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juin 02

Fournel, le roi de la reine (petite)

Paul Fournel
On connaît peu de cyclistes écrivains même si on a lu beaucoup de mémoires de ces géants, malhabiles avec des plumes malgré leur aspect aérien : des nègres appointés se chargent de mettre en forme leurs selles et leurs exploits, leurs chutes et leurs apogées. On connaît en revanche beaucoup plus d’écrivains cyclistes et même s’ils ne constituent pas un peloton très fourni, quelques noms se distinguent. On aura une pensée pour Louis Nucéra, mort de sa passion au bord d’une route, pour Antoine Blondin qui fut plus souvent dans la voiture accompagnatrice et suivit un nombre incroyable de tours de France (pédala-t-il ?), à Maurice Leblanc et son Voici des ailes malheureusement introuvable et qui permit à la bicyclette d’entrer dans le monde des Lettres par la grande porte, à René Fallet qui aima aussi la pêche et le vin, et plus récemment à Eric Fottorino qui poussa le vice jusqu’à précéder le Tour à coups de pédales longtemps avant de grimper à l’assaut du Monde cet Alpe-d’Huez de la presse française, à Maxime Schmitt et son nostalgique Vélo volé, à Pierre-Louis Desprez et ses Petits cycles de bonheur, à Olivier Dazat qui fit un beau Dilettante, à Jean-Noël Blanc et sa Légende des cycles, à Philippe Bordas en début d’année avec son magnifique Forcenés qui aurait mérité un billet pour vanter ses mythologies d’un règne désormais terminé, celui des forçats de la route avant l’avènement visible du cycliste bio-ionique…, on aura donc toutes ces pensées avant de nous tourner vers le phénix de la littérature cyclopédique, le forezien oulipiste Paul Fournel qui nous régale aujourd’hui d’un brillant petit opus Méli-Vélo. Il succède dans sa bibliopédie à Besoin de vélo (paru lui aussi au Seuil) hymne à ce sport qui est plus qu’un sport, à Foraine où une course cycliste venait couronner un roman superbe et plus récemment à Chamboula où la petite reine se fait plus discrète, un roman passé relativement inaperçu lors de la dernière rentrée, ce qui est plus qu’une injustice : une erreur.
Abécédaire de cette langue à part qu’est le vélo et qui condamne souvent les non-initiés à ne rien comprendre aux conversations que leur infligent les spécialistes (qui n’a pas le souvenir d’un terrible dîner où l’auteur présent égrainait la liste de tous les vainqueurs du Tour et menaçait de nous livrer le palmarès de Milan-San Remo avant qu’un astucieux convive ne simule une brutale attaque de goutte ?), mais dictionnaire malicieux où défilent tous ces termes qui ont bercé notre enfance (façon de parler quand elle s’éternise devant le poste largement au-delà de l’âge autorisé), ce Méli-Vélo est un viatique formidable qui alphabétise une passion simple (sans hernie ni Ernaux). Vous saurez tour sur le yoyo, la xanthopsie, la traduction de moult verbes ésotériques comme gicler, visser, toxiner, tirer (gros), sucer (les roues), se refaire la cerise, flinguer, etc, etc, etc…que vous pourrez ensuite habilement glisser dans vos repas en ville lorsqu’un velib soulèvera votre nappe. Si l’œil de votre interlocuteur s’allume lorsque vous aurez osé une incursion dans ce champ lexical, vous saurez alors qu’amorcer un petit débat autour de Lucien Van Imp ou du sieur Lapébie sera tout à fait envisageable et pourra vous conduire sans peine au dessert. Pour l’heure cette friandise argentée apparaît tout juste chez votre libraire devant lequel il sera inutile de se garer en double file puisque la municipalité a pourvu le trottoir de barres métalliques où accrocher votre petite reine qui ne se plaindra pas de cette étrange torture.

4 commentaires

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  1. Faustroll

    eh ! faudrait voir à ne pas oublier André Hardellet, dit le Vecchio, qui pédalait dru avec ses potes Fallet et André Vers. La triplette de Jaligny en somme.

  2. P Simon

    Un joli roman aussi réédité judicieusement par Aubéron et paru initialement en 1959 chez Gallimard : Les Mauvaises routes, premier livre surprenant (et qu’on a comparé à Dabit – c’est Blanzat qui le dit) d’un auteur plus connu désormais pour ses reines moyenageuses que pour son goût pour la petite reine : Pierre Naudin…Grandeur et décadence d’un forçat de la route.

  3. Le cycloliseur

    Je prends mon vélo pour l’acheter de ce tour de roue! Il, manque 325.000 Francs dans la liste, roman écrit par Roger Vaillang : très années 1970, où l’on voit comment un coureur cycliste par amour pour une fille part à la recherche d’argent avec le but d’ouvrir un restau avaec elle… Blondin est le meilleur de tous! J’ai aussi aimé Jean-Louis Ezine « Un ténébreux ». Mention spéciale à Petits cycles de bonheur, de Desprez: une belle écriture, avec des dégagements poétiques, philosophiques, futuristes… en prime, une traversée de Paris et d’autres hauts lieux du vélo.

  4. Daricool

    Vive les velos et vive les livres. Merci pour votre article. DD

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