Toujours à propos du si beau « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois et Györgyi Vashegyi (suite 2)…
Toujours à propos du si beau « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois et Györgyi Vashegyi,
qui fait briller de superbes feux l’opéra français entre 1728 et 1771 _ cf mes articles « Cyrille Dubois, ou la perfection de l’art du chant français : l’époustouflant CD Aparté « Jouissons de nos beaux ans ! » » du 20 septembre et « Après Rameau, ou le regret anticipé d’un glorieux été et automne qui vont finir : à propos du si beau « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois et György Vashegyi (suite)« 22 septembre derniers… _,
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voici un bel article « Que tout s’enflamme et se réveille ! » de Laurent Bury sur le site Wanderer, en date d’hier 24 septembre,
qui rend justice, à son tour, au beau travail des interprètes de ce CD Aparté AP319 qui nous fait accéder à tout un pan jusqu’ici méconnu du répertoire lyrique français du siècle de Louis XV, contemporain des chefs d’œuvre magnifiques de Jean-Philippe Rameau…
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Jouissons de nos beaux ans ! de Cyrille Dubois, Aparté
Que tout s’enflamme et se réveille !
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Jouissons de nos beaux ans !
Airs et danses de Rameau, Dauvergne, Mondonville, Royer, Rebel & Francœur, Grenet, Berton, de Bury, Cardonne et Iso.
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Cyrille Dubois, haute-contre
Orfeo Orchestra, Purcell Choir
Direction musicale : György Vashegyi.
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CD Aparté, AP319, TT 77′
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On trouvera peut-être trop sobre, trop « classique » la manière dont Gyorgy Vashegyi aborde dans son nouveau disque les contemporains de Rameau ; c’est pourtant avec une véritable éloquence, sans effets superficiels, qu’il a su depuis longtemps s’approprier ce répertoire, ici avec la complicité de Cyrille Dubois, toujours à son affaire dans la musique destinée aux hautes-contre de l’opéra français.
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Que de chemin parcouru depuis 1908, lorsque l’Opéra de Paris remontait en grande pompe Hippolyte et Aricie ! Ou même depuis 1952, quand la résurrection des Indes galantes était prétexte à un déploiement de faste grâce auquel la musique « ne gênait pas » les spectateurs ! Et même dans les années 1970–80, alors que la renaissance baroqueuse s’affirmait, qui aurait pu imaginer que l’on jouerait un jour les opéras de Lully et de Rameau, non seulement en France, mais même à l’étranger ? En Europe, du moins, car l’Amérique reste un territoire à conquérir sur ce plan. Alors qu’un certain nombre d’opéras de Rameau comptent désormais plusieurs enregistrements, alors que tous ceux de Lully ont eu droit à leur intégrale, l’heure est venue de s’aventurer _ un peu plus _ loin de ces sentiers aujourd’hui _ mieux _ battus pour donner à entendre des compositeurs nettement plus confidentiels. C’est là que le Centre de musique baroque de Versailles a un rôle à jouer _ oui ! _, à travers des disques comme ce « Jouissons de nos beaux ans », qui vient de paraître.
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Puisque Rameau paraît mainstream, l’interprétation historiquement informée peut se tourner vers ceux qui, sans pouvoir prétendre au titre de génie de la musique, ont vu leur talent couronné en leur temps par l’approbation du public. On sait par exemple que Mondonville, violoniste virtuose, a composé pour la scène une poignée d’œuvres intéressantes, et l’Opéra-Comique a récemment présenté son Titon et l’Aurore _ de 1753 _ ; Antoine Dauvergne, dont la connaissance s’est longtemps bornée à son opéra-comique Les Troqueurs, sous prétexte que le livret pouvait sembler préfigurer celui de Così fan tutte, a été révélé comme compositeur de tragédies lyriques grâce à la résurrection de son Hercule mourant par Christophe Rousset en 2011. Mais par-delà ces deux noms, dont on peut soupçonner qu’ils ne sont vraiment familiers que des amateurs de ce répertoire, il existe encore une masse considérable de partitions qui dorment dans les bibliothèques, produites par des auteurs aujourd’hui bien oubliés.
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On sait que Pancrace Royer était claveciniste, et c’est sa musique pour le clavier qui a jusqu’ici surtout été enregistrée, à l’exception de son opéra Pyrrhus _ de 1730 _, remonté à Versailles en 2012 et enregistré dans la foulée. Pour autant, était-il l’homme d’une seule tragédie lyrique ? Pas du tout, on l’apprend en écoutant le disque, où figure des extraits de Zaïde, reine de Grenade _ de 1739 _ ou du Pouvoir de l’amour _ de 1743 . Du tandem formé par François Rebel et François Francœur, quelques chanteuses ont eu à cœur d’interpréter certain air magnifique tiré de leur Scanderberg _ de 1735 _ et on dispose d’une intégrale de leur Pyrame et Thisbé _ de 1726 _ : mais qui avait entendu parler de Tarsis et Zélie _ de 1728. Sans parler d’autres compositeurs parfaitement inconnus au bataillon, comme François-Lupien Grenet (une assez large place est accordée à des fragments de son Triomphe de l’Harmonie _ de 1737 _), Pierre Montan Berton _ auteur de Deucalion et Pyrrha, en 1755 _ ou Pierre Iso _ auteur de Phaétuse, en 1759.
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Le programme de ce disque couvre une période allant de 1728, soit quelques années avant la création _ en 1733 _ d’Hippolyte et Aricie, jusqu’à 1771, quelques années avant l’arrivée de Gluck à Paris. Autrement dit, une sélection avant tout consacrée aux contemporains de Rameau _ voilà… _, même si la musique n’est évidemment pas restée immobile pendant ces quatre décennies. D’ailleurs, l’air de 1771, extrait d’Ovide et Julie de Jean-Baptiste Philibert Cardonne, semble déjà appartenir à une autre esthétique _ en effet…
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C’est donc ici tout un répertoire qui s’éveille _ reprend vie _, toute une théorie de belles endormies qui défilent ici, tirées de leur sommeil. Au terme d’un partenariat de plusieurs années avec le CMBV, György Vashegyi a dirigé et enregistré _ avec un grand succès _ de nombreux ouvrages lyriques du XVIIIe siècle français. Son orchestre Orfeo maîtrise ce répertoire, et l’on a déjà eu l’occasion d’admirer l’adéquation stylistique et linguistique _ mais oui ! _ de son chœur Purcell dans la tragédie lyrique. D’où vient alors cette première impression qu’il manque un petit quelque chose pour satisfaire pleinement l’auditeur ? _ mais pas moi…
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Évidemment, il est impossible de créer, pour un disque d’extraits _ voilà _, la même tension dramatique qu’appelle un opéra donné dans son intégralité, mais ce récital semble au premier abord un peu dépourvu de fougue _ pas vraiment : tout dépend bien sûr des styles abordés… Le titre « Jouissons de nos beaux ans », emprunté à un passage des _ merveilleuses _ Boréades, dont l’esprit est aussi celui du chœur de nymphes « Nous jouissons dans nos asiles », tiré du Triomphe de l’Harmonie de Grenet, mais on est ici bien loin du slogan soixante-huitard « Jouissons sans entraves »… Rien de révolutionnaire dans cette interprétation qui paraît trop sage, et l’on se dit d’abord que les feux de l’amour, très présents dans le texte de ces opéras, ne semblent pas avoir vraiment embrasé les artistes _ mais l’amour peut aussi être tendresse…
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A moins que notre oreille n’ait en réalité été influencée par d’autres chefs qui n’ont pas hésité, dans leur recherche d’efficacité théâtrale avant tout, à trop accentuer _ possiblement… _ le rythme de certains morceaux. On se pose la question en écoutant le fameux chœur de Platée qui conclut le disque, « Chantons Bacchus, chantons Momus », qu’on a sans doute trop pris l’habitude d’entendre marteler, voire piétiner. Rien de tel ici, car György Vashegyi reste avant tout soucieux d’équilibre et d’élégance _ des traits éminemment français, voilà ! _ : dans ces livrets, « jeunesse » rime avec « tendresse » _ oui ! _, et c’est ce souci de grâce _ oui ! _ que reflète sa direction aux tempos toujours mesurés, qui se refuse à toute frénésie hors de propos _ voilà. Nous ne sommes pas ici à Naples…
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Le chef hongrois est parfaitement secondé dans sa démarche par Cyrille Dubois _ parfaitement ! _ qui, sans rien sacrifier de l’ardeur habituelle de son _ parfait ! _ investissement dramatique, déploie tout son art _ magnifique _ de la déclamation dans les passages tourmentés _ écoutez ici le « Impétueux torrents« (4′ 00) qui ouvre le CD… Le ténor sait se transformer _ mais oui : il a oublié d’être niais… _ pour respecter les exigences de chaque morceau, délicat pour vanter le charme des plaisirs, plus exalté – mais dans les limites du bon goût – pour chanter la victoire de l’amour _ tout cela est très juste… Le Bacchus qu’il incarne dans deux extraits des Amours de Tempé _ de 1752 _ de Dauvergne n’a rien d’un ivrogne en proie au délire. L’expressionnisme débridé n’aurait pas ici sa place, surtout si l’on songe à la virtuosité _ oui ! _ fréquemment exigée du soliste (ainsi que du chœur), avec les figuralismes qu’inspirent des mots comme « s’envole » ou « s’enflamme ».
