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mar 23 2015

Pourquoi j’ai choisi « Tintin et les Picaros » par Michel Pierre

picaros135« TINTIN et les PICAROS »

Il faut toujours commencer par l’image de couverture, or celle de Tintin et les Picaros est étrange.

Souvent, Tintin court vers l’aventure, non pas au galop comme Zorro, mais au moins en véhicule automobile (au Congo, au pays de l’or noir ou pour ouvrir Objectif Lune), en pirogue ou canot à moteur (L’oreille cassée, L’Île noire), à dromadaire (Le crabe aux pinces d’or) et même en sous-marin (Le trésor de Rackham Le Rouge).

Il peut être surpris (L’étoile mystérieuse, le Temple du soleil ou encore Tintin au Tibet), appeler à l’aide (Coke en stock), demander le silence (Les bijoux de la Castafiore). Il lui arrive d’être armé (Vol 714 pour Sydney) ou d’avancer d’un pas résolu (Le sceptre d’Ottokar ). Mais jamais, il ne fuit (même si il a un moment de recul sur la couverture du Secret de la Licorne), tout au plus, il se cache (l’Affaire Tournesol).
Or, avec Tintin et les Picaros, notre héros (tout comme ses compagnons) prend ses jambes à son cou sur fond d’architecture maya.

Qu’arrive-t-il donc à notre héros ? Pourquoi cette panique ? Nous apprendrons dans le scénario, qu’en réalité il échappe au danger mais pour aller vers un péril plus grand. Il a gravi la pyramide sous une fausse surveillance pour la descendre vers un espoir illusoire. Et c’est ainsi qu’Hergé en son dernier album achevé et publié de son vivant donne une leçon de vie, celle qui rend les apparences trompeuses et prend à contre-pied toutes les certitudes, les convenances et les habitudes. On voit, dès la première image de l’album, Tintin conduire une mobylette bruyante et polluante alors que la nature de février se prépare au printemps.
Il explique en un docte discours la situation géopolitique de l’Amérique latine en tenant un chat dans ses bras sans que Milou y trouve à redire. Il se livre même à une débauche de modernité en portant des Jeans et en abandonnant ses pantalons de golf. Et tout est ainsi, y compris Haddock ne pouvant avaler une goutte d’alcool et même un changement de gouvernement mené en costume de carnaval. Les repères politiques les plus solides sont également renversés, un régime dictatorial modèle Pinochet au Chili est soutenu par la Bordurie du bloc de l’Est et les révolutionnaires d’Alcazar par une multinationale yankee. Tout est paradoxe, faux-semblant et inversion des codes sous l’œil désinvolte des médias (presse, radio et télévision).

Tintin et les Picaros est aussi une interrogation sur l’action puisque entre le début de l’album et sa vignette de fin, rien n’a changé pour les plus humbles vivant dans leur favela ou le slogan « Viva Alcazar » a simplement remplacé « Viva Tapioca » avec de semblables forces de l’ordre ayant tout bonnement troqué leur uniforme pour un autre et leur moustache pour une barbe.
Faut-il alors penser que Tintin abandonne le monde à son destin et le San Théodoros à une première Dame aussi terrifiante que Peggy Alcazar ? Quel est cet univers qui permet à Séraphin Lampion d’être un acteur de l’Histoire, où Manolo est devenu un traitre, les militaires des pleutres et les révolutionnaires des alcooliques ?

En fait, Hergé nous donne à voir le pire de la réalité pour inciter, malgré tout à l’engagement, ne serait-ce que pour sauver ses amis. Tintin devient un héros appliquant la réflexion de Romain Rolland reprise par Antonio Gramsci et qui conseillait « d’allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ». Ce même Gramsci qui considérait que « l’indifférence est le poids mort de l’histoire ». Sans oublier que Tintin partage certainement la réflexion de Maw Frish : « Il y a pire que le bruit des bottes : le silence des pantoufles ».
Et c’est pourquoi Tintin et les Picaros est une œuvre philosophique majeure du XXe siècle et qu’il est mon album préféré avec aussi la glorification des choses simples : les pâtes cuites « al dente » et le bon whisky consommé avec modération…

Visuel : © Hergé/Moulinsart 2008

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