Revenir jouir de Francis Poulenc (1899 – 1963) admirablement servi par le chef Georges Prêtre (1924 – 2017) : un beau coffret anthologique d’Erato…

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20nov

C’est un article louangeur « Hommages à Georges Prêtre chez Warner » de Pierre-Jean Tribot, avant-hier 18 novembre sur le site de l’excelent magazine belge Crescendo,

qui a attiré mon regard sur la parution très opportune d’un coffret Erato 5054197 993787 de 7 CDs, consacré à l’œuvre d’un compositeur que j’apprécie beaucoup :

Francis Poulenc (Paris, 7 janvier 1899 – Paris, 30 janvier 1963)…


Hommages à Georges Prêtre chez Warner

LE 18 NOVEMBRE 2024 par Pierre Jean Tribot

Georges Prêtre dirige Poulenc. Francis Poulenc (1899-1963) : œuvres diverses. Solistes, chœurs et orchestres, direction : Georges Prêtre. 1959-1988. Livret en français, anglais et allemand. 7 CD Warner. 5054197 993787.

Warner rend hommage au grand Georges Prêtre avec un petit coffret _ de 7 CDs _ qui reprend ses enregistrements Poulenc et quelques rééditions numériques de ses gravures iconiques pour la firme française de EMI France, désormais propriété de Warner Classics.

Avec sa collaboration avec Callas, celle avec Françis Poulenc est l’autre association artistique légendaire _ voilà _ de la carrière du chef nordiste (Waziers, 14 août 1924 – Castres, 4 janvier 2017 _ qui aurait célébré ses 100 ans cette année.

Le jeune chef avait amorcé cette collaboration à l’occasion de la création de la Voix humaine dans la fosse de la Salle Favart avec Denise Duval. Le compositeur était tellement heureux qu’il déclara “tous deux vous êtes tellement moi que c’est comme si je me dédoublais”. L’enregistrement qui en suivit, repris dans ce coffret _ merci !!! _ , est un pilier de l’art de l’interprétation de ce chef d’œuvre unique _ absolument.

Georges Prêtre fut la cheville ouvrière pour EMI d’enregistrements sous la houlette bienveillante du compositeur _ oui _, mais le coffret pour éviter de doublonner avec une précédente parution Warner “Poulenc, oeuvres complètes” propose un équilibre entre les gravures historiques et les remake du chef tout au long de sa carrière.

On retrouve ainsi les Concertos pour piano (pour piano et pour deux pianos) avec Gabriel Tacchino et Bernard Ringeissen, en 1983, avec l’Orchestre philharmonique de Monte Carlo, un album orchestral  avec le jeune Orchestre de Paris en 1968  (Sinfonietta, Suite françaiseMariés de la Tour Eiffel) et le diptyque sacré Stabat Mater et Gloria avec l’Orchestre national de France et le Choeur de Radio France enregistré en 1988. L’ensemble n’est en rien une intégrale, plutôt une très large sélection _ voilà _ car si on est ravis de retrouver les Biches en version complète avec chœur, on regrette de ne pouvoir entendre que la Suite des Animaux modèles car le maestro n’a hélas pas enregistré l’intégrale du ballet.

Prêtre est évidemment à son affaire par un style énergique et tranchant _ voilà _ qui vivifie ces œuvres. On se régale des sonorités très typées des orchestres parisiens d’alors, avec des timbres assez crus et verts, qui renforcent l’ironie et l’humour de ces partitions _ c’est très juste. Les prises de son EMI France n’ont jamais été des modèles hifistes, il faut passer sur une plastique sonore, elle aussi abrupte. Mais ces gravures sont de belles références malgré quelques déception comme une Barbara Hendricks hors style dans le Stabat Mater et le Gloria.

En numérique et seulement en numérique, Warner remet en ligne l’intégrale des Symphonies de Saint-Saëns et le poème symphonique La jeunesse d’Hercule avec les Wiener symphoniker, un album Marcel Landowski (Symphonies n°1, n°3, n°4et Concerto pour violon)  avec Patrice Fontanarosa et l’Orchestre n national de France mais surtout un magistral album d’Indy avec l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo dans le Poème des rivages et le Diptyque méditérnnéen, un album fauviste, gorgé de lumières méridionales qui fait briller l’art de d‘Indy comme jamais. On aurait aimé que Warner nous rende deux autres gravures : la Symphonie du Nouveau monde avec l’Orchestre de Paris (avec Jean-Claude Malgoire au cor anglais) et laDamnation de Faust avec ce même orchestre de Paris avec Janet Baker, Nicolaï Gedda et Gabriel Bacquier. Du Georges Prêtre, on n’en a jamais assez !

Note globale 9-10

Ce mercredi 20 novembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et l’ultime chapitre, « Le chat et le château », autour de la question que se disait et écrivait Derrida : « N’est-il pas temps de vivre à la fin ? », mais « Qu’est-ce que ça veut dire à la fin ? » ; ou la question reprise et complétée, enrichie, comme chez Montaigne, du vivre et démourir à la fin en sa vie…

