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nov 17

De la musique avant toute chose

PartitionDans le cadre du Tour de France des écrivains européens1, Felipe Hernandez est venu nous parler de son dernier livre traduit en français, La partition, un roman paru aux Editions Verdier en août dernier. Cette rencontre a donné l’occasion à cet auteur catalanophone, mais qui a élu le castillan comme langue d’écriture, de revenir sur l’ensemble de son oeuvre. Il était accompagné de son traducteur et ami Dominique Blanc ; tous deux formaient un duo des plus sympathiques dont l’accent (l’un espagnol – Fernandez a fait l’effort de s’exprimer en français du début jusqu’à la fin – et l’autre toulousain) avait tout pour séduire les oreilles sensibles à une certaine forme de musicalité.

 

Au moment où s’ouvre La partition, le jeune José Medir, musicien et compositeur de son état, gagne sa vie en dispensant des cours à des jeunes filles issues de milieux bourgeois. Il va cependant être contacté par le directeur de l’Auditorium, un certain Ricardo Nubla, pour une commande très particulière. En effet, celui-ci lui demande ni plus ni moins de traduire son âme en musique ! Perturbé par cette requête, José tente de se dérober, mais en vain : il va devoir relever cet incroyable défi. Telle est la trame d’un roman qui est tout à la fois le pendant musical du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde2, un tableau de l’Espagne actuelle, une réflexion philosophique sur la condition de l’Homme, et une illustration de la dialectique hegelienne du maître et de l’esclave, le tout dans une langue qui ne manque ni de poésie, ni de raffinement. On peut gager qu’il ravira les amateurs de romans littéraires de qualité !

 

Outre une oeuvre de jeunesse qu’il refuse pour l’instant de faire traduire – Naturaleza, écrit à l’âge de 25 ans – ses trois romans forment ce que Dominique Blanc a appelé un tryptique. Il s’agit de La deuda en 1998 (La dette, Verdier 2003), La partitura en 1999 (La partition, Verdier 2008) et Eden en 2000 (Eden, Verdier 2004). Comme vous avez dû le constater si vous êtes un lecteur attentif, l’ordre de traduction de ces trois romans ne respecte pas leur ordre de parution en Espagne. En effet, La partition n’est pas le dernier roman de Felipe Hernandez, mais bien son avant-dernier. De quel genre de tryptique peut-il bien s’agir pour que l’ordre de lecture des romans  qui le composent n’ait aucune espèce d’influence sur leur compréhension ? En fait, il n’existe entre La dette, La partition et Eden, aucune unité d’intrigues, de personnages, de lieux, ni même de temps ! Cela ne les empêche guère de constituer un ensemble traversé par le même lien thématique : on retrouve au sein de chacun d’entre eux cette même notion de dette, ainsi que l’inversion du rapport de force initial entre un être dominant et un autre dominé, à l’image du combat de Job, dans l’Ancien Testament. La Bible est d’ailleurs très présente dans l’oeuvre de Felipe Hernandez, qui se remémore en plaisantant un vieux rêve de jeunesse : enfant, il s’imaginait en écrire la suite… A l’image de la plupart des écrivains de la péninsule ibérique, il a été également très influencé par les grands noms de la scène littéraire latino-américaine, comme un Gabriel Garcia Marquez3 ou un Juan Rulfo4.

 

Enfin, l’auteur a partagé avec nous sa conception de la littérature et du rôle de l’écrivain. En un mot, pour avoir une chance de laisser une empreinte dans l’histoire des Lettres, les romanciers doivent être des visionnaires. Un bon roman ne doit pas être seulement bien écrit et divertissant, il doit être engagé d’une forme ou d’une autre et amener son lecteur à réfléchir. Maintenant, à vous de déterminer si Felipe Hernandez a relevé le défi !


1 Ce tour de France permet à une vingtaine d’auteurs (notamment Vassili Alexakis, Marcello Fois, Imre Kertèsz, Claudio Magris, Colum McCann, Ian McEwan, Boris Pahor, ou encore Gonçalo Tavares) de venir à la rencontre des lecteurs de l’hexagone entre les mois d’octobre et de décembre de cette année.

2 Il s’agit dans les deux cas d’étancher la soif d’immortalité des hommes. Pour autant, cette comparaison a ses limites dans la mesure où la fonction du tableau imaginé par Wilde est de disparaître alors que l’homme pourra continuer à vivre, tandis que la partition d’Hernandez, plus réaliste, ne remet pas fondamentalement en question la mortalité de l’humain. Il s’agit donc plutôt d’une belle mise en abyme de l’idéal de l’écrivain en tant que créateur.

3 Né en Colombie en 1927, cet écrivain majeur (lauréat du Prix Nobel de littérature en 1982) est l’auteur d’une vingtaine de romans et nouvelles, dont Cent ans de solitude, et L’amour aux temps du choléra, qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique sous l’égide de Mike Newell en 2007.

4 Le nom de cet écrivain mexicain (1917-1986) est essentiellement attaché au superbe roman intitulé Pedro Pàramo.