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Sur le « rencontrer » _ philosophique : le point de vue du « prof de philo »

10déc

Pour prolonger l’article précédent, à propos de Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves, sous la direction de Jean-Marc Joubert & Gibert Pons, aux Editions du CNRS (paru au mois d’octobre 2008),

ce message à Frédéric Brahami, en accompagnement de l’envoi de mon article précédent _ « de ce que c’est qu’un « maître » de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole » _ où je cite des extraits _ passionnants ! _ de sa contribution à ce livre (aux pages 139 à 142) :

 De :   Titus Curiosus

Objet : Article sur « Portraits de maîtres »
Date : 10 décembre 2008 06:48:37 HNEC
À :   Frédéric Brahami

Etat des lieux provisoire
sur le recueil « Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves » (aux Editions du CNRS).

Je pense que je rédigerai un article plus synthétique
_ ainsi que « critique » _
sur ce « recueil » de témoignages un peu inégal, dans sa diversité,
en même temps que nécessaire
quand l’École est menacée ;

et le rôle que peuvent jouer
des profs de philo
,
qui n’auront pas nécessairement de « disciples »,
mais marqueront tout de même; et peut-être en profondeur,
pour leur vie d' »homme »
(et « non in-humain », comme le dit Bernard Stiegler dans « Prendre soin 1« )
quelques uns des « élèves »
que l’institution scolaire
leur a permis
_ donné l’occasion, explosive parfois _ de « rencontrer »…

Voici un lien pour mon  article
« de ce que c’est qu’un « maître » de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole »

D’autre part, voici ce que j’ai pu écrire _ et qui avait paru sur le site Ars Industrialis de Bernard Stiegler le 5 avril 2007 _
sur le « point de vue » du « prof de philo » (de Terminale, au lycée) quant au « rencontrer » ses élèves
dans l’activité du « philosopher »
du (simple) cours de philo…


Je cite un « passage » de l’article…

Bien à toi
(où en es-tu de ton travail sur les Maistre, Bonald, etc… ?
car j’ose l’attendre, depuis que tu m’en as parlé !..),

Titus

Voici _ sans retouches _ l’extrait de cet article de mars-avril 2007 :

Ce régime assez divers de tonalités diverses de « rencontres », je l’éprouve particulièrement pour ce qui me concerne dans mon métier et mon travail, au quotidien, de professeur de philosophie, avec la diversité _ grande _ de mes élèves _ et des progrès que j’en attends, que j’en espère, et qui me ravissent quand ils se sont en effet _ car cela, mais oui, arrive ! _ comme hegeliennement réalisés (= passés de la puissance à l’acte). Même si j’œuvre _ heureusement ! _ à plus longue échéance que celle de l’examen de fin d’année _ et de ses statistiques habilement manipulées pour la galerie, qui on ne peut plus complaisamment, et avec courbettes, s’y laisse prendre.

La classe de philosophie est cependant, et en effet, pour moi, sans contrefaçon aucune pour quelque galerie que ce soit _ les élèves à ce jeu n’ont heureusement pas, eux la moindre fausse complaisance ! _ un vrai lieu d’activité permanent _ et donc privilégié, éminemment chanceux, selon, bien sûr, l’inspiration des jours, et de chacun, et de tous ; tous ayant droit à la parole et plus encore à l’écoute, ainsi qu’à la critique bienveillante, encourageante, joyeuse, mais aussi exigeante, des autres, et d’abord, bien sûr du professeur, responsable de l’entité « classe » et de sa « vérité » _ un lieu, donc, de rencontres, un lieu vibrant et aimanté de sens, un lieu électrique où doit progresser, et progresse la conscience…

Entrer dans la classe, s’approcher de la chaire, et après avoir déballé l’attirail plus ou moins nécessaire ou contingent, après « l’appel » _ au cours duquel je m’avise avec soin de l’état de chacun par ce qu’annonce son visage, son teint, sa posture, ainsi que la voix qui répond, mais d’abord de son regard, en avant de tous les autres signes _, et dans l’échange vivant de nos regards, commencer à parler. A convoquer le sens _ « Esprit, es-tu là ? Viens ! Consens à descendre parmi nous, et en nous : et à nous animer de ta raison !« _, à partir de notre commun questionnement, notre socratique _ et « pentecôtique » ? _ dialogue.

Voilà qui réclame infiniment de présence, c’est-à-dire d’attention, de ré-flexion, de chacun et de tous _ et d’abord du professeur, qui conduit les opérations. Un exercice exigeant. A l’aune de l’idéal de la justesse. Et sur un mode le plus joyeux possible _ le professeur, tout le premier, doit être le plus constamment possible en grande forme !

Car ici et maintenant, en cette salle de classe, tout _ ou presque _ se met à tourner autour du règne de la parole. Qui doit être aussi, bien sûr, ou plutôt devenir le règne de la pensée : sommée _ ou plutôt invitée, encouragée _ de s’interroger, de réfléchir, de méditer. Afin d’oser, en confiance, à s’essayer à juger. Et puis justifier ses raisons.

Dans l’espace public et protégé de la classe, qui comprend, entre l’espace formidablement libre de ses murs, et dans une acoustique qu’il faut espérer adaptée, l’échange de nos paroles, de nos phrases, s’essayant et se mesurant, par l’effort du « penser » à la justesse ardemment désirée du bien pesé, du bien jugé, du bien pensé…

Emmanuel Kant : « Penserions-nous bien et penserions-nous beaucoup, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ?«  (dans « La Religion dans les limites de la simple raison » _ vigoureux opuscule contre la censure). Soit une rencontre avec l’idéal de vérité et de justesse du jugement, dans l’échange à la fois inquiet et joyeux du « juger ».

De même que pour Montaigne, instruire, c’est essentiellement former le jugement. Exercice pédagogique exigeant.

Voilà ce qu’est la rencontre pédagogique philosophique.

Entre nous. Autour de la parole. Autour de, et par l’échange _ et cette « rencontre » de vérité. Et pour _ c’est-à-dire au service de _ la réflexion, et dans la tension vers sa justesse. Chacun, comme il le peut. Avec un style qui va peut-être se découvrir, pour chacun. Car, « le style, c’est l’homme même« , nous enseigne Buffon en son « Traité du style« .

Comment accéder à « son » style ? Comment accomplir une œuvre qui soit vraiment « sienne » _ et sans se complaire dans de misérables égocentriques illusions ? Là, c’est l’affaire d’une vie, pas seulement d’une année de formation de philosophie.

Celle-ci peut et doit encourager et renforcer un élan _ même si elle n’est pas capable de le créer de toutes pièces _ ainsi que l’aider de conseils à ne pas s’égarer dans de premières voies qui aliéneraient ; afin de découvrir soi-même, en apprenant à le tracer, pas à pas et positivement, son propre chemin. « Vadetecum« , recommandait Nietzsche dans « le Gai savoir » à qui désirait un peu trop mécaniquement devenir son disciple, le suivre : « Vademecum, vadetecum« … La réussite du maître, et c’est un paradoxe bien connu, c’est l’émancipation _ autonome _ de l’élève.

J’adore, pour cela, cette situation « pédagogique », bien particulière, sans doute, à l’enseignement de la philosophie _ ou plutôt du « philosopher » : « on n’enseigne pas la philosophie, on enseigne à philosopher« , disait encore Kant, après Socrate, et d’autres. C’est que c’est un art, et pas une technique. Un art un peu « tauromachique » _ c’est-à-dire n’hésitant pas à s’exposer mortellement à la corne du taureau _, à l’instar de la mise en danger qu’évoque si superbement Michel Leiris dans sa préface à « L’âge d’homme« .

Situation particulière encore, aussi, peut-être, à ma pratique personnelle _ si tant est que j’ose une telle expression _ de cet enseignement « philosophique », tel que je le conçois, comme je l’ai bricolé, cahin-caha, tout au long de ces années, avec les générations successives d’élèves. Car j’ai aussi bien sûr beaucoup appris d’eux, par eux, avec eux, dans ce ping-pong d’une classe vivante, où vraiment, avec certains, sinon tous, nous nous « rencontrons »par le questionnement vif et exigeant de la parole.

Comme j’ai moi-même au lycée vraiment rencontré mon professeur de philosophie de Terminale, Madame Simone Gipouloux : un modèle d’humanité, dans toute sa modestie, et son sourire _ parfaitement intact dans son grand âge _, une personne simplement épanouie dans une gravité joyeuse.

Avec les élèves : voilà, j’aime ça.


Ainsi est-ce une grande chance pour moi que d’avoir _ et d’être rétribué pour cela _ à « rencontrer » ainsi, en mon service hebdomadaire, mes élèves…

En partie indépendamment de son efficacité, certes assez inégale, je prends à cet effort un plaisir important. Mieux : une joie portante. Une vivifiante jeunesse.


Même si pour certains, voire beaucoup d’entre ces élèves _ et au pire, mais c’est quand même très rare, une classe entière : alors quel boulet ! _ rien, ou pas grand chose, vraiment ne se passe, rien d’intéressant n’advient durant tout ce temps. Pas d’étincelle, pas de lueur s’allumant au moins dans la prunelle de l’œil, pas d’enthousiasme, pas de progrès… Les dieux, qui sont « aussi dans le foyer«  _ ainsi que le montrait du geste Héraclite cuisinant_, se taisant désespérément alors, n’inspirant aucune pensée, n’éveillant aucun éclair d’intelligence, désertant tristement les tentatives d’échanges… « Le grand Pan » est mort pour ceux-là. Je n’aurai pas réussi à éveiller-réveiller ces dormeurs d’Éphèse… C’est aussi, en partie, le lot de cet enseignement, il faut en convenir. On se console en se disant qu’on sème _ et qu’on aura semé _ pour l’avenir…

Mais c’est déjà, objectivement, le jeu statistique de la vie, en dépit des occasions qui nous sont encore offertes _ pour combien de temps, les budgets se réduisant ? _ par la configuration des espaces et constructions scolaires et des emplois du temps… Jeu statistique aidé, accéléré ou retardé, par l’évolution _ ce mot trop souvent trompeur _ politico-économique des « structures »… L’acteur, se démenant, échouant parfois à dynamiser, à sa modeste mais nécessaire place et par sa modeste mais nécessaire contribution, le système pourtant maintenu en état, et qui continue à présenter une apparence _ rassurante ou illusoire ? _ de solidité… Pour combien de temps ? Et avec quelles énergies ?

Dans la vie, c’est pareil : j’aime « rencontrer », j’aime « échanger », j’aime cette situation électrique de « désirs » (= curiosités) « croisés » _ même, et c’est la règle, de fait comme de droit, peu érotisés : cela m’arrange, je suis plutôt un chaste.  Cela n’empêchant pas une vive et permanente dimension « esthétique » du vivre, de l’ordre même du jubilatoire _ jusqu’à l’éclat de rire joyeux…

Même si la plupart du temps, je dois en convenir, j’ai le sentiment de croiser pas mal d’ombres. Et pas de celles, errantes, qui enchantent de leurs émois le monde musical si pleinement vivant d’un François Couperin.

Etc…

Fin du message à Frédéric Brahami.


Titus Curiosus, ce 10 décembre 2008

De ce que c’est qu’un « maître » de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole…

07déc

Sur le passionnant et riche _ à foison _ « Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves« ,
recueil d’une pléïade de contributeurs

_ d’Alcibiade (et Pierre Laromiguière, Jules Lagneau et Alain) à Frédéric Brahami, Barbara Stiegler et Pierre Bergounioux parmi un peu plus d’une soixantaine) _,
sous la direction de Jean-Marc Joubert & Gibert Pons, aux Editions du CNRS (paru au mois d’octobre 2008)

Un témoignage non seulement très riche, mais plus que nécessaire et sans prix

à un moment _ comme il en est d’assez « récurrents » (de la part de ceux que « trop penser » dérange !) _ de particulière « déconstruction » de l’Ecole, sous divers prétextes (vertueux) d’efficacité et économie

en temps de compétitivité commerciale exacerbée et de « vaches (particulièrement) maigres » (pour certains ; pas pour tous…)…

Après _ au chapitre d’entrée : « Quelques maîtres du passé » _ de fort beaux et très puissants textes issus des plumes de Platon (« le portrait de Socrate par Alcibiade« , in « Le Banquet » de Platon),
de Taine (le portrait de « Pierre Laromiguière » (1756-1837), in « Les Philosophes classiques en France » d’Hippolyte Taine _ 4ème édition en 1876 à la Librairie Hachette),
d’Alain (des « Souvenirs concernant Jules Lagnaud« , in « Les Passions et la sagesse » d’Alain)
et de Georges Bénézé (« Généreux Alain« ),
ainsi que de Michel Alexandre (« Rencontre d’Alain« , in un numéro spécial d' »Hommage à Alain » de la N.R.F? en 1952 ;

la principale partie concerne les « Maîtres d’ici » _ 59 articles _ ;
suivie d’un appendice « Quelques maîtres d’ailleurs » (qu’en France, et au nombre de 4)…

« Profs de philo » ? « Maîtres« ? L’intuition de départ de Jean-Marc Joubert
_ « Directeur du département de Lettres Modernes de l’ICS« , à La-Roche-sur-Yon _
allait vers les premiers ;

mais le titre _ « bien meilleur » ! (page 9) _ de « Portrait de maîtres » lui a été suggéré par son ami
_ « et complice » : co-animateur de l’entreprise éditoriale ; critique d’art, photographe, et professeur de philosophie au lycée d’Ussel & à l’Université de Limoges ; dont le préambule est de belle qualité… _
Gilbert Pons :

les articles des contributeurs ayant tendance à se focaliser plus ou moins sur ce « qualificatif » _ toujours un peu problématique _ de « maître », envers un élève ;

ou envers un disciple ;
depuis que nous avons appris, de Kant
(dans la « Critique de la raison pure« ) que :

« On ne peut apprendre aucune philosophie ;
car où est-elle,
qui la possède
et à quoi peut-on la connaître ?

On ne peut qu’apprendre à philosopher ?« 

Nietzsche, lui, nous donnant à entendre, par son Zarathoustra,
ou ailleurs _ ainsi dans la préface du « Gai savoir« ,
que l’unique sagesse à « gagner »
est, non de « suivre » la voie de son maître,
mais de « découvrir la sienne
 » :
« Vademecum _ si tu veux vraiment me suivre _, vadetecum » _ c’est toi-même qu’il te faut « découvrir » et apprendre à « inventer »-« suivre »…

How to teach
how to learn


A titre d’exemple, ce petit échange hier
_ j’ai commencé par « grapiller », en relevant les noms de maîtres personnellement connus ;
ainsi que de leurs élèves, que je connais aussi _
avec un des contributeurs : l’excellent Frédéric Brahami :

De :      Titus Curiosus
Objet :     Camille Pernot
Date :     6 décembre 2008 19:30:33 HNEC
À :       Frédéric Brahami


Quel bel (et juste) article sur ce que peut être le « charme » d’un enseignement philosophique,
à travers ce superbe portrait de Camille Pernot,
cher Frédéric !


Pour moi qui ose écrire sur la « délicatesse » du « rencontrer » _ et son « non-art » !

cf le titre de ma conférence samedi prochain à Aix, à la NonMaison : « pour un nonart du rencontrer » !.. _,

….

de même que je me suis risqué à quelques remarques-réflexions sur l’intime (à travers le beau livre de Michaël Foessel « La Privation de l’intime« )
cf mon article du 11 novembre : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie »


et sur le « care«  _ et la traduction (discutable…) de « sollicitude » _ (à travers le livre de Fabienne Brugère : Le Sexe de la sollicitude)
cf mon article du 26 novembre : « pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère »


quelle magnifique leçon, cher Frédéric…

Je ne sais si se trouve encore aisément « La politesse, et sa philosophie« 

_ parue au PUF, en 1996 _,
mais voilà quelque chose qu’il me plairait assurément de déchiffrer bien attentivement.

Merci pour ton (pas petit) talent (d’attention) !

Bien à toi,

Titus

Sur la conférence bordelaise _ à mon initiative _ de Bernard Sève,
encore ceci :
l’article du 14 novembre : « Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève : sur le tissage de l’écriture et de la pensée de Montaigne »


La réponse de Frédéric :

De :       Frédéric Brahami
Objet :     Rép : Camille Pernot
Date :     6 décembre 2008 21:28:16 HNEC
À :      Titus Curiosus


Merci à toi. Tu sais que M. Pernot est mort, je suppose.
à un de ces jours, peut-être
fred


Et la mienne :

De :       Titus Curiosus
Objet :     Notices (sur Camille Pernot)
Date :     6 décembre 2008 22:25:12 HNEC

À :       Frédéric Brahami

J’ignorais que M. Pernot était mort :
les notices du livre sont si rudimentaires, qu’elles en sont, carrément, « déficientes ».
Tout au plus, peut-on le deviner, car la notice (page 372) emploie pour M. Pernot l’imparfait…

Je vais rédiger un article demain sur mon blog mollat
sur ce livre (« Portraits de maîtres« )

à la fois symptomatique de notre présent,
et bel hommage à ce qui demeurait encore de « qualitatif » (à travers les personnes de ces « maîtres« ) dans l’Ecole
qu’on est en train présentement d’allégrement démolir…


J’ai plaisir en tout cas à lire certains « portraits » _ notamment de ceux que j’ai pu connaître personnellement (Ferdinand Alquié, Eric Blondel, Etienne Borne, Bernard Bourgeois, François Dagognet, Jacques Derrida, Christiane Menasseyre, Jean-Claude Pariente, André Pessel) _,
de même que l’écriture et le style (de penser) de certains des « portraitistes », dont toi (et Pierre Bergounioux, Barbara Stiegler, Frédéric Worms)…

Titus

En fait, la table des matières fournit quelques dates (de naissance et de décès) ; mais pas systématiquement !..

Bien sûr,
les initiateurs de ce très beau projet ont _ un peu aléatoirement _ reçu réponse, ou pas, des « élèves » (de « maîtres« ) qu’ils avaient sollicités ;
et de qualité un peu variable ;
certaines
_ et même beaucoup _ sont magnifiques :

outre celles de Barbara Stiegler (« la philosophie comme discipline érotique« ) à propos de son professeur (en khâgne à Henri IV, en 1990) Pierre Jacerme _ pages 255 à 259 _ ;
et de Frédéric Brahami à propos (du « charme _ proprement _ philosophique« ) de Camille Pernot _ pages 139 à 142 _,
sur le « charme philosophique », donc :

en cette dernière, de Frédéric Brahami, je relève ceci :

« Le trait le plus marquant

_ du « charme proprement philosophique » de Camille Pernot _

en était l’identité de la précision et de la distance.
(…) C’était la précision elle-même qui mettait à distance l’objet du cours. Je me souviens d’une séance sur l’animal chez Descartes.
(…) A mesure que l’exposé doctrinal se construisait dans une rigueur sans faille, c’étaient les failles de Descartes qui venaient au jour.
Ce n’était pas l’incantation des grands mots attendus et bien-pensants sur la nécessité de penser par soi-même,
mais la droiture intellectuelle,
la netteté de la précision,
l’attachement au détail toujours reporté à l’ensemble,
qui engendrait, par la pure efficacité de l’analyse, la distance critique.
 »

Ou, à propos de David Hume :
« Ainsi le mot obvious

ne signifiait-il plus évident, comme les traducteurs sont plus ou moins obligés de le rendre :
s’y manifestait toute une philosophie de la rencontre,
de l’apparaître,
de l’événement même ;

et la phrase que Hume avait ironiquement écrite dans un anglais scrupuleusement facile et apparemment transparent,
se métamorphosait en une autre phrase, dans laquelle les catégories fondamentales, comme celles d’évidence et de vérité,
se détachaient de leur ancrage classique,
de leur milieu « cartésien »,
et devenaient inquiétantes par leurs implications.

L’évidence n’avait plus rien à voir avec la saisie tranquille d’une intuition intellectuelle indubitable par un esprit maître de soi,
elle résultait de la force d’une rencontre
qui faisait violence à l’esprit
en lui imposant son autorité.

C’était d’une efficacité parfaite, parce que c’était encore l’union des qualités contraires :

la profondeur de la pensée dans la transparence« …

Quelle acuité, cher Frédéric !

Et, en conclusion de l’article de Frédéric, encore ceci :

« Il peut paraître paradoxal de parler de l’enseignement d’un maître de philosophie en témoignant de l’efficacité de son charme

_ philosophique !
Le charme relève de la magie, de la fascination,
de tout ce contre quoi, en somme, lutte la philosophie.

La philosophie, c’est la raison ; et la raison désenchante le monde. C’est vrai.

Mais ce n’est vrai que d’une vérité générale, cela ne vaut que dans les manuels scolaires.
Car nous savons tous,
nous qui avons été marqués par un professeur,
que la philosophie n’a pris un sens vivant pour nous
que par la force affective qu’enveloppait une présence.

L’intelligence de l’acuité n’est pas sèche ;
et la distance elle-même,
ce qu’on appelle en anglais
carelessness,
est un délicat affect philosophique.« 

Fin

_ superbe (parce qu’aussi belle que juste, et juste que belle !) _

de l’article de Frédéric Brahami, page 142.

Quant à la contribution de Barbara Stiegler (à propos des « séances » de cours _ « musicales » !.. _ de Pierre Jacerme,

je lis (page 256) :

« Du côté de la partition,

nous avions toujours accès au meilleur,
c’est-à-dire aux plus grands textes.
Du côté de l’interprétation, ce que nous entendions ressemblait à une lente rhapsodie,
apparemment libre et décousue.
Pierre Jacerme savait prendre son temps
pour laisser venir sa lecture,
qu’il semblait inventer devant nous,
comme un pianiste invente chaque fois son interprétation, ici et maintenant,
et ce en dépit des innombrables
« répétitions » qui le prémunissent seulement de l’improvisation
et jamais de l’invention.