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19nov

L’intitulé du tout dernier chapitre, le onzième, aux pages 113 à 137 de ce passionnant recueil un peu composite _ mais c’est parfaitement assumé, et même totalement voulu par l’autrice _, qu’est ce très riche et profondément méditatif « Et la mère pond vite un dernier œuf« , et qui s’intitule de façon un peu provocante « Le chat et le château » _ surtout mais pas seulement ceux, chat et château, de Montaigne, bien sûr ; aussi ceux d’Hélène, ses chats successifs aussi (elle les nomme), depuis 1994 peut-être, ainsi que son propre château : sa tour d’écriture où elle se claquemure chaque été aux Abatilles, pour être seule à seule en son échange hyper-animé, toute exclusivement dédiée au seul dialogue endiablé, comme cela se remarque en chacun de ses livres depuis pas mal de temps, avec ses chers spectres revenant là reprendre-continuer-poursuivre le plus naturellement du monde leur ultra-vivante conversation stimulante, un jour idiot de mort du corps stupidement interrompue, mais qui peut ici avoir la grâce de reprendre comme si aujourd’hui c’était hier tout simplement et en toute évidence repris et continué, dès les six heures du matin (de ses conversations téléphoniques avec l’ami Jacques Derrida, par exemple, ici interlocteur privilégié), comme si rien du tout n’était si bêtement venu l’interrompre de son blanc vide, ligne téléfaunique en momentané dérangement, en son très effectivement magique fécond à profusion « rêvoir » de l’écriture ; à la façon de Montaigne en dialogue enchanté permanent, déjà, avec les Muses de ses poutres peintes ou gravées de maximes pense-bêtes, des très chers livres de sa précieuse librairie soigneusement rangés à portée de main sur les étagères en rond face à lui, dont son si précieux exemplaire de Bordeaux à revenir, « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , et face au ciel de son admirable fenêtre, annoter d’ajouts, de diverses couleurs ; de même qu’Hélène reprend ici ses anciens Cahiers (dont celui de 1995 : à la date du 5 novembre, notation des séismes planétaires simultanés des morts d’Isaac Rabin et de Gilles Deleuze, la veille, le 4 novembre) ; sans oublier les danses caressantes furtives, à leur entière guise, de leurs respectives chattes, inspiratrices superbes d’initiatives d’échanges de signes totalement imprévues, par leurs mouvements subtils à entreprendre de décrypter : les animaux, et sans mentir, viennent eux aussi nous parler… _, porte sur la question du vivre et démourir en sa vie, à la fin _ « mais qu’est-ce que ça veut dire : à la fin« , page 113 _,

posée par Jacques Derrida _ dont Hélène se souvient avec délices de leurs réguliers richissimes échanges téléphoniques de l’aube, à 6 heures du matin _, Maurice Blanchot, Gilles Deleuze, Kafka ou Montaigne….

Je prends le chapitre à son début, sa superbe ouverture _ idéalement derridienne _, page 113 :

« La vie quotidienne de la Déconstruction ?

J’étais bien embêtée

Montaigne ayant déjà tout dit _  tiens donc !

La déconstruction _ c’est la vie quotidienne, son souffle _ au fil de la durée qui nous est accordée.

L’ordinaire extraordinaire. Et vice-versa _ c’est-à-dire l’extraordinaire qui vient faire parfois, voire un peu plus souvent, l’ordinaire des créateurs.

Chaque jour, dit Kafka, il s’agit de vivre et de ne pas mourir, cela peut s’entendre activement ou passivement _ en effet ; et pour beaucoup, la plupart probablement, c’est plutôt passivement, et ce sont alors en effet la lassitude et l’ennui qui gagnent insidieusement, peu à peu, du terrain, et finissent par l’emporter et emporter à la tombe celui qui n’en peut plus de sa déconstruction-débandade-débacle-naufrage : « Ich habe genug » ; et Deleuze, emboitant le pas à la fêlure de Francis Scott Fitzgerald : « toute vie est, bien entendu, un processus de démolition« , qui nous a jadis marqué, dans « Logique du sens« .

Lorsque Jacques Derrida a écrit, écrit enfin : quand mourir enfin ? c’est que, en ayant assez _ lui au moins _ de mourir chaque jour, il se disait : n’est-il pas temps de vivre à la fin, mais qu’est-ce que ça veut dire : à la fin

Le matin, il disait : quoi de neuf ? Sur ces mots la déconstruction avait commencé. Le neuf est-il neuf ? En quoi l’est-il ? Combien de temps ? Tout est toujours plus ou moins neuf que la dernière fois, le temps de vieillir _ la neuveté peut parfois, et finit par, s’épuiser, même pour ceux qui ont choisi de « vivre et ne pas mourir » activement : la dépression l’emportant, peut alors et pour de bon emporter…

Que va-t-il nous arriver ? Tout n’arrête pas d’arriver _ en effet, dans la survivance continuée du vivre les accidents (et imprévus) ne manquent jamais de se succéder  _, tout ce à quoi on ne s’attendait pas, à quoi on n’aurait jamais pensé, à quoi on n’avait encore jamais pensé

Quoi ? Par exemple un chat _ et ce choix d’exemple d’un chat n’a rien d’innocent ! _, ou une phrase, une énigme quoi _ qui réclame son décryptage, une méditation un peu creusée…

Pour garder ce qui se passait, de passer _ telle est donc la fonction préciosissime : retenir, maintenir, conserver au moins une trace et si possible écrite : l’écrit fait bien foi… _, je tendais le filet d’un cahier _ voilà : annuel, pour Hélène.

Quand le chat, amour et douleur infinis, est-elle arrivée ?

C’était en 1994 _ se souvient ici Hélène. Et depuis je n’imagine pas vivre sans chat. Suivons le chat. Elle nous mène d’un bond en 1995 _ et son cahier, donc. Que faisions-nous en ces mois«  _ et Hélène d’entreprendre ici, page 114, le dialogue actif et ré-inventif de sa relecture, ce mois de février 2021 d’écriture, de son cahier de 1995 ainsi repris.

« Tous les jours nous pensions _ Derrida et elle. Tous les jours nous pensions à penser et dès la première heure nous nous y mettions _ s’y mettre est en effet nécessaire : il faut activer le reçu qui sinon demeurerait passif et bien morne, quasi mort-né, stérile… Au téléphone, cela  _ penser _ se joue à deux _ et ce ping-pong de relance, en effet, aide bien à jouer à penser… _, chacun (de nous deux) se demande, donc demande à l’autre, comme le rappelle Jacques Derrida, à quoi penser tant qu’il fait jour, nous avons des devoirs de penser en attente, en instance _ incitatifs, dynamisants _, et là-dessus la journée apporte _ d’elle-même aussi, incidemment et accidentellement _ plus d’un sujet inattendu à penser _ des surprises. J’ai dit « jouer », c’est là le travail le plus sérieusement humain qui nous attend. Jouer c’est travailler _ en se livrant à l’imageance giboyeuse-joyeuse _, avec le plaisir _ puissant _ de satisfaire un appétit vital, un besoin inquiet. C’est que tous les jours il nous faut nous mettre à penser le monde et (le) moi, tous les deux, l’un par et à cause de l’autre _ en un vigoureux dynamisme de l’échange doublement respiré-inspiré. (…) Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de jours sans communication _ entre eux deux, Hélène et Jacques. Jouer à penser, c’est-à-dire penser vers l’autre pensée, penser à la pensée de l’autre, s’exercer à penser à penser _ et ne pas l’oublier _, s’aiguiser, s’affûter, se polir, s’apaiser, c’est la vie quotidienne de l’amitié _ archi-vivante et fécondante. La lame et l’âme de l’amitié, le fil, le lien qui n’attache pas _ ni ne pèse _, qui continue, porte _ et emporte, exalte, enthousiasme, enflamme _ la parole

En tant que puissance de la communication d’âme à âme l’amitié est l’appareil téléphonique _ de transport de penser _ par excellence

Avant le téléphone on pouvait _ déjà _ téléphoner _ par delà la distance physico-géographique qui sépare les corps physiques _ sans téléphone. L’amitié appareille _ tel un vaisseau, trans-atlantique, trans-pacifique, etc. Apparie _ fait la paire. S’exprime entre pareils _ l’amitié égalise instantanément et à jamais, pour le toujours de l’éternité (sans considération de temps) ! A six heures du matin _ aux alentours de l’aurore ouvrante aux délicats doigts de rose  _ on se disait : « J’allais t’appeler. » On appelle avant d’appeler. On téléphone avant de prendre l’appareil. La vie marche au téléphone _ aux dialogues instaurés, tenus, entretenus, vivifiants, exaltants.

Avant l’appareil magique, on communiquait par téléphone lent _ c’est ça _, par courrier, lettre, correspondance, on s’écrivait l’un l’autre _ telles Madame de Sévigné et très chère sa fille Madame de Grignan, au rythme des courriers institués des malles-postes : deux, puis trois fois par semaine entre Paris et Grignan… On ensemençait la distance avec des graines _ magiciennes _ de proximité _ affective, voire passionnée _, de nouvelles espèces de mots _ même néologisant… _ germaient.

Tous les jours ou presque, on se sera écrit _ Jacques et Hélène _ par téléphone« 

Telles sont les trois premières enthousiasmantes pages, 113-114-115, de ce lucidissime chapitre « Le chat et le château« , qui vient clore en beauté le recueil des onze chapitres constituant ce beau livre méditatif et varié ; et dont Derrida et Montaigne sont les deux principaux très amicaux interlocuteurs, de génie.

Avec aussi ce passage, aux pages 118-119, introduisant plus précisément le chat et le château (de Montaigne) qui vont fournir le titre du chapitre terminal conclusif de ce livre-ci :

« Et ce jour-là _ le 4 novembre 1995, date gardée par le cahier de cette année-là _, des mots _ c’est-à-dire aussi bien sûr des maux _ sont arrivés. Comme des chatons _ mis bas par la chatte. Ils sont là. on ne peut pas les chasser. Petites créatures qui ne passent pas, qui se mêlent peu à peu, puis désormais, à tous les sangs de l’âme _ nous comprendrons plus loin pourquoi : les disparitions sanglantes de Yitzhak Rabin et Gilles Deleuze, ce même 4 novembre 1995. C’est qu’il y avait destin _ funeste, fatal, maudit. Le destin est là bien longtemps avant de se faire connaître.

Ce jour-là, il était arrivé un mot et un chat. Le mot avait son ombre _ mortelle. Le chat était aussi une chatte. Le jour dont je parle aujourd’hui de fin juillet _ en la maison d’écriture d’été des Abatilles.

C’était l’été. On le reconnaîtra. C’était l’été du chat et du château _ visité, comme souvent, à Montaigne… En réalité. Prenez un chat et un château, combinez, agitez les dés, jetez : le résultat _ des maux, en cascade _ est innombrable. Le Chat et le château venaient d’arriver dans nos existences et par suite dans les textes _ qui les gardent. Ou inversement, on ne sait jamais qui cause quoi.

C’est un lundi. L’un dit : Je travaille sur le chat et le château. Dant tout ce que j’ai réécrit sur Blanchot (car sur Blanchot on n’écrit pas, on récrit) le château et le mot demeure ont pris une place extraordinaire. L’autre dit : et le château ? Est-ce là un mot ou un chat ? Un chat-mot. Il est six heures c’est l’heure des mots. Le château dit : moi le château, d’abord castel, castle, depuis le latin je châtre, je coupe, sépare, tranche. _ Tu savais que le château châtre ? L’un dit : comment va-t-on traduire ça en allemand ? Moi, je ne le savais pas, mais ma langue qui-sait-tout y avait pensé.

Et ici commeça une conversation autour du château adoré, le mien _ le mien aussi : j’y suis allé plusieurs fois à pied depuis chez moi, à quelques kilomètres, en passant la Lidoire _, celui de Montaigne _ sur son tertre venté. Un château, dis-je, est une forme de déconstruction non théorisée, impossible de décider à quelle intention il répond, doit-il s’ouvrir à l’autre ou le repousser, qui sépare qui de quoi ou qui, la tour sépare-t-elle l’âme de Montaigne du monde, ou donne-t-elle sur le monde _ par sa fenêtre grande ouverte sur le bleu du ciel… _, le monde n’est-il pas la tour ? Selon Pierre Eyquem _ le père de Michel Montaigne _, le château est une armée, une forteresse, un bâtiment de guerre, il est construit sur l’idée de l’attaque et de l’exclusion. Selon Michel _ le fils de Pierre Eyquem _ le même château se défend d’être armé, il s’offre, sa force est dans son ouverture _ pacifique, en plein cœur des guerres de religion qui font rage et auraient pu décourager… Pas Montaigne… _ à l’autre. Selon Kafka, le Château est décidé à être Schloss, fermé, dehors l’étranger ! Neutre. Ou Burg, féminin.

Le cheval de Montaigne s’appelle Job. La chatte a un nom de jeune femme romaine. Ma chatte de ce lundi s’appelle Thessalonique. Plus tard elle s’appellera Philia. Aussi Aletheia. Une chatte ne meurt qu’un moment, sitôt partie elle revient et se transmet _ de mère en fille. La dernière fois que j’ai vu la chatte de Montaigne elle s’appelait Balzac. Du temps avait passé. Cet été-là, elle était chat. On le sait, tout chat est indécidable _ il en fait à sa tête ; on ne le dompte pas _, la plupart du temps », pages 118-119.

(…)

« Plus tard le Château s’éloigne, à sa place demeure le mot Demeure » _ chez Derrida, après Blanchot ; pas chez Montaigne, ni Kafka… _ : voilà au moins pour le chat du château de Montaigne…

 

 

Ce mardi 19 novembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et maintenant au tour du chapitre « Max und Moritz, et ma mère », ou la remontée à la toute première source, en novembre 1942, du somptueux réalisme tragico-hilarant d’Hélène Cixous ; parce que « Guerre est le combustible de la littérature » et « l’écriture, c’est la guerre » ; ou le désopilant hyper-réalisme du tragique cixoussien…

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18nov

En mon article d’hier dimanche « « ,

j’ai commencé à anticiper, par une citation un peu développée, ce que déploie, de la page 94 à la page 112, le chapitre « Max und Moritz, et ma mère« , et qui va, au passage, donner mine de rien au livre son titre : « Et la mère pond vite un dernier œuf » : son caractère formateur, sans le vouloir de la part de la mère-montreuse-de-marionnettes et narratrice aussi d’onomatopées significatives, ventriloquant les personnages de Max und Moritz de Whilelm Busch pour distraire ses deux enfants, Hélène et Pierre, des bruits terrifiants de la guerre au dehors de leur appartement du deuxième étage du 54 de la Rue Philippe à Oran, au mois de novembre 1942…

Et re-voici donc ce passage in fine décisif pour le titre élu et retenu par l’autrice de ce livre-recueil :

« J’ai commencé à réfléchir _ à l’âge de 5 ans, déjà _ sur les mystères du texte et les secrets _ des charmes envoutants _ de la littérature, rue Philippe à Oran pendant la guerre, en suivant ma mère en visite chez ces vauriens de Max et Moritz. Moi qui hurlait quand on me donnait l’ordre de manger un peu de poulet, une rareté précieuse sur une table famélique, je dégustais avec ravissement les vers suivants _ de Wilhelm Busch _ :

Hahn und Hühner… Coq et poules avalent l’hameçon

Les voilà pendus à la dure branche de l’arbre

(…)

Le cou des quatre pendus s’étire démesurément, leur chant s’angoisse également. Et ce qui me fait mal à crier me séduit par la musique des mots _ voilà ! de l’importance du jeu infiniment charmeur des signifiants sur les signifiés, et qui plus est dans la confrontation d’une langue à une autre… Les poules meurent en chœur, rime rime avec crime, les vers tapent du pied. J’avais beau hurler d’angoisse jusqu’au ciel avec les poules _ en passe d’être, sur le champ, massacrées : c’était en novembre 1942, à Oran, 54 rue Philippe, qu’Hélène, 5 ans, écoutait ainsi sa mère jouer-incarner en marionnettes confectionnées de sa main les contes tragico-archi-comiques de « Max und Moritz » (1865) de Wilhelm Busch (1832 – 1908)…  _, en tant qu’œuf  _ sic ! _ j’étais contente que ma mère ponde vite une dernière fois » : des bombes pleuvant alors dru, ce mois de novembre 1942, lors de l’Opération de libération Torch, sur Oran.

Et à la page 104, encore ceci qui éclaire encore d’une rincée, une louche, ce titre du recueil :

« Dans sa chambre ma mère centenaire _ Eve Klein (Srasbourg, 1910 – Paris, 2013) mourra le 1er juillet 2013, âgée de 103 ans  _ ne lit plus que Max und Moritz. Elle se prend pour une poule prête à _ et près de _ trépasser. Mais il y a dans ces images insupportables _ de Wilhelm Busch _ de quoi la faire pondre de rire.

Ce que m’apporte _ me révèle _ Wilhelm Busch : le rire dans l’horreur »…

Ce nouveau chapitre-ci s’inscrivant parfaitement, lui aussi, à son tour, dans la veine auto-explicitante _ mais en rien, surtout pas, didactique : tout vole et rit ici…  _  de l’œuvre entier _ et c’est considérable ! _ d’Hélène Cixous, que constitue ce recueil d’apparence a priori un peu composite de 11 textes-chapitres _ selon la présentation même de l’éditeur, en note d’avant-propos de précaution, à la page 9 du livre _, en en présentant le caractère comico-tragique…. 

Voici le début-cadre de ce récit, aux pages 94-95 :

« Dehors, c’est la guerre. Après l’alerte de la nuit les sirènes ont lancé leurs youyous dans l’air noir percé de feux de Bengale de la DCA _ des troupes vichystes qui tiennent la ville et ses forts _, la Ville _ d’Oran _ fait encore l’escargot, il n’y a personne dans les rues, sauf les jeeps. Dedans _ dans l’appartement du deuxième étage Cixous-Klein-Jonas du 54 rue Philippe _, il fait donc chaud et tendre, comme si l’on venait de naître, le monde est un gâteau encore tiède, l’enfance _ Hélène a 5 ans et son petit frère Pierre tout juste 4 _ c’est le paradis encerclé par la mort, un délice. Désormais il y aura toujours _ voilà ! à vie… _ pour mon for intérieur cette terre à deux univers. Hier mon frère _ petit Pierre _ a été écrasé par une jeep sur la Place d’Armes, et il n’est pas mort. Il a été couronné petit malade principal _ à dorloter _ de la maison. C’est pour lui que ma mère devient d’un jour à l’autre metteuse en scène, auteur de théâtre et Grand Maître du Livre _ qu’elle interprète pour ses enfants. Alors elle crée. En premier lieu, elle fabrique l’homme. Puis la femme. Ce sont des marionnettes qui ont la dimension de sa main. Le peuplement croît vite. Le théâtre du monde est dans la chambre. Entrent tous les personnages de Shakespeare et des Grecs, parmi lesquels plusieurs paires de Roméo et Juliette, un Hitler complet un seul, deux professeurs avec lunettes et sans, une concierge avec balai pour balayer les débris des personnages _ battus et abattus _, une Bécassine anti-Hitler, et en haut de l’affiche Max et Moritz, sacripants, et désormais nos éternels inséparables. Les tréteaux, c’est le pied du lit du blessé. Le répertoire est bilingue, en vedette l’allemand et le français, compères lurons, joyeux larrons, l’un parlant l’autre, avec l’infime sel d’un accent, l’un tirant la langue à l’autre. Et la voix grave de Maman. Ce fut alors que Maman nous présenta le Créateur de la Littérature. C’est un Satan pour enfants, un dieu moqueur, un savant, un satyre, un généalogiste de l’amorale, et ce fabuleux philosophe-artiste, chantre de l’art pour lard, ma mère, qui l’a eu pour pédagogue, l’appelle Wilhelm Busch, dans sa langue. Dans notre langue il s’appelle Vilaine Bouche. Qu’est-ce qu’il y a dans un nom ?

Je dois tout _ confie ici Hélène écrivaine _ à Wilhelm Bouche, tout ce qui fait le brouet enchanté. Dès qu’on l’a goûté il transfigure la réalité en littérature. Qui en a pris une louche au premier tour, en aura sur la langue, et donc jusqu’à la cervelle, le piquant, le souffle, la recette, les mots et clés de la littérature, jusqu’à son dernier jour _ voilà, voilà. Wilhelm Bouche c’est Rimbaudelaire interprété _ voilà : joué et incarné _ par ma mère au 54 rue Philippe à Oran, c’est-à-dire , avec une pincée d’accent allemand volontaire, Reinbotdelehr. Saint démoniaque, Busch est le chroniqueur sans peur ni proche des malheurs et méfaits de la petite humanité. Il en montre tout le mal possible. Le monde entier est un cirque, pense-t-il et einszweidrei, en un mot tous les maux, comme le dit l’allemand, berceau linguistique du génie d’Einstein, celui qui fait d’une pierre Ein Stein à tous les coups _ qu’est-ce qu’il y a dans un nom ? _ en piste ! et tout un peuple de benêts, de petits monstres, de maltraités, oncles, tantes, animaux, bourreaux, se presse dans ses spectacles en vers et en images  » _ voilà le décor splendidement reconstitué et planté.

Et le récit continue ainsi page 96 :

« La cruauté est la clé de l’homme _ nous y voici donc… La vengeance est un pain quotidien. Bons sentiments : zéro _ éliminés à plate-couture. Chacun est armé contre la justice avec les moyens du bord. On vole. Un dos tourné : on saute sur l’occasion. Une mare ? On y noie ce monsieur, ou cette demoiselle. On mord. On meurt à qui mieux mieux et pas n’importe comment.

(…)

Max et Moritz, nos affreux petits camarades, sont à tort et à tue avec tout ce qu’ils peuvent zigouiller sans distinction de sexe ou d’espèce, pas une poule _ tiens, les voici déjà… _ qui échappe à leur jubilation, jusqu’à ce que leur propre mort s’ensuive. Après tout, ils ont eu droit à bien des pages, au suivant !«  _ et c’est bien sûr désopilant.

Et pages 97-98 :

 « Il n’y a rien à manger, dit ma mère _ ce mois de novembre 1942 à Oran _, sauf des vers. Tout le monde se régale. Ce qui est étrangement étonnant, c’est que, la bouche pleine de vers et de côtelettes de chien, on pouffe de rire de ces horreurs _ voilà. La littérature, c’est ça ? Avec la même scène, Euripide me tire des frissons, avec Sophocle je pleure, Busch me fait rire aux larmes. Comment expliquer cela ? _ et dans le jeu de la prose d’Hélène Cixous sans cesse ces modes et styles en permanence se chevauchent et rebondissent, pour notre formidable jubilation !..

_ Demande à ce convive familier. C’est le jeune Sigismund Freud. Lui aussi est un élève _ lecteur fervent _ de Wilhelm Busch.

C’est en suivant les farces atroces de Max et Moritz que le lycéen a fait l’expérience des mystères de la Prime de Plaisir. Où l’on peut jouir, sans culpabilité, de tout ce qui se moque de tous les commandements. Sans Busch, pas de psychanalyse, Les pulsions s’en donnaient à chœur joie chez les deux Bösenbuben, Max et Moritz Vilains Vauriens nos semblables nos frères. Pour les enfants c’est un festin. Le Chef  Busch, c’est Homère pour les petits, à chaque chant son jet de sang ». 

Et c’est ici, à la suite immédiate de ce passage, que prend place, pages 98-99, la longue citation déjà donnée en mon  article précédent, de la pendaison des poules, et le dernier œuf vite pondu de la mère, qui va donner son titre plutôt comique à l’ensemble du recueil…

Puis :  « dehors c’est toujours une autre guerre. Bang ! dehors ! Plump ! Platsch ! dedans ! La fin de Max et Moritz c’est La Colonie Pénitentiaire _ de Kafka, mais lui aussi est d’un constant monstrueux irrésistible comique !.. _ pour écoliers du primaire, la machine à débiter les polissons est nettement plus rapide que l’invention sophistiquée de la colonie, car elle est adaptée à l’économie libidinale toujours hâtive _ certes _ des criminels de sept ans, ceux qui tirent la langue aux passants, torturent les animaux et passent d’une farce à l’autre les deux poings dans l’aine. Et ma mère en fouettant Busch avec Rimbaud, écrit l’aîne avec un h au crayon _ dans le livre même.

Quand dehors ça canarde et dedans ça rime avec poignarde, que la mort est Herr Tod, le voisin au balai impassible, c’est la première comédie de ma vie _ à 5 ans. C’est une tragédie. Qu’une tragédie soit une comédie, c’est une tragédie. Qu’une comédie soit une tragédie refoulée, Wilhelm Busch le formule ainsi : « Das Gute _ dieser Satz steht fest _ / Ist stets, was man lässt  » Comment traduire lässt ? se demande ma mère« 

Et le texte se poursuit, page 100 :

« Ma mère lit Wilhelm Busch acrobatiquement. Jongle un mot avec un moqueur prochain. Avec oreille et énergie. Les vers militent, les bombes tonnent. Cravachés par sa voix grave les sons courent après les sens. L’allemand sautille avec une gaieté de chat botté. A tout moment il peut se retourner en français. Quel plaisir quand les frontières violemment barbelées en « réalité » se trouvent allègrement déjouées par des accords de coopération linguistique. Entre êtres vivants, les parlers sont naturellement translingues, ainsi s’ébattait Wilhelm Busch, il y a déjà plusieurs grandes guerres de cela, entre chien et humain comme entre allemand et français, on s’entendait bien en s’entretraduisant,

« Alleh, Plisch und Plum, apport ! »

Tönte das Kommandowort.

Les vers français langourent moins, ils attrapent une certaine vigueur militaire que l’allemand leur inocule. Ces deux-là sont des compères, ils se foutent la paix dans la figure. Je n’imagine pas jouer l’un sans l’autre. L’horrible est pire s’il est furchtbar, la catastrophe est trochaïque. Ach ! Comme la mélodie d’une langue nous embobine _ dont acte.
A Oran sous la guerre, sous la musique de ma mère, j’en ai fait l’expérience, tout ce qui ne peut pas se dire, peut se dire : il suffit d’
écrire, c’est-à-dire traduire, ce qui ne peut pas se dire en français peut en s’étrangeant se faire entendre autrement outrallemant.

Avec ma mère, « traduire » n’aua jamais été que bondir en extraordinaire liberté, je veux dire « bondire », ne jamais parler en moins de plusdunelangue rire d’un mot avec l’autre, néologer à volonté, d’une trouvaille idiomatique faire deux coups de couleur, elle ne traduit pas, elle ne met jamais une langue au service de l’autre, il s’agit toujours d’une danse _ voilà : effervescente _, d’un pas de deux, d’un acccroissement de plaisir _ oui _, d’une taquinerie, d’une émulation, d’une prime de séduction, suis-moi ! dit le français à l’allemand, sois-moi (sois toi) aussi sûrement infidèle dit l’allemand aussi librement fidèlement _ file devant, plaisante-moi _ qu’un trapéziste à ses trapèzes, avec les petites difficultés jongle, elle ne traduit pas elle joue des deux  » : ça virevolte très effectivement, et c’est magnifique !

Et un peu plus loin, page 102 :

« Tout se passe avec guerre. Pas de guerre sans résistance, sans guerre à la guerre, sans fuite, sans interventions de liberté, sans ruse. Et sans littérature. Pas de jeu de mort sans jeu de mot. Et pas de littérature sans les nerfs de la guerre, les énergies furieuses, les colères, et les révoltes contre les condamnations et les injustices. Guerre est le combustible de la littérature _ voilà, voilà. Ma mère ne connaissait pas Homère, mais elle l’était _ lire ici l' »Homère est morte » d’Hélène Cixous, paru en 2014. A Osnabrück et environs c’était l’Iliade recommencée et par la suite pour ma mère, son peuple et ses familles, c’était l’Odyssée. La route est très accidentée, à chaque halte on perd des membres de l’équipage.

A la fin ne reste que celui que le sort a choisi pour faire le récit des nombreux chapitres de la ruine _ le témoin ultime, s’il survit et témoigne. Puis le reste est silence« , page 103.

Et page 108  :

« A Oran, faute de merles on mangeait les vers de Busch. Qui dort dîne, ma mère a appris le dicton et nous met au lit pour le dîner. Sans pain, sans beurre, mais pas sans Wilhelm Busch. (Cependant à Theresienstadt, la famille… sans son chien à manger, mais je l’ai déjà conté.)

La vie est une fatalité d’ironie dramatique, un enchaînement de chances qui ébranlent le sens _ c’est superbe ! Nous sommes des mouches pour les dieux garnements, as flies to wanton boys are we to th’gods (ils jouent à nous tuer) ils nous tuent pour s’amuser. Comme le dit Wilhelm Busch. Il s’amusent à nous tuer.

ça valait la peine que mon frère se fasse écraser par la jeep : à la fin on s’en tirait« .

Quelle leçon ! et pas seulement de style !

Ce lundi 18 novembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et encore un somptueux fondamental chapitre sur le lait-legs nourricier de la littérature : le chapitre « Le legs empoisonné _ Laisser ses livres », un fécondissime pharmakon, entre la perte, en 1948, du père Georges Cixous (et l’aubaine de sa bibliothèque), et l’interruption à venir, en 2004, du formidable dialogue entretenu avec l’ami Jacques Derrida : quand reste et tant que demeure une conversation nourrie avec les auteurs de vraie littérature (et philosophie), via les livres que ceux-ci nous ont laissés-destinés ad libitum…

Posté dans la catégorie Blogs, Littératures, Philo par Titus Curiosus

17nov

Et voici maintenant, de la page 77 à la page 93 de ce recueil décidément absolument indispensable qu’est ce tout récent « Et la mère pond vite un dernier œuf« 

_ il nous faudra bien sûr revenir sur le choix de ce titre plutôt comique donné à ce recueil, dont la source se rencontrera un peu plus loin, au chapitre suivant, « Max und Moritz, et ma mère« , aux pages 98-99 :

« J’ai commencé à réfléchir sur les mystères du texte et les secrets de la littérature, rue Philippe à Oran pendant la guerre, en suivant ma mère en visite chez ces vauriens de Max et Moritz. Moi qui hurlait quand on me donnait l’ordre de manger un peu de poulet, une rareté précieuse sur une table famélique, je dégustais avec ravissement les vers suivants :

Hahn und Hühner… Coq et poules avalent l’hameçon

Les voilà pendus à la dure branche de l’arbre

(…)

Le cou des quatre pendus s’étire démesurément, leur chant s’angoisse également. Et ce qui me fait mal à crier me séduit par la musique des mots _ voilà ! Les poules meurent en chœur, rime rime avec crime, les vers tapent du pied. J’avais beau hurler d’angoisse jusqu’au ciel avec les poules _ c’était en novembre 1942, à Oran, 54 rue Philippe, qu’Hélène écoutait ainsi sa mère jouer en marionnettes confectionnées de sa main les contes tragi-archi-comiques de « Max und Moritz » de Wilhelm Busch…  _, en tant qu’œuf j’étais contente que ma mère ponde vite une dernière fois » : des bombes pleuvant alors, ce mois de novembre 1942, sur Oran.

Et à la page 104, encore ceci qui éclaire ce titre du recueil :

« Dans sa chambre ma mère centenaire _ elle mourra le 1er juillet 2013, âgée de 103 ans  _ ne lit plus que Max und Moritz. Elle se prend pour une poule prête à trépasser. Mais il y a dans ces images insupportables _ de Wilhelm Busch _ de quoi la faire pondre de rire.

Ce que m’apporte _ me révèle _ Wilhelm Busch : le rire dans l’horreur », commente Hélène ; j’y reviendrai en l’article suivant… _

un autre somptueux fondamental chapitre sur le lait-legs nourricier _ pour le non tari (« tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , et bien sûr de la force de vie…) si fécond « rêvoir » à l’œuvre d’Hélène : formidable pharmakon à son inénarrable façon à elle, à son tour… _  de la littérature pour Hélène Cixous : le chapitre « Le legs empoisonné _ Laisser ses livres« , un fécondissime pharmakon d’intarissables conversations poursuivies, vaille que vaille, à la guerre comme à la guerre, et à-la-va-comme-je-te-pousse et m’inspire-respire-expire-souffle _ entre lire les livres de la Bibliothèque, puis penser-panser, rêver en son « rêvoir », et soi-même allant se livrer corps et âme à la jubilation terrible et hilarante de son écrire… _, entre la blessure à panser de la perte sans legs écrit, ni même dit _ seulement la collection de volumes Nelson de sa bibliothèque ainsi laissée sans mot dire de sa part… _, du père Georges Cixous, le 2 décembre 1948, à son décès, et l’interruption à venir le 9 octobre 2004, au décès à lui aussi, l’ami Jacques, du formidable dialogue-conversation _ aussi par téléfaune, puis au « rêvoir« , via les livres laissés de l’ami parti, qui lui-même songeait fort à son propre posthume… ; cela, nous le verrons au chapitre terminal, et lui aussi évidemment capital, de ce livre-ci, aux pages 113 à 137, intitulé « Le chat et le château » : tout, en cet admirable indispensable recueil de textes d’Hélène Cixous qu’est ce jubilatoire « Et la mère pond vite un dernier oeuf« , venant parfaitement « se rejoindre » et s’imbriquer… _ ô combien nourricier, à son tour, avec l’irremplaçable, forcément _ qui donc est substituable ?.. Personne ! Et encore moins ni ami ni aimé ; la consolation-pansement-pharmakon, si elle est désirée-envisagée-recherchée-poursuivie, semble tellement difficile et peut-être même quasi impossible à obtenir et tenir-maintenir longtemps et jusqu’au bout de sa propre mortelle vie, en ce duel à la vie-à la mort des pulsions de vie et la pulsion de mort, si puissantes et tellement compliquées à apprendre à dévier-manœuvrer afin d’essayer-tenter de parvenir à surmonter-survivre à la douleur-poignard du deuil subi de ces si cruelles pertes… _ ami Jacques Derrida…

Ici,

et de la phrase, page 78, à propos de Jacques Derrida :

« il laissait ses livres à la place de sa personne. Et parmi son œuvre immense, ses innombrables méditations sur les mystères tragiques et philosophiques de l’héritage« ,

presque directement à la suite des mots mêmes, impératifs, de l’ouverture de ce chapitre, page 77 :

« Un jour des derniers temps, mon ami Jacques Derrida me dit : « Si je ne suis plus là, tu pourras continuer à lire mes livres. » Je grimaçai d’horreur. C’était un dit de vérité à venir, un verdict, une annonce amère. Une phrase à deux coups. Mise à mort et promesse. Ablation et substitution. La mort pour moi, la survie pour mes livres » ;

et des sublimissimes pages 79-80 à propos de ce qu’Hélène, en forme de « viatique » qui lui était nécessaire, raconte de ce qu’elle a pu bientôt trouver de son père « homme de parole et de mots, c’étaient des mots extraordinaires qu’il me donnait tous les jours« , une fois celui-ci brutalement disparu et enlevé à elle, le 2 décembre 1948 :

« J’ai hérité de Georges mon père le besoin géorgique de déterrer les mots, de descendre sous le taire, de nettoyer, d’arroser, et d’écouter ce qui erre le long du silence _ c’est admirable ! J’ai toujours aimé Virgile et par conséquent Dante. Outre ce lien indécis et ouvert comme tout, mon père a laissé _ très matériellement _ une bibliothèque. Il ne l’a ni donnée, ni léguée, il l’a laissée avec cet abandon, ce suspens de la volonté dernière, qui fait le don idéal, celui que l’on n’a pas fait exprès. Alors ce legs laissé sans le su, je l’ai pris, je m’en suis constitué l’héritage par excellence, le bien attribué par le sort, béni pour avoir été lu par mon père, et ramassé, lui mort, sur ses étagères. Je n’en finissais pas de composer le lai de la Bibliothèque : j’ai lu, depuis mon père et sans son injonction, il m’a laissée lisant le tout de la littérature, le bon et le mauvais, le sublime et le détritus, son compost, sa litièrature. Sans maître, sans conseil, sans loi. J’ai tout dévoré. De gauche à droite, j’ai sucé un à un tous les volumes de la collection Nelson, tout était bon également. J’ai rien oublié. Je crois que j’ai mangé mon père jusqu’aux moelles. Hériter pour la vie, si c’était possible, je crois que ce serait cette opération : absorber, consommer, transsubstantier le Laissé, en forces vitales pour soi _ voilà.  Sans dette. Et entre tous les legs nourriciers, recevoir et faire son miel d’une Bibliothèque » _ une opération merveilleusement accomplie par Hélène.

je me rends immédiatement aux deux puissantes pages finales de ce crucial et fondamental chapitre, aux pages 92 et 93, consacré à l’héritage des livres, et pas seulement ceux laissés sur les étagères de son père, Georges Cixous, le 2 décembre 1948 :

« Peut-on échapper à l’héritage ?

Moi-même j’ai bien fini par me rendre à Jérusalem, où je ne voulais surtout pas aller _ sur le récit de ce voyage en son « Gare d’Osnabrück à Jerusalem » (paru le 14 janvier 2016), cf par exemple mon article « « , en date du 16 juin 2018…

Pour payer une infime part de ma dette à l’égard de ma généalogie multimillénaire _ tant sépharade qu’ashkénaze… _, minimissime, pour répondre : oui, à la question êtes-vous coupable ? A la question : êtes-vous juive, je mets : oui, je décide et consens à répondre sur le formulaire _ demandé à remplir pour l’obtention du visa d’entrée en Israël _, oui, alors que mon amour de la Vérité compliquée, mon besoin vital _ oui _ de pousser la pointe de la pensée au cœur du combat des paradoxes, mon alliance avec l’inconnu c’est-à-dire le pays de l’écriture _ ce territoire-trésor lui aussi… _, le courageusement infidèle, toutes mes obsessions vitales, veulent que je dise non pas oui mais : juive je le suis par vent de nord-nord-ouest, ou par mauvais temps, mais par beau temps clair sans rafales de vent, ou quand je suis en mes libertés dans les rêves, je ne réponds que : rien ni plus ni moins.

En tant que chat, ou écureuil _ du jardin aux arbousiers et pins de la maison d’écriture des Abatilles _, ou ancien chien _ tel son chien Flip _ je ne suis pas plus juive que le cheval ni moins, j’aime les vaches, comme ma mère, pour la fatalité de la vie je m’identifie aux poules, je n’ai guère de difficultés à reconnaître mon âme dans celle d’une poule, j’ai les mêmes battements de cœur,

mais à tous les juifs qui sont juifs se sentent juifs, juifs des avant et juifs des après, je reconnais que je dois un trésor inestimable _ voilà… _ d’angoisses et de tourments, l’usage illimité _ et persistant _ de la tragédie et ce qui va avec l’exercice de la douleur : l’esprit de révolte, la jubilation _ oui, magnifique ! _, l’eau du rire qui jaillit au milieu du brasier et jusqu’à l’avant-dernière minute dans les camps d’extermination _ ici je pense au grand Imre Kertész du « Chercheur de traces« … _, la nostalgie perplexe du désert, la fréquentation des zones d’exclusion et le don nomadique, la façon d’allonger perpétuellement le cou au maximum pour scruter l’horizon, comme si le présent était là-bas dans le lointain futur ou au contraire la façon de creuser des puits sous son lit à la recherche de pensées ou êtres perdus et peut-être conservés dans les souterrains du temps, toutes ces herbes amères tous ces sucs et ces miels spirituels dont l’écriture se régale« 

Un chapitre magistral !

Consacré aux ressources, fabuleux trésor où puiser encore et toujours de conversations essentielles que peut offrir le dialogue ouvert et infini du lire-écrire-penser, pour Hélène en son « rêvoir », avec les auteurs vrais de la littérature et de la philosophie _ pas ses pullulantes-purulentes contre-façons de « litièrature« – compost, à destination des oisifs-qui-lisent pour se distraire-désennuyer-divertir : en fait ne plus penser du tout à l’essentiel… Revenir lire et méditer ici le merveilleux chapitre « Lire et écrire » du Zarathoustra de Nietzsche, joliment sous-titré « un livre pour tous et pour personne« … Ou encore le très juste récent « Un Sens à la vie _ enquête philosophique sur l’essentiel » de mon ami bruxellois Pascal Chabot… Des livres nécessaires et vrais, en ces temps de faussaires et fausseté…

Bien évidemment à suivre…

Ce dimanche 17 novembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une épatante escapade Stravinsky, avec Barbara Hannigan à la direction, en un très réjouissant CD Linn 722 « Stravinsky – Chamber Works », entre 1911 et 1954…

Posté dans la catégorie Musiques par Titus Curiosus

16nov

Ce samedi,

une très épatante escapade Stravinsky, avec Barbara Hannigan à la direction du Royal Academy of Music et du Juillard School Ensemble, ainsi que 8 Songs, en un réjouissant CD Linn 722 « Stravinsky – Chamber Works« , composés entre 1911 et 1954 _ le CD a été enregistré à Londres du 19 au 21 janvier 2023…

Avec les oeuvres suivantes :

le Concerto « Dumbarton Oaks » (1937/38) ;

les « Three Japanese Lyrics » (1912/13) ;

les « Two Poems of Balmont » (1911 ; 1954) ;

le « Septet » (1952/53) ;

les « Three Little Songs – Recollections of my childhood » (1913 ; 1939/30) ;

l' »Octet for wind instruments » (1922/23) ;

le « Concertino for twelve instruments » (1920 ; 1952) ;

et « Ragtime for eleven instruments » (1918).

Une escapade extrêmement rafraîchissante, avec d’excellents interprètes,

et en un répertoire stravinskyen qui mérite tout à fait d’être recouru aujourd’hui tant des interprètes que des mélomanes du XXIe siècle,

d’une modernité très heureuse…

Un excellent CD !

Ce samedi 16 novembre 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

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