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Bien sûr _ bien sûr… _, le génie de Rameau reste éclatant, rapproché de ses contemporains moins illustres : il suffit d’écouter pour s’en convaincre l’ouverture de Zaïs, l’admirable « Descente de Polymnie » des Boréades ou même un air comme « Peuples heureux », des Fêtes de Polymnie. La muse de rhétorique est décidément très présente dans ce répertoire, et c’est son éloquence sans emphase _ oui, à la française… _ qui est de mise pour ce disque.
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Voilà donc cet article de Laurent Bury…
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En mon premier article sur ce CD,
j’avais émis l’hypothèse que le choix des pièces de ce CD de Cyrille Dubois et György Vashegyi devait peut-être un petit quelque chose au riche programme un peu commémoratif si plaisamment composé pour le Festin Royal du Mariage du Comte d’Artois, à Versailles, le 16 novembre 1773, qui, après le CD pionnier en 1993 d’Hugo Reyne et la Suomphonie du Marais qui m’a fait découvrir l’oeuvre musical de François Francoeur, vient d’être idéalement servi par les 80 instrumentistes réunis par Alexis Kossenko pour son très brillant double CD « Simphonie du Festin Royal de Monseigneur le Comte d’Artois – Année 1773 » ; mais à part le nom de François Francoeur dont deux extraits du « Tarsis et Zélis« , de 1728, composé avec son compère de toute leur vie Fançois Rebel, ouvre le programme du CD « Jouissons de nos beaux ans !« ,chant français,
je me suis rendu compte que ces CDs n’ont en commun que l’Ouverture _ ce chef d’œuvre transcendant ! Écoutez la ici (4′ 43) _ de « Zaïs » de Rameau,
et des emprunts d’ailleurs différents, d’une part à la « Zaïde, reine de Grenade » de Royer _ un rondeau et une chasse en rondeau, pour le CD d’Alexis Kossenko ; et un air pour les Turcs en rondeau, pour le CD de Cyrille Dubois et György Vashegyi _, et d’autre part au « Titon et l’Aurore » de Mondonville _ une musette, pour l’un ; et un air de Titon, pour l’autre…
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Mais le CD Dubois-Vashegyi nous fait accéder à des extraits d’œuvres de compositeurs français jusqu’ici oubliés tels que François-Lupien Grenet (Paris, 1700 – Lyon, 25 février 1753), Louis-Joseph Francœur (Paris, 8 octobre 1738 – Paris 10 mars 1804), Pierre Iso (ca. 1715 – ca. 1794) et Jean-Baptiste-Philibert Cardonne (26 juin 1730 – après le mois d’août 1792) ;
tandis que le double CD Kossenko, lui, sort des ténèbres de l’oubli, des extraits d’œuvres de René de Galard de Brassac, marquis de Brassac (La Roque, 1698 – Paris, 1771), Joseph-Hyacinthe Ferrand (1709 – 1791), Jean-Claude Trial (Avignon, 13 décembre 1732 – Paris, 3 juin 1771) et Louis Granier (Toulouse, 1725 – Toulouse, 1800)…
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Leurs musiques méritent notre écoute…
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Ce lundi 25 septembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa