Posts Tagged ‘Enrique Vila-Matas

L’hommage, discret mais vibrant, rendu le 12 octobre dernier, à la Maison de la Poésie à Paris, par Enrique Vila-Matas à son cher et fidèle traducteur André Gabastou, qui décèdera le 11 novembre ; à l’occasion de la présentation de son fascinant « Montevideo », traduit en français par André Gabastou…

19nov

Le 12 octobre dernier, à la Maison de la Poésie à Paris, au cours d’un fascinant poétique entretien (de 74′) avec Tiphaine Samoyault,

le romancier espagnol Enrique Vila-Matas n’a pas manqué, avec sobriété et douceur dans la voix, de rendre aussi un bel et vibrant discret hommage à son cher et fidèle _ indispensable passeur ! _ traducteur en français André Gabastou _ décédé le 11 novembre dernier ; cf mon article «  » d’avant-hier, 17 novembre _,

ainsi que l’a enregistré cette passionnante vidéo _ sur laquelle n’apparaît pas André Gabastou, présent dans la salle… _, autour du très subtil « Montevideo » que venait présenter l’écrivain

_ c’est notre amie Monique Moulia qui m’a signalé l’existence de cette belle vidéo parisienne : « Merci de votre hommage à André Gabastou dont nous avons aimé et admiré le travail et dont nous avions apprécié la présence , l’humour, l’enracinement et l’ouverture au monde,  simultanément . Je me permets de vous joindre cette référence  à une conférence donnée il y a un mois par Tiphaine Samoyault à la Maison de la Poésie : André Gabastou était dans la salle …et cette conférence  intitulée Montevideo pour introduire l’intervention d’Enrique Vila-Matas est magnifique.

Espérant  pouvoir partager encore avec vous un peu de cette beauté qui sauve« 

Les ombres de Julio Cortazar, Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares, Isidore Ducasse, Jules Laforgue, Jules Supervieille, Idea Vilariño, Julio Herrera y Reissig, Copi, étaient présentes, en effet, rodant, toutes, autour de _ et jusque dans _ la chambre 205 de l’Hôtel Cervantes _ mais est bien là, justement, la puissance shamanique de la magie poétique de la littérature _, comme cela est fantastiquement évoqué, avec une sorte d’humour grave, fin, discret et léger, sans jamais hausser le ton, feutré, ni surtout pas s’appesantir, par les deux ultra-fins interlocuteurs de cet entretien, comme on les aime,

en _ et aussi à propos de _ cette Montevideo « capitale de la littérature » de l’hémisphère sud…

Pour ma part, j’ai bien sûr pensé aussi à l’amie Silvia Baron Supervielle

_ cf par exemple mon article du 24 septembre 2020 : « «  ;

un article dans lequel est présent, aussi, je le découvre à sa relecture, l’ami Eduardo Berti, revu ce dimanche après-midi à Malagar, en compagnie de l’unique Alberto Manguel (avec aussi cette fée des convergences littéraires qu’est la merveilleuse Sylviane Sambor…) : je reviendrai prochainement à cette rencontre malagarienne d’Alberto Manguel et Eduardo Berti, pour le bel anniversaire des 20 ans de Lettres du Monde….

Ce dimanche 19 novembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Décès de notre ami, et traducteur, André Gabastou, le 11 novembre…

17nov

Hier 16 novembre, à 12 h 13, un courriel de ma cousine Françoise m’a appris le décès d’André Gabastou.

Le 11 novembre, à Paris, indiquait-elle.

Et ses obsèques s’étant déroulées ce vendredi matin, 17 novembre, à 10 h, en l’église Saint-Pierre de Lay-Lamidou, en Béarn…

Voici le superbe hommage que lui rend, publié dans Libération le 14 novembre, Enrique Vila-Matas :

Le Béarnais, l’un des meilleurs et des plus fins de sa profession, mort le 11 novembre, a traduit de grands auteurs contemporains de langue espagnole, notamment Enrique Vila-Matas. Celui-ci lui rend hommage en faisant de lui un personnage de son monde.
«André Gabastou avait une méthode aussi mystérieuse qu’infaillible pour obtenir, à chaque problème de traduction, une amélioration automatique de l’original», admire Enrique Vila-Matas. (Mathieu Bourgois)

par Enrique Vila-Matas

publié le 14 novembre 2023 à 18h11

Je ne peux évoquer André, homme et traducteur exceptionnel, qu’en termes très élogieux. Tant d’années de collaboration étroite (il a traduit douze de mes livres) lui avaient donné une connaissance très fine de mon style, et il agissait en créateur qui m’était infiniment supérieur. Il résolvait aisément ce qui en perturbait tant d’autres : par exemple la prolifération, dans mes textes, de citations vraies ou fausses. Mieux encore, il avait une méthode aussi mystérieuse qu’infaillible pour obtenir, à chaque problème de traduction, une amélioration automatique de l’original _ rien moins ! Je le découvris un jour où, feuilletant distraitement un supplément culturel, je tombai sur une phrase isolée, mise en appel, qui attira mon attention. J’ai de nouveau évoqué cette anecdote à la Maison de la poésie, voici un mois, en présence de Tiphaine Samoyault, Manuela Corigliano et André Gabastou lui-même _ tiens donc ! Peut-être parce qu’elle abordait un thème qui m’était particulièrement cher, ai-je dit, cette phrase me parut écrite avec un rythme assez élégant pour éveiller l’envie, et je suis allé jusqu’à penser que j’aurais bien aimé être l’auteur d’une composition où les mots étaient si bien choisis, et l’ordre des propositions subordonnées, si incroyablement harmonieux.

C’étaient des mots d’un autre monde, bien qu’ils paraissent venir du mien. A peine avais-je dit cela que je découvris que la phrase était signée par moi et tirée de l’un de mes romans, dans la traduction brillante de Gabastou _ voilà. Ce jour-là, j’ai compris pourquoi j’avais d’aussi bons lecteurs en France et pourquoi la France m’avait donné un accueil si chaleureux _ voilà.

Le lendemain de la soirée à la Maison de la poésie, j’ai de nouveau rencontré André. C’était à Saint-Germain-des-Prés, et c’est la dernière fois que nous nous sommes vus. Une conversation lente et paisible, aux Deux Magots, à propos de notre admiration mutuelle pour les romans de Bernardo Atxaga, le grand écrivain basque qu’il a si souvent traduit, et aussi à propos du Béarn, terre natale de Gabastou et terre des ancêtres de l’Argentin Bioy Casares _ notre cousin Bioy _ dont le livre écrit en collaboration avec Silvina Ocampo, Ceux qui aiment, haïssent, fut sa première traduction de l’espagnol : «Le roman m’avait paru si agréable que j’ai proposé de le traduire au légendaire Christian Bourgois, qui accepta aussitôt.» Bioy Casares était, comme Jules Supervielle _ les Bioy sont apparentés aux Supervielle, et leurs tombes familiales se jouxtent au cimetère en haut de la rue d’Aspe, à Oloron… _, originaire d’Oloron-Sainte-Marie _ voilà _, ce qui, d’une certaine façon, maintenait Gabastou dans la grande confrérie des Béarnais (confrérie moins réelle que de fantaisie).

Et je me souviens que par deux fois il détourna la question de savoir quelle maladie l’avait conduit à littéralement disparaître pendant aussi longtemps. Il la détourna, ou il ne l’entendit pas, mais je crois plutôt qu’il l’éluda. Mentalement, il était en forme. Sans que je le lui demande, il m’informa aussitôt – et je crois très délibérément – qu’il passait son temps libre à lire Balzac ou Proust. Ça n’avait pas l’air d’un adieu, mais aujourd’hui, c’en est un. «Sacré Gabastou !»

Enrique Vila-Matas a écrit, chez Actes Sud, Montevideo, traduit par André Gabastou (Actes Sud). Lire Libération du 15 septembre 2023.

Traduit de l’espagnol par Philippe Lançon.

…`

André Gabastou m’avait très gentiment prêté l’édition intégrale du « Borges » de Bioy (aux Éditions Blacklist), dont je n’avais réussi à dénicher, à Donostia – Saint-Sébastien, que l’édition partielle (« Edición minor / Edición al cuidado de Daniel Martino), parue aux Éditions Blacklist, à Barcelone, au mois de janvier 2011 _ la première édition (intégrale) de ce « Borges » de Bioy, par Daniel Martino, avait eu lieu en 2006 : Daniel Martino y donnait toutes les entrées, sans exception aucune, du « Journal intime » manuscrit de Bioy comportant la moindre mention du nom de « Borges » ;  et l’Edicion minor (de 692 pages déjà), elle, a oté les entrées jugées par l’éditeur moins importantes… _ :

je recherchais de plus amples récits des intimités gardées soigneusement secrètes de Bioy ; ainsi que des renseignements un peu précis sur ses voyages _ avec ou sans Silvina _ en Europe, en France et en Béarn, en particulier chez son cousin le Dr Edouard Bioy, à Pau…

Et je n’ai bien sûr pas manqué de restituer à André Gabastou son exemplaire de l’Édition intégrale de ce « Borges » de Bioy, une fois parcourue l’intégralité des entrées comportant mention du nom de « Borges« , et n’y ayant découvert, et pour cause (!), rien de nouveau et plus précis ou détaillé des liaisons intimes gardées secrètes de Bioy, ou d’un détail plus précis des voyages de Bioy en Europe, que dans l’Edicion minor ; les récits des entrées concernant Borges étant _ j’allais dire « forcément« , mais à tort… _ le plus souvent exclusivement littéraires…

_ sur cette recherche mienne d’alors, cf les conclusions (miennes aussi) de ce significatif article du 25 juillet 2021 : « « 

Et je ne désespère pas que soit enfin un jour publiée _ ne serait-ce qu’en espagnol _ l’intégralité de ce chef d’œuvre marquant qu’est cet extraordinaire _ au moins pour les vrais amateurs de littérature ; cf cet article « «  du 30 novembre 2019 : « De las 20.000 páginas de cuadernos íntimos que Bioy (1914-1999) escribió a lo largo de su vida, su relación con Borges ocupa 1.700, explicó en una información de 2006 Javier Rodríguez Marcos _ « Journal intime » de Bioy…

Adieu André, adieu l’ami béarnais,

passeur de littérature…

Ce vendredi 17 novembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

« Dark », d’Edgardo Cozarinsky, ou comment l’irruption d’un « Hollywood sauvage et sans sous-titres » dans la vie d’un adolescent argentin accouchera d’un écrivain et cinéaste

12août

Poursuivant ma lecture des récits d’Edgardo Cozarinsky,

après Loin d’où

_ cf mon article du 8 août dernier : Admirable Loin d’où d’Edgardo Cozarinsky  _,

je viens de lire Dark (publié en 2016 ; et chez Grasset en traduction française, le 11 janvier 2017) ;

et commenterai ici la très juste critique qu’en a donné l’excellent Mathieu Lindon

dans le Libération du 20 janvier 2017:

Edgardo Cozarinsky, mineur de bas-fonds

EDGARDO COZARINSKY, MINEUR DE BAS-FONDS

Dark est un roman d’aventure et d’apprentissage _ oui, mais qui n’est pas vraiment ni une éducation sentimentale, ni sexuelle : seulement une importante ponctuation, durablement marquante en ses impacts à long terme, de la prime jeunesse _ auquel, indépendamment des faits précis, on _ c’est-à-dire nous, lecteurs _ accorde un caractère si autobiographique _ pour ce qui concerne le lien de l’auteur même à son personnage principal, qui s’auto-prénomme fictivement Victor en la fiction, et qui sera devenu un auteur « soixante ans plus tard« , au présent même du récit, en 2015 ou 16… _ qu’on le lit comme une vaste réponse _ de l’auteur à soi-même, d’abord : mais qui demeure ouverte, béante ; encore non classée… _ à la fameuse question : «Pourquoi écrivez-vous ?» _ oui. L’intrigue _ du passé de jeunesse rapporté _ se déroule dans les plus ou moins bas-fonds de Buenos Aires dans les années 50 _ oui ; un certain nombre de lieux (bars, bouis-bouis, bordels, cinémas, etc.) sont évoqués (et ainsi visités), en divers quartiers et faubourgs de la ville. Il y a deux personnages principaux. L’un apparaît sous deux avatars : âgé, il est dénommé «le vieil écrivain» ; adolescent, «poussé par un désir de fiction» _ l’expression, en effet très significative, se trouve à la page 28 _, il dit s’appeler Victor à l’autre héros, un inconnu _ inquiétant autant que fascinant du début à la fin _ quadra ou quinquagénaire, Andrés _ qu’un autre personnage, Franca (une croate), nommera plus loin, à la page 68, « Fredi«  _, qui lui adresse la parole dans un bar _ « l’Union Bar, aujourd’hui démoli, au coin de la rue Balcarce et de l’avenue Independencia« , à Buenos Aires (page 23, pour être précis dans la localisation)… «L’écrivain ne sait pas _ et ne s’en soucie guère ! _ si la chronologie de ce qu’il essaye _ c’est important : la tentative demeure toujours fragmentaire et partielle, grandement lacunaire _ de raconter _ rétrospectivement _ respecte celle des faits rappelés» _ page 65 ; « En revanche, il sait que la mémoire efface plus qu’elle ne garde. L’imagination, rusée, récupère tout ce que la mémoire a effacé et l’attrape _ très heureusement _ dans les filets de la fiction«  : ce que personnellement je nomme, en lisant bien Marie-José Mondzain, « l’imageance« . Et tel est bien le point (de ce récit) qui me paraît crucial !.. Pour le principal, il n’y a pas trop de doute, s’il s’agit _ pour l’auteur, suggère fortement le critique _ de faire comprendre _ tout en délicatesse, et sans la moindre lourdeur ; avec beaucoup de raccourcis ! et toujours fragmentairement _ comment l’adolescent est devenu _ voilà ! _ l’écrivain. Victor a aussi une cousine _ Cecilia, de trois ans plus âgée que lui. «Et avec ça, comment tu te débrouilles ?» demande-t-elle après quelques regards sur la braguette de son cousin _ page 47. C’est elle qui l’aidera «à atteindre _ in concreto _ la prestance _ purement technique _ nécessaire» _ page 48 _, lui indiquera «les mouvements qu’il trouverait très vite spontanément», et il se souviendra du «parfum de sa cousine, qui imprégnait draps et oreiller, et que de toute sa vie il ne retrouverait en aucun autre» _ pages 48-49. Andrés est au courant, car l’adolescent et l’homme mûr acquièrent vite une intimité _ entre eux deux _ reposant sur la vie _ passablement _ aventureuse _ et c’est peu dire ! _ de celui-ci, sur les découvertes _ à connotations érotiques, bien qu’indirectes, tout particulièrement _ qu’il propose à son jeune ami. Andrés est un homme à femmes, apparemment _ selon ses dires et ce qu’en laissent paraître aussi ses actes _, qui ne déteste rien tant que les hommes à hommes, mais un mystère, quand même _ c’est sûr ! _, pèse sur l’intensité de sa relation _ complexe à qualifier frontalement _ avec l’adolescent _ ce qui pose aussi, forcément, question : que cherche-t-il à ménager, et pour quelles raisons, en le jeune homme ?

Edgardo Cozarinsky est né en 1939 à Buenos Aires _ de parents et grands-parents émigrés d’Europe de l’Est _ qu’il quitta en 1974 pour Paris. Enrique Vila-Matas le présente ainsi en 2003 dans Paris ne finit jamais _ page 164 _, après avoir écrit le rencontrer souvent au cinéma : «Cozarinsky, un borgésien tardif selon Susan Sontag _ ?!? _ , était un exilé argentin qui semblait avoir fini par se sentir à l’aise dans son rôle _ un rôle ? ce n’est guère juste !… _ de personne déplacée _ ?!? Cf plutôt, outre les pages qu’il lui consacre en son indispensable Mes Argentins de Paris, l’article de René de Ceccatty Edgardo Cozarinsky, le voyageur sans terre cité en mon article du 8 août dernier : Admirable Loin d’où d’Edgardo Cozarinsky. Ecrivain et cinéaste _ c’est très important ! l’imageance et le fictionnel ne sont pas que littéraires ou romanesques, mais aussi cinématographiques !!! _, il vivait entre Londres et Paris, j’ignore où il vit maintenant, je crois qu’il ne vit plus qu’à Paris _ écrivait alors Vila-Matas, en 2003. Je me souviens que je l’admirais parce qu’il savait concilier _ voilà _ deux villes et deux activités artistiques […], je me souviens aussi que j’avais vu certains de ses films et lu son essai sur Borges et le cinéma, ainsi que son étude sur le ragot comme procédé narratif et d’autres textes, tous très captivants. Dix ans après avoir quitté Paris, j’ai admiré tout particulièrement son livre Vaudou urbain [traduit chez Bourgois, ndlr], un livre d’exilé, un livre transnational dans lequel il utilise une structure hybride […] A noter aussi cet étonnant dialogue entre l’auteur et un supposé interwiever, au chapitre 3 (pages 20 à 22 de Dark) : Dialogue sur le «kintsugi» dans Dark, avant qu’on en vienne à l’histoire de Victor et Andrés : «C’est l’art japonais qui consiste à remplir les fissures d’un objet brisé, de porcelaine par exemple, avec de la résine où on a dilué de la poudre d’or. Au lieu de dissimuler la fente, on la souligne avec une substance lumineuse, qui a parfois plus de valeur que l’objet même. C’est ainsi qu’on ennoblit l’objet : au lieu de cacher les cicatrices de sa vie _ expression à relever ! _, on les exhibe. – N’est-ce pas ce que fait _ rabouter-repriser et embellir-ennoblir… _ tout romancier avec sa propre vie ? – C’est ce qu’il tente de faire» _ page 22. L’expression « exhiber les cicatrices de sa vie«  est bien sûr à mettre en rapport avec l’expression ultime du texte, page 142 : « surnagent les restes d’un naufrage« 

Sexe, politique, exotisme, il s’en passe, dans Dark, et sous diverses perspectives _ plus ou moins intriquées, mais toujours très sobrement traitées. C’est cette multiplicité des points de vue qui fait aussi l’écrivain, qui en fait un privilégié, comme Andrés _ ou Fredi _ le dit à l’adolescent _ pages 98-99. «Ce pays _ l’Argentine des années cinquante _ est un cas désespéré. […] Mais ne te gâche pas la vie avec la politique, toi tu t’en sortiras, tu fais des études, tu auras une profession, qui sait, si ça se trouve tu deviendras un écrivain célèbre, respecté. Moi, en revanche, je suis un type qui n’est que de passage _ à jamais un migrant _, je l’ai toujours été et le serai toujours. Va savoir où je me retrouverai demain. Toi, si l’ordure t’éclabousse, tu t’en débarrasseras rien qu’en secouant les épaules. Moi, elle se colle à moi, elle me marque, si je ne fais pas attention elle m’écrase.» Alors, pour que «surnagent les restes d’un naufrage» _ c’est sur cette expression-ci que se termine justement le livre, page 142 _, il faudra que l’adolescent devienne écrivain _ et s’essaie, à sa façon singulière, tâtonnante, à « retrouver » à raviver-rédimer, tel le Proust de la Recherche, son propre « temps perdu«  _ cet écrivain qui, dans les premières pages du texte, victime d’une crise de panique, résiste à s’en remettre à un psy de quelque obédience que ce soit, «comment confier son âme à quelqu’un qui n’a pas lu Dostoïevski ni saint Augustin» _ page 8 _, prêtant à certains une inculture exagérée. On prétend que chacun se souvient de la première fois où il a dit «je t’aime». Mais la tâche de l’écrivain est à la fois plus simple et compliquée : il s’agit ici de remettre en scène la première fois où il a entendu _ entendu se dire à lui, jeune homme _ ces mots _ ici : « Je t’aime, morveux !« , page 139 _, dans quelles circonstances, avec quelle oreille, et quel autre mot _ « morveux« , donc… _ accompagnait cette très étrange déclaration _ in extremis : Andrès et Victor ne se reverront jamais plus de leur vie.

Mathieu Lindon 

Edgardo Cozarinsky
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu. Grasset, 142 pp.

Mathieu Lindon, je remarque, n’évoque ni le Vautrin, ni le Lucien de Rubempré, ni le Rastignac, de Balzac

dans cette genèse de cet écrivain _ et de sa sexualité, aussi… _ qu’est Edgardo Cozarinsky.

Il faudrait lire ou relire ici aussi Edmund White, qui lui aussi, a croisé notre auteur,

et en parle _ un peu…

Ce dimanche 12 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

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