Explorateur du bifide des comportements, le carottage anthropologique deleuzien du splendidement sagace « Le Plan Cul _ Ethnologie d’une pratique sexuelle » de Jean-François Bayart
18mai
C’est le passionnant entretien _ Le sexe : valeur-refuge des Français ? _ aux Matins de France-Culture du vendredi 25 avril dernier, de Jean-François Bayart _ cf aussi son interview hier samedi 17 mai par Cécile Daumas dans Libération, pages 30 et 31 : Le Plan-Cul montre comment on s’arrange avec la légalité, la norme ; il est aussi présenté page 29 du journal sous le titre Le Sexe tient, en France, la place qu’occupe la sorcellerie au sud du Sahara ; et le chapeau précédant l’entretien indique « A partir des pratiques en ligne de deux jeunes hommes, le chercheur au CNRS Jean-François Bayart explique que la vie sexuelle est aussi une forme de « dissidence » sociale et politique » ; ainsi que cette citation mise en valeur au sein même de l’interview, page 30 : « Le faux-semblant et la dissimulation plus ou moins « honnête » sont ainsi des piliers de l’ordre social, autant que de sa subversion ou de sa relativisation« … _,
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c’est le passionnant entretien aux Matins de France-Culture du vendredi 25 avril dernier, de Jean-François Bayart avec Marc Voinchet et son équipe
à propos de la sortie prochaine en librairie _ le 7 mai ; je l’ai alors immédiatement commandé, puis acheté le 7 mai et sur-le-champ lu _ de son très incisif Le Plan Cul _ Ethnologie d’une pratique sexuelle, aux Éditions Fayard,
qui m’a mis sur la voie de la lecture _ richissime ! _ de cette passionnante exploration _ l’auteur emploie la métaphore du carottage. : « les entretiens _ que Jean-François Bayart, chercheur en anthropologie, a eus avec deux jeunes gens, Grégoire, bordelais, en 2006-2007 ; Hector, stéphanois, en 2013 _ ont opéré comme une « carotte », pour reprendre un terme de géologie, de nature à nous donner une « version » de la société française« , page 152 _ anthropologique _ que je qualifierai de « deleuzienne » ! _ de comportements _ sexuels, en l’occurrence, parce que Jean-François Bayart, avait décidé de commencer son entretien avec Grégoire par là, pour affronter pleinement aussitôt ce qui aurait pu gêner, dans un pesant non-dit, sinon, son interlocuteur, ami d’un ami, Baptiste, de son neveu… _ complexes et ambivalents, tout à la fois cachés et affichés, se développant ces temps-ci dans notre société _ tels que les-dits « plans-cul« des nouvelles générations, plus particulièrement, semble-t-il _, qu’est cet incisif et très alerte travail d’anthropologie _ l’auteur, lui, use de l’expression « ethnologie d’une pratique sexuelle« … _, par Jean-François Bayard :
j’aurais personnellement apprécié que le livre _ de 200 pages alertes et rapides : sans la moindre graisse !_ comporte au moins le double de pages !
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Si je puis comprendre le remerciement, en quelque sorte « éditorial » _ afin de viser à s’assurer possiblement un un peu plus large lectorat… _, que Jean-François Bayart ne manque pas d’adresser, page 165, à Fabrice d’Almeida pour avoir « su le convaincre d’épurer le style universitaire de son enquête et de mieux l’articuler aux grands débats qui traversent la société française« ,
j’ose aussi espérer ici que l' »Annexe méthodologique : Pour des biographies sans sujet« (déroulée aux pages 141 à 163 : et c’est tout simplement passionnant !), ainsi que les remarques incisives et ouvertes qui ne manquent pas d’agrémenter pas mal des 177 notes (repoussées, elles aussi, en fin de volume, aux pages 167 à 197), recevront ailleurs et bientôt l’ample développement _ épistémologique _ qu’assurément les unes _ l’annexe méthodologique _ comme les autres _ ces riches notes _ méritent !..
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Personnellement plongé, depuis un an, dans une recherche (patiente et à rebondissements quasi incessants) de micro-histoire à propos du parcours (vigoureusement tu, pour l’essentiel, de son vivant : il avait fait le choix _ impérieux ! _ du silence !..) de mon père (11-3-1914 – 11-1-2006) en 1942-43-44 _ parti de Bordeaux (en zone dite « occupée« ) et ayant clandestinement franchi la ligne de démarcation à Hagetmau (en direction d’Oloron, en zone dite « non-occupée« ou « libre« …), le 5 juin 1942, mon père est revenu à Bordeaux (enfin libéré fin août 1944) le 1er octobre 1944 _, en zone dite d’abord « non-occupée« , puis, à partir du 11 novembre 1942, « zone sud« ,
je me trouve en effet particulièrement sensibilisé aux questions épistémologiques de cette micro-histoire :
cf mon article du 31 août 2013 Le diable se cache dans les détails : la fécondité des travaux de recherche de « micro-histoire »… ; ainsi que mes interventions sur cette question (d’épistémologie de la recherche en histoire) au passionnant séminaire « Vivre au sortir du camp de Gurs : Hannah Arendt« , les 28 et 29 avril derniers, au château d’Orion, à côté de Salies-de-Béarn : c’est sur l’importance et la très riche complexité des méthodes de recherche que je désirais insister auprès des jeunes présents à ce séminaire ! ;
cf aussi le très riche numéro Hors série 2013 L’Estrangement _ retour sur un thème de Carlo Ginzburg, de la revue Essais _ revue interdisciplinaire d’Humanités, sous la direction de Sandro Landi, directeur de l’École Doctorale Montaigne-Humanités de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3…
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L’Introduction (pages 9 à 22) amène excellemment les raisons de départ de l’enquête de Jean-François Bayart :
« L’une des propriétés que le sexe partage avec la politique tient à son ambivalence » _ et voici le mot-clé : car c’est un éclairage de ce qu’est (et comment fonctionne) dans les faits cette « ambivalence« cruciale que vise l’enquête de fond de ce livre !
