Posts Tagged ‘Luigi d’Este

Quelques questions à propos des éditions successives, de 1535 (à Paris, Pierre Attaingnant), février 1539 (à Ferrare, Johannes de Buglhat, Henricus de Campis et Antonio Hucher), août 1539 (à Strasbourg, Peter Schöffer-le-Jeune) et 1555 (à Paris, Adrien Le Roy & Robert Ballard) du motet « Salus populi ego sum » de Pierre Cadéac : la diffusion-circulation des partitions et le carrefour civilisationnel de Ferrare…

07sept

En me penchant d’un peu plus près sur les découvertes présentées hier 5 septembre en mon article «  » _ à écouter ici en une durée de 5′ 09, dans l’interprétation de l’Ensemble Siglo de Oro dirigé par Patrick Allies, dans ce très intéressant CD « The mysterious Book of Motets 1539«  Delphian DCD34284 qui m’a fait et découvrir cette œuvre, et me passionner pour elle depuis… _ concernant quatre éditions successives, en mai 1535 à Paris, en février 1539 à Ferrare, en août 1539, à Strasbourg, et puis en 1555, à Paris, du Motet « Salus populi ego sum » de l’auscitain Pierre Cadéac (ca. 1505 – ca. 1565) :

_ à Paris, au mois de mai 1535, par Pierre Attaingnant (ca. 1494 – ca. 1552) _ au sein (le n° 17) du recueil collectif « Motettorum, Book 13 » de 18 Motets de 14 compositeurs différents (Rogier Pathie, Corneille Joris (2), Jodon, Matthieu Lasson, Jean Lhéritier, Claudin de Sermisy (2), Johannes Lupi (2), Colin Margot, Florentius Vilain, Pierre de Manchicourt, Jacquet de Mantoue, Nicolas Gombert, G. Harsius et Pierre Cadéac (2))  … _

_ à Ferrare, au mois de février 1539, par Johannes de Buglhat, Henricus de Campis et Antonio Hucher _ une édition dédiée à Ercole II d’Este, le duc de Ferrare ; sur Jean de Buglhat, actif à Ferrare à partir de 1528 (où il arrivé dans le bagages de Renée de France, l’épouse d’Ercole II, le 28 mai 1528, à Paris), et décédé en 1558, lire la notice détaillée de Camilla Cavicchi, aux pages 434-435 du « Guide de la Musique de la Renaissance » des Éditions Fayard en novembre 2011 ; ainsi que l’article « the battle of the woodcuts« , à propos de la rivalité des imprimeurs de musique Antonio Gardano, à Venise, et Johannes de Buglhat, à Ferrare… ;

au sein (le n° 4) du recueil collectif « Moteti de la simia » de 20 Motets de 12 compositeurs différents (Nicolas Gombert (3), Jacques Arcadelt (2), Pierre Cadéac, Jaquet de Berchem (3), Nicolle Celliers de Hesdin (2), Claudin de Sermisy, Ivo Barry (2), Jacques du Pont, Jacquet de Mantoue (2), Dominique Pinot, Maistre Jhan et Adrian Willaert) _ ;

_ à Strasbourg, au mois d’août 1539, par Peter Schöffer-le-Jeune _ au sein (le n° 8) du recueil collectif « Cantiones quinque vocum selectissimae » de 28 Motets de 14 compositeurs différents (Maistre Jhan, Nicolas Gombert (9), Jean Conseil, Jacquet de Mantoue (4), Adrian Willaert (3), Pierre Cadéac, Andreas de Silva, Johannes Lupi (2), Dominique Phinot, Simon Ferrariensis, Jehan Sarton, Jhan Billon, Philippe Verdelot et Jacques Arcadelt) _ ;

_ et à Paris, en 1555, par Adrien Le Roy & Robert Ballard _  le n° 14 du recueil de 18 « Moteta quatuor quinque et sex vocum liber primus » de Pierre Cadéac seul, cette fois… _,

vient s’éclairer davantage le lien _ a priori un peu étonnant : Pierre Cadéac n’est ni parisien, ni flamand…_ à Ferrare du Motet « Salus populi ego sum » de Pierre Cadéac…

La présence effective de compositeurs ou chanteurs ou instrumentistes français ou flamands à Ferrare, à partir de 1528, de même que la présence de partitions _ manuscrites, ou imprimées _ de ces compositeurs à la cour de Ferrare, est en partie liée à _ ou plutôt réactualisée (la fine-fleur des musiciens franco-flamands est en effet très présente à Ferrare dès la fondation de la chapelle musicale des Este par Leonello d’Este, en 1441 ; et même un peu avant, lors du brillant concile tenu à Ferrare en 1438-1439, en présence du pape Eugène IV, sous le règne du père de Leonello, Niccolo III d’Este… ; cf mes articles des 2 et 3 septembre derniers : « «  et « « …) ; ou plutôt réactualisée, donc, par _ la présence à Ferrare, et au cœur même de la vie de cour ducale, de la duchesse Renée de France (Blois, 25 octobre 1510 – Montargis, 12 juin 1575) _ fille du roi Louis XII (Blois, 27 juin 1462 – Paris, 1er janvier 1515) et son épouse la reine Anne de Bretagne (Nantes, 25 janvier 1477 – Blois, 9 janvier 1514), et belle-sœur du roi François Ier (Cognac, 12 septembre 1494 – Rambouillet, 31 mars 1547) : la sœur aînée de la duchesse Renée était la reine Claude (Romorantin, 13 octobre 1499 – Blois, 15 juillet 1524)… _, l’épouse du duc Ercole II d’Este (Ferrare, 4 avril 1508 – Ferrare, 3 octobre 1559) ; dont le mariage venait d’avoir eu lieu, à Paris,  le 28 mai 1528.

Et la duchesse Renée sera _ très (voire un peu trop) _ présente, avec son entourage français _ seront ainsi présents, un moment, à Ferrare, entre autres notables hôtes personnels de la duchesse Renée : le poète Clément Marot (ca. 1496, Cahors – Turin, 12 septembre 1544), d’avril 1535 au carême 1536, et le théologien de la Réforme Jean Calvin (Noyon, 15 juillet 1509 – Genève, 27 mai 1564)… _, à Ferrare jusqu’au décès de son époux, le 3 octobre 1559 ; le nouveau duc, leur fils Alfonso II d’Este (Ferrare, 22 novembre 1533 – Ferrare, 27 octobre 1597), s’empressant de renvoyer alors la duchesse douairière, sa mère, en France, où elle décèdera, à Montargis, le 12 juin 1575. Mais la duchesse Renée eut auprès d’elle nombre d’artistes, mais aussi entre les mains nombre de poèmes et de partitions de ses musiques aimées :

ont ainsi composé pour elle, entre autres, Jakob Buus (Gand, ca. 1500 – Vienne, août 1565), qui lui dédie en 1543 son « Primo libro di canzoni francesi«  ; mais aussi Adrian Willaert et Cipriano de Rore, qui ont composé sur la « Méditation de Savonarole » _ Jérôme Savonarole (Ferrare, 21 septembre 1452 – Florence, 23 mai 1498) était en effet ferrarais… _ du compositeur Simon Joly (1524 – 1559)…

Par conséquent, c’est très probablement dans ce contexte culturel ferrarais que l’imprimeur Jean de Buglhat _ en rivalité avec le grand imprimeur vénitien Antonio Gardano (Gardanne, 1509 – Venise, 28 octobre 1569), installé Calle della Simia, non loin du pont du Rialto… _ fait paraître en février 1539, à Ferrare _ où Buglhat demeurera désormais toute sa vie durant : il décède à Ferrare en 1558 ; sur l’éditeur Jean de Buglhat, lire la notice de Camille Cavicchi aux pages 434-435 du « Guide de la Musique de la Renaissance«  _ le recueil de 20 motets _ intitulé par pure provocation professionnelle ! _ « Moteti de la simia« , dans lequel Buglhat intègre, très probablement emprunté au recueil de 18 Motets « Motettorum, Libro 13 » publié au mois de mai 1535 à Paris par Pierre Attaingnant, en raison de sa beauté singulière, le Motet de Pierre Cadéac « Salus populi ego sum« .

Et c’est probablement par ce biais ferrarais-là des « Moteti de la simia » de Buglhat, de février 1539, et via la diffusion-circulation _ jusqu’à la cour si mélomane de Ferrare ; et en 1535, justement, Clément Marot y séjourne depuis le mois d’avril de cette année-là… _ du recueil de Motets « Motettorum, Libro 13 » de Pierre Attaingnant publié à Paris en mai 1535, qu’a pu en prendre connaissance, à son tour, à Milan, le maître de chapelle de la cathédrale de Milan, le flamand Matthias Werrecore (Warcoing-Pecq, ca. 1500 – après 1574) _  dont l’envoi et la réception strasbourgeoise a permis l’édition de ce motet « Salus populi ego sum«  de Pierre Cadéac au sein des 28 « Cantiones quinque vocum selectissimae » qu’a fait paraître, six mois plus tard, au mois d’août 1539, l’éditeur- imprimeur strasbourgeois Peter Schöffer-le-Jeune ; recueil de Motets sur lequel Daniel Trocmé-Latter a travaillé en son « The Strasbourg Cantiones of 1539« , qui a servi de source au CD Delphian « The mysterious Book of Motets 1539 » de l’Ensemble Siglo de Oro, qui m’a permis, lui, de découvrir et admirer ce superbe motet de Pierre Cadéac…

Lequel milanais Matthias Werrecore, lié lui-même _ d’une manière qu’il serait bien intéressant de préciser… _ au brillant et très mélomane cardinal Ippolito II d’Este (Ferrare, 25 août 1509 – Rome, 2 décembre 1572 _ en 1519, Ippolito II d’Este (âgé alors de 10 ans) avait hérité de son oncle le cardinal Ippolito I d’Este (Ferrare, 14 mars 1579 – Ferrare, 3 septembre 1520) l’archevêché de Milan ; et il est possible que le jeune Ippolito II ait sinon résidé du moins séjourné un peu, ces années-là à Milan, en particulier entre 1519 et 1527 au moins (je retiens cette année de 1527, parce que le brillant Adriaen Willaert, après avoir été pendant cinq années (1515-1520) au service de l’oncle le cardinal archevêque de Milan Ippolito I d’Este, quitte le service musical du neveu, Ippolito II, lui aussi archevêque de Milan, mais résidant à Ferrare à la cour de son père Alfonso I ; un service musical attesté par des paiements entre décembre 1524 et avril 1525 _ cf Giuliano Danieli : « La musica nel mecenatismo di Ippolito II d’Este« .., aux pages 97 et 199 _, pour aller prendre le prestigieux poste de maître de chapelle de la basilique Saint-Marc à Venise ; en 1527, Ippolito II a alors 18 ans ; cf mon article du 11 août dernier : « «  _,

a adressé, de Milan, à l’imprimeur-éditeur alors installé à Strasbourg Peter Schöffer-le Jeune (Mayence, ca. 1475 – Bâle, 1547), qui l’a publié au mois d’août 1539 au sein de son recueil de Motets « Cantiones quinque vocum selectissimae« , dont il faisait partie, en huitième position, le Motet « Salus Populi ego sum » de l’auscitain Pierre Cadéac…

Et de même que les deux cardinaux d’Este, Ippolito II et son neveu Luigi, n’ont jamais mis les pieds de leur vie dans leur diocèse d’Auch,

de même Pierre Cadéac ne s’est jamais rendu ni à Ferrare, ni à Venise, ni à Milan, ni à Strasbourg, et probablement jamais non plus seulement à Paris _ où très tôt (dès 1534 pour la chanson « Je suis deshéritée« ) Attaingnant publie sa musique, sacrée comme profane : et c’est très vraisemblablement Clément Janequin (Châtellerault, ca. 1485 – Paris, ca. 1558), passé par Auch vers 1531-1532 (cf le remarquable article de Rolf Norsen « Les compositeurs de musique Clément Janequin et Pierre Cadéac à Auch au début du XVIe siècle«  cité en mon article « «  du 16 août dernier) qui lui avait ainsi mis le pied à l’étrier éditorial de l’éditeur-imprimeur de musique si important et décisif pour la plus large diffusion et circulation de la musique à ce moment, qu’a été Pierre Attaingnant _ :

mais son œuvre, elle, a brillamment voyagé pour lui, ainsi jusqu’à Ferrare et Milan en février et août 1539, et aujourd’hui, jusqu’à nous : en partitions à déchiffrer et lire, et maintenant en disques (et concerts) à écouter ici _ et savourer…

Ce mercredi 6 septembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

A propos du compositeur auscitain Pierre Cadéac (Cadéac, ca. 1505-1510 – Auch, ca. 1564-1565) et de la présence-absence à Auch de son archevêque (de 1551 à 1563) le cardinal (de Ferrare) Hippolyte II d’Este (Ferrare, 1509 – Rome, 1572) : une passionnante contribution, à Auch, du musicologue norvégien Rolf Norsen, spécialiste de Clément Janequin ; suite de la recherche…

16août

À nouveau, ce mercredi 16 août, dans la continuité de mes articles précédents,

celui d’hier mardi 15 août : «  » 

et celui d’avant-hier lundi 14 août : « « ),

je viens ici témoigner, ce mercredi, de la réception du très intéressant article « Les compositeurs de musique Clément Janequin et Pierre Cadéac à Auch au début du XVIe siècle« , de Rolf Norsen, concernant précisément l’auscitain Pierre Cadéac (Cadéac, ca. 1505 – Auch, ca. 1564-1565) _ ainsi que Clément Janequin, probablement passé par Auch… _, sur lequel je recherche bien des précisions ;

un article que m’a très aimablement adressé _ avant de prendre le temps de paisiblement me lire attentivement, et de répondre aux questions que je me pose, tant sur Pierre Cadéac, que sur l’empreinte, à Auch, du très mélomane remarquable cardinal Hippolyte II d’Este ; mais celui-ci est-il seulement même une fois venu fouler le sol de son archevêché d’Auch?.. _, le président de l’Association archéologique du Gers,

soit un article présent aux pages 7 à 17 du numéro 447 de la revue de cette Association,  paru tout récemment, au mois d’avril dernier…

Au passage,

l’amusant est que cet aimable et obligeant correspondant auscitain, se trouve domicilié Impasse Pierre Cadéac !!!

Pareille coïncidence ne saurait s’inventer…

Même si cet article très bien documenté de Rolf Norsen ne dit pas un mot de cet archevêque d’Auch, qu’a été, du 22 avril 1551 au 8 octobre 1563 douze années durant _, le cardinal (dit de Ferrare) _ le très mélomane _ Hippolyte II d’Este (Ferrare, 25 août 1509 – Rome, 2 décembre 1572)

_ auquel a, d’ailleurs, succédé, du 8 octobre 1863 à son décès, le 15 décembre 1586, son neveu, le cardinal (dit d’Este) Luigi d’Este (Ferrare, 1538 – Rome, 15 décembre 1586)…

Mais c’est peut-être là que s’ouvriront _ ou pas _ des recherches fertiles

à propos de liens _ qui restent encore à identifier ! _ avec la cour si mélomane et raffinée de Ferrare, de l’auscitain Pierre Cadéac…

Les partitions musicales circulaient beaucoup déjà _ invention strasbourgeoise de l’imprimerie, par Gutenberg, aidant _ à la Renaissance…

Voici quelques extraits significatifs de ce bien intéressant article « Les compositeurs de musique Clément Janequin et Pierre Cadéac à Auch au début du XVIe siècle« , du musicologue norvégien _ né en 1944, directeur de théâtre et musicologue, Rolf Norsen vit en Norvège, à Tynset, et a donné lecture de cet article, à Auch, le 2 mars 2022, lors de la séance de ce jour de la Société Archéologique, Historique, Littéraire et Scientifique du Gers… _ qu’est Rolf Norsen, spécialiste mondialement reconnu de l’œuvre de Clément Janequin (Châtellerault, ca. 1485 – Paris, 1558) :

« Un document bordelais du début mars 1531 identifie Janequin comme « monsr maître Clemens Jehannequyn, curé de Brossay et de Messaulx, et maître des enfants de l’église cathédrale d’Auch ». (…) Le compositeur est décrit comme « maître des enfants de l’église cathédrale d’Auch », c’est-à-dire directeur du chœur de la cathédrale d’Auch. Rien n’a été découvert dans les archives de la cathédrale d’Auch pour corroborer cette nomination… (…) Ravagées par le temps et les révolutions, les informations de toute nature pour cette période dans la région d’Auch sont rares. (…) La nature laconique de l’acte signifie que nous n’avons aucune indication sur le moment où Janequin a peut-être commencé ses fonctions à Auch, combien de temps il est finalement resté, ni quand il en est parti.

(…) En 1531, la population d’Auch pouvait s’élever à trois ou quatre mille personnes. Auch est cependant entouré de riches terres agricoles et, à l’époque, le diocèse d’Auch était le quatrième de France (après Strasbourg, Paris et Cambrai) avec 366 paroisses et 244 annexes. La richesse générée par ces possessions principalement sous forme de dîmes, était considérable. Une indication claire de cette prospérité fut la pose de la première pierre d’une nouvelle cathédrale le 4 juillet 1489. L’archevêque et cardinal François de Clermont-Lodève (1480 – 1540) est l’instigateur majeur du développement du nouvel édifice, dédié à Sainte-Marie. Neveu d’un autre cardinal, archevêque de Rouen, Clermont-Lodève était à la fois immensément riche et éminemment instruit. (…) Clermont-Lodève avait des ambitions esthétiques et artistiques claires pour la cathédrale d’Auch, et avait à la fois les moyens et l’énergie pour les mener à bien. (…) Son mandat dura de 1507 à 1538. (…) Il n’est pas difficile d’imaginer que les ambitions du prélat s’étendaient aussi à la musique qui devait remplir cet édifice privilégié. Outre d’un orgue et d’un organiste, Clermont-Lodève avait besoin d’un chef de chœur, de préférence talentueux et prestigieux. (…) Les motivations de Janequin pour accepter le poste ne sont pas difficiles à imaginer. (…) Entre le 24 juillet 1429, quand Janequin était encore répertorié comme occupant le poste de « procureur des âmes » à Bordeaux, et le 22 mars 1533 quand il fut nommé curé d’Avrillé, aux portes d’Angers, les sources ne sont pas claires, c’est le moins qu’on puisse dire. (…) Pour l’année 1532, aucun document quel qu’il soit concernant Janequin n’a survécu.

(…) Où était donc notre compositeur entre 1529 et 1533 ? (…) L’alternative la plus satisfaisante, malgré l’absence de document, est que Janequin s’est rendu à Auch sur ordre de Clermont-Lodève, et y est resté pour une durée inconnue. (…) Deux années à Auch pourraient être envisagées. (…) Ce qui est clair, c’est qu’à un moment donné, Janequin a décidé que son avenir était au nord, pas au sud, et a prévenu Clermont-Lodève. (…) Auch était tout simplement très loin de l’imprimerie parisiennne de Pierre Attaingnant. Pour Janequin qui avait vu pleinement les potentialités du medium d’impression musicale, cela aurait été une préoccupation importante et croissante à mesure que le contact avec Attaingnant devenait plus essentiel.

(…) Avant de quitter le sujet d’Auch, un bref regard s’impose sur un autre compositeur ayant servi à la cathédrale Sainte-Marie d’Auch, Pierre Cadéac.

(…) Lorsque Janequin a brièvement dirigé le chœur de la cathédrale vers 1531, Cadéac aurait pu avoir une vingtaine d’années. C’était un jeune chanteur talentueux, un compositeur en herbe qui était en contact avec un personnage expérimenté et réputé au service de l’archevêque local.

Quelque chose de plus sur Cadéac peut être déduit de la manière dont ses œuvres ont atteint la publication, qui semblent se diviser en quatre périodes :

1) une période entre 1534 et 1535, au cours de laquelle ses premières chansons sont publiées par Attaingnant, avec des attrivbutions erronées (« Je suys déshéritée » a été attribuée à Lupus dans RISM 1534, et « C’est trop aymer » à Le Heurteur en 1535) ;

2) une période de 1538 à 1541, durant laquelle apparaissent plusieurs autres (sept ou huit) chansons profanes, et durant laquelle l’attribution des deux premières chansons est corrigée ;

3) une période de 1553 à 1556 au cours de laquelle Cadéac se concentre particulièrement sur la composition de messes ;

et 4) une période qui s’est intensifiée en 1555, et a continué le reste de sa vie, dans laquelle le motet était son objectif principal.«  

Or je peux souligner ici, à propos de ces deux dernières périodes (1553-1556 et 1556 et années suivantes) de la production musicale de Pierre Cadéac, que distingue Rolf Norsen, le fait assez intéressant que le titulaire de l’archevêché d’Auch est devenu, à partir du 22 avril 1551, le très mélomane cardinal de Ferrare, Hippolyte II d’Este, en succession du cardinal François de Tournon (Tournon, 1489 – Sait-Germain-en-Laye, 1562), lequel avait succédé au siège archi-épiscopal d’Auch, au cardinal François-Guillaume de Castelnau de Clermont-Lodève (Lodève, 1480 – Avignon, 1540).

De même que je dois faire remarquer aussi que dès le mois d’août 1539, un tout premier motet de Pierre Cadéac, « Salus populi« , avait été publié, à Strasbourg, par l’imprimeur Peter Schöffer le Jeune, au sein du recueil de 28 Motets intitulé « Cantiones quinque uocum selectissimae« , de 15 compositeurs différents (dont faisaient aussi partie trois Motets d’Adriaen Willaert), d’après l’envoi, depuis Milan, du maître de chapelle de la cathédrale de Milan Matthias Werrecore

_ cf mon article-source du vendredi 11 août dernier : « « 

Le cardinal de Ferrare Hippolyte II d’Este (1509 – 1572),

Adriaen Willaert (1490 – 1562),

Matthias Werrecore (1500 – 1574),

Pierre Cadéac (1505 – 1564) :

autant de noms de compositeurs et de mécénes mélomanes contemporains les uns des autres qui lient entre elles les cités de Ferrare, Milan et Auch…

À suivre…

Ce mercredi 16 août 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Poursuite de mes recherches sur le cardinal de Ferrare Hippolyte II d’Este (1509 – 1572) : à la recherche de données attestant de sa présence-absence en la cité archi-épiscopale d’ Auch (suite)…

15août

Toujours dans la continuité de mes articles précédents

(cf celui d’hier lundi 14 août : « « ),

j’ai eu la formidable surprise de recevoir des réponses aux deux courriels que j’avais envoyés hier à deux correspondants, à ce propos ;

courriels dont j’avais, au passage, fait très brève mention en cet article d’hier…

Ainsi ai-je reçu, infiniment gracieusement de son auteur, et dans la soirée même de ce lundi, les 360 pages du passionnant ouvrage de Jean Sénié « Entre l’Aigle et les Lys et la tiare, les relations des cardinaux d’Este dans le royaume de France (1530 – 1590)« ;

et j’ai consacré ma journée de ce mardi 15 août 2023 à leur patiente lecture,

à la recherche des moindres liens attestés, et de quelque ordre que ce soit, entre le cardinal Ippolito II d’Este (Ferrare, 1509 – Rome, 1572), le cardinal de Ferrare,

et la cité d’Auch

Et il semble ressortir de cette lecture exhaustive qu’à nul moment le cardinal de Ferrare, Hippolyte II d’Este, n’a posé un seul pied sur le terrivoire de cette cité,

dont il a été _ seulement ! _ le titulaire de l’archevêché, entre le 22 avril 1551 et le 8 octobre 1563 ;

ainsi, et surtout, que le bénéficiaire de ses considérables revenus, même après en avoir transmis la charge à son neveu, le cardinal Luigi d’Este (Ferrare, 1538 – Rome, 1586), ce 8 octobre 1563… ;

cf notamment les pages 201 et 206…

Lire surtout ces éclairantes pages de Jean Sénié :

« Ippolito II d’Este (1536-1572)

La venue en France _ en 1536 _ d’Ippolito II d’Este répond à la volonté de prendre son autonomie par rapport à son frère _ Ercole II (Ferrare, 1508 – Ferrare, 1559) _, choix impératif à la réalisation d’ambitions personnelles. Il entend bénéficier du régime concordataire pour se voir nommer aux riches bénéfices ecclésiastiques français, capables de lui apporter les ressources économiques qu’il ne peut tirer du seul archevêché de Milan, obtenu en 1519 _ en succession de son oncle le cardinal Hippolyte Ier d’Este (Ferrare, 1479 – Ferrare, 1520) _, alors qu’il est âgé de dix ans, après la résignation de son oncle. Une première étape est atteinte lorsque François Ier rédige une lettre patente accordant la faculté au jeune Ippolito II d’Este d’être pourvu de bénéfices ecclésiastiques dans son royaume « pour la plus ample manutention et entretenement de son estat en saincte eglise ». Quelques années après, en 1535, Jean du Bellay résigne en sa faveur l’abbaye bénédictine de Notre-Dame de Breteuil, avec l’objectif de scinder la famille d’Este et de motiver la venue en France de l’archevêque de Milan. La présence d’Ippolito II d’Este sur le sol français permet d’obtenir l’accélération du rythme des nominations aux bénéfices ecclésiastiques du royaume français.

La première étape dans l’étude de la constitution de ce patrimoine bénéficial est de déterminer les dates d’obtention des bénéfices ecclésiastiques. Nous avons choisi de retenir la date des bulles pontificales, en essayant de préciser la date de la proposition royale à des bénéfices ainsi que celle d’entrée en possession effective dans le bénéfice. Pour présenter la chronologie de l’acquisition des bénéfices, nous suivons la répartition canonique entre bénéfice ecclésiastique séculier et bénéfice ecclésiastique régulier. Le fils de Lucrèce Borgia parvient à acquérir de multiples bénéfices ecclésiastiques séculiers dans le royaume de France. Le premier archevêché obtenu est celui de Lyon, le 29 octobre 1539. Il y succède à Jean de Lorraine. Sa nomination intervient au lendemain du consistoire public où il a reçu le chapeau de cardinal. Il s’agit en réalité d’un long processus où Ippolito II d’Este a cherché à se mouvoir entre la royauté française et la monarchie pontificale.

(…)

Un compromis est trouvé entre le roi de France et Ippolito II d’Este d’un côté et Paul III de l’autre. Il est convenu que Jean de Lorraine sera le détenteur des bénéfices jusqu’à ce que l’archevêque de Milan soit fait cardinal. Ce dernier doit attendre le mois de septembre 1539 pour acquérir son premier diocèse français.

(…)

Le cardinal de Ferrare obtient par la suite l’évêché de Tréguier en avril 1542, celui d’Autun en janvier 1547, de Narbonne en juin 1550 puis en octobre 1563, d’Auch en avril 1551, d’Arles en 1562 et de Saint-Jean-de-Maurienne en 1564.

Ippolito II se constitue en même temps un imposant patrimoine de bénéfices ecclésiastiques réguliers grâce au système de la commende. En 1535, il obtient sa première nomination à un bénéfice régulier, l’abbaye bénédictine Notre-Dame de Breteuil. Il reçoit ensuite l’abbaye bénédictine de Saint-Médard de Soissons, dont il est nommé abbé commendataire à la fin de l’année 1536. Les années qui suivent voient la liste de ses bénéfices s’allonger. Il devient ainsi abbé commendataire de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Jumièges, le 8 novembre 1539, de l’abbaye cistercienne de Chaalis en 1541, de l’abbaye bénédictine Saint-Laumer de Blois, en octobre 1546, de l’abbaye cistercienne de Fontfroide, le 16 juillet 1548, de l’abbaye cistercienne de l’Aumône, aussi appelée abbaye du Petit-Cîteaux, de l’abbaye bénédictine de Lyre, le 4 avril 1549, de l’abbaye cistercienne de Boulbonne le 3 avril 1551, de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Flavigny et du prieuré de Saint-Vivant en 1551, de l’abbaye bénédictine de Saint Faron de Meaux, en 1553, de l’abbaye bénédictine Saint-Georges de Boscherville en 1556, de l’abbaye cistercienne de Pontigny, le 14 mars 1560, de l’abbaye bénédictine de la Sainte-Trinité de Tiron en 1560, à la même date, de l’abbaye bénédictine de Saint-Mesmin de Micy, le 4 janvier 1562, de l’abbaye de Prémontré, le 14 mai 1562, de l’abbaye bénédictine de Saint Chinian, le 21 mai 1562, de l’abbaye bénédictine d’Ainay en 1562, et de l’abbaye cistercienne de Longpont en 1563.

(…)

Entre la nomination royale, la bulle pontificale, la confirmation royale et la prise de possession, plus d’une année peut s’écouler, compliquant aussi bien le profit escompté par le prélat que la vie de la communauté religieuse. La maîtrise du temps devient un enjeu de la gestion du patrimoine des Este.

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Une certaine période de temps, parfois longue de plusieurs années, peut ainsi s’écouler entre les premiers signes de la grâce royale et l’expédition des bulles pontificales.  Or, ce laps de temps s’avère dommageable pour Ippolito II d’Este puisqu’il contribue à saper les fondements de son autorité et le prive de rentrées financières. L’entrée en possession d’un bénéfice ecclésiastique se comprend ainsi comme un processus et non comme un événement unique.

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Ippolito II d’Este cherche à abréger le délai entre la promesse de la nomination pontificale, l’assurance d’obtenir l’expédition de la bulle pontificale et la prise effective de possession.

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Ippolito II d’Este cherche à abréger le délai entre la promesse de la nomination pontificale, l’assurance d’obtenir l’expédition de la bulle pontificale et la prise effective de possession.  Ainsi, quatre mois passent entre la fin du mois d’octobre 1539 et le 26 février 1540, jour de la cérémonie solennelle de prise de possession de l’archevêché de Lyon par Étienne Faye, official et vicaire général d’Ippolito II d’Este. L’enjeu d’une nomination pour Ippolito II d’Este ne peut donc se concrétiser que sur la durée, les premiers temps étant consacrés à l’acquisition de l’assurance de pouvoir jouir de son bénéfice ecclésiastique.

Il est possible de distinguer trois moments dans la constitution et la consolidation d’un patrimoine bénéficial par Ippolito II d’Este. Le premier moment coïncide avec son arrivée _ en 1536 _ dans le Royaume de France et, surtout, avec l’obtention _ en 1539 _ du cardinalat. Il prend place à la fin des années 1530 et se termine au début de la décennie 1540. Le deuxième temps vient avec l’arrivée d’Henri II sur le trône, en 1547, et il dure jusqu’au début des années 1550. Les bénéfices obtenus au commencement de la décennie 1550 viennent compenser la perte de la terre de Brescello, envahie par les troupes impériales. Enfin, les trois premières années de la décennie 1560 voient le cardinal de Ferrare obtenir une nouvelle série de bénéfices, coïncidant approximativement avec sa mission de légat a latere. Les acquisitions ne se font généralement pas par addition mais par permutation, Ippolito II d’Este participant au grand jeu d’échanges se déroulant sous le regard de la monarchie française. De manière attendue, les débuts d’un nouveau règne sont concomitants avec des périodes de restructuration du capital bénéficial d’Ippolito II d’Este, exception faite du règne de François Ier. C’est d’autant plus le cas en 1560 que le début du règne de François II est marqué par le décès de Jean du Bellay, le 16 février 1560, par conséquent le cardinal de Ferrare récupère l’abbaye de Pontigny et celle de Notre-Dame du Tiron.

Les bénéfices d’Ippolito II d’Este se concentrent principalement autour de Paris et, progressivement, dans le Sud-Ouest du royaume, là où sont généralement nommés les prélats italiens que la monarchie entend récompenser. Il existe également dans son cas un regroupement, plus modeste, autour de Lyon, même s’il ne s’agit pas d’une installation aussi durable que dans les deux autres régions citées. Un pôle normand semble aussi se dessiner avec les abbayes de Jumièges, de Saint-Georges-de-Boscherville et de Notre Dame de Lyre, qui pourrait s’expliquer par la présence des Este et des Guise en Normandie, facilitant ainsi la gestion de ces bénéfices. Cette géographie dresse la carte de France des bénéfices des cardinaux et forme le cadre de vie de leurs vicaires, procureurs et autres agents _ ce sont eux qui sont présents _  chargés de visiter leurs biens et de gérer leur patrimoine.

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Il est possible de distinguer deux formes de logique présidant à l’obtention d’un bénéfice. Dans le premier cas, les bénéfices entrent pour la première fois dans le système de la commende, comme c’est le cas pour Jumièges ou Chaalis. Dans le second, ils font l’objet d’échanges entre prélats, donnant d’ailleurs lieu à des montages complexes impliquant les grands clercs du Royaume de France et la royauté. L’échange peut se révéler simple, comme celui qui prend place entre Louis de Brézé et Ippolito II d’Este en 1555, le premier cédant l’abbaye de Saint Georges de Boscherville contre l’abbaye Saint-Faron de Meaux, jusqu’alors détenue par le deuxième. Avant cela, le comportement prédateur du prélat l’avait déjà conduit à délaisser l’évêché d’Autun pour celui de Narbonne, vacant en 1550 après la mort de Jean de Lorraine. Là encore, le cardinal de Ferrare se réjouit de la bonne opération qui lui permet de mettre la main sur un bénéfice lui rapportant 6 000 à 7 000 écus de plus par an. Ce transfert s’insère dans un partage plus global des bénéfices de Jean de Lorraine, orchestré par les Guise, auquel le cardinal de Ferrare participe en tant que parent.

Les montages peuvent revêtir un aspect plus complexe et impliquer plusieurs acteurs participant à la chasse aux bénéfices ecclésiastiques. Henri II s’est tout d’abord montré peu soucieux de faire respecter le non-cumul des bénéfices, renforcé par le décret de Paul III du 18 février 1547 étendant aux cardinaux l’interdiction déjà imposée à tous les évêques, par la septième session du concile de Trente, de cumuler les bénéfices résidentiels. Néanmoins, les instances réitérées de Jules III pour faire cesser le cumul entraînent une série de mouvements chez les détenteurs de bénéfices français. En 1550, Ippolito II d’Este est encore archevêque de Milan, d’Autun – deux bénéfices qu’il résigne la même année –, de Narbonne et de Lyon. Conscient de la nécessité de se conformer aux nouvelles normes tridentines, et attiré par une offre du cardinal de Tournon concernant le prestigieux bénéfice d’Auch, Ippolito II d’Este envisage dès 1551 une permutation entre l’archevêché d’Auch – appartenant alors à François de Tournon, bénéfice qu’il estime à 35 000 francs – et l’archevêché de Lyon, auquel il ajouterait deux abbayes, celle de Saint-Laumer de Blois (dont il est abbé) et celle d’Ainay, dépendant du cardinal Niccolò Gaddi dont il se fait fort d’avoir obtenu le consentement au printemps 1550. La somme des trois bénéfices restant inférieure aux 35 000 francs, le cardinal de Ferrare doit, en outre, adjoindre une part des revenus de l’archevêché d’Auch et entre un tiers et la moitié des revenus de l’archevêché de Narbonne, ainsi que la collation des bénéfices de ce dernier diocèse, qu’il résigne en faveur de Francesco Pisani, à condition que celui-ci accepte l’accord avec François de Tournon. Chez Ippolito II d’Este la recherche de bénéfices correspond à une stratégie bien définie et élaborée sur le temps long. Ainsi, il insiste pour acquérir l’archevêché d’Auch « de la qualité que j’ai décrite » puisqu’il lui semble aisé de le maintenir dans la maison d’Este le moment venu surtout « quand doit passer ce décret de ne pas pouvoir tenir plus d’une seule église ». Il conclut d’ailleurs cette lettre à son frère en lui rapportant qu’Auch est la plus belle pièce qu’on puisse recevoir en France ou en Italie. Le cardinal pouvait toutefois reprendre les bénéfices en cas de décès de son successeur selon la faculté de regrès. Cette dernière explique qu’en deux temps, en 1562 avec l’archevêché de Lyon, l’abbaye d’Ainay et celle de Saint-Laumer de Blois, et en 1563 avec l’archevêché de Narbonne, le cardinal de Ferrare revienne à la tête d’un bénéfice ecclésiastique qu’il avait utilisé dans ses logiques d’acquisition.

La circulation des bénéfices selon un modèle de fonctionnement en vase clos permet d’observer les stratégies d’acquisitions des prélats ainsi que leur insertion dans des visées clientélaires à plus long terme. Ainsi, quand le cardinal de Tournon meurt le 22 avril 1562, Ippolito II d’Este se hâte d’exercer son droit de regrès et il donne les pleins pouvoirs à son trésorier général Antonio Ariosto pour prendre possession de l’archevêché de Lyon. S’ensuit une période de contestation du regrès au nom du droit de régale de l’évêque d’Autun qui, traditionnellement, gère l’administration temporelle et spirituelle en attendant que le nouvel archevêque ait été investi au temporel et au spirituel. Cette affaire se poursuit jusqu’en 1564,quand Ippolito II d’Este obtient de Pie IV de nouvelles bulles, confirmées par Charles IX. Le 6 mai 1564, le cardinal de Ferrare peut déléguer son vicaire général, Alfonso Vercelli, pour que celui-ci prenne possession, à nouveau, de l’archevêché _ c’est le vicaire général qui prend possession. Loin de s’arrêter à cette victoire politique, le cardinal souhaite rapidement procéder à l’échange de l’archevêché de Lyon avec celui d’Arles, ce qui advient le 28 juin 1564 lorsqu’il obtient la bulle le nommant administrateur temporaire de l’archevêché d’Arles. Antoine Ier d’Albon reçoit les bulles de Lyon le 14 juillet de la même année. Ippolito II d’Este gère l’archevêché d’Arles en qualité d’administrateur pendant deux ans pour le résigner, en avril 1566, en faveur de Prospero Santacroce, satisfait de la nomination du nouveau cardinal en raison de ses prises de position durant sa deuxième nonciature en France. Il attend toutefois un retour sur investissement et se plaint de n’avoir pas reçu, en 1570, la récompense qui lui avait été promise pour prix de sa démission de l’évêché d’Arles.

Cet ensemble de permutations, de résignations in favorem et d’usage du regrès témoigne, outre de la capacité à obtenir gain de cause auprès des autorités en matière de nominations aux bénéfices, de la vision à long terme du cardinal de Ferrare en l’espèce. L’empire bénéficial qu’il se bâtit en France, comparé à l’Italie où il ne dispose pas de la même collection de bénéfices, reflète la réflexion sur le temps long nécessaire à la constitution d’un tel patrimoine tout comme la capacité d’adaptation imposée par les évolutions politiques. À cet égard, les pratiques bénéficiales d’Ippolito II d’Este se confrontent à la législation mise en place au Concile de Trente. Le règne d’Henri II, à partir du pontificat de Jules III, coïncide avec le commencement de la remise en cause des pratiques les plus affichées de pluralisme épiscopal. Un mouvement de décrue s’amorce pour entraîner une raréfaction de la pratique jusqu’au règne d’Henri III. Pour autant, cela n’entraîne pas une disparition des cas de cumuls comme l’illustre le parcours de François de Joyeuse, pendant treize ans archevêque de Narbonne et de Toulouse, et qui se voit même adjoindre sous Henri IV l’archevêché de Rouen. De même, Ippolito II d’Este peut encore, dans les années 1560, être archevêque de Narbonne en même temps qu’évêque de Saint-Jean-de-Maurienne et administrateur de l’archevêché d’Arles, sans compter les pensions dont il bénéficie sur l’archevêché d’Auch. Ainsi, la diffusion de la réforme tridentine n’empêche pas le cardinal de Ferrare de poursuivre une pratique caractéristique d’un âge d’or de la prédation bénéficiale. Pour autant, les moyens se font plus contournés et la concentration sur les bénéfices réguliers suit le mouvement d’ensemble des prélats à la recherche de bénéfices ecclésiastiques.

Cette pratique dépend toutefois, en dernier ressort, de la faveur royale. Le roi est celui qui décide, à condition de trouver un accord avec le pape sur le candidat, de la nomination à un bénéfice. Le cardinal dépend donc toujours de la volonté royale, comme l’illustre le cas de Tréguier. Le diocèse breton n’est pas soumis au régime concordataire. Pour les bénéfices consistoriaux bretons, François Ier a obtenu un indult en 1516 et celui-ci l’autorise à nommer ses candidats, sans conditions d’origine, lui permettant ainsi de passer outre l’acte d’union de 1532. À ce titre, le choix de nommer Ippolito II d’Este à Tréguier en 1542 s’inscrit dans cette optique de sape des privilèges bretons et de contrôle d’un pays d’obédience. C’est encore le roi qui défend les intérêts du cardinal de Ferrare lorsque ce dernier s’estime lésé d’un bénéfice au prétexte que le cardinal Cibo le possède alors qu’il devrait dépendre de l’archevêque de Lyon. François Ier s’en ouvre au nonce pour que ce préjudice soit corrigé. Ce dernier exemple rappelle que les cardinaux d’Este n’hésitent pas à jouer le roi contre le Pape pour obtenir un bénéfice ecclésiastique. Inversement, ce dernier exemple témoigne en même temps de la fragilité de la position du cardinal de Ferrare dans la mesure où le refus pontifical peut s’ériger en obstacle insurmontable. C’est une difficulté supplémentaire pour Ippolito II d’Este, et Luigi d’Este _ son neveu _ à sa suite, de maintenir un équilibre entre les différents acteurs impliqués dans le processus d’obtention d’un bénéfice.

Les bénéfices servent aussi à Ippolito II d’Este à entretenir un réseau d’obligés dans le royaume de France. La redistribution de la manne bénéficiale devient l’occasion d’un débouché pour la clientèle du frère d’Ercole II d’Este. Les serviteurs du cardinal de Ferrare sont souvent récompensés par l’obtention de bénéfices ecclésiastiques mineurs dépendant de ceux du cardinal. Le cardinal cherche également à les placer dans des bénéfices majeurs à sa suite afin de s’assurer de substantielles pensions. En 1547, circulent des rumeurs annonçant que son vicaire, Tommaso Mosto, pourrait récupérer l’évêché de Tréguier. Plus tard, le fils de Lucrèce Borgia profite de sa faveur auprès du pape, comme c’est le cas avec Pie IV, pour placer ses protégés à des bénéfices majeurs. Il parvient ainsi à faire nommer Brandelise Trotti, dit aussi Prevosto Trotti parce qu’il occupait la fonction de prévôt dans la familia d’Ippolito II d’Este, à l’évêché de Saint-Jean- de-Maurienne, et son secrétaire Gian Paolo Amanio à l’évêché d’Anglona. Dans le cas de l’évêché savoyard, il s’agit d’obtenir des compensations pour la perte de l’archevêché de Milan. Il fait aussi nommer son vicaire général, Alfonso Vercelli, évêque de Lodève en 1570, après lui avoir fait recevoir une abbaye en Languedoc. Un exemple français marquant est la transmission de l’abbaye Saint- Mesmin de Micy à Sacripante Pedocca, familier du cardinal de Ferrare, qui se voit récompensé de ses services par l’accession à la commende de l’abbaye. Ce dernier appartient au réseau des familiers des cardinaux d’Este en France. Il entretient d’excellentes relations avec Livia Pico della Mirandola, notamment en raison de leur cité d’origine commune. De même, sans entrer au sens strict dans la catégorie du clientélisme, l’installation à Arles de Prospero Santacroce voit succéder au cardinal de Ferrare un autre cardinal italien avec lequel il entretient d’excellents rapports.

À l’image de Jean du Bellay avec ses sept diocèses, dont un archidiocèse, et ses dix-huit abbayes, ou de Jean de Lorraine avec ses onze diocèses, dont trois archidiocèses, et ses treize abbayes, Ippolito II d’Este n’a pas à rougir avec ses sept diocèses, dont quatre archidiocèses _ dont celui d’Auch _, et ses vingt-et-une abbayes. Sans pour autant égaler les empires des bénéfices ecclésiastiques bâtis après lui par François de Joyeuse, Richelieu ou Mazarin, il se situe dans une catégorie comparable à son parent Charles de Lorraine, exception faite des phares que sont l’archevêché de Reims et l’abbaye de Saint Denis, ou à celle de son contemporain Charles de Bourbon, à condition de prendre aussi en compte ses bénéfices italiens.

À l’heure de sa mort, il dispose encore d’un archevêché, Narbonne, ainsi que de quasiment l’intégralité des revenus de l’archevêché d’Auch, sur lequel il n’a accordé qu’une pension de 1000 écus à son neveu en 1563. Outre son archidiocèse, il détient aussi treize abbayes françaises. L’enjeu pour son neveu _ Luigi d’Este _ est de s’assurer que le patrimoine constitué par son oncle ne disparaisse pas au moment de la succession. S’il s’est acquis l’accord du gouvernement royal pour la transmission des biens, il doit aussi tenir compte des exigences des différentes communautés religieuses, ainsi que des prétendants attendant avec impatience la mort de son oncle pour se répartir les membra disjecta de sa collection bénéficiale. »

À suivre…

Ce mardi 15 août 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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