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Le bouleversant « Je te laisse dormir » d’Edith Bruck, ou la somptueuse conversation poursuivie – continuée avec Nelo Risi (1920 – 2015), le compagnon de sa vie…

02oct

Ce lundi 2 octobre,

achèvement de ma deuxième lecture bien attentive du « Je te laisse dormir » (2017-2018) d’Édith Bruck, le troisième volet (aux pages 195 à 318) du volume intitulé « Je te laisse dormir » ;

en complément de son « L’Hirondelle sur le radiateur » (2014-2015 ; aux pages 9 à 184), premier volet de ce volume, et de « L’Homme Nelo Risi » (un discours prononcé par Edith le 13 octobre 2016 ; et retranscrit ici aux pages 187 à 191), deuxième volet : 

un volume de 320 pages qui paraît jeudi prochain 6 octobre, en une traduction de René de Ceccatty, aux Éditions du sous-sol…

J’ai accédé à quelques uns des divers récits de survie et vie d’Édith Bruck _ parmi ceux qui  ont été traduits en français _ par ma  lecture, en janvier 2022, tout d’abord, de son stupéfiant « Le Pain perdu«  _ paru, aux Éditions du sous-sol, en une traduction de René de Ceccaty, le 7 janvier 2022 _ (« Il Pane perduto » avait paru en 2021 aux Éditions La Nave di Teseo),

bientôt, très vite, suivie de ma lecture de son « Qui t’aime ainsi » _ paru le 21 janvier 2022, en Points-Seuil, en une traduction de Patricia Amardeil, datant d’avril 2017… :

cf la succession de cette sélection de 9 articles miens de janvier et février 2022 :

_ «  » (7 janvier 2022)

_ «  » (8 janvier)

_ «  » (10 janvier)

_ «  » (11 janvier)

_ «  » (12 janvier)

_ «  » (13 janvier)

_ «  » (22 janvier)

_ «  » (10 février)

_ «  » (11 février 2022)

puis ces 3 articles récents de septembre et octobre 2023 :

_ «  » (18 septembre 2023)

_ «  » (28 septembre)

_ «  » (1er octobre 2023)

Et maintenant,

le somptueux récit « Je te laisse dormir«  _ « Ti lascio dormire«  est paru en 2019 aux Éditions La Nave di Teseo _ est une longue bouleversante lettre de 122 pages qu’Édith Bruck adresse à son compagnon de 58 ans de vie (rencontré, à Rome, au Palazzo Marignoli, Via del Corso (in « Je te laisse dormir » page 187), ou bien/et au restaurant Otello, via della Croce (in « Le Pain perdu« , page 152) le 9 décembre 1957, puis épousé le 17 mars 1966 au Capitole de Rome _ cf la rapide mention de cet événement à la page 154 du « Pain perdu«  _, Nelo Risi (Milan, 21 avril 1920, Rome, 17 septembre 2015), décédé en leur domicile du 72 Via del Babuino, à Rome, ce 17 septembre 2015 :

Page 197 :

« Cette nuit _ la date précise n’est pas indiquée : au cours de l’été 2017… _, comme souvent dans le demi-sommeil, l’esprit occupé par toi _ voilà _,  j’ai pensé t’écrire _ un medium absolument capital pour Édith Bruck, si fondamentalement, consubstantiellement, écrivain, depuis ses premiers écrits, en 1945... J’ai carrément pris cette décision. Sans bien encore savoir quoi te dire, mais ça ne m’inquiète pas. Je sais, d’expérience _ de toute sa vie d’écriture, dès 1945, donc… _ que l’idée me suffit, que c’est une nécessité _ de révélation de et à soi-même, d’abord. Les mots se multiplieront tout seuls et d’un mot en naîtra un autre emportant avec lui _ en sa formidable dynamique révélatrice _ quelque chose de déjà mûr _ voilà… _, prêt à voir le jour sur la page _ voilà, voilà.

Tout doucement je me suis levée pour ne pas te réveiller _ « Ti lascio dormire«  ; l’expression apparaîtra un peu plus loin, à la page 204… _, comme si tu étais encore près de moi et comme si je n’avais pas compté, il y a près de deux ans _ c’était le 17 septembre 2015 ; nous sommes donc ici l’été 2017… _, l’effroi dans mon regard, tes quatre derniers souffles brefs. ensuite plus rien, rien que les cris d’Olga (notre aide à domicile dans la dernière période de ta longue maladie _ d’Alzheimer, apparue lors du premier malaise à Assise, l’été 2004 _), « C’est fini ! C’est fini ! » et mes cris inarticulés « Non non non ! », avant que je ne me jette sur le divan du salon où recroquevillée comme un fœtus je me suis détachée du réel« …


Et pages 203 – 204 :

« Je ne sais pas pourquoi, mais pour la première fois _ depuis presque deux ans _ je m’assois devant ma vieille Olivetti pour t’écrire. Que de choses il nous restait à nous dire et combien il en restera ! _ en cette conversation déjà perpétuelle et ainsi perpétuée. Une énormité, malgré les soixante années _ du 9 décembre 1957 de leur rencontre romaine, au 17 septembre 2015 des derniers souffles de Nelo, à leur domicile du 72 Via del Babuino… _ l’un près de l’autre, qui n’ont pas suffi, pas à moi en tout cas, pour avoir la liberté _ totale et absolue _ de nous parler. La liberté, avec toutes ses limites, tu l’as vécue, en bien ou en mal ; moi _ asymétriquement en leur couple _, je l’ai subie, du fait de « mon amour indulgent », comme une de mes amies l’a défini _ en une relation aimante réciproque et mutuelle, oui, mais pas tout à fait symétrique…

Tu étais et tu es _ toujours _ tout pour moi : langue, patrie, famille, père et mère. L’homme le meilleur que j’aie jamais rencontré, et pourtant j’en ai tellement rencontré, de passage dans ma vie errante, et même les meilleurs, les plus cultivés, valaient moins que toi. Personne ne t’est comparable, à toi qui te sous-estimais dans le souci obsessionnel de défendre ta dignité, ta liberté et ton honnêteté. Tu n’étais pas en mesure de faire quelque chose pour de simples raisons de survie. L’argent, pour toi, laïque, non baptisé, c’était vraiment les excréments du Diable. Tu ne savais même pas ce qu’était une facture ! Et je t’aimais pour cela aussi ; le pouvoir, l’argent sont la ruine du monde, répétais-tu« …

Et page 204, 12 lignes plus bas :

« Quand je me réveille, le matin, souvent, en me levant, je tourne la tête vers ta place et une phrase tant de fois répétée échappe toute seule à mes lèvres :

_ Je te laisse dormir.« 

Puis, page 205 – 206 :

« Depuis ce soir-là _ du jour de tes derniers souffles, le 17 septembre 2015 _, je n’ai plus touché mon stylo : tu te souviens que tu ne le supportais plus dans ma main, quand, dans les derniers temps _ en 2014-2015… _ de ta maladie _ d’Alzheimer _, je prenais ces rares notes qui sont par hasard devenues un livre _ le terrifiant et sublime « L’Hirondelle sur le radiateur«  _ ? Après ta disparition, je me suis dit que je n’écrirais plus jamais ; et puis, il y a quelques jours _ cet été 2017 _, en pleine nuit, j’ai décidé de le faire pour te raconter _ à toi, Nelo, sur le déroulé du papier… _ des choses sur moi, sur nous après toi _ « On se marie pour poursuivre la conversation » (Ford Maddox Ford) et « Pourquoi permettre à la mort de l’interrompre ? » (Julian Barnes) sont les deux parfaits exergues de cette formidable conversation reprise et poursuivie (dès lors aussi sur le papier…) de ce superbe « Je te laisse dormir«  _, parce que, dans la vie, il y a toujours un avant et un après, et quand le vide paraît me suffoquer et pèse trop, il est temps d’écrire, mon unique liberté _ voilà ! et revoici ce capital « Écrire pour respirer ! » si consubstantiel à l’écrivain qu’est fondamentalement Édith Bruck, au-delà de la personne d’Édith Steinschreiber (née à Tiszabercel le 3 mai 1931, et passée par Auschwitz en 1944 ; et bien d’autres épreuves ensuite…) : il faut y insister..; cf mon article du 11 février 2022 : « «  _ Quand, la nuit, mes bras s’allongent vers ta place déserte et que mon corps se retrouve dans l’espace qui t’était réservé au risque de tomber, il est temps d’écrire.

Mes jours ne sont plus inutiles, durant les nuits, je ne sens plus aussi souvent ta main, mais je sais que tu es là et que tu m’effleures le dos. (…)

L’écriture est oxygène _ voilà, voilà ! _, elle purifie _ en décantant vraiment et démêlant, pour commencer, les situations enchevêtrées et difficiles… En te parlant, en t’écrivant, j’ai l’impression d’émerger du puits obscur où je suis tombée _ à ton décès _ et de remonter vers la lumière, vers la blancheur _ lumineuse, éclairante et illuminatrice _ de la page que je remplis pour toi » _ pour reprendre et continuer – poursuivre l’indispensable aimante conversation (asymétrique, aussi ; mais c’était mutuellement accepté ainsi, en l’état de leurs tempéraments de fond si contrastés…) interrompue un moment de presque deux ans : entre nous deux.

Ce lundi 2 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

En parallèle à ma lecture enchantée du « Penser avec les oreilles » de François Noudelmann (paru en 2019), trois entretiens de l’auteur à propos de cet indispensable travail d’exploration jubilatoire et festif de l’aisthesis…

13juin

Poursuivant ma lecture absolument enthousiaste de l’œuvre de François Noudelmann,

et alors que je viens d’entamer _ j’en suis à la page 41 _ ce mardi 13 juin son « Penser avec les oreilles« , paru aux Éditions Max Milo le 29 août 2019 _ voici déjà le texte très alléchant de sa quatrième de couverture : « Des réflexions sur la place du son dans le discours philosophique. Elles mettent en lumière l’importance de la voix, du ton ou de l’accent dans l’élaboration et la réception _ les deux ! _ de la pensée des philosophes.

Et si nous enlevions les bouchons de nos oreilles pour entendre enfin le son des idées ? La pensée fait du bruit, nous l’avons oublié : de grands vacarmes ou de légers bruissements. La voix des philosophes, leurs accents, font partie _ absolument ! _ de leur pensée. Même dans leurs écrits nous entendons des cris et murmures _ mais oui : toute une gamme d’humeurs très variées, qui sont partie prenante du penser. Depuis les dispositifs acoustiques de l’Antiquité jusqu’à l’utilisation du microphone aujourd’hui, François Noudelmann pose son stéthoscope sur la philosophie. Il étudie les milieux sonores les plus favorables à la réflexion et propose une écologie sonore de la pensée » : rien moins ; et c’est passionnant !.. _,

de la même manière avec laquelle j’ai procédé en avant-propos de mes lectures-relectures de son « Les airs de famille. Une philosophie des affinités » (paru aux Éditions Gallimard le 16 février 2012), en mon article d’introduction du 21 mai dernier : « « , comportant de précieux liens à trois vidéos d’entretiens de (et avec) François Noudelmann, en date du 7 juillet 2020, et intégrées toutes les trois en un article unique pour ABCpenser.com , sur une idée de Philippe Petitintitulé très justement « Qui êtes-vous, François Noudelmann ? – Ma vie a été une suite de rencontres« , que voici : « Qui êtes-vous, François Noudelmann ? » (22’21) ; « Écouter » (28′ 51) ; et « Affinité » (25′ 05),

semblablement, en forme d’initiation à cette lecture de « Penser avec les oreilles« , voici trois remarquables entretiens de François Noudelmann, en date respectivement

du 28 avril 2017 _ soit parallèlement à l’écriture de son essai qui paraîtra deux ans plus tard, le 29 août 2019 ; et c’est à relever… _pour le premier : « Pour une écoute des bruits de la pensée » (d’une durée de 77′ 17), et en un séminaire à Toulouse, « Poéthiques« , organisé par Jean-Yves Laurichesse et Nathalie Cochoy, à l’université Jean Jaurès de Toulouse ;

du 16 septembre 2019 _ en concomitance, donc, avec la parution du livre… _, pour le second : « Stéthoscope » (de 53′ 10), pour l’émission « L’Heure bleue » de Laure Adler, sur l’antenne de France-Inter ;

et du 14 avril 2022 presque trois années plus tard, pour celui-ci… _, pour le troisième : « Penser avec les oreilles » (de 37′ 12), en un entretien avec Carine Fillot, sur le site d’Elson.fr ;

entretiens très vivants et très ouverts et très riches,

dans lesquels nous pouvons percevoir la voix même _ avec la gamme infiniment variée (en rien, jamais monocorde) de ses inflexions et rythmes, sonorement eux-mêmes déjà très parlants en dehors de la teneur des paroles prononcées et significations proposées… _ de François Noudelmann penser au présent de ces entretiens enregistrés _ en interlocution, donc, avec un auditeur très attentif, qui improvise des questions, ainsi qu’un auditoire présent en effectivité dans la salle, ou via la diffusion à la radio, ou sur le Net…

La voix et les intonations, comme la gestuelle des bras et des mains, de François Noudelmann étant toujours éminemment expressives,

en leur chantante et dansante formidable liberté de l’imageance tellement festive, de ce jubilatoire penser en acte…

Et je voudrais citer aussi ici l’impression magnifique et merveilleuse que j’ai éprouvée, le 20 mai 2011, dans la salle Albert-Mollat où se tenait l’entretien (d’une durée de 57′) que j’ai eu le bonheur d’avoir avec Jean Clair, à propos de ses Dialogue avec les morts & L’Hiver de la culture (57′) :

J’eus alors la très insigne chance de recevoir la grâce infiniment rare d’écouter, précisément, vraiment penser mon interlocuteur, en notre conversation à la fois précise et ouverte autour de ses deux livres…

Ou quand la voix se fait, en son grain même, en ses tons, en ses flux et inflexions, en ses rythmes, en ses ralentissements et silences, le véhicule éminemment sensible et perceptible d’un serein, simple et profond assumé penser vraiment… 

En voici, à savourer, le prodigieux podcast

À suivre…

Ce mardi 13 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pénétrer dans l’univers flamboyant, jubilatoire et plein d’humour, d’Hélène Cixous : quelques articles, et un entretien…

11juin

Pour pénétrer avec confiance et jubilation dans l’univers riche _ et un peu déstabilisant à la toute première approche : en l’élan forcément bousculant de sa forte singularité… _ d’Hélène Cixous,

mon article «  » du 7 avril 2023

me paraît pouvoir constituer une première entrée un peu commode,

en ce qu’il comporte aussi des liens aux 5 articles que j’ai consacrés à ma lecture, en octobre 2022, du « MDEILMM parole de taupe » d’Hélène Cixous, paru chez Gallimard au mois d’octobre 2022…

 

Cet article _ ainsi que les autres auxquels celui-ci s’emploie à donner accès par des liens _ peut donc être utilement communiqué aux élèves et étudiants qui s’intéresseraient à pénétrer un peu mieux et un peu plus avant dans l’œuvre si riche (et un peu complexe pour qui n’en est pas déjà un peu familier) d’Hélène Cixous…
Voir aussi mon article du 12 avril 2023, avec de précieux liens au podcast et à la vidéo de mon entretien avec Hélène Cixous, à la Station Ausone, le 23 mai 2019, à propos de son important « 1938, nuits » , de 2019, aux Éditions Galilée :
Cet entretien du 23 mai 2019 se révélant probablement un des meilleurs pour pénétrer l’univers magnifique et flamboyant (et plein d’humour), en la puissance de sa toute libre imageance, d’Hélène Cixous…
Ce dimanche 11 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Assumer sa francité et sa judéité, depuis son installation outre-Atlantique, à New-York, désormais : le beau devenir freudien de François Noudelmann « prenant de l’âge » sur la question des « feuilletages » de l’identité..

26mai

Ce vendredi 26 mai,

je poursuis l’élan des commentaires de ma lecture du si prenant « Les enfants de Cadillac » de François Noudelmann, à la suite de mes 5 articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ mercredi 24 mai : « « 

_ et du jeudi 25 mai : «  « 

En effet, toute la fin du récit, de la page 193 à la fin, page 234, est une méditation très fine sur ce que finissent par constituer, pour François Noudelmann, au présent de son récit, c’est-à-dire en 2020, ce qu’il nomme, en les repensant, sa « francité » _ « comme un millefeuilles« , dit-il, page 194… _ et sa « judéité » _ « elle aussi, pour beaucoup, un feuilleté d’appartenances qui se déclarent sans être verbalisées, ou par des langages indirects«  _, ainsi que leur _ assez complexe, enchevêtrée… _ hiérarchie pour lui…

Alors qu’il réside désormais outre-Atlantique, à New-York, probablement depuis 2019 qu’il a décidé de complètement « s’y installer« , plutôt que faire d’incessants allers-retours depuis ce qui était son domicile parisien _ François Noudelmann, qui a appris très vite le nomadisme, a beaucoup déménagé, en sa vie : « En résidant souvent « ailleurs », j’ai poursuivi le relativisme de mon enfance lorsque, passant d’une maison à une autre et d’une ville à une autre, je changeais de culture, apprenant qu’ici on dîne à telle heure, que là on parle doucement, ou que là-bas on ne mélange pas telle ou telle couleur. Avoir eu des parents qui se sont mariés chacun trois fois, sans compter leurs relations officieuses, explique peut-être mon instabilité sentimentale _ ah ! Je glisse, je fuis, j’étouffe lorsque je demeure trop longtemps. Je connais la joie de partir rien dans les poches, de ne pas être lesté, de ne maintenir les relations et les lieux que par choix et non par habitude. (…) De fait je suis étonné par la difficulté, et souvent l’impossibilité de certains à changer de vie, d’époux ou d’épouse, de métier, de pays, attachés qu’ils sont à leurs amis d’enfance, à leur maison de famille ou à leur carrière. (…) Ma disponibilité à partir, ou peut-être cette névrose _ _, n’est sans doute pas étrangère à la vie de ceux _ Chaïm, Albert _ qui ont porté mon nom. Elle confirme probablementent la légende de l’errance juive, avec sa réalité et son imaginaire (…) Le déplacement à travers des mondes, l’acceptation pluraliste de leurs différences, la transformation de soi au gré des voyages me semblent des modalités de l’existence juive, partagées au-delà de toute communauté par nombre d’exilés. Être dedans et dehors, convertir le sentiment de « ne pas en être » en désir d’être temporairement quelqu’un d’autre, se sentir japonais, catalan ou martiniquais, se rendre perméable à l’inconnuu, vivre hors de soi _ cf son « Hors de moi« , paru en 2006 aux Editions Léo Scheer _, être dérouté par des affinités imprévisibles, ainsi vont les errants, juifs ou non« , confie-t-il magnifiquement pages 215-216… _ ; et que, de plus, il vient de faire le voyage de Cadillac afin d’être présent à la cérémonie d’inauguration, à laquelle il a été invité en tant que petit-fils de Chaïm Noudelmann, interné à Cadillac depuis la fin décembre 1929, comme « fou«  incurable, et décédé (mort de faim, sous le régime de Vichy) le 21 mars 1941, et inhumé là dans le carré des fous, qui venait d’être rénové :

« Parti _ de France, de Paris _ pour une durée indéterminée, peut-être définitive, j’avais abandonné jusqu’à la responsabilité d’honorer, ou plus simplement de nettoyer, la tombe commune de ma grand-mère _ « dans le carré juif du cimetière de Bagneux« , a-t-on lu page 53 _, et voilà que je suis invité dans le cimetière français qui avait retrouvé trace de mon grand-père Chaïm. (…) Ce fut donc pour assister à la rénovation d’un cimetière abandonné que je revins _ »le 19 septembre 2020″, précisément, apprend-on page 224 _ sur les traces funéraires de mon fou grand-paternel« , page 223 ; et, ruminant ce jour-là « à la terrasse d’un des cafés de Cadillac qui entourent la mairie » (page 228), le petit-fils de Chaïm se dit alors (page 229) :

« Le sacrifice de Chaïm m’oblige à l’égard de la France _ pour laquelle celui-ci, Chaïm, encore officiellement étranger, de nationalité « russe« , en 1914, s’engagea, et devint, gazé au gaz moutarde sur le front, irréversiblement un « fou de guerre«  … _ et il ranime étrangement ma fidélité _ un mot assez important… _ : résidant _ désormais _ hors du territoire national _ à New-York _, je connais _ en cette année 2020 qui le mène à l’écriture de ce magnifique « Les enfants de Cadillac« …  _ l’amour de loin _ celui d’un autre girondin : le blayais sublime troubadour Jaufré Rudel _ et le plaisir de l’aller-retour d’un amant à double vie » ; mais, François Noudelmann se voit alors devoir admettre le fait que « même si l’histoire de Chaïm n’est pas la mienne, elle se perpétue à travers le nom _ « Noudelmann » _ des pères _ Chaïm, Albert, François… _, que cette transmission soit assumée _ et elle va l’être ici même, par l’écriture de ce livre, par lui, François _, rejetée ou suspendue. Elle a _ ainsi _ ouvert une séquence _ d’Histoire à la fois personnelle et familiale, et plus générale encore… _ qui se prolonge jusqu’à moi et déroule bientôt cent années _ en effet, « Chaïm obtient la nationalité française, par décret du 16 juin 1927« , avons-nous appris à la page 25  _ d’identité française« , convient François Noudelmann, page 229 ;

et il poursuit, page 229 : « Le sens de l’héritage m’apparut alors plus clair« , et justifie ainsi la méditation et retour aux sources de l’entièreté de cet immense et profond grand livre _ que je ne peux décidément pas me résoudre à accepter comme constituant rien qu’un « roman« …

« Inessentiel d’abord , et interchangeable, ce nom juif _ de Noudelmann _ ne joua aucun rôle dans mes choix d’enfant« , commence-t-il par établir, par un effort de récapitulation mémorielle, page 196, de l’articulation en son identité « feuilletée » de ce qu’il nomme sa « francité » et sa « judéité« .

Et, de fait, ce n’est qu’en 2008 que « le cluster antisémite » fut vraiment entendu, pour la première fois, par lui, « dans les agglomérats verbaux que le credo _ politique _ m’avait appris à proférer » en des manifestations auxquelles il participait, se joignait, déclare-t-il page 204.

(…) « Ce ne fut qu’à la fin 2008 que se produisit, pour moi, écrit-il page 207, le choc révélateur, un petit séisme intime _ rien moins ! _ qui instaura _ pour le devenir de fond de sa personne _ un avant et un après _ voilà ! Cet hiver-là, j’habitais dans le XIIIe arrondissement de Paris et souvent d’imposantes manifestations passaient par le boulevard Arago _ c’est au 4 Boulevard Arago que résidait en effet alors François Noudelmann : je l’ai retrouvé noté sur mon agenda d’adresses… (…) Il m’arrivait d’y prendre part, surtout en ces temps de ministère de l’Identité nationale qui rappelait de fâcheux souvenirs, page 207. (…) Par dizaines de milliers, chaque semaine,  des manifestants venaient dénoncer l’intervention disproportionnée de Tsahal et, ce jour-là, je pensais défiler avec les militants de La Paix maintenant, qui soutenaient le principe de « deux peuples, deux États« ..

(…)  _ cependant _, une pulsion de mort se répandait _ à l’imparfait, pas au passé simple ! _ parmi les crieurs de slogans et, sans arriver à en croire nos oreilles, nous entendîmes _ l’ami et lui qui défilaient ensemble, un peu à l’écart, cependant, des groupes du cortège _ distinctement : « Mort aux Juifs ! » Non pas une voix isolée, mais un hurlement collectif et dense. Il n’était pas possible de l’ignorer« , marque-t-il très clairement, page 208.

« Je pensais alors aux Noudelmann et aux Friedmann _ ses frères et sœurs, oncles, tantes et cousins Friedmann : quand elle épousa Chaïm Noudelmann, en avril 1916, deux mois avant la naissance d’Albert Noudelmann, le 24 juin suivant, Marie Schlimper était veuve de Hersch Friedmannn, dont elle avait eu 4 enfants : Jacques, né le 7 novembre 1902, Rachel, née le 25 août 1904, Raymonde, née le 3 avril 1907, et Bernard, j’ignore à quelle date il était né ; de même que j’ignore la date du décès de Hersch Friedmann... _ qui avaient dû porter l’étoile jaune à Paris, où ces mêmes appels au meurtre recouvraient les murs et les vitrines. Je revoyais ma tante _ une belle-sœur de sa mère, côté Friedmann, le plus probablement… _ et mes cousins me montrant le signe de l’infamie _ qu’ils avaient conservé… (…) Leur anxiété ou leur terreur me devinrent soudain plus proches et tangibles », page 209

Page 229, François Noudelmann poursuit sa réflexion sur ce que, lors de sa réflexion à Cadillac, le 19 septembre 2020, au sortir de la cérémonie au cimetière, il vient de nommer « le sens de l’héritage » à la fois juif et français :

« Du moins il me sembla osciller entre deux écueils opposés : d’une part l’orgueil de l’individu qui ne veut pas hériter, qui croit ne tenir que de lui-même _ à la Sartre, en quelque sorte… _ et s’honore d’être libre d’autant plus qu’il ignore les raisons qui le gouvernent. D’autre part, la romance psycho-généalogique de celui qui se pense un « descendant » _ à la Barrès, dirais-je par exemple… _ et qui s’identifie à bon compte aux traumatismes de ses ancêtres. Je suis paradoxalexalement tombé dans le premier piège, héritant du refus d’une famille _ les Noudelmann, Chaïm et Albert _ qui se voulait sans histoire et dans laquelle chacun _ à chaque génération _, pouvait remettre les compteurs à zéro. Programmé pour être _ à mon tour, moi aussi _ sans programme, je vivais comme Chaïm et Albert qui rejetérent leur filiation et leurs coutumes, même celle de la religion à laquelle ils ne croyaient plus et qui aurait pu leur procurer le sentiment d’une solidarité. Plus je prends de l’âge, plus je perçois combien cet affranchissement est présomptueux, et pour le dire ave les mots de la philosophie, je deviens de plus en plus freudien _ voilà ! _, doutant de ce que je crois avoir choisi par moi-même, tout en résistant au second piège de l’héritage »

À suivre…

Ce vendredi 26 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

François Noudelmann questionnant les tensions entre affiliations, d’ailleurs diverses (pas seulement génétiques et généalogiques), et le jeu contingent et ouvert, renversant, des affinités de rencontres, alliances de différences : routes et déroutes d’un homme plus libre… Ou pouvoir devenir ce que je suis au-delà des pressions déterminantes et déterministes…

24mai

Ce mercredi 24 mai

en poursuivant ce dont j’ai à peine tracé les bases en mon article d’hier « « ,

j’aborde davantage le fond _ je dirai philosophique _ de la formation-construction progressive d’une identité personnelle généreuse, plus vraie et plus libre, via le jeu toujours ambivalent des rencontres, tel que le dégage peu à peu, ce jeu toujours un peu complexe et comportant une part d’indétermination, François Noudelmann en son « histoire » de ceux qu’il nomme « les enfants de Cadillac« ,

entre réclusion psychiatrique de « fous » à Cadillac en Gironde, avec sa Porte de la Mer donnant vers la Garonne _ la coquette et paisible cité ceinturée de remparts des ducs d’Épernon _,

et le mirage rose (« in my pink Cadillac« , chante Aretha Franklin… _ « Galvanisé par le rythme de sa chanson, je portai un toast à la vie, « L’Chaim » ! Je montai dans la Pink Cadillac d’Aretha et j’emmenai Chaïm sur la route, à travers des paysages dont il n’avait sans doute jamais rêvé « , et c’est sur ces deux ultimes phrass que se conclut, page 234, le récit des « Enfants de Cadillac« … _) américain, du côté de Detroit _ cité fondée par Antoine de Lamothe-Cadillac, le fondateur du Fort Ponchartrain du Détroit, en 1701,  _, qui peut aussi, en une adhésion un peu trop illusoire à sa « mythologie », mener à des impasses névrotiques, faute d’assez de déprise, recul et un minimum de détachement

La question de départ est ainsi posée, page 188 :

« À quelles expériences familiales doit-on ce que l’on est devenu ? Comment les désirs des parents, leur volonté d’acquérir une identité, une place, une réputation, se répercutent-ils sur les êtres qui leur succèdent ?« 

La réponse un peu élaborée qui suit, aux pages 188-189, dessine le contour du problème à un peu éclaircir, sinon élucider :

« Une biographie de soi ou des autres, unifie _ simplifie _ les événements et les inscrit dans une ligne _ un peu trop _ droite, avec un début, voire un archi-début, et une fin ; elle met en valeur les héritages _ générationnels _ et les arborescences. La généalogie _ parentale _ – tels sont sa séduction et son piège – fournit une cohérence et une continuité à _ trop _bon compte _ simplistes. Chaque individu s’y retrouve fils ou fille de, petit-fils ou petite-fille, descendant, héritier, légataire, qu’il poursuive la trace de ses ancêtres ou la conteste, le récit généalogique le maintiendra toujours dans ce rapport _ implacable _ à la lignée du sang ou du nom. La programmation _ voilà ! _, suivie ou contrariée, ordonne son parcours.

Et pourtant _ objecte alors ici François Noudelmann _, l’existence se fait et se défait sans cesse _ voilà ! _ au gré des accidents, des hasards et des imprévus _ au choc de l’ironique clinamen lucrétien _, du moins la mienne s’est-elle déroulée ainsi _ avec pas mal de disruptions et discontinuités… _, et me rend sensible aux greffes, transplantations _ hybridations _ et métamorphoses, plus qu’à la recherche de ressemblances _ entre générations, et que celles-ci soient génétiques ou culturelles….

Ce que je suis, si tant est que je puisse le savoir, tient surtout aux rencontres _ voilà ! _ qui ont déplacé mes goûts, mes paysages _ tant géographiques, culturels, que mentaux _, et mes horizons.

À l’expression « venir de » qui déclenche la narration biographique _ attendue _, pourrait se substituer celle de « tomber sur » qui ouvre l’avenue à _ et l’advenue _ des bifurcations, des carrefours et des transferts : sur qui êtes-vous tombé ? Sur quoi, pour avoir suivi ce chemin? demanderait-on _ sensible, pour une fois, aux surprises et inattendus plus singuliers du non anticipé.

Comment suis-je tombé sur une sonate de Prokofiev pour comprendre qu’on pouvait vivre dix fois plus en jouant du piano.

Comment suis-je tombé sur Les Nourritures terrestres et Aurélia, deux livres qui m’ont fait découvrir, vers seize ans _ en 1975 _ qu’un livre pouvait apprendre à voir, à sentir et à rêver ?

Ces rencontres de hasard ont provoqué des enthousiasmes  _ voilà ! des trouées magiques élévatrices dans la forêt noirâtre de l’ennui du sempiternel convenu attendu _, orienté des choix, entraîné des relations, déjouant _ voilà, avec humour _ la logique des héritages. Elles relèvent de l’option et de l’adoption » _ voulus et assumés comme tels : des nutriments surprenants, et à saisir, Kairos aidant, à l’improviste et improvisation de la liberté vraie, par conséquent.

Voilà qui est fort, et tellement juste !

Ce mercredi 24 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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