Découvrir au CD les Mélodies de Weinberg (II) : une réalisation hélas frustrante…

— Ecrit le jeudi 8 juin 2023 dans la rubriqueBlogs, Musiques”.

En quelque sorte en réponse détaillée à mon bref article du lundi 24 avril dernier «  « ,

ce très juste _ hélas ! _ article-ci, « Mélodies et romances de Weinberg : une frustrante première discographique« , ce jeudi 8 juin 2023, sous la plume de Jean Lacroix, sur le site de Crescendo,

avec lequel je ne puis que me trouver en plein accord, de A jusqu’à Z…

Mélodies et romances de Weinberg : une frustrante première discographique

Le 8 juin 2023 par Jean Lacroix

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) :

Acacias, six mélodies sur des poèmes de Julian Tuwim, pour soprano et piano op. 4 ; La Bible bohémienne, sept romances sur des poèmes de Julian Tuwim, pour mezzo-soprano et piano op. 57 ; Souvenirs, cinq mélodies sur des poèmes de Julian Tuwim, pour mezzo-soprano et piano op. 62 ; Lettres anciennes, huit romances sur des poèmes de Julian Tuwim, pour soprano et piano, op. 77.

Aleksandra Kubas-Kruk, soprano ; Anna Bernacka, mezzo-soprano ; Monika Kruk, piano.

2022.

Notice en polonais et en anglais.

71.44.

Dux 1874.

Un enregistrement de mélodies et de romances de Weinberg en première mondiale ? On ne pouvait _ a priori _ que se réjouir de cette initiative qui allait permettre de découvrir _ voilà ! _ un aspect complémentaire de la création de ce compositeur enfin reconnu à sa juste place _ oui, oui, oui. Hélas _ trois fois hélas ! _, il faut déchanter face à ce _ bien _ décevant produit polonais qui donne une fâcheuse impression d’inachevé, ou en tout cas de travail éditorial lacunaire _ ainsi que de trop médiocre interprétation… Comme on le constate à la lecture du programme du présent album, tous les textes mis ici en musique par Weinberg proviennent _ en effet _ d’un seul et même auteur, Julian Tuwim. Mais la notice se limite à de trop brèves allusions concernant cet écrivain : Weinberg n’a pas arrêté de répéter que son influence a été aussi grande pour lui que son amitié avec Chostakovitch ; sur son bureau, la photographie du poète voisinait avec celle du compositeur russe. Voilà de bien maigres informations pour un mélomane non polonais, qui ignore probablement tout de Tuwim et son œuvre. Il est donc nécessaire de d’abord combler la carence de la présentation.

Né à Lodz, le poète polonais d’origine juive Julian Tuwim (1894-1953) est l’une des grandes figures de la littérature de son pays au XXe siècle. Après des études universitaires entamées à Varsovie en 1916, mais inachevées, il est cofondateur, avec d’autres poètes expérimentaux, du groupe Skamander qui veut s’éloigner définitivement de l’influence symboliste et met en évidence le vitalisme et l’activisme. Devenu traducteur de textes lyriques russes, français, américains et latins, reconnu comme auteur d’ouvrages pour l’enfance et la jeunesse, éditeur d’ouvrages qui s’attardent aux curiosités littéraires, dont le fantastique, il crée une œuvre personnelle dans une série de recueils qui glorifient la vie urbaine et sa quotidienneté. Il manie la satire et se présente comme un habile artisan de la langue. Contraint de quitter son pays en 1939, on le retrouve à Paris, puis au Brésil, avant d’aboutir aux Etats-Unis en 1942. Il est de retour en Pologne dès 1946.

L’importance de Tuwim pour Weinberg s’est concrétisée de façon magistrale dans sa Symphonie n° 8 « Fleurs polonaises » op. 83 (1964). Weinberg s’inspire de ce que l’on considère comme l’œuvre la plus importante de Tuwim, écrite pendant la guerre et publiée en 1949. Dans son recueil du même titre, l’écrivain en exil exalte la beauté des paysages polonais, évoque le passé douloureux de son pays et son futur menacé, mais aussi la cruauté de la guerre qui provoque d’incommensurables inégalités. Le tout s’achève sur une note d’espoir en une vision finale éloquente et expressive. Cette Symphonie n° 8 est sans doute l’une des meilleures voies d’entrée dans l’œuvre passionnante de Weinberg. A la tête de la Philharmonie de Varsovie, Antoni Wit a donné une superbe version, en première mondiale (Naxos, 2013 _ je possède ce CD _), de cette fresque symphonique de près d’une heure, qui nécessite la présence de trois chanteurs solistes (soprano, baryton, alto) et de chœurs.

Les quatre cycles vocaux proposés _ ici _ par Dux confirment cet attrait de Weinberg pour la poésie de Tuwim. Mais le label s’entête dans la difficulté d’une réelle connivence avec le monde de l’écrivain en ne reproduisant, pour chacun des vingt-six textes de l’affiche, que son seul titre (traduit en anglais, maigre consolation), mais sans la moindre reproduction de contenu. C’est particulièrement frustrant _ en effet ! _ quand il s’agit de comprendre la portée de la pensée ou des intentions de Tuwim, ou la transposition musicale qu’en fait Weinberg. A la place de ce qui apparaît comme fondamental, le label impose au mélomane un large portrait du parcours des trois interprètes formées à Wroclaw, initiative qui aurait vraiment pu être réduite. Il faut donc se contenter d’un descriptif de chaque cycle en quelques lignes, dont nous nous inspirons.

Le programme s’ouvre par les Acacias de 1940, dédiés de façon anonyme (« A Elle ») à une femme dont on ignore l’identité. Il s’agit de six poèmes miniatures qui évoquent l’amour de façon déclamatoire et émouvante dans un style simple ; ils sont énoncés par une soprano, l’autonomie du piano faisant un contrepoint délicat avec le texte. Le cycle _ plus consistant _ de sept romances La Bible bohémienne op. 57 de 1956, réservé à une mezzo, est inspiré par divers éléments de la culture juive et de la musique populaire. Des effets sonores sur la base d’onomatopées sont introduits à plusieurs reprises, apportant une touche originale à un ensemble qui se révèle parfois austère, mais aussi subtilement varié, y compris au piano.

Les Souvenirs op. 62, composés en 1957/58, consistent en cinq chants, encore pour mezzo, traversés par le doute, la mélancolie et l’inquiétude, avec des traits quelque peu satiriques et un piano qui peut se révéler ascétique. Cinq ans plus tard, Weinberg s’empare des Lettres anciennes pour les huit romances de son opus 77. La soprano fait son retour pour ces morceaux plus complexes où l’on retrouve des accents sentimentaux ou humoristiques, des accompagnements en ostinato tristes ou ironiques et le souvenir d’un passé heureux, avant l’acceptation du destin.

Cet album, dont nous déplorons la légèreté éditoriale, n’est hélas pas racheté _ il est même plombé… _ par des interprétations tout à fait convaincantes. La soprano Aleksandra Kubas-Kruk ne semble pas dans un très bon jour _ et c’est peu dire… Son timbre se révèle _ rédhibitoirement _ criard (un effet de la prise de son ?), acide _ c’est dit ! _ et parfois instable, avec un vibrato prononcé. Les cycles les plus émouvants lui sont réservés, mais on ressent une certaine neutralité dans son expressivité. Quant à la mezzo Anna Bernacka, en meilleure forme _ oui _, elle se voit confier La Bible bohémienne et les Souvenirs. Dans le cycle spécifiquement juif, elle affronte les côtés originaux de l’œuvre avec un certain investissement. Au piano, Monika Kruk fait de son mieux pour animer les univers variés de l’inspiration du compositeur. Mais tout cela ne suffit _ en effet _ pas pour procurer un vrai plaisir d’écoute.

Si le principe de l’intérêt de découvrir ces mélodies et romances de Weinberg ne peut être mis en cause, il faut tenir compte des réserves que nous avons énoncées. Les mélomanes polonais y trouveront peut-être, du moins s’ils fréquentent la poésie de Tuwim, une satisfaction minimale. Pour tous les autres, cet album fera office d’apport documentaire _ seulement ! _ à la discographie du compositeur. On ne peut qu’espérer que, dans le futur, ces cycles susciteront d’autres intérêts discographiques _ voilà ! On pourrait alors _ bien mieux _ évaluer leur présence dans le répertoire de Weinberg.

Son : 7  Notice : 3  Répertoire : 8  Interprétation : 5

Jean Lacroix

Ce jeudi 8 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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