf par exemple mon article du 23 octobre 2021 : « «  _, alternant à volonté ces deux timbres, comme il le faisait récemment dans un disque portant exactement ce titre. C’est ce qui lui permet un exploit supplémentaire : respecter la tonalité d’origine pour chacune des pièces.

Heureusement, il ne prétend pas encore pouvoir être aussi soprano, mezzo, ou contre-ténor. Car, par-delà la performance physique, il n’est pas sûr que l’auditeur s’y retrouve vraiment _ aïe – aïe… D’une part, parce que l’on a plus d’une fois l’impression que Michael Spyres s’écoute chanter _ hélas… _ , tout content d’étaler des graves de baryton, voire de baryton-basse. C’est en particulier le cas dans « Le Spectre de la rose » _ ampoulé, en effet _ et dans « Sur les lagunes »  _ trop théâtral, opératique… _ : le chanteur se fait plaisir, s’enivre du beau son qu’il est capable de produire dans une tessiture où l’on ne l’attendait pas a priori, mais il en perd de vue l’émotion qui devrait affleurer _ avec bien plus de naturel… _ et qu’ont si bien su traduire d’autres artistes _ mais oui, à commencer par Régine Crespin ou Janet Baker, ainsi que pas mal d’autres… Il y a là un peu trop d’art et pas assez de naturel _ voilà, voilà ! C’est exactement ça ! De même, la Villanelle initiale manque _ voilà ! _ de fraîcheur : le tempo en est bien _ trop _ lent, et il manque surtout l’entrain _ voilà encore ! _ que l’on aimerait y entendre. De manière générale _ et c’est parfaitement juste _, c’est une approche très « opéra » qui a été adoptée ici  _ à tort !  en effet… _ , dont on peut penser qu’elle n’est pas forcément le meilleur choix pour cette partition qui, même orchestrée, n’est pas si éloignée de l’univers des salons _ mais oui _ auquel elle était au départ destinée.

La deuxième partie du recueil est en revanche beaucoup plus enthousiasmante _ et je partage complètement cet avis _, avec deux mélodies dans lesquelles on retrouve celui qui fut le plus somptueux des titulaires du Faust de La Damnation, qui savait nous tirer des larmes lorsqu’il invoquait la Nature immense. « Au cimetière » est une réussite totale _ oui, oui : sobre et juste, ai-je noté pour ma part… _, sur un texte qui convient à merveille au ténor – car c’est bien un ténor que l’on y entend, avec un chant qui relève bien plus de l’évidence _ oui ! et c’est cela qu’il faut pour entraîner la conviction… _ dès lors qu’il ne cherche plus à prouver quoi que ce soit. Michael Spyres y convainc pleinement _ oui _ et trouve _ enfin _ sans effort les accents les plus adéquats, avec cette diction stupéfiante du français qui est depuis longtemps sa caractéristique. « L’île inconnue » fonctionne aussi très bien _ c’est exactement ce que j’ai moi-même aussi noté ! _, prise à un tempo allant _ oui, oui _, et avec un bel effet de dialogue entre le nautonier et sa belle.

Le programme est complété par Harold en Italie avec le jeune altiste britannique Timothy Ridout en soliste. Déjà protagoniste des deux intégrales d’opéra mentionnées plus haut, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg y livre également une fort belle prestation, John Nelson excellant à traduire les atmosphères évoquées par Berlioz, comme le montrait déjà « Au cimetière », décidément le sommet _ oui, avec L’île inconnue _ de ces Nuits d’été. Ah, si monsieur Spyres avait bien voulu partager avec ses camarades…

Voici aussi un choix de quelques liens _ au nombre de 5 _ à un florilège de précédents articles miens à propos de diverses belles interprétations de ces sublimes berlioziennes « Nuits d’été » que j’aime tant… :

_ le 24 octobre 2011 : « « 

_ le 19 janvier 2019 : « « 

_ le 12 février 2019 : « « 

_ le 22 février 2019 : « « 

_ le 23 mai 2020 : « « 


Voilà.

Ce vendredi 14 avril 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter les mélodies avec piano de Nadia Boulanger (1887 – 1979) : quel(s) chanteur(s) et quel(s) pianiste(s) choisir en CD ?

14mar

Aux pages 93 à 123 de son passionnant « L’Autre XXe siècle musical« , au chapitre intitulé « Nadia Boulanger la grande « Mademoiselle »« ,

Karol Beffa _ cf aussi la vidéo de mon entretien avec lui à la Station Ausone le 25 mars 2022 ; ainsi que mon article, en suivant, « « , du jeudi 7 avril 2022… _ met brillamment en valeur l’œuvre superbe _ et bien trop prématurément interrompue, après 1921, par elle, Nadia, qui la jugeait « inutile« , auprès de l’œuvre de sa sœur Lili !.. _ de Nadia Boulanger (Paris, 16 septembre 1887 – Paris, 22 octobre 1979).

Jusqu’ici, ma discothèque personnelle ne comportait, en matière de Mélodies de la composition de Nadia Boulanger, que le très beau CD « Lili & Nadia Boulanger, Mélodies« , par les épatants Cyrille Dubois, ténor _ magnifique interprète ! Cf aussi son coffret Fauré Aparté AP 284 ; et sur celui-ci, notamment mon article du 3 juin 2022 : « «  _, et Tristan Raës, piano, soit le CD  Aparté AP 224, enregistré au Palazzetto Bru-Zane, à Venise, les 8 et 9 mars 2018.

Et de ce très réussi CD de Cyrille Dubois et Tristan Raës consacré aux Mélodies avec piano des sœurs Boulanger,

se reporter à ce qu’en ont dit deux de mes articles, en date du 26 février 2020 « « , et du 2 mars 20220, « « …

Or voici que vient ces jours-ci de paraître, pour le label Harmonia Mundi, un très intéressant triple album _ complet ! Et son intitulé même le proclame ! _, intitulé, lui, « Les Heures claires – The Complete Songs – Nadia & Lili Boulanger« ,

l’album HMM 902356.58, par, surtout, Lucile Richardot, mezzo-soprano, et Anne de Fornel, piano _ mais aussi Stéphane Degout, baryton, Raquel Camarinha, soprano, Sarah Nemtanu; violon et Emmanuelle Bertrand, violoncelle… _, enregistré à Boulogne-Billancourt aux mois de février et juin 2022 _ et au passage, on peut remarquer que l’ordre de mention des deux sœurs Boulanger, a été ici inversé : Nadia, l’aînée (Paris, 16 septembre 1887 – Paris, 22 octobre 1979), passant cette fois (voire désormais ?..) avant sa cadette Lili (Paris, 21 août 1893 – Mézy-sur-Seine, 15 mars 1918).

Faut-il y voir, je me le demande, quelque impact-résurgence, non explicite certes dans la notice de présentation du livret, ni encore moins revendiqué, de l’article consacré à Nadia Boulager en le très important « L’Autre XXe siècle musical«  de l’ami Karol Beffa ?..

Sur lequel triple album « Les Heures claires – The Complete Songs – Nadia & Lili Boulanger« , donc, vient aussi de paraître, hier 13 mars, sur le site Discophilia et sous la plume de Jean-Charles Hoffelé, l’article suivant, intitulé « Sisters » :

SISTERS

Côté compositeur, au chapitre Boulanger, Lili éclipsa Nadia, cette dernière s’effaçant _ très volontairement _ devant le génie trop intense de sa cadette _ comme l’a excellemment souligné Karol Beffa en son livre pré-cité… Injustice consentie _ et même fièrement assumée, en effet ! _ par l’intéressée.

Le grand bouquet de mélodies qui emplit le premier disque et ouvre le second de ce bel album _ triple _, dont le recto fait voir les deux amies dansant au bord de la mer d’Edvard Munch (Danse sur la plage, 1900), atteste pourtant _ et sans conteste aucun _ d’un talent considérable. Une touche de sombre écarte l’ombre de Fauré, le chromatisme arde un expressionisme que la mélodie française évitait volontiers, et une expansion de l’émotion et de la durée (Écoutez la chanson bien douce : six minutes passées, géniale conversion en notes des mots de Verlaine) que Lili pratiquera dans une moindre mesure avec son opus majeurs Clairière dans le ciel, indiquent bien que Nadia empêcha _ voilà _ son génie. Plus qu’un souvenir, presque un regret, paraît dans son opus ultime, Vers la vie nouvelle, pour le seul piano _ à la plage 15 du premier de ces trois CDs.

Dans les trente-huit mélodies (y compris le cycle Les Heures claireécrit à quatre mains avec l’ami-amant Raoul Pugno) s’insèrent _ à la plage 11 du premier de ces trois CDs _ les haïkus des Trois Pièces pour violoncelle et piano, qu’Emmanuelle Bertrand joue comme une voix humaine, merveilles jusque dans le Vif un peu chinois ! Le timbre de sa grande caisse fait écho au mezzo ambré, sombre, de Lucile Richardot et au baryton enveloppant de Stéphane Degout.

Grande coda dédiée à Lili. Le troisième disque bute pourtant _ et c’est dommage ! _ sur le choix de confier Clairières dans le ciel à une soprano. La tessiture tendue éprouve Raquel Camarinha, soulignant que le cycle est écrit (et de sens premier les poèmes de Francis Jammes itou) pour un homme (le narrateur, Jammes lui-même), en fait un ténor avec aigu, Eric Tappy hier, Cyrille Dubois aujourd’hui _ oui ! Cf mes deux articles cités ici même plus haut _ l’ont affirmé.

Les autres mélodies, plus rares, retrouvent Lucile Richardot et Stéphane Degout, les petits poèmes à deux instruments, violon ou violoncelle sont sublimées par Sarah Nemtanu et Emmanuelle Bertrand dans les paysages, les évocations que le piano d’Anne de Fornel aura dispensés au long de ce voyage entre la rue Ballu et les Maisonnettes de Gargenville.

LE DISQUE DU JOUR

Nadia Boulanger (1887-1979)


Mon cœur
Écoutez la chanson bien douce
Soleils couchants
Allons voir sur le lac d’argent (pour 2 voix)
Versailles
Un grand sommeil noir
Ilda
Mon âme
Poème d’amour
Cantique
Heures ternes
Chanson
Soir d’hiver
Doute
Au bord de la route
J’ai frappé
Extase
Aubade
Désespérance
Élégie
La Sirène*
O, schwöre nicht
Was will die einsame Thräne
Ach! die Augen sind es wieder
Prière*
Le Beau Navire
La Mer
L’Échange
Le Couteau
Chanson

3 Pièces pour violoncelle et piano
Vers la vie nouvelle, pour piano seul
Petites pièces, pour piano seul

Nadia Boulanger (1887-1979) / Raoul Pugno (1852-1914)


Les Heures claires

Lili Boulanger (1887-1979)


Attente
Reflets
Le Retour
Dans l’immense tristesse
Clairières dans le ciel*, cycle de 13 mélodies

Pièce, pour violon et piano
Nocturne, pour violon et piano
Introduction et Cortège, pour violon et piano
D’un matin de printemps, pour violon et piano
D’un soir triste, pour violoncelle et piano (arr. Nadia Boulanger)

Lucile Richardot, mezzo-sopano
Stéphane Degout, baryton
*Raquel Camarinha, soprano
Anne de Fornel, piano
Emmanuelle Bertrand, violoncelle
Sarah Nemtanu, violon

Un album de 3 CD du label harmonia mundi HMM 902356.58

Photo à la une : Edvard Munch, Danse sur la plage, 1900 (détail de la couverture) – Photo : Prague, National Gallery

Alors qu’en penser ?..

Qu’en est-il de ces diverses interprétations par ces divers interprètes des Mélodies de Nadia et Lili Boulanger ?..

En tout cas, au moins une étape marquante dans le panorama révisé-rénové des belles interprétations des délicates et raffinées Mélodies françaises

Ce mardi 14 mars 2023, TItus Curiosus – Francis Lippa

En une assez jolie promenade au pays du lied, « In meinem Lied », avec Helmut Deutsch et Sarah Traubel : à comparer au trésor bien heureusement conservé d’autres interprétations des mêmes oeuvres (ici de Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich-Wolfgang Korngold, Richard Strauss)…

13août

Le bien connu pianiste Helmut Deutsch, grand amoureux et praticien du lied,

vient de nous proposer

intitulé « In meinem Lied«  _ soit l’expression qui conclut le poème de Ruckert « Ich bin der Welt abhanden gekommen » du sublime lied de Gustav Malher, en ses « Ruckert Lieder » de 1902 _,

un très joli CD _ Aparté AP 288 _ comportant des Lieder de Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich Wolfgang Korngold et Richard Strauss,

nous donnant l’occasion de découvrir le timbre de voix _ et l’art, à la diction bien lisible _ de la soprano Sarah Traubel _ Helmut Deutsch faisant l’éloge de l’enthousiasme de Sarah Traubel, auquel il ne trouve de comparaison, page 21 du livret, qu’avec l’enthousiasme de Hermann Prey !.. _,

en un répertoire ou bien déjà très bien connu _ y compris en des CDs de Lieder avec Helmut Deutsch lui-même au piano _, ou bien pour beaucoup encore à découvrir…

Le pianiste Helmut Deutsch est en effet l’âme de ce CD « In meinem Lied » _ le CD Aparté AP 288 _,

dont il signe aussi la présentation en un entretien _ avec Thomas Voigt _ développé sur 5 pages du livret, intitulé « Certainement aussi une devise pour la vie« …

Et Helmut Deutsch de situer ce présent travail sur le Lied, en ce CD avec Sarah Traubel enregistré sous la direction artistique de Nicolas Bartholomée du 31 août au 4 septembre 2021 à Hohenems, en Autriche, au sein de sa très vaste discographie sur le Lied _ j’ai dénombré pas moins de 107 CDs _dont, à propos de ses enregistrements discographiques précédents des compositeurs interprétés ici, soient Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich-Wolfgang Korngold et Richard Strauss, Helmut Deutsch mentionne ses CDs de Lieder de Liszt avec Diana Damrau (« Liszt Lieder« , Virgin Classics LC 7873), en 2011 ; et Jonas Kaufmann (« Freudvoll und Leidvoll« , Sony Classical SK 19439892602) en 2021 ;

ainsi que ses CDs de Lieder de Korngold avec Angelika Kirschlager (« Debut Recital Recording« , Sony Classical SK 68344), en 1996 ; Dietrich Henschel (« E.W. Korngold Lieder« , Harmonia Mundi HMC 901780), en 2001 _ je possède ce CD _et Bo Skovhus (« Wolf -Korngold Einchendorff Lieder« , Sony Classical SK 57969), en 1993 ;

ainsi qu’il évoque, mais sans précisément les mentionner, ses deux CDs des « Quatre derniers Lieder » de Richard Strauss, avec Konrad Jarnot (« Richard Strauss« , Œhms Classics OC 518), en 2005 ; et Sumi Hwang (« Strauss Liszt Britten Songs« , Deutsche Grammophon DG 4818777), en 2019 ; deux CDs que charitablement il préfère ne pas nommer ici : « J’espère avoir fait mieux cette fois que dans mes précédents enregistrements, et je suis très reconnaissant à Sarah Traubel de m’avoir offert cette occasion« , se borne-t-il à déclarer à la page 20 de la notice de ce CD « In meinem Lied » de 2021…

Bref une étape à noter dans le parcours discographique d’accompagnateur de Lieder au piano de Helmut Deutsch.

À propos des Lieder de Liszt _ auquel je dois bien constater que jusqu’ici mon oreille s’est montrée hélas assez souvent réfractaire aux enregistrements discographiques… _,

je renvoie ici à deux excellents articles parus sur ForumOpera.com,

le premier intitulé « Mehr Liszt…« , paru le 15 février 2012, sous la plume de Hugues Schmitt, à propos du CD de Diana Damrau et Helmut Deutsch ;

et le second, intitulé « Une voix ne fait pas tout« , paru le 13 octobre 2021, sous la plume de Claude Jottrand, à propos du CD de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch.

Mehr Liszt…

CD Lieder de Liszt
Par Hugues Schmitt | mer 15 Février 2012 |

N’est-ce pas ainsi qu’il fallait comprendre les mots que porta le dernier souffle de Goethe ? Car Liszt ne composa pas plus de six Lieder sur les vers du poète de Weimar. Tout comme Schumann, tout comme Brahms. Six Lieder dont quatre (cinq si l’on compte les deux versions de « Freudvoll und Leidvoll ») sont rassemblés dans cet album, qui pris isolément du reste font apparaître de manière éclatante combien Liszt, plus que Schumann et plus que Brahms, occupe une place irremplaçable _ voilà qui est dit _ dans le Lied « germanique » romantique. Ces six Lieder sont le chaînon nécessaire _ voilà qui est réaffirmé _ qui unit les quelque soixante-dix Lieder que Schubert a consacrés à Goethe aux cinquante pièces que Wolf compose sur ses vers, à l’autre extrémité du siècle.

Plus que dans les flamboyants « Sonnets de Pétrarque », restés sans postérité véritable dans le répertoire vocal tant ils appellent les versions pour piano seul, ou plus que « Liebestraum », dont l’héritage sera plus français et italien qu’allemand, c’est dans cette petite collection de Lieder sur les vers de Goethe, mais aussi de Heine ou Lenau, que se révèlent les apports de Liszt à l’esthétique du romantisme tardif _ voilà. Schumann avait, en travaillant l’extrême grave du piano, introduit dans le Lied un monde abyssal insoupçonné ; Liszt explore l’aigu et l’extrême aigu _ voilà _, où le piano se mêle à la voix, se tresse à elle, l’enveloppe dans un voile de fines gouttelettes parfois tendres mais parfois cliquetantes et corrosives, et l’y laisse comme suspendue, sans recours possible aux solides appuis _ voilà _ des puissantes fondamentales schumaniennes ou brahmsiennes. C’est peu de dire que le piano dialogue avec la voix : il dialogue quand la main droite se fait monodique ; le reste du temps, il la colore, en altère les timbres, en diffracte la clarté. La voix passe par le piano comme la lumière traverse un vitrail. La voix ne commande pas : elle n’est pas une pure volonté, aboutissement et principe de l’ordonnancement des timbres et des registres. Elle ne commande pas _ oui _ comme, dans la célèbre analogie musicale de Schopenhauer, l’homme commande aux forces de la nature. Dans les Lieder de Liszt s’exprime une force supérieure, l’homme lutte avec l’ange _ oui.

Il serait un lieu commun de dire que Liszt importe la rhapsodie dans le Lied : c’est bien plus que cela. Liszt rompt _ voilà _ avec le mode de discours continu, unifié, organique de Beethoven et Schubert, et renoue avec un discours discontinu plus proche de Mozart : une idée apparaît, évidente et radieuse, et disparaît aussitôt ; une autre prend la place, sans lien immédiatement perceptible, et s’interrompt à son tour _ rhapsodiquement. Le propos, fantasque _ oui, à la Hoffmann… _, suit ainsi son chemin, à sauts et à gambades. Et Liszt désoriente _ oui, malmène diaboliquement _ son interprète, son auditoire, les réoriente, pour les désorienter à nouveau. Le Roi de Thulé en est l’exemple même : un début entièrement conforme au canon schubertien, bientôt interrompu… Rien n’y fait, les reprises du motif initial, loin de marquer la forme, ne servent plus qu’à souligner le décousu _ voilà _ du propos ; puis il réexpose, prépare apparemment une coda schubertienne, la brise encore, module et assombrit, effiloche le tissu pianistique, prend à peine le soin de résoudre. Wolf saura s’en souvenir _ en effet.

Mehr Liszt, donc. Car cet album n’explore qu’une facette de l’écriture de Liszt pour voix et piano. Il faut à ces Lieder adjoindre désormais, dans un second volume, les Mélodies françaises (Hugo est, avec Goethe, le second grand inspirateur de Liszt pour la voix), les Airs hongrois de la fin de sa vie, les Chansons anglaises, russes, tout ce par quoi Liszt dépasse le Lied, et montrer ainsi qu’aucun compositeur _ aussi expérimentateur _ , dans toute l’histoire de la musique, n’aura coulé ses notes, avec un égal succès, dans tant de langues et d’esthétiques diverses.
Mehr Liszt, enfin parce qu’on eût souhaité que cet enregistrement fût plus lisztien, plus charmeur, plus âpre, plus fantasque, plus sombre _ voilà. Somme toute, plus contrasté. Entendons-nous bien, la prestation est de remarquable tenue, et nulle verrue ne vient la défigurer. Diana Damrau, dont la diction ne souffre guère de reproche, montre, opportunément, de beaux élans passionnés. Malheureusement, la voix reste trop souvent monochrome, et seule l’intensité varie lorsque tout _ oui, tout _ devrait _ diaboliquement _ chavirer : timbre, débit, émission. La gageure est, vocalement, presque intenable : il faudrait malmener _ oui ! _ l’instrument – au demeurant superbe –, le pousser à bout. Car s’il est une chose que le dernier siècle d’enregistrements lisztiens nous a apprise, c’est bien que la véritable grandeur de Liszt réside davantage dans la démesure _ voilà ! _ que dans la maîtrise. Comment ne pas le reprocher, surtout _ probablement oui ! _, à Helmut Deutsch, dont le piano sans vice ni vertu est toujours _ trop _ impeccablement peigné, et qui ne quitte jamais la sage réserve de l’accompagnateur alors que tout, dans l’écriture même des parties de piano, lui crie d’ _ oser _ être soliste ? Son jeu est distant, flegmatique, glacé. Il est à côté du style, à côté du sens _ voilà. Alors qu’on songe au fougueux coursier arabe auquel Liszt comparait son piano, Helmut Deutsch nous fait l’impression d’un trotteur de Vincennes, certes trotteur de grand prix, mais trotteur quand même…
Il était question de cet album dans le dernier n° de Cave Canem, notre tribune des critiques

NB. Il ne sera pas indifférent au lecteur d’apprendre que le producteur de ce disque a nom Wilhelm Meister !

Franz Liszt

Lieder
….
Diana Damrau
Soprano

Der Fischerknabe S 292b/2
Im Rhein, im schönen Strome S 272/2
Die Lorelei S 273/2
Die Drei Zigeuner S320
Es war ein König in Thule S 278/2
Ihr Glocken von Marling S 328
Über allen Gipfeln ist Ruh S306
Der du von dem Himmel bist S 279/1
Benedetto sia’l giorno S 270a/2
Pace non trovo S 270a/1
I vidi in terra angelici costumi
Freudvoll und leidvoll (1848) S 280/1
Vergiftet sind meine Lieder S289
Freudvoll und leidvoll (1860) S 280/2
Es rauschen die Winde S294/2
Die stille Wasserrose S 321
Bist du !
Es muss ein Wunderbares sein S314
O lieb S 298/2
Helmut Deutsch, piano
Enregistré à l’August Everding Saal, Grünwald, juillet 2011

1 CD, Virgin Classics LC 7873 – 76’37

Une voix ne fait pas tout

CD Freudvoll und Leidvoll
Par Claude Jottrand | mer 13 Octobre 2021 |

Liszt n’occupe pas, dans le panthéon des compositeurs de Lieder, la place qui est dévolue aux plus grands : il n’a ni la spontanéité confondante de Schubert, ni la profondeur poétique de Schumann, ni le lyrisme intense de Brahms, ni la concision imaginative de Wolf. Ni quantitativement (guère plus de 80 Lieder), ni qualitativement il ne peut rivaliser avec ses illustres compétiteurs. Mais son œuvre comprend néanmoins quelques pages intéressantes, très peu présentes dans les programmes de récital et rarement enregistrées.

Dès lors, comme il semblait prometteur, ce nouvel enregistrement de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch ! Un duo de très grand renom cumulant une longue expérience, et qui avait déjà fait ses preuves dans le Winterreise de Schubert ou dans un autre enregistrement de Lieder romantiques intitulé Selige Stunde il y a quelques années, un répertoire sortant un peu des sentiers battus, des moyens vocaux quasi inégalés, une parfaite maîtrise pianistique dans le domaine du Lied, tout semblait réuni pour une réussite complète.

D’où vient alors que l’écoute ne tient pas toutes les promesses de l’affiche ?

Cela tient peut-être à la composition même du récital dont le fil, la trame dramatique ou poétique nous échappe _ et nous perd. Le cœur du programme est constitué des Trois Sonnets de Pétrarque (en italien, naturellement) que les deux partenaires ont souvent donnés en concert, qu’ils maîtrisent et qu’ils donnent avec beaucoup de conviction,mais pas toujours avec légèreté _ ah ! Le choix des pièces qu’ils ont réunies autour de ce cœur de programme, _ fâcheusement _ on n’en perçoit guère la logique ni la pertinence.

Cela tient peut-être aussi aux grandes disparités de ton et de caractère que le chanteur met en œuvre d’un Lied à l’autre, mais aussi au sein d’une même pièce _ ce que Hughes Schmitt caractérisait en son article du 15 février 2012 comme « typiquement lisztien«  ! _, qui rompent l’homogénéité du récital et font que les numéros s’enchaînent sans parvenir à créer l’atmosphère d’un véritable Liederabend _ probablement étranger à l’idiosyncrasie de Liszt ! _, sans créer de tension poétique durable. Le sentiment d’intimité, de chaleureuse communion _ à la Schubert… _ avec les artistes n’émerge que sporadiquement, sans cesse mis en péril par l’ampleur des moyens vocaux, évidemment considérables, mais pas nécessairement adéquats ni dispensés avec souplesse, et souvent disproportionnés par rapport aux textes ou au propos musical ; saluons cependant les efforts constants fournis par le pianiste pour établir et entretenir la trame poétique.

L’entame du disque est particulièrement étrange, tout en énergie et en force avec de très grands contrastes – que le texte ne justifie guère – mais peu de distance ou de second degré, pourtant si précieux chez Heine. On goutera bien, par petites tranches, quelques réussites ponctuelles, comme Im Rhein, im schönen Strome et Die Loreley (plages n°5 & 6), avec de belles demi-teintes et une émouvante transparence vocale, ou Die stille Wasserrose (plage 14), insuffisantes hélas à sauver l’ensemble.

Il reste bien entendu que la voix est grande, très grande – mais pas toujours très homogène ni très précise, que le piano est particulièrement soigné et intelligent, que la diction est irréprochable. Mais voilà, l’art du Lied est un des plus difficile, où le chanteur se trouve complètement à découvert, en constante quête de sens, où il doit porter le son plutôt que se laisser porter par lui, un art qui demande une très grande souplesse, une grande simplicité de ton, si différent de l’opéra…

J’gnorais jusqu’ici ces deux articles,

et tout spécialement, celui, très remarquablement lucide et éclairant sur Liszt, de Hugues Schmitt,

mais ma connaissance jusqu’ici des Lieder de Liszt ne m’avait guère prédisposé alors à l’écoute de ces deux CDs de Lieder de Liszt, parus en 2011 et 2021, interprétés par Diana Damrau et Jonas Kaufmann, avec le piano de Helmut Deutsch.

Cf toutefois, et a contrario (!), mes articles à propos de 3 CDs de Lieder de Liszt que je possède, et ai, eux, beaucoup appréciés :

mon article du 5 novembre 2019 : «  » ;

celui du 25 novembre 2019 : «  » ;

celui du 17 décembre 2019 : « « … ;

et celui du 11 mars 2020 : « « …

J’en tire cette modeste conclusion que

le talent d’exécution des interprètes, au concert comme au disque _ soient ici les chanteurs Cyrille Dubois, André Schuen, Stéphane Degout, et les pianistes qui les accompagnent dans les CDs cités, soient Tristan Raës, Daniel Heide et Simon Lepper _, a une non négligeable importance sur la réception-écoute des œuvres des compositeurs _ même les plus grands ! _, par le mélomane,

dont le goût, jamais non plus, et c’est bien sûr aussi à remarquer, ne saurait être parfaitement neutre et objectif en sa réception, toujours circonstancielle

_ ainsi que toujours révisable, mais oui !, à de nouvelles écoutes ; telles que celles qu’offrent bien opportunément, et à contre-courant du passage du temps, les CDs bien matériels et durables de nos discothèques précieusement et bien heureusement conservées…

Un trésor !

Bref, un assez joli CD

_ qu’on écoute ici par exemple son « Ich bin der West abhanden gekommen » (6′ 04) ; ou son « Im Abendrot » (6′ 57)… _

mais qui ne soulève pas vraiment _ peut-être d’abord une affaire de timbre de la voix : et c’est hélas rédhibitoire… _ mon enthousiasme de mélomane…

Ce samedi 13 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’alchimie rendue évidente, solaire, de la sublime pureté ravélienne en le velours subtil de ses secrets, ou une révélation : une batterie d’éloges sur l’éclat jubilatoire du CD Roth-Tiberghien-Degout comportant la merveille des 2 Concertos pour piano et orchestre de Maurice Ravel…

30juil

Ce samedi 30 juillet 2022,

je consacre une troisième fois un article de mon « En cherchant bien » à l’admirable réalisation, pour Harmonia Mundi,  du CD « Maurice Ravel Concertos pour piano Mélodies« , le CD HMM 902612 des Siècles, avec Cédric Tiberhien et Stéphane Degout, sous la baguette de François-Xavier Roth.

Mes deux articles précédents, «  « et «  », dataient du 12 août 2020 et du 31 mai 2022.

En y ajoutant l’article de Jean-Charles Hoffelé, en son Discophilia, « Vers le sombre «, en date du 28 mai 2022 ;

et celui de Patrice Lieberman, sur Crescendo, « Ravel plus magique que jamais, avec Cédric Tiberghien, François-Xavier Roth et Les Siècles « , en date du 24 juin 2022…

Ce soir, 30 juillet, c’est l’article de Matthieu Roc intitulé « Stéphane Degout, Cédric Tiberghien, François-Xavier Roth et Les Siècles dans Ravel «, paru le 27 juillet dernier sur le site de ResMusica,

que je tiens à citer ici… :

François-Xavier Roth poursuit chez Harmonia Mundi son exploration de répertoire ravélien, avec le Concerto pour la main gauche, le Concerto en Sol, et la Pavane pour un Infante défunte. Mais le fil conducteur de ce disque est le piano de Cédric Tiberghien, qui accompagne aussi Stéphane Degout dans un florilège de mélodies.

Le programme commence avec un éblouissant _ voilà qui d’entrée est ditConcerto en Sol, explosif de joie, de couleurs, de contrastes enivrants _ voilà _ dans l’Allegramente. Les couleurs magnifiques _ oui _ de l’ensemble Les Siècles et ses splendides instruments d’époque _ c’est bien sûr important… _, le piano boisé et distingué (un merveilleux Pleyel de 1892) sous les doigts enchantés de Cédric Tiberghien _ oui, oui, oui _ nous entraînent vers l’ivresse _ ravélienne. L’introspection sereine et progressivement fantasque _ voilà : beaucoup de Ravel est là aussi, dans ce glissement à la fois contrôlé et éclaté… _ de l’Adagio assai nous reconduit tout naturellement vers l’espièglerie déjantée _ oui _ du Presto. Une interprétation ébouriffante et régénérante _ les deux.

La Pavane pour une infante défunte est insérée à mi-parcours, pour varier un peu l’écoute parmi les mélodies pour baryton et piano. Cédric Tiberghien y démontre comme on peut y être dansant, brillant, voire étincelant _ oui  _ tout en restant dans un registre nostalgique et méditatif _ vers le sombre... Un modèle d’équilibre, qui regarde moins vers Chabrier (Ravel dixit) que vers les Gymnopédies de Satie _ sans jamais y céder : seulement un regard…

Le Concerto pour la main gauche est encore l’occasion de jouer des contrastes _ oui _, de la brillance _ ravélienne _, des couleurs _ toujours. À partir des douleurs sombres des premiers accords _ voilà _, émerge progressivement une exubérance flamboyante qui les transcende et les balaye _ à la Ravel, profondément. La joie du son l’emporte _ voilà _ sur la souffrance et la mutilation, et c’est bien le sens de cette œuvre magnifique _ pour Paul Wittgenstein _ qui est exalté. Rien de lugubre ni de macabre _ assez aux antipodes de Ravel, en effet. Des interrogations, certes, même des tâtonnements _ oui _ admirablement rendus (l’Andante), mais les réponses sont tellement éclatantes et jouissives ! _ c’est tout à fait cela ; ou l’idiosyncrasie ravélienne… Encore une grande réussite pour François-Xavier Roth, qui sent la pulsation _ oui, vibrante _ de cette musique de Ravel comme personne, et qui sait y jouer des couleurs, des nuances _ voilà _ avec un bonheur réellement communicatif.

