L’essentialité existentielle fondamentale de la lecture et du livre : Alberto Manguel parlant passionnément de son « Je remballe ma bibliothèque », le 18 janvier 2019, à la Maison de la Poésie, à Paris
En creusant un peu, sur le web,
et suite à la réception de retours ce matin, déjà, de divers amis
à mon courriel d’hier
comportant mon article Alberto Manguel fait cadeau des 40 000 livres de sa fastueuse bibliothèque personnelle à la ville de Lisbonne : gloire à Lisbonne !,
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je viens de tomber sur la vidéo (de 66′ 06) d’un vraiment passionnant entretien, avec Sophie Joubert,
à la Maison de la Poésie, à Paris, le 18 janvier 2019,
d’Alberto Manguel, à propos de son livre, paru en octobre 2018, Je remballe ma bibliothèque...
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Et je suis bien obligé de réviser mon _ très injuste _ a priori d’une certaine cérébralité _ probablement à la Borges _ d’Alberto Manguel, en ses livres.
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Préjugé issu, aussi _ en plus de mon peu d’affection pour Borges _, probablement, de mon propre goût des livres, des vrais livres, matériels,
ainsi que de ma propre bibliothèque (et discothèque) personnelle,
dont je suis bien incapable de dénombrer les exemplaires.
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Et je dois bien dire que je partage bien des choix et préférences d’Alberto Manguel,
tant à propos de ses rapports aux livres,
qu’à propos de ses conceptions de la lecture ;
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dans la suite du rapport amoureux de Montaigne à l’entretien infiniment vivant
_ « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« (ainsi que de la vie, afin de pouvoir lire et pouvoir écrire)… _,
issu de sa propre mise en rapport archi-vivante et foisonnante de la lecture et de l’écriture
de ses Essais.
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Bref,
Alberto Manguel me plaît beaucoup en sa passion des livres _ et de ce qu’il sait en analyser _ ;
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des livres comme medium infiniment précieux et essentiel d’entretiens vivants et infinis avec leurs auteurs,
bien au-delà, bien sûr, de la disparition physique de ceux-ci ;
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et de l’obsolescence matérielle des livres mêmes…
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Le livre et la lecture, effectifs tous les deux,
comportent ainsi, et par là,
une consubstantielle et vitale dimension d’éternité
_ à apprendre à saisir ; et ne surtout pas manquer !
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Cf aussi ce magnifique article du merveilleux Philippe Lançon, publié dans Libération le 26 décembre 2018 :
Manguel dans toutes ses étagères…
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L’Argentin installé à New York déplore la perte de sa colossale bibliothèque dans une élégie à ses chers livres, en forme d’inventaire.
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En 2015, suite à des problèmes avec ce calmar géant qu’est l’administration fiscale française, l’écrivain argentin et canadien Alberto Manguel quitte son Nautilus, bâti dans une verte campagne de notre pays. Il y vivait depuis quinze ans _ 2000 _ et avait constitué dans un ancien presbytère, à Mondion près de Châtellerault (Vienne), une bibliothèque de 35 000 livres. Elle était rangée sur deux grands étages dans une grange du XVe siècle. C’était une nef de cuir et de papier. L’avenir et le souvenir, l’espoir et la mémoire, l’imagination et la réflexion, tout paraissait vivre et se conjuguer dans le silence et les légers craquements du bois. «Chaque matin, vers six heures, écrit-il, je descendais, encore tout ensommeillé, me préparais du thé dans la cuisine obscure sous les poutres apparentes de son plafond et m’asseyais sur le banc de pierre, en compagnie de notre chienne, pour regarder la lumière du matin envahir lentement le mur du fond. Alors je rentrais avec elle dans ma tour, qui était attachée à la grange, et je lisais.» C’était le souhait de Montaigne, de Candide également ; mais il est difficile, en ce monde, de cultiver longtemps son jardin.
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Consolation. Au moment de son départ, l’écrivain avait 65 ans. Il a d’abord rejoint Buenos Aires, où il est devenu directeur de la Bibliothèque nationale, comme l’avait été Borges. Au moment où Manguel quitta l’Argentine, en 1969, Borges lui offrit son exemplaire de Stalky et Cie, de Kipling, lu en Suisse pendant son adolescence. Mais Borges, contrairement à Manguel, n’était pas attaché au livre en tant qu’objet. Il n’en avait que quelques centaines, et les donnait volontiers à ses amis ; sa bibliothèque était sa mémoire.
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D’Israël, où son père était ambassadeur, à la France, en passant par Buenos Aires et d’autres lieux, Alberto Manguel fait donc le récit des vies brèves de ses bibliothèques, de leurs métamorphoses et disparitions. Chaque étape lui inspire une digression, il y en a dix. L’histoire du livre, par exemple de la bibliothèque brûlée d’Alexandrie, se mêle à des réflexions sur la mémoire, sur la justice, sur le lecteur possessif qu’il est : «Quel caprice m’avait fait rassembler ces volumes en un tout comparable aux pays colorés de mon globe terrestre ? […] Et ce que je suis à présent reflète-t-il cette étrange obsession ? Parce que si toute bibliothèque est autobiographique, son remballage semble avoir quelque chose d’un éloge funèbre. Peut-être ces questions sont-elles le véritable sujet de cette élégie.» Il écrit pour retrouver ce qu’il a perdu, et qu’il ne retrouvera pas.
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Inquiétude. Perdre ses affaires ne tracassait pas sa grand-mère, une vieille juive émigrée en Argentine qui disait, «dans un curieux mélange de russe, de yiddish et d’espagnol» : «Nous avons perdu notre maison en Russie, nous avons perdu nos amis, nous avons perdu nos parents. J’ai perdu mon mari. J’ai perdu mon langage. Toutes ces pertes ne sont pas si graves, car on apprend à se réjouir non de ce qu’on a mais de ce dont on se souvient.» La tristesse de l’auteur vient en partie du fait que ses livres portaient physiquement _ voilà _ ses souvenirs, qu’ils les faisaient flotter dans l’espace, qu’ils leur fabriquaient une arche et ses ancres. Il n’avait pas besoin de les relire ou même de les ouvrir pour savoir qu’ils étaient là, l’accompagnaient et le guidaient, les bons comme les mauvais, les jamais lus comme les dix fois lus : «J’étais certain, sans avoir à les parcourir de nouveau, que le Nommé Jeudi, de Chesterton, ou un recueil de poèmes de Cesare Pavese seraient exactement ce qu’il me fallait pour exprimer par des mots ce que je ressentais n’importe quel matin donné.» Exactement ? Pas sûr. Si, en effet, les mots ne sont que des reflets captés dans la caverne de Platon, «ce que nous formulons en mots n’est qu’ombres d’autres ombres, et tout livre avoue l’impossibilité de saisir pleinement ce que peut retenir notre expérience. Toutes nos bibliothèques sont le glorieux compte rendu de cet échec.» C’est une maigre compensation à une telle perte. Elle se double aujourd’hui, pour le lecteur ami de cet homme-livres, d’une certaine inquiétude. Si le monde qui vient est, comme il semble, de plus en plus dépourvu de bibliothèques à domicile, les hommes sans livres _ voilà _ vivront l’échec du langage sans même disposer de cet éclatant compte rendu, de ce souvenir. Ils seront simplement un peu plus bruyants et un peu plus bêtes _ comme le redoutait Orwell…
De New York, Manguel m’écrit: «L’exemplaire de Stalky et Cie que Borges m’a donné est toujours avec moi, ainsi que certains autres : mon exemplaire d’Alice, mon le Nommé Jeudi, mon Borges complet. Mais tous les autres me manquent et je les entends m’appeler la nuit.»
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Alberto Manguel Je remballe ma bibliothèque. Une élégie et quelques digressions Traduit de l’anglais (Canada) par Christine Le Bœuf. Actes Sud, 160 pp.
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Ce mercredi 9 septembre 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa