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Langage de la parenté versus jeu contingent des affinités, ces alliances de différences : un éloge du nomadisme et de la créolisation, à la Edouard Glissant, par François Noudelmann dans « Les enfants de Cadillac » ; soient un regard depuis New-York, pour François Noudelmann, et un regard de sa tour bordelaise, à la Montaigne, pour Titus Curiosus – Francis Lippa…

25mai

Ce jeudi 25 mai,

je poursuis pour le cinquième jour ma quête de ce que je caractérise, en lisant, dans l’enthousiasme, cette pépite et ce trésor, qu’est, de François Noudelmann, son « Les enfants de Cadillac« , comme une prise de conscience progressive, par l’auteur, au fil de ses découvertes, recherches, puis re-découvertes, d’une vie mouvante et émouvante, sienne, de « tensions entre affiliations (et plus encore désafilliations, ruptures, coupures, fuites, départs, déplacements, éloignements…) et un jeu contingent et ouvert, renversant, d’affinités de rencontres, alliances de différences (nourrissantes, greffantes et métamorphosantes, bien plus que de ressemblances fermées et fermantes, aliénantes), ou les routes et déroutes d’un homme (et « amant à double vie« , dit-il aussi...) plus libre« …

Cf donc la continuité de mes articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ et mercredi 24 mai : « « 

De fait, une autre logique que celle la plus attendue (de la part des généalogistes), se fait jour et se dessine très clairement, page 189 :

« Les généalogistes, obsédés par la continuité _ chaque génération succédant à celle (de ses parents) qui la précède, déjà génétiquement, même s’il n’y a jamais, et de loin, pure et simple duplication (clonage !) d’individus… _, sous-estiment le marrainage et le parrainage _ par lesquels filleuls et filleules empruntent, par certaines identifications souples et ludiques, bien d’autres traits que ceux directement reçus génétiquement, mais aussi culturellement, de leur père et de leur mère _, qui introduisent du jeu _ de la complexité, de la variété et des variations… _ dans la transmission _ qui est aussi, et pour une très bonne et large part, culturelle ; avec la richissime part des œuvres…….

(…) Il faut bien admettre que certains tuteurs et protecteurs ont nourri cet imaginaire parental, m’obligeant parfois _ plusieurs fois, donc ; pas seulement en quittant Limoges en 1976… _ à devenir un fils fuyant pour ne pas endosser _ tel que l’a endossé Énée quittant Troie en flammes… _ un Anchise trop pesant.

Grâce à eux, je ne suis pas resté dans le no man’s land _ asséchant et destructeur _ où me destinait le ballottage _ acté par le juge des divorces, en 1967 _ entre deux milieux _ celui du père et celui de la mère, chacun des deux bien mal remarié, un peu plus tard, aux yeux de leur fils François _ hostiles ou négligents.

Ces grands aînés, souvent professeurs _ oui, par exemple de Lettres ou de Philosophie ; et aussi de Piano… _, m’ont vu comme un chien perdu au milieu d’un jeu de quilles, et ils m’ouvrirent leurs espaces _ différents (et ouverts d’œuvres vraies et non factices)… _ et m’apprirent _ et c’est fondamental pour l’épanouissement de la personnalité en gestation en ce moment tendu (et souvent à vif) de changement de carapace, et d’éclosion de l’adolescence… _ la passion des œuvres _ un élément capital ! et assurément fondamental ! Même si beaucoup, et même la plupart, craignent et fuient les trop vives passions…

La première fut ma professeur de piano _ je regrette pour ma part que François Noudelmann n’honore pas son récit du nom de celle-ci… _, rencontrée quand j’avais dix ans _ en 1969, donc, et à Lyon où François résidait avec son père, seuls tous les deux, mais ensemble… _ parce qu’il fallait occuper mon temps libre, et qui me fit peu à peu découvrir la musique et bien d’autres choses aussi essentielles, une fois l’adolescence venue. En termes de transmission, elle tiendrait une place majeure dans l’arbre.

(…) Et le dernier, emblématique de ces pères qu’on pourrait dire supplétifs, annexes, cooptés ou assimilés : Édouard Glissant  _ Sainte-Marie, Martinique, 21 septembre 1928 – Paris 15e, 3 février 2011 ; cf le beau livre que François Noudelmann, qui a accompagné son parcours de 1999 à son décès en 2011, lui a consacré, en 2018 : « Édouard Glissant, l’identité généreuse« …   _  fut à la fois le théoricien et le praticien de ces relations imprédictibles, anti-généalogiques, refusant la vérité _ exclusive, réductrice, fermée _ de l’origine, des races et des racines, leur opposant le nomadisme et la créolisation _ ouverts aux grands vents, voilà.

(…) Combien d’autres paternités et maternités, fraternités et sororités sans liens de sang, agrégeons-nous pendant notre existence ?

Le langage de la parenté devrait _ ainsi _ céder _ dans les discours et représentations sociales les plus répandues, dominantes (et idéologiques) _ devant la force _ combien féconde, elle _ de ces adoptions incessantes et laisser place au jeu contingent _ ouvert et créateur, lui _ des affinités, ces alliances de différences _ nous y voici !, page 190. Ce concept d’« affinités«  étant crucial dans l’idiosyncrasie de François Noudelmann ; cf son tout à fait décisif « Les Airs de famille. Une philosophie des affinités« , paru en 2012.

Et il faudrait y ajouter non seulement ces libres cousinages humains, mais aussi des animaux, des livres, des musiques, des habitats, des voyageurs, des événements historiques et des malheurs intimes _ aussi, bien sûr, même si le discret et pudique François Noudelmann est loin de s’y attarder : il les floute plutôt, mais sans totalement les masquer ; car ce serait là mentir… Il faut et il suffit donc de bien le lire… _,

tout ce qui forme et déforme plus ou moins plastiquement _ un être, le nourrit _ et irrigue ; cf l’intuition de ma contribution personnelle, intitulée « Oasis (versus désert) », au « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; et cette contribution, je la donne à lire en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici _ comme une sève abondante _ oui.

Le hasard des rencontres _ avec le nécessaire concours, aussi, du malicieux (et terrible : son tranchant à l’égard de la pusillanimité et la procrastination étant implacable !) divin Kairos ; cf là-dessus mon article du 26 octobre 2016, comportant mon texte « Pour célébrer la rencontre« , qui constituait l’ouverture de mon essai de 2007 demeuré inédit « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni », à partir de ma lecture très détaillée du chef d’œuvre (bien trop méconnu) de Michelangelo Antonioni « Al di là delle nuvole« , en 1995 ; et mon analyse de sa riche genèse chez Antonioni ;

cf là-dessus les inestimables ressources des volumes publiés par Alain Bonfand aux Éditions Images modernes : « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , en deux volumes (un volume de présentation, « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , et surtout, bien sûr, les « Écrits«  d’Antonioni), en 2003 ; ainsi que l’indispensable lui aussi « Ce Bowling sur le Tibre«  d’Antonioni , en 2004… _,

et l’incitation à entrer sur des terrains que je pensais réservés _ socialement _ à d’autres, ont guidé mes routes et déroutes« , lit-on ainsi page 191.

On comprend ainsi comment je me sens personnellement pas mal d’accointances et affinités, déjà, avec ce que François Noudelmann dit ici de sa formation-construction de lui-même _ philosophique, littéraire, musicale, etc. _ et de ses cheminements…

..

Même si je n’ai, pour ce qui me concerne, nulle attraction new-yorkaise _ non plus qu’américaine… _ :

New-York, où le 29 avril 1892, à l’âge de 32 ans (il était né en 1860 à Entradam, alors en Hongrie, mais actuellement en Roumanie), est décédé Samuel Kahan, le grand-père maternel de mon pére, né lui en 1914 _ et c’est un vieux et très émouvant film muet (en yiddish), « Hester Street«  (de Joan Micklin Silver, d’après « Yekl«  d’Abraham Cahan, paru en 1896; cf ici la bande-annonce de ce film), vu, par hasard, au Festival du Film d’Histoire de Pessac, qui m’a permis de comprendre comment certains pères de famille juifs faisaient le voyage de l’Amérique, New-York et Ellis Island, afin d’y préparer la venue de leur épouse et enfants… Samuel Kahan est décédé assez vite après son arrivée. Son épouse et ses trois enfants, Fryderyka, Rose et Nison (né à Lemberg le 25 octobre 1983, et décédé à Haifa en 1949), sont ainsi demeurés alors en Galicie, à Lemberg ; et n’ont pas gagné New-York… Mais lui, Samuel Kahan, est inhumé à New-York. Et je descends de lui, je suis son arrière-petit-fils (né le 12 décembre 1947), via sa fille Fryderyka, ma grand-mère paternelle, et son petit-fils Benedykt Lippa, mon père… Et c’est par la cousine germaine Eva de mon père, fille du frère Nison de Fryderyka, Eva Kahan, épouse Speter (Budapest, 15 mars 1915 – Tel-Aviv, 2007 ; Eva a survécu à un passage à Auschwitz, en 1944 ; et en a laissé des témoignages !..) qu’un soir de juillet 1986, j’ai pris connaissance, au restaurant où elle dînait, de cet arbre généalogique familial galicien… De bref  passage à Bordeaux, et sachant que son cousin Benedykt avait fait ses études de médecine à Bordeaux, Eva Speter, de passage à Bordeaux, était tombée sur le nom de « Lippa » dans l’annuaire téléphonique de Bordeaux qu’elle avait voulu consulter ; et c’est ainsi qu’elle m’avait joint au téléphone : « _ Êtes-vous parent avec le Docteur Benedykt Lippa ? _ Oui, c’est mon père« , avais-je bien sûr répondu… De fait, mon père, lui même très sportif (il a pratiqué très longtemps le tennis ; et avait fait de la boxe en sa prime jeunesse ; il avait aussi appris le violon !), avait raconté plusieurs fois, non sans fierté, qu’il avait une cousine Eva qui, en sa jeunesse, avait été championne de natation, à Budapest : je connaissais donc l’existence de cette cousine Eva ; et c’est probablement une des raisons qui m’avait suggéré, en 1981, de donner le prénom d’Eve à notre seconde fille, née le 10 octobre 1981…Et plus tard, Eva, ainsi que son frère Andrew Samuel Kahan (né à Budapest le 28 février 1921), sont chacun d’eux venus d’Israël rendre visite à mes parents… 

L’épouse de Samuel Kahan, Sara Sprecher (Lemberg, 1860 – Lviv, 1937) _ les Sprecher, très aisés, possédaient plusieurs immeubles à Lemberg – Lwow… _, mon arrière-grand-mère paternelle, la mère de la mère, Fryderyka Kahan, de mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislaus – Stanislawow – Ivano-Frankivsk, 11 mars 1914 – Bordeaux, 11 janvier 2006), était donc native de la même ville (Lemberg -Lwow – Lvov – Lviv) que Marie Schlimper (Lemberg, 1881 – ?, ?), la mère d’Albert Noudelmann (Paris, 24 juin 1916 – Limoges, 16 juillet 1998), et grand-mère paternelle de François Noudelmann (Paris, 20 décembre 1958)…

Pour ma part, je me sens _ culturellement, philosophiquement et humainement _ proche d’un Montaigne, et de sa lumineuse et si féconde tour, où je pouvais, enfant et adolescent, me rendre à pied dans la journée depuis le domicile familial de Castillon-la-Bataille ;

cette tour dans laquelle très sereinement, et très activement, par l’exercice inventif  de son très alerte penser _ ce que je nomme, en dialogue avec l’amie Marie-José Mondzain, son « imageance«  _, et surtout à l’écritoire de ses « Essais« , Montaigne (Saint-Michel-de-Montaigne, 28 février 1533 – Saint-Michel-de-Montaigne, 13 septembre 1592) _ une fois la si riche conversation effective de l’ami La Boétie interrompue : La Boétie (né à Sarlat le 1er novembre 1530) est décédé à Germignan, près de Bordeaux, le 18 août 1563… _ entretenait un dialogue quasi permanent et archi-vivant _ « tant qu’il y aurait de l’encre et du papier«  ! Et du souffle de vie en lui… _ avec les auteurs _ vivant à jamais dans l’éternité de leur plus vif penser _ des livres de sa bibliothèque, et des inscriptions de citations peintes par lui sur les poutres de sa « librairie », au second étage de la tour ; cf d’Alain Legros le passionnant « Essais sur poutres« …

Je suis donc _ en toute modestie, bien sûr : je ne me prends pas pour Montaigne !.. _ attaché à ma propre tour bordelaise _ avec ses rangées et piles de livres et disques ; mais dénuée de poutres… _, ainsi qu’à la librairie Mollat, et aux dialogues avec les auteurs (d’œuvres) avec lesquels j’ai la passion et la chance insigne de m’entretenir _  voilà ! _ très effectivement _ et pas seulement par la lecture et l’écoute active de leurs œuvres ; j’aime rechercher et découvrir de leur bouche même, en notre échange sur le vif, quels ont été et sont, selon eux, les « sentiers » même les plus secrets de leur création _ ;

cf ce catalogue-ci récapitulatif de podcasts et vidéos de mes entretiens : « « 

Et je me sens aussi pas mal d’accointances et affinités _ déjà philosophiques de fond, mais aussi littéraires : François Noudelmann adore et Montaigne et Marivaux ; si chers à moi aussi ; et musicales : François Noudelmann vénère Fauré, Debussy, Ravel, et Poulenc : moi de même !.. Pour ne rien dire de ses positions culturelles et civilisationnelles ; je les partage absolument aussi… _ avec François Noudelmann,

ne serait que par notre passionnée mélomanie, et notre attention singulière à l’écoute…

Ainsi que nos regards transversaux, à tous deux, sur le réel…

Et ici je renvoie à mon article programmatique qui a précédé, le 3 juillet 2008, l’ouverture de mon blog « En cherchant bien _ carnets d’un curieux« , le 4 juillet 2008 ;

avec un article intitulé, emblématiquement, et je n’y ai pas dérogé depuis, «  » : exemples détaillés à l’appui, il est très explicite ; le consulter ici

Et j’avais choisi d’en baptiser le signataire _ je désirais un nom d’auteur _ « Titus Curiosus« , soit quelque chose, en mon esprit, comme « petit curieux« ,

sans autre ambition que de m’essayer, en pleine liberté, à bien chercher à découvrir vraiment… ; et partager ainsi, par le blog, modestement, sans tapage ni compromission de quelque sorte, ces efforts d’un peu mieux penser, un peu mieux regarder, un peux mieux écouter, un peu mieux sentir et ressentir, les altérités _ en leur  plus authentique singularité et idiosyncrasie : distinctes, donc, et indépendantes de moi-même… Les approcher, simplement, d’un tout petit peu plus près : comme quand on aime vraiment.

« Former son jugement« , disait le cher Montaigne _ en le frottant et osant le confronter, sans timidité ni crainte, à ceux d’autres qu’on estime ou admire : en un dialogue poursuivi, via des œuvres que ces autres ont données et laissées, en une vivante libre interlocution éruptive et féconde, tenue et entretenue (et constamment revue) au présent, avec eux, dans la distance actuelle et exigeante de l’éloignement géographique ou/et historique, en une dimension de quelque chose qui s’apparente, et cela forcément en toute modestie (et avec un brin d’humour, et surtout sans présomption), à comme de l’éternité, dont le signe annonciateur ressenti est la joie… Ce que l’amie Baldine Saint-Girons caractérise superbement comme un « acte esthétique« , en son justissime et si beau « L’Acte esthétique« , pour déclencher et entretenir cette joie du plus vif et actif penser en soi-même : être vraiment vivant, au contact parlant de ces altérités chantantes, à recevoir, et auxquelles répondre, et avec lesquelles, oui, dialoguer vraiment. Et de fait cela advient, vraiment… Vraiment.

Ce jeudi 25 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et pour se réjouir, l’unique Henri Ledroit, encore et toujours…

13sept

Et pour se réjouir,

voici l’unique Henri Ledroit :  https://www.youtube.com/watch?v=_IJxxSUGvb0

Pour se réjouir vraiment…

Encore et toujours…

Ce lundi 13 septembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un sujet passionnant en un livre apparemment bâclé : du devenir des villes au sein du devenir capitalistique

04jan

Bonne année !

Et pour la commencer en fanfare,

voici une excellente critique : « Villes à l’heure du capitalisme« , par Cynthia Ghorra-Gobin,
sur l’excellent site laviedesidees.com

susceptible de vous intéresser à des titres divers,

à propos du livre a priori extrêmement alléchant (par son sujet !) :

« Paradis infernaux. Les villes hallucinées du néo-capitalisme« 

(traduction française de Étienne Dobenesque et Laure Manceau, postface de Éric Hazan),

sous la direction de Mike Davis & Daniel B. Monk,

collection Penser/Croiser, aux Éditions Les Prairies ordinaires, paru en octobre 2008.

Villes à l’heure du capitalisme global
par Cynthia Ghorra-Gobin
[02-01-2009]

Domaine : Société
Mots-clés : inégalités | mondialisation | ville | urbanisme | richesse | néo-capitalisme

Des centres commerciaux géants,

des villes privées au milieu du désert ou de l’océan ?

Telles sont les fantasmagories urbaines et architecturales du néo-capitalisme.

Et l’ouvrage dirigé par Mike Davis et Daniel Monk en propose une analyse, critique et parodique, à travers le portrait de 11 villes…

Ce recueil collectif qui rassemble 15 auteurs se donne pour objectif de décrire et de dénoncer ouvertement les maux qui affectent les villes à l’heure du néo-capitalisme, comme l’indiquent clairement l’introduction et le titre. L’objectif n’est pas vraiment étonnant pour le lecteur familier des travaux de Mike Davis ; qui, depuis la publication de son bestseller sur Los Angeles, « City of quartz : Los Angeles, capitale du futur«  [1], adopte régulièrement ce ton sarcastique à l’égard de la logique dominante du profit. A priori, il n’a pas tort. Cette fois-ci, il met en scène 11 villes : deux villes de l’Amérique latine (Managua et Medellin), deux de l’Afrique (Le Caire et Johannesburg), deux du Moyen-Orient (Arg-e-Jadid et Dubaï), trois en l’Asie (Kaboul, Pékin, Hong-kong) et deux en l’Europe (Paris, Budapest).

Les États-Unis figurent bien entendu dans le premier chapitre, mais l’auteur ne traite pas d’une ville en particulier. Il se propose tout simplement de dénoncer deux produits de la production immobilière, le centre commercial et le centre résidentiel fermé, « shopping mall » et « gated community » _ deux phénomènes extrêmement intéressants (et significatifs) !!! _ , en se référant de manière explicite à deux États, le Minnesota et l’Arizona.

Le « Mall of America » (localisé dans la métropole de Minneapolis/Saint-Paul _ je m’y étais intéressé particulièrement à l’occasion de la « direction » d’un travail scolaire il y a quelques années, déjà…) _ et les « gated-retirement communities » (lotissements fermés pour retraités dont l’État de l’Arizona est certainement le plus représentatif) font ainsi l’objet de violentes critiques, ce qui a priori n’a rien d’innovant dans la mesure où l’on dispose déjà de travaux de grande envergure sur ces objets.

Après la lecture de ce premier chapitre centré sur deux produits immobiliers américains, on s’attend à ce que les auteurs présentant les autres villes poursuivent la réflexion en mettant en scène le transfert de ces deux modèles « made in America » ; qui, pour la majorité des habitants de la planète, sont bien des éléments du « rêve américain« . Pas du tout. En fait, la critique porte principalement sur les « mondes de rêve de la consommation » dans différentes villes, comme Paris, Hong Kong et Dubai (pour se limiter à quelques noms) ; et parfois de leur alliance avec les régimes politiques et les stratégies militaires (Arj-e Jadid, Pékin, Dubaï, Kaboul) ; mais toute allusion à l’ »American Way of Life » est inexistante. Étrange. Seuls les riches qui traversent en « dieux tout-puissants les jardins cauchemardesques de leurs désirs les plus secrets » sont véritablement remis en cause…

Quant à l’allusion intéressante faite dès l’introduction à l’égard de l’avènement des paradis fiscaux, corollaires de cette nouvelle phase du capitalisme, le lecteur s’attend alors à retrouver quelques pages ou chapitres analysant le régime des paradis fiscaux ; ou du moins décrivant les mécanismes de fonctionnement. Il n’en est rien. Seul le chapitre 2 intitulé « Utopies flottantes » aborde la thématique du paradis fiscal, en se limitant en fait à une présentation du site Internet, un simple prétexte pour dénoncer l’idéologie libertaire. Une visite du site permet en effet de se rendre compte qu’il s’agit tout simplement d’un groupe d’individus imaginant faire le tour du monde sur un navire. Les cartes du site qui donnent une idée du trajet à travers les continents sont drôles et amusantes.

La plupart des chapitres à l’image de ceux sur Dubaï ou Pékin s’organisent à partir d’une description de l’aéroport, du signalement de la présence d’hôtels et de voitures de luxe, de parcs à thèmes ou de centres commerciaux avant de prendre le temps de décrire les méga-projets en cours de réalisation (« Palm Jumeirah » à Dubaï) susceptibles de devenir de méga-enclaves pour riches en quête de la privatisation de la sécurité. De grands noms d’architectes sont ainsi cités, parfois assortis de quelques chiffres soulignant les investissements pharaoniques du secteur immobilier. Il est ici et là question de la faible rémunération de la main d’œuvre locale, ou encore issue de l’immigration (à Dubaï comme à Pékin) qui rassemblent des individus obligés de se soumettre pour survivre ; ou encore des droits que s’octroient les États pour confisquer les terrains tout en prônant l’intérêt général. À Pékin, un million d’habitants a été expulsé des vieux quartiers pour laisser place à des tours. Le chapitre sur Hong Kong se limite à décrire le lotissement fermé de « Palm Springs » qui, d’après l’auteur, a représenté la solution miracle pour combler la lacune identitaire des riches qui en refusant d’opter pour l’identité chinoise et l’identité britannique, ont préféré un style de vie issu du « supermarché culturel mondial« . Quant à l’article sur Johannesburg, il évoque la question de l’eau, après avoir insisté sur le legs de l’apartheid, sans pour autant souligner les véritables enjeux de pouvoirs au sein de la ville.

Au sein de ce recueil, l’article sur Le Caire s’avère être le seul qui repose sur une documentation sérieuse et qui ne se limite pas à la description de mégaprojets [2]. Toutefois l’analyse de Timothy Mitchell se présente plus comme une étude de cas de la politique menée par le FMI dans les années 1990 _ à l’apogée du fameux « consensus de Washington » _ qu’il n’aborde véritablement la thématique urbaine. Il est certes question du projet immobilier « Dreamland » _ réalisé non loin de la pyramide de Gizeh et s’inspirant d’images de lotissements fermés américains _, mais la critique porte plus sur les organismes internationaux, l’État américain et l’État égyptien. À différentes reprises, l’auteur rappelle que l’Égypte est un pays où seuls 5% de la population peuvent se retrouver dans la catégorie « classe moyenne » ; et où par ailleurs le poids de l’économie informelle dans l’économie nationale est considérable. Critique ou parodie ?


Face à cet ouvrage qui se veut une critique du capitalisme globalisé au travers d’un panorama de 11 villes,

le lecteur ne peut que ressentir une ambivalence à l’égard des éditeurs et des auteurs.

A priori, l’objectif annoncé dans l’introduction correspond bien aux intentions des sciences sociales,

qui ont toujours eu pour mission de rendre compte des processus économiques, sociaux et culturels,

de les expliquer et de les critiquer en mettant en évidence les inégalités sociales et les mécanismes d’exclusion.

Mais le statut de ce recueil s’apparente en fait à une simple parodie des travaux de sciences sociales.

Il en emprunte bien a priori le style et la tonalité,

mais le travail de recherche qui consiste

à rassembler documents relevant de sources différentes, données chiffrées ;

et à recueillir le point de vue et les représentations des acteurs au travers d’entretiens auprès des autorités politiques, des acteurs économiques, ou encore des populations concernées ;

est pratiquement inexistant (en dehors du chapitre sur l’Égypte).

Les textes reposent sur des informations que tout internaute peut retrouver aisément dans les multiples websites qu’offre Internet ;

et ne donnent pas plus d’information que ce que les médias quotidiens (offline et online) proposent.

Les auteurs usent certes des références savantes, en citant souvent des propos tenus par Adam Smith, Karl Marx ou encore Bourdieu (« seul chercheur ayant critiqué avec éloquence le néocapitalisme« ) ; ou en faisant référence à des films classiques, comme « Metropolis » de Fritz Lang ou encore « Blade Runner » ; mais ils ne sont là que pour donner une touche glamour de type marxiste au chapitre.

Le lecteur est alors envahi par l’étrange impression de se retrouver une fois de plus dans l’univers de l’apparence et de la consommation ; que l’on cherche par ailleurs à dénoncer. Quel décalage avec les travaux des sciences sociales reposant sur l’analyse marxiste qui chez nous ont jalonné les années 1960 et 1970 !

« Paradis infernaux » se présente comme un récit s’inscrivant plus dans le genre urbanophobe que dans l’analyse à proprement parler. Ce genre n’est pas étranger au personnage de Mike Davis, mais il était jusqu’ici relativement bien dissimulé comme dans son premier ouvrage dénonçant tout autant le capitalisme industriel que les modes de vie des « bourgeois » de LA au XXe siècle.

Il est vrai que Davis est américain ;

et que la civilisation américaine n’a jamais vraiment privilégié la ville comme « berceau de la civilisation«  ;

et qu’elle a choisi d’ancrer la démocratie dans les valeurs du monde rural.

À l’heure de l’industrialisation et de ses corollaires, l’urbanisation et l’immigration,

elle fut la première à valoriser la « banlieue«  _ ou le « rurbain » _ comme lieu privilégié de la famille américaine

parce qu’en mesure de véhiculer un sentiment d’appartenance à un lieu

tout en étant proche de la nature,

à l’image de la petite ville.

« Paradis infernaux » présente un sérieux lien de parenté avec les propos tenus au lendemain de la première guerre mondiale par le philosophe allemand Oswald Spengler

associant la grande ville et la métropole au symptôme du déclin des civilisations (et notamment de l’Occident).

L’influence de Spengler fut sérieusement éclipsée par la suite, en raison de nouveaux travaux adoptant un point de vue différent,

comme ceux de Georg Simmel _ qui m’intéressent tout particulièrement ! tels : « les Grandes villes et la vie de l’esprit » ; « Philosophie de la modernité » ; « La Tragédie de la culture » ; etc… _

qui privilégia la figure de la métropole comme le signe de l’avènement de la modernité.

En se déplaçant d’une ville à une autre (ou encore d’un site web à un autre), le lecteur circule dans un univers de stéréotypes (ex. la drogue à Kaboul) relevant de la science-fiction, sans pour autant que cela ne soit dit de manière explicite par les deux éditeurs de l’ouvrage revêtant l’habit des sciences sociales.

Aussi face à ce constat,

on ne peut que s’interroger sur les politiques menées par les maisons d’éditions _ question que je me suis posée, il n’y a pas plus longtemps que le 31 décembre dernier, à propos des politiques d’édition discographique musicale _ pour traduire les ouvrages étrangers.

Pourquoi avoir choisi « Paradis infernaux« , alors que de remarquables études sont publiées par des chercheurs américains (et autres) travaillant sur les mutations des villes à l’heure de la globalisation, tout en adoptant une posture critique ?

Les plus courageux d’entre eux n’hésitent pas à mettre l’accent sur la dynamique du transnationalisme comme facteur d’une complexité accrue de la ville,

parallèlement à une prise de conscience des individus dans leurs capacités d’interconnexion avec d’autres individus en temps réel, et à agir ensemble indépendamment de toute localisation géographique [3]. Le transnationalisme se présentant comme une question majeure et un véritable défi pour la démocratie et pour les pouvoirs politiques à l’heure de la globalisation.


par Cynthia Ghorra-Gobin [02-01-2009]

Notes
[1] « City of Quartz : Excavating the Future in LA« , Vintage, 1992. Cet ouvrage a été publié en français par la Découverte en 1997.
[2] Le chapitre sur Le Caire inclut 54 pages et plus de 112 notes de bas de pages donnant ainsi au lecteur de nombreuses références.
[3] Consulter à ce sujet l’introduction ainsi que les entrées « ville« , « ville globale« , « village global« , « métropolisation » et « globalisation » du « Dictionnaire des mondialisations« , paru aux Éditions Armand Colin, en octobre 2006.


A mon envoi de cet article de laviedesidees.com

l’éclairé Rufis Oeconomicus n’a pas tardé à répondre ceci :


De :   Rufus Œconomicus

Objet : re: Une remarque critique d’une critiquable elle-même critique de néo-urbanisations
Date : 3 janvier 2009 18:32:26 HNEC
À :   Titus  Curiosus

Salut,
Meilleurs vœux.
La critique du bouquin s/d. de M. Davis et alii que tu viens de m’envoyer est peu engageante.

Je l’ai lue rapidement mais pour résumer :

Péché majeur : superficialité.

Péché mineur : saupoudrage de marxisme lyophilisé.

C’est dommage, car je garde un très bon souvenir de son « City of quartz« , ouvrage qui mêle habilement sciences sociales et histoire de Los Angeles (du Sud de la Californie en fait) avec un souffle littéraire certain.

Si tu ne l’as pas déjà lu, je t’engage à le faire…
Amicalement.

Rufus

La (vraie) ville, ce sont de (vraies) rues, de (vraies) places, avec de (vrais) cafés, des lieux

_ et des moments : disposer d’un (vrai) temps de… ;

c’est-à-dire d’un temps qui soit

et à soi,

et, en même temps (!) à donner

à d’autres

que soi (qui soient, eux aussi, ces « autres », encore, eux aussi, des « soi »… ; et pas des ombres ou des zombies ; ou de purs et simplifiés corps, réduits à rien que du pornographique !) _ ;

des lieux, donc,

de (vraies) rencontres _ paroles, échanges, débats (animés !) _ ;

comme en ces villes méditerranéennes

_ Athènes, avec son agora ; Rome, avec son forum (et sa Piazza Navona ! et celle de la Rotonda, devant le Panthéon !..) ; et Sienne, avec sa Piazza del Campo (convexe et en pente : affriolante !) où se déroule deux fois l’an, le 2 juillet et le 16 août, le Palio ; et Salamanque, Santiago de Compostela, Saint-Sébastien/Donostia, avec leurs si vivants paseos ; etc... _

où naquit,

et vit encore, une (vraie) civilisation ;

avec de (vrais) passants

qui se parlent (vraiment)…

Même si Diogène, déjà,

avec sa lanterne allumée en plein jour,

cherchait _ en vain ?… et sans (trop) rire… _ rien qu’un

(seul, premier… ; et vrai)

homme…

Titus Curiosus, ce 4 janvier 2009

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