« Stendhal : Si vous dites La Chartreuse sans préciser qu’elle est de Parme, si vous dites La Recherche sans préciser que c’est du temps perdu, ou Le Voyage pour évoquer le premier roman de Céline, ça y est vous en êtes »
Alexandre J. (brailleur de métaphores cacophoniques), Christine A. (narcissique hystérique), Philippe S. (baudruche gonflée de sa propre importance), Yann M. (adorateur de son nombril), Camille L. (au secours!), Marc L. (représentant en clichés), Bernard-Henry L. (trafiquant de vide médiatisé), etc.
Quel lecteur ne s’est pas un jour trouvé en proie à ce dilemme pour le moins existentiel:
« Dois-je suivre le consensus populaire m’exhortant à lire tel livre qui fait sensation dans (tous) les médias, vient de recevoir un prix? » ou « Dois-je au contraire me méfier de ce culte qui trop souvent va à rebours de la qualité du dit-ouvrage? »
Quelques pistes de réflexion placées sous l’angle de la dérision pourraient peut-être nous permettre d’y voir un peu plus clair… Elles sont esquissées par trois acteurs du monde du livre et des médias qui connaissent, a priori, leur sujet.
Le premier (duquel est extrait la première définition ci-dessus) est sûrement le plus connu car l’adaptation cinématographique de son roman (qui avait déjà obtenu le prix Télérama-France Culture en 2006), Entre les murs (éditions Verticales, réédité chez Folio en 2008) a reçu en mai dernier la Palme d’or du festival de Cannes. Un vif débat s’en était suivi sur le supposé réalisme de la situation, l’auteur y interprétant son propre rôle de professeur dans une « banlieue ». François Bégaudeau reprend le costume en faisant paraître un Antimanuel de littérature (éditions Bréal) qui, posant un regard décomplexé mais non dénué de sa légendaire pédagogie, dépoussière pour le plus grand plaisir de générations de lycéens (devenus souvent professeurs eux-mêmes…) les indétrônables « Lagarde et Michard » auxquels serait naturellement dédié ce pied-de-nez (anti?) scolaire, leur reprochant leur « boursuflures jargonnantes, les rebuts de formalisme asséchant, des exigences très au-dessus de ce que peut le tout-venant des élèves« . Louable entreprise de « démystification » sinon de démythification de « l’idole Littérature », ce néo-nietzcshéen défend plutôt une conception alternative visant à redonner le désir des Lettres sans renoncer pour cela à diverses chausse-trappes, raisonnements par l’absurde qui recomposeront un tableau à la fois cocasse mais vraisemblable, voire quelquefois pertinent sur la littérature, à rebours du labeur scolaire promis par ses nobles aînés. Ce qui différencie ce nouvel opus réside notamment dans la place véritablement inédite et appréciable de la littérature dite « contemporaine », entretenant un dialogue continu entre Modernes et Anciens profitable à la réflexion proposée : ainsi les références ultra-classiques (Bégaudeau ne cache pas son admiration pour Gombrowicz avec lequel il partage le goût pour la subversion, mais aussi Diderot, Montaigne, Rimbaud, Michaux, Sartre) côtoient des extraits souvent justement lus et commentés (donc non simplement cités !) de Philippe Forest, François Bon, Olivier Cadiot, Dominique Fourcade, Eric Laurrent ou Pierre Guyotat, pour ne citer que quelques exemples. Comme dans le film qui le met en scène, le langage pèche par certains excès de démocratisation caricaturale qui incitent l’auteur à adopter un idiolecte branché qui peut charmer ou agacer à la longue le lecteur de ce véritable essai alternatif qui aura au moins le mérite de parler directement à une jeune génération décomplexée (profs – trentenaires – en mal de pédagogie différenciée ? lycéens perdus ?) rétive aux pompeux manuels, même si certains auront encore à reprocher à cette tentative plutôt inédite (mêler l’actuel et le classique, les écrivains rock et littéraires, le parler dit « populaire » et « savant ») un nivellement par le bas pour le moins noble et/ou suspect, selon la catégorie dans laquelle vous vous dé-placez.
Le couple mythique Lagarde et Michard possède également ses héritiers contemporains, auteurs de la seconde citation (ci-dessus), exemple d’exercice tiré du pastiche des nouveaux Tontons flingueurs de la littérature du XXIème siècle : « le Jourde et Naulleau« , édité par Mots et Cie. Vous aurez peut-être reconnu sous l’antonomase qui (les) consacre : Pierre Jourde, professeur d’université et Eric Naulleau co-auteur avec le premier du Petit déjeuner chez Tyrannie (Livre de poche, 2004) et d’un premier essai déjà dédié à démolir avec une ironie jubilatoire la littérature louée quasi unanimement par les milieux édito-médiatiques (romanciers, éditeurs, journalistes, critiques) souvent inféodés à un copinage purement commercial. Quatre ans après leur premier essai de ce « petit livre noir du roman contemporain », ils récidivent avec un humour et cynisme communicatifs contre leurs cibles privilégiées, à savoir (vous les avez sûrement démasqués plus haut) : Marc Lévy, Christine Angot, Bernard-Henry Lévy, Marie Darieussecq, Philippe Sollers, Alexandre Jardin, Camille Laurens… Pourtant, ces pamphlétaires oublieraient eux-mêmes de s’ inclure dans la liste puisque Pierre Jourde avait emporté le prix de la critique de l’Académie française pour La Littérature sans estomac, essai qui fustigeait déjà cette production et accessoirement publié par son ami éditeur de l’Esprit des Péninsules, Eric Naulleau…
Bégaudeau, moins corrosif sinon manieur de cette autodérision qui fait tant défaut à Jourde et Naulleau, parle de « TML« : « très mauvaise littérature » et se moque des « grantécrivains« , y incluant Baudelaire qu’il confesse n’avoir jamais aimé, ainsi que de l’esprit corporatiste du « milieu littéraire », véhicule de clichés étrangers à ce co-fondateur du collectif littéraire alternatif Inculte. Au-delà de l’humour potache du premier et de la virulence plutôt vivifiante des deux comparses qui alerte gaiement contre l’aliénation à une certaine médiocrité, leur mérite est de montrer qu’existe une littérature d’exigence et de création pour laquelle ils clament leur admiration (entre autres: Valère Novarina, Richard Millet, Jean Echenoz, Michel Houellebecq…, sans oublier Didier Wampas, un des plus grands selon le prof punk-rock Bégaudeau), quoiqu’ils oublient que cette liste ne fait pas l’unanimité : qu’elle puisse elle-même souffrir d’une semblable offense serait salutaire pour ne pas se prendre tout à fait au sérieux…
Car après tout, pour revenir à cette question quasi philosophique (Platon n’a-t-il pas lui-même tenté, en vain, de définir la nature du « beau »?) , donc stérile, d’une bonne et mauvaise littérature, n’est-ce finalement pas au lecteur auquel ce choix revient, dans sa propre subjectivité silencieuse comme le font ici officiellement Bégaudeau, Jourde, et Naulleau. En bref, la « bonne » littérature, n’est-ce pas simplement et d’abord celle que j(e) ‘ (é)lis?
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