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Un premier élément de réponse à propos de la « présence-absence » à Auch du cardinal de Ferrare Hippolyte II d’Este : la surprise

04sept

Les mardi 15 et mercredi 16 août dernier,

en mes articles « « 

et « « ,

j’avais forgé le concept un peu étrange de « présence-absence » pour caractériser la question qui me travaillait concernant la venue et le séjour, ou pas, du cardinal « de Ferrare«  Hippolyte II d’Este (Ferrare, 25 août 1509 – Rome, 2 décembre 1572) en la cité archi-épiscopale d’Auch, au moment, durant la période, où il en était l’archevêque, c’est-à-dire entre le 22 avril 1551 et le 8 octobre 1563…

Hier, à 18h 41,

j’ai adressé le courriel suivant à Jacques Lapart, président de la Société Archéologique et Historique du Gers _ depuis le 5 février 2020, succédant à Georges Courtes qui présidait l’Association depuis 1996 ; Jacques Lapart, membre de l’Association depuis 1971, ayant été parrainé alors par Charles Samaran et l’abbé Gilbert Loubès… _, à Auch,

que je venais de solliciter à propos du compositeur auscitain Pierre Cadéac (ca. 1505 – ca. 1565) :

J’ai une autre recherche à vous proposer concernant Auch :
chercher à savoir si le cardinal de Ferrare, Hippolyte II d’Este (Ferrare, 25 août 1509 – Rome, 2 décembre 1572), a jamais effectué le voyage d’Auch,
dont il a été pourvu des bénéfices de l’archevêché en date du 22 avril 1551, par échange avec l’archevêché de Lyon, avec le cardinal François de Tournon…
 
Et si le 8 octobre 1563 Hippolyte II d’Este en a bien cédé le titre à son neveu le cardinal Louis d’Este – afin de le maintenir en sa famille -,
il a pris soin aussi de s’en réserver pour le restant de sa vie le principal des bénéfices.
 
En effet, à partir de 1548, le cardinal Hippolyte II s’est principalement trouvé en Italie.
Il me semble n’être retourné en France, et à Paris, qu’une seule fois,
mais sans avoir fait un détour jusqu’à Auch, ni à l’aller, ni au retour de ce voyage, en 1563.
 
Je viens de recevoir le livre de Giuliano Danieli « La musica nel mecenatismo di Ippolito II d’Este »,
mais n’y ai pas trouvé mention d’un voyage à Auch d’Hippolyte II d’Este.
Pas davantage que dans le travail de Jean Sénié « Entre l’Aigle, les Lys et la tiare : les relations des cardinaux d’Este avec le royaume de France (1530 – 1590) ».
 
Nulle part je n’ai trouvé jusqu’ici une chronologie assez précise des divers déplacements d’Hippolyte II d’Este,
le constructeur de la splendide Villa d’Este à Tivoli.
 
A suivre, donc…
 
Seuls ceux qui ne cherchent pas ne trouvent jamais rien…

Et, à 19h 03, je recevais la réponse suivante :

Dans son article sur l’inventaire du château de Mazères ( Revue de Gascogne, 1903, p.145 et suiv.), voici ce qu’écrit l’auteur Charles Samaran, archiviste aux Archives Nationales en 1903.

(…)

A suivre- cordialement  J-Lapart

Un inventaire au château de Mazères

au temps du cardinal Louis d’Este, archevêque d’Auch

(Août 1583)

Le document dont on trouvera plus loin le texte provient de l’Archivio di Stato de Modène où ont été réunis tous les papiers de la maison d’Este. Ces archives admirablement conservées et bien classées de correspondances nous fournissent les renseignements les plus curieux et les plus nouveaux. Contentons d’en tirer aujourd’hui cet inventaire du château archiépiscopal de Mazères, que l’agent Camille Cavanucci envoyait à son maître dans sa lettre du 30 août 1583.

On sait que ni Hippolyte, cardinal de Ferrare, ni son neveu, Louis cardinal d’Este, ne sont jamais venus dans leur diocèse. Ils n’ont jamais habité ni Auch, ni Bassoues, ni Mazères, et c’est pourquoi il ne faut pas s’attendre à trouver dans l’inventaire de ce dernier (…)




C’est merveilleux : les bouteilles lancées à la mer reçoivent réponse à leur message « in the bottle« …


À suivre !

Ce lundi 4 septembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Poursuite de mes recherches sur le cardinal de Ferrare Hippolyte II d’Este (1509 – 1572) : à la recherche de données attestant de sa présence-absence en la cité archi-épiscopale d’ Auch (suite)…

15août

Toujours dans la continuité de mes articles précédents

(cf celui d’hier lundi 14 août : « « ),

j’ai eu la formidable surprise de recevoir des réponses aux deux courriels que j’avais envoyés hier à deux correspondants, à ce propos ;

courriels dont j’avais, au passage, fait très brève mention en cet article d’hier…

Ainsi ai-je reçu, infiniment gracieusement de son auteur, et dans la soirée même de ce lundi, les 360 pages du passionnant ouvrage de Jean Sénié « Entre l’Aigle et les Lys et la tiare, les relations des cardinaux d’Este dans le royaume de France (1530 – 1590)« ;

et j’ai consacré ma journée de ce mardi 15 août 2023 à leur patiente lecture,

à la recherche des moindres liens attestés, et de quelque ordre que ce soit, entre le cardinal Ippolito II d’Este (Ferrare, 1509 – Rome, 1572), le cardinal de Ferrare,

et la cité d’Auch

Et il semble ressortir de cette lecture exhaustive qu’à nul moment le cardinal de Ferrare, Hippolyte II d’Este, n’a posé un seul pied sur le terrivoire de cette cité,

dont il a été _ seulement ! _ le titulaire de l’archevêché, entre le 22 avril 1551 et le 8 octobre 1563 ;

ainsi, et surtout, que le bénéficiaire de ses considérables revenus, même après en avoir transmis la charge à son neveu, le cardinal Luigi d’Este (Ferrare, 1538 – Rome, 1586), ce 8 octobre 1563… ;

cf notamment les pages 201 et 206…

Lire surtout ces éclairantes pages de Jean Sénié :

« Ippolito II d’Este (1536-1572)

La venue en France _ en 1536 _ d’Ippolito II d’Este répond à la volonté de prendre son autonomie par rapport à son frère _ Ercole II (Ferrare, 1508 – Ferrare, 1559) _, choix impératif à la réalisation d’ambitions personnelles. Il entend bénéficier du régime concordataire pour se voir nommer aux riches bénéfices ecclésiastiques français, capables de lui apporter les ressources économiques qu’il ne peut tirer du seul archevêché de Milan, obtenu en 1519 _ en succession de son oncle le cardinal Hippolyte Ier d’Este (Ferrare, 1479 – Ferrare, 1520) _, alors qu’il est âgé de dix ans, après la résignation de son oncle. Une première étape est atteinte lorsque François Ier rédige une lettre patente accordant la faculté au jeune Ippolito II d’Este d’être pourvu de bénéfices ecclésiastiques dans son royaume « pour la plus ample manutention et entretenement de son estat en saincte eglise ». Quelques années après, en 1535, Jean du Bellay résigne en sa faveur l’abbaye bénédictine de Notre-Dame de Breteuil, avec l’objectif de scinder la famille d’Este et de motiver la venue en France de l’archevêque de Milan. La présence d’Ippolito II d’Este sur le sol français permet d’obtenir l’accélération du rythme des nominations aux bénéfices ecclésiastiques du royaume français.

La première étape dans l’étude de la constitution de ce patrimoine bénéficial est de déterminer les dates d’obtention des bénéfices ecclésiastiques. Nous avons choisi de retenir la date des bulles pontificales, en essayant de préciser la date de la proposition royale à des bénéfices ainsi que celle d’entrée en possession effective dans le bénéfice. Pour présenter la chronologie de l’acquisition des bénéfices, nous suivons la répartition canonique entre bénéfice ecclésiastique séculier et bénéfice ecclésiastique régulier. Le fils de Lucrèce Borgia parvient à acquérir de multiples bénéfices ecclésiastiques séculiers dans le royaume de France. Le premier archevêché obtenu est celui de Lyon, le 29 octobre 1539. Il y succède à Jean de Lorraine. Sa nomination intervient au lendemain du consistoire public où il a reçu le chapeau de cardinal. Il s’agit en réalité d’un long processus où Ippolito II d’Este a cherché à se mouvoir entre la royauté française et la monarchie pontificale.

(…)

Un compromis est trouvé entre le roi de France et Ippolito II d’Este d’un côté et Paul III de l’autre. Il est convenu que Jean de Lorraine sera le détenteur des bénéfices jusqu’à ce que l’archevêque de Milan soit fait cardinal. Ce dernier doit attendre le mois de septembre 1539 pour acquérir son premier diocèse français.

(…)

Le cardinal de Ferrare obtient par la suite l’évêché de Tréguier en avril 1542, celui d’Autun en janvier 1547, de Narbonne en juin 1550 puis en octobre 1563, d’Auch en avril 1551, d’Arles en 1562 et de Saint-Jean-de-Maurienne en 1564.

Ippolito II se constitue en même temps un imposant patrimoine de bénéfices ecclésiastiques réguliers grâce au système de la commende. En 1535, il obtient sa première nomination à un bénéfice régulier, l’abbaye bénédictine Notre-Dame de Breteuil. Il reçoit ensuite l’abbaye bénédictine de Saint-Médard de Soissons, dont il est nommé abbé commendataire à la fin de l’année 1536. Les années qui suivent voient la liste de ses bénéfices s’allonger. Il devient ainsi abbé commendataire de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Jumièges, le 8 novembre 1539, de l’abbaye cistercienne de Chaalis en 1541, de l’abbaye bénédictine Saint-Laumer de Blois, en octobre 1546, de l’abbaye cistercienne de Fontfroide, le 16 juillet 1548, de l’abbaye cistercienne de l’Aumône, aussi appelée abbaye du Petit-Cîteaux, de l’abbaye bénédictine de Lyre, le 4 avril 1549, de l’abbaye cistercienne de Boulbonne le 3 avril 1551, de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Flavigny et du prieuré de Saint-Vivant en 1551, de l’abbaye bénédictine de Saint Faron de Meaux, en 1553, de l’abbaye bénédictine Saint-Georges de Boscherville en 1556, de l’abbaye cistercienne de Pontigny, le 14 mars 1560, de l’abbaye bénédictine de la Sainte-Trinité de Tiron en 1560, à la même date, de l’abbaye bénédictine de Saint-Mesmin de Micy, le 4 janvier 1562, de l’abbaye de Prémontré, le 14 mai 1562, de l’abbaye bénédictine de Saint Chinian, le 21 mai 1562, de l’abbaye bénédictine d’Ainay en 1562, et de l’abbaye cistercienne de Longpont en 1563.

(…)

Entre la nomination royale, la bulle pontificale, la confirmation royale et la prise de possession, plus d’une année peut s’écouler, compliquant aussi bien le profit escompté par le prélat que la vie de la communauté religieuse. La maîtrise du temps devient un enjeu de la gestion du patrimoine des Este.

(…)

Une certaine période de temps, parfois longue de plusieurs années, peut ainsi s’écouler entre les premiers signes de la grâce royale et l’expédition des bulles pontificales.  Or, ce laps de temps s’avère dommageable pour Ippolito II d’Este puisqu’il contribue à saper les fondements de son autorité et le prive de rentrées financières. L’entrée en possession d’un bénéfice ecclésiastique se comprend ainsi comme un processus et non comme un événement unique.

(…)

Ippolito II d’Este cherche à abréger le délai entre la promesse de la nomination pontificale, l’assurance d’obtenir l’expédition de la bulle pontificale et la prise effective de possession.

(…)

Ippolito II d’Este cherche à abréger le délai entre la promesse de la nomination pontificale, l’assurance d’obtenir l’expédition de la bulle pontificale et la prise effective de possession.  Ainsi, quatre mois passent entre la fin du mois d’octobre 1539 et le 26 février 1540, jour de la cérémonie solennelle de prise de possession de l’archevêché de Lyon par Étienne Faye, official et vicaire général d’Ippolito II d’Este. L’enjeu d’une nomination pour Ippolito II d’Este ne peut donc se concrétiser que sur la durée, les premiers temps étant consacrés à l’acquisition de l’assurance de pouvoir jouir de son bénéfice ecclésiastique.

Il est possible de distinguer trois moments dans la constitution et la consolidation d’un patrimoine bénéficial par Ippolito II d’Este. Le premier moment coïncide avec son arrivée _ en 1536 _ dans le Royaume de France et, surtout, avec l’obtention _ en 1539 _ du cardinalat. Il prend place à la fin des années 1530 et se termine au début de la décennie 1540. Le deuxième temps vient avec l’arrivée d’Henri II sur le trône, en 1547, et il dure jusqu’au début des années 1550. Les bénéfices obtenus au commencement de la décennie 1550 viennent compenser la perte de la terre de Brescello, envahie par les troupes impériales. Enfin, les trois premières années de la décennie 1560 voient le cardinal de Ferrare obtenir une nouvelle série de bénéfices, coïncidant approximativement avec sa mission de légat a latere. Les acquisitions ne se font généralement pas par addition mais par permutation, Ippolito II d’Este participant au grand jeu d’échanges se déroulant sous le regard de la monarchie française. De manière attendue, les débuts d’un nouveau règne sont concomitants avec des périodes de restructuration du capital bénéficial d’Ippolito II d’Este, exception faite du règne de François Ier. C’est d’autant plus le cas en 1560 que le début du règne de François II est marqué par le décès de Jean du Bellay, le 16 février 1560, par conséquent le cardinal de Ferrare récupère l’abbaye de Pontigny et celle de Notre-Dame du Tiron.

Les bénéfices d’Ippolito II d’Este se concentrent principalement autour de Paris et, progressivement, dans le Sud-Ouest du royaume, là où sont généralement nommés les prélats italiens que la monarchie entend récompenser. Il existe également dans son cas un regroupement, plus modeste, autour de Lyon, même s’il ne s’agit pas d’une installation aussi durable que dans les deux autres régions citées. Un pôle normand semble aussi se dessiner avec les abbayes de Jumièges, de Saint-Georges-de-Boscherville et de Notre Dame de Lyre, qui pourrait s’expliquer par la présence des Este et des Guise en Normandie, facilitant ainsi la gestion de ces bénéfices. Cette géographie dresse la carte de France des bénéfices des cardinaux et forme le cadre de vie de leurs vicaires, procureurs et autres agents _ ce sont eux qui sont présents _  chargés de visiter leurs biens et de gérer leur patrimoine.

(…)

Il est possible de distinguer deux formes de logique présidant à l’obtention d’un bénéfice. Dans le premier cas, les bénéfices entrent pour la première fois dans le système de la commende, comme c’est le cas pour Jumièges ou Chaalis. Dans le second, ils font l’objet d’échanges entre prélats, donnant d’ailleurs lieu à des montages complexes impliquant les grands clercs du Royaume de France et la royauté. L’échange peut se révéler simple, comme celui qui prend place entre Louis de Brézé et Ippolito II d’Este en 1555, le premier cédant l’abbaye de Saint Georges de Boscherville contre l’abbaye Saint-Faron de Meaux, jusqu’alors détenue par le deuxième. Avant cela, le comportement prédateur du prélat l’avait déjà conduit à délaisser l’évêché d’Autun pour celui de Narbonne, vacant en 1550 après la mort de Jean de Lorraine. Là encore, le cardinal de Ferrare se réjouit de la bonne opération qui lui permet de mettre la main sur un bénéfice lui rapportant 6 000 à 7 000 écus de plus par an. Ce transfert s’insère dans un partage plus global des bénéfices de Jean de Lorraine, orchestré par les Guise, auquel le cardinal de Ferrare participe en tant que parent.

Les montages peuvent revêtir un aspect plus complexe et impliquer plusieurs acteurs participant à la chasse aux bénéfices ecclésiastiques. Henri II s’est tout d’abord montré peu soucieux de faire respecter le non-cumul des bénéfices, renforcé par le décret de Paul III du 18 février 1547 étendant aux cardinaux l’interdiction déjà imposée à tous les évêques, par la septième session du concile de Trente, de cumuler les bénéfices résidentiels. Néanmoins, les instances réitérées de Jules III pour faire cesser le cumul entraînent une série de mouvements chez les détenteurs de bénéfices français. En 1550, Ippolito II d’Este est encore archevêque de Milan, d’Autun – deux bénéfices qu’il résigne la même année –, de Narbonne et de Lyon. Conscient de la nécessité de se conformer aux nouvelles normes tridentines, et attiré par une offre du cardinal de Tournon concernant le prestigieux bénéfice d’Auch, Ippolito II d’Este envisage dès 1551 une permutation entre l’archevêché d’Auch – appartenant alors à François de Tournon, bénéfice qu’il estime à 35 000 francs – et l’archevêché de Lyon, auquel il ajouterait deux abbayes, celle de Saint-Laumer de Blois (dont il est abbé) et celle d’Ainay, dépendant du cardinal Niccolò Gaddi dont il se fait fort d’avoir obtenu le consentement au printemps 1550. La somme des trois bénéfices restant inférieure aux 35 000 francs, le cardinal de Ferrare doit, en outre, adjoindre une part des revenus de l’archevêché d’Auch et entre un tiers et la moitié des revenus de l’archevêché de Narbonne, ainsi que la collation des bénéfices de ce dernier diocèse, qu’il résigne en faveur de Francesco Pisani, à condition que celui-ci accepte l’accord avec François de Tournon. Chez Ippolito II d’Este la recherche de bénéfices correspond à une stratégie bien définie et élaborée sur le temps long. Ainsi, il insiste pour acquérir l’archevêché d’Auch « de la qualité que j’ai décrite » puisqu’il lui semble aisé de le maintenir dans la maison d’Este le moment venu surtout « quand doit passer ce décret de ne pas pouvoir tenir plus d’une seule église ». Il conclut d’ailleurs cette lettre à son frère en lui rapportant qu’Auch est la plus belle pièce qu’on puisse recevoir en France ou en Italie. Le cardinal pouvait toutefois reprendre les bénéfices en cas de décès de son successeur selon la faculté de regrès. Cette dernière explique qu’en deux temps, en 1562 avec l’archevêché de Lyon, l’abbaye d’Ainay et celle de Saint-Laumer de Blois, et en 1563 avec l’archevêché de Narbonne, le cardinal de Ferrare revienne à la tête d’un bénéfice ecclésiastique qu’il avait utilisé dans ses logiques d’acquisition.

La circulation des bénéfices selon un modèle de fonctionnement en vase clos permet d’observer les stratégies d’acquisitions des prélats ainsi que leur insertion dans des visées clientélaires à plus long terme. Ainsi, quand le cardinal de Tournon meurt le 22 avril 1562, Ippolito II d’Este se hâte d’exercer son droit de regrès et il donne les pleins pouvoirs à son trésorier général Antonio Ariosto pour prendre possession de l’archevêché de Lyon. S’ensuit une période de contestation du regrès au nom du droit de régale de l’évêque d’Autun qui, traditionnellement, gère l’administration temporelle et spirituelle en attendant que le nouvel archevêque ait été investi au temporel et au spirituel. Cette affaire se poursuit jusqu’en 1564,quand Ippolito II d’Este obtient de Pie IV de nouvelles bulles, confirmées par Charles IX. Le 6 mai 1564, le cardinal de Ferrare peut déléguer son vicaire général, Alfonso Vercelli, pour que celui-ci prenne possession, à nouveau, de l’archevêché _ c’est le vicaire général qui prend possession. Loin de s’arrêter à cette victoire politique, le cardinal souhaite rapidement procéder à l’échange de l’archevêché de Lyon avec celui d’Arles, ce qui advient le 28 juin 1564 lorsqu’il obtient la bulle le nommant administrateur temporaire de l’archevêché d’Arles. Antoine Ier d’Albon reçoit les bulles de Lyon le 14 juillet de la même année. Ippolito II d’Este gère l’archevêché d’Arles en qualité d’administrateur pendant deux ans pour le résigner, en avril 1566, en faveur de Prospero Santacroce, satisfait de la nomination du nouveau cardinal en raison de ses prises de position durant sa deuxième nonciature en France. Il attend toutefois un retour sur investissement et se plaint de n’avoir pas reçu, en 1570, la récompense qui lui avait été promise pour prix de sa démission de l’évêché d’Arles.

Cet ensemble de permutations, de résignations in favorem et d’usage du regrès témoigne, outre de la capacité à obtenir gain de cause auprès des autorités en matière de nominations aux bénéfices, de la vision à long terme du cardinal de Ferrare en l’espèce. L’empire bénéficial qu’il se bâtit en France, comparé à l’Italie où il ne dispose pas de la même collection de bénéfices, reflète la réflexion sur le temps long nécessaire à la constitution d’un tel patrimoine tout comme la capacité d’adaptation imposée par les évolutions politiques. À cet égard, les pratiques bénéficiales d’Ippolito II d’Este se confrontent à la législation mise en place au Concile de Trente. Le règne d’Henri II, à partir du pontificat de Jules III, coïncide avec le commencement de la remise en cause des pratiques les plus affichées de pluralisme épiscopal. Un mouvement de décrue s’amorce pour entraîner une raréfaction de la pratique jusqu’au règne d’Henri III. Pour autant, cela n’entraîne pas une disparition des cas de cumuls comme l’illustre le parcours de François de Joyeuse, pendant treize ans archevêque de Narbonne et de Toulouse, et qui se voit même adjoindre sous Henri IV l’archevêché de Rouen. De même, Ippolito II d’Este peut encore, dans les années 1560, être archevêque de Narbonne en même temps qu’évêque de Saint-Jean-de-Maurienne et administrateur de l’archevêché d’Arles, sans compter les pensions dont il bénéficie sur l’archevêché d’Auch. Ainsi, la diffusion de la réforme tridentine n’empêche pas le cardinal de Ferrare de poursuivre une pratique caractéristique d’un âge d’or de la prédation bénéficiale. Pour autant, les moyens se font plus contournés et la concentration sur les bénéfices réguliers suit le mouvement d’ensemble des prélats à la recherche de bénéfices ecclésiastiques.

Cette pratique dépend toutefois, en dernier ressort, de la faveur royale. Le roi est celui qui décide, à condition de trouver un accord avec le pape sur le candidat, de la nomination à un bénéfice. Le cardinal dépend donc toujours de la volonté royale, comme l’illustre le cas de Tréguier. Le diocèse breton n’est pas soumis au régime concordataire. Pour les bénéfices consistoriaux bretons, François Ier a obtenu un indult en 1516 et celui-ci l’autorise à nommer ses candidats, sans conditions d’origine, lui permettant ainsi de passer outre l’acte d’union de 1532. À ce titre, le choix de nommer Ippolito II d’Este à Tréguier en 1542 s’inscrit dans cette optique de sape des privilèges bretons et de contrôle d’un pays d’obédience. C’est encore le roi qui défend les intérêts du cardinal de Ferrare lorsque ce dernier s’estime lésé d’un bénéfice au prétexte que le cardinal Cibo le possède alors qu’il devrait dépendre de l’archevêque de Lyon. François Ier s’en ouvre au nonce pour que ce préjudice soit corrigé. Ce dernier exemple rappelle que les cardinaux d’Este n’hésitent pas à jouer le roi contre le Pape pour obtenir un bénéfice ecclésiastique. Inversement, ce dernier exemple témoigne en même temps de la fragilité de la position du cardinal de Ferrare dans la mesure où le refus pontifical peut s’ériger en obstacle insurmontable. C’est une difficulté supplémentaire pour Ippolito II d’Este, et Luigi d’Este _ son neveu _ à sa suite, de maintenir un équilibre entre les différents acteurs impliqués dans le processus d’obtention d’un bénéfice.

Les bénéfices servent aussi à Ippolito II d’Este à entretenir un réseau d’obligés dans le royaume de France. La redistribution de la manne bénéficiale devient l’occasion d’un débouché pour la clientèle du frère d’Ercole II d’Este. Les serviteurs du cardinal de Ferrare sont souvent récompensés par l’obtention de bénéfices ecclésiastiques mineurs dépendant de ceux du cardinal. Le cardinal cherche également à les placer dans des bénéfices majeurs à sa suite afin de s’assurer de substantielles pensions. En 1547, circulent des rumeurs annonçant que son vicaire, Tommaso Mosto, pourrait récupérer l’évêché de Tréguier. Plus tard, le fils de Lucrèce Borgia profite de sa faveur auprès du pape, comme c’est le cas avec Pie IV, pour placer ses protégés à des bénéfices majeurs. Il parvient ainsi à faire nommer Brandelise Trotti, dit aussi Prevosto Trotti parce qu’il occupait la fonction de prévôt dans la familia d’Ippolito II d’Este, à l’évêché de Saint-Jean- de-Maurienne, et son secrétaire Gian Paolo Amanio à l’évêché d’Anglona. Dans le cas de l’évêché savoyard, il s’agit d’obtenir des compensations pour la perte de l’archevêché de Milan. Il fait aussi nommer son vicaire général, Alfonso Vercelli, évêque de Lodève en 1570, après lui avoir fait recevoir une abbaye en Languedoc. Un exemple français marquant est la transmission de l’abbaye Saint- Mesmin de Micy à Sacripante Pedocca, familier du cardinal de Ferrare, qui se voit récompensé de ses services par l’accession à la commende de l’abbaye. Ce dernier appartient au réseau des familiers des cardinaux d’Este en France. Il entretient d’excellentes relations avec Livia Pico della Mirandola, notamment en raison de leur cité d’origine commune. De même, sans entrer au sens strict dans la catégorie du clientélisme, l’installation à Arles de Prospero Santacroce voit succéder au cardinal de Ferrare un autre cardinal italien avec lequel il entretient d’excellents rapports.

À l’image de Jean du Bellay avec ses sept diocèses, dont un archidiocèse, et ses dix-huit abbayes, ou de Jean de Lorraine avec ses onze diocèses, dont trois archidiocèses, et ses treize abbayes, Ippolito II d’Este n’a pas à rougir avec ses sept diocèses, dont quatre archidiocèses _ dont celui d’Auch _, et ses vingt-et-une abbayes. Sans pour autant égaler les empires des bénéfices ecclésiastiques bâtis après lui par François de Joyeuse, Richelieu ou Mazarin, il se situe dans une catégorie comparable à son parent Charles de Lorraine, exception faite des phares que sont l’archevêché de Reims et l’abbaye de Saint Denis, ou à celle de son contemporain Charles de Bourbon, à condition de prendre aussi en compte ses bénéfices italiens.

À l’heure de sa mort, il dispose encore d’un archevêché, Narbonne, ainsi que de quasiment l’intégralité des revenus de l’archevêché d’Auch, sur lequel il n’a accordé qu’une pension de 1000 écus à son neveu en 1563. Outre son archidiocèse, il détient aussi treize abbayes françaises. L’enjeu pour son neveu _ Luigi d’Este _ est de s’assurer que le patrimoine constitué par son oncle ne disparaisse pas au moment de la succession. S’il s’est acquis l’accord du gouvernement royal pour la transmission des biens, il doit aussi tenir compte des exigences des différentes communautés religieuses, ainsi que des prétendants attendant avec impatience la mort de son oncle pour se répartir les membra disjecta de sa collection bénéficiale. »

À suivre…

Ce mardi 15 août 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Poursuite de mes recherches auscitaines concernant, et le cardinal « de Ferrare » Hippolyte II d’Este (1509-1572), et le compositeur gascon Pierre Cadéac (1505-1565), quelques nouvelles pistes à explorer…

14août

Dans la continuité de mes articles de recherche

de vendredi dernier 11 août « « 

et d’hier dimanche 13 août « « ,

voici,

et en plus de deux courriels envoyés cet après-midi susceptibles de m’ouvrir, je l’espère, quelques pistes,

quelques ouvrages, eux aussi à explorer,

autour du mécénat culturel, et en particulier musical, du cardinal esthète Ippolito d’Este :

_ de Jean Sénié,

son livre « Entre l’Aigle et les Lys et la tiare, les relations des cardinaux d’Este dans le royaume de France (1530 – 1590« ,  paru en 2021 aux Éditions Firenze University Press ;

ainsi que son article « Une affaire de famille : les enjeux politiques des héritages de la maison d’Este « , dans les « Mélanges de l’École française de Rome« , n° 131/1, 2019, aux pages 357 à 370

présenté par Jorge Morales ;

et de Giuliano Danieli,

« La musica nel mecenatismo di Ippolito d’Este« ,

intelligemment présenté en un article tout à fait prometteur de Sandra Provini…

À suivre…


Ce lundi 14 août 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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