Régine Robin, formidable exploratrice des méga-villes en mouvement : le cas-malaise de Paris

— Ecrit le mercredi 26 mars 2014 dans la rubriqueHistoire, Rencontres, Villes et paysages”.

Régine Robin, merveilleuse marcheuse des très grandes villes,

après son magnifique Berlin Chantiers _ Essai sur les passés fragiles, en 2001,

et après son grandiose Mégapolis _ les derniers pas du flâneur, en 2009  _ cf notre article du 16 février 2009 : Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin _,

nous livre aujourd’hui un passionnant Mal de Paris :

tous trois aux Éditions Stock, et dans la superbe collection Un ordre d’idées, de Nicole Lapierre.

En l’entretien chaleureux  _ le podcast dure 50′ _ que Francis Lippa a eu avec Régine Robin au 91 de la rue Porte-Dijeaux sur ce Mal de Paris, le 10 mars dernier,

la conversation alerte met l’accent sur le corsetage _ un peu trop asphyxiant _ de l’imaginaire parisien dominant,

à la fois dans un temps (celui du Paris haussmannien du XIXe siècle) et un espace (celui du Paris maintenu à l’intérieur du cercle difficilement franchissable du Périphérique !) tous deux un peu trop confinés,

et faisant triompher les clichés

tant des nouveaux habitants (ceux de la gentrification de la capitale, et, maintenant aussi, de sa proche banlieue ! Paris a beaucoup chassé en banlieue les Parisiens les moins fortunés…),

que des touristes internationaux qui viennent y passer (et y consommer) quelques heures, au cours de leurs circuits.

L’anecdote, lors de l’entretien, des musiciens de rue roms payés à enchaîner sempiternellement, à tel coin de rue, la scie du _ pourtant merveilleux _ Padam, padam d’Edith Piaf, afin de renforcer le grain de la _ fausse, devenue frelatée _ couleur locale _ type Amélie Poulain, ou Midnight in Paris _du quartier, où ces malheureux sont contraints d’officier sans relâche afin de gagner (un peu) ainsi leur vie… Décidément la scie en boucle a de beaux jours devant elle…

L’île _ Fluctuat nec mergitur… _ ainsi repliée sur elle-même ainsi que sur un déjà lointain passé mythifié, apparente par là même ce Paris corseté _ tant imaginairement (dans les désirs de ceux qui viennent le goûter) que physiquement ! par la muraille un peu trop étanche du Périphérique… _ à la Venise formatée et se vidant de ses Vénitiens _ ils ne sont désormais plus que 60 000 à y résider à l’année, face aux dizaines de milliers de touristes qui viennent chaque jour se repaître ad nauseam de leurs clichés figés ! _ que la lucidité de Régis Debray mettait si justement en lumière dans son bien vif Contre Venise… C’est la muséification-touristification mortifère de Venise que dénonçait là cet amoureux vrai de Venise.

Sur ce phénomène,

cf ma série d’articles sur Arpenter Venise, à partir du 26 août 2012 : Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire

C’est à dessein que je mets l’accent davantage sur l’aspect « malaise » que sur celui de l’affection teintée de nostalgie _ mais pas seulement : Régine Robin, en demi-américaine qu’elle est (montréalaise) adore surtout ce qui remue, bouge et change _ du mot « Mal » dans l’expression « le mal de Paris« , en employant l’expression « le cas-malaise de Paris » dans le titre de cet article…

Car dans l’ambiguïté voulue de ce titre choisi en commun par l’auteure et son éditeur pour ce livre, Le Mal de Paris,

je perçois tout ce qu’a de regret cette nord-américaine (de Montréal, en effet, où elle vit l’été ; alors qu’elle choisit de vivre l’hiver à Paris, et en Europe : depuis son appartement du XIVe arrondissement, rue du commandant René Mouchotte _ mais Régine Robin est aussi une grande amoureuse de New-York et de Buenos-Aires !),

de ce que Paris _ son Paris de vraie parisienne : elle est née à Ménilmontant-Bellevillene connaît pas assez _ trop corseté que Paris se trouve et se laisse entrainer en son imaginaire… _ la mobilité juvénile joyeuse des mégapoles s’assumant fièrement _ et quasi innocemment _ comme telles,

comme le font New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos-Aires, mais aussi Londres ou Berlin.

C’est ce courage _ américain en quelque sorte _ que Régine Robin rêve de voir Paris oser assumer enfin,

plutôt que de se laisser enliser dans la fossilisation _ muséification _ des seules _ trop petites, provinciales… _ gentrification et touristification : par d’autres…

Régine Robin continue d’être une vraie parisienne, en les divers quartiers où elle a vécu,

mais aussi envisage toujours de vivre…

Voilà un entretien bien vivant

et un livre plus encore,

en même temps que très riche de la perspicacité chantante de ses aperçus empathiques (à la fois excellemment informés _ admiration ! _ autant qu’infiniment poétiques _ dans ses promenades gourmandes et boulimiques, comme dans ses lectures d’une merveilleuse ouverture et variété, toujours, les unes comme les autres, jubilatoirement exploratrices autant qu’aventureuses, parmi le lacis de l’énorme maquis urbain en permanente expansion continue, malgré le corsetage… _) sur la vie vraie de Paris, en son vivant renouvellement, et des Parisiens qui savent y vivre au quotidien et au présent…


Le défi qui se pose à Paris _ comme, aussi, à d’autres villes, dont Bordeaux… _

est de savoir se donner vraiment,

par une imageance un peu plus féconde que la seule imagination (carrée et très étroitement formatée) des gestionnaires qui ne savent faire leur priorité que de la comptabilité à profit résolument quantitatif des tiroirs-caisses… _ cf L’Institution imaginaire de la société, de Cornelius Castoriadis _,

un présent et un avenir beaucoup plus ouverts et bien plus vivants (et mélangés)…

Titus Curiosus, ce 26 mars 2014

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