La parole de Pierre Jacerme ne visait ni les effets (du théâtral),
ni le brio ou la virtuosité (du prétoire),
ni l’autorité (de la parole politique).

C’était la parole lente
et comme étouffée
d’un travailleur souterrain,
s’épuisant à forer les profondeurs d’une question
jusqu’à atteindre son point brûlant et incandescent
: les contradictions en fusion,
constituant, pour lui et nous, la seule matrice possible de la pensée philosophique.


Parce qu’il n’ y avait jamais de « message » dans la séance que nous vivions,
parce qu’en un sens il n’y avait aucune « démonstration » défendant une thèse positive avec les ressources habituelles de l’argumentation rationnelle,
parce que ce à quoi nous assistions
était bien plutôt un forage des profondeurs à la recherche des tensions internes du sous-sol,

la matière sonore qui coulait dans nos oreilles
ressemblait plus à de la lave en fusion
qu’à un cours structuré
avec ses parties et ses sous-parties, ses arguments et ses contre-arguments.


Bref,
nous étions comme des chairs ayant à organiser le flux, elles-mêmes en première personne,
situation hautement philosophique

que je retrouvais quelques années plus tard,
précisément dans ces termes,
du côté de Nietzsche décrivant les amours de Dionysos et d’Ariane
« …

« Car il s’agissait, en effet, d’amour.
Je me souviens que Pierre Jacerme lui-même nous avait montré avec insistance,
commentant le
« Ménon » de Platon,
que la philosophie ne pouvait être qu’une
« discipline érotique ».

L’éros devait, pour que la séance se déroule, exister de part et d’autre :
du côté du texte et de son interprétation,

qui avaient besoin d’oreilles aimées et amies qui les entendent et les reçoivent,
du côté des oreilles elles-mêmes, qui avaient besoin d’aimer le flux saturé de contradiction
pour le supporter
et prendre le risque de s’y exposer.


Or, comme dans le « Ménon« , l’éros n’allait pas sans les conflits violents d’un corps à corps.
Comme dans toute pratique érotique,
nous faisions l’expérience,
parfois pénible et douloureuse,
d’une haute circulation affective.

(…) Cette circulation affective
avait de tout autres enjeux que psychologiques.
Elle prenait sens
sur le fond d’une pratique intensive de l’
« amour du lointain ».

Avide de lointain et d’étranger,
Pierre Jacerme s’efforçait de nous initier par intermittences à la lumière dépaysante des contrées les plus lointaines
:
celles notamment des
« primitifs » d’Océanie et d’Asie, deux continents qu’il connaissait et qu’il aimait,
et qui jetaient leur lueur lointaine
et, pour nous,
« tout autre »,
sur la Grèce et sur l’Occident.


Je découvris plus tard que cet effort
prolongeait fidèlement l’ambition de Nietzsche :
« Enseigner l’éloignement vers l’étranger (« Entfremdung« ) dans tous ses sens »,
en vue de « creuser des fossés » brisant « l’égalisation » des modes de pensée (in « Fragment posthume« , 1855 36 (17) )

Je ne voudrais _ non plus que ne pourrais _ conclure cet article
sans
saluer tendrement Simone Gipouloux,
mon professeur de philosophie de Terminale,
qui m’a donné ce même désir (de l' »amour du lointain« ) du philosopher,
comme sens de la non-inhumanité ;

ainsi que le cher souvenir de Jean-Marie Pontévia,
maître en æsthétique

cf, qui demeurent, ses « Ecrits sur l’Art et Pensées détachées » (aux Éditions William Blake and Co)…

Titus Curiosus, ce 7 décembre 2008

Le suicide d’une philosophe : de la valeur de vérité (et de justice) dans le marigot des (petits) accommodements d’intérêts

08nov

Un article _ hélas _ significatif (du présent : de la « société »…) sur l’excellent blog de philosophie de François Noudelmann : « 24 heures Philo » _ sur le site de Libération ; en date du 3 novembre 2008…

03/11/2008

« Une philosophe broyée par l’université de Brest »

(sic)

Par Jacques Dubucs, Jean Gayon, Joëlle Proust, Anouk Barberousse, Philippe Huneman•

«  Marie-Claude Lorne, philosophe, s’est donné la mort à 39 ans. En 2004, agrégée de l’Université, elle avait soutenu une thèse de philosophie des sciences et bénéficié, durant sa rédaction, de plusieurs subventions internationales. Par la suite, elle a effectué deux séjours postdoctoraux, à Montréal et à l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques de Paris (IHPST). Elle a enfin été élue en mai 2007 à un poste de Maître de Conférences à l’Université de Bretagne Occidentale (Brest).

Engagée dans une recherche de longue haleine sur les notions de fonction, d’information et d’intentionnalité en psychologie et en biologie, ainsi que sur la biologie contemporaine du développement, Marie-Claude Lorne devenait clairement une autorité en philosophie de la biologie, une interlocutrice privilégiée de ceux qui, Français comme étrangers, sont au premier plan de cette discipline. Tous ceux qui l’ont croisée ont été impressionnés par l’exigence et la clarté de sa pensée. Sur le terrain des idées, Marie-Claude ne transigeait jamais. Beaucoup se souviendront de ses interventions passionnées lors des colloques de philosophie. Pour cela, ses amis l’admiraient et enviaient son intransigeance : jamais elle ne cédait devant un argument qu’elle n’estimait pas intégralement clair ou satisfaisant.

Le 22 septembre, elle laissait à son domicile une lettre annonçant son suicide ; le 3 octobre, son corps a été retrouvé dans la Seine. Sa disparition est une grande perte pour la philosophie, française comme internationale ; elle laisse une œuvre interrompue que ses collègues auront à cœur de rendre publique.

Pourquoi cette jeune musicienne et mélomane raffinée, se comptant beaucoup d’amis, cette femme enthousiaste aimant les bons vins, les dîners et les soirées d’après conférences, a-t-elle ainsi abrégé sa vie ? Sa longue lettre d’adieu fait état de sa «non titularisation» comme maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale. Il faut savoir qu’en général, cette titularisation va de soi ; son refus nécessite des carences majeures publiquement attestées (non effectuation du service, incompétence pédagogique majeure, violence _ et encore, celles-ci n’ont que très rarement entraîné un rejet du corps universitaire, comme beaucoup peuvent en témoigner).

Chercheuse hors pair, Marie-Claude Lorne était aussi une enseignante irréprochable : de multiples témoignages d’étudiants et de collègues viennent maintenant nous le confirmer. Ainsi, cette sentence, prise par une commission de spécialistes ayant siégé et œuvré dans des conditions peut-être légales mais déontologiquement invraisemblables et inacceptables au regard des us et coutumes universitaires, s’avère indubitablement une «décision injuste» (deux membres présents sur dix titulaires et dix suppléants ont siégé ; contre tous les usages de l’Université, la décision n’a été communiquée à l’intéressée qu’après trois mois, à la veille de la rentrée). Marie-Claude a elle-même souligné l’injustice foncière de cette décision dans sa lettre d’adieu. Après le drame, huit des membres de la commission de spécialistes ont véhémentement protesté par lettre auprès de l’Université, du recteur, du ministre et du Conseil National des Universités.

De fait, une telle décision n’avait rien d’irréversible, tant les amis que Marie-Claude avait alertés, étaient déterminés à faire valoir son droit à l’encontre d’une sanction qu’ils estimaient, sur la forme comme sur le fond, inique. Néanmoins, quelle que soit l’issue des recours, elle disait se voir condamnée à exercer à l’avenir son métier dans un «environnement professionnel hostile», perspective qu’elle refusait à juste titre de supporter. Même si nous ne comprendrons jamais vraiment pourquoi Marie-Claude a vécu cette décision comme injuste au point de se donner la mort, il est clair qu’elle l’a entendue comme un arrêté ultime, irrévocable à l’encontre de sa légitimité comme philosophe, c’est-à-dire comme une violence symbolique extrême.

Marie-Claude aimait vraiment la vérité, fidèle en cela à l’exigence originelle de la philosophie. Le semblant, quelque nom qu’on veuille bien lui donner _ « diplomatie » les bons jours, « hypocrisie » les mauvais _ elle n’en voulait pas. Elle n’a jamais cédé là-dessus, refusant de feindre de se ranger aux avis de plus puissants pour tirer les bénéfices de son allégeance. D’où, bien sûr, des difficultés prévisibles ; elle les connaissait et les acceptait.

La tragique disparition de Marie-Claude Lorne nous interpelle sur un monde du travail capable d’ainsi broyer les individus, et demande une réaction énergique. Toutes les enquêtes le montrent : le taux des suicides déclenchés par des motifs professionnels est en hausse inquiétante. Lorsqu’une telle dérive en vient à toucher des institutions républicaines, elle est particulièrement insupportable.

A Brest, Marie-Claude en a payé le prix. Un prix démesuré. »

Jacques Dubucs (Directeur de recherche, Directeur de l’IHPST (CNRS/Paris I Sorbonne/ENS) ; Jean Gayon (Professeur à l’Université Paris I Sorbonne) ; Joëlle Proust (Directeur de recherche, Institut Jean Nicod (CNRS/EHESS/ENS)) ; Anouk Barberousse, Philippe Huneman (Chargés de recherche à l’IHPST).

Rédigé le 03/11/2008 à 15:05

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Voici les sites qui parlent de Une philosophe broyée par l’université de Brest :

Commentaires

Avec pressions à la clé.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… même à l’Université.

Avec tristesse et révolte, je pense à cette femme brillante bien sûr, mais surtout intègre et bien trop jeune pour un tel destin tragique.

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=46451

Rédigé par: candide | le 03/11/2008 à 17:09

Ce genre de geste, malheureusement, se renouvellera … Ce ne sera que la conséquence logique de l’autonomie des Universités qui permettra toutes les magouilles locales de petit groupes de baron(ne)s locaux sans aucun contrôle … Aujourd’hui, ces contrôles sont déjà rares … la preuve !

Rédigé par: B.D. | le 03/11/2008 à 17:14

L’université compte autant de cuistres que de savants ; et parmi les raisons de son effacement, les batailles pour trois ronds de frites, les rivalités de personnes, de territoires… D’où la nécessité d’apprendre les hommes, avant d’étudier les livres… Quelle triste affaire qui sent le provincialisme à plein nez… Sans compter qu’un poste de maître de conférences n’est déjà pas la panacée pour un savant de haut niveau : faut-il un dessin des obligations de service ? Refuser la titularisation dans ce cas, c’est effectivement renvoyer la personne sur les bords de Seine, lui courbant l’échine et l’injuriant en bas-breton

Rédigé par: Vieux Taxi | le 03/11/2008 à 17:40

Bien entendu, je ne connais ni cette collègue, ni les « dessous » de l’affaire. Mais je sais que le monde universitaire peut être, au moins autant que le monde des affaires, impitoyable ; et qu’en outre on n’y a pas droit à l’oubli ! J’assure les collègues de ma profonde sympathie.

Rédigé par: quercus | le 03/11/2008 à 17:56

La lente mais irrésistible putréfaction de l’Université démontre l’achèvement de la phase terminale du nihilisme européen : le milieu philosophique lui-même est profondément gangréné par le cynisme, le ressentiment et la volonté de vengeance. Aucune générosité intellectuelle ni aucune recherche désintéressée de la vérité ; seulement des conflits d’ego et des haines recuites. Alors effectivement, ceux qui _ parce qu’ils existent _ tentent vraiment de « penser » dans ce cloaque doivent avoir le cœur bien accroché. Mme Lorne était probablement trop délicate pour l’Université. Qu’elle repose en paix.

Rédigé par: Crocodile | le 03/11/2008 à 18:08

Cette affaire très regrettable a déjà fait l’objet d’articles sur le net beaucoup moins clairs et objectifs que celui-ci. Néanmoins, il me semble qu’un suicide est chose trop personnelle pour qu’on puisse s’en saisir pour faire le procès de l’Université comme d’aucuns l’ont essayé ailleurs.
Il est en effet très rare qu’une titularisation soit refusée. Maintenant, je suis scandalisé par les conditions dans lesquelles la décision a été prise : deux membres présents seulement. Que faisait donc le collègue chargé de présider la section de spécialistes en question ? Cela fait partie de ses attributions de téléphoner aux uns et aux autres pour avoir du monde.

Rédigé par: Pomponius | le 03/11/2008 à 18:46

L’émotion m’étreint à lire ces lignes. Universitaire scientifique, bien que beaucoup plus modeste que Mme Lorne, j’ai également ressenti cette violence sans nom à l’issue de ma thèse au moment où j’envisageais de me tourner vers la recherche.
Cet absolu respect de la vérité que j’ose estimer partager avec elle ne permet pas de s’accomoder du « système ». « Psychorigide« , ai-je souvent entendu.
Mme Lorne par son geste désespéré (?) ou héroïque attire notre attention sur ce qui ne va pas en Philosophe _ qui guide vers la Vérité. Puisse-t-elle trouver le repos de l’esprit dans le grand sommeil de la mort.

Rédigé par: michel | le 03/11/2008 à 18:52

Encore sous le choc pour quelqu’un que je ne connaissais pas, mais pour une situation qui concerne la pseudo collégialité à l’université. Cet événement en rappelle d’autres…

Ce drame nous touche tous et nous oblige à réfléchir au « fonctionnement » de nos belles institutions.

Mes condoléances sincères et mes pensées à ses proches
Avrel

Rédigé par: Avrel | le 03/11/2008 à 18:56

Triste Université qui est une véritable « machine à formater du tiède » : recherches audacieuses et recherches critiques étouffées ; recrutements de complaisance ; rabougrissement de la pensée au profit de de pathétiques batailles entre ego mal placés…

Rédigé par: Isabelle | le 03/11/2008 à 18:57

Actuellement, c’est toute la philosophie académique, du secondaire à l’Université, qui se laisse broyer sans piper mot et consent à son propre marasme et avilissement. On n’entend que Badiou sauver un peu l’honneur, alors que tous les professeurs de philosophie sans exception devraient aller dans les rues expliquer le « Discours de la servitude volontaire » ou « Le Capital« .
Et en interne, que dire, sinon que ça pue intensément ? Inégalités monstrueuses des charges de travail, incapacité à se mettre d’accord sur des progressions d’apprentissage raisonnées, incapacité à motiver et harmoniser des évaluations, querelle des chapelles (continentale ou analytique, appepienne ou acirephienne), rareté malthusienne des postes et guerres intestines subséquentes (qui font à présent des morts), isolement ; et impossibilité de poursuivre un travail de recherche dès lors qu’on enseigne dans le secondaire tant l’avalanche de classes et de copies rend impossible même le loisir nécessaire à la lecture et à la simple pensée, etc., etc.
Non, décidément, la philosophie n’est pas faite pour tout le monde. Il faut pour pouvoir en vivre tolérer un degré de turpitude, de violence et de miasme qui ferait vomir n’importe qui possédant quelque bon sens réellement partagé.
Evidemment, les pages du magazine « Philosophie », ou les joliesses et belles phrases médiatico-lénifiantes de Raphaël E. ne donnent aucune idée de tout cela, ni d’ailleurs non plus des sacrifices qu’il faut faire pour pouvoir réaliser son rêve de penser et enseigner en compagnie de maîtres en humanité si l’on n’est pas issu d’un milieu d’héritiers. Car le fond de l’affaire est là. La philosophie académique est la chasse gardée de l’Ecole réactionnaire et de la réaction tout court. On y tire à vue sur tout ce qui n’a pas l’apparence de respecter, relativement à ces turpitudes, un silence de bon aloi, bourgeois et cossu comme l’essentiel du recrutement philosophique académique lui-même, comme si ce silence-là était en soi une garantie de justesse et de justice.

Hélas, à quelques exceptions près, les « philosophes », dans leur silencieuse grégarité, auront consenti à la disparition de l’Ecole publique, si elle disparaît ( ce qui, au train où vont les choses, ne va pas manquer d’arriver). Sans doute même beaucoup auront-ils souhaité cette disparition, n’y voyant aucun inconvénient, pour pouvoir eux aussi, comme untel et untel dont le nom ne mérite pas d’être cité, vivre « philosophiquement » en vendant de la conférence culturelle à des gogos tout aussi héritiers qu’eux, à raison de 6000 euros la demi-journée.
Non, la montagne de dégoût qui a anéanti Mme Lorne n’est pas du tout inconcevable : il est très facile de l’éprouver et il est très difficile de ne pas y céder. On aimerait souvent, comme Nietzsche, pouvoir trouver un prétexte honnête, une maladie, pour quitter cet affligeant milieu et aller respirer enfin l’air des cimes afin de retrouver le meilleur de l’humanité en discutant contre, tout contre, Platon.

Rédigé par: pamyr | le 03/11/2008 à 19:26

J’étais loin d’être aussi brillant que Mme Lorne, mais je comprend sa souffrance, de six années de sacrifices impossibles à courir après la CNU et une qualification.
L’université française tue la qualité et la compétence, on le sait depuis longtemps. On découvre qu’elle le fait au sens propre.

Rédigé par: Jo | le 03/11/2008 à 19:32

Voilà pour cet article et ses commentaires de lecteurs sur le blog 24 heures Philo.

N’étant pas moi-même universitaire ; et, éprouvant, a contrario _ positivement donc _, pas mal d’estime ; et c’est un euphémisme : beaucoup ! _ personnelle _ pour la plupart des collègues philosophes qu’il m’arrive de fréquenter, notamment au sein de la « Société de philosophie de Bordeaux » ;

je n’en ai que davantage d’aisance à citer ces différents témoignages ci-dessus, sur le blog 24 heures Philo, donc, comme l’expression symptômatique du malaise de toute notre société _ rien moins ! envisagée comme un tout solidaire… _ ; ainsi, ce malaise, que celui des institutions _ l’université, mais plus largement, l’Ecole,

qui ont en chargent d’aider à « se former », « se développer », « s’épanouir », les esprits (et les personnes)…

Malaise face aux valeurs de vérité et de justice…

Montaigne intitulait le premier « essai’ de son troisième et dernier livre d' »Essais » : « De l’utile et de l’honnête« …

J’ai la chance de ne pas disposer de _ ni subir _ un « tempérament » pessimiste ;

il n’empêche ;

je suis, ou/et demeure, « de plus en plus » inquiet

de ce qu’un des commentateurs de l’article publié sur ce blog de François Noudelmann et Eric Aeschimann nomme « le nihilisme européen » _ ou plutôt « occidental » ? voire « mondialisé » ?.. _,

et qui sape les fondements de la confiance de chacun

tant en ses propres forces _ jusqu’à des suicides, tel que celui de cette philosophe de trente neuf ans !… _,

qu’en les autres,

en « le monde »…

Très personnellement, donc,

je me permets ici d’exprimer mon accord avec la « réception », par Laurent Joffrin, dans son (bel) éditorial _ « Yes, he can » _ de Libération le jeudi 6 novembre, de l’élection de Barack Obama à la fonction de présidence des Etats-Unis d’Amérique ;

et l’accès, de fait, de ce dernier _ « beau, jeune et bronzé« , s’est autorisé à proférer l’inénarrable bouffon Berlusconi (un des « toutous » de Busch encore en poste…)  _ à un certain leadership mondial ; et cela, qu’on s’en satisfasse, ou accommode, ou pas ; ou plus ou moins… ;

quand il _ Laurent Joffrin _ débute ainsi son article :

« L’avenir a changé de camp.

Pendant plus de vingt ans, les conservateurs l’avaient annexé.

Ils viennent de le perdre.« 

Car c’est aussi ainsi que j’ai interprété, en un article précédent _ « Sur le réel et le sérieux : le « point » de Paul Krugman sur l’enjeu de l’élection américaine du 4 novembre aux Etats-Unis » _, l’attribution, ce mois d’octobre-ci, du “prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel” à Paul Krugman ;

par comparaison avec l’attribution de ce même “prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel”, en octobre 1976, il y a exactement trente-deux ans, à  Milton Freedman…


J’ose interpréter ces divers événements

comme davantage que seulement un signe,

comme un bien réel sursaut

_ celui que Nietzsche, l' »anti-nihiliste » en chef, appelait si fort de ses voeux, par exemple dans « Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne » _,

comme un bien réel sursaut, donc, pour s’extirper de ce « nihilisme« ,

de la « pulsion de mort » mortifère

_ selon Freud (dans ses si essentiels « Essais de psychanalyse« ) ;

qui,

tant sadiquement que masochistement,

sape _ durablement et terriblement : en l’effondrant, à force de l’effriter… _ le sol même sur lequel s’efforcent de marcher, et essaient de se tenir (debout), et d’avancer, les personnes « humaines »…

Bref, à rebours de ce que ce suicide de la philosophe semble montrer

_ plutôt que « démontrer »… _,

je veux voir, en l’élan

_ interprétant le sien, personnel, d' »élan », comme celui d’un peuple entier (le peuple de Walt Whitman, en ses « Feuilles d’herbe« ) qui « se réveille » de ses mauvais rêves (d’alcoolique) _ ;

je veux voir, en l’élan qui porte Barack Obama

_ comme en l’élan qui avait porté, le mardi 8 novembre 1932, Franklin Delano Roosevelt _,

un « espoir » d’inversion _ enfin, depuis trente deux ans !!! (1976) _ de nos valeurs « sociales » :

politiques (à propos du rôle et de la valeur de l’Etat _ et du service public !!! _,

économiques,

culturelles ;

existentielles, in fine

Modestement,

Titus Curiosus, ce 8 novembre 2008

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