La virtuosité jusqu’au-boutiste de Cédric Tiberghien se ressent aussi dans l’accompagnement des mélodies chantées par Stéphane Degout. Leurs esthétiques peuvent paraître complètement différentes _ certes, au départ de leur inspiration _ : autant Tiberghien va à fond dans son expressivité avec un toucher chantant, percussif, autant Degout semble gourmé, concentré sur sa ligne et les intentions qu’il veut donner à son phrasé. Et pourtant, ces deux discours se superposent très bien et s’enrichissent mutuellement _ oui. Les Don Quichotte à Dulcinée font pleurer dans sa chanson épique et rire dans la chanson à boire. Tiberghien donne une dimension cosmique à la prière, et décrit l’ivresse et les éructations de Don Quichotte avec un humour digne des Marx brothers. Stéphane Degout est évidemment parfait _ comme toujours : quel chanteur ! _ de noblesse, de grandeur et d’émotion à la fois contenue et délirante _ encore un trait éminemment ravélien.

Le sommet est atteint dans le Kaddish, morceau de bravoure ô combien difficile, donné ici en araméen et avec accompagnement de piano. Stéphane Degout réussit à ne pas trop prendre sa stature de prophète (ce qui lui serait pourtant facile), et à rester orant, concentré sur le sens de ce texte antique et admirable, prière de deuil et action de grâce. Les vocalises de la fin, faciles pour cet ancien baroqueux, rayonnent d’espoir _ oui _, et la louange exprimée est proprement admirable _ absolument.

Sainte et les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé sont au même niveau dans ce programme riche et varié. Réellement, un disque exemplaire _ voilà _ : tous les interprètes y excellent, et Ravel triomphe _ oui, oui, oui.

Maurice Ravel (1875-1937) :

Concerto en Sol M. 83 ;

Pavane pour une infante défunte M. 19 ;

Concerto pour la main gauche M. 82 ;

Don Quichotte à Dulcinée M. 8441 ;

Deux Mélodies hébraïques A. 22 ;

Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé M. 64 ;

Sainte M. 9.

Cédric Tiberghien, piano Pleyel 1892 ;

Stéphane Degout, baryton ;

ensemble instrumental Les Siècles, direction : François-Xavier Roth.

1 CD Harmonia Mundi.

Enregistré en décembre 2020 et septembre 2021 à la Philharmonie de Paris.

Livret en français et en anglais.

Durée : 73:54

Une réalisation discographique qui fait pleinement honneur au génie musical singulier et si personnel de Ravel,

homme aussi ferme et discret en sa vie que compositeur parfait à l’œuvre et en son œuvre. 

Et c’est par de telles splendides réussites musicales discographiques que le fascinant mystère Ravel révèle, peu à peu, lentement, à nous qui l’admirons, ses pudiques, discrets et suprêmement élégants, secrets…

Rendons grâce à ces musiciens et à leurs performances travaillées et inspirées, qui nous les font, ces subtils secrets, pas à pas, approcher, et délicatement musicalement, avec raffinement, mais sans maniérismes, solairement, comme ici, jouir de leur alchimie naturelle, spontanée, et tellement évidente en sa pureté ravélienne ainsi à la perfection révélée…

Ce samedi 30 juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un « Ravel plus magique que jamais », celui de François-Xavier Roth et les Siècle, Cédric Tiberghien et Stéphane Degout, justement célébré en sa lumineuse évidence par Crescendo…

25juin

Pour continuer l’élan Ravel de mon article d’hier «   » ;

ainsi que mes articles «  » du 31 mai 2022 ;

« « , du 12 août 2020 ;

et «  » du 27 mars 2018 ;

voici un nouvel article très justement enthousiaste,

intitulé « Ravel plus magique que jamais avec Cédric Tiberghien, François-Xavier Roth et les Siècles« ,

sur le blog Crescendo, et sous la signature de Parice Lieberman, en date d’hier 24 juin 2022,

 

célébrant le bonheur évident du merveilleux CD « Maurice Ravel Concertos pour piano Mélodies » _ le CD Harmonia Mundi HMM 902612.

Ravel plus magique que jamais avec Cédric Tiberghien, Francois-Xavier Roth et Les Siècles

LE 24 JUIN 2022 par Patrice Lieberman

Maurice Ravel(1875-1937) : Concerto pour piano, Concerto pour la main gauche, Pavane pour une infante défunte, Mélodies. Cédric Tiberghien, piano ;  Stéphane Degout, baryton, Les Siècles, direction : François-Xavier Roth. 2022.  73’52 – Textes de présentation en français et anglais.  Harmonia Mundi HMM 902612

 

 

 

Ce n’est pas tous les jours qu’un nouvel enregistrement vient revendiquer une place en haut de classement dans une discographie aussi riche que celle des concertos pour piano de Ravel _ de fait…  Est-ce à dire que le collectionneur devrait se débarrasser des précieuses versions Michelangeli/Gracis et Argerich/Abbado du Concerto en sol ? Ou du témoignage historique de Perlemuter/Horenstein ? Ou des deux gravures dirigées par Pierre Boulez avec en solistes Krystian Zimerman et Pierre-Laurent Aimard (ce dernier parfait dans le Concerto pour la main gauche, mais un peu guindé dans celui dit en sol) ? Ou des excellents Collard/Maazel ? Certes, non. Mais cette nouvelle version est désormais à compter au nombre des meilleures _ voilà.  D’autant plus, qu’elle propose le premier enregistrement des éditions révisées Ravel Edition de ces deux partitions concertantes _ oui _, éditions révisées auxquelles Cédric Tiberghien a pris part comme membre du comité de lecture.  Une évidence musicale et éditoriale !

Ce qui fait si fortement pencher la balance en faveur de ce nouveau venu, c’est l’extraordinaire clarté _ oui ! _ et la mise en avant des inouïes richesses orchestrales de ces partitions obtenues par la direction fouillée et analytique (mais certainement pas clinique) du chef _ oui ! _, alliée aux superbes timbres des instruments d’époque _ voilà ! _, à commencer par les fabuleuses sonorités des vents, si authentiquement français _ c’est très juste. Si on y ajoute la chaleur des cordes en boyau des archets des Siècles et l’oreille infaillible du chef, on obtient un tissu orchestral d’une rare transparence _ oui _ qui permet mieux que jamais d’apprécier l’originalité de l’écriture et de l’instrumentation de Ravel _ les deux ! _, écrin parfait pour un soliste tout simplement inspiré _ lui aussi.

La prestation de Cédric Tiberghien serait d’ailleurs remarquable sur un piano actuel, mais le choix d’un beau Pleyel « Grand Patron » de 1892 (hélas, non représenté dans l’excellent livret) est vraiment à saluer _ parfaitement ! Le caractère et la sonorité de cet instrument sont à mille lieues des monstres de puissance et d’homogénéité que sont devenus les pianos de concert contemporains. On est charmé ici par la clarté _ oui, oui _ de l’instrument, par ces basses sans lourdeur, ce médium soyeux, ces aigus cristallins et légèrement percussifs si typiques de ce grand facteur. C’est ainsi que dans l’Adagio assai du Concerto pour piano, le timbre de l’instrument permet d’éviter la lourdeur mécanique qu’on constate si souvent à la main gauche dans le soliloque d’ouverture du piano que Tiberghien construit -comme l’ensemble du mouvement- avec patience, délicatesse et imagination _ oui. Et que dire des superbes interventions des vents dont l’imbrication avec le piano est tout simplement parfaite ? Magnifiquement joué par Stéphane Morvan, le cor anglais Lorée de 1890 -ni nasillard, ni trop vibré- dialogue merveilleusement avec le soliste. Mais tant d’autres détails sont perçus avec une totale clarté _ encore _, comme les harmoniques de harpe qui semblent venues d’un autre monde dans un premier mouvement où à certains moments l’orchestre sonne comme un gamelan. La façon dont les bois, vifs et moqueurs, dialoguent avec un piano hyperactif et transparent dans le Presto est un régal _ absolument délectable. 

Toutes les qualités du soliste, de l’orchestre et du chef se retrouvent bien sûr également dans le Concerto pour la main gauche. Dès l’entrée menaçante du contrebasson, la transparence des timbres orchestraux est une merveille. Après l’introduction cataclysmique menée de main de maître par Roth, Tiberghien saura tout au long de l’œuvre faire preuve autant de fermeté que de délicatesse  _ les deux _ (et le beau Pleyel n’y est pas pour rien _ en effet ! _), et ce jusqu’à l’apothéose finale de l’œuvre.

Après avoir brillé dans les concertos, Cédric Tiberghien offre en guise de bis la si galvaudée Pavane pour une infante défunte, rendue ici avec dans une atmosphère de rêverie un peu parfumée _ oui _ quoique sans minauderie aucune.

Le pianiste se montre aussi un accompagnateur de choix pour le baryton Stéphane Degout -invariablement viril, ferme _ oui _, à la voix chaude _ et grave _, à l’articulation claire _ toujours, comme c’est absolument nécessaire… _ et au vibrato bien mené- dans trois cycles de mélodies de Ravel. Dans Don Quichotte à Dulcinée, on apprécie particulièrement la belle réussite des artistes dans l’hispanisante Chanson à boire qui clôture le cycle. Les Deux Mélodies hébraïques sont autant de réussites. Le Kaddisch est interprété avec beaucoup de dignité et en évitant l’émotion facile, alors que l’Enigme éternelle est rendue avec une vraie simplicité dépourvue de toute ironie.

Stéphane Degout aborde les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé _ ces chefs d’œuvre… _ sans préciosité dans ce cycle destiné à l’origine à une mezzo-soprano, alors que Tiberghien ne fait pas vraiment regretter l’ensemble de neuf musiciens de la partition originale, surtout dans l’exquis halo de piano _ oui _ de Soupir. Et c’est sur la belle mélodie de jeunesse Sainte (toujours sur texte de Mallarmé) que les deux complices mettent le point final à une superbe _ et enthousiasmante, voilà ! _ parution.

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10

Patrice Lieberman

Bravo, et un très grand merci !

Le génie ravélien est ici parfaitement offert à percevoir, en sa plus lumineuse évidence, ombres comprises, à notre écoute…

Ce samedi 25 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur