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sept 01

Aventureux Pluyette

Patrice PluyettePatrice Pluyette aime l’aventure : son éditeur nous apprend qu’il a décidé de renoncer à la vie parisienne pour trouver en Bretagne un ermitage où laisser sa plume s’épanouir. Patrice Pluyette aime la littérature, ce qui explique sans doute que ses premiers romans soient parus chez Maurice Nadeau et les suivants dans la collection Fiction & Cie du Seuil où l’on cultive depuis longtemps et l’amour et la littérature, voire l’un dans l’autre. Bref Patrice Pluyette n’a pas choisi la facilité et l’oeuvre qu’il construit depuis quelques années, si elle n’a pas encore reçu l’accueil que mériterait un amoureux de l’aventure et de la littérature, commence à imposer sa singularité. Et la singularité, La traversée du Mozambique par temps calme n’en manque pas, c’est même un cas franchement à part dans cette rentrée qui a souvent des allures de jungle où toutes les lianes se ressemblent ou s’emmêlent, quelques lecteurs et critiques s’en sont avisés qui ont repéré son titre attirant et mystérieux (du genre qu’affectionnent les libraires qui se préparent à en entendre toutes les variations possibles), bien éloigné de Blanche, Un vigile et Les béquilles, ses romans précédents plus minimalistes. Cette fois-ci, conséquence du bon air iodé breton ? nous voici en plein maximalisme. Chasse au trésor, roman maritime, récit d’expédition, quête du drôle, jeu de piste, La traversée c’est tout cela et même un peu plus car Patrice Pluyette ne s’interdit rien avec son histoire, ses personnages, sa géographie (le premier qui trouve le Mozambique dans ses pages gagne le droit de les relire), la logique, le réalisme (quel mot étrange dans un billet comme celui-ci), l’anatomie. Il est Dieu : avec lui les créatures sont condamnées à ne jamais pouvoir se reposer et le lecteur voué à l’ahurissement le plus complet. Jouant de tous les canons les plus éculés du roman d’aventure, de tous les clichés qu’il compresse pour en tirer une forme stupéfiante, de la totale liberté offerte au romancier d’aujourd’hui qui n’a de compte à rendre qu’à son lecteur qui ne lui dira rien, il nous trimballe sur l’océan dans le sillage d’un Belalcazar, retraité hyperactif, à la recherche de l’or perdu, et de son équipage improbable fait d’un duo de frère, d’une cuisinière-infirmière et de comparses qui apparaissent et disparaissent si un tronc se présente ou une porte s’ouvre. Errants sur les mers, bloqués dans les glaces, perdus dans la jungle, capturés par des sauvages, ils rebondissent, meurent sans prévenir, ressuscitent à la limite. Aucune transgression ne résiste aux assauts du narrateur qui ne pourra reprendre son souffle qu’à l’issue de l’épopée qu’il faudrait être fou pour vouloir résumer (réécrire le livre s’imposerait dans ce cas-là, évidemment). Au final, ayant renoncé à toute idée de logique, concept dont on devrait se débarrasser avant chaque découverte romanesque, on s’amuse tout du long, attentif et médusé, pris dans cette bourrasque qui empoussière sérieusement les amateurs de la ligne claire : c’est Tintin au pays de Lucy in the Sky with Diamond. Mais c’est aussi, l’air de rien, un formidable instrument de réflexion sur les mécanismes de la fiction : cela, c’est une autre histoire…mozambique.jpg