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La joie de retrouver et ré-écouter l’oeuvre musical de Jan Antonin Losy (C. 1650 – 1721) et le sublime « Tombeau sur la mort de M. Comte de Logy arrivée 1721″ du génial Sylvius Leopold Weiss…

25juil

La parution et l’écoute du CD Supraphon SU 4343-2 « Losy – Jan Antonin Losy – Silvius Leopold Weiss – Lute Music in Prague & Vienna circa 1700« , par Jan Cizmar, luth, et le (oh!) Ensemble dirigé par Martyna Pastuszka _ enregistré à Mikolow (Pologne) de mai 2022 à mars 2024 _

nous offrent une belle opportunité de retrouver et ré-écouter en notre discothèque personnelle les merveilleux CDs Bis CD-1534 « Silvius Weiss – Lute Music II » _ enregistré à Länna (Suède) au mois de novembre 2007 _, un CD comportant le justement célèbre « Tombeau sur la mort de M. Comte de Logy arrivée 1721 » ; et Bis 2462 SACD « Jan Antonin Losy – note d’oro » _ enregistré à Länna (Suède) au mois de septembre 2018 _, entièrement consacré, lui, à des Suites pour luth de Jan Antonin Losy, Comte de Losinthal, les deux sous les doigts magiciens du luthiste Jakob Lindberg ;

ainsi que le sublime CD d’Eduardo Egüez publié en 2009 par le label MA Recordings, le CD M087A _ enregistré en juin 2005 en l’église San Bernardino da Siena, à Piano Audi (ommune de Corio, dans le Piémont) _, intitulé « L’Infidèle » _ Lute works by Sylvius Leopold Weiss «, qui comporte lui aussi ce « Tombeau sur la mort de M. Comte de Logy arrivée 1721 » de Sylvius Leopold Weiss ;

et, bien sûr, l’interprétation somptueuse, magistrale, de ce « Tombeau » par Hopkinson Smith en son CD Astrée 8718 « Sylvius Leopold Weiss – Pièces de luth » _ enregistré à Saint-Lambert des Bois au mois de juin 1989 …

Et au passage je renvoie ici à quatre de mes précédents articles à propos de ces merveilleuses musiques (et interprétations) :

_ du 3 février 2020 : «  » ;

_ du 14 avril 2020 : «  » ;

_ du 3 mai 2022 : «  » ;

_ et du 28 février 2024 : « « .

 

Une musique d’une intimité profonde vraiment extraordinaire !

Ce jeudi 25 juillet 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un piano, et même mieux, deux pianos, qui crépitent et chantent : Sergei Babayan et Daniil Trifonov dans un éblouissant transcendant « Rachmaninoff for two » !

15juin

Quand la performance virtuose des interprètes galvanise jusqu’aux auditeurs…

Et c’est exactement cela qui vient nous subjuguer-transporter-incendier avec le transcendant flamboyant double album Deutsche Grammophon 486 4805 « Rachmaninoff for two » de Sergei Babayan (Gyumri – Arménie, 1er janvier 1961) et Daniil Trifonov (Nijni-Novgorod – URSS, 5 mars 1991) _ le premier ayant été professeur du second, en 2009, au Cleveland Institute of Music, un lieu et une institution importants… _ enregistré à Vienne en mai et août 2023…

Voici ce que sur son constamment excellent site Discophilia, en un article sobrement intitulé « Fantaisies et danses« , nous en communique la décidément parfaite oreille (et plume) de Jean-Charles Hoffelé :

FANTAISIES ET DANSES

L’oiseau sirine qui encorbelle de ses trilles mystiques la Barcarolle _ d’après des vers de Lermontov _ de la Suite « Fantaisie-tableaux » semble répondre sous les doigts de Sergei Babayan et de Daniil Trifonov _ écoutez ici le podcast de la sublimissime interprétation (!!!) de cette « Barcarolle«  (en 8′ 29) en ce « fabuleux CD« – ci de Babayan et Trifonov _ à celui qu’inventèrent _ écoutez-le donc aussi ici (en un podcast de 7′ 27) par Ginzburg et Goldenweiser, en un enregistrement de 1948, disponible sous le label RDC (Russian Compact Disc)Grigory Ginzburg _ Nijni-Novgorod, 29 mai 1904 – Moscou, 5 décembre 1961 _ et Alexandre Goldenweiser _ Chisinau-Bessarabie, 10 mars 1875 – Moscou, 26 novembre 1961 : ce dernier professeur du précédent au conservatoire Tchaïkovsky de Moscou, et un des fondateurs de l’école moderne russe de piano : « At age six, his talent (celui de Grigory Ginzburg) was recognized and in 1917, when he was 13, he became a student of Alexander Goldenweiser at the Moscow Conservatory. He remained close to Goldenweiser his whole life _ voilà ! _, becoming his assistant after graduation« , a signalé le 1er mai 2017 Maureen Buja en un article intitulé « Forgotten pianists : Grigory Ginzburg« 

Leur conte sélène _ en ce merveilleux CD-ci _ est simplement plus sombre, comme sera plus terrible _ oui, et sublimement véhément... _ de noirceur _ exaltée jusqu’au sublime, voilà ! _ jusque dans l’exaltation centrale La nuit… L’amour _ d’après des vers de Byron _ commencé par un rossignol éperdu _ écoutez-le aussi en ce podcast (d’une durée de 5′ 59) de ce génial CD de Babayan et Trifovov, et subissez-en vous aussi le charme absolu ! Quel génie _ assurément ! _ aura déployé le jeune Rachmaninoff _ l’été 1893, Rachmaninov (Semionovo, 1er avril 1873 – Beverly Hills, 28 mars 1943) a tout juste vingt ans… _ dans cet Opus 5, et comme les deux amis _ Babayan et Trifonov, si magnifiquement complices _ l’entendent _ et l’incarnent aussi splendidement ! _, y infusant des rêves et des contes, rappelant souvent l’univers _ de profonde poésie musicale _ de Nikolai Medtner _ Moscou, 5 janvier 1880 – Londres, 13 novembre 1951.

Ce sera le sommet poétique _ oui ! et je le pense aussi… _ de ces deux disques fabuleux _ absolument ! je partage pleinement cet avis… _ où ils se feront _ ensuite _ athlètes pour la Deuxième Suite, prenant des tempos fous _ sublimement tenus _ pour la Valse (même Vronsky et Babin _ Vitya Vronsky (Eupatoria-Crimée, 22 août 1909 – Cleveland, 28 juin 1992) et Victor Babin (Moscou, 13 décembre 1908 – Cleveland, 1er mars 1972  _ ne filent pas à ce point _ écoutez ici Vronsky et Babin en cette Deuxième Suite Op. 17  en un enregistrement du 22 janvier 1934, pour RCA : d’une durée de 19′ 24 _, ça tricote du diable _ oui _, sans oublier de chanter _ en effet et surtout, bien entendu ! quelle merveille sous ces doigts si inspirés de Babayan et Trifonov ! _, savourant la Romance en sonorités dorées (on croirait une scène d’un film hollywoodien), se déchaînant dans la Tarentelle à nouveau dans ce sombre menaçant qui empoisonnera _ aussi _ leur lecture paroxystique _ géniale… _ des Danses symphoniques.

Sous leurs doigts, l’orchestre ne manque _ en effet _ pas, tout comme pour la transcription inspirée _ oui _ de l’Adagio de la 2e Symphonie réalisée si proche de l’original par Daniil Trifonov, décidément chez lui ici _ oui, oui, oui _ : ses Concertos l’attestaient _ cf mon article « «  du 23 octobre 2019 à propos des deux merveilleux CDs « Departure » (DG 00289 483 5335) et « Arrival«  (DG OO289 483 6617), comportant les 4 Concertos pour piano op. 1, op. 18, op. 30 et op. 40 du compositeur (1873 – 1943) _, ce nouvel album le confirme _ somptueusement…

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmaninoff
(1873-1943)


Symphonie No. 2, Op. 27 –
III. Adagio (version pour deux
pianos : Trifonov)


Suite pour deux pianos No. 2, Op. 17


Suite pour deux pianos No. 1, Op. 5 « Fantaisie-tableaux »


Danses symphoniques, Op. 45 (version pour deux pianos)

Daniil Trifonov, piano
Sergei Babayan, piano

Un album de 2 CD du label Deutsche Grammophon 4864805

Photo à la une : les pianistes Daniil Trifonov (à gauche) et Sergei Babayan – Photo : © Julia Wesel 

Une musique _ quasi gratuite : de l’art pour l’art… _ et une interprétation _ phénoménale de virtuosité, mais bienheureusement dénuée du moindre narcissisme ; admirez (et écoutez !) aussi cette vidéo de 47′ 16 de ces Suites n°1 et n°2 pour deux pianos, lors d’un concert donné par Sergei Babayan et Daniil Trifonov à l’Auditorium de Radio-France, à Paris, le 21 mars 2023 : précédant donc de peu leurs enregistrements, à Vienne, de ce double album, aux mois de mai et août suivants… _ qui nous extirpent en toute beauté d’un présent morose, inquiétant, voire nauséabond…

Et sur la virtuosité en musique,

relire les lumineux chapitres « Pour et contre la virtuosité » de Vladimir Jankélévitch, notamment aux pages 109 à 159 de son « Liszt et la rhapsodie _ Essai sur la virtuosité » ; qui comporte aussi cette phrase, à la page 151 : « Que sa marque propre soit le pathétique ou le brio, la virtuosité, chez Rachmaninov, est toujours somptueuse« …

Il est vrai, aussi, que contrairement à ma propre endémique absence de tropisme envers la musique russe _ en général : il y a aussi quelques heureuses exceptions… Mais c’est probablement d’abord par ignorance… _j’aime beaucoup Rachmaninov.

Cf le significatif aveu conclusif de mon article du 13 octobre 2018 «  » : « J’aime Rachmaninov, mais oui…« …

Ce samedi 15 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Au coeur du plus intime de la musique, et dont l’écoute provoque et vient toucher la part la plus secrète de notre humanité : le quatuor à cordes…

24mai

Les déclarations liminaires à l’article « Quatuors enchantés » de Jean-Pierre Rousseau _ présentant deux récents coffrets de CDs, l’un du Quatuor Cleveland, l’autre du Quatuor Cherubini _ que je découvre ce matin, vendredi 24 mai 2024 sur son blogne sont pas sans me surprendre, de la part d’un mélomane avisé et expert tel que Jean-Pierre Rousseau, et cela pour aller à rebrousse-poil de ma prédilection personnelle de mélomane passionné envers le quatuor (et la musique de chambre) :

« Je ne sais pas pourquoi, mais pendant longtemps j’ai très peu pratiqué l’écoute du quatuor _ tiens, tiens… _, tant au concert qu’au disque. Sans doute parce qu’on n’écoute pas un quatuor de Haydn, de Beethoven ou de Schubert distraitement _ justement ! Et alors ?.. Préfère-t-on privilégier des écoutes distraites ? Quel paradoxe !! _, comme on peut le faire d’une symphonie ou même d’un opéra qu’on connaît par cœur _ œuvres en effet plus composites et souvent plus bruyantes, et, pour la plupart, moins centrées sur l’essentiel (ces genres de musique s’adressant à un plus large public, ménageant, nécessairement, les capacités variables de durée et intensité d’attention-concentration de celui-ci ; là-dessus, consulter par exemple le significatif brillant pamphlet de Benedetto Marcello, paru à Venise en 1720 : « Le Théâtre à la mode« , qui visait notamment les productions opératiques ainsi qu’instrumentales d’Antonio Vivaldi – Aldiviva…) : existent aussi, bien sûr, de sublimes exceptions parmi ces symphonies et opéras… Sûrement aussi parce que c’est _ le quatuor, donc _ l’essence même de la musique _ mais oui, nous y voilà ! À dimension d’éternité, via le temps de la réalisation par les interprètes et de l’écoute attentive et hyper-concentrée de l’œuvre par l’auditeur… Est-ce alors à dire que cette essence même de la musique devrait être le moins souvent possible approchée, cultivée, et jouie ?.. _, qui s’adresse à l’intime _ voilà ! l’intime directement sollicité, et donc exposé (l’auditeur s’y exposant aussi lui-même) en cette plus intense, et souvent même brûlante, profonde et concentrée, attentive écoute _, qui provoque la part la plus secrète de notre humanité _ absolument ! Cette part-là, ainsi provoquée et touchée, doit-elle donc demeurer le plus possible préservée de notre habitus-fréquentation de mélomane ! Tout cela me surprend ! et presque me choque (j’ai même failli dire me révolte !) sous la plume d’un mélomane aussi avisé, d’expérience (et je dirais même compétent, expert), que’est Jean-Pierre Rousseau… Même si ces hyper-intenses moments d’exposition de soi au plus intime et essentiel de la musique, ne doivent certes pas non plus être galvaudés, banalisés, désensibilisés…

Ces derniers temps, j’ai de plus en plus souvent besoin _ oui, je note _ de me ressourcer _ mais oui ! la meilleure des meilleures musiques ressource en effet vraiment ! C’est là une de ses éminentes vertus… _ à l’écoute _ voilà _ de ces chefs-d’œuvre _ soit la crème la plus fine et la plus délectable du meilleur… L’effet de l’avancée en âge sans doute _ oui, bien sûr : aller désormais et de plus en plus à l’essentiel, se délester du poids finalement accablant des poussières du fatras de tout l’inessentiel ; cesser de gaspiller le temps d’écoute (ou de pratique) non infini qui nous reste ; là-dessus, cf le livre à paraître (aux PUF le 28 août prochain) de mon très avisé ami bruxellois Pascal Chabot « Un Sens à la vie _ enquête philosophique sur l’essentiel« , dont je savoure l’envoi très amical des épreuves… ; cf aussi la vidéo (de 64′) de mon entretien avec lui chez Mollat le 22 novembre 2022 à propos de son précédent excellent « Avoir le temps : essai de chronosophie« ... Avant de rencontrer Pascal Chabot lui-même en personne, et à diverses reprises (Bruxelles ne se trouvant pas tout à côté de Bordeaux), j’ai commencé ainsi à faire sa connaissance en le lisant très attentivement : à la lecture, lumineuse pour moi, à sa parution en 2013, de son lucidissime « Global burn-out«  _, la confrontation aussi avec l’évolution irréversible _ toute vie étant bien évidemment de passage (c’est-à-dire mortelle) : non infinie, toute vie (du moins pour les individus appartenant à des espèces sexuées) a eu et aura une fin _ des dégâts de la vieillesse chez ma mère _ la mienne est décédée en sa 101ème année de vie, le 27 octobre 2018 _ qui fête demain ses 97 ans _ fêter la vie est aussi un des grands pouvoirs thaumaturgiques de la musique (du moins celle qui est à son meilleur) ; cf ici mon recueil d’articles de « Musiques de joie« , rédigés au quotidien des jours du confinement du Covid, du 15 mars au 28 juin 2020, à fin précisément de ressourcement alors ainsi, et en priorité (et un ressourcement à partager éventuellement aussi avec qui me lira, puis écoutera cette musique…) : « « … La musique parlant et ressourçant vraiment très directement, oui !

Deux coffrets récents comblent mes attentes« …

Contribuer si peu que ce soit à partager, d’une manière ou d’une autre, de telles ressourçantes écoutes musicales est vraiment aussi _ et plus que jamais en ces temps disgraciés de barbarie endémique décomplexée… _ très important.

Et sur cette question qui me tient tout spécialement à cœur, de la civilisation face à la barbarie, je me permets de renvoyer à mon article « Oasis Versus désert » de 2016 pour le « Dictionnaire amoureux de la Librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 :

OASIS versus désert
Sans anticiper le réchauffement qui nous promet le climat de l’Andalousie ou celui du Sahel, et même si manquent en ses vastes espaces, lumineux, tout de plain-pied et d’équerre dans leur agencement, les palmiers-dattiers, fontaines-cascatelles et bassins à nénuphars de l’Alhambra de Grenade, l’image de l’Oasis sied admirablement à la librairie Mollat, et aux usages que j’en fais : face au désert qui gagne. Et cela, dans le style du classicisme français, en une ville dont le siècle d’accomplissement est celui des Lumières, et sur le lieu même où un temps habita Montesquieu.
Oui, la librairie Mollat est bien une luxuriante oasis de culture vivante, résistant au désert (d’absence de culture vraie)D’où mon attachement à elle, comme à la ville de Bordeaux, dont elle est le foyer irradiant de culture qui me convient le mieux : car par elle, en lecteur et mélomane toujours curieux d’œuvres essentielles, j’ai un contact tangible immédiat avec un inépuisable fonds (recelant des pépites à dénicher) d’œuvres de vraie valeur, à lire, regarder, écouter, avec lesquelles je peux travailler, m’entretenir-dialoguer dans la durée. Un peu comme Montaigne s’essayait en sa tour-librairie à ces exercices d’écriture qui feront ses Essais, par l’entretien avec les auteurs dont les voix dans les livres venaient conférer à demeure avec lui, leur lecteur, une fois qu’il fut privé de la conversation sans égale de La Boétie.
En son sens propre bio-géographique, le désert ne cesse de bouger : il avance-recule en permanence, mais si peu visiblement au regard ordinaire que la plupart de nous n’y prenons garde. Alors quand « le désert croît » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra), l’oasis foyer de résistance à la désertification, est-elle d’un vital secours – nourricier, mais aussi succulent ! –, pour tous les vivants dont la vie (et la vie vraie, la vie de culture : à cultiver !) dépend. Contribuer à faire reculer le désert en aidant les oasis à résister, se renforcer-développer, resplendir, est l’essentielle mission de civilisation. A l’envers de (et contre) tout nihilisme, c’est à cette fin que Nietzsche appelle à ce sursaut qu’il nomme « le Sur-humain ».
Ainsi en va-t-il des mouvements d’une oasis de culture vraie – expression pléonastique : l’oasis n’existant que d’être, et inlassablement, mise en culture par une minutieuse et très entretenue, parce que fragile en sa complexité, irrigation ; la barbarie s’installe dans l’Histoire quand et chaque fois que sont détruits sans retour les systèmes d’adduction aux fontaines et jardins – comme à Rome ou Istanbul. Et ce qui vaut à l’échelle des peuples vaut à celle des personnes, en leur frêle (improbable au départ) capacité de singularité de personne-sujet, qu’il faut faire advenir contre les conformismes, et aider à s’épanouir. La singularité suscitant la rage de destruction expresse des barbares.
… 
Je parle donc ici de la culture vraie (authentique, juste, probe, vraiment humaine) face aux rouleaux-compresseurs – par réalisation algorithmique, maintenant, de réflexes conditionnés panurgiques – de la crétinisation marchande généraled’autant plus dangereuse que l’imposture réussit – par pur calcul de chiffre de profit, sans âme : les âmes, elle les stérilise et détruit – à se faire passer auprès du grand nombre pour culture démocratique ; et à caricaturer ce qui demeure – en mode oasis de résistance – de culture authentique, en misérable élitisme passéiste, minoritaire, dépassé (has been), comme le serinent les médias inféodés aux marques.
… 
Ainsi, en ma ville aimée de Bordeaux – cité classique -, la librairie Mollat – sise le long du decumanus tiré au cordeau de l’antique Burdigala – est-elle cette vitale oasis de culture vraie, tant, du moins, et pour peu qu’elle résiste assez à l’emprise des impostures des livres (et disques) faux ; et il n’en manque pas, de ces leurres jetés aux appétits formatés et panurgiques des gogos consommateurs ! Et là importe la présence effective de libraires-disquaires qui soient de vraies capacités de conseils de culture authentique, et par là, passeurs d’enthousiasmes – quand il y a lieu –, autant que de vigilants traqueurs d’imposture de produits promis à rapide et méritée obsolescence. Cette médiation-là constituant un crucial atout de la dynamique de résistance et expansion de pareille oasis de culture vraie. Mes exigences d’usager sont donc grandes.
… 
Sur un terrain plus large, celui du rayonnement plus loin et ailleurs qu’à Bordeaux, de l’Oasis Mollat, j’ai l’insigne chance de disposer, sur son site, d’un blog ami : En cherchant bien _ Carnets d’un curieux, signé Titus Curiosus, ouvert le 3 juillet 2008, où j’exprime et partage en parfaite liberté, mes enthousiasmes – l’article programmatique « le carnet d’un curieux » _ à lire ici _, qui reprenait mon courriel de réponse à Corinne Crabos me proposant d’ouvrir ce blog, n’a pas vieilli.
Parfois sur ma proposition, parfois à sa demande, la librairie m’offre de temps en temps, aussi, la joie de m’entretenir vraiment, une bonne heure durant, dans ses salons, avec des auteurs de la plus haute qualité : ce sont les arcanes de leur démarche de création, leur poïétique, qu’il me plaît là d’éclairer-explorer-mettre au jour, en toute leur singularité – dans l’esprit de ce que fut la collection (Skira) Les Sentiers de la créationPodcastables, et disponibles longtemps et dans le monde entier sur le web, ces entretiens forment une contribution patrimoniale sonore consistante qui me tient très à cœur. Pour exemples de ces échanges nourris, j’élis la magie de ceux avec Jean Clair _ lien au podcast _, Denis Kambouchner, Bernard Plossu _ en voici un lien pour l’écoute.
A raison de deux conférences-entretiens quotidiens, la librairie Mollat constitue une irremplaçable oasis-vivier d’un tel patrimoine de culture : soit une bien belle façon de faire reculer, loin de Bordeaux aussi, le désert.
 …
Voilà pour caractériser cette luxuriante Oasis rayonnante qu’est à Bordeaux et de par le monde entier, via le web, ma librairie Mollat.

Et j’ai aussi très à cœur de partager à nouveau, ici, mon enthousiaste compte-rendu de dimanche soir dernier, 19 mai, de l’extraordinaire concert « Durosoir invite Ligeti » du merveilleux Quatuor Tana, au château Mombet à Saint-Lon-les-Mines, en pays d’Orthe, au sud des Landes, pour le « Mai musical Lucien Durosoir 2024 » :

« « .

Pour un sublime moment d’éternité ressentie et partagée

par de si extraordinairement belles _ « enchantées«  !.. _ musiques de ces Quatuors de Lucien Durosoir et György Ligeti sous les doigts justissimement inspirés des Tana… 

Encore merci, merci, merci !!!

Ce vendredi 24 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et encore deux remarquables lecture-commentaires des stupéfiantes (de beauté singulière) « Chansons madécasses » de Maurice Ravel…

16mai

En  continuant de fouiller sur le Net,

j’ai découvert encore deux très intéressantes lecture-commentaires des bouleversantes de beauté singulière « Chansons madécasses » de Maurice Ravel,

dont voici, ici, deux précieux liens d’accès à la lecture :

« La respiration musicale de l’amour malgache« , de Yann Bertrand, publié le 29 janvier 2019 ;

et « Chansons madécasses, modernisme et érotisme : pour une écoute de Ravel au-delà de l’exotisme« , de Federico Lazzaro, le 16 mai 2016…

Maurice Ravel, entre érotisme et anticolonialisme

La respiration musicale de l’amour malgache

« Les Chansons madécasses me semblent apporter un élément nouveau – dramatique voire érotique – qu’y a introduit le sujet même de Parny. C’est une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d’instrument principal. La simplicité y domine. L’indépendance des parties s’y affirme que l’on trouvera plus marquée dans la Sonate pour piano et violon»

Maurice Ravel, extrait d’Une esquisse autobiographique, retranscrit par Roland-Manuel

1925. Alors que L’Enfant et les Sortilèges (Fantaisie lyrique sur un livret de Colette) vient d’être donné pour la première fois à l’opéra de Monte-Carlo, le 21 mars, sous la direction du chef d’orchestre Victor de Sabata, Maurice Ravel est contacté pour la composition d’une nouvelle composition. C’est le violoncelliste Hans Kindler, venu pour le compte de la mécène américaine Elizabeth Sprague-Coolidge, qui lui commande une œuvre d’une dizaine de minutes pour un effectif de musique de chambre inattendu : voix, flûte, violoncelle et piano.

Un vrai défi. En effet, Ravel ne dispose que d’un court délai pour la composition. D’ailleurs, seule la seconde chanson du recueil (« Aoua ! ») sera écrite dans les temps. Les deux autres ne seront achevées que l’année suivante, en 1926. Aucun texte ne lui est suggéré, ce qui lui laisse une totale liberté dans le choix des poèmes qu’il souhaiterait mettre en musique. Depuis son installation à Montfort-l’Amaury en avril 1921, Ravel a acquis beaucoup d’ouvrages rares dans sa bibliothèque, notamment d’œuvres, de mémoires et de lettres du XVIIIe siècle (« typique des lectures d’un solitaire » dira le musicologue Marcel Marnat). Parmi eux se trouve un exemplaire de l’édition complète de l’œuvre d’Evariste Désiré de Forges, Vicomte de Parny, plus connu sous le nom d’Evariste de Parny (1753-1814), qui va servir de point de départ pour l’œuvre à venir.

A cette époque, Ravel s’enthousiasme pour les Chansons madécasses traduites en français, suivies de poésies fugitives. Il s’agit d’un recueil de poèmes en prose rédigé _ parait-il, selon Parny lui-même… _ à partir de documents malgaches par l’auteur entre 1784 et 1785, puis publié en 1787. Les douze poