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Désir et fuite _ ou l’élusion de l’autre (dans le « getting-off » d’un orgasme) : « L’Etreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn

08fév

Un grand beau livre _ et socio-historiquement significatif (sinon important !) _, que cette « Étreinte fugitive« , par Daniel Mendelsohn,
qui paraît cette fin janvier 2009 aux Éditions Flammarion,

traduit de l’américain « The Elusive Embrace«  _ dont le sous-titre, curieusement in-apparent ici (?), en son édition originale (« by Alfred A. Knopf« ) le 24 mars 1999, était « Desire and the Riddle of Identity » :

une clé, pourtant ! car c’est bien à cette « énigme de l’identité » (personnelle) que se confronte l’enquête éminemment personnelle _ et passionnante _ de Daniel Mendelsohn, qui n’est pas tout à fait un essai philosophique, ni une enquête socio-psychologique, voire psychanalytique à visée générale, mais bien le récit d’une quête existentielle personnelle, celle de l’individu Daniel Mendelsohn, né en 1960 dans une banlieue de New-York (sur l’île de Long Island)…

En un fort utile « Au lecteur français » (de novembre 2008), l’auteur présente ce « livre« , « L’Étreinte fugitive« , comme le premier « panneau d’une entreprise que je me suis toujours _ dès l’origine, donc ! en amont même de sa mise à l’écriture même !!! _ représentée comme un triptyque«  : afin de clairement remettre en sa perspective originelle le livre paru en France le 29 août 2007, dans une traduction de Pierre Guglielmina, et qui connaît un immense succès _ mérité : un chef d’œuvre !!! _ international : « Les Disparus« , paru initialement aux Éditions Harper Collins, le 19 septembre 2006. En fait, « The Lost«  signifie « Le Perdu«  ; par contraste avec « The Found« , « Le Trouvé« , ou même « Le Retrouvé«  : comme pour Proust, en sa « Recherche« 

et le troisième et dernier« panneau » du « tryptique« , demeurant, lui, à écrire _ et à écrire en France, maintenant, en cette année 2009, ai-je cru comprendre ; même si Daniel Mendelsohn sera aussi l’hôte de Rome et de l’Italie, en cette année 2009…

Car « à première vue, les lecteurs familiers des « Disparus« 
_ sur lequel on lira avec un immense profit le très beau compte-rendu qu’en fit, très tôt (le 30 octobre 2007), et d’un point de vue plutôt historien, Ivan Jablonka sur le site (si riche !) de laviedesidees.fr : « Comment raconter la Shoah ? _ à propos des « Disparus » de Daniel Mendelsohn » _

pourraient être tentés de penser que le sujet de ce « nouveau » livre

_ qu’est pour un lecteur francophone « L’Étreinte fugitive« , donc… _,
qui est une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu’il y a de plus intime dans la vie de chacun

(les hommes et les femmes
_ et pas les « garçons« , comme il en fera la distinction d’avec les « hommes«  ; ni les « filles« , d’avec les « femmes » _
les pères et les fils
_ le chapitre « Paternité« , pages 135 à 217, étant peut-être la clé du « puzzle«  de l’« énigme«  (« riddle« ) de l’« identité » personnelle… _,
la sexualité
_ qui nous traverse tous, et d’amont en aval, et réciproquement, en de multiples pistes _),

n’a pas grand chose à voir avec le sujet de mon « précédent » livre

_ pour le lectorat francophone, donc : « Les Disparus » _
(l’histoire familiale
_ du côté maternel, les Jäger (et du côté de Bolechow, en Galicie),
bien davantage, pour ne pas dire exclusivement, que du côté paternel, celui des Mendelsohn (guère loquaces en fait d' »histoires« , à commencer par la leur, quant à eux ;
pas plus que riches en « photos » (prises et/ou conservées), non plus !
_,

la culture juive, les événements de la Seconde Guerre mondiale).

Mais, comme je l’ai souvent dit
_ et certains d’entre vous
_ Français _ m’ont peut-être entendu _ à Paris même, ou via les ondes de la radio _ le dire dans ce français que _ professeur de littérature « classique » formé au Grec et au Latin en ses études à l’Université de Virginie (à Charlottesville) et à Princeton _ je parle avec ferveur, à défaut de le parler bien _ Daniel Mendelsohn n’est-il pas aussi un très éminent lecteur d’« A la recherche du temps perdu » et de tout l’œuvre de Marcel Proust ?.. _,

je n’ai jamais conçu « Les Disparus _ « The Lost : A Search of Six of Six Million » : cette fois encore, le titre originel, non plus que le sous-titre, ne fut pas retranscrit en français par l’éditeur, Flammarion… _
comme « un livre sur la Shoah ».

Pour moi, c’est un livre qui parle _ oui ! _ de la relation angoissée, mais enrichissante, que le présent noue avec le passé
_ avec les « voix » (et regards des visages, aussi, via des photos) duquel, passé, se « re-brancher » est si nourrissant et libérateur (du présent _ polysémiquement !..) _ ;

que le moi noue
_ mais en sachant aussi s’en mettre un peu
(et pas que géographiquement :
« Géographie » est le titre, important, lui aussi, du chapitre premier de « L’Étreinte fugitive« , pages 15 à 66)
à distance
_

que le moi noue _ donc… _ avec la famille et ses traditions,
une relation que le moi a, en réalité, avec une tradition culturelle beaucoup plus vaste

_ sujets qui intéressent tout un chacun, ai-je tendance à penser _ commente au passage Daniel Mendelsohn, page 12 de ce « Au lecteur français« .

Cela n’a guère de sens, néanmoins, de réfléchir
_ ce que fait très effectivement Daniel Mendelsohn en ces « essais » d’engagement aussi très « personnels » ; et magnifiquement ! _
à ces relations cruciales
_ oui ! c’est le mot on ne peut plus juste :
à la croisée des voies et d’amont et d’aval, tant biologiquement que culturellement, bien sûr !
_

_ ne parlons pas des responsabilités intellectuelles, psychologiques et éthiques que cela implique _ et ô combien ! commente lui-même Daniel Mendelsohn _ _

sans s’être auparavant penché sur le moi qui est au centre _ du réseau vibrant _ de ces relations,
qui est le sujet de cette réflexion
_ qu’est « L’Étreinte fugitive« . Cet examen
_ oui ! et passionnant, de longue venue, pour l’auteur, et en temps comme en espace _
est, précisément le fil rouge de « L’Étreinte fugitive » : parfaitement !


Daniel Mendelsohn le précise :

« De fait, dès que vous commencerez à lire ce livre, vous verrez que si les questions qui le sous-tendent sont d’un ordre très intime

_ sur l’intime, lire Michaël Foessel : « La Privation de l’intime » (cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » ; et lire Roland Barthes : des « Fragments d’un discours amoureux » et du « Roland Barthes par lui-même » au tout récemment publié, le 5 février 2009, « Journal de deuil« , en passant par « La Chambre claire« , et d’autres _

(qui suis-je ? quelle est mon identité ? qu’est-ce que l’« identité » au bout du compte ? est-elle faite d’une seule pièce ou de plusieurs
_ suis-je une seule chose
_ « chose » ? non… _ seulement, ou davantage ? le « cœur » _ nourrissant, irriguant _ de mon identité est-il non mélangé, indépendant _ non : « nul n’est une île !«  _ du monde extérieur ; ou est-il tributaire des relations _ oui ! et redevable… _ que j’ai avec les autres _
auquel cas
_ qu’examine l’important, lui aussi, chapitre « Multiplicité« , des pages 67 à 134 _
lesquelles sont les plus déterminantes _ et selon quelle « échelle » ? _ pour établir « qui je suis » : celles que j’ai avec mes parents ? mes enfants ? les gens avec qui j’ai des relations sexuelles ? ceux dont je suis amoureux ?) _

vous verrez _ et, en effet, nous le découvrirons ! _ que si ces questions sont d’un ordre très intime _ reprend le fil, ou film, de sa phrase, après son incise, lui aussi (!), Daniel Mendelsohn _,

elles présagent tout simplement celles qui devaient nourrir
_ oui ! et combien richement et bellement ! « Les Disparus » est un chef d’œuvre somptueux !!! à lire toutes affaires cessantes ! (et il vient de paraître en édition de poche en collection « J’ai lu« , ce mois de février-ci…) _

le livre suivant _ « Les Disparus« , donc _
(qui sont les gens de ma famille ? qui sont vraiment _ l’adverbe est très important _ mes parents _ Marlène, née Jäger (en 1931) ; et Jay Mendelsohn (né en 1929) _ et mes frères _ Andrew (l’aîné, né en 1957), Matthew (le photographe, né en 1962, qui suit Daniel dans la fratrie : Daniel, lui est né en 1690), Eric (né en 1964) _ et sœurs ? _ Jennifer (née en 1968) _

quelle est ma relation _ complexe et riche _ à leur histoire _ au double sens, d’ailleurs, et de l’histoire réelle, et du récit qui affirme la narrer ! _ quelle est ma relation au passé, de manière générale, et à l’Histoire elle-même _ en remontant aux Grecs et aux Hébreux _ ?). »

Et aussi :

« De même, les grands voyages _ en Galicie, en Ukraine, en Pologne, en Israël, en Suède et jusqu’en Australie _ que j’ai décrits dans ce dernier livre  _ « Les Disparus » _ par-delà les océans et les continents,
n’auraient jamais eu lieu si je n’avais auparavant accompli ces trajets plus réduits
_ au sein des Etats-Unis ; et vers « le Sud », la Virginie ; ou dans New-York… _ dont parle mon premier livre _ « L’Étreinte fugitive » _ :

les promenades quotidiennes que je faisais lorsque j’habitais un certain quartier de New-Yor
k

_ légérement au nord de Chelsea, 25ème rue ouest : Chelsea s’étendant de la 14ème rue à la 23ème… D’où l’importance de consulter des cartes (maps) un peu précises…
cf page 51 :

« c’est pas vraiment chelsea. chelsea finit à la 23e
au-dessus de la 23e ça devient clinton t’es nulle part en fait
« ,
comme le lui avait écrit

« un type
avec qui j’avais discuté un moment
 » « alors que je participais à un chat sur Internet » ;
« comme c’était quelqu’un dont le profil en ligne et la photo
_ là-dessus lire mon article du 22 décembre « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne) » à propos de « E-Love_ petit marketing de la rencontre » de Dominique Baqué _

me plaisaient beaucoup _ pour ce qu’il en avait à faire cette nuit-là, du moins... _
je lui ai donné mon adresse. » C’est ainsi que « au bout d’un moment un message est apparu dans un coin de mon écran » (page 50) : celui selon lequel, en logeant dans la 25e rue ouest de Manhattan, entre Chelsea et Clinton, on n’est, comme en Pologne _ selon le mot bien connu d’Alfred Jarry dans « Ubu roi » : « En Pologne, c’est-à-dire nulle part ! » _, « nulle part, en fait » !!!..

Fin de l’incise à propos des « promenades quotidiennes«  en « un certain quartier de New-York » ;

je reprends : « ces trajets :

le train que je prenais, et que je prends chaque semaine encore aujourd’hui, pour aller de Manhattan à une capitale de province qui est à une heure de là
_ où résident
celle
_ « une amie proche » _ qu’il a choisi d’« appeler Rose » et « qui est hétéro et célibataire«  (page 138),
et son fils « Nicholas«  ;

si importants, tous deux _ et c’est un euphémisme ! _ dans le devenir récent, depuis la naissance de Nicholas, une nuit d’août 1995 :

« après la naissance du fils de Rose, Nicholas, quelque chose d’étrange _ en effet ! _ s’est produit : je me suis retrouvé très profondément impliqué _ et tous ces mots sont décisifs ! je les relis, ces mots de la page 138 : « je me suis retrouvé très profondément impliqué«  ! Car sans pareille « très profonde implication« , on ne « se trouve » pas ; jamais !!!  _ dans la vie de Nicholas, qui a maintenant trois ans _ en 1998-99, lors de la rédaction de « L’Étreinte fugitive » ; il a aujourd’hui treize ans _ et dont je suis devenu le parrain le jour de son baptême, quand il avait trois mois. C’est arrivé _ oui ! _ petit à petit _ en effet _, et, en même temps, j’ai été pris par surprise

_ « pris par surprise« , page 139 : cela ne se recherche pas ! encore moins s’instrumentalise !!! ;

« pris par surprise« , je le répète ! :

Voilà : comme en tout amour véritable ; et non par quelque « calcul » de drague et d’orgasme (« getting off« , dit très explicitement un partenaire _ circonstanciel, occasionnel : « de passage » _ de ces jeux, page 118) simplement « escompté »…

Ce qui a commencé comme un jeu
_ les mots « ludique » et « elusive » (= « élusif » ou « élusive ») ont la même étymologie :
du latin « eludere« , constitué à partir du préfixe « ex » (= « hors de ») et du radical « ludere » (= « jouer »),
« éluder » signifie « esquiver », « éviter », « tromper » :
c’est même, selon l’excellente définition de la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française,

« éviter avec adresse et désir de se dérober« 

ce qui a commencé comme un jeu
de rôle
pseudo parental

_ puisque Rose et Daniel ne sont ni mariés, ni le « couple parental biologique » de l’enfant (« je ne peux pas m’empêcher de penser _ par exemple « au moment où Rose allaite ; ou quand Nicholas est enveloppé dans les courbes de son corps«  _ à quel point il doit être électrisant _ oui ! _ pour des gens qui sont amants de devenir les parents d’un enfant« , confie, comme avec regret _ c’était en 1999 _, Daniel Mendelsohn, page 168) :

« j’avais toujours pensé qu’elle
_ « j’ai rencontré la mère de Nicholas en septembre 1990, lorsque j’ai commencé _ à l’âge de trente ans _ à travailler à mi-temps dans la société où elle est employée. Une partie de son travail consiste à faire des évaluations statistiques compliquées« , précisera la page 165 de « L’Étreinte fugitive » _

« j’avais toujours pensé _ un peu abstraitement ! hors contexte existentiel, en quelque sorte _ qu’elle
ferait
_ plus concrètement, alors, forcément !.. _ une mère formidable ;
et je le lui avais dit en plusieurs occasions
_ comme quoi, les effets « de longue distance » de simple paroles…

Mais elle me demandait _ très ponctuellement, ce jour-là, au début de l’année 1995 _ à présent _ donc ! _
si je pouvais l’aider _ si je pourrais
_ et cela, en plusieurs sens du terme : possiblement, d’une part ; mais aussi si j’acceptais de (ou voulais bien), amicalement, y consentir… _

si je pourrais être un « modèle masculin »,
pas exactement un père,
mais un homme qui serait présent dans la vie de cet enfant. Un
« oncle » _ en quelque sorte.


A la différence de la fois précédente
_ « près de deux ans«  auparavant, « en 1993″ : « une femme que je connais m’a invité à boire un café et demandé d’être le père de l’enfant qu’elle projetait d’avoir« , vient d’évoquer Daniel Mendelsohn à la page précédente, page 137. « Et j’ai dit non« . Alors « je ne pouvais envisager d’être responsable _ soit « répondre de » _ de qui que ce soit d’autre que moi _ certainement pas d’un enfant« …

A la différence de la fois précédente, cette requête _ de « Rose« , donc : au tout début de 1995 _ m’a plu,
je ne me suis pas senti trop impliqué
_ une affaire de nuance (ou de « dosage ») dans l’implication d’une responsabilité ! _ pour autant _ mais est-ce faute de le « re(s)sentir » alors assez, seulement ?.. _,
et j’ai donc accepté
_ en une parole néanmoins « engageante », toutefois…

Et c’est alors que vient la réflexion _ essentielle : c’est le tournant décisif ! _ reportée un peu plus haut
à propos du processus d’
« implication » dans lequel « petit à petit » s’est trouvé « pris« , et « par surprise »
_ faute d’avoir assez « mesuré » auparavant ce à quoi sa « parole » amicale , et non matrimoniale (sans parler de l’absence de tout engendrement, ou même de rapport sexuel, entre « Rose » et lui) _
Daniel Mendelsohn… :

je peux alors terminer la phrase _ demeurée en suspens !.. _, page 139

« Ce qui a commencé comme un jeu
de rôle
pseudo parental

un peu ironique _ un mode d' »être » devenu presque consubstantiel, par auto-protection, pour le gay, quasi en permanence « sur ses gardes », qu’est Daniel Mendelsohn _

est devenu une partie très importante de ma vie. »


Avec ce très joli passage, de découverte _ et naïf (le mot provient directement de « neuf »), si l’on veut ! _, page 139 :

« C’est à cause de Nicholas _ un vrai « garçon »
_ à la différence, peut-être, de ces en quelque sorte « garçons attardés » (adolescents prolongés ; voire « adulescents », selon le mot-valise qu’a proposé je ne sais quel psychologue italien, au départ), que sont ceux qui se conçoivent maintenant comme « gays«  _

c’est à cause de Nicholas _ un vrai « garçon » _ que je divise à présent
_ en 1999 ; mais le temps passe ; et les « gays » eux aussi (comme tout un chacun de vivant-mortel sexué) vieillissent _

que je divise à présent mon temps
_ de disponible, dans l’organisation, notamment, du « travail », mais aussi des « loisirs » (dont des opérations de « rencontres » _ sexuelles : exclusivement, semble-t-il… : dans le quartier de New-York qui leur est dévolu, Chelsea, juste au sud de Clinton, et (assez) au nord de Wall Street… _

entre New-York avec ses autre garçons _ jusqu’à quel âge le sont-ils donc ?.. _
et la banlieue où vivent Rose et Nicholas.

Tous les deux ont été absorbés _ inclus, sans difficultés _ dans ma grande famille _ et fratrie _ ; et Nicholas est traité comme un neveu et comme un petit-fils
_ quant à Rose, elle est, eh bien, une sorte de belle-fille, belle sœur.
« 


Avec cette conclusion-ci, encore, toujours page 139, de ce passage-ci, pour « introduire » le très intéressant chapitre 3 :  » Paternité » (pages 135 à 217) :

« Ce que vous apprenez _ ici sans avoir rien fait (de facto, si je ne crains pas trop la redondance pléonastique…) en matière d’engendrement ; puis « par surprise« , au fil des jours et de l’évolution de ses rapports avec l’enfant, qui n’est d’abord qu’un tout petit bébé : à travers l’échange des regards !!! _ avec la présence _ prenante ! _ d’un enfant dans votre vie _ au quotidien : rien d’élusif ici !!! ; et si « étreinte » il y a bien, de facto, dans la tenue du bébé, et dans les soins qu’on lui prodigue, elle n’a rien, ici, d’orgasmique ! _, c’est ceci : oubliez tout ce à quoi vous vous attendiez.« 


Autrement dit, rien à voir avec les répétitives _ fermées _ séquences de « baise », ou de « getting-off«  :
cf la remarque tellement signifiante, page 118 :

« ce genre de soulagement s’appelle le « getting-off »,
expression qui véhicule assez bien l’impulsion
_ qu’il faudrait mieux, cher auteur de l’essai, analyser !!! _ qui sous-tend ces rencontres, l’envie de se débarrasser _ « vider les vases », disait Montaigne… _ de quelque chose d’urgent,
d’une certaine quantité de sperme.

Plus d’une fois, après un « getting off » de ce genre, un type _ le terme est déjà bien significatif _ m’a dit, en ne plaisantant qu’à moitié, au moment de quitter mon appartement où il venait de passer son heure de déjeuner, « Bon, je vais pouvoir me concentrer sur mon travail, maintenant » ;
et en refermant la porte
_ le plus important, probablement ! « Out ! »_ je me suis aperçu que j’étais dans le même état d’esprit. »

Avec cet ultime commentaire de Daniel Mendelsohn, encore, pour ce passage à propos du « getting-off« , page 118 :

« Mais naturellement l’urgence _ « pressante » du besoin, confondu ici avec le désir (!) _ revient bien assez vite ; et la recherche _ volontariste et compulsionnelle : dépourvue de disponibilité à une authentique altérité d’un autre, d’une personne, d’un visage, et sans lunettes noires de soleil Armani (cf l’anecdote page 122) ; d’un visage qui soit celui, infini, et « vrai », lui, de quelqu’un qu’on aime… ; et avec le regard de cet autre que soi… _ d’un nouveau partenaire _ objet seulement ! _ recommence. »

Dispositif (de recherche = « drague ») volontariste et compulsionnel _ j’y reviens donc _ auquel Daniel Mendelsohn avoue lui aussi _ est-ce toujours le cas aujourd’hui ? pas mal d’eau ayant coulé depuis lors sous le pont (de Brooklyn)… _ se plaire (ou complaire) en la répétitivité, partenaire d’un soir après le partenaire du soir précédent _ et surtout pas le partenaire du soir prochain ! du lendemain ! « pas de futur » de ce côté-là ; rien que de l' »élusion »… _,

ainsi qu’il le décrit en un « charmant » portrait, non dépourvu d’une touche de condescendance amère _ et vengeresse, aussi (page 127) _ d’un de ses amis gay : ou « Don Juan gay » :

le passage (pages 125 à 128) succède à celui de « l’absence de regard (pages 122, puis 123 !)  _ « impossible de voir à quoi ses yeux ressemblent » (page 122, sept lignes et trois phrases plus haut que la première occurrence d’« absence de regard«  !) _ du mannequin Armani«  (la narration de l’épisode de cette photo du « garçon Armani » (page 124) se déroulant des pages 122 à 124…).

« La répétition n’est pas le problème, mais le but de toute cette affaire« , formule excellemment la chose, Daniel Mendelsohn, page 121.

Ou :

« le plaisir en soi

_ comment interpréter la traduction ? le français est ici, involontairement (probablement !) délicieusement équivoque : à côté, et au-dessous, du sens obvie d' »à lui tout seul », vient en effet se glisser cette autre piste d’un « exclusivement à l’intérieur d’un soi » (qui serait comme une « forteresse »)… _

est séparable de l’amour. »


« Au-dessus » du « bureau » de Daniel Mendelsohn, « se trouve _ en effet, encore _ une autre photo qui m’a donné l’impression de provoquer un écho en moi, à l’époque où je l’ai vue _ pour la première fois : en page d’un magazine. C’est une publicité pour des lunettes de soleil Armani ; et elle montre un jeune homme si parfait _ en l’image ! _ que, la première fois que je suis tombé dessus _ cela ne se recherche pas _, j’ai cessé de feuilleter le gros magazine que je tenais, le coin inférieur droit de la page serré dans ma main droite, et je me suis mis à la fixer. Comme il porte des lunettes de soleil, il est impossible de voir à quoi ses yeux ressemblent. Ça ne me dérange pas vraiment » _ remarque Daniel Mendelsohn, page 122…

Et il compare cela, page 123, avec le fait qu’« on ne voit pas les yeux sur la plupart des nombreuses photos qui sont postées sur les chats d’AOL (…). Ces photos ne montrent _ exposent, exhibent _ souvent qu’un torse, ou un corps  _ tronqué ; ou plutôt étêté ! _ depuis le cou jusqu’aux pieds ; ou parfois simplement le pénis en érection _ sont-ils photogéniques ? Le caractère incomplet de ces photos s’explique en partie par un désir de discrétion : certaines des personnes qui postent ces photos sont (…) bien connues dans les cercles étonnamment réduits qui constituent la société gay des grandes villes ; et, pour la plupart des hommes, l’embarras éventuel de se voir associé _ ah ! _ à la photo en ligne d’un corps exhibant une érection ne vaut pas une « séance de sexe », même géniale (sic). Ce qui m’intéresse _ et nous, lecteurs, à la suite de l’essayeur _ dans ces photos incomplètes (…), c’est le fait qu’elles ne semblent pas _ au « regardeur » _ vraiment incomplètes _ elles me paraissent parfaitement naturelles _ dit l’auteur, toujours page 123 _, comme est naturelle l’absence de regard du mannequin Armani » (sic).

Nous approchons ici du principal de l’analyse…

« Les visages _ poursuit-il _ m’ont l’air superflus ici : ce sont les corps _ les corps seuls, ajouterai-je, pléonastiquement ; des corps sans regards, ni visages : soit la pure et simple pornographie, rien moins… _ qui excitent _ soit une forme assez spécifique de « photogénie »… _ ;

les corps que, grâce à un entraînement _ exigeant et performant _ assidu, nous pouvons _ instrumentalement : telles des poupées ! ou des mannequins, en effet ! des professions à succès !.. _ façonner _ ce qui ne peut se faire (en rien !) de qui on aime (vraiment) !.. _ pour qu’ils se rapprochent d’une image _ de corps _ idéalisée,

bien mieux que nous le ferions avec nos visages _ qu’en est-il, cependant, des prouesses de la chirurgie esthétique ? sinon des techniques les plus sophistiquées (cf « Gorgias«  de Platon : 464 b465 c) du maquillage ? _ et leur idiosyncrasies _ singulières, donc _ récalcitrantes, faites de narines, de joues et de mâchoires. »

Avec ces inférences, page 124 :

« En lorgnant le garçon Armani sans regard _ because les lunettes noires (Armani !) _ et en passant tout à coup aux photos sans tête _ ni marques _ d’AOL,
je me rends compte que le premier
_ le garçon sur la photo _,
qui cherche à provoquer une sublimation
_ avec « déplacement« , dirait Freud _ (« Achète ces lunettes, c’est comme une baise fantastique »),
est aussi gay dans son essence
que les autres
_ exhibés sur AOL _,
avec leurs promesses sans ambiguïté de gratification sexuelle immédiate (
« Appelle-moi, je te promets une baise fantastique »).
 »

Et ce en quoi il est « aussi gay«  _ sur l’écran d’Internet (chez soi) _ « que les autres« , selon Daniel Mendelsohn,
« ce sont les lunettes de soleil, je m’en aperçois _ en y réfléchissant _ ;

l’absence de regard chez lui. »

Car
« sans le regard,
il ne peut être un sujet ;

pas même le sujet de son propre regard désirant ;

il ne peut être _ donc, ou en conséquence d’un tel dispositif photographique (publicitaire) _ qu’un objet  _ ce qui peut et « reposer », et « amuser » (telle une absence ; ou un voyage-crochet _ ou « tourisme » _ auprès du désert du rien…) ; « qu’un objet«  de convoitise _ pour le désir des autres. »

Il se prête (ou s’expose : très momentanément !) au désir des autres _ et surtout sans jamais s’y donner ! ni durer…

Et Daniel Mendelsohn poursuit son analyse sur « la contenance » (froide) que se donnent ces provocateurs de désir, ou du moins d’érection :

« puisque c’est cette contenance que nous _ les gays _ adoptons, comme un masque _ en effet, et en permanence similaire, en ce « jeu » érotique _ quand nous allons dans des bars ou des boîtes :

un égocentrisme _ exclusivement tourné sur soi _

tel qu’il n’exige rien de vous _ là c’est du « spectateur » « à attirer » (voire du lecteur qui participe à l’analyse par sa lecture) qu’il s’agit… _,
si ce n’est que vous le regardiez. »

Et, cette « contenance » froide
_ pour ne pas dire frigide (en même temps que « brûlante » pour qui s’y laisse prendre et entraîner : à « désirer ») _,

« c’est l’expression qui vous permet de ne pas être le sujet, celui qui désire, l’incomplet (!) qui regarde en silence
_ nous ne sommes certes pas dans la version spinoziste, ou deleuzienne, du désir ; mais dans la version « désastreuse » platonicienne (du « Banquet »


_ sur les « désastres«  du désir, lire aussi le beau passage, par la professeur de Grec à Princeton, page 100, montrant « une longue liste établie par elle, alors qu’elle écrivait un article sur la manière dont les Grecs se représentaient Eros, le désir. La liste est un catalogue d’images du désastre : maladie, mort, douleurs, refroidissements, flammes, souffrances de l’esprit et du corps, pestes littérales et figurées, armes, conflagrations, flèches, poisons déluges, batailles, défaites. Ce sont les images que ces païens de Grecs invoquaient quand ils pensaient à Eros. Dans l’imaginaire hellénique de la haute période classique, l’amour est toujours une affliction«  _ qui dépossède de soi) _ ;

mais au contraire l’objet _ celui qui est parfait _ auto-suffisant _ et désiré _ par de malheureux désirants, page 124, donc.

Voilà qui me rappelle les étonnements de ma lecture, il y a plus de vingt ans, du très riche (et courageux !) « Journal romain (1985-1986) » de Renaud Camus (aux Éditions POL, en novembre 1987), en « découvrant » ses séances _ qui me paraissaient tellement répétitives _ de « baise » (homosexuelle) à Rome ; et qui retardaient tant la lecture _ délicieuse, elle, et désirée, recherchée (je suis un passionné des « trésors » de Rome !)des pages de « découverte » ravie des merveilles singulières, elles, des beautés sises, voire même (assez souvent) cachées, tout particulièrement, même si ce n’est pas exclusivement, dans des églises et des musées romains, aux horaires d’ouverture, les unes comme les autres, si anarchiques et peu prévisibles, que pouvoir pénétrer une (unique) fois en leurs antres (par exemple, lors d’une cérémonie de mariage ; ou de funérailles) faisait ainsi figure, sinon de « miracle », du moins de « grâce »…

Quant au passage (pages 125 à 128) sur le « Don Juan » gay, « un beau jeune homme _ et plus un « garçon » ! _ à l’esprit agile et à la carrière professionnelle brillante, qui couche avec un inconnu différent chaque soir, si possible » _ et cela l’est presque chaque fois _, il est encore plus significatif que celui de la photo du « mannequin Armani » :

« Ce pour quoi il vit _ mais oui ! on a bien lu ! _, ce qui _ lui _ rend le sexe intéressant et même fascinant _ et inlassablement _,
c’est la nouveauté
_ absolument nécessaire !!! _ de chaque partenaire _ si l’on veut : pour un objet ! pour un pur réceptacle de la matière du « getting off«  ! _, l’excitation _ idéelle ; idéaliste _ qu’il ressent une fois _ l’événement de ce savoir « dure »-t-il ? _ qu’il sait _ voilà ! le plaisir pur de se figurer !.. _ qu’il a séduit » _ non seulement qu’il a « eu » ou « possédé » (par son phallus) l’autre, mais qu’il le « tient » par le désir de l’autre de « revenir », voire de « rester »…

Et Daniel Mendelsohn d’ajouter, page 126 :

« Je pense souvent à ces hommes qui quittent son _ très bel _ appartement, ruisselants d’espoir ;

et lorsque j’y pense,

ce que je vois,
c’est le regard étincelant d’excitation
_ sadique, d’abord _ de mon ami _ si élégant : « délicat, intelligent, beau et doué » (page 125) _,

le scintillement de la certitude  _ jouissive (avec une part de sadisme, donc) _ infaillible qu’il les possède plus surement encore _ désormais, ainsi _ qu’au moment
où il était sur eux,
derrière eux,
à côté d’eux,

en eux » _ page 126 : Don Juan, vous dis-je ;
le dilettante, par excellence.


Cela m’évoque « Le Problème du mal » d’Étienne Borne _ livre paru en 1958, et ré-édité aux « Presses Universitaires de France« , en janvier 2001 _, considérant le dilettantisme, l’avarice et le fanatisme comme « les trois figures essentielles du mal humain« , par le refus _ sévère, inexorable, impitoyable _ de la passion, cette « épreuve continue _ et infinie, elle !.. _ d’une vulnérabilité à autrui« , quand l’autre est vraiment réellement (= à cœur perdu ; c’est-à-dire donné ; sans rien de retenu et de gardé seulement pour soi) aimé _ car c’est comme cela que cela s’appelle ! _, comme l’analyse magnifiquement Etienne Borne, là…

Daniel Mendelsohn sait bien _ il le dit page 127 _ que « nous _ et il parle des gays, d’abord _ avons tous fait ce qu’il _ l’ami don juanesque _ fait : l’excitation de la séduction, le plaisir absolu, bref, certes, mais entêtant, de savoir qu’on vous veut« ,
suivi _ immédiatement : à la minute ! _ de la fuite, du couper court (« to elude« ) ! :

« Il faudrait que je fasse le compte des garçons que j’ai moi-même fuis après les avoir possédés » _ et Daniel Mendelsohn d’en énumérer, non sans un brin de remords, quelques uns…

Car, « une fois que c’est fait _ le « getting off » ; l’orgasme, avec sa « chute » (de tension) post coïtum _, vous avez besoin _ voilà le seul terme adéquat, et non « désir » ! _ d’en avoir _ au sens qu’on interprètera _ un autre _ « au suivant ! » _ ;

quelqu’un d’autre, quelqu’un de différent _ tous sauf le(s) même(s) ! _ ;

et vous devez donc _ en un tel dispositif de fonctionnement : comparable aux parcours indéfiniment répétables (et répétés) des longueurs de bassin de la piscine ! _ supprimer _ le mot est terrible : de la liste des partenaires (-objets) possibles _ le garçon précédent,
celui que vous mouriez d’envie d’avoir
_ c’est fait ! et n’est ainsi plus « à faire » ! au lit ! _ la veille ;

vous devez
le faire disparaître

parce que si vous le re-voyez _ et avez « r-affaire » à lui _,
il sera un garçon particulier _ une personne singulière _,

et non pas simplement Le Garçon _ une idée, une image mentale, une fiction,

même si (nécessairement : « getting-off » oblige !) bien charnelle _,

pas simplement CE qui _ pas quelqu’un ; mais un quelque chose : un leurre du désir _ vous fait rester dehors toute la nuit, ou réveillé toute la nuit, ou en ligne toute la nuit
dans l’espoir
_ réaliste (= pragmatique), et qui s' »avèrera » (= passera au stade de « réalisé »), en effet, le plus souvent, en un tel « jeu » (de manège)… _ que lui, comme tant d’autres, passera dans votre petit appartement _ et votre lit, et vos bras _ où le désir _ en ce « chez vous » _ ne concerne que « vous » _ et pas lui, ni quiconque : c’est dit noir sur blanc, page 128 _,

quelque chose _ et non pas quelqu’un, une personne, avec un visage _
que vous contrôlez _ voilà : par votre intelligence et votre volonté ; votre habileté, votre ruse _,

quelque chose qui n’a rien à voir, en fin de compte

_ le terme (de la traduction française, au moins !) est parfaitement adéquat ! _
avec la personne

_ où diantre se cache(-rait ici) pareil animal-là ?

et nonobstant (ou en dépit de) la présence apparente (et tenable : charnue) de son corps... _

qui se trouve là, pour l’heure, dans la chambre. »

« Out ! »

and « Off ! » ; « Away ! »

La page  juste avant celle (page 121) sur la répétition _ j’y reviens _,
page 120, donc,

l’auteur avait émis cette thèse-ci :


« Pour beaucoup d’hommes gay _ et par conséquent pour les hommes en général, puisque la culture gay n’est rien d’autre qu’un laboratoire _ décomplexé, probablement _ où observer ce que devient la masculinité sans les contraintes imposées _ nous y voilà ! _ par les femmes :

le sexe, pour les hommes, est finalement _ « par nature », biologiquement, en quelque sorte, par un bien beau retour de l’idéologie « naturaliste » : « chassez le naturel, il revient au galop !«  _ séparable de l’affect.

Trios, cuir, orgies, jeux de rôles _ « jeux » : pour les gays, le sexe peut être séparé _ c’est tout l’art (du « Don Juan » : schizé !!!) ! _ du moi, du sujet.

Distancié, objectivé, il peut devenir en fin de compte esthétique

_ ou une nouvelle légitimation idéologique.

Sur cette « esthétisation », lire avec profit l’excellent Yves Michaud : « L’Art à l’état gazeux _ essai sur le triomphe de l’esthétique« 

Sur le plaisir de la répétitivité, cette remarque encore, à propos de l’exercice de la natation en piscine _ pas dans l’océan, forcément : comment y « compter » quoi que ce soit ? _, pages 131-132 :

« Il y a quelque chose de profond et d’une familiarité inconsciente dans le plaisir de nager _ en piscine ! _ : le plaisir d’enchaîner _ oui ; avec « compteur » ! _ les longueurs de bassin » (…) ; soit « quelque chose qui ressemble à un mouvement, mais qui en fait ne va nulle part _ ce que, pour ma part et tout personnellement, si je puis me permettre de m’immiscer idiosyncrasiquement en ce commentaire, j’exècre et abomine !!! le comble de l’ennui… _ ; et c’est le plaisir de savoir _ plutôt que ressentir _ que les distances que vous parcourez _ en ce (petit) bassin géométrique _ peuvent toujours _ ad nauseam même, si cela nous « chante » _ être comptées en petites unités stables _ le prototype du cauchemar et de l’horreur pour moi ! _ à la répétition constante et réconfortante _ pour qui aime « compter », comme Daniel Mendelsohn (alors), dont le père, comme l’amie (« Rose ») sont, certes, mathématiciens !

« Le désir est un mouvement plutôt qu’un lieu« , énonce fort bien Daniel Mendelsohn, page 44. Mais ce mouvement-là poursuit souvent une chimère du passé ; dont l’auteur s’efforce ici de re-tracer en quelque sorte (« en amont ») l’archéologie _ de « garçon«  en « garçon« , en quelque sorte _, depuis un premier aimé et désiré _ P. : nous n’en connaitrons ici que l’initiale _ ; et qui l’a fui irrémédiablement, quelques années (d' »amitié adolescente ») plus tard. Et P. était champion de natation… Mais P., aimé, était-il seulement un « garçon« , lui, le premier (et « modèle » de la « série » des « garçons«  ne l' »équivalant », aucun, jamais…) ?..

« Quand il a atteint l’âge de quatorze ans _ en 1974 par conséquent _ « le garçon » qu’est lui-même le jeune Daniel Mendelsohn « écrit«  dans le « journal » qu’il « tient » « en cachette« , page 91 : « J’ai rencontré P. aujourd’hui, je crois _ ajoute-t-il immédiatement _ que nous pourrions devenir amis » ;

et, environ six mois plus tard, quand il souffre sévèrement de ce qu’il n’a pas encore identifié comme l’amour _ c’est dit _ : « Je refuse de croire que mon idée d’avoir un ami parfait soit, comme le dit Papa, de la « merde« . »

Mais aussi, page 101 :

« Dès que j’ai posé les yeux sur P., j’ai _ en effet, immédiatement _ su _ simultanément _ que c’était sans espoir (sic) ; que quel que fût l’endroit _ à l’autre bout du monde… _ où m’emportait mon désir, je n’y trouverais jamais (!) accomplissement ni bonheur... »

« Cela _ avec P. _ a _ cependant _ duré plusieurs années, jusqu’au début de la Terminale _ page 102 _ ; je me suis insinué _ le désir amoureux est puissant : il donne des ailes… _ dans sa vie, je connaissais ses amis, son emploi du temps _ les longueurs de bassin de piscine _, ses parents; comme si le fait de posséder ce savoir, de tout connaître de lui, me permettait d’en faire une reconstitution, de me l’approprier _ l’amour n’a pas de limites. Un jour, alors que je devais passer la nuit chez lui, je me suis soûlé ; et, comme nous parlions de ce dont parlent les adolescents quand ils dorment chez l’un ou chez l’autre, j’ai compris que je voulais lui faire violence, d’une manière ou d’une autre, que je voulais que l’intensité de mon désir pour lui, transperce _ enfin _ ou abatte les murs de son… de son quoi ? De son « moi », de son identité _ pas assez poreuse _, de ce qu’il était inévitablement et répétitivement. Mais, bien sûr, ça n’a pas marché. Il est demeuré toujours _ voire plus que jamais _ lui-même, distant et parfait _ sans moi… _ en quelque sorte ; comme si le fait d’être désiré était un accomplissement, une fin en soi _ pour lui _ ; et je suis devenu toujours plus moi-même _ = désirant ; et passionnément _ à force de le désirer.


Je pense que les choses auraient pu durer _ ainsi _ indéfiniment, mais il a commencé par sortir avec une fille que je connaissais bien. Je les observais en silence ; et même si mes yeux ne se voilaient pas, si mon ouïe ne se détraquait pas, si la sueur ne coulait pas sur mon corps pendant que je les regardais _ selon le modèle plus tard découvert du sublime « poème 31″ de Sappho _, même si je ne devenais pas plus vert que l’herbe _ idem _, je m’affaiblissais, je me renfermais sur moi-même ; j’étais de moins en moins capable d’être dans le monde _ celui qui est partagé ; et commun ; sous le regard des autres.

Il est venu me voir un jour et m’a dit que les choses devenaient _ par l’effet de contrastes nouveaux _ trop intenses ; qu’il ne me verrait plus jamais ; qu’il ne me parlerait plus jamais ;


et fidèle à sa promesse, il ne l’a _ très effectivement _ plus jamais fait ;

se détournait _ jusque là _ de moi quand il me voyait dans les couloirs, les salles de classe ou les cafétérias,

avec une maladresse si transparente et si brutale

qu’elle en tournait presque _ eh ! oui! _ à l’inverse, la tendresse _ que d’émois brûlants ! Et il s’en allait.

A ce moment-là, je me suis laissé aller à le détester ;

ce qui faisait du bien,

dans la mesure où l’aimer publiquement avait été interdit ;

et le détester publiquement _ ou la part si puissante des autres (cf le chœur antique) en ces divers processus _ était tout à fait acceptable.

Je tournais en dérision ses intérêts, la natation _ la revoilà _, ses amis, ses cheveux _ blonds paille, décolorés par le chlore des piscines _,

et j’amusais _ de ma carapace d’« ironie«  (à la Oscar Wilde) _ mes amis, auxquels j’étais désormais revenu,

avec des récits _ de « connivence » retrouvée : à quel prix ! _ de mon séjour chez les barbares _ page 103.

Page 104 : « Le premier homme avec qui j’ai couché  _ « ce devait être pendant la semaine qui a précédé mon vingt-et-unième anniversaire, au début du printemps 1981 » _ en Virginie _ avait le même prénom que lui _ P..

Et nous savons depuis la page 31, à l’occasion d’une confidence : « la première fois que j’ai fait l’expérience de désirer un autre homme dont je savais qu’il me désirait aussi _ voici la nouveauté ! par rapport à P., au lycée de la banlieue de Long Island _, c’était à l’université. (…) Nous avions tous les deux dix-neuf ans _ c’était donc en 1979. (…) C’était dans une université du Sud _ à Charlottesville, en Virginie, page 30. (…) J’étais venu là , à l’université nichée dans les contreforts du Blue Ridge, parce que j’avais aimé, au lycée, un garçon _ P., donc _ qui venait de cet Etat, un garçon qui m’avait rejeté lorsqu’il avait compris _ ou après _ que je le désirais ; je pensais qu’en allant là-bas, à l’endroit d’où il venait, je pourrais le retrouver _ le mot est capital : « re-trouver le « perdu » (« the lost«  !) _, d’une certaine façon, absorber _ en soi _ une partie de lui. Je pensais qu’être dans _ déjà _ cet endroit, avec ses collines et ses élevages de chevaux, et la crête bleutée et brumeuse de la chaîne de montagnes au loin, me permettrait de découvrir _ thaumaturgiquement _ qui était ce garçon _ ce qui est une façon tout à fait profonde d’aimer ; page 31. Mais ce jour-là de 1979, la séquence n’aboutira pas (la rencontre sexuelle sera, par timidité encore, « éludée ») : ce n’est que deux ans plus tard, en 1981 donc, que Daniel Mendelsohn va (enfin ! et toujours en ce même campus de Virginie…) « coucher avec un homme« , prénommé, lui aussi, P.

Mais, page 111 :

« Il est possible de tomber amoureux _ par le processus que Freud nomme « déplacement«  _ de quelqu’un  parce qu’il a les cheveux _ blonds _, le prénom _ P. _ ou l’ascendance _ être de Virginie _ qui conviennent _ mais pas pour longtemps. La structure du fantasme que votre désir _ votre Inconscient (peut-être névrotique) _ impose _ alors, par « projection »/ »introjection » _ à cette personne,

est vouée, à la fin, à exploser,

puisque son identité réelle _ car elle existe bel et bien ; et résiste aux seuls fantasmes ! _ va finir par remonter à la surface et venir troubler l’image _ illusoire, cf Freud : « L’Avenir d’une illusion« … _ que vous vouliez _ ou plutôt que lui, votre désir fantasmatique, ici, « voulait » ! _ y voir.

Pour la plupart des gens, le fait que l’être aimé soit différent, le fait qu’il soit lui _ en son idiosyncrasie, peut-être _,

est riche de possibilités ;

pour les autres _ comme l’auteur, semble-t-il, ici _, ce n’est pas le cas. Mais pour les autres, il y a _ toutefois _ des plaisirs différents,

les plaisirs d’une profonde connaissance _ peu à peu _ de soi _ faute que ce soit de l’autre… _,

la vision intérieure _ par la méditation intensive et suivie _ qui est plus claire _ oui ! _ que celle des _ seuls _ yeux,

la capacité de capter _ grâce à la « focalisation » ; et la méditation intense et réfléchie (« critique ») _ le son émis _ et les paroles _ par les statues qui parlent.

J’ai couché avec beaucoup d’hommes _ dit alors Daniel Mendelsohn, page 111. La plupart d’entre eux ont une apparence _ physique _ bien déterminée _ un certain « type ». Ils sont de taille moyenne et ont tendance à être plutôt jolis _ plaisants à regarder. Ils auront probablement _ statistiquement _ les yeux bleus. Ils ont l’air, vus dans la rue, ou depuis l’autre côté de la pièce, un peu solennels.

Lorsque je les tiens dans mes bras,

c’est comme si je tombais _ et littéralement _ à travers un reflet

sur mon _ propre _ désir _ seulement _,

sur la chose qui me définit,

sur mon moi _ page 112 ;

et pas « dans » eux, ces « hommes« …

Un peu plus haut _ pages 110-111 _, parce que « il y a eu une période, à l’université, avant que je ne commence la marche et la chasse _ liées par Daniel Mendelsohn à l’homosexualité _, où j’ai eu des rapports sexuels avec des femmes, assez souvent » ;

de ces accouplements _ coïts _, je me souviens de ceci :

lorsque les hommes ont des rapports sexuels avec des femmes, ils tombent dans la femme. Elle est la chose qu’ils désirent, ou parfois redoutent ; mais en tout cas elle est le point final, l’endroit où ils vont _ to come = jouir…

Les hommes gay, eux, tombent, pendant le sexe, à travers leurs partenaires,

jusqu’à eux-mêmes, inéluctablement » _ page 111.


Un livre courageux et passionnant ; même si on peut s’irriter _ contre qui ? le Destin (l’Anankè) ? _ de voir le narrateur-auteur

si peu

rencontrer vraiment

un autre : du moins avant la survenue de l’enfant Nicholas…

Sans négliger, non plus, un aussi puissant que discret

formidable humour, sous cette plume, en cette voix

de Daniel Mendelsohn… :

c’est donc non sans une certaine impatience

que nous attendons de le lire à nouveau, l’écouter, le rencontrer nous parler…


Titus Curiosus, ce 8 février 2009

Le chant des fruits de la vie _ avec certains rouges, et quels rouges ! _ à l’aquarelle, d’Anne-Marie Jaccottet

30déc

A propos de l’exposition à la galerie Alain Paire, 30 rue du Puits-Neuf (et jusqu’au 31 décembre !!!) à Aix-en-Provence, “Paysages et natures mortes“  d’Anne-Marie Jaccottet ;

et de cette merveille (de goût) qu’est le livre qui lui est “consacré”, “Arbres, chemins, fleurs & fruits _ aquarelles et dessins d’Anne-Marie Jaccottet“, avec des “textes” _ de toute simple “lecture” de ces œuvres _ de Philippe Jaccottet, Alain Madeleine-Perdrillat et Florian Rodari ; ainsi qu’un “entretien de l’artiste” avec Alain Paire ; aux excellentes éditions La Dogana _ l’album est paru le mois dernier, en novembre 2008.

Avec cette présentation-ci _ excellente _ sur le site des Éditions La Dogana :

Anne-Marie jaccottet : Arbres, chemins, fleurs et fruitsAnne-Marie Jaccottet
ARBRES, CHEMINS, FLEURS & FRUITS
AQUARELLES ET DESSINS D’ANNE-MARIE JACCOTTET

textes de Philippe Jaccottet, Alain Madeleine-Perdrillat, Florian Rodari
entretien de l’artiste avec Alain Paire
116 pages
ISBN 978-2-940055-59-3
CHF 60.- / 38 €

Radicalement à l’écart _ et peut-être à l’abri ? _ de la scène très agitée de l’art contemporain, il existe de nombreux artistes qui exercent leur activité en silence et avec modestie, ayant décidé d’affronter seuls, « avec les frêles outils de l’art » la transcription du spectacle qui s’offre à leurs yeux.

Le respect qu’ils accordent au métier les rend parfois étonnamment proches du sentiment que l’on peut éprouver de la vie au quotidien.

C’est le cas d’Anne-Marie Jaccottet qui, depuis plus de cinquante ans, porte un même regard émerveillé sur la simplicité des choses qui l’entourent, arbres, chemins, fleurs et fruits….

 …

Et qui s’efforce, dans ses dessins et ses aquarelles, de capter les secrets de la lumière qui leur donne forme et couleur, tantôt en s’appesantissant sur elles, tantôt en les traversant d’un mouvement bref.

Trois auteurs qui sont proches de l’artiste, Philippe Jaccottet, Alain Madeleine-Perdrillat et Florian Rodari, entourent ici de leur approche discrète, subtile ou amusée, une cinquantaine de planches en couleur reproduites avec le plus grand soin.

C’est à une modeste, mais patiente, constante, ferme et déterminée « célébration » de la vie _ à contempler et à « noter » :

en poésie, je pense à quelque équivalence que serait le « Cántico » de Jorge Guillén (quatre éditions : en 1928, 36, 45 & 50) ;

ou aux plus sublimes célébrations (sensuelles) de la lumière et de la vie (et de leurs fruits), d’un Paul Valéry (par exemple, d’un amour gardé longtemps secret, vient de paraître « Corona et Coronilla« ) _ ;

mais aussi à un rendre grâce au « faire »

_ non moins patient, constant, ferme et déterminé, avec sa part (de jeu) d’inconscience : en fait de pure innocence (qu’on me pardonne la redondance pléonastique ; mais il y a une très grande force d’affirmation dans ces couleurs si lumineusement jetées) _

du pinceau, ou du crayon, de l’artiste

que nous convie

à assister un peu,

en y jetant comme quelques rapides et discrets coups d’œil,

d’un peu ce côté, par-dessus l’épaule de l’artiste en son travail même

(rapide : « pas trop de préparatifs » _ page 86 _ ;

et « jamais plus de deux heures » _ page 90,

confie l’artiste à Alain Paire),

en quelque sorte,

et à mille lieues du plus petit danger de pesanteur, de componction, de voyeurisme ;

et de la part _ plume sobre et pensée juste _ de proches de l’artiste (époux, amis)

ce livre infiniment précieux _ « Arbres, chemins, fleurs & fruits _ aquarelles et dessins d’Anne-Marie Jaccottet« _,

à propos d’une œuvre proprement _ le mot ne me gêne pas ! _ merveilleuse,

c’est-à-dire proprement émerveillante,

en la splendeur éclaboussante de vie lumineuse

_ dépourvue d’ombre, et du moindre noir, et d’à-plats pleins en continu

(aux antipodes, par exemple, des larges traits gras d’un Hartung ou d’un Soulages (ne comptant pas, il est vrai, au nombre des « aquarellistes »…)…

Philippe Jaccottet présente le travail d’Anne-Marie Jaccottet-Haesler, avec une infinie simplicité :

« il faudrait simplement aider à voir« , dit-il ;

et c’est en effet toute l’ambition de son texte ;

en ajoutant « qu’on mesure tout de même que ce n’est pas aussi simple qu’il semble » :

de raconter la « simplicité » du travail de la « dame peintre » auprès de laquelle « voilà plus de cinquante ans que nous travaillons côte à côte« ,

commence-t-il par dire, page 11 de sa contribution,

intitulée « avec les frêles outils de l’art« .

C’est du « pouvoir » de l’Art _ de dessin et d’aquarelle _ d’Anne-Marie Jaccottet que Philippe « traite » ainsi en cette contribution d’ouverture du livre.

Ce qui au départ était « don » et « besoin« 

_ « de manier« , dans son cas à elle, « des formes et des couleurs«  _,

« un simple jeu, une manie innocente, dirait-on d’abord« , concède-t-il, page 13 _,

« avec le temps«  _ au sens de sa très  active, mais oui ! collaboration ! _,

« grâce aux enrichissements et _ tout ensemble, et tout uniment ! _ aux blessures du temps,

sans même qu’on en prenne aussitôt _ cela demande aussi bien des détours, bien des surprises ! _ conscience »

_ et celle d’un artiste est d’une richesse labyrinthique

(et capricieuse ; hors de tout projet calculé, nettement ciblé et découpé !) … _ ;

« jeu et manie se chargent de substance » _ vivante _ :

« ce qui vous émeut, vous trouble, vous étonne

_ n’allant jamais simplement de soi (il s’agit de l’ordre des habitudes motrices, pour l’essentiel _ cf Nietzsche, ou Bergson) _,

vous enchante aussi

_ et pour la dame en question, ce seront presque exclusivement les belles apparences du monde proche« ,

eh bien !

« tout cela va se retrouver _ comme par quelque « enchantement » (de l’art qui s’élabore, mais sans dessein) _ sur le papier ou sur la toile

dans un mouvement de reconnaissance,

à tous les sens du mot

_ s’y reconnaître (un peu, si peu que ce soit, dans le maquis du monde),

comme rendre grâce (de vivre : à la vie !) _,

dont on dirait bien qu’il en préserve, transforme, intensifie le plaisir,

la surprise,

et jusqu’à la joie, parfois » :

Philippe Jaccottet parle d’expert !!!

Sur la joie, on n’a jamais rien analysé de mieux que Spinoza _ en son « Ethique » _, en terme d’expression de l’épanouissement de la puissance de la part de la Nature que tout individu constitue _ à divers degré de conscience (ou d’inconscience) que ce soit, d’ailleurs : il n’est même pas nécessaire d’accéder au quatrième mode de connaissance, pour progresser dans l’accomplissement de ses potentialités..


Bien vite, c’est tout un monde de vibrations vraies (des choses) qui viennent se poser sur le papier, ou la toile :

« peu à peu, l’arbitraire encombrant de la pensée _ des débuts, des tout premiers « essais » _ s’effacera

pour laisser s’épanouir _ telle une fleur à maturation _ sur le blanc du papier

_ encore ; mais aussi toujours : on ne le quittera pas ; et il demeurera là, mais s’étant (et combien considérablement !) enrichi de tous les voyages de la main de la dessinatrice ou/et aquarelliste ! _

le frémissement de la vie _ nous y voici ! _ qu’il y a dans les arbres

_ oui ! sous les caresses du vent ; même le mistral de Grignan ! _,

et ce qu’il peut y avoir d’incertitude _ féconde _ et de légèreté

dans les montagnes même _ qui bougent…, comme le savent mieux que nous les peintres chinois ; consulter là-dessus François Cheng ; ou l’ami François Jullien _,

du fait de la distance _ pour notre regard _

et de la lumière

_ changeante, mouvante, émouvante ;

cf là-dessus les essais de Georges Didi-Huberman ; par exemple « Phasmes _ essais sur l’apparition » _

où elles ont l’air, quelquefois, de flotter« 

_ ces montagnes au-dessus de Grignan.

Et poursuivant l’analyse de ce qui « tremble » ainsi dans l’air, devant un tel regard (d’artiste, crayon et pinceau à la main),

Philippe Jaccottet dégage jusqu’à ceci :

« Jusqu’à ces séries de dessins les plus récents et les plus beaux

où l’architecture du monde

_ car celui-ci n’est pas un chaos (pas davantage que pour Cézanne à Bibémus, à flanc de Sainte-Victoire ) _

vibre en sourdine _ cela peut se percevoir cependant : à l’artiste déjà… _,

comme si les feuillages se changeaient

_ de Daphné qu’ils étaient auparavant ! devant Apollon !

cf ce que nous en donne à saisir Le Bernin en la galerie de Scipion Borghese, à Rome, et dans la vibration des ombres veloutées du marbre poli _

en essaim d’abeilles

_ telles l’emblème d’Urbain VIII Barberini, encore à Rome _

ou se couvraient pour elles d’un impondérable pollen _ nourricier… ; page 14.

« Les couleurs (…), les voici retrouvées _ comme le Temps en le parcours de Proust _ dans les œuvres de Mme la peintre ;

et même (…) de plus en plus radieuses _ en leur « rayonnement » apollinien, page 17.

« Couleurs du monde«  : nous y venons _ à elles ! à partir de lui ! _ de plus en plus près.

« Elles sont là,

dans les fleurs et les fruits _ après les arbres et les chemins du titre de ce si beau livre ! _ les plus communs,

données au premier venu«  _ même, des humains qui sait les « rencontrer » ; et jusqu’à s’en nourrir…

« Couleurs des choses qui s’ouvrent

_ fleurs,

mais aussi fruits, à commencer par les grenades :

car la fonction d’un « fruit » est bien de transmettre, par ses « graines fécondables ou/et fécondées », la vie… ;

c’est donc dans cet ordre du mouvement du

« vivre »

que nous voici plus directement transportés,

immergés par ces sublimement toutes simples »images » d’Anne-Marie Jaccottet… _ ;

« Couleurs des choses qui s’ouvrent,

s’épanouissent

puis se fanent

_ mais « les fruits passeront la promesse des fleurs« , n’est-il pas ?.. de même que

« une rose d’automne est plus qu’une autre exquise« , décidément... _ ;

des choses qui gonflent,

parfument,

sont respirées

et quelquefois _ carrément : la substance se transportant en un autre vivant qui s’en nourrit… _ mangées,

puis _ bientôt _ se flétrissent _ et, pourrissant, nourriront d’autres vivants qui sauront en jouir… ;

couleurs si mystérieuses d’être _ aussi _ si communes _ et si belles, alors, à qui les « goûte » !.. en l’ordre du vivant… _,

jubilatoires _ le mot est capital ! _ on ne sait trop comment ni pourquoi _ si : en jouir transmet de la vie !.. _ :

de la plus claire à la plus sombre,

de la plus sonore à là plus sourde _ en la baudelairienne « correspondance » des registres de sensations _ ;

saisissable entre deux nuits _ noires, elles !

_ et notre vie elle-même, toute vulnérable _ fragile (et mortelle) _ qu’elle soit,

fleurissant ainsi

_ en effet : voilà ce qu’apprennent (et montrent aussi, avec générosité) les artistes ; afin de mieux pouvoir saisir l’opportunité éphémère, mais très réelle aussi, d’en jouir,

face à l’espiègle ciseau _ au rasoir tranchant _ de Kairos !!! _

entre deux _ un peu plus longues _ nuits _ uniformément noires _,

mais celles-là _ décidément ! _ plus longues et plus profondes

_ sans réveil pour la seconde ;

quant à la première,

à nous d’apprendre à bien, ou mieux, nous éveiller/ré-veiller :

que de somnolences ingrates ! en effet, parmi les pseudo vivants… _ ;

et plus profondes _,

produisant en fin de compte,

à force de patience _ par l’œuvrer (de l’artiste) _ et de soumission _ à ce travail (de célébration) conjoint et de l’Art et de la Nature _,

un si beau chant

_ pour rendre grâce, par l’œuvre, au chant « premier » du monde

(vivant et mortel ! puisque c’est d’un seul et même mouvement), page 18.

« Toutes ces couleurs que voilà,

par la grâce d’un art _ infiniment modeste _ qui ne prétend à rien _ sinon à modestement célébrer ce monde _,

(…) reçues, recueillies, décantées _ en l’aquarelle, ou par le dessin _

sur, presque toujours, une simple _ toujours, et pas davantage _ feuille de papier ;


(…) qui ont l’air de se réjouir _ elles aussi, et déjà ! en leur inopinée « rencontre » _

d’être ensemble :

le rose de l’aube,

le jaune et l’orange de midi,

le bleu et le violet du soir

_ selon l’incidence des rayons lumineux _ ;

et ce sont aussi

_ en portant encore d’autres, concentrées et intensifiées, même,

en la matérialité du grain même de leur écorce et leur peau ! _

des citrons,

des kakis,

des figues,

des cerises, des prunes ;

beaux ingrédients pesés avec une science comme instinctive _ ce qu’elle n’est jamais… _

pour exalter le regard et guérir, un instant

_ du moins : mais c’est la condition temporelle de tout organisme vivant, se reproduisant !.. _,

le cœur.« 


Tout cela, en cette collection de réels éminemment sensibles (et colorés),

« les voilà désormais une fois encore redoublés en images

_ les œuvres de l’artiste _

dont le seul mérite,

le seul pouvoir

_ c’est à celui-ci (de la peintre, Anne-Marie) que Philippe (Jaccottet) veut ici rendre tout l’hommage que son travail mérite : pardon de la redondance… _

auront été de nous les rendre

_ ils s’agit des champs, collines, arbres, chemins, rares objets, aussi familiers, fleurs et fruits, que,

du « monde »,

Philippe Jaccottet vient d’énumérer _

un peu plus

_ humainement (co-existentiellement), non « propriétairement » (possessivement) _

nôtres ;

plus délicieusement,

plus joyeusement nôtres

_ d’où la vertu très hautement, mais de manière absolument désintéressée, « curative » de l’Art :

que des Béotiens et barbares méconnaissent 

quand ils ne s’acharnent pas _ ô paysages ! ô architectures ! ô chefs d’œuvres d’artisans ! _ à les détériorer et détruire :

par haine de l’Art ;

par exemple « Haine de la musique« , dirait un Pascal Quignard…

Page 21, Philippe Jaccottet répond à l’objection béotienne :

« A quoi tout cela peut-il servir ?«  ;

de même que :

« à quoi peut-il bien servir d’être nés,

à quoi rime-t-il (…) de respirer,

d’ouvrir les yeux,

de parler,

à plus forte raison d’apprendre

_ les règles de l’art, les secrets impalpables du pastel, les fluides leçons de l’aquarelle, par exemple _ etc… _


puisqu’il faut

à la toute fin

_ voilà la ligne rouge (de fin, irrévocable, du jeu

_ pour un individu,

dans l’ordre des espèces à reproduction sexuée, du moins… _

fermer ces mêmes yeux _ à la lumière ; et aux couleurs (du jour) _

qui vous ont

_ c’est à nous individuellement, un par un, que Philippe Jaccottet s’adresse ici ! _

été donnés

_ par la vie, la nature, l’espèce, le jeu de la reproduction sexuée, etc… : pour en jouir… ;

et que _ ce n’est pas peu, ni rien, non plus ! _

les plus éblouissants _ d’éclat de lumière ! _ d’entre les astres, qui leur ressemblent tant,

vont inévitablement

_ eux-mêmes ; à une échelle de bien plus considérable ampleur _

s’éteindre _ non métaphoriquement _ à leur tour ?«  _ page 22.

Réponse à l’objection, maintenant, page 25 :

« Pour autant : voir le monde _ au présent (de l’activité) _,

avoir vu _ au passé rétrospectif de quelque mémoire terminale _

la lumière du jour, tout d’abord _ au niveau basique d’un organisme vivant _ ;

et dans quelques cas pareils au sien (…)

avoir pu,

sans prétention à rien, j’y insiste _ gratuité ô combien (et seule !) féconde ! _,

avec ce naturel absolu

et cette absolue franchise

_ indispensables au vrai artiste ! cela finit par s’oublier, ces derniers temps-ci… _

qui la caractérisent aussi dans la vie,

c’est-à-dire sans ombre de tricherie, de trucage, d’épate »

_ cela se sent parfaitement, en effet ! _,

et voici maintenant l’effet objectif atteint :

« accroître de si peu de degrés que ce soit

_ infinitésimalement, même ! _

cette lumière,

qui est inoubliable » _ depuis… _,

« c’est (…) déjà beaucoup » _ page 25.

Immédiatement, Philippe Jaccottet « tempère » cet acquis :

« Le souci de la vérité,

si improbable _ déjà _ semble-t-elle,

exige tout de même de garder la juste mesure.

La « bande à nous de bonne terre : entre fleuve et pierraille »,

le « peu d’humain » _ pour prendre pied _,

c’est ici _ à Grignan _ un tout petit territoire :

une sorte de jardin clos »

« Mais dans un jardin clos (…),

il arrive que la clôture s’ouvre tout de même sur de grands espaces

au moins pressentis,

sur des hauteurs et des profondeurs _ aussi _

d’autant plus « vraies » _ le terme est capital !.. _ qu’on n’avait pas voulu y parvenir »

_ l’innocence est une condition essentielle de la réussite, ici, comme en l’épreuve initiatique de Pamina et Tamino en « La Flûte enchantée » de Wolfgang Amadeus Mozart et  Emanuel Johann Schikaneder.

« Alors, l’infime

_ de pareille œuvre ; et même ses agréments ; sa presque « joliesse », comme s’expriment certains… _

 devient beaucoup moins infime,

l’insignifiant beaucoup moins insignifiant qu’on ne l’aurait cru _ au départ, ou au premier abord

(comme face à une scène de genre, ou à une nature morte, de Jean-Baptiste Siméon Chardin, par exemple :

pour conclure son (trop bref !) « entretien«  avec Alain Paire, Anne-Marie Jaccottet confie qu’« un des tableaux » qu’elle « aime le plus au monde«  est, « à Winterthour« , « chez les Reinhart, cette petite « nature morte aux prunes » de Chardin« …).

« Les fragiles outils de l’art,

le crayon, la plume, le pinceau

peuvent _ oui ! _ donc cela,

tout de même,

en ce certaines mains » _ patientes,

et ouvertes à l’altérité

à connaître et célébrer…

Dans un rapport _ « chanté«  (page 28) _ au proche,

« que ce tout proche, l’art du peintre (…) a secrètement, inconsciemment _ aussi _ fait voyager très loin _ du discours _

et revenir vers nous enrichi _ par l’expérience acquise ainsi, inconsciemment en partie, de sa main _ de ce lointain« -ci…


La contribution d’Alain Madeleine-Perdrillat,

ensuite,

analyse avec une extrême délicatesse le style _ ou le geste _ d’aquarelliste et de dessinateur d’Anne-Marie Jaccottet :

« un travail d’éclaircie« ,

intitule-t-il cette « contribution »…

« Il n’y a pas d’affût dans cette oeuvre, on le sent bien.

Ce qui indique _ en amont du trait _ un certain rapport au monde, à la fois confiant et réservé »

_ parfaitement…

Aussi « le lien avec la nature et les objets

est(-il) sereinement, et d’autant plus fortement, maintenu et affirmé. »

Dans la « voie«  _ en quelque sorte « buissonnière«  que s’ouvre sereinement Anne-Marie Jaccottet _,

« la représentation

_ encore qu’avec certains enchevêtrements de branches et de feuillages

on soit parfois aux limites de la représentation _ ;

la représentation

est davantage un mouvement vers la nature

_ à la chinoise : cf les travaux sur la peinture chinoise de François Cheng ; et ceux de François Jullien… _

qu’une position tenue face à elle. »


« Et il n’est pas indifférent qu’Anne-Marie Jaccottet use avec prédilection de l’aquarelle et du pastel

pour répondre _ oui ! _ au monde qui l’environne et lui fait signe » _ en effet !

Avec l’impression qu’ils donnent de « fragilité« ,

« ces deux médiums »

« suggèrent dans l’œuvre une dimension éphémère :

l’image s’y constitue, mais avec un léger retard,

et moins de superbe« _ qu’avec « l’huile ou l’acrylique« .

Par « le fait » que « ses œuvres » « toujours tremblent un peu« ,

« s’y joue » quelque chose de « secret« ,

avance l’auteur :

« se devine une relation étrangement directe et confiante

(parfois inquiète aussi)

avec le monde proche,

qui fait que l’artiste, presque paradoxalement, ne semble pas chercher à en « faire de l’art »,

ou à interposer entre elle et lui _ ce monde proche _ une vision,

mais tente de saisir ses beautés à l’improviste,

en simplement l’allégeant un peu _ ce monde à portée des sens _,

comme on éclaircit une futaie où la lumière peine à pénétrer. »

Quant à la _ troisième _ contribution _ à ce si beau livre _,

de la part de Florian Rodari,

elle s’annonce par l’intelligence sensible si pleine d’éclat, déjà, de son titre :

« Fruits de l’émerveillement«  :

c’est on ne peut mieux « ressenti » !

Car l’œuvre entier _ et l’œuvrer ! _ d’Anne-Marie Jaccottet sont

_ et exclusivement :

la personne, et l’artiste,

toutes de discrétion et modestie (proches sans doute de l’humilité même), certes,

étant entièrement dans l’ordre de la plénitude tendue (pardon de l’oxymore !), et éclatée, aussi, ainsi,

de la jubilation :

chant d’action de grâces (ou reconnaissance du remerciement) à la grâce même du vivre,

à la lumière, et dans l’éclat, du jour

_ entre le noir total de deux nuits :

celle en amont du naître,

et celle en aval du disparaître ;

mais, auparavant, dans l’entre-deux de ces deux noirs complets, non sans fruits :

ces œuvres-ci

(qu’offrent, aussi, à nos regards,

et l’exposition aixoise, à la galerie d’Alain Paire _ et sur son site _ ;

et le beau livre Arbres, chemins, fleurs & fruits _ aquarelles et dessins d’Anne-Marie Jaccottet, à La Dogana, qui, lui, va demeurer, à 1040 exemplaires) ;

et deux enfants

(« un garçon, Antoine, en 1954, et six ans plus tard, une fille, Marie » _ page 96 ;

une photo d’eux deux, avec leur mère peignant, dehors, au soleil _  les intégrant, aussi, au livre, page 110…)… _ ;

car l’œuvre entier, et l’œuvrer qui les « donne », d’Anne-Marie Jaccottet

sont pleinement dans l’ordre de la célébration

_ quand (et tant que) il est temps ;

pas trop tôt, ni trop tard,

« à la saison »

_ même si l’artiste en elle aurait tendance à préférer

celle des fruits : l’été _ ;

« à la saison » du vivre, en tant que le maillon vital de la fructification, même :

soit, un processus d’un même mouvement, et ouvert, et enté sur de la terre, de la chair, de la pulpe…

« Émerveillement« ,

met discrètement l’accent en son titre, Florian Rodari :


reprenant ce que Philippe Jaccottet, tout de discrétion _ vaudoise ? peut-être… _, était parvenu à énoncer,

page 25 de sa « contribution » (« avec les frêles outils de l’art« ) ;

je relis (et cette fois dans le seul élan de sa phrase, sans, pour une fois, le moindre « allongeail » de « commentaire » :

« Pour autant : voir le monde, avoir vu la lumière du jour, tout d’abord ; et dans quelques cas pareils au sien _ je parle encore et toujours de la dame des « Tendres Plaintes » et des « Soupirs«  à la Couperin _ avoir pu, sans prétention à rien, j’y insiste, avec ce naturel absolu et cette absolue franchise qui la caractérisent aussi dans la vie, c’est-à-dire sans ombre de tricherie, de trucage, d’épate, accroître de si peu de degrés que ce soit cette lumière, qui est inoubliable, c’est pour moi qui en aurai été le témoin plus ou moins patient, plus ou moins muet, plus ou moins attentif, hors de toute raison, déjà beaucoup » :

ce que je veux en retenir,

c’est, au-delà de l’appréciation (modeste du « témoin plus ou moins attentif » qu’est le compagnon poète) : « c’est déjà beaucoup »,

ce superbe improbable, et d’autant plus précieux,

« accroître de si peu de degrés que ce soit cette lumière, qui est inoubliable«  ;

car tout est, en effet, là…

Qu’en retient, à son tour, ici, Florian Rodari ?

En un premier recul,

il « situe » d’abord _ page 59 _ la posture fondamentale (d’artiste _ et de peintre…) d’Anne-Marie Jaccottet

dans la « fidélité« , non sans « courage« , face à mainte intimidation « autoritaire«  de beaucoup, « apparenté à du mépris« ,

dans la « fidélité » à la « figuration«  ;

et à « servir«  _ le mot importe ! _ « à traduire au plus près la réalité que le monde déploie ouvertement _ mais oui ! _ à la vue«  _ d’abord,

comme l’analyse de Florian Rodari va magnifiquement,

de près, comme de loin,

le détailler !


A très simplement _ pages 59 & 60 _
« user de quelques pigments,

les mêler à un peu d’eau

et déposer ce subtil mélange avec un pinceau sur du papier

en espérant trouver un juste équivalent

_ tel est le défi tout simple !.. _

à ce que l’on a sous les yeux«  ;

et rien de plus _ mais rien moins, non plus ! _ ;

mais combien le défi (de cet Art) est difficile ! en ses terribles _ démesurées ! au départ ! _ exigences de « justesse » de pareille « équivalence«  (avec le vu, l’aperçu, le pas même saisi !..) _ entre les deux vertigineux bords (« vers« …) permanents : celui de « la grandeur » (visée) _ ou (celui de) la ruine«  (redoutée ; et vite arrivée !) ;

puisque telle sera l’alternative finale de cette contribution de Florian Rodari, page 76…

Il y eut bien « Cézanne » à avoir « cherché, dans ses aquarelles _ déjà _ à traduire _ le terme est pourtant bien modeste ! _ avec honnêteté et opiniâtreté _ et quelles ! au point de passer pour rien moins que « fou » auprès de la plupart des Aixois d’alors ! _ les effets de la lumière sur _ presque _ tous les phénomènes qu’il pouvait observer _ à portée plus ou moins proche, des hauteurs des Lauves aux creux de Bibémus _ dans la nature« .

Florian Rodari précisant même, page 60, toujours à propos des aquarelles de Cézanne :

« Et les plus tardives d’entre elles, si limpides, si détachées,

plutôt qu’elles n’annoncent la peinture abstraite,

s’efforcent de traduire _ toujours cette même « transposition » (par la couleur) espérée _ avec une évidence magnifique _ car tel est l’objectif et désiré ! et atteint, réalisé !!! _

l‘éparpillement des formes _ quasi leur dévoration _ par l’action toute puissante du jour« 

_ via les manifestations de l’appareil optique rétinien (de l’artiste ; puis du spectateur-contempleur _ éventuel _ de l’aquarelle, qui demeurera…)…

« Le XXème siècle, qui aima très tôt analyser, de même que (…) casser les mythes,

n’a guère admis _ par trop d’orgueil ? _ que la lumière éclairât le monde, comme cela, sans explications« 

_ en effet !

« Il (…) négligea bientôt _ après Cézanne (enlevé au peindre le 22 octobre 1906), et puis après Monet (le 5 décembre 1926) _ son aspect direct _ et franc ! _ sur les choses.« 

« Cependant, aux yeux de quelques peintres isolés,

la question de la lumière transitive,

allant directement _ et franchement, donc… _ aux choses

pour simplement les dessiner, les colorer,

restait aigüe.

Résoudre cette énigme _ naturelle, en quelque sorte _ leur paraissait le seul défi concevable« 

_ pour le défi de peindre (le réel) qu’ils osaient faire leur, relever, une vie durant…

Et « dans les aquarelles d’Anne-Marie Jaccottet, dans ses dessins,

on voit bien que c’est sans détour _ en pleine franchise ! oui !!! _

que la lumière surgit

_ d’avoir été affrontée

et « rendue »,

dans la plénitude de ses effets sur les choses ; et notre regard sur le tout…

A tout instant, on perçoit sur la feuille de papier

_ l’œuvre même qui nous est proposée,

et « où » tout se passe, est « restitué », « rendu » (= célébré !) ; et au centuple ; du simple fait de la « pure et simple » vérité même de cette œuvre ! par la grâce du « travail » de l’artiste... _ ;

on perçoit _ donc _

sur la feuille de papier

sa vibration,

le scintillement de son éclat.« 

Voilà ce de quoi, le miracle atteint,

l’analyste doit s’essayer à percer quelques éléments du secret…


« On dirait même parfois

que l’artiste boit la lumière, littéralement« 

_ s’exclame magnifiquement Florian Rodari, page 61…

« Peu de peintres rappellent avec cette justesse _ oui ! _

que les fruits, les fleurs

sont faits _ c’est cela même ! _

d’un mélange d’air et de liquide ;

les arbres,

de vent et de feu ;

et que toutes ces choses si fragiles, si éphémères

_ vivantes (= qui naissent, s’épanouissent, et vont passer) _,

prennent corps

_ visiblement, élémentairement, pour les organismes capables de vision ;

après, existent, encore, des gammes (« supérieures ») fort variées d' »apprentissages »

_ dont certains sont proprement æsthétiques ;

et artistiques _ ;

prennent corps sous les rayons » _ d’Apollon…

En une sublime parenthèse,

Florian Rodari énonce alors cette vérité-ci :

« (De même, la couleur n’est jamais inventée, chez cette artiste

_ la probité même faite chair (et art) _

qui s’efforce toujours

_ sans la moindre exception (d’esquive, détour, trucage) _

de suivre

_ tout simplement ;

mais le chemin pictural, lui, n’a rien d’immédiat ; même s’il devient, années et expérience aidant, plus « rapide » (ou « capote » ! cela aussi arrive… ; rien n’étant jamais mécanique !

l’innocence se gagne !.. _ ;

de suivre

_ oui ! le plus droitement possible... _

le modèle proposé

_ là sous les yeux _

par la nature.« 

Avec cette précision de détail (d’analyse attentive) _ tout bonnement sublimissime _ -ci :


« Ses verts sont

des vert amande,

des vert olive,

des vert feuille de chêne,

des vert pré.

Ses rouges sont des rouge tomate,

cerise,

pomme

ou grenade.

Ses bleus

prune

ou figue,

passent

_ mais oui ; comme passent les jours, les saisons et les ans de l’artiste ;

ainsi que ceux du spectateur _ ;

passent avec le fruit qui s’entrouve et mûrit.)« 


En notant au passage

que la vertu du fruit,

est généreuse :

il s’agit, par les graines _ telles celles, pulpeuses, luisantes, lumineuses, luminescentes, de la grenade _, de « passer la main » (de la vie) à de nouveaux individus vivants temporaires (et nouveaux « passeurs » de vie),

qui s’entrouvriront, « en fruits », à leur tour, en « passant » eux-mêmes,

pour que la ronde de la vie se poursuive, se continue, peut-être se perpétue…

Mais, pour l’artiste, « cette facilité apparente

_ conquise par la patience et la persévérance de tous ses efforts d’« attention » (du regard et du geste) _,

ce bonheur éprouvé _ lors de ses (petites et grandes) « réussites » _

ne signifient pourtant pas que le chemin pour y parvenir

ait été aisé.« 

Ce à quoi répond au final, en forme d’apothéose modeste _ face au savoir, aussi, de la disparition (de soi) _ en son « Ethique « , Baruch Spinoza :

« Tout ce qui est beau

est difficile

autant que rare. »

L’éternité, cependant, s’éprouve

_ Proust le dit aussi (au final de « La Recherche« ) ;

et Montaigne (en son essai, lui aussi, final, « De l’expérience« , « Essais« , III, 13 _

« dans le temps«  :

toute la sagesse étant d' »apprendre à vivre »

_ et, déjà, et aussi, « à regarder »…

« Il _ y _ faut parfois _ mais cette « science »-ci chez nul n’est infuse ! _ toute une vie«  (page 61).

« Le peintre _ à suivre la leçon du travail d’aquarelliste d’Anne-Marie Jaccottet, pour Florian Rodari, ici _ est autant celui qui voit que celui qui touche. Quand il prend les choses en mains,

c’est son œil

qui soupèse,

son regard

qui caresse les surfaces,

qui évalue

densité, transparence, couleur.

Qualités qui,

avant d’être réduites

_ par l’alchimie conquise du peintre, pinceau à la main, « à l’œuvre » ; et pas autrement ! _

à un peu de poudre

et à quelques traits,

avant de devenir _ nous le verrons _ une image sur le papier _ en effet !

et rien de plus, d’un certain côté ! _

…,

sont des évidences physiques

_ de la « vista »

(se conquérant peu à peu ; et de bric et de broc ; en toute une vie… ; et pas moins, non plus !)

de l’artiste _

dont la vue

_ d’abord, elle, dans le cas du plasticien, au moins _

se nourrit« 

_ et pas que métaphoriquement ! ; de ses propres rapports aux choses…


La précision de l’analyse de Florian Rodari,

en regard des aquarelles mêmes d’Anne-Marie Jaccottet,

se fait hallucinante ;

qu’on en juge :

« Le grain de la pastèque crissant sous la dent _ on lit bien ! et on entend ! _,

le poids des pétales alourdis par la floraison _ parfumée ; et l’on sent ! _,

la plus ou moins grande fermeté des kakis

parvenus à maturité _ on les voit, on les touche, comme on va les goûter ! _,

sont,

par la grâce de ce double don

_ de percevoir, dans toute la gamme de nos sens ! ;

et de figurer, par la main du dessinateur et du peintre ! _

perceptibles

_ dorénavant, par le regardeur (« vrai » spectateur, qui prend un peu de temps à « contempler » l’œuvre peinte là, ici et maintenant, proposée (ou donnée, offerte) à sa vue, sur le papier _

sur la feuille

_ la voici ! _ ;

d’une manière ou d’une autre ils

_ « le grain« , « le poids », « la fermeté »

(« de la pastèque » ; « des pétales » ; « des kakis« ) _ ;

ils sont là,

présents _ à nous ; et pour nous _, on ne s’y trompe pas _ que non !!!

On rend grâce, et au centuple, à l’artiste, d’un tel « bonheur » de la perception

(« æsthétique » étant le terme adéquat…).

L’analyse se développe à ce niveau de densité de justesse

(et de joie,

pour le lecteur _ et spectateur des œuvres, en regard !) :

« Tout peintre (…) savoure le monde ;

il le fait transiter par son corps, (…) par la « mastication » de son œil »

_ « ose dire« , avec un parfait bonheur, à son tour, d’expression, Florian Rodari !

qui précise, magnifiquement encore :

« Car s’il souhaite restituer _ mais oui ! _ tel vert sur la toile,

il aura dû, auparavant _ certes ! c’est son « chemin » (d’œuvrer) _,

observer patiemment

_ tel Proust, une heure peut-être, devant (et quasiment « dedans ») la haie d’aubépines « Du côté de chez Swann » _ ;

observer patiemment

_ c’est le seuil du secret (et de la voie) _

comment la lumière le

_ ce vert-ci _

traverse ;

ou s’y arrête _ c’est selon… _;

de quelle manière, il

_ ce vert, donc… _

résiste au bleu qui l’entoure ;

et comment il contraste

_ c’est toujours, toujours, singulier ! _

avec lui ;

ce qui le distingue du vert plus tendre

ou plus dense

auquel il se mêle.

Pas de mystère en l’occurrence :

seule une observation assidue

_ voilà bien la première vertu de l’artiste _

de ce qui apparaît

_ il n’y a, ici, rien d’autre ! _

permet de progresser« _ page 63…

Et ce qui suit, multiplie les notations d’une admirable justesse !

Constatant que « il n’y a jamais d’ombre dans ces images » d’Anne-Marie Jaccottet,

Florian Rodari en déduit que :

« Le passage de la lumière y semble trop rapide pour en créer« 

_ tant tout cela se produit dans la vitesse foudroyante d’une jubilation :


« L’ombre aussitôt, ici, se convertit en couleur.

Rien de noir.

Des rires, plutôt

_ quand je vous dis que tout cela est plus que superbe !!! _,

des éclats _ mais oui ! _ de la couleur _ au singulier _,

comme, dans la voix, se fait entendre la cascade du rire

_ nous l’entendons ; et la partageons !!!


La peinture d’Anne-Marie Jaccotet est une peinture qui excède,

qui déborde«  _ avec une infinie générosité ;

et à mille lieues du moindre petit début de pesanteur...

Car son « tempérament » « plonge

_ avec prédilection, l’artiste _

dans les eaux _ fraîches et heureuses _ de l’été _ de Grignan (en Drome provençale).

« Ce que l’artiste choisit de voir

se confond _ en effet _ avec la joie _ on l’a compris (= ressenti) _ :

fleurs qui (…) égaient la vie ;

fruits qui (…) fondent dans la bouche ;

arbres qui (…) jouent _ tels des dieux toujours enfants _ dans la lumière.« 

« Le kaki,

son emblème _ tiens donc ! _,

est tout en rondeur et densité,

peau tendue,

lanterne de jour chargée d’huile sonore

_ la prose de Florian Rodari est somptueuse, elle aussi, de beauté !

Et riche d’une plénitude

_ voilà le mot ; une plénitude qui n’en finit pas de vibrer, de prodiguer, de se répandre (et partager ; comme le plus et mieux « vivant » du « vivant » !) _

qui n’est même pas suffisante, dirait-on« 

_ ce qui serait fatuité, en effet ; et fermeture (niaise) sur soi.


« Il faut que cette dernière à son tour déborde,

éclate

_ comme la grenade-fruit

(et TOUT fruit, d’ailleurs…) _,

se répande au dehors

_ de soi : c’est la fonction même de tout vivant ;

ainsi que du « vivre » bien compris lui-même !!! _,

comme la pulpe d’une grenade _ nous y voici donc ! _,

en surcroît de lumière« , page 65.

Suivent de très belles pages, encore, sur ce que la discipline

_ mais ouverte, jamais (re-)fermée sur soi _

du dessin

apporte au travail propre

_ saturé ; mais toujours dans le plus extrême souci de la justesse ! _

de la couleur…

Par exemple, page 69, cette notation-ci :

« Si on y regarde de près,

on constate que les formes sont jetées dans l’espace sans repère fixe.

Il n’y a pas de sol _ sur ces feuilles (de papier) _,

pas vraiment de ciel,

pas de point de point de fuite.

Les motifs _ arbres, coquilles, fleurs, nature morte _

_ still alive, à l’anglaise, faut-il dire ici bien plutôt ! _

paraissent avoir été soulevés de terre

_ mais oui ! par la puissance  de la joie ! _

par le tourbillon lumineux qui les emporte,

les allège

_ cf les analyses infiniment justes, elles aussi, d’Alain Madeleine-Perdrillat, en sa contribution (« un travail d’éclaircie » !) _,

les rend à l’air libre »

_ une composante essentielle du regard sur la vie ;

et le « vivre » même,

d’Anne-Marie Jaccottet…

« Néanmoins

_ et c’est à cette remarque là,

quant à la fonction du dessin dans cette œuvre bien personnelle-ci,

que je veux en venir,

dans l’analyse étonnante de précision (et délicatesse) si profondément juste qu’en fournit ici Florian Rodari _

l’artiste se doit de retenir _ vaudoisement ? _ cet élan _ de (ou dans) l’intensité de la couleur _

pour que chaque chose dessinée conserve un poids

_ et ne s’envole pas, dans l’empyrée de l’azur (du ciel)… _

sur le papier _ même ; déjà, encore, et toujours ;

et ne disparaisse pas complètement au regard

_ comme l’image photographique dans le processus (sans cesse plus avant) d’agrandissement

(en anglais « blow-up« ),

sous le regard du héros du film (londonien) de même titre de Michelangelo Antonioni, en 1966… _ ;

et ne disparaisse pas complètement au regard« …

_ certes !

Pour éviter l’abîme de pareille « dissolution »,

« le crayon travaille à cela

par petits bonds rapprochés,

par des ruptures vives,

des appuis variés

qui permettent de reconstituer

_ c’est là le sol commun partagé ;

cf l’œuvre de Jacques Rancière : « Le Partage du sensible » _ :

la vérité visuelle

_ c’est capital _

au terme d’une série de peits gestes comme scandés

_ ou dansés.


Avec ce résultat que

« l’œil goûte alors pleinement l’illusion _ de la perception première _ reconquise

au gré de ces déplacements«  de la main de l’artiste ; il ne s’agit jamais de fuir…

C’est superbement analysé, page 69.

De même,

encore,

de magnifiques notations sur « une sorte de porosité

qui permet de circuler _ dans les paysages, comme das les natures mortes, d’Anne-Marie Jaccottet _ sans entrave,

d’aller sans cesse du dehors à l’intérieur,

par des passages qui n’arrêtent pas

_ peau, treillis, portières, lisières, corbeilles, contenant sans enfermer. »

En « laissant en blanc certaines parties sur lesquelles reviennent des traits de crayon »,

« l’intention _ analyse page 70 Florian Rodari _ est de permettre au regard _ du spectateur _

de passer vite

d’un plan à l’autre,

de suivre _ vivement _ le mouvement _ vibrillonnant _ de la lumière

qui court à l’arête,

bondit d’objet à objet

_ comme notre regard quand il est au plus vif de son activité perceptive _,

franchit la distance sans s’arrêter à la nature de l’obstacle.« 

Ce qui vaut ce commentaire de Florian Rodari :

« Beau souci du peintre :

ne pas s’attarder,

garder _ seulement ; et c’est considérable ! _ le sentiment de la minute heureuse.« 

C’est gagné !

Pour ma part, je m’y sens assez proche des univers charnels colorés

et de Matisse, et de Bonnard


Une dernière notation, encore, page 73,

et à propos, cette fois,

des « assemblages » de circonstance,

des objets « réunis » dans les « natures mortes » _ et qui le sont si peu : avec quels teints resplendissent-elles à la lumière !.. _ d’Anne-Marie Jaccottet :

« les rencontres résultent d’un regard flottant,

qui profite d’affinités _ seulement _ possibles

_ en un « jeu » toujours _ fondamentalement ! _ ouvert,

et jamais « figé »… ;

heureuses,

mais jamais préconçues. »

« On ne songe pas un instant que leur réunion ait coûté beaucoup d’effort :

cela est venu d’un coup, comme une évidence

_ légère, infiniment…

A partir de là reste au peintre

à justifier leur présence commune ;

le lien entre eux étant ténu,

de circonstance

_ comme presque tout ! _,

le langage qui évoque cela est marqué de la même fragilité.


D’abord, l’appui est comme rétif :

point de masse,

pas de couléees ou de surcharges ;

à peine un contact

qui ne doit pas masquer le grain,

et le pinceau se retire.

On sent bien qu’il faut travailler vite et juste

_ absolument : « jamais plus de deux heures »,

dit elle-même Anne-Marie Jaccottet à Alain Paire, page 90 _,

faute de quoi la vision risquerait de s’embuer ;

l’éclat

_ objet capital ! _

de s’alourdir.

C’est pourquoi elle avance par petites touches

chargées d’un peu de pigment

et de beaucoup d’eau,

transvasant cette lumière liquide

en taches rapides sur le blanc.

On devine les risques de ratage,

le découragement possible.

On mesure l’attention portée à ces gestes, condensés,

à ces traits brefs, tendus,

d’infinie légèreté,

pour que toute la feuille demeure parcourue d’un bout à l’autre

du même frisson.« 

A la fois un « parcours«  (de la feuille, tranquille, immobile, elle)

et un « frisson«  de vie la plus intense (convoquée ; et rencontrée).

D’où le splendide « air de réalité » qui vient sous la plume du philosophe Alain, en un texte spécialement adressé  à l’artiste par Friedhelm Kemp (« le premier traducteur de Philippe en allemand« , ainsi que le narre Anne-Marie elle-même, à la page 89, en son « entretien » avec Alain Paire, pages 89-90 , et qui , de fait, semblait « écrit pour elle » ! :

« Quelqu’un disait : « J’ai remarqué, comme je m’exerçais à reproduire par le dessin, soit des rochers, soit un profil de montagne, soit un arbre, qu’on ne peut changer la moindre chose en ces formes de hasard, sans perdre aussi cet air de réalité, qui est ce que l’on cherche« . Cette remarque conduit fort loin _ s’amuse à constater le pourtant rationaliste philosophe…  (…) Deux vagues se ressemblent ; mais cela c’est une idée ; c’est le sceau de l’esprit. Deux vagues réelles _ non plus que deux feuilles de marronnier, selon le leibnizien principe des indiscernables _ ne se ressemblent jamais. L’esprit remarque encore cela, et cherche la différence ; c’est encore le sceau de l’esprit _ analyse Alain _ ; cette pensée se voit aussi bien que l’autre ; il ne faut point penser, il faut copier ; il faut suivre cette ligne de la crête, cette inégalité de la pierre, cette torsion de la branche ; nul ne peut ici inventer. L’esprit _ de celui qui « représente » _ trouve ici sa négation et son contraire _ et l’artiste (qui « figure ») doit faire preuve de la plus grande humilité. Les actions de pluie, de neige, de vent _ de la nature, avec le jeu comportant de l’aléatoire, de ses forces (ou un clinamen) _ qui ont dessiné cette crête, ne sont point formulables _ ni calculables ( à l’identique) _ ; c’est l’événement tout nu _ qui impose (joyeuse, pour Anne-Marie) humilité à l’esprit (et elle s’en amuse). Pourquoi ainsi et non autrement ? il n’y a point de réponse _ c’est-à-dire pas de raison suffisante, pour la finitude d’un esprit humain… Rien n’est cherché ni pensé…« , disait Alain…

Et Anne-Marie de commenter : « N’est-ce pas merveilleux ?« …

Quant à cet « entretien«  _ des pages 85 à 102 _ d’Alain Paire avec Anne-Marie Jaccottet, en mars 2008, à Grignan,

il ne présente à mes yeux qu’un seul défaut :

la frustration qu’engendre sa trop grande brièveté :

écouter détailler par le menu

la pratique de l’artiste,

et en son atelier même,

est tellement fructueux

et passionnant : c’est un trésor…

Au final,

et dans toute sa (profonde) modestie,

mais dans la grandeur (de haute altitude) de sa probité _ de personne et d’artiste _,

Anne-Marie Jaccottet,

en son tranquille mais (très) exigeant _ pour lui-même _ travail d’artiste,

en son jardin clos de Grignan

_ mais pas si clos que cela :

bien se souvenir, à cet égard, de la parole (d’expert ; et indépendamment de sa « proximité » personnelle) de Philippe Jaccottet, page 26 de cet « immense » (petit) grand livre :

« Mais dans un jardin clos

où une jardinière

à la main de plus en plus sûre

prépare inlassablement ses semis de formes et couleurs,

dans un très étroit espace

sans grande apparence

(sur lequel d’ailleurs aucun guide ni aucun panneau n’attire l’attention

_ encore que ce livre après tout…),

il arrive que la clôture s’ouvre tout de même sur

de grands espaces

au moins pressentis,

sur

des hauteurs et des profondeurs d’autant plus « vraies »

qu’on n’avait pas voulu

y parvenir.

Comme quand on s’avise, étonné,

que le chant du merle _ qui l’habite, ce jardin, pour la première fois _

est fait d’une matière

aussi aigüe et pure

que la clarté de la lune

à laquelle on croirait qu’il l’adresse, un soir encore froid d’avril.

Alors, l’infime
_ de ces aquarelles _

devient beaucoup moins infime,

l’insignifiant _ non pas... _

beaucoup moins insignifiant

qu’on l’aurait cru _ en faisant grossièrement (et gravement) erreur, ainsi…

Mais il est toujours temps, tant que l’on est vivant soi-même du moins,

de corriger

pareilles « erreurs »

d’appréciation...

Les fragiles outils de l’art _ de l’artiste plasticienne en l’occurrence _

le crayon, la plume, le pinceau

peuvent  donc _ en effet ! _

cela,

tout de même

en de certaines mains« …

nous a indiqué discrètement, mais fort clairement, tout de même,

Philippe Jaccottet,

aux pages 27-28

de ce grand (petit) livre-album d’aquarelles et dessins,

sans tapage.

Pour finir,

je voudrais seulement établir la liste des noms d’artistes,

auxquels,

sans rien revendiquer,

sinon qu’amour ou amitié (du seul ordre de l’intimité)

pour ce qu’ils donnent, ou ont donné (en _ et par _ œuvres ; qui demeurent un peu…),

Anne-Marie Jaccottet fait,

au passage et à l’occasion,

référence,

en son « entretien » amical,

avec Alain Paire ;

et dans le simple ordre de leur apparition,

au simple « hasard », en quelque sorte, de l’« entretien«  :

Franz Hals, Teniers,

Morandi _ « Il ne faut pas qu’il y ait trop de préparatifs, ni trop bien disposer les objets à peindre _ le contraire de Morandi, par exemple, pour évoquer un aussi grand nom ! », dit-elle, page 86 _,

Dubuffet _ le « Prospectus aux amateurs en tout genre » : « dont je lisais des passages à mes parents, quand j’étudiais les Beaux-Arts à Lausanne, rien que pour les étonner ! », dit-elle, page 89 _,

son père  _ M. Haesler, « à l’origine graveur » et qui « regrettait de n’avoir pu se consacrer au dessin«  _,

Marcel Poncet _ « un professeur merveilleux«  : il en faut ! _,

Maurice Denis _ dont Marcel Poncet « avait épousé une des filles ; mais sa peinture était aux antipodes de celle de son beau-père, proche d’un Soutine qui aurait regardé Cézanne, disons » _,

Soutine,

Cézanne _ donc _,

Casimir Reymond _ « artiste de talent«  dont « les cours de sculpture » l’« ennuyaient » : « il était aussi froid et doctoral que Poncet pouvait être explosif » _,

Bonnard, Vuillard _ « qui compteront beaucoup pour moi« , dit-elle, page 94 _,

Chardin, Corot _ dont « les natures mortes« , de l’un, « les œuvres« , de l’autre, « me touchaient particulièrement« , dit-elle, page 94 _,

Palézieux _ « notre grand ami« , « grâce auquel j’ai osé me mettre à l’aquarelle«  :

« il m’avait vue travailler, il avait compris tout de suite que l’aquarelle conviendrait à mon goût pour la spontanéité et le travail rapide _ ce qui ne veut pas dire bâclé _ et mon désir de préserver la fraîcheur de l’émotion« , page 96 ;

et : « Palézieux, encore lui, m’a appris l’importance de la qualité des papiers, plus encore celle des couleurs, où il fallait s’en tenir aux meilleurs« , page 96, encore _,

Turner, et à nouveau Cézanne _ dont les aquarelles sont « admirées » _,

Charles Chinet _ « peintre vaudois » auquel Palézieux prêtait la « petite maison » qu’il avait achetée, « à son tour« , à Grignan ; « lui et sa femme sont aussi devenus pour nous de grands amis » :

« quelquefois je suis allée avec lui sur le motif ; et je le revois encore peignant en plein été sous le soleil, sans couvre-chef, alors que je me tenais prudemment à l’ombre ; comme il n’était plus tout jeune, j’avais peur pour lui d’une insolation. Mais il était tellement exalté par la beauté du paysage que lui, si sage et si pondéré de nature, devenait presque aussi fou que Van Gogn autrefois dans les environs d’Arles » _,

Gérald Goy _ « venu » (après Charles Chinet), lui aussi, à Grignan : « un véritable magicien du pastel » _,

Italo de Grandi _ « pour qui Grignan a été aussi une riche source d’inspiration » :

« Tous ces peintres, vaudois de naissance ou, pour Italo, d’adoption,

avaient en commun le goût des oeuvres intimes, de la discrétion, des couleurs plutôt sourdes ;

c’étaient de lointains descendants de Corot et de Chardin, justement,

et de grands admirateurs des silences de Morandi« , pages 100 et 101 _,

Matisse _ « Oui, j’admire infiniment l’œuvre de Matisse :

pour son génie du blanc dans le dessin,

pour l’éclat de ses couleurs;

mais aussi pour l’intelligence de ce qu’il a éctit sur la peinture,

que j’ai relu souvent« , page 101 _,

Jean-Claude Hesselbarth _ « un peintre résolument abstrait » ; « et qui, lui, n’a pas peur des couleurs éclatantes, explosives, quelquefois même dissonantes ! (Ce qui me va très bien aussi).

C’est comme si un petit ensemble de jazz était venu remplacer le quatuor à cordes plutôt grave et mesuré de nos autres amis !« , page 101, toujours _,

« L’art abstrait ne vous fait donc pas peur ?« , déclare alors Alain Paire…

« Pas le moins du monde ! Il me semble que pour les abstraits comme pour les figuratifs, les problèmes _ esthétiques _ sont les mêmes. »

Et Anne-Marie Jaccottet de citer _ parmi les « admirés«  ici, en la « contrée » des « abstraits » _

« Entre beaucoup,

Sonia Delaunay, pour ses couleurs éclatantes,

le premier Kandinsky,

Pollock même,

Rothko tout particulièrement« , page 102…

Avant de conclure,

en réponse à la question : « Et les performances, les installations, qu’en pensez-vous ? »

« Il doit y en avoir qui méritent l’attention, j’imagine…

Mais offrez-moi plutôt le voyage de Winterthour,

que j’aille revoir

chez les Reinhart

cette petite « nature morte aux prunes » de Chardin

qui est un des tableaux que j’aime le plus au monde »

Un très grand (petit) livre, donc (à la Dogana),

et une très grande œuvre _ que celle d’aquarelle et de dessin d’Anne-Marie Jaccottet _,

toute de modestie discrète,

mais fermement tissée de probité puissante,

quant à la beauté _ et au sens _ de ce que peut être un Art

face au monde, aux choses, aux êtres

rencontrés…

De quoi méditer aussi

_ en plus de s’en réjouir ! _

quand culbutent certaines valeurs

socio-économico-politico-médiatico civilisationnelles

dans un monde

_ nihiliste ; et « pornographisé » :

faute, aussi _ ou surtout ! _ d’art, et très, très « pressé » ,

on « instrumentalise » « à tire-larigot »,

par les temps qui courent..


(cf mes deux articles des 22 et 23 décembre, à propos de « E-Love _ petit marketing de la rencontre » :

« Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)«  ;

et « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle) _ :

dans un monde nihiliste et « pornographisé, donc,

qui n’a guère

ni sa tête,

ni le reste

de son corps,

à sa place…


Titus Curiosus, ce 29 décembre 2008 

Le « bisque ! bisque ! rage ! » de Dominique Baqué (« E-Love ») : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la « liquidation » du sentiment _ et de la personne)

22déc

Sur « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , par Dominique Baqué, aux Éditions Anabet :

le livre de 130 pages, excellemment écrit (et c’est un euphémisme !) par une _ par ailleurs… _ très intéressante critique d’Art

(dont la photographie ;

cf par exemple, en 2004, son « Photographie plasticienne : l’extrême contemporain » ; et, en 2006, « Identifications d’une ville » _ les deux aux Éditions du Regard),

est paru en juillet 2008 ;

et vient de bénéficier dune incivive et passionnante « lecture » par le toujours très avisé (et affuté) Yves Michaud, en son blog « Traverses » sur le site de Libération, le 7 décembre dernier :

« Méfiez-vous, fillettes« , s’intitule l’article remarquable, lui aussi, qui a attiré mon attention, et « ouvert » ma « curiosité » sur ce livre important :

quant à un peu mieux clairement saisir l’air du temps…

La quatrième de couverture a l’avantage de résumer _ grosso modo _ le propos général de l’ouvrage :

« Un journal de bord _ Oui ! _ écrit à la première personne les très authentiques péripéties d’une femme prise dans les filets d’un site de rencontres _ ou plutôt d’une addiction à un tel site ; ainsi qu’à ce qui, en cascade, va s’ensuivre (en déboulant, à « train d’enfer«  : « freins«  et « marche arrière«  comme coupés !…)…

Après dix ans de vie commune et un divorce incendiaire _ là étant le branle sine qua non de l’aventure et des accélérations de ses tourbillons _, l’auteur(e) se lance _ mais sans le savoir ni le vouloir vraiment ! _ à la découverte _ malgré elle : c’est loin d’être une enquête sociologique méthodique programmée ! _ des mœurs de ses contemporains masculins  : « je cherche un homme (40-50), cultivé et curieux, tendre et cérébral, pour construire _ eh ! oui ! _ une relation durable. Hommes mariés, séducteurs d’un soir et allergiques au tabac, merci mais… non merci ».

Derrière l’échange des mails, des « chats », des occasions manquées et des aventures sexuelles compulsives, la narratrice n’épargne personne, pas plus les hommes qu’elle-même _ certes pas, en effet ! elle fut fort courageuse (sinon, à une ou deux « occasions« , même carrément téméraire) ! _, n’oubliant jamais _ enfin, presque ! _ qu’il s’agit d’un jeu _ le terme demandant, toutefois, à être un peu plus « éclairé«  _ dont il lui faudra progressivement _ à son corps (ainsi qu’âme) défendant ! _ décrypter les règles _ de fait : de  marché…

En filigrane de ce récit, se dessinent les désirs _ est-ce bien tout à fait le mot juste ?.. _ d’une société _ elle-même ? ou bien plutôt ses « membres«  : épars, et éparpillés ?.. _ qui, n’ayant plus _ ou plutôt consentant (eux-mêmes !) à ne plus vouloir si peu que ce soit le prendre _ le temps d’aimer _ et voilà bien le cœur de cible de l’affaire ! _, accélère le tempo et suscite de nouveaux _ sociologiquement, probablement ; car pour le reste, un amour est-il jamais « ordonné«  ??? _ désordres amoureux.

Premiers tâtonnements _ où l’on (= l »héroïne de l’aventure) s’égare, se perd…

« Ma faiblesse est de ne pas savoir résister au désir _ (réductivement !) physique et hic et nunc ! _ d’un homme. Toujours cette faille narcissique qui demande à être comblée » _ se dit à maintes reprises à elle-même l’auteur(e),

en « Alice«  (« Cendrillon«  dénudée ; à moins qu’elle ne se retrouve aussi en guenilles) en ce « Wonderland«  de notre « modernitude«  assez confortablement installée… :

« Wonderland«  d’instants (extatiques) pas trop longs

d’à portée de clavier, et tout de suite, à présent, désormais !.. n’arrêtant plus le « Progrès«  (de plaisirs _ orgasmiques _ remarquablement « bien tempérés« ) !…

Regardons-y donc _ attentivement intensivement : dans le détail… _ d’un peu plus près.

En fait,

« Divorcée. Me voici donc divorcée _ elle n’en revient pas…

 Je répète ces mots avec incrédulité

_ il va lui falloir bien des épreuves pour l’affronter et l’assumer vraiment ; et c’est à la dernière page seulement que Dominique Baqué acceptera le fait (d’absolue singularité) de l’amour (ou/et de son absence) : qu’il « n’est pas un produit marketing«  : soit la phrase finale de ce petit (grand) livre, à la page 124… _,

comme s’ils ne me concernaient pas, comme s’ils n’avaient pas pu m’arriver, à moi. Surtout avec cet homme _ « D.« , son « ex-mari » (page 4) _ que j’avais aimé à corps et cœur perdus.« 

Tel est l’incipit de l’essai « E-Love _ Amours & Compagnie« ,

est-il indiqué (en titre) à la page 1 (d’un premier chapitre « En faillite« )

à la place de « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , sur la couverture !!!

Le paragraphe qui suit l’explicite : « Le divorce est comme un incendie qui dévore tout sur son passage : les êtres, mais aussi les souvenirs, les objets, les lettres, les photographies. Abrasée, calcinée, je n’existe plus«  : effondrée, avec ce sol qui se dérobe sous son pas, tout se dissout donc…

Dominique quitte donc la maison commune

avec ses « quelques biens _ pour l’essentiel des livres, trop de livres, ces livres qui envahissent mes appartements successifs et dévorent ma vie au point, parfois, de m’empêcher de la vivre _,

et accompagnée de ma fille, âgée de huit ans, qui, comme tous les enfants du divorce, fait les frais de l’incommensurable bêtise des adultes« ,

car l’enfant (de l’amour ou pas) demeure bel et bien, lui,

toute femme abandonnée ne devenant pas nécessairement Médée ;

non plus que Didon…

« Seule , je le suis doublement : trois semaines à peine avant que je fasse mes cartons, D., mon ex-mari, s’affichait _ voilà donc l’expression terrible ! _ avec une nouvelle compagne,

alors même qu’il proclamait, il y a peu encore, vouloir vivre une impériale solitude.

Je suis donc à terre, déchue

et en proie au plus cruel _ et abrasif _ des questionnements : qu’ai-je donc été pour cet homme _ est-ce donc là l’aune du réel ? _ si, après dix ans de vie commune, je suis

aussi rapidement

_ le critère de la vitesse importe à la mesure du rapport entre temporalité et consistance de la réalité, face à la perpective (de quelle consistance, elle ?) de l’éternité ;

cf Spinoza : « Nous sentons _ mais quand, comment, à quelles conditions de réalité (vérité) ? _ et expérimentons _ le questionnement redouble et jusqu’à l’infini le quid déjà ressenti au premier « niveau«  et « degré«  du (simple) sentir _ que nous sommes éternels« … _ ;

si, après dix ans de vie commune, je suis aussi rapidement

et facilement

remplacée ? _ voilà la pire blessure : la mise au néant de l’irremplaçable singularité du soi (pour l’autre aussi)…

Dix ans d’erreurs et d’illusions _ mises ainsi à la poubelle _, peut-être _ le mot est paradoxalement une opportunité de réconfort : et si le pire n’était pas le plus sûr ?..

The wrong woman in the wrong place… _ sur quelque échiquier (social) pré-programmé ; pré-installé…

quelque chose comme une erreur de parcours _ en une carrière : et si là était précisément l’erreur de fond (encore !) de Dominique Baqué, du moins au moment de l’écriture de ce premier chapitre ?..

La jalousie est une tyrannie _ sociale, encore !.. quand donc s’en extirpera-t-elle ?.. _ que je connais trop bien, pour l’avoir vécue à chaque fois qu’un homme me trompait » _ dit l’auteur(e), page 4. Et :

« je hais cette nouvelle femme presque autant que D.,

je hais leur bonheur _ ah! bon ! comment peut-elle le croire ? sachant ce qu’elle sait de son ex-mari… : elle est vraiment bien déprimée… _

si rapidement acquis _ un bonheur s’acquiert-il ? Non ! Voilà une des « erreurs«  de base, ici… _ ;

ce cadeau qui lui a été fait _ et par qui donc ??? _ à lui,

et non à moi _ que d’erreurs ! déjà… ,

de retrouver _ encore une nouvelle erreur _ les transports des premiers commencements _ que de naïvetés (de midinettes) ! que d’ignorances ! que d’inexpériences de cinquante ans de vie pourtant !…Qu’apprend-on donc de l’Art (vrai) et de la culture (quand elle est authentique) ?..

Au résultat, page 5,

« maintenant, c’est le silence _ de la solitude _ qui m’assourdissait«  _ à la place des cris (de dispute) d’un couple « mal assorti« , sans amour vrai…

« Certes, je suis de nature solitaire, les groupes me terrifient et je n’ai que peu d’amis

_ même si Dominique Baqué ajoute immédiatement, dans le souffle même de sa phrase : « mais je puis dire qu’ils _ elles, d’ailleurs _ répondent à ma haute exigence en matière d’amitié« .

Mais là, le silence était tel qu’il se cristallisait dans la pièce, se faisait minéral : on aurait pu le toucher.« 

Aussi, avec le recul de la réflexion, la conclusion semble-t-elle bel et bien s’imposer :

« C’est ce silence, bien davantage que le manque d’un corps _ tel que celui de son « ex-mari«  ; d’« un corps«  plus que d’une âme ? ou d’un visage ? et d’une vraie conversation ?.. _ qui m’a redonné le désir _ ou le besoin ? _ d’un homme _ quel qu’il soit ? _ à mes côtés _ pour « re-former«  un « couple« , en quelque sorte…

Après une telle épreuve de plusieurs mois _ car le temps passe _, j’avais d’ailleurs revu à la baisse mes exigences _ de quel ordre, quant à l’altérité d’autrui ?.. _ : je ne demandais même plus à l’autre ces conversations que j’affectionne sur la culture contemporaine _ sont-elles de suffisamment de consistance, cependant ? _ ; non, je voulais juste parler, dialoguer, raconter ma journée, écouter de la bouche d’un autre les nouvelles de son monde à lui _ ici (« son monde à lui« ), il y a progrès…


Mais la réalité _ en son « manque«  !!! _ était _ se révélait _ sans appel : il n’y avait personne à mes côtés _ dans mon lit ? seulement ?..

Pour la première fois de ma vie amoureuse _ envisagée et comme une continuité, comme un dû, comme une norme (sociale !) _,

rien _ et non pas « personne«  !!! _,

absolument rien _ encore ! _ ne se présentait«  _ comme corps d’usage à proximité immédiate, probablement ! Dans le décor familier (de l’appartement), en quelque sorte…

«  »Sors ! », me répétaient mes amies. »

Mais : « Je me méfie des galeristes, que _ en tant que « critique d’Art«  _ je soupçonne d’être aimable pour tirer de moi quelque article _ à leur profit _ profitable ;

et je tiens en piètre estime humaine _ voilà un critère un peu plus intéressant, enfin ! _ les artistes au narcissisme souvent démesuré,

incapables de s’intéresser _ ah ! l’intérêt ! et la rareté du désintéressement ! pour ne rien dire de la folie de la générosité passionnelle ! _ à autre chose qu’à leur œuvre _ en prolongement de leur (tout) petit égo _ :

j’ai d’ailleurs pris pour principe de ne regarder que les œuvres

et de ne plus jamais chercher à connaître leurs auteurs »

_ mais que peut donc « valoir«  l’œuvre de quelqu’un dont on n’a pas le moindre désir de faire (vraiment) la connaissance ?

Et en irait-il de même de tous les « rapports«  humains : en ne « s’intéressant«  rien qu’aux actes et aux résultats, bien séparément, surtout, des personnes dont ces actes et ces résultats émanent ; et (personnes) dont on se préservera avec tous les préservatifs possibles et imaginables au monde !..

« Quant aux collègues de l’université où j’enseigne,

soit ils sont déjà mariés _ et il est hors de question pour moi de jouer les backstreet _,

soit ils incarnent tout ce que je déteste dans l’université prétendument de gauche qui est la mienne :

dogmatiques et intolérants pour l’intérieur _ si tant est que cela puisse seulement se dire ! _,

vaguement négligés _ cheveux douteux, gros pull et pantalon en velours côtelé, épais mocassins _ pour l’extérieur.
Bref, l’antidote même au désir…
« 


Mais, page 8, « je n’en demeurais pas moins désespérément seule.

Décidément, il me fallait _ oh ! la fâcheuse confusion du désir avec le besoin ! _ un compagnon. Et vite«  _ qui plus était !.. Comme si le salut se trouvait dans de pareilles configurations !!! Cherchez l’erreur !..

avec ce commentaire hyper-lucide, à côté, cependant : 

« D’autant que la haine _ voilà le terreau de tout cela : sur le ressentiment, lire Nietzsche (« La Généalogie de la morale« ,  » Par-delà le Bien et le mal« , etc…)… _ ;

D’autant que la haine se nourrit de vengeance _ tout part ici de là _, et que, oui, je voulais me venger _ Bisque ! bisque! rage !!! _ de ce bonheur _ vraiment ? un peu moins se laisser prendre aux « images«  et aux récits « rapportés«  _ trop expansif _ ou seulement démonstratif, exhibé, voire exhibitionniste ? _ que D. affichait

_ voilà donc le mot ! nous ne sortons guère du monde de la « publicité« , de la « publication«  (et de ce que Michaël Foessel analyse si joliment sous son expression si juste de « La Privation de l’intime » cf mon article du 11 novembre dernier : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie » _ 

jusque dans les rues, m’avait-on rapporté _ bien sûr : le « dispositif«  (social) fonctionne à plein (et envers le seul amour-propre socialisé)…

Alors, page 8 : « Ce n’est qu’en me souvenant d’articles consacrés dans la presse à l’expansion des sites de rencontres _ de quel type ? Dominique Baqué ne semble pas s’en inquiéter ; ni au présent de son histoire ; ni à celui de son écriture : elle demeure encore (un peu) trop « collée«  à son sujet ; et à sa « mésaventure«  _ que, peu à peu, l’idée a pris corps _ significative tournure ! quant à la représentation, même métaphorique d’un corps (et du peu de réflexion sur « tout ce que peut un corps« , ainsi que le formule l’admirable Spinoza, en son « Éthique« …) _ de m’inscrire sur l’un d’entre eux… »

« Pour moi _ continue Dominique Baqué, page 9 _, s’inscrire sur un site de rencontres resta l’aveu d’un échec ;

d’une incapacité à séduire _ séduire est-il de l’ordre de la stratégie ? de la technique ? de l’instrumental ? _ par des voies que j’oserais dire plus « naturelles » _ moins « artificieuses«  et « factices« , plutôt _, la signature d’un abandon.

J’hésitai longtemps avant d’y souscrire.

En revanche, une fois que la décision fut prise,

je mis tout en œuvre pour y adhérer vraiment _ elle met le paquet ! Et j’y crus, au début, tant il est vrai que pour toute chose _ naïveté signifie « neuveté«  _ « les commencements sont les temps les plus beaux »... Sauf que l’enfance est aussi le sommeil de la raison…

Je me garderai bien de déflorer le reste,

qui est passionnant,

pour cette Alice – Cendrillon au « Pays des Merveilles«  !

Je me contenterai de relever quelques annotations :


Page 29-30, cette confidence de Paul :

« « Pour un homme, le site c’est extraordinaire, c’est comme une boulangerie géante où l’on choisirait ses gâteaux… » Un peu interloquée par la comparaison pâtissière, je la trouvai par la suite très juste : Paul avait formulé tout haut ce que tant d’internautes pensaient tout bas, derrière _ par rapport à l’interlocutrice _ leur écran. Le Net était un hypermarché du sexe,

et celle qui en attendait autre chose _ « construire une relation authentique« , avait écrit Dominique sur sa petite annonce ; « séducteurs d’un soir, non merci«  (page 14) _ risquait fort d’être déçue. Ce fut, si je puis la formuler ainsi, la première « leçon » de mon apprentissage sur le réseau« , page 30 du chapitre « Premiers tâtonnements« …


Pages 67-68, au final du chapitre « Compulsion et rentabilité« , et à propos de l’« addiction« , confrontée à l’accumulation des « déceptions«  :

« La puissance du Net (…) joue fort efficacement sur la dialectique du « décept » et de la réparation narcissique.

Lorsque vous venez de vous faire éconduire, plus ou moins brutalement, par un homme,

vous êtes en état de grande vulnérabilité psychique ;

vous venez de subir quelque chose de l’ordre de la blessure narcissique ;

et cette blessure réclame réparation _ au sens freudien du terme  _ ou comment ne pas demeurer scotché, encalminé, à l’échec ?

Mais comment réparer ? Aussi incroyable que cela puisse paraître à ceux qui sont extérieurs au réseau,

en attendant le prochain flash…

Car, et c’est une autre force du système _ et c’est là un des apports fructueux de l’analyse de Dominique Baqué _, vous repartez vierge, si j’ose dire, à chaque expérience : tout est oublié,

c’est la prochaine expérience,

le prochain partenaire _ et ils sont légion à se bousculer à votre portillon ! comme les non-joueurs au Loto qui ont 100 % de chances de ne pas y gagner ! _,

qui seront les bons _ ou la force (magicienne) de la croyance !

La capacité d’oubli sur le Net est extraordinaire. C’est elle qui permet qu’à chaque fois la machine puisse se relancer.

Qu’un homme _ au sens physiologique _ vous flashe et vous adresse des mails flatteurs, puis érotiques,

contribue ainsi très vite _ et très facilement _ à une restauration narcissique _ bien peu exigeante, par là _,

quand bien même celle-ci est sujette à caution

et tout à fait provisoire.

Mais cela,

vous choisissez _ dans la fébrilité de l’instant et de ce qu’il semble offrir de possibilités _ de l’ignorer _ soit vous illusionner ! _,

et donc de poursuivre.

La puissance du Net joue avec et sur des pulsions archaïques fondatrices du psychisme » _ infantile, et infantilisant, donc : en jouant l’exclusivité du « principe de plaisir«  par rapport au « principe de réalité«  !..

« D’autant plus que, dans cet univers de la marchandise qu’est le réseau,

la machine induit d’elle-même des comportements addictifs : le sujet y voit son désir certes mis à mal _ par le réel auquel il vient, durement et durablement, se cogner _, mais sans cesse relancé par la compulsivité des annonces. Plus je consomme, plus le désir en redemande _ mieux et davantage : le manque se creuse, qu’il faut très vite combler.

La machine s’affole :

je passe de corps en corps,

de lit en lit. Malgré moi, malgré les puissances de la rationalité qui m’enjoignent de tout arrêter,

je poursuis,

prise dans les rets de ce jeu,

et la fascination _ du « joueur » : cf Dostoïevski _ pour le toujours-davantage.


Mais
que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit guère de libertinage _ pratique sexuelle hautement cérébrale à laquelle la littérature, dix-huitiémiste notamment, a donné des lettres de noblesse.

Les joueurs du Net ne peuvent être des libertins,

parce qu’ils sont happés par l’univers de la marchandise.

Et dans cet univers, il y a peu de surprise,

peu de marge de liberté aussi : chacun est programmé,

qu’il le sache lucidement ou non,

pour une sorte de parcours fléché

au terme duquel

on ne rencontre jamais l’autre,

mais une marchandise.« 

Tout est donc exhumé ici !..

« Ainsi pourrait-on dire que le pornographique s’est saisi d’un outil, le Net,

et qu’il contribue largement au devenir-marchandise des corps _ vidés d’âme : voilà !!!
Sans issue.
« 

Vient alors, au chapitre « Je suis foutue » _ car « amoureuse !«  _ page 72, ce qui s’avèrera la seule vraie rencontre (du moins possible) : avec quelqu’un ! qui soit une « personne«  !.. (et pas rien qu’un porteur d’un sexe ; ou de plusieurs…) :

« J’attends. Je l’attends _ Nathan _, depuis une demi-heure maintenant (…) lorsque soudain il est devant moi, haletant d’avoir trop couru, dans l’envol de son trench blanc et son parfum de Lucky Strike. Je lève les yeux,

et enfin surgit un visage. Nathan a un visage,

là où les autres n’avaient que des têtes… _ comme c’est magnifiquement ressenti…

Et aussitôt résonne en moi la phrase de Roland Barthes s’apercevant _ dans « Fragments d’un discours amoureux«  _, comme une évidence brutale, qu’il est amoureux : « Je suis foutu »…

Surtout ne rien laisser transparaître de mon éblouissement,

même si, tout en parlant, je ne cesse d’admirer la beauté brune et sèche de son visage,

qui n’est pas sans évoquer celui de l’acteur Laurent Terzieff dans sa jeunesse…

Très vite, avec Nathan, la complicité se noue : il entretient avec la langue le même rapport que moi à l’écriture,

c’est dire combien il aime converser

et surtout, par comparaison avec ses prédécesseurs, combien sa parole fait sens…

Etc… page 73… Tout cela _ quant aux conditions du « sens«  _ est en effet très important…

… 

Mais, bientôt, page 78, un peu plus tard ce même soir :

« Nous faisons l’amour. Mal.

Nathan est peut-être un libertin, comme il me l’a laissé entendre à diverses reprises _ cette longue soirée-là, déjà _,

mais c’est un amant médiocre.
A la vérité, je ne suis même pas déçue,

je m’en moque.
Car pendant l’amour, je n’ai cessé de contempler
_ mais regarder ainsi, est-ce aimer ? ou seulement « tomber amoureux«  ? _ son visage sublime, concentré,

dépourvu de toute expressivité _ ah ! bon ! Presque dur.

Etc…

Le chapitre suivant, intitulé « La douleur » _ pages 85 à 89 _,
réserve quelques jolies surprises,

bel et bien « libertines« , effectivement, cette fois-ci…

Avec suites bien décevantes _ je n’en dirai pas davantage ici _ pour Dominique.

Avec un épilogue (tardif) le 1er janvier 2008 :

« Je n’aurai la clef de cet abandon que le le 1er janvier 2008 lorsque, mue par je ne sais quelle nostalgie,

j‘adresserai à Nathan, sur son adresse électronique personnelle _ et non sur le « site de rencontres«  _, un mail de bonne année,

qui se voulait élégant et distancé, mais non exempt de mélancolie,

puisque je lui avouais

qu’il avait été le seul homme à avoir su m’émouvoir

_ le mot compte : prémisse à l’émergence (mort-née ?..) de sentiments ? _

depuis mon divorce.

Il me répondit ce qui suit :

« Bonne année à toi, Dominique.

Si j’ai cessé tout contact avec toi,

c’était pour que la coupure soit nette et sans appel.

Je voulais _ ah ! le vouloir en ces « affaires«  ! est nul et non advenu ! _ pour nous deux une relation sans concessions,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà qui est on ne peut plus clair !

J’avais trop d’amitié pour toi pour te l’imposer _ ce « rôle«  d’« objet«  _ ,

et trop de désirs _ mais est-ce bien là le terme adéquat ? au moins, est-ce ainsi, que lui, Nathan, se dit, à lui-même d’abord, l’éprouver… _ pour ne pas le regretter.

Nathan. »

Les deux derniers chapitres d' »E-Love » s’intitulent « l’amour sans amour« 

et « une affaire de marketing » :

à relier avec le projet de Dominique de « construire une relation authentique«  (page 14)…

« Echaudée par ma dernière relation avec Mounir, lasse soudain, je cessai de consulter le site de rencontres sur mon ordinateur«  (page 105).

« J’étais déjà quelque peu misandre avant cette expérience, je le devins davantage encore.
Je ne comprenais décidément rien à ces hommes qui, tels des girouettes, disent et se dédisent,

n’accordent aucune valeur à la parole donnée _ comment vivre sans confiance vraie ? _,

se comportent comme des goujats,

n’honorent pas les rendez-vous convenus.
et qui, surtout,

ne semblent rien savoir de ce qu’ils veulent vraiment,

ni de ce qu’ils traquent sur le réseau.« 

« Pourquoi n’avoir pas arrêté, de nouveau ? »

« C’est la narration, par ma fille, de ce qui semblait être un bonheur édénique

entre D., mon ex-époux, et sa nouvelle compagne,

qui, de rage,

me réinstalla face au clavier.

Piètre argument en vérité _ convient-elle _ : je savais d’ores et déjà que je ne trouverais jamais l’équivalent _ mais que vaut ici ce vocabulaire (d' »équivalence« ) ? _ sur le site

de ce bonheur supposé _ deux termes à mettre aussi, et de toute urgence, au trébuchet !..

Je commençais à me sentir vraiment désabusée : toutes mes illusions s’étaient envolées au fil des rencontres _ qui n’en étaient que de grimaçantes, affreuses, caricatures ! _ ;

et aussi (page 116) :

« Mounir, Olivier, Nathan, Charles, Mario et tant d’autres encore

m’apprirent la multitude des corps ;

mais la relative indifférenciation des pratiques,

quand bien même un amant était plus attentionné qu’un autre,

ou plus performant,

ou plus inventif _ Mario étant, je l’ai dit, celui qui me donna le plus de plaisir.

Mais il existe paradoxalement un ennui, à la longue, de passer de corps en corps,

tant la sexualité, somme toute, propose peu de variations :

en ce sens,

j’irai jusqu’à dire que

la pornographie,

précisément parce qu’elle est la caricature codée de la sexualité,

en propose une certaine vérité.

C’est cette répétition du même dans l’autre,

et plus encore le devenir-marchandise des corps,

qui me semblent caractériser la vie sexuelle sur le Net,

et qui ont fait que, peu à peu, malgré mon addiction, je m’en suis détachée :

je crois finalement plus passionnant _ mais la passion, Dominique,

se prête-t-elle jamais,

ni si peu que ce soit,

à quelque comparaison que ce soit ??? _

d’explorer les possibles d’un seul corps _ mais s’agit-il bien de « propositions«  d’« expérimentations«  (= « explorations« ) ? _

que d’échanger des corps

qui,

du fait même de l’échange,

en deviennent indifférenciés,

l’altérité se perdant dans une sorte de communauté molle…

_ ou la pataugeoire gluante du nihilisme…

Par ailleurs,

une telle sexualité oblitère la parole :

je veux dire par là que la parole y est réduite à sa simple fonction

d’introduction

et d’accompagnement.

 Elle ouvre _ a minima !!! _ la rencontre,

permet diplomatiquement _ très minimalement encore !!! _ que l’accouplement ne soit pas trop brutal

_ on appréciera l’oxymore, entre « degré de brutalité«  et « permissivité diplomatique«  ! par où « faut-il«  donc venir « en passer«  ? et pour quels « résultats« , diantre, bigre !?! Quels Thermopyles (de la relation :

mais entre quoi : entre des corps ?

et réduits, qui plus est, à de purs sexes ?

quelle étrange (drastique) « réduction«  gymnique ?! ) ?! _,

mais ne vise à rien d’autre qu’à l’amener _ cet accouplement-là !..

Tout ça rien que pour ce si peu-là !..

Les mails et surtout les chats sont dotés d’une seule fonction _ toujours la réduction (du « modèle«  d’instrumentalisation « économique« ) _ :

après des circonvolutions et détours plus ou moins développés _ plutôt les « abréger« , parant (seulement) au plus pressé (et à moindre coût) : « time is money« , « isn’t it ? » _,

fixer le premier rendez-vous qui,

en principe,

amènera _ et le plus tôt sera le mieux _

à la relation sexuelle _ soit l’objectif (orgasmique) !

Quant à la parole vivante _ on admirera l’adjectif _ du rendez-vous _ en tant que tel _,

elle prend le relais :

elle est purement marchande et fonctionnelle _ ne s’agissant que d’une transaction à régler (vite fait, bien fait)…

Une borne phonique automatisée ferait quasiment aussi bien _ voire mieux _ l’affaire !..


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation

_ tout un art ! et toute une culture ;

sinon, une « civilisation«  (« des mœurs« , nous dirait un Norbert Elias  : l’édition originale de son livre datant _ très significativement _ de 1939 (et en Angleterre) !!!..

Et sur « l’art de la conversation » lui-même,

on se reportera à la très remarquable anthologie réunie en 1997 par Jacqueline Hellegouarc’h, aux Classiques Garnier : l’anthologie va du Père Bouhours à l’Abbé André Morellet)… _ ;


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation _ donc, je reprends _,

un authentique débat d’idées _ quelle idée ! saugrenue !!! en pareille tractation d’« accouplement«  (de sexes)… _,

puisque l’essentiel _ aïe ! _ se joue ailleurs,

dans la rencontre _ réduite au strict physiologique (génital) _ des corps.


En fait la parole _ puisque c’est d’elle qu’il s’agit dans cette notation importante de Dominique Baqué _,

participe d’une même mécanique

que l’ensemble des rapports sur le Net :

c’est, elle aussi, une « parole marchande »

qui suit les sentiers très balisés d’un questionnaire soumis à peu de variations

_ profession, enfants, projets, précédentes rencontres sur le réseau, etc… _,

et coupe court _ certes ! ce n’est pas là le bon « flux«  !.. et « couper court«  est tout son office !… _

à tout véritable dialogue,

chacun des protagonistes ne se demandant qu’une chose :

« Est-ce qu’il/elle me plaît ? Est-ce que moi je lui plais ?.. »

_ dans l’unique perspective, et à très court terme (pour ne pas dire « immédiat« ), d’être tout simplement « agréé«  (comme sexe…) à la chose à accomplir (ou pas) ici et maintenant : sur le champ et sur l’heure (et, éventuellement, un lit)…

Cf Crébillon fils, en 1755 : « La Nuit et le moment« ...

« C’est pourquoi

_ et c’est la conclusion de ce chapitre « L’amour sans amour » _

les chats et les mails sur le Net

sont d’une telle pauvreté sémantique

_ et humaine « non-inhumaine« ,

ainsi que le dirait un Bernard Stiegler (dans « Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations« )... _ :

ils ne cherchent pas à faire sens,

mais _ rien que _ à être efficaces,

à frapper leur cible _ obtenir leur effet…

Nul besoin de littérature pour cela…


Sauf pour ceux qui ne vivent que dans le virtuel

_ cela devient de plus en plus (technologiquement ) possible ! _

et ne passent _ même… _ jamais au stade de la rencontre _ il y en a, même s’ils sont

_ pour le moment, encore, probablement… _

minoritaires _ ;

pour les autres (que ces partisans du virtuel-là),

il s’agit d’accélérer le tempo de la rencontre _ en effet ! _

pour plus vite passer à l’acte _ ce sont des hyper-actifs !!! et à quoi bon perdre son temps

en circonvolutions (et préliminaires intempestifs) ?..


Car le temps du Net

n’est pas de l’ordre de la temporalité ordinaire _ c’est fort bien vu !!! _ :

c’est un temps compressé,

où chacun s’applique à faire vite _ sans perdre la moindre once de son temps (de vie : si précieux !..) _,

dans l’urgence sexuelle _ cela vaut mieux que d’employer le beau mot de « désir«  en pareille occurrence… _

des corps

_ strictement envisagés dans l’ordre du pur physiologique :

bien séparés ici de quelque âme que ce soit :

tant celle de soi, que celle de l’autre ;

ainsi que de celles de tous les autres…

Il n’y a plus ici que de ces poupées à la Bellmer :

point qui n’échappe d’ailleurs pas à certains de ces « sexo-protagonistes«  :

dont Nathan (page 79) :

« Est-ce ce que tu veux jouer à la poupée avec moi ? »

Et va s’ensuivre,

après « un relooking complet«  (toujours page 79),

toute une opération (dans le quartier du Palais Royal) où se précise ce « qu’il appelle jouer à la poupée avec lui » (page 82),

que commente ainsi Dominique :

« je me savais exhibitionniste, mais n’avais eu jusqu’alors aucune occasion de manifester cette préférence sexuelle : Nathan m’a tout de suite devinée« …


Quant à Charles,

après avoir prononcé (page 64) « cette phrase que je n’ai entendue de la part d’aucun autre homme : « Fais de moi ce que tu veux, je suis ta pute »,

il « s’adresse maintenant » (page 65) à Dominique « comme à une pute » :

ce qui vaut ce commentaire de l’auteur :

« j’ai toujours eu des difficultés à accepter, voire même à entendre, la crudité de la parole sexuelle masculine. »

Avec cette « leçon«  de l’expérience (page 66) :

« Je me sens en péril : peut-être suis-je allée trop loin dans les sites de rencontres.

C’est la compulsivité qui, après une euphorie factice, a déclenché mon angoisse.

Je suis en train de m’égarer dans des rapports sexuels dépourvus de sens

_ comme en Art, comme en tout, c’est bien la question du sens qui est cruciale !!! _,

je ne fais que participer à l’échange généralisé _ interchangeable jusqu’à plus soif ! et à n’en plus pouvoir mais… _ des corps sur le réseau.« 


« Il n’est pas sûr, loin s’en faut _ commente alors Dominique, page 66 toujours) _ que cela convienne à mon mode d’être _ et c’est probablement un euphémisme…

Que veux-je prouver ? _ et à qui donc ?.. Que je peux séduire, encore ? C’est fait.

Mais à quel prix…
Quelques images brouillées, des bribes de souvenirs, des prénoms qui se mélangeront dans ma mémoire oublieuse
. »

Mais la carrière de « poupée soumise » que Dominique avoue avoir « donc accepté de devenir » pour Nathan (page 85)

s’arrêtera là ;

et pas de son fait, mais de celui de Nathan,

qui choisit (par là) de la préserver d’y donner suite.

J’ai déjà, plus haut, indiqué pourquoi, avec ce « dernier mail de Nathan« , « le 1er janvier 2008«  (page 89) :

« Je voulais pour nous deux une relation sans concessions _ bigre ! _,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà la clé de ce mot de « poupée«  !..

J’avais trop d’amitié _ un rapport à autrui « non-inhumain«  !.. _ pour te l’imposer

_ à une esclave ; à une bête domptée ; à une chose « dés-humanisée«  !.. ;

et trop de désirs _ sado-masochistes _ pour ne pas le regretter«  :

Nathan (militant _ pour les élections municipales à Bordeaux _ du PS : page 87) a su tout de même, de ces « désirs« -là, faire son deuil, avec elle, du moins ; sinon avec d’autres…

Voilà qui donne aussi pas mal à penser…

Quant à Mounir,

« Mounir _ même _ n’est plus Mounir«  (page 102), le jour où pour la première fois il l’emmène chez lui :

« Les caresses sont plus rudes qu’à l’accoutumée. Mounir me pénètre plus rapidement

et, pour la première fois, il parle. D’une voix péremptoire, sans appel.

_ « Dis-moi que tu es ma chose. »

Cette fois-ci, je sens que ce n’est pas comme avec Olivier,

je pressens que

si je me moque,

les choses vont mal tourner,

même si je ne sais de quelle façon.

Mounir n’est plus Mounir. Je répète donc, d’une voix atone que, oui, je suis sa chose.
Mais Mounir veut, si j’ose dire
_ et c’est bien de « volonté«  (et du seul rapport de forces) qu’il s’agit là _ des aveux complets.

_ « Dis : « Je suis ta pute« .

_ …
_ Dis-le ! » (page 102)…


(…)

Soudain, dans le combat qui s’engage, je comprends que je suis perdante.

Pour d’inexplicables raisons, Mounir a changé.

Personne ne sait où je suis ce soir-là _ le point (contextuel) est d’importance.

Si les choses dérapent _ (!!!) _ personne ne viendra à mon aide.
Je choisis de capituler, dans un souffle.

La mort dans l’âme _ qui demeure, donc…

Je suis vaincue.

Et à propos de cette « énigme » de « la transformation de Mounir« ,

ces réflexions, encore, page 103 :

« Je crois que, pour la première fois chez lui, en territoire conquis,

il put enfin laisser libre cours à ses fantasmes

_ ce qu’il se retenait de faire chez moi :

assumer sa domination sur moi,

me chosifier,

me traiter comme une putain.

Soit le fantasme finalement le plus partagé par les hommes du Net

_ ou une « nouvelle«  « humanité« , probablement…

(…)

Face à une femme du réseau _ d’une « nouvelle » « humanité« , probablement aussi… _,

ils s’arrogent immédiatement le droit d’en faire une chose,

de la constituer en marchandise…

Dans le meilleur des cas,

d’en faire une pure surface de projection fantasmatique ;

dans le pire,

de la traiter comme une putain,

les conventions sociales ayant explosé _ dans les rapports « humains«  _ avec une violence inouïe » .

Alors, au bilan de son dernier chapitre, d’à peine 5 pages (intitulé « Une affaire de marketing« ),

« après cinq mois de pratique intensive du Net » _ tel en est l’incipit, page 119 _, et « pour une seule vraie rencontre, celle de Nathan« ,

Dominique Baqué ne peut plus refuser « l’évidence » :

« je n’avais été _ et cela, depuis la rédaction de l’annonce _ qu’un pur produit de marketing. Une marchandise à vendre, ou plutôt à louer, avant date de péremption«  _ sur ce marché-là, s’entend… ; avec un « statut » guère « différent, rétribution en moins« , de celui des « femmes des célèbres vitrines rouges d’Amsterdam… »

C’est que « le Net se repaît de mensonges.

Qui voudrait donner de soi une image juste ?

Entre l’image plus ou moins formatée par les codes publicitaires que l’on expose sur le Net

et la propre projection fantasmatique de celui auquel elle _ cette « image« -là _ s’adresse,

se joue déjà un double effet de décalage _ en est-on forcément, et dans quelle mesure, dupe ?..

Dès lors, il ne peut y avoir que maldonne _ pour tous ? même les corps (ou sexes) ?..

Et duperie.


Et cela pour ne rien dire de ce (« authenticité« , « tendresse« , « sensualité« ) que « promettent«  ou « proposent«  _ comment faut-il le qualifier ?les « annonces«  elles-mêmes…

« Vaste histrionisme de ces annonces,

mensonge élevé au rang d’un art ubuesque,

comédie des sentiments,

leurre des apparences.

Car tout est _ donc... _ leurre et mensonge sur le Net » :

« l’annonce _ en tant qu’« appel à la consommation

qui se modélise d’ailleurs assez souvent sur le modèle publicitaire » _ ;

« la photographie«  ;

« mais surtout, et plus gravement, c’est la rencontre elle-même qui est un leurre :

parce que chacun est pour l’autre,

au mieux,

une surface de projection fantasmatique ;

au pire,

un produit à consommer le plus vite possible ;

l’autre est nié

dans son altérité même«  _ voilà le plus « grave » et destructeur, en effet, des liens de personne à personne ; dans la vérité des regards et des visages… ;

pour ne rien dire de ce qui est détruit

de la personne même ; elle-même

_ si tant est qu’une identité puisse (jamais !) s’établir et se constituer à l’écart de ses rapports avec les autres, bien sûr !!!


Dominique Baqué le dégage parfaitement, page 121 :

« Dans ce monde du leurre et de la marchandise,

il ne peut y avoir ni « envisagement »

_ un autre disait on ne peut plus explicitement : « la tête sous l’oreiller«  ; et, seul, le seul le sexe « offert »  _ ;

ni dialogue

comme vecteur _ dynamisant ! vers toi !.. _ de sens :

tout est réglé mécaniquement _ « protocolisé« , en quelque sorte (avec masque);

le monde des possibles est comme écrasé ;

ne reste que le parcours fléché _ et à tapis roulant _

entre deux sujets _ en fait « objets assujettis«  ; certes pas « sujets s’inventant leur propre devenir« , « librement«  !.. _

qui n’adviendront jamais l’un à l’autre _ non plus qu’à eux-mêmes, d’ailleurs,

en ce bal des ectoplasmes (hyper) sexués…

Le triste, est que « cependant vous poursuivez,

car vous êtes devenue addict

_ addict aux visages _ ou plutôt masques-leurres (et sans visage, justement !!!) _ qui se déroulent _ ou dévident _ sur l’écran _ électronique _, chaque soir ;

aux flashs et aux mails ;

à cette excitation factice

dont vous ne parvenez plus à vous passer _ du frisson de nuage de possibles (en grappes, et comme à l’infini) suscitant de l’attente… _ ;

tant il est vrai _ réellement avéré _ que le réseau est une addiction comme une autre,

avec sa part d’irrationalité et ses zones d’ombre _ qui peuvent, de fait, charmer _ ;

et dont il est extrêmement difficile de se défaire,

malgré coups bas, humiliations et rendez-vous manqués » _ à croire que le masochisme primaire et la pulsion de mort, sont considérablement puissants, dirait Freud (en ses « Essais de psychanalyse« )…

« Dommage que l’on ne puisse filmer ni enregistrer ces rencontres piteuses et drolatiques

_ je me souviens d’en avoir été jadis le témoin (très amusé !), en un lieu voué à de telles « rencontres«  « de sexe« , vacancières _,

cela ferait des sketches à l’humour imparable » _ à la Dino Risi : « Les Monstres » et « Les Nouveaux monstres« , autant que « Le Fanfaron » ; plus encore peut-être que bien des comédies acides de Woody Allen… _, s’amuse alors Dominique Baqué, page 122.

« Une véritable comédie humaine s’y déroulerait sous nos yeux,

avec pour enjeu majeur « ça ».

Ça : faire l’amour _ baiser, niquer.

Car l’une des caractéristiques majeures des rencontres sur le Net

étant une formidable accélération _ cf Paul Virilio _ du temps,

vous pouvez vous retrouver dans le lit

de celui qui était un parfait inconnu il y a une heure à peine

_ ce qui a pour effet pervers

_ par la (seule) pente (raide) à toujours « passer à autre chose«  !.. _

d’épuiser la possibilité même d’une relation ;

ou de la réduire fatalement, si j’ose dire, à n’être que la répétition de cette première fois :

soit une relation strictement sexuelle,

où jamais la dimension affective

_ vécue désormais comme « étrangère«  et « surnuméraire«  : « parasite«  ! _

ne viendra _ de « l’extérieur«  ! _ s’immiscer«  :

voilà qui donne bien à penser…

Roland Barthes développant cette analyse de la bien plus grande obscénité du sentiment (que du sexe)…

Et si,

en dépit du « Méfiez-vous, fillettes« , par lequel le bien avisé _ et avisant !!! _ Yves Michaud ponctue on ne peut plus clairement, par ce titre, son article sur ce lucide livre de Dominique Baqué,

« vous voulez y aller malgré tout _ Mesdames _,

alors affutez vos armes,

soyez drôle,

cynique ;

transformez-vous en guerrière du sexe : séduisez, prenez et jetez = vengez-vous bien !..

Surtout n’attendez rien d’autre des hommes _ à commencer par l’envisagement de « construire une relation authentique » (page 14)…

Amusez vous comme savent le faire les hommes.
Devenez une dominatrice
_ à votre tour, faites d’eux vos « poupées » !..

Ainsi le Net deviendra pour vous _ aussi, à votre tour, donc ! _ ce qu’il est et n’a jamais cessé d’être : l’espace d’un échange généralisé des _ seuls _ corps _ ayant abandonné ce qui leur restait (peut-être ?) d’âme au vestiaire…

N’y cherchez surtout pas l’amour _ qui ne se recherche jamais !

il ne fait qu’être trouvé, rencontré, accueilli ;

et c’est déjà beaucoup, si le voilà qui vient à passer pas trop loin de votre attention flottante… ;

cela doit (ou devrait) finir tout de même par s’apprendre, à un certain âge ;

du moins, cela (je veux dire un tel « apprentissage » ; une telle « sagesse de l’amour« )

peut (ou pourrait) raisonnablement s’espérer

(sans aller, cependant, jusqu’à s’escompter, toutefois !)… _ :

il ne sera pas au rendez-vous

_ car tel n’est pas (du tout !) le mode d’« arriver«  (= « survenir« ) de l’amour…

« L’amour n’est pas _ du tout ! il le fuit même irrévocablement ! comme la peste ! _ un produit marketing...


L’heure du marché viendrait-elle soudain de passer

cet automne ?..

Titus Curiosus, le 21 décembre 2008

Retour aux fondamentaux en musique : percevoir l’oeuvre du temps aussi dans l’oeuvrer de l’artiste

07nov

A propos des CDs

« Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch (CD Alpha 134)

& « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas (CD Alpha 136)

Parmi une brassée (huit items, dix CDs) de merveilleux disques,

d’une part,

je retiendrai,

ce qui m’apparaît comme une (excellente) politique de production (et conception) de la part d’un éditeur de disques, en l’occurrence les disques Alpha  :

le choix d’un « retour aux fondamentaux de la musique » ;

et d’autre part,

je me pencherai

au sein même de ce « retour aux fondamentaux » ;

ainsi qu’au sein même de l’excellence de la nouvelle cuvée Alpha, tout au long de cette année 2008 ;

je me pencherai, donc,

sur l’intelligence de la justesse du choix des artistes-interprètes

_ en l’occurrence les magnifiques Céline Frisch et Frédérick Haas _,

dans la décision de donner à « écouter »

aux « écouteurs » amoureux de la musique,

la dimension temporelle même de la création, au fil des ans _ ainsi que mêlée aux années qui défilent _,  des artistes-compositeurs :

car je relève et retiens, en effet, que les CDs

« Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch (CD Alpha 134)

& (le double album) « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas (CD Alpha 136),

présentent, tous deux, des « pièces » ou des « Livres » (de clavecin),

non sous la forme

_ « classique » : facile, commode, habituelle ; en fait seulement routinière (et paresseuse) ! _

d’une « intégrale »

(c’est-à-dire à la pure et simple queue-leu-leu de l’ensemble des « pièces » produites par le compositeur) ;

mais, en procédant à une sélection

_ non arbitraire ! il ne s’agit certes pas, non plus, de simples « récitals » au gré de la pure « fantaisie », plus ou moins « inspirée » (ou « heureuse »), de l’interprète _ ;

en procédant, donc, à une sélection

de séquences,

c’est-à-dire, ici

_ pour les œuvres (de clavecin) entiers (!..) de Jean-Philippe Rameau et François Couperin _,

de « suites » ; sinon « Ordre(s) », voire « Livre(s) » entiers ;

en veillant à privilégier (la « quête » de) la perception

_ par l’auditeur : à la suite de l’interprète lui-même ;

j’en donnerai pour exemple

la (très belle et instructive) « présentation » qu’en donne (très judicieusement) Frédéric Haas lui-même,

dans la « présentation », par ses propres soins, de sa propre « quête » du sens du « mystère » couperinien _ ;

en veillant à privilégier (la « quête » de) la perception, donc,

de ce que je nomme « l’œuvre du temps dans l’œuvrer _ et ce qui en résulte dans l’œuvre achevée, coite, immobile : et mise à notre disposition… _ d’un artiste« …

Cela demande un « défilé » de temps,

et l’exercice d’une (élémentaire) « comparaison » _ des « pièces » _ (de la part de l’æsthesis) ;

« comparaison » dont le « ressentir » de (l’avènement de) cette perception _ par l’auditeur _

sera facilité (« éclairé ») par l’art de choisir (en pratiquant des « coupes claires », ou « élagage ») ces « séquences », de la part du concepteur du programme.


Art analogue à celui du bouquet, si l’on veut bien

_ sauf que la durée de vie d’un bouquet est, elle, très éphèmère ;

heureusement, la vie de « création » d’un artiste peut être, elle, un peu plus longue,

et permettre, à la faveur du « temps qui passe », en donnant lieu à l’expérience (personnelle et artistique) d’un « temps passé », voire d’un « temps perdu » ;

peut permettre, donc,

à l’artiste créateur

de « retrouver », provenant de l’œuvrer même de l’artiste _ en sa poïétique de « création » à partir de son propre « exister » en artiste _,

et à travers l’épaisseur même du temps _ vécu, oublié, mémorisé par traces effilées et filantes _,

et à travers, aussi, les « voiles » déposés de ses « strates », peu à peu posées ;

de « retrouver », donc _ proustiennement : mais l’expérience est celle de tout artiste authentiquement créateur _ ;

de « retrouver »

l’ombre féconde d’un « temps » gagné ;

mais cela,

loin, à mille lieues,

de tout calcul _ ou ratio _ de profit économique (et financier !!!)…

En s’y lançant seulement _ et solitairement

ainsi accompagné de touts ces « strates »

(les Muses sont bien les filles de Mnémosyne) _

à corps perdu, en cet œuvrer…

En cela

_ et même si cette considération est assez extérieure (ou anecdotique) _,

ces deux albums, Alpha 134 et Alpha 136, constituent, déjà un chef d’œuvre d’intelligence de « conception-production » artistique ;

pour notre joie de « réception » de la musique,

et de « retrouvailles »,

via le medium du disque CD,

avec ce que je me permets de qualifier de « retour aux fondamentaux » de la « musique »…

Je placerai ces deux CDs

parmi _ ou à côté de _ un bouquet d’autres,

participant, tous, à un tel « retour aux fondamentaux de la musique » :

signes, peut-être, d’une « époque », qui, plus que d’autres

_ avec toutes ses « impostures », ces « vessies » que certains voudraient tant nous faire « prendre pour » des « lanternes » _,

semble en avoir « bien besoin » ?..

Ce » bouquet » (de musique _ de « retour aux fondamentaux ») de huit CDs, ce sont :

1) _ les « Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch (CD Alpha 134) ;

2) _ le double album « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas (CD Alpha 136) ;

3) _ le (petit) « opera » « Dido & Aeneas » de Henry Purcell, par The New Siberian Singers (the chamber choir of the Novosibirsk State Academic Opera ans Ballet Theatre) & MusicAeterna, sous la direction de Teodor Currentzis, avec Simone Kermes, Deborah York et Dimitris Tiliakos (CD Alpha 140) ;

4) _ le (double) volume VI des « Klavierwerke & Kammermusik » de Robert Schumann, de l’intégrale qu’interprète et anime Éric Le Sage, au piano : « Kreisleriana, Op. 16 ; « Vier Fugen » Op. 72 ; « Fantasiestücke » Op. 12 ; « Andante & Variations pour 2 pianos, 2 violoncelles & cor » Op. 46 ; « 6 Etudes en forme de canon pour piano-pédalier » Op. 56, dans un arrangement pour 2 pianos de Claude Debussy ; « Bilder aus Osten _ 6 Impromptus » Op. 66 ; et « Waldscenen » Op. 82 ; avec François Salque & Victor Julien-Lafferrière, violoncelles ; Bruno Schneider, cor ; Eric Le Sage, Frank Braley, pianos (CD Alpha 135) ;

5) _ le CD « Manuscrit Bauyn _ Louis Couperin, Luigi Rossi, Johann-Jakob Froberger et Girolamo Frescobaldi« , par Benjamin Alard (CD Hortus 065) ;

6) _  le CD « Pièces de guitarre de Mr. Rémy Médard (1676)« , par David Jacques (CD XXI-CD 2 1586) ;

7) _ le CD « Les Caractères de la danse _ Purcell / Corelli / Rebel / Albinoni / Telemann« , par l’Ensemble « Harmony of Nations » & Alfredo Bernardini (CD Raum Klang RK 2704) ;

8) _ et le CD « String Quartets » de « Ravel, Debussy & Fauré« , par le quatuor Ebène (CD Virgin Classics 50999 519045 2 4)…

A commencer, ce superbe « bouquet », donc,

de « retour aux fondamentaux »,

par une très remarquable série d’enregistrements, notamment « baroques », parus cet automne aux Éditions Alpha :

_ après un excellemment « dynamique » CD de deux des « Missæ breves » de Jean-Sébastien Bach, les Bwv 234 & 235, par l’Ensemble Pygmalion, dirigé avec une belle vitalité (et justesse) par le jeune et plus que très prometteur, déjà, Raphaël Pichon (CD Alpha 130) _,

voici, d’abord _ et je les associe !.. _, les CDs
_ « Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch,

sur le clavecin Jean-Henry Hemsch (de 1751) de la collection de Frédérick Haas :

CD Alpha 134 ;

_ & le double album « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas,

sur ce même clavecin Jean-Henry Hemsch (de 1751) :

CD Alpha 136 ;

comme nous « restituant »

_ en leur « intégrité » ; le concept, ainsi que sa « réalisation », ayant beaucoup d’importance (artistique) _,

ces deux enregistrements, tout à la fois,
la vérité historique des œuvres des deux compositeurs

_ la publication des œuvres de Rameau (en 1706 ; en 1724-1731 ; en 1728)
encadrant la publication de celles de François Couperin interprétées ici (en 1713, pour les « Ordres Premier & Cinquième » du « Premier Livre » ; 1716, pour des « préludes » de « L’Art de toucher le clavecin » ; et en 1717 pour le « Deuxième Livre« , donné ici en entier, avec les « Ordres Sixième, Septième & Huitième« ) ;

et, tout à la fois, donc,
et bien mieux encore,
la poésie _ et c’est le « principal » ! en Art !… _
spécifique à chacun des groupes d’œuvres


intitulés « Livres _ de Pièces de clavecin« 

_ (au nombre de IV : en 1713, en 1716-17, en 1722 et en 1730),

et eux-mêmes divisés en « Ordres«  (au nombre de 28) ;
ainsi que _ « à part » _ « L’Art de toucher le clavecin« , en 1716 ;
(plus, encore, 6 « Pièces » séparées publiées, dès 1707 _ François Couperin, né en 1668, a déjà trente-neuf ans alors _, en un recueil collectif : « Pièces choisies pour le clavecin de différents auteurs« ),
pour ce qui concerne François Couperin, donc ;

et intitulés : « Livre«  (pour le « Premier livre de pièces de clavecin« ), en 1706 _ Jean-Philippe Rameau a, lui, vingt-trois ans : qu’on tire les conclusions qu’on voudra de ce constat chronologique… _ ;

« Pièces de clavecin, avec une méthode sur la mécanique des doigts« , en 1724 ;

& « Nouvelles suites de pièces de clavecin, avec des remarques sur les différents genres de musique« , en 1727 ;
(plus quelques « pièces séparées » :

un « Menuet en rondeau » (en 1724), « La Dauphine » (en 1747) ; « Les Petits marteaux » (non publié par Rameau lui-même, mais par Claude Balbastre, in « Recueil d’airs choisis de plusieurs opéras accommodés pour le clavecin par Mr. Balbastre« ) ;
pour Jean-Philippe Rameau _

« restituant », donc, tant la vérité (historique)
que la poésie _ spécifique, donc _
de ces deux compositeurs français majeurs ;

_ et,
en un tout autre genre, cette fois,

un (très impressionnant, par son énergie et sa vérité _ ou profonde justesse _ dramatique) « Dido & Aeneas » de Henry Purcell, sur un livret de Nahum Tate (« représenté en 1689, au pensionnat de M. Josias Priest, à Chelsea » _ mais peut-être « chanté d’abord à la cour de Charles II, vers 1683/84« …),

par The New Siberian Singers (the chamber choir of the Novosibirsk State Academic Opera ans Ballet Theatre),

MusicAeterna,

sous la direction _ tous _ de Teodor Currentzis,

avec, pour les trois principaux solistes (interprétant « Dido« , « Belinda » et « Aeneas« ), Simone Kermes, Deborah York et Dimitris Tiliakos :

CD Alpha 140 ;

auxquels j’ajouterai (encore chez Alpha Productions)
_ le (double) volume VI des « Klavierwerke & Kammermusik » de Robert Schumann, de l’intégrale qu’interprète et anime _ sinon dirige _ Éric Le Sage, au piano :

« Kreisleriana, Op. 16 ; « Vier Fugen » Op. 72 ; « Fantasiestücke » Op. 12 ; « Andante & Variations pour 2 pianos, 2 violoncelles & cor » Op. 46 ; « 6 Etudes en forme de canon pour piano-pédalier » Op. 56, dans un arrangement pour 2 pianos de Claude Debussy ; « Bilder aus Osten _ 6 Impromptus » Op. 66 ; et « Waldscenen » Op. 82 ;

avec François Salque & Victor Julien-Lafferrière, violoncelles ; Bruno Schneider, cor ; Eric Le Sage, Frank Braley, pianos :

CD Alpha 135

Ainsi que, cette fois chez d’autre éditeurs de CDs (qu’Alpha) :
Hortus,
XXI-21 Productions _ une marque québécoise, distribuée par Universal _,
Raum Klang,
et, enfin, ici, Virgin Classics)
les très remarquablement beaux CDs suivants :

_ d’abord,
le CD « Manuscrit Bauyn _ Louis Couperin, Luigi Rossi, Johann-Jakob Froberger et Girolamo Frescobaldi« , par Benjamin Alard
,
sur un clavecin construit par Philippe Humeau (à Barbaste) en deux temps :
d’abord, la copie d’un modèle « transpositeur » (de 1615) d’Andreas Rückert, d’Anvers, instrument flamand à deux registres : un huit pieds et un quatre pieds ;
puis Philippe Humeau a lui-même « ravalé » son instrument à la manière des anciens,
c’est-à-dire en remplaçant « les deux claviers transpositeurs par deux claviers accouplables, accordés à l’unisson,
dont le second fait parler l’ancien 8′,
et le premier, l’ancien 4′ ainsi qu’un 8′ supplémentaire
 » ;
et « les cordes de grosse taille » étant « remplacées par des tailles plus fines qui produisent un son plus rond et plus détendu« ,

spécifie Benjamin Alard lui-même à la page 7 du livret de présentation de ce CD « Manuscrit Bauyn » ;

lequel « présente » un double « concert », en décembre 1652
(postérieurement à la disparition, ce mois de décembre-là, du luthiste M. de Blancrocher,

dont nous écoutons ici le _ tout frais… _ « Tombeau » par Louis Couperin),
lors d’une rencontre « de musique », à Paris,
celle de Louis Couperin
(ca 1626-1661 : il a alors vingt-six ans) ;
et de Johann-Jakob Froberger (1616-1667 : il a alors trente-six ans ; et se déplace en Europe ; venant de Stuttgart, après plusieurs longs séjours à la cour impériale de Vienne _ de l’empereur mélomane Ferdinand III _ ; et un passage par Bruxelles ; après son séjour à Paris, il fera le voyage de Londres, et celui de Dresde ; avant de « s’installer » à Montbéliard et Héricourt, auprès de la princesse wurtembourgeoise, et connue en son enfance, la princesse Sybilla…) :

il s’agit du CD « Manuscrit Bauyn » Hortus 065

_ puis,
le CD « Pièces de guitarre de Mr. Rémy Médard (1676)« , par David Jacques,

sur une guitarre 5 choeurs Claude Guibord de 1999, réplique d’une Stradivarius de 1700,

enregistré à Sainte-Adèle, au Québec :
il s’agit du CD XXI-CD 2 1586

_ ensuite,
le CD « Les Caractères de la danse _ Purcell / Corelli / Rebel / Albinoni / Telemann« 
,

avec une Suite from « The Fairy Queen » Z629, de Henry Purcell (1659-1695) ;

le Concerto grosso op. 6 Nr. 4 d’Arcangelo Corelli (1653-1713) ;

« Les Caractères de la danse » de Jean-Féry Rebel (1666-1747) ;

le Concerto a cinque op.9 Nr. 2 de Tomaso Albinoni (1671-1751- ;

et l’Ouverture à 7 TWV55: C6 de Georg Philipp Telemann (1681-1767),

par l’Ensemble « Harmony of Nations » & Alfredo Bernardini

_ direction et solo oboe _ :
il s’agit du CD Raum Klang RK 2704

_ auquel j’ajouterai, enfin,
comme pour clore ce formidable bouquet d’excellents musiques au meilleur des interprétations (et enregistrements) un programme indiqué « The essential modern French quartet in the three essential string quartets of the French repertoire » :
les Quatuors à cordes (« String Quartets« ) de « Ravel, Debussy & Fauré« 
,

par le quatuor Ebène

(Pierre Colombet & Gabriel Le Magadure, violons, Mathieu Herzog, alto, Raphaël Merlin, violoncelle) :
il s’agit du CD Virgin Classics 50999 519045 2 4

Que de splendides interprétations, de magnifiques programmes de musique, que voilà,

pour le ravissement _ à « fondre » de plaisir ! pourquoi s’en priver ? _ des mélomanes ;

en commençant par un retour vivifiant

aux « fondamentaux » du répertoire

_ et notamment (mais pas seulement) du « Baroque » musical,

de « style » (ou autour du « style ») « français »,

en cette occurrence-ci :

« Style français »,

en effet,

pour ce qui concerne Henry Purcell _ 1659 – 1695 _,
ayant été sous l’influence de Matthew Locke (1630 – 1677),
et élève assidu des bien formés au « style français »,

d’abord, de 1672 à 74 (soit entre treize et quinze ans), Pelham Humfrey (1647 – 1674) ;

et _ encore _ John Blow (1649 – 1708), son principal maître (et ami) ;

mais, aussi, ayant côtoyé, lors de sa formation musicale sous la Restauration (des Stuart), des maîtres musiciens français _ tels  Robert Cambert (ca 1627 – 1677 ; le fondateur de l' »opéra à la française« , avec « Pomone« , en mars 1671) et Louis Grabu (fl 1665 – 1694), et Jacques Paisible (ca 1650 – 1721, et bien d’autres _ particulièrement nombreux alors à Londres, et d’abord à la cour du roi mélomane (et francophile) Charles II :

lui-même, Henry Purcel, « œuvrant », toute sa carrière, au service de cette dynastie des rois Stuart :
_ d’abord, le roi Charles II  (1630 – 1685) ;
_ puis, son frère le roi Jacques II (1633 – 1701), avant la « Glorieuse Révolution » de 1688 qui allait le « déposer »,

_ au profit de sa fille aînée (protestante anglicane, non catholique),

qui devint
la reine Mary II

(et à laquelle Henry Purcell ne survivra guère : Henry Purcell meurt le 21 novembre 1695 ; et la _ grandiose _ cérémonie des funérailles de la reine Marie  _ 30 avril 1662 – 28 décembre 1694 _ avait eu lieu, à la cathédrale de Westminster, le 5 mars de cette même année 1695 ; avec la participation de Henry Purcell, pour ces « musiques de funérailles » royales, célèbres…)

au profit de sa fille Mary, donc,

et de son mari, Guillaume III (d’Orange _ 1650 – 1702)…

Les rois Charles II et Jacques II (Stuart) avaient « pris » ce « goût français » _ élégant _ à la cour de Louis XIV (1638 – 1715),

lors de la (tragique) parenthèse du régime d’Oliver Cromwell

(officiellement au pouvoir du 17 mai 1649 à sa mort, le 3 septembre 1658) ;

leur mère, l’épouse du malheureux roi décapité _ le 30 janvier 1649, à Whitehall _ Charles Ier _ 1600 – 1649 _,

la reine Henriette-Marie (dite « de France« )_ 1609 – 1669 _,

étant fille de Henry IV et de Marie de Médicis ;

et leur sœur, Henriette-Anne (dite « d’Angleterre« ) _ 1644 – 1670 _, la « Madame » se mourant (de l’oraison funèbre de Bossuet…),

étant l’épouse de Philippe, duc d’Orléans (1640 – 1701), le frère cadet de Louis XIV ;

Et « style français », aussi _ en encore, au siècle suivant _,

pour ce qui concerne Georg-Philipp Telemann (1681 – 1767),
notamment, pour lui, dans ses « Ouvertures » orchestrales

_ a 7 dans l' »Ouverture » TWV55:C6

interprétée ici par the « Harmony of Nations » sous la direction de l’excellentissime Alfredo Bernardini,
promouvant par toute l’Europe musicale les « ouvertures » à la Lully… ;

pour ne rien dire ici du hautbois,

instrument français, s’il en est…


Ce bouquet de musiques de « style français », donc,

en sorte de « complément », ici, au bouquet de mon précédent article

« un bouquet de glamour musical _ et autres _ pour temps de crise »
composé, lui aussi, autour de pièces françaises
:

de Debussy & Poulenc, des pièces pour violoncelle et piano,
de César Franck & Fauré, les Quatuors à cordes,
des mélodies françaises de Bizet et Gounod à Reynaldo Hahn et Poulenc, en passant par Chausson, Duparc, Debussy, Fauré et Ravel ;

ainsi que des sonates du premier baroque français, de Jean-Baptiste Senaillé (1687, ou 90 – 1730)…

J’évoquerai ainsi le double enregistrement de « pièces de clavecin » de François Couperin et de Jean-Philippe Rameau, que les interprètes de ces CDs Alpha

_ respectivement Frédérick Haas, pour le double album Couperin Alpha 136 ;

et Céline Frisch, pour le CD Rameau Alpha 134 _

ont tous deux choisis de présenter ici,

non en une « intégrale »

des (quatre) « Livres » _ et/ou (28) « Ordres« , pour ce qui concerne l’œuvre (entier) de François Couperin ;

et/ou du « Livre« , « Pièces » et « Suites de pièces« , pour celui de Jean-Philippe Rameau ;

mais seulement en une sélection :

_ ainsi, ici, les seuls « premier » et « cinquième » « Ordres » du « Premier Livre » (de 1713) ;

et le « Deuxième Livre« , en entier, lui (avec ses _ seuls _ trois « Ordres » au complet : les « sixième« , « septième » et « huitième« ,

choisis par Frédérick Haas ;

_ et,

si le « Premier Livre » de Jean-Philippe Rameau est présenté ici en entier, en une « suite en la« , par Céline Frisch en ce Cd « Pièces de clavecin » Alpha 134,

c’est à une sélection de « suites »

_ « en mi« , pour les « Pièces de clavecin » de 1724-1731 ;

et « en sol« , pour les « Nouvelles suites de pièces de clavecin » de 1728 _,

que l’interprète, Céline Frisch, donc, procède,

elle aussi

_ tout comme Frédérik Haas pour son « François Couperin« -I _

en ce programme « Jean-Philippe Rameau« -I…

En une logique toute musicale (ou/et æsthétique, si l’on veut…) ;

et non d’archivage, ou de « rangement » (de discothèque personnelle ; ou publique)

_ comme cela est devenu depuis quelques années « de mode »

chez certains éditeurs de disques _ tel que Brilliant Classics, parmi d’autres…

Jean-Paul Combet, l’éditeur-concepteur d’Alpha, a fait appel à l’autorité aimable et particulièrement compétente (en matière de finesse d' »oreille » et de « goût »), de l’excellent Philippe Beaussant

(l’auteur de « Vous avez dit « Baroque » ? » ; et surtout, pour ce qui nous concerne ici, des passionnants et fort utiles : « François Couperin » et « Rameau de A à Z » (aux Éditions Fayard, en 1980 et 1982) ;

et désormais « immortel », par son élection, le 15 novembre 2007, à l’Académie française _ il a été reçu « sous la Coupole », par Pierre Rosenberg, le 23 octobre dernier)

pour « présenter » magnifiquement, avec toute la délicatesse et l’enjouement requis, les pièces du programme « Rameau » qu’a choisies d’interpréter ici Céline Frisch :

l' »écoute » du maître ès « Baroque français » de chacune des « suites » de « pièces » présentées ici

est, en effet, d’une remarquable finesse _ on en lira avec « succulence » le détail, pièce par pièce, aux pages 8 à 12 du livret.

Surtout, et au delà de la délicatesse de son écoute

de chacune de ces « pièces » _ idéalement « détaillée » _,

Philippe Beaussant présente _ avec une simplicité et une clarté magistrales _ l’œuvre de Rameau dans toute l’amplitude de sa chronologie :

non seulement,

« à sa naissance _ Jean-Philippe Rameau naît, à Dijon, en 1683 _,

Lully _ Jean-Baptiste Lully : Florence, 1632 – Paris, 1687 _ vivait encore« 

_ et Lully demeure pour une bonne moitié du siècle suivant la référence du goût musical français,

ainsi qu’en témoigne la « Querelle des Bouffons »

(et la « tension » du « coin du roi » et du « coin de la reine« ),

au cours de la décennie 50 (du « siècle des Lumières« ) ;

Rameau ne cessant d’être toujours actif (et triomphant !) : jusqu’à ses « Boréades« , laissées posthumes, en 1764 _,

mais « avant de mourir _ Rameau meurt à Paris, le 12 septembre 1764 _,

il avait pu croiser le petit Mozart _ celui-ci, né en 1756 (et qui mourra en 1791), séjourne une première fois à Paris l’automne 1763 _ l’hiver et le printemps 1764, lors de sa première grande tournée européenne, menée par son père _ il  y est arrivé le 18 novembre ; et ne gagnera Londres que le 27 avril 1764 _ à Paris ou à Versailles.« 

Mais encore :

« Mais le plus étonnant, au long de ces quatre-vingts ans

_ Rameau, né le 25 septembre 1683, mourra le 12 septembre 1764 _,

c’est la chronologie de son œuvre » _ en effet !

Il précède

(on l’oublie trop _ prend soin de préciser,

du moins quant aux dates, sinon de composition, du moins de publication, des « pièces » de clavecin,

Philippe Beaussant, à la page 8 de ce précieux livret du CD _)

François Couperin en publiant en 1706, à vingt-trois ans, son « Premier Livre de clavecin »… »

Ajoutant :

« Mais s’il était mort à cinquante ans, âge raisonnable pour l’époque _ ce qui donne « en 1733″ _, on n’aurait pas de lui une seule note d’opéra : pas d’« Indes galantes« , pas de « Castor« , pas de « Pollux »

_ données sur la scène de l’Académie royale de musique, respectivement le 28 août 1735 et le 24 octobre 1737 ; « Hippolyte et Aricie » avait paru sur cette même scène de l’Académie royale de musique, le 1er octobre 1733…

Seulement des « Sauvages » pour clavecin,

parce qu’il les a publiés en 1728, après avoir vu deux Indiens de la Louisiane au théâtre de la foire _ où Rameau produit moult « parodies » ;

de ces « Sauvages » de clavecin-là,

Rameau fera tout un acte de ses « Indes galantes« , sept ans après l’œuvre pour clavecin…

Et ce pourrait même être, là,

l’air comme « emblématique »

de tout l’art musical

de Rameau…


« Le second paradoxe

_ chronologique, préciserai-je

l’analyse si judicieuse de Philippe Beaussant _

particulier à Rameau

n’étire pas son œuvre dans le temps, mais dans sa structure.

Ses contemporains l’avaient classé : « c’est un savant ». Son « Traité de l’Harmonie réduite à ses principes naturels » inaugure _ en 1722 _ la carrière d’un homme qui n’a cessé de réfléchir sur son art, et de le théoriser. Ce titre _ de « traité » _ est d’ailleurs significatif : c’est une pensée qui ne pouvait naître que dans l’esprit d’un homme du XVIIIéme siècle, rationnel et « philosophique », comme on disait _ explicite le livrettiste ;

sur ce point, on pourra élargir et approfondir sa connaissance et sa réflexion,

en consultant l’ouvrage de ma collègue philosophe Catherine Kintzler : « Jean-Philippe Rameau, splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique« , dont la deuxième édition est parue chez Minerve, en 1988.

Quant au livrettiste du CD,

Philippe Beaussant,

il ajoute alors, on ne peut plus judicieusement :

« Mais Rameau est encore de son temps par une sensualité épanouie et raffinée _ quels justes qualificatifs ! _ :

s’il est le contemporain de d’Alembert,

il est aussi celui de Boucher _ 1703 – 1770 _, de Fragonard _ 1732 – 1806 _ et de l’abbé Prévost » _ (1697 – 1763), l’auteur de la délicieusement coquette « Manon Lescaut » (en 1731).


Concluant ce bel aperçu transversal par :

« On va retrouver tous ces paradoxes, de diverses façons, dans toutes ces pièces de clavecin« 

On ne saurait mieux cerner _ et éclairer ainsi _ l’idiosyncrasie du « génie » de Rameau.

Pour ma _ petite _ part _ ici _, je n’ajouterai qu’un mot rapide, pour rendre grâce, aussi, à tout le talent

_ ou tout le « génie », aurait-on peut-être préféré prononcer, au XVIIIème siècle _

de l’interprète, Céline Frisch,

pour « restituer » si délicatement cette double palette _ si prodigieusement variée (du côté, du moins, de la « sensualité« ) _  du « génie » de composition de Jean-Philippe Rameau :

car c’est sa poésie,

tour à tour

grave,

et presque _ non, jamais tout à fait jusque là ! _

sinon austère, du moins « de musique pure » (qu’on écoute « L’Enharmonique« )

_ avance, quant à lui, Philippe Beaussant, ici _ ;

et,

ailleurs

_ c’est le principe même des « suites » : que cette « variété » élégante, tendre, grave et amusée, « à la française » _,

enjouée,

jusqu’à, même, une frénésie rythmique, échevelée » ou « déboutonnée »,

voire malicieusement « endiablée », carrément.

Mais rien ne vaut ici l’écoute !!!

Ce qui est capté sur ce CD est tout simplement une merveille de poésie !

« Poésie » ! Voilà la clé de ce si beau disque…

Quant à la « part du temps »

(de ce qui, de l' »œuvrer », demeure _ à l’état d' »ombre endormie », ou « Belle-au-bois dormant » _ dans les œuvres),

entre des pièces publiées en 1706

_ en un moment d’alanguissement d’un long, très long règne,

celui d’un Louis XIV né le 5 septembre 1638, roi depuis le 14 mai 1643, à la mort de son père ; et en charge de la plénitude du pouvoir, y compris sur les Arts (cf Philippe Beaussant : « Louis XIV artiste« ), depuis le 9 mars 1661, à la mort de son parrain, Jules Mazarin :

en même temps que de mouvements, contenus, d’impatience de certains _,

et d’autres

_ après une régence (ouverte à toutes les dissipations) de huit ans, de Philippe d’Orléans, du 1er septembre 1715 au 2 décembre 1723,

le jeune Louis XV (15 février 1710 – 10 mai 1774), vient de prendre les rennes du pouvoir,

cornaqué alors par le duc de Bourbon, et sa maîtresse, la comtesse de Prie

(lesquels seront « renvoyés », sur les terres des Condé, à Chantilly, au printemps 1726) _

en 1724, puis 1728 : l’esprit du temps ayant pas mal « varié »…

la présentation de Philippe Beaussant, en ce livret de ce CD Alpha 134, dégage excellemment

ce que le jeu particulièrement fin de Céline Frisch donne à parfaitement « percevoir »,

entendre :

ainsi, quant au « Prélude«  du « Premier Livre de clavecin« , en 1706,

nous pouvons lire, page 9 du livret :

« Le « Prélude », comme le veut la tradition, est une pièce libre, non mesurée, qui vient de l’art des luthistes »

_ du premier dix-septième siècle, celui du temps de Louis XIII : les Ennemond Gaultier, et autres Lenclos…

« Mais d’entrée de jeu, Rameau, sans modifier l’héritage, lui donne une complexité harmonique qui lui apporte un caractère d’urgence inhabituel ; et il va croissant jusqu’à l’explosion inattendue _ en effet ! _ d’un second mouvement _ bref _ en forme _ merveilleusement gaie _ de gigue. Rien n’est changé dans la structure, tout est neuf dans le ton. »

Et Philippe Beaussant d’annoncer :

« Tel est Rameau. Déjà, à vingt-tois ans, il révolutionne,

mais toujours de l’intérieur.« 

Et encore ceci :

« On va retrouver cela _ en effet _ dans chaque pièce« 

_ superbement analysée, en peu de mots, en cette « présentation »-ci, du livrettiste ;

comme l’interprétation _ magique _ de Céline Frisch nous le donne à percevoir et ressentir…

« Dix-huit ans séparent le « Second Livre de Pièces de clavecin » (1724) du premier. Rameau a mûri :

mais cela s’entend _ sous les doigts de Céline Frisch, ici _ dès les premiers moments de l’« Allemande ».

C’est bien toujours l’arrière-descendante de cette ancienne danse,

mais elle transfigure la vieille solennité en une admirable invention mélodique, d’une grande unité thématique. Tout s’est, une de fois de plus, intériorisé. » L’analyse est magnifique !

Elle nous montre exactement ce que je me suis permis de nommer « l’œuvre du temps aussi dans l’œuvrer de l’artiste« …


« Il en est de même pour la « Courante », avec plus d’allant _ comme il convient ; poursuit Philippe Beaussant. Les « Gigues en rondeau » allient la manière italienne (mouvement régulier de croches, phrasé violonistique) et française (qui affectionne le rondeau). »


Avec cette remarque-ci _ qui justifie (encore !) mon article  :

« Couperin est passé par là :

voici que Rameau, pour la première fois, se détache de la vieille structure de la « suite » pour une pièce évocatrice, sinon descriptive, en tout cas « de genre ». Petite sonnerie de quarte battant le rappel de la gent ailée _ il s’agit du « Rappel des Oiseaux« .

Et l’on découvre un Rameau dont le génie imitatif « suggère » ce qu’il veut par un infime thème de quelques notes, avant d’en faire la matière d’un développement aussi savant que rigoureux.

S’ensuivent des danses non plus voulues par la vieille tradition, mais que l’on pratique du temps de Rameau : on les retrouvera _ follement gaies _ dans ses Opéras ;

et le « Rigaudon » autant que le « Tambourin » _ emblématiques de la joie (!) de Rameau _ témoignent ensemble du goût du XVIIIème siècle pour les danses méridionales

_ mais oui !

de même que beaucoup des chanteurs des « Opéras« , tels Pierre Jelyotte (1713 -1797) et Marie Fel (1713 – 1794), provenaient du Midi (en l’occurrence de Lasseube, sur les côteaux entre Oloron et Jurançon-Pau, pour la haute-contre ; et Bordeaux, pour la soprane !…) _

comme « La Villageoise »

de celui de la campagne pré-rousseauiste« …


Nous percevons ainsi,

en cette interprétation de Céline Frisch,

tout comme _ j’anticipe _ dans celle de Frédéric Haas,

rendant,

toutes deux (« interprétations », en la « justesse » et « délicatesse » de la « variété de nuances » de leur palette),

si bien compte de l’apport des strates (se déposant) du temps à la diversité (et singularité) des œuvres

_ quand trop d’interprètes,

sinon semblent se contenter de découvrir (et déchiffrer) les partitions lors des séances d’enregistrement au studio,

du moins « jouent » quasiment tout « pareil »…

Ici,

avec ces CDs Alpha 134 (« Rameau« , par Céline Frisch) et Alpha 136 (« François Couperin » par Frédérick Haas),

nous entendons comment le temps _ lui-même !… _ joue

dans l’histoire chaque fois (et toujours) singulière _ ou la succession historique _ du « génie » des compositeurs, mêlé, aussi, à l' »air du temps »,

en la diversité de ces « pièces » (ici « de clavecin« ) :

des joyaux, si fins, si riches, si « humains », d’une sorte de quintessence de l’art _ et du « génie » _ français.

Rien moins :

il ne faut qu’y prêter _ tendre _ l’oreille ;

et affiner le goût…

Et que de délices, alors !!!

Quant à l' »énigme » Couperin,

tant le jeu sur le clavecin (Hemsch de 1751 de sa collection personnelle)

que l' »essai » d’écriture de la « présentation » du livret _ aux pages 11 à 18 _,

s’y confrontent

et sont d’une exquise sagacité,

pour nous en donner entendre quelques  « secrets »,

de la part de Frédérick Haas :

voici comment Frédérick Haas le présente _ superbement _ lui-même aux pages 11 à 13 du livret :

« Dans une œuvre aussi soigneusement publiée que celle de Couperin, et aussi tardivement _ le premier Livre, en 1713, à un âge d’évidente maturité : Couperin était né en 1668 _, il n’y a aucun résidu. Il convient à toute force de se persuader de cette idée-là.

Alors que faire lorsqu’on rencontre, à la suite de pièces évidemment grandioses, des miniatures d’une simplicité embarrassante, répétitive, populaire : passer, en s’avouant à peine une espèce de déception gênée ? Ou bien chercher autre chose ? Un tempo, un caractère, un son, un éclat de plus, un contraste scintillant ; et non pas se permettre, jamais, de décrochement. Cette simplicité-là pourrait alors nous apparaître d’une innocence tellement savante, et nous interpeller toujours : que cherche-t-il donc ?

Depuis longtemps il m’a semblé percevoir, en parcourant les livres de clavecin, une évidence de couleur, de climat, particulière à chacun d’entre eux _ ce point est décisif : surtout ne pas tout confondre !!! Au point que, pour ces quatre livres, il serait tentant de parler de quatre éléments, de quatre directions, ou de quatre saisons d’une vie ; et plus exactement peut-être, de quatre saisons de la maturité d’une vie _ Frédérick Haas, ici, s’approche des solutions de l’énigme (du compositeur même)… Un grand créateur ne se répète jamais, ne s’arrête jamais à une manière. Et comme au fil d’une vie une personne meurt et renaît à elle-même, et change autour d’un centre profond qui seul signifie sa vraie essence _ « le style, c’est l’homme même » _ dira bientôt Buffon _, de même une œuvre change, s’altère, évolue, se détruit et se reconstruit au fil d’une recherche, d’une quête consciente ou inconsciente, mais impérieuse et dirigée, peut-être vers un centre _ l’essence même du créateur François Couperin, en quelque sorte ; dans la pluralité, aussi, de ces facettes et « métamorphoses » : voilà ce qu’il faut découvrir, ce dont il faut s’approcher…

Il m’a donc paru exaltant d’entreprendre un projet _ d’interprétation, notamment discographique _ qui tenterait de serrer au plus près la marche de cette « évolution » : quatre programmes qui tenteraient de montrer chaque livre dans sa couleur et son identité _ voilà le sens de ce projet discographique-ci _ ; et trouver au centre, s’il se peut, Couperin : ce qu’il est, ou ce qu’il cherche _ et cela revient au même _ soit l’énigme de l’idiosyncrasie du créateur lui-même (se cherchant)... Or il apparaît qu’au fil de ses inventions proprement inouïes de formes, de couleurs, de sonorités (Couperin est certainement l’un des plus extraordinaires inventeurs de couleurs sonores de toute l’histoire de notre musique), qui vont, au passage, poser les bases de ce qui deviendra un nouveau style de clavecin _ toujours de clavecin, puisque toute la démarche est profondément liée à la nature de l’instrument _, sans pourtant quitter l’esprit qui innervait cette ancienne manière où il plonge ses racines, Couperin s’élève peu à peu, prend de l’altitude. Comme un paysage toujours semblable qu’on verrait toujours de plus haut, au fil des lacets d’une route de montagne, la matière, les contours du discours, les détails de la rhétorique se dissolvent pendant que les climats _ qui seraient l’objectif recherché par l’artiste, donc, si l’on en croit les propositions de résolution de l’énigme Couperin, ici, de la part de l’interprète Frédérick Haas _ se précisent, et, dans cette atmosphère raréfiée, notre sensibilité se trouve à vif, prête à réagir de plus en plus intensément _ oui ! à rebours de la monotonie plate et grise à laquelle l’auditeur à affaire, hélas, si souvent… _ sous une sollicitation de plus en plus concentrée, purifiée et continue _ ce qui n’est pas très fréquent, pas plus au concert qu’au disque, dans le cas de l’œuvre de François Couperin : pas assez envisagée, comme ici, sous l’éclairage des strates temporelles…

Couperin est un maître absolu de la grandeur sans grandiloquence, de la tendresse jamais mièvre, de la légèreté sans affèterie _ Frédérick Haas s’approche ainsi du cœur même (battant, changeant, se métamorphosant) de l’énigme couperinienne. La poésie de Couperin _ et c’est bien de cela que fondamentalement il s’agit ! _ n’est pas molle. Il y a chez Couperin une nervosité, une vivacité, une vigueur de la plus haute tenue. Sa musique est rutilante et fière, chargée d’émotions âpres et puissantes. Couperin est un homme du XVIIe siècle, égaré peut-être au XVIIIe _ quelle parfaite justesse d’intuition de Frédérick Haas ! Il est l’un des plus stupéfiants inventeurs de textures et de techniques que tous après lui vont imiter _ sa manière va être celle dont tant de prosélytes vont copier la forme sans en atteindre l’esprit, qui est certainement à chercher ailleurs.

La préface tellement inhabituelle, tellement inattendue, tellement personnelle du quatrième Livre, cette espèce d’ »adieu désabusé » qui n’explique rien, mais, d’une façon si puissante,  donne le ton ; et ce ton est bien, sans erreur possible, celui des plus grandes vanités du XVIIe siècle _ mais oui : « still alive« , disent si bien, de ces « natures mortes » tremblotantes (fumées, bulles de savon, reflets sur des verres), les Anglais _ ; ce texte énigmatique nous livre sans doute la clé dont nous avons le plus besoin :

“Il y a environ trois ans que ces pièces sont achevées ; Mais comme ma santé diminuë de jour en jour, mes amis m’ont conseillé de cesser de travailler, et je n’ay pas fait de grands ouvrages depuis. Je remercie le Public de l’aplaudissement qu’il a bien voulu leur donner jusqu’icy ; et je crois en mériter vne partie par le Zèle que j’ai eu à lui plaire. Comme personne n’a gueres plus composé que moy, dans plusieurs genres, J’espere que ma Famille trouvera dans mes Portefeüilles de quoy me faire regretter, Si les regrets nous servent à quelque chose après la Vie, Mais il faut du moins avoir cette idée pour tacher de mériter vne jmmortalité chimérique où presque tous les Hommes aspirent” » _ voilà l’aune à laquelle il nous faut « mesurer » l’ambition esthétique artistique du créateur de cette musique…

Fin de la citation de la préface de François Couperin à son quatrième et ultime « livre de clavecin ».

Pour abréger mon trop long commentaire de ce « travail du temps » même au sein de l’œuvrer de l’artiste et de ses (souterraines) métamorphoses, je me contenterai de citer la « présentation » que fait Frédéick Haas des différences entre les « pièces » du livre I (publié en 1713 _ Louis XIV vivant encore…) et celles du livre II (publié en 1717, sous la régence…).

« 1717 _ peut-être même 1716. Savons-nous bien à quel point cette date _ celle de la parution du second Livre de pièces de clavecin de François Couperin _ est bouleversante ? _ déclare ensuite Frédéick Haas… Les nouveautés dont Couperin nous submerge _ alors, en nouveauté « radicale »… _, les ouvertures, les possibles dont tout à coup il nous abreuve, sont étourdissants : mais beaucoup des pièces elles-mêmes, et plus encore sans doute leurs innombrables prolongements, nous sont trop familiers désormais pour que nous puissions sans réflexion apprécier vraiment tout ce que ce livre essentiel comporte de révolutionnaire et troublant. Pourtant l’œuvre la plus célèbre du recueil _ « les Baricades Mistérieuses » _ pourrait seule, à bien y regarder, nous mettre sur la voie _ tant recherchée de la « résolution » du « mystère Couperin », rien moins ! _ : voici en effet un objet musical dont la beauté fascinante vient déranger fortement tout ce que nous aurions pu connaître jusque là _ dans la musique louis-quatorzième des D’Anglebert et autre Marchandde rhétorique musicale baroque.

En France durant tout le dix-septième siècle, l’équation « 1 note = 1 syllabe » a permis à une sensibilité vraiment unique aux subtilités du discours poétique de s’exprimer à travers un sens caractéristique des couleurs et des climats sonores, dans des compositions du plus grand raffinement. A cet égard, le premier livre de Couperin, et dans ce livre, presque tout du premier Ordre en particulier, nous apparaît hériter directement de l’art qui a culminé sous la plume du grand d’Anglebert, dont, n’étaient un certain sens de l’ondoiement et une certaine douceur de trait vraiment chaleureuse, si propres à Couperin, on pourrait presque croire reconnaître ici la voix. Les techniques de composition, en tout cas, et les formes aussi, sont bien les mêmes.

    Mais dans le second Livre, l’architecture musicale d’une pièce comme « les Baricades Mistérieuses », dont l’équilibre parfait est bien établi selon les principes de rhétorique alors usuels, relève d’un matériau tout différent, puisque le mot, la syllabe, y sont désormais des groupes de notes. Ce qui pourrait simplement révéler l’influence caractéristique des nouvelles techniques de composition venues d’Italie _ celles du développement séquentiel architecturé à partir de figures mélodiques et rythmiques _ qui ont fasciné toute l’Europe au tournant du dix-septième et du dix-huitième siècles par les possibilités tellement étendues qu’elles offraient. Mais la matière de Couperin n’est pas utilisée directement comme élément structurel, elle est d’abord entièrement transformée en couleur sonore : la série des notes, l’accord arpégé, la série d’ornements provoquent dans l’instrument, connu et senti par lui mieux que par tout autre _ s’autorise à poser Frédérick Haas _, une résonance, une tension, une plénitude, un écho ; et servent à construire un discours dont la texture formelle entièrement transmutée en matière sonore, plus lâche en apparence, est riche d’une densité émotionnelle, ou pour mieux dire, puisque ce n’est peut-être pas seulement d’émotion qu’il s’agit, mais au-delà même de l’émotion, d’une tension magnétique, d’un champs de forces _ voilà ! comme si nous étions passés, soudain, de la (déjà) vieille mécanique cartésienne à la dynamique leibnizienne, ou newtonienne ! _ dont l’intensité est unique. Presque chaque pièce du second Livre pourrait s’analyser sous cet angle, porteuse d’un caractère, d’un climat _ voilà le résultat poétique : tout un tremblement discret, à peine perceptible, sinon en un étonnement a posteriori,  de l’ordre du « je ne sais quoi »… _, très nets et spécifiquement sonores.

La première pièce de ce livre _ de 1717 _, dans la tonalité alors plutôt rare de si bémol majeur, est assez inattendue : « les Moissonneurs« , exactement aux antipodes de l’Allemande « l’Auguste » qui avait commencé le premier recueil _ « louis-quatorzien », lui, de 1713 _, osent utiliser une matière première ouvertement rurale, dont les mutations saisissantes culminent dans une électrisation des aigus de l’instrument où s’accumulent les successions de trilles : matière sonore vraiment enthousiasmante dont Couperin développera plus encore les ressources dans son quatrième Livre (au cours du vingt-deuxième Ordre en particulier) _ Rameau _ le voici ! _ s’en souviendra aussi lorsqu’il écrira pour le clavecin le troisième couplet de sa Musette en Rondeau en mi majeur _ en 1724 : Louis XY régnant. Dans le premier Livre existaient déjà quelques pièces d’inspiration populaire. Elles sont toutes très directement fondées sur des formes de danse apparentées au rigaudon ou au tambourin, dont elles conservent de bout en bout la découpe chorégraphique, l’allure carrée et vive (voir « la Nanète » ou « les Vendangeuses« ). Mais la nouvelle pièce, qui s’apparente certes à une gavotte, est construite à partir d’un contour mélodique beaucoup plus souple : bien plus chant que danse paysanne, retour des champs que l’on sifflerait, tableau, chatoyant d’une variété d’éclairages spécialement intéressante.

« Les Langueurs Tendres » proposent un récit accompagné dont la texture, qui est quasiment celle d’un air pour voix et luth, entièrement construit autour d’une ligne mélodique particulièrement lâche, très indépendamment de toute idée de structure rythmique d’origine chorégraphique _ qui était alors pourtant l’un des fondements de la musique de clavecin _ défie directement les lieux communs de ce qu’il est réputé possible d’écrire pour cet instrument. On pourra chercher longtemps une pièce comparable, écrite dans cette tessiture, dans des publications plus anciennes _ « louis-quatorzièmes »…

(…)
Et caetera.

Remarquons que Couperin ouvre son second Livre par une suite de pièces complètement nouvelles : pas une seule danse à l’ancienne mode dans le sixième Ordre, mais une variété de couleurs, de techniques d’écriture, d’images toutes prétextes à l’invention de sonorités neuves. L’instrument clavecin s’est trouvé soudainement démultiplié _ J. S. Bach ne s’y trompera pas, qui copiera « Les Bergeries » pour son épouse Anna-Magdalena, en réalisant au passage quelques simplifications d’orthographe très riches d’enseignements pour nous, qui tentons deux cents ans plus tard de jouer des musiques écrites plus rapidement que ne faisait Couperin toujours désireux _ la notation est intéressante _ de laisser la trace d’un geste et d’un son.

Le premier Livre commence par la plus archaïque des « suites » que Couperin ait écrites _ voilà le principal à retenir _, toute imprégnée de dix-septième siècle, parfois même d’esprit louis-quatorzien (Allemande « l’Auguste ») _ je ne le fais pas dire à l’interprète… Peut-être la mort du vieux roi aura-t-elle, entre les deux livres _ c’est aussi là mon hypothèse, on l’aura assez compris… _, suscité ce changement d’attitude _ puisqu’il est clair qu’ensuite _ sous le Régent _ la nouveauté deviendrait de bon ton _, peut-être Couperin tenait-il à montrer un autre aspect de lui-même et de son art. Sans doute les premières pièces du premier Livre appartiennent-elles à une autre époque de sa vie, à une autre période ; et étaient-elles écrites depuis longtemps à leur publication en 1713, date qui correspond plus probablement au moment de la composition des pièces du second volume, et des merveilleux préludes de « L’Art de toucher le clavecin« . Dans la préface du premier Livre, Couperin nous indique : “J’aurois voulu pouvoir m’appliquer il y a longtemps à l’impression de mes pièces… Je compte en donner un second volume à la fin de l’année”.

Mais il est certain que Couperin dès le début a été un inventeur : la fin narcotique des « Silvains » préfigure _ il faut le comparer _ bien l’invention des « Baricades Mistérieuses« . Une pièce comme « La Villiers » nous prépare _ même chose _ aux « Amusemens« , où une mélodie au lyrisme quasi schumannien se trouve accompagnée par un réseau continu de notes plus rapides, sans qu’il soit besoin de l’avènement d’un instrument nouveau : tout ce qu’un stéréotype agaçant et tenace du clavecin réputé sans couleur et sans nuance, et donc sans expression, interdirait purement et simplement. Mais Couperin, dans « L’Art de toucher le clavecin » disait déjà : “il a paru presqu’insoutenable, jusqu’à présent, qu’on put donner de L’âme à cet instrument : cependant, par les recherches dont j’ay appuyé le peu de naturel que le ciel m’a donné, je vais tâcher de faire comprendre par quelles raisons j’ay sçu acquerir Le bonheur de toucher Les personnes de goût qui m’ont fait L’honneur de m’entendre”. Peut-être Couperin a-t-il choisi d’être d’abord prudent, de ne pas publier d’emblée de musiques trop complètement provocantes : on savait déjà à quel point la critique tend à être violente lorsqu’elle est heurtée au-delà de ses habitudes.

La fin du premier Livre semble plus récente que son début : il est intéressant de comparer _ voilà le processus à accomplir _  par exemple « L’Enchanteresse » et « Les Ondes », de structures assez semblables. La première pourrait être écrite par d’Anglebert. Pas la seconde.

Le second Livre contient _ mais en troisième position seulement _ un Ordre qui est l’apogée de la grande suite de clavecin du dix-septième siècle : après Marchand (1702) et Rameau (1706), voici la dernière grande ordonnance de danses françaises écrites à l‘ancienne manière de Chambonnières, Louis Couperin ou D’Anglebert. Des proportions imposantes sont atteintes ici, chaque pièce est riche d’audaces rares, développée jusqu’à un point de complexité unique et dans des dimensions inhabituelles, dans la grave et cassante tonalité de si mineur. Sans les détruire, Couperin élargit ici les limites d’un style qu’il a su pratiquer à la perfection, dont il parachève définitivement les possibles développements. Ce vaste huitième Ordre suffirait à nous démontrer que Couperin est, comme tous les plus grands musiciens, un grand architecte des sons. Et un grand tragédien, capable de suspendre notre souffle, même le temps d’une délicieuse « Gavotte » d’un goût tout marésien, ou d’un « Rondeau » gracieux, perchés entre deux abîmes _ capable ensuite de nous consoler par la seule pièce en nouveau style _ « La Morinète » _ de cette suite tellement monumentale et fière. »

Tout cela qui s’entend si bien, et à mille lieues du plus petit soupçon de didactisme (et de la moindre lourdeur), dans le jeu magnifique de souplesse et de vigueur de Frédérick Haas, en ce CD Alpha 136…

Pour le reste du programme annoncé,

j’en demeurerai là,

n’ayant déjà que bien trop « parlé »…

Je soulignerai seulement l’énergie _ formidable_ au service de la plus étonnante « justesse » qui soit, du CD « Dido & Aeneas » (CD Alpha 140), de Teodor Currentzis, à Novosibirsk, avec Simone Kermes, Deborah York, ainsi que Dimitris Tiliakos : s’inspirant, par un renouvellement de « génération » de l’impulsion « Alpha » d’un Vincent Dumestre…

Un enregistrement véritablement enthousiasmant ! et justifiant mon annonce d’un « retour aux fondamentaux » de la musique _ ainsi, ici, que du Baroque musical !

Ainsi que la merveille, dans Louis Couperin (l’oncle, mort, lui en 1661 _ juste au moment de la « prise du pouvoir » (personnel) de Louis XIV, à la mort de son parrain Mazarin) ; ainsi que dans Johann-Jakob Froberger,

du tout jeune et déjà tellement accompli Benjamin Alard (« Manuscrit Bauyn _ Louis Couperin, Luigi Rossi, Johann-Jakob Froberger et Girolamo Frescobaldi » CD Hortus 065)…

Titus Curiosus, ce 7 novembre 2008

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