Imaginez ! Nous sommes au début des années 50, la télé n’existe pas tout à fait encore… Et pour les gamins d’alors, dans une petit ville de province, les loisirs du jeudi après-midi sont rares, on sort à peine des années de l’après-guerre. Imaginez ! Une pièce aux murs tout blancs, une fenêtre unique avec un vieux rideau noir délavé. Il y a quelques bancs, deux ou trois étagères et une trentaine de gamins qui chaque jeudi se retrouve là, au « patro », pour passer l’après-midi. Imaginez ! Sur les murs sont dessinées au pinceau noir, çà et là, quelques vignettes ou morceaux de vignettes de Tintin. Deux dessins sont, pour le gosse que j’étais alors, un peu plus impressionnants que d’autres.
Imaginez ! Voilà la tête de Tintin, apparaissant à peine à la surface de l’eau. Notre héros tente, après avoir sauté du « Pachacamac », de rejoindre à la nage la barque du Capitaine et de Milou (cf. : le Temple du Soleil). Imaginez ! Sur le mur d’en face, une autre vignette, où, émergeant d’un trou noir, surgit la tête d’un horrible gorille, poussant un cri affreux « Raouw » (cf. : L’Ile Noire). Ce dessin de « Ranko » sur ce mur, je le revois encore comme s’il était devant moi.
Imaginez ! Chaque jeudi sont projetées directement sur l’un de ces murs blancs, les aventures de Tintin, grâce au « Filmofix », des images-film de 70mm dont chacune représente la vignette d’une aventure de Tintin. L’animateur du Patro dit lui-même les dialogues, imaginant la voix de Tintin, du Capitaine ou de Milou … En fait, il n’y en a que 3 ou 4 histoires, toujours les mêmes. Mais celle qui revient le plus souvent, c’est « l’Ile Noire ». Elle hantera mon imagination et mes rêves d’enfant, avec quelque chose qui sera pour moi pendant plusieurs années un vrai mystère, ce meuble curieux avec cet écran où l’on voit apparaître l’avion des Dupont & Dupond essayant d’atterrir…
Je ne sais si c’est un signe du destin ou s’il ne faut y voir qu’une simple coïncidence, toujours est-il que cette aventure de Tintin restera celle qui a marqué le plus mon enfance et la télévision, car il s’agit d’elle, ma vie d’adulte…
A noter que dans la première version « album » édité en 1938 (124 planches en noir & blanc) la Télévision, objet très méconnu à l’époque, est évidemment en noir et blanc. En faisant apparaître en 1937 un poste de télévision dès cette première version, Hergé se montrait très moderne. Car si les premiers essais dataient de 1923, l’invention de la télé était encore relativement confidentielle. C’est en Grande-Bretagne que des progrès décisifs venaient d’être accomplis. Et, en 1936, la B.B.C. créait ses premiers studios et émettait douze heures de programmes par semaines.
Quand Hergé décide en 1943 de publier une nouvelle version de 64 pages qu’il dessinera seul, celle-ci sera en couleur et la télévision sera également en couleur. Cependant en 1965 sort une 3ème et dernière version, entièrement redessinée par l’auteur et son équipe à la suite de quelques récriminations anglaises sur des invraisemblances techniques ou géographiques. Hergé en profitera pour faire évoluer l’histoire, ses décors et l’habillement de ses personnages. Dans cette version couleur, bien sûr, la télé est à nouveau en noir & blanc, comme elle l’était, dans la réalité, à l’époque de l’aventure de Tintin. Cela permettra surtout par la suite, au professeur Tournesol d’inventer la TV couleur dans « les Bijoux de la Castafiore », même si l’expérimentation n’est pas tout à fait probante…
Enfin « L’Ile noire », septième album d’Hergé, est à ma connaissance la seule aventure de Tintin qui ait fait de la part d’Hergé l’objet de trois éditions différentes (en 1938, 1943, 1965). Il a été édité en 37 langues.
Octobre 2008
Jean Claude Sire.
Visuel : © Hergé/Moulinsart 2008
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