Pour compléter ma discothèque Cipriano de Rore : le CD Gimell 029 de sa « Missa Praeter rerum seriem » et quatre Motets, par les Tallis Scholars, en 1994…

— Ecrit le samedi 9 septembre 2023 dans la rubriqueMusiques”.

Plongé toujours dans le merveilleux répertoire sacré de la Renaissance,

et m’efforçant de rassembler un peu mieux les CDs trop épars jusqu’ici de ma discothèque personnelle consacrés à divers compositeurs majeurs de ce très fécond splendide moment musical,

je viens de recevoir le CD intitulé « Missa Praeter trerum seriem«  _ une des 5 messes qui nous sont parvenues de Cipriano de Rore (messe en double « hommage à son employeur, le Duc Ercole II de Ferrare, et à Josquin des Prés qui exerça non seulement la seule véritable influence sur lui mais fut aussi son prédécesseur le plus apprécié à la cour d’Este…«  ; et qui s’appuie sur le Motet de Noël « Praeter trerum seriem«  (écoutez ici (7′ 17) : c’est somptueux !) de Josquin des Prés ;  et complétée en ce CD par 4 sublimes Motets de Cipriano de Rore : « Infelix ego » (écoutez ici (12′ 08)), « Parce mihi, Domine«  (écoutez ici (5′ 33)), « Ave Regina cælorum » (écoutez ici (5′ 55)) et « Descendi in hortum meum«  (écoutez ici (5′ 32)) … _ par les Tallis Scholars sous la direction de leur chef Peter Phillips, soit le CD Gimell CDGIM 029, enregistré à Norfolk, et parue au mois de septembre 1994…

 

Voici la très intéressante présentation qu’en proposait Peter Phillips _ en une traduction en français de Meena Wallaby _ aux pages 6 à 9 du livret de ce CD :

Le regain d’intérêt pour les compositeurs de la Renaissance n’a que très rarement révélé des musiciens devant leur notoriété à une égale appréciation de l’ensemble de leur œuvre. Ce travers est poussé à l’extrême dans le cas de Cipriano de Rore qui, de son vivant et jusqu’à nos jours, a été considéré comme un compositeur marquant de madrigaux et l’un des plus importants précurseurs de Monteverdi. Hélas pour ceux qui aiment que les choses restent simples, Rore composait avec un égal génie _ voilà ! _ de la musique sacrée, en digne successeur de Josquin des Prés. Rore suivit le parcours normal d’un musicien talentueux de la Renaissance né aux Pays-Bas. Son éducation achevée dans ses Flandres natales, il chercha un emploi en Italie. Il noua des contacts à Venise, en particulier avec Adrian Willaert, maestro di cappella à Saint-Marc, et néerlandais _ c’est-à-dire flamand : il est natif de Renaix-Ronse… _ lui aussi. De 1547 à mars 1558, il fut employé _ onze années _ sans interruption à la cour de Ferrare par le duc Ercole II d’Este, pour lequel il composa la Missa Praeter rerum seriem. Lorsque, en 1559, le successeur du duc Ercole, Alfonso II, mit un terme aux fonctions de Rore à Ferrare, celui-ci s’installa à Parme, à la demande de la famille Farnese. En 1563, il fut choisi pour succéder à Willaert à Saint-Marc de Venise, ce qui était sans doute, même à l’époque, le poste le plus prestigieux pour un musicien en Italie. À quarante-sept ans, Rore semblait alors avoir son avenir placé sous les meilleurs auspices. Malheureusement, pour une raison quelconque _ ignorée de nous _, il n’était apparemment pas fait pour sa tâche à Saint-Marc de Venise, et, dès septembre 1564, il était de retour à Parme, où il mourut en août ou septembre 1565.Malgré le nombre impressionnant de madrigaux que Rore écrivit, sa production de musique sacrée ne fut pas négligeable : plus de quatre-vingts motets et cinq messes voilà. Parmi les œuvres proposées sur cet enregistrement, ce sont les motets qui montrent le plus clairement la formation musicale de Rore, musicien franco-flamand dans la tradition josquinienne. Bien que nullement madrigalesque, et écrite quelques années avant la naissance de Monteverdi, la messe de Rore recèle de fascinants pré-échos monteverdiens. Cette messe, qui s’appuie sur le motet de Noël de Josquin Praeter rerum seriem _ écoutez ici (7′ 17) _, est l’une des messes-parodie les plus élaborées de son époque. En l’écrivant, Rore rendait hommage à la fois à son employeur, le Duc Ercole II de Ferrare, et à Josquin qui exerça non seulement la seule véritable influence sur lui mais fut aussi son prédécesseur le plus apprécié à la cour d’Este _ en 1503-1504.Le Praeter rerum seriem fait sans aucun doute partie des plus grandes œuvres de Josquin _ voilà. Il est formé d’une série de motifs travaillés avec soin autour du chant dévotionnel sur lequel il est construit. Pour l’essentiel de l’œuvre, la polyphonie se présente de manière antiphonée entre les trois voix supérieures quand le chant de dévotion est confié au superius (soprano I), et entre les trois voix basses quand il est confié au tenor. Cette méthode apparaît au tout début de l’œuvre avec la distribution des voix basses, et donne à l’écriture une telle puissance que Rore construisit l’ouverture des cinq mouvements de cette manière, ainsi qu’une section subsidiaire (sur ‘Et iterum’ dans le Credo). La deuxième partie du motet de Josquin est relativement plus libre que la première. Le chant est masqué par une structure généralement à six voix, qui devient ternaire quand le texte fait finalement allusion au mystère de la Trinité, avant de revenir au rythme binaire du ‘Mater ave’.En un sens, la messe de Rore n’est une composition originale que dans une très faible mesure. Cependant, il parodie son modèle de façon si ingénieuse que les éléments fixes semblent prendre de nouvelles dimensions _ voilà. Rore ajouta une partie de cantus (soprano) aux six voix employées à l’origine par Josquin. Puis il transforma l’une des parties existantes, celle de quintus (ici alto I), en une ligne de cantus firmus de notes longues pour chanter les mots ‘Hercules secundus dux Ferrarie quartus vivit et vivet’ jusqu’à la mélodie du chant dévotionnel citée par Josquin. La ligne de cantus supplémentaire de Rore apporte une nuance nouvelle à l’écriture en créant une sonorité plus éclatante, qui semble faire totalement sortir la musique de la période du milieu de la Renaissance, voire la faire, voire la faire tendre vers le Baroque. Le passage sur ‘Et in unum Dominum Iesum Christum’ du Credo est presque du pur Monteverdi.

L’écriture la plus impressionnante apparaît au début de chaque mouvement de la messe, où Rore développe l’ouverture magistrale du motet josquinien. Dans le Kyrie, la version de Josquin est pratiquement inchangée en ce qui concerne les voix basses, bien que Rore ajoute une autre ligne à la partie d’altus II. Dans le Gloria, il fait une inversion de la gamme ascendante de Josquin tout en conservant l’originale. Il emploie le même procédé dans le Credo sous une forme plus ornée. Mais c’est seulement dans le Sanctus et l’Agnus Dei que la mesure des deux cantus de Rore apparaît pleinement dans le contexte de cette phrase, qui semble s’être développée et amplifiée. Le Sanctus commence par de longues lignes rhapsodiques dans un vaste espace sonore. L’Agnus Dei va un peu plus loin en impliquant toutes les voix dès le départ et en étayant pour la première fois l’ensemble par un énoncé du chant. De manière générale, on n’entend le chant que lorsqu’un mouvement ou une section est bien amorcé, et que la longueur extrême de ses notes l’empêche véritablement de se mêler à la texture d’ensemble. C’est seulement dans deux passages où le nombre des voix est réduit, le ‘Pleni’ et le ‘Benedictus’ (tous deux dans le Sanctus), qu’il est totalement omis.

Les quatre motets qui figurent sur cet enregistrement présentent tous le son et la technique bien reconnaissables de la polyphonie franco-flamande traditionnelle, et sont aussi éloignés des madrigaux italianisés de Rore qu’ils pouvaient l’être dans le contexte musical de l’époque. Deux d’entre eux, Ave Regina caelorum et Descendi in hortum meum, comportent une écriture en canon des plus avancée. Infelix ego comprend un motif conducteur énoncé selon une structure mathématique stricte. Seul Parce mihi, Domine _ écoutez ici (5′ 33) _ est composé en toute liberté, bien que ses sonorités sombres (écrites pour cantus, altus, tenor, quintus et bassus, ici SATTB) et ses longues mélodies ne lui confèrent guère une résonance moderne. L’essence de ces pièces tient toutefois à l’aisance avec laquelle Rore donna une expression aux techniques anciennes. Les deux oeuvres pénitentielles, Infelix ego et Parce mihi, Domine, créent une atmosphère inoubliable _ voilà _ de doute et d’interrogation sur soi, grâce à la longueur des idées musicales et des mélodies qui se répercute finalement sur la longueur globale des pièces. Tout au long de Infelix ego _ écoutez ici (12′ 08) _, motet à six voix écrit pour cantus, altus, sextus, tenor, quintus et bassus (ici AATTBB), court un motif de cantus firmus de huit notes, une pour chaque syllabe de ‘Miserere mei, Deus’, qui est cité dans la partie d’altus (ici alto II). Au fil de la musique, la longueur des notes de ce cantus firmus diminue de moitié jusqu’à ce qu’à la fin toutes les voix le reprennent. Cette méthode très simple permit à Rore d’amener cette œuvre colossale à son point de résolution, tout en soulignant le ton d’insistance propre à la supplication du ‘Miserere’.

Les deux œuvres en canon sont plutôt moins sombres. Toutes deux sont écrites pour sept voix dont trois sont impliquées dans un canon strict. Ave Regina cælorum _ écoutez ici (5′ 55) _ adopte un genre typique du milieu de la Renaissance que l’on trouve par exemple chez Mouton et Willaert. Cela implique une texture libre pour quatre voix, souvent écrite pour cantus, altus, tenor et bassus, au milieu de laquelle est inclus un canon à trois voix. Les parties en canon comportent des notes relativement longues et ne sont chantées que périodiquement. Dans ce cas, les trois voix conservent leur propre hauteur de ton (fondamentale, quatrième et cinquième degrés), ce qui a pour effet une certaine fascination académique. C’est cependant dans les sonorités auxquelles contribuent tous ces élements que réside la puissance d’expression de l’œuvre. Descendi in hortum meum, composé selon une structure identique, dégage une atmosphère totalement différente qui convient aux parfums puissants de son texte tiré du Cantique des cantiques. Ce chef-d’œuvre _ écoutez ici (5′ 32) _ paraît si naturel que l’on a peine à croire qu’une écriture mathématique rigoureuse le sous-tend. Mais l’altus II (qui mène l’ensemble), le cantus II (soprano II) et le tenor I chantent bien en canon, cette fois-ci à la quinte et à l’octave. Le canon est maintenu même dans la section ternaire vers la fin, là où Rore le madrigaliste retrouve brièvement le compositeur de génie de musique sacrée pour créer le plus beau et le plus mélancolique de tous les passages polyphoniques: ‘Reviens, reviens, ô Sulamite, reviens que nous puissions te contempler’.

Des œuvres merveilleuses sublimées par l’interprétation sublime des Tallis Scholars…

Ce samedi 9 septembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

L'envoie de commentaire est désactivé

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur