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Tombeau pour un luthier : Pierre Jaquier, de Cucuron

22jan

Un très bel hommage à un luthier disparu _en 2010 _,

Pierre Jaquier, de Cucuron ; 

par Cécile Glaenzer, sur le site de Res Musica :

Et pour Joël Dehais,

ami violiste,

et fervent de ses rencontres de Cucuron.

PIERRE JAQUIER, TOMBEAU POUR UN LUTHIER

Artistes, Artistes divers, Portraits

La parole est donnée à des facteurs de piano, d’orgue, de clavecin ou encore des luthiers et tout autre artisan « de l’ombre ». Sous la forme d’anecdotes, de réflexion sur le métier, ou de confidences imaginaires d’artisans célèbres dans l’histoire de la musique, ResMusica choisit de les mettre en lumière. Pour accéder au dossier complet : Les confidences d’artisans de la musique


CaptureParti en 2010, Pierre Jaquier était un luthier mondialement reconnu pour son immense talent. Véritable esprit encyclopédique, il puisait l’inspiration de son art à la source d’une profonde spiritualité chrétienne.

Des centaines de violes de gambe sont nées entre les mains de Pierre Jaquier. Ses instruments, sans oublier ceux de la famille des violons, se retrouvent au sein des orchestres baroques du monde entier. Et l’atelier de Cucuron, dans le Vaucluse, où il s’était installé depuis 1990, a vu défiler les plus grands musiciens venus faire régler leurs instruments à archet. Pour le grand public, c’est le film Tous les matins du monde d’Alain Corneau qui a révélé la viole de gambe, cet instrument-roi du XVIIe siècle. Pierre Jaquier fut le luthier qui a construit pour ce film les violes de M. de Sainte-Colombe et de Marin Marais.

L’atelier des Quatre Couronnés

Certains lieux privés sont des lieux sacrés, des lieux où souffle l’Esprit. Ainsi, l’atelier de lutherie de Pierre Jaquier est de ces lieux habités, où le visiteur est immédiatement saisi par un sentiment de transcendance. Une grande pièce lumineuse, très haute de plafond. La lumière zénithale tombe directement sur l’établi. Au sol, des milliers de petits cubes de bois debout disposés en spirale forment une mosaïque monochrome. Au centre de l’atelier, un large pilier cylindrique autour duquel s’enroule l’hélice d’un escalier de bois, permet d’accéder à une mezzanine aux rayonnages remplis de livres, de plans, d’esquisses et de pièces de bois sculptées. Sur la poutre maîtresse qui soutient l’ensemble, le luthier a gravé des versets du Psaume 103, en latin : «  Omnia a te expectant ut des illis escam in tempore. Dante te illis, colligent. Aperiente te manum tuam, omnia implebuntur bonitate. Emittes spiritum tuum, et creabuntur et renovabis faciem terrae »(1).  On pense à la librairie de Montaigne _ voilà. Aucun outil ne traine, tous soigneusement rangés dans de beaux placards de bois remplis de centaines de petits tiroirs. La pièce des vernis est à part, qui évoque l’antre de l’alchimiste avec ses rayonnages de fioles alignées.

Du bois, des outils, de la lumière : ce sont là les éléments du sacré. Ce n’est pas un hasard si Pierre Jaquier a voulu une bénédiction pour son atelier au moment de son inauguration, comme on bénit un orgue, comme on dédicace un autel. Pour cet artisan à la spiritualité si profonde, l’établi était une forme d’autel, et l’ensemble de ses gestes s’apparentait à une liturgie _ oui. Il se sentait proche de la Règle de Saint Benoît, qui donne une si belle place au travail : « Pour Benoit, si la prière est le premier travail des moines, le travail est aussi une prière. », nous dit-il dans un texte inédit consacré à la place du travail manuel dans la Bible. C’est au cours de la cérémonie de bénédiction de l’atelier par le curé de Cucuron que le luthier Luc Breton a procédé à la remise du tablier à Pierre Jaquier, geste solennel qui relevait autrefois du magistère de l’église. Grand connaisseur de la tradition, Luc Breton fait référence à cette cérémonie dans un article paru dans la revue Connaissance des religions * : « La remise du tablier appartenait à l’Église. Elle y a renoncé à partir de la fin du XVIIe ; cette cérémonie a subsisté seulement sous une forme édulcorée, avec le scapulaire de Saint Joseph notamment. Le tablier ressemble à l’étole du prêtre ; il porte une croix au niveau de la nuque, on baise cette croix avant de passer le tablier autour du cou. Son tracé est particulier : il est en forme de trapèze que l’on peut subdiviser en trois séries superposées de trois carrés, soit neuf carrés, auxquels il faut ajouter un dixième carré supplémentaire en haut, au niveau de la poitrine. Cela donne au tablier une forme ascendante, avec un point de fuite en haut et une croix inscrite dedans. Le tablier est d’une importance capitale, car c’est une représentation du monde, que l’on peut comparer au plan de l’église dans lequel le ciel est une demi-sphère posée sur un cube (…). La remise du tablier se faisait dans le cadre du métier, en présence des dignitaires du métier, avec la bénédiction du clergé. »

L’atelier de Pierre Jaquier est placé sous le patronage des « Quatre Couronnés » _ à Rome, l’église des Quattro Coronatti s’élève entre Saint-Clément et Saint-Jean-de-Latran, sur les pentes dominant à l’est le Colisée. Dans le même texte déjà cité, il nous rappelle qui sont ces saints oubliés : « Les Quatre Couronnés sont cinq : Claudius, Castorius, Simpronianus et Nicostratus, auxquels s’ajoute Simplicius, converti un peu plus tard. Ils étaient sculpteurs en Pannonie, dans les carrières de Dioclétien _ le constructeur du palais de Split, en Dalmatie _, et maîtrisaient leur art à la perfection au point d’être remarqués par l’empereur qui les fit travailler spécialement pour lui, en particulier le porphyre, le plus dur de tous les marbres _ celui du puissant relief des quatre tétrarques d’un des angles de la façade de Saint-Marc de Venise. Les Quatre couronnés disaient tenir le secret de leur incroyable maîtrise technique dans le fait qu’ils appliquaient à la lettre le précepte de l’Apôtre Paul : Quoi que vous fassiez, faites-le au nom du Seigneur Jésus. Lorsque Simplicius, dont le fer se brisait régulièrement sur le marbre, l’eut fait tremper par Claudius, à sa question devant la qualité nouvelle de l’outil, ce dernier répond : Tu t’étonnes, frère, de la trempe des fers ? C’est le Créateur de toutes choses qui a lui-même renforcé son œuvre. Leur technique ignorait complètement celle des ingénieurs païens et ne connaissait que le nom du Christ ; elle produisait des merveilles qu’aucun autre sculpteur ne pouvait réaliser. Soupçonnés d’être chrétiens, ils reçurent l’ordre d’adorer une statue de vingt-cinq pieds de haut, représentant le soleil avec son quadrige, qu’ils avaient eux-mêmes sculptée et que Dioclétien avait fait placer dans un temple. Ils s’y refusèrent en déclarant : Nous n’adorons jamais l’œuvre de nos mains. Ils refusèrent également de sculpter une statue d’Esculape, ce qui leur valu la couronne du martyre. »

On reconnaît l’artisan à ses copeaux

L’épreuve de la maladie a été pour Pierre Jaquier une ultime source d’enrichissement. Tous ceux, très nombreux, qui l’ont côtoyé durant ces longs mois où la maladie dégénérative semblait détruire inéluctablement son corps, tous ont ressenti cette force morale qui l’habitait, cette paix intérieure. « Vivre avec une telle maladie, c’est comme être enfermé dans un sous-marin : on est relié par un tuyau à la surface pour respirer. Si je remonte à la surface, je trouve l’agitation, les soucis ; mais il est possible d’aller au plus profond pour trouver le calme (…). Comme je ne peux me déplacer horizontalement, il me reste à rechercher au fond de moi-même ma vérité, en descendant dans mon espace intérieur, espace qui est beaucoup plus grand qu’on ne l’imagine », témoignait-il en juin 2010, dans le bulletin de l’Association pour la Recherche sur la Sclérose Latérale Amyotrophique (A.R.S.L.A.).

En homme de foi, Pierre Jaquier s’est préparé à « la Rencontre ». Pour cela, il lui a fallu faire l’expérience du lâcher-prise, du dépouillement. Il en parlait volontiers aux amis qui lui rendaient visite. « Lâcher prise, ce n’est rien d’autre qu’ouvrir ses mains, ouvrir son cœur. » Il lui a d’abord fallu accueillir la maladie en lui, jusqu’à en faire une compagne de vie. « Ce chemin-là, c’est un véritable pèlerinage », disait-il. Sur ce chemin, nourri par la Parole, il avançait d’un pas ferme et assuré. En l’entendant évoquer le dépouillement auquel le travail sur lui-même le conduisait, on ne pouvait qu’être frappé de la similitude avec le travail du luthier qui rabote une table d’harmonie ; copeau après copeau, pour ôter au bois toute la matière qui l’encombre, jusqu’à le rendre résonnant à la perfection. Après avoir façonné  tant d’instruments magnifiques, le luthier, à travers sa maladie, s’est laissé lui-même façonner. Et pour pousser plus loin encore la métaphore des copeaux, nous laisserons la parole à Pierre Jaquier lui-même, en guise de conclusion. Toujours dans ce même texte inédit, il fait référence à Eloi, « autre artisan inscrit au nombre des saints ». Orfèvre de renom, il est appelé à réaliser un trône d’or pour le roi Clotaire, qui lui fournit la quantité de métal précieux nécessaire. Or, l’artisan livrera au roi deux trônes, le deuxième fait avec les chutes et rognures d’or du premier. « C’est le mystère de l’incarnation qui est illustré par le respect de la matière et des déchets dans lesquels on peut lire la forme en creux. On reconnaît l’artisan à ses copeaux, dit-on dans les ateliers, et cette sentence rapportée au Dieu créateur de toutes choses se prête à d’infinies variations sur la création divine, sa mise en œuvre, sa conduite jusqu’à l’achèvement et la signification ou l’usage de ses débris. »

* « De l’art du trait à l’art de la musique. Pratiquer et transmettre le métier de luthier », entretien de Philippe Faure avec Luc Breton in « Connaissance des religions » n°69-70.

Crédits photographiques : © Patrick Le Galloudec

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Hommage à Olivier Droin : une pensée pour (et une image de) la sublime Villa Téthys, au Pyla

16août

Ce jeudi 16 août 2018, à 15 heures,

ont eu lieu à l’église Sainte-Eulalie à Bordeaux, les obsèques d’Olivier Droin (Talence, 17-5-1941 – Bordeaux, 11-8-2018) ;

fils aîné de Roger Droin et Jeanne Beaumartin ;

et petit-fils de Georges Droin et Marie Lourreyt,

les constructeurs de la plus belle Villa du Pyla _ et du Moulleau _, la Villa Téthys,

livrée par l’architecte Roger-Henri Expert en juillet 1927 _ la construction avait débuté début janvier 1927 !

C’est en m’intéressant à la vie _ et aux racines girondines _ de l’admirable viticulteur et viniculteur _ de bio-dynamie _ Nicolas Joly,
avec lequel je m’étais entretenu _ l’amphithéatre Thomas Jefferson était comble ! _ à la Cité du Vin le 17 janvier 2017,
homme insigne éminemment sympathique, et producteur de la merveilleuse-fabuleuse Coulée de Serrant _ cf mon article du 24 avril 2017  qui comporte une vidéo de notre entretien…  _,
qui est le fils de Denise Droin, la sœur de Roger Droin ; et donc cousin germain d’Olivier Droin,
que j’ai découvert l’existence au Pyla de cette villa sublime.
Et que je me suis amusé à établir la généalogie _ riche et complexe ; et surtout passionnante pour l’histoire économique de la Gironde au XXe siècle _ des Droin _ à partir du formidable travail de recherche généalogique de Raphaël Vialard, qui leur est apparenté (par les Leuret et les Bitôt)…
C’est en effet Georges Droin _ j’ignore ses dates de naissance et décès : 1885 – 1943, m’a indiqué le 30 août 2018, , en réponse à cet article du 16 août précédent, son petit-fils Nikita Droin (ajout du 17 septembre 2022)…  _,
le grand-père d’Olivier Droin ainsi que de Nicolas Joly et son frère Eric _ qui a pas mal écrit sur le Bassin, la pêche er la chasse… _,
qui est celui qui a fait construire au Pyla, de janvier à juillet 1927, la superbe villa Téthys : un chef d’œuvre merveilleux d’architecture…
Dont s’est beaucoup occupé tout particulièrement Olivier Droin _ et quelques autres membres de sa famille… _,
ainsi que n’ont pas manqué d’en témoigner dans leurs très émouvants discours d’hommage au disparu
une de ses petites-filles,
et son cousin Eric Joly.

© DR

Voilà !

Olivier Droin a été un homme de goût, grand amateur d’Art.

Et peut-être aussi bibliophile, comme l’a été Georges Droin ;

ainsi que quelques uns de ses enfants et petits-enfants après lui.

Transmettre est important !

Ce jeudi 16 août 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

De très émouvantes Sonades pour le 350e anniversaire de la naissance de François Couperin, par La Simphonie du Marais

08juin

Pour célébrer avec éclat et justesse le 350e anniversaire de la naissance de François Couperin (1668 – 1733),

Hugo Reyne et son ensemble La Simphonie du Marais _ créé en 1987 _

nous offrent un très beau et très émouvant CD,

intitulé Les Nations réunies & autres Sonades,

constitué de l’ensemble des sept Sonades composées par François Couperin,

entre 1690, pour la Pucelle,

et 1710, pour la Convalescente ;

et publié par le label créé par Hugo Reyne Musiques à la Chabotterie.

Quatre d’entre ces Sonades,

la Pucelle (devenue La Française),

La Visionnaire, devenue L’Espagnole,

L’Astrée, devenue La Piémontaise,

et La Convalescente, devenue L’Impériale,

constitueront les 4 Sonades en trio du recueil Les Nations, publié en 1726.

Les Sonades en trio

La Steinkerque (de 1692),

& La Superbe (d’environ 1700),

ainsi que la Sonade en quatuor La Sultane (d’environ 1700),

ne seront pas reprises en recueil par François Couperin.

Ce très réussi CD

parfaitement _ et même idéalement _ dans l’esprit du compositeur,

comporte aussi les pièces de clavecin suivantes :

La Visionnaire (de 1730),

La Superbe, ou la Forqueray (de 1722)

& La Convalescente (de 1730).

Ainsi que,

pour clore en beauté le concert,

La Paix du Parnasse, extraite de l’Apothéose de Monsieur de Lully,,

proposée ici comme un Tombeau de François Couperin.

Le CD est dédié à Maurice Reyne, disparu le 22 février dernier.

Un superbe hommage,

que cette parfaite si délicate musique.

Ce vendredi 8 juin 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’hommage du Monde (et Renaud Machart) à Jacques Merlet, le jour même de son décès, le 2 août 2014

11déc

En avant première aux deux hommages au grand Jacques Merlet que Marcel Pérès rendra à Bordeaux

demain samedi 12 décembre _ par un entretien avec moi-même, Francis Lippa _ au 91 de la rue Porte-Dijeaux, à la librairie Mollat, à 16 heures ;

et après-demain dimanche 13 décembre _ par un concert avec orgue, clavecin, etc. _ à l’église Saint-Paul, 22 rue des Ayres,

et en plus du rappel de mon article du mois d’août 2014 Tombeau de Jacques Merlet en son idiosyncrasie _ à un grand bordelais

je me permets de rappeler ici le très bel hommage que Renaud Machart rendit dans le journal Le Monde le jour même du décès de Jacques, le 2 août 2014 par l’article magnifique que voici.

Mort de Jacques Merlet, producteur à France Musique


Le Monde.fr | 02.08.2014 à 17h09 • Mis à jour le 04.08.2014 à 15h20 |
Par Renaud Machart

Le producteur de radio Jacques Merlet qui fut, sur France Culture et France Musique, l’un des acteurs les plus importants du mouvement en faveur de la musique et des orgues anciennes, est mort à Paris, le 2 août, des suites d’une maladie respiratoire. Il avait 83 ans.

Sa carrière sur les ondes de Radio France, où il officiait depuis plus de trente ans, avait été interrompue brutalement par une attaque cérébrale survenue à Lyon, après un concert, en novembre 2000. Privé d’une partie de ses mouvements et de la parole, Jacques Merlet laissait orphelins des milliers d’auditeurs qui adoraient ses émissions pleines de fantaisie, d’imprévu, de coups de gueule et de blagues à ne pas mettre entre toutes les oreilles.

GOÛT DE LA NOUVEAUTÉ

Ce bon vivant à l’optimisme inébranlable était parvenu à se rééduquer partiellement, à l’aide du professeur Philippe van Eeckhout, orthophoniste attaché au Groupe hospitalier Pitié-Salpétrière, à Paris, qui lui sera fidèle jusqu’à la dernière heure. Il était même parvenu à prononcer un beau discours lorsque les insignes de l’Ordre des Arts et des Lettres lui avait été remis par le ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon en janvier 2003. Mais une deuxième attaque, en 2005, devait réduire à néant les énormes progrès faits en compagnie du médecin et avec le soutien de ses nombreux amis musiciens qui lui faisaient de fréquentes visites dans les établissements où il avait été soigné.

Né le 5 décembre 1931, à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), Jacques Merlet se distingue par son goût de l’aventure et de la nouveauté. Son amie France Debès, qui fut sa belle-sœur, résumera joliment sa personnalité dans un discours prononcé lors de son intronisation par la Confrérie de la lamproie, en 1998 :

« Sa passion première est la découverte, la seconde étant de faire partager ses trouvailles. »


Merlet s’intéresse très tôt à l’orgue, étudie l’organologie et fréquente l’enseignement d’Olivier Messiaen. C’est grâce à la radio que Jacques Merlet peut agir en passeur de passions, se mettant au service d’une génération de musiciens spécialisés dans la musique ancienne qu’on surnommera plus tard les « baroqueux » (un terme qu’il n’aimait d’ailleurs guère).

SES ÉMISSIONS, DE VÉRITABLES UNIVERSITÉS POPULAIRES

Son soutien sera essentiel en un temps où la pratique des instruments anciens était encore une sorte de dissidence maquisarde, boudée par les institutions et le gotha de la musique classique. Il est peu de musiciens, aujourd’hui parfaitement établis à l’échelle internationale, tels Jean-Claude Malgoire, William Christie, Jordi Savall ou Philippe Herreweghe – et tant d’autres, vivants ou disparus –, que Jacques Merlet n’aura pas repérés dès leurs débuts et immédiatement promus à l’antenne de France Musique. L’homme faisait transporter les micros de sa chaîne partout où il lui semblait que le talent s’exprimait.

Comment oublier ses « directs » de Saintes, l’été, ou à Pâques, pour un concert de leçons de Ténèbres des Arts florissants ? Ses veillées de Noël avec son complice érudit Jean-Yves Hameline, ses conversations excentriques avec le claveciniste Scott Ross ? Ses « Matins des musiciens » au cours desquels la soprano Sophie Boulin expliquait en direct l’art des ornements dans les airs de cours français ?

Merlet pouvait aussi aussi bien parler de musique du Moyen Age que de la Renaissance, mais sa passion était l’époque baroque. Il contribuera beaucoup à faire connaître le catalan Jordi Savall, dont les premiers enregistrements de la musique pour viole de gambe de Marin Marais n’avaient pas encore gagné la discothèque de millions d’auditeurs que le film Tous les matins du monde (1991), d’Alain Corneau, d’après le livre de Pascal Quignard, allait lui apporter. Ces émissions étaient une véritable université populaire, alors que les conservatoires français ne reconnaissaient pas encore cette pratique et étaient loin d’admettre en leur sein les départements de musique ancienne qu’ils abritent aujourd’hui.

FIGURINES DES SCHTROUMPFS

Ne se reposant sur aucun laurier – ne se reposant d’ailleurs guère et enchaînant les reportages et enregistrements –, Jacques Merlet délaissait vite les « anciens » pour les plus jeunes générations, pour qui sa curiosité était toujours en éveil. Il les recevait chez lui, dans son grand atelier de peintre de la rue Jouffroy, à Paris, où les milliers de disques, de livres, d’objets rapportés de ses nombreux voyages constituaient une étonnante caverne d’Ali Baba. Les jeunes confrères de la presse ou de la radio étaient aussi conviés avec les amis de toujours, et c’était autour de la table de sa cuisine (où, sur le haut d’une armoire, trônait une armée de figurines des Schtroumpfs !) que l’homme de radio, excellent maître queux, régalait cette joyeuse compagnie de mets du Sud-Ouest largement arrosés de crus gouleyants.

Combien de fois n’est-il pas allé présenter à l’antenne sa rituelle cantate de Bach du dimanche matin après avoir dormi quelques petites heures seulement ? Et le déjeuner pantagruélique qui suivait l’émission se terminait souvent à l’heure du souper ! Certes, Jacques Merlet avait un appétit – et un physique – d’ogre, mais, ainsi que l’a écrit Télérama, en 1998, l’homme avait avant tout « un appétit d’orgue ». Car son nom restera légendairement attaché au milieu organistique et, plus précisément, à celui des orgues anciennes. A France Culture d’abord, à la fin des années soixante, puis à France Musique, il a produit des centaines d’émissions dévolues à des instruments rares, oubliés, menacés de disparition ou de restauration désastreuse.

POIL À GRATTER

Véritable poil à gratter de ce milieu encombré de querelles de chapelle, Jacques Merlet ne cessera de se battre pour le respect des instruments, dont tant d’exemples avaient été massacrés par des restaurations indignes. Sillonnant la France (mais aussi l’Espagne, un pays et une culture qu’il adorait), toquant à la porte des responsables publics, dénonçant les basses-œuvres et trompettant les hautes réussites, il aura fait beaucoup pour la cause organistique.

Ami des meilleurs facteurs, spécialistes et interprètes (Xavier Darasse, Michel Chapuis, Francis Chapelet, etc.), il découvrait vite les talents à peine éclos, tels celui de Jean Boyer, qu’il enregistre pour la radio alors que le jeune organiste est fraîchement majeur, ou, plus récemment, Benjamin Alard ou Serge Schoonbroodt, entre autres musiciens qu’il aura aidés et promus.

JOUEUR D’ORGUE AMATEUR

Jacques Merlet jouait aussi de l’orgue en amateur et improvisait aux claviers entre deux séances d’enregistrement faites directement au Nagra ou avec le concours de ses réalisateurs Périne Menguy, Marianne Manesse, Geneviève Douel, Rosemary Courcelle, Chantal Barquissau, François Bréhinier et Michel Gache qui suivaient à grands pas cet infatigable et imprévisible Wanderer sur les routes de France et de Navarre.

En avril, au rez-de-chaussée de la Villa Lecourbe, la maison de repos parisienne où il résidait, une fête avait été organisée à laquelle participaient beaucoup de ses amis musiciens devant le personnel soignant, médusé de voir autant de monde réuni. Après avoir écouté ses amis Florence Malgoire, Laurent Stewart et Benjamin Alard jouer, Jacques Merlet avait fini par se saisir de son orgue électronique et improviser, à demi-couché sur une chaise roulante, une polyphonie faite de dissonances furieuses et de fragments de faux plain chant. L’homme avait perdu la parole, mais la musique, décidément, ne l’avait jamais quitté.

Renaud Machart

Jacques Merlet demeure à jamais vivant par tous les fruits de ses œuvres,

tant du côté des artistes-musiciens qu’il a considérablement aidés à faire connaître et aimer de par le monde,

que du côté des mélomanes, dont il a formé si excellemment le goût _ et la curiosité de découvrir tant de vraies beautés musicales.

Et artistes-musiciens comme mélomanes, nous lui sommes _ et demeurons _ fidèlement reconnaissants.

Et faut-il ajouter que Bordeaux doit bien davantage que ces deux humbles hommages de décembre 2015, à la librairie Mollat et à l’église Saint-Paul,

à cet immense bordelais que fut _ et qu’est, à jamais _ Jacques Merlet ?..

Titus Curiosus, le 11 décembre 2015

P. s. :

de Renaud Machart, on peut aussi écouter les podcasts des 5 superbes émissions de France-Musique des 2728293031 octobre 2014 : Jacques Merlet In Memoriam, qui nous offre de ré-entendre la voix et les enthousiasmes de cet immense passeur d’enthousiasmes que fut Jacques Merlet…

Et au final de la cinquième de ces émissions,

Renaud Machart ne manque pas de remercier l’aide que lui ont apportée à la conception de cet hommage radiophonique France Debès, Irène Bloc, Sylvia Gomez-Vaez. Grâce leur soit à elles aussi rendue…

 

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