Un Pélican noir, faisant fi de l’abondante littérature suscitée par ces personnages importants de la « famille Tintin », a eu l’idée de demander à ses compagnons en tintinophilie de se pencher sur les énigmatiques relations entre les fameux policiers quasi homonymes DuponD et DuponT.
Les Dupondt sont parmi les personnages des aventures de Tintin, ceux qui en dehors bien évidemment de Tintin et Milou apparaissent le plus dans l’oeuvre d’Hergé (20 sur 24 albums). Ils viennent égayer les histoires que raconte Hergé, par leurs pitreries, le burlesque de situation qu’ils provoquent souvent à contre courant et il faut bien le souligner leur totale incompétence.
D’aucuns qui les ont bien étudiés, parlent même de naïveté, d’imbus d’eux même, de maladresse innée, de piètres enquêteurs et de loufoques. En fait ils sont tout ce que n’est pas Tintin.
Notre brève étude n’a pas la prétention de dérouler un portrait total des Dupondt, d’autres l’on fait avec talent. Mais la seule ambition des Pélicans Noirs, après leurs multiples discussions, était de savoir si Hergé a souhaité désigner un leader dans ce « couple étonnant »
Ayant été désigné, en mon absence, par l’assemblée générale des Pélicans, c’est donc contraint et forcé mais avec enthousiasme et délectation que je me suis plongé dans les analyses que chaque Pélican a réalisées de l’album qui lui est affecté.
Une question subsidiaire à celle du leadership a été soulevée, celle de la gémellité qui pourrait (ou non) expliquer que seule la forme de la moustache et l’orthographe de leur nom les différencient.
Jumeaux ou sosie
Treize Pélicans ne se sont pas prononcés ou ne sont pas en mesure de trancher, trois refusent l’hypothèse de la gémellité, un seul semble au contraire opter pour cette thèse, un autre enfin émet l’hypothèse osée du couple homosexuel.
La forme de la moustache (droite pour DuponD et en embryon d’accroche-cœur pour DuponT) ne semble pas être un critère pertinent pour nier la gémellité, cette forme n’étant pas déterminée par des facteurs génétiques.
Plus convaincant est l’argument de la différence orthographique. Rien ne peut justifier que des jumeaux portent des noms différents. La déclaration à l’état civil de jumeaux se faisant à priori au même moment il paraît impossible que le même agent administratif ait pu enregistrer sous deux noms différents la naissance des deux comiques malgré eux.
Je connais personnellement un cas de différence orthographique du patronyme de deux frères non-jumeaux puisque nés à quelques années d’intervalle, mais il s’agit de deux déclarations faites à des époques différentes et reçues par des agents différents, l’un ayant transcrit en patois le nom de famille déclaré en français pour son frère
Il faut donc admettre que les Pélicans noirs ne considèrent pas les DuponDT comme des jumeaux. Leur point de vue est confirmé par les DuponDT eux-mêmes, DuponT déclarant à Tintin : « …mon collègue et moi nous détestons dormir tout habillés » dans « On a marché sur la Lune » p.20,2,4. On n’emploie pas le qualificatif de collègue pour parler de son jumeau.
Quant à l’hypothèse du couple, qui pourrait aujourd’hui sembler admissible, elle paraît devoir être exclue si l’on replace l’action dans son époque et dans le milieu culturel dans lequel évolue le père des DuponDT.
Peut-être les noms de DuponD et DuponT ne sont-ils que des pseudonymes plus faciles à porter que X33 et X33bis pour des membres de la police qui se présentent parfois comme des détectives diplômés souvent chargés de missions particulièrement délicates et secrètes.
La première rencontre entre le jeune reporter et les deux policiers se fait donc dans Les Cigares du pharaon quand ces derniers, alors appelés X33 et X33bis dans la première version en noir et blanc, viennent l’arrêter dans sa cabine à bord du paquebot qui les conduit vers I’Egypte.
Qui est le patron ?
Chaque Pélican a étudié avec beaucoup de sérieux son album pour traquer les situations dans lesquelles l’un des deux pouvait paraître dominer son alter ego.
Pour autant que j’aie pu décrypter les contributions de nos analystes, il m’est apparu que dans 4 albums le leadership alterne : les Cigares du Pharaon, le Lotus Bleu, le Sceptre d’Ottokar et l’Affaire Tournesol.
Dans 7 albums il ressort des exégèses pélicanesques que c’est DuponT qui prend
les choses en mains : l’Oreille cassée, l’ Ile Noire (version 1934), le Secret de
la Licorne, le Trésor de Rackham le Rouge, les 7 Boules de Cristal, le Temple du Soleil et On a marché sur la Lune. Cette domination de DuponT est plus ou moins clairement identifiée, tantôt évidente (Objectif Lune et les Bijoux de la Castafiore), tantôt moins affirmée (On a marché sur la Lune).
Mais paradoxalement, dans 4 albums DuponD assume, aussi, le leadership : épisodiquement dans Objectif Lune et nettement dans les Bijoux de la Castafiore mais moins clairement dans le Crabe aux Pinces d’Or et Coke en stock.
Enfin, il a été impossible de départager les zigotos dans 2 albums ; les Picaros et bien évidemment Tintin et l’ Alph’art.
Il faut dire qu’Hergé n’a rien fait pour nous aider dans cette recherche :
D’une part, il n’a jamais donné d’information sur une éventuelle gémellité et, dans plusieurs interviews il a affirmé ne pas s’être inspiré de la gémellité de son père avec son oncle pour la création de ces deux personnages.
Et d’autre part, dans trois albums il a interverti les moustaches qui sont passées de DuponD à DuponT et vice versa : Objectif Lune p.24, 2,3, Bijoux p.58, 4,1 et Picaros p.60,1,2 ! En résumé, et pour synthétiser le travail des Pélicans, on peut affirmer que les DuponDT ne sont pas jumeaux et qu’il n’y a pas de leader dans cette paire de crétins comiques à l’insu de leur plein gré.
L’idée de génie d’Hergé a été d’associer ces deux spécimens car elle multiplie par deux leur imbécillité. Quand l’un énonce une bêtise, aussitôt son compère la renforce par le célèbre « Je dirai même plus… ».
Veulent-ils, passer inaperçus qu’ils se parent d’un déguisement totalement incongru qui attire tous les regards sur eux. Pour mieux souligner leur incurable sottise, Hergé les a dotés d’un langage qui leur est propre, à base de contrepèteries involontaires et de sentence définitives :
« Nous foulons ce sol de la lune où amais la main de l’homme n’a mis le pied »
Haddock, qui a lui aussi son propre langage, les caractérise parfaitement en les traitant d’analphabètes diplômés. Comme l’écrit Pol Vandromme dans Le monde de Tintin, les DuponDT portent le deuil de l’intelligence.
Toujours les mêmes ?
Même dans la seule situation clairement à leur avantage, leur dignité au moment où ils vont être fusillés, (Tintin et les Picaros) DuponD sollicité par DuponT pour prononcer une parole historique avant de passer de vie à trépas ne trouve pas mieux que « Santhéodoriens, je vous ai compris ».
A défaut d’être frères de sang, les cabochards de la bêtise sont frères en balourdise et crétinerie sans qu’il soit possible d’identifier lequel est plus bête que l’autre… Vous pouvez toujours essayer !
les Pélicans Noirs
Bordeaux, janvier 2023
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