Car il se trouve que, dans les faits, « le sexe peut, dans certaines circonstances, absorber le politique, en fournir une « traduction abrégée » par un « effet de condensation » (page 13).
Ainsi Jean-François Bayart d’en donner pour exemples (d’actualité) « la question du voile« , « l’homosexualité« , « la circoncision« , ou encore « l’ampleur de la Manif pour tous, la radicalité de l’opposition à la procréation médicalement assistée, les polémiques autour du voile ou l’exégèse de ce qui relève du public et du privé en France » (pages 13-14). Et d’en déduire : « J’y ai vu une confirmation de cette osmose _ voilà ! _ entre l’imaginaire sexuel et l’imaginaire politique à laquelle m’ont habitué mon observation de l’État en Afrique, en Turquie, en Iran, au Maghreb, et ma réflexion politique comparée.
Un tel constat incite à mieux comprendre ce rapport intime _ fondamental, et ici s’annonce la pensée de Deleuze… _ entre les registres du désir et du pouvoir« .
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Pour aboutir à la question :
« Dans son hétérogénéité, la vie sexuelle des Français est maintenant bien connue grâce aux enquêtes quantitatives et qualitatives des sociologues. Mais que nous disent leurs pratiques en la matière au sujet de la domination politique et sociale concrète dans notre pays ? » (pages 14-15).
Et « au lieu d’affronter cette question dans sa généralité, je l’ai saisie « par le bas » : « le cul et ses « plans » » (page15).
Et c’est ainsi que « pour mener son travail« , Jean-François Bayart s’est « mis _ en 2006-2007, puis 2013 _ à l’écoute de deux jeunes hommes, Grégoire et Hector » (page 16). Avec ce résultat, in fine, que « le dire de mes interlocuteurs dévoile une face du pays et de l’époque dans lesquels nous évoluons, sinon cachée, du moins tue » (page 16).
« Cette leçon de choses n’est pas sans enseignements utiles _ alors à dégager _ sur la pratique du sexe et de la politique, sur leurs enjeux respectifs, sur les façons _ aussi ! et c’est peut-être même cela qui m’a personnellement le plus intéressé ! _ dont nous pouvons écrire les sciences sociales, voire nos propres vies, par le biais de témoignages, de biographies ou d’autobiographies _ cf ici Le Pari biographique _ Ecrire une vie, le passionnant travail de l’excellent François Dosse auquel se réfère Jean-François Bayart.
Du sexe, il sera bien question _ en effet _ dans les pages qui suivent, et parfois de manière très crue, mais pour parler de rapports politiques ou sociaux autant que sexuels » (pages 16-17).
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Car « Le sexe démontre au quotidien que nos sociétés sont multidimensionnelles _ un autre terme très important : à rebours du souci hystérisé de l’identité, que Jean-François Bayart a jadis analysé dans son L’Illusion identitaire, en 1996. Cf aussi, ici, le livre d’Herbert Marcuse L’Homme unidimensionnel…
Elles se composent de divers espaces-temps _ distincts et séparés, sinon absolument étanches… _ auxquels nous participons _ comment, voilà ce qui doit être minutieusement détaillé _ sans que ceux-ci coïncident ou soient cohérents _ qu’en est-il donc existentiellement de l’application du principe (logique ? métaphysique ?) d’identité ? _ les uns par rapport aux autres.
Le cyberespace n’est pas le moindre d’entre eux, et il convoie des rencontres ou des pratiques sexuelles déconnectées des autres échanges sociaux, tout en créant à son tour du lien social » (pages 20-21).
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« Nous nous dissimulons _ idéologiquement _ cette complexité en recourant à de grands mots pompeux, tels que la nation, l’identité, la culture, la famille, l’école, la morale, ou… le sexe _ les substantifs mentent bien davantage que les infinitifs ! Nous nous consolons en rêvant de l’unité de notre cité, alors que celle-ci est bifide _ terme à nouveau crucial ! _, fendue en deux, et se dissocie entre les mondes du jour et de la nuit, entre le visible et l’invisible, entre des rapports sociaux supposés asexués et des relations sexualisées » (page 21).
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« La principale leçon que nous enseigne l’analyse du plan cul _ anticipe alors l’auteur _ a ainsi trait à l’inachèvement consubstantiel de notre société, qui n’en trahit pas la faiblesse, mais bien au contraire la condition d’existence » (page 21).
« Autrement dit, le cul nous retiendra moins que le plan.
Car, s’il en est de cul, il en est aussi de bien d’autres, dans tous les domaines de la vie, « bons », selon la formule habituelle, ou « mauvais »« … (page 21).
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Et Jean-François Bayart d’achever cette présentation de son travail, par ce mode d’emploi de son livre :
« Il est deux manières de lire les pages qui suivent.
L’une informative, en s’en tenant au corps du texte, qui fait l’ethnologie d’une pratique sexuelle en vogue dans la société française : celle du « plan cul ».
L’autre scientifique, en se reportant aux notes en fin d’ouvrage et à l’annexe méthodologique, qui espèrent ouvrir de nouvelles perspectives _ que je qualifierai, pour ma part, de « deleuziennes« … _ aux sciences sociales du politique et à l’écriture biographique » (pages 21-22).
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Titus Curiosus, ce 18 mai 2014