Décès de notre ami, et traducteur, André Gabastou, le 11 novembre…

— Ecrit le vendredi 17 novembre 2023 dans la rubriqueBlogs, Littératures, Rencontres”.

Hier 16 novembre, à 12 h 13, un courriel de ma cousine Françoise m’a appris le décès d’André Gabastou.

Le 11 novembre, à Paris, indiquait-elle.

Et ses obsèques s’étant déroulées ce vendredi matin, 17 novembre, à 10 h, en l’église Saint-Pierre de Lay-Lamidou, en Béarn…

Voici le superbe hommage que lui rend, publié dans Libération le 14 novembre, Enrique Vila-Matas :

Le Béarnais, l’un des meilleurs et des plus fins de sa profession, mort le 11 novembre, a traduit de grands auteurs contemporains de langue espagnole, notamment Enrique Vila-Matas. Celui-ci lui rend hommage en faisant de lui un personnage de son monde.
«André Gabastou avait une méthode aussi mystérieuse qu’infaillible pour obtenir, à chaque problème de traduction, une amélioration automatique de l’original», admire Enrique Vila-Matas. (Mathieu Bourgois)

par Enrique Vila-Matas

publié le 14 novembre 2023 à 18h11

Je ne peux évoquer André, homme et traducteur exceptionnel, qu’en termes très élogieux. Tant d’années de collaboration étroite (il a traduit douze de mes livres) lui avaient donné une connaissance très fine de mon style, et il agissait en créateur qui m’était infiniment supérieur. Il résolvait aisément ce qui en perturbait tant d’autres : par exemple la prolifération, dans mes textes, de citations vraies ou fausses. Mieux encore, il avait une méthode aussi mystérieuse qu’infaillible pour obtenir, à chaque problème de traduction, une amélioration automatique de l’original _ rien moins ! Je le découvris un jour où, feuilletant distraitement un supplément culturel, je tombai sur une phrase isolée, mise en appel, qui attira mon attention. J’ai de nouveau évoqué cette anecdote à la Maison de la poésie, voici un mois, en présence de Tiphaine Samoyault, Manuela Corigliano et André Gabastou lui-même _ tiens donc ! Peut-être parce qu’elle abordait un thème qui m’était particulièrement cher, ai-je dit, cette phrase me parut écrite avec un rythme assez élégant pour éveiller l’envie, et je suis allé jusqu’à penser que j’aurais bien aimé être l’auteur d’une composition où les mots étaient si bien choisis, et l’ordre des propositions subordonnées, si incroyablement harmonieux.

C’étaient des mots d’un autre monde, bien qu’ils paraissent venir du mien. A peine avais-je dit cela que je découvris que la phrase était signée par moi et tirée de l’un de mes romans, dans la traduction brillante de Gabastou _ voilà. Ce jour-là, j’ai compris pourquoi j’avais d’aussi bons lecteurs en France et pourquoi la France m’avait donné un accueil si chaleureux _ voilà.

Le lendemain de la soirée à la Maison de la poésie, j’ai de nouveau rencontré André. C’était à Saint-Germain-des-Prés, et c’est la dernière fois que nous nous sommes vus. Une conversation lente et paisible, aux Deux Magots, à propos de notre admiration mutuelle pour les romans de Bernardo Atxaga, le grand écrivain basque qu’il a si souvent traduit, et aussi à propos du Béarn, terre natale de Gabastou et terre des ancêtres de l’Argentin Bioy Casares _ notre cousin Bioy _ dont le livre écrit en collaboration avec Silvina Ocampo, Ceux qui aiment, haïssent, fut sa première traduction de l’espagnol : «Le roman m’avait paru si agréable que j’ai proposé de le traduire au légendaire Christian Bourgois, qui accepta aussitôt.» Bioy Casares était, comme Jules Supervielle _ les Bioy sont apparentés aux Supervielle, et leurs tombes familiales se jouxtent au cimetère en haut de la rue d’Aspe, à Oloron… _, originaire d’Oloron-Sainte-Marie _ voilà _, ce qui, d’une certaine façon, maintenait Gabastou dans la grande confrérie des Béarnais (confrérie moins réelle que de fantaisie).

Et je me souviens que par deux fois il détourna la question de savoir quelle maladie l’avait conduit à littéralement disparaître pendant aussi longtemps. Il la détourna, ou il ne l’entendit pas, mais je crois plutôt qu’il l’éluda. Mentalement, il était en forme. Sans que je le lui demande, il m’informa aussitôt – et je crois très délibérément – qu’il passait son temps libre à lire Balzac ou Proust. Ça n’avait pas l’air d’un adieu, mais aujourd’hui, c’en est un. «Sacré Gabastou !»

Enrique Vila-Matas a écrit, chez Actes Sud, Montevideo, traduit par André Gabastou (Actes Sud). Lire Libération du 15 septembre 2023.

Traduit de l’espagnol par Philippe Lançon.

…`

André Gabastou m’avait très gentiment prêté l’édition intégrale du « Borges » de Bioy (aux Éditions Blacklist), dont je n’avais réussi à dénicher, à Donostia – Saint-Sébastien, que l’édition partielle (« Edición minor / Edición al cuidado de Daniel Martino), parue aux Éditions Blacklist, à Barcelone, au mois de janvier 2011 _ la première édition (intégrale) de ce « Borges » de Bioy, par Daniel Martino, avait eu lieu en 2006 : Daniel Martino y donnait toutes les entrées, sans exception aucune, du « Journal intime » manuscrit de Bioy comportant la moindre mention du nom de « Borges » ;  et l’Edicion minor (de 692 pages déjà), elle, a oté les entrées jugées par l’éditeur moins importantes… _ :

je recherchais de plus amples récits des intimités gardées soigneusement secrètes de Bioy ; ainsi que des renseignements un peu précis sur ses voyages _ avec ou sans Silvina _ en Europe, en France et en Béarn, en particulier chez son cousin le Dr Edouard Bioy, à Pau…

Et je n’ai bien sûr pas manqué de restituer à André Gabastou son exemplaire de l’Édition intégrale de ce « Borges » de Bioy, une fois parcourue l’intégralité des entrées comportant mention du nom de « Borges« , et n’y ayant découvert, et pour cause (!), rien de nouveau et plus précis ou détaillé des liaisons intimes gardées secrètes de Bioy, ou d’un détail plus précis des voyages de Bioy en Europe, que dans l’Edicion minor ; les récits des entrées concernant Borges étant _ j’allais dire « forcément« , mais à tort… _ le plus souvent exclusivement littéraires…

_ sur cette recherche mienne d’alors, cf les conclusions (miennes aussi) de ce significatif article du 25 juillet 2021 : « « 

Et je ne désespère pas que soit enfin un jour publiée _ ne serait-ce qu’en espagnol _ l’intégralité de ce chef d’œuvre marquant qu’est cet extraordinaire _ au moins pour les vrais amateurs de littérature ; cf cet article « «  du 30 novembre 2019 : « De las 20.000 páginas de cuadernos íntimos que Bioy (1914-1999) escribió a lo largo de su vida, su relación con Borges ocupa 1.700, explicó en una información de 2006 Javier Rodríguez Marcos _ « Journal intime » de Bioy…

Adieu André, adieu l’ami béarnais,

passeur de littérature…

Ce vendredi 17 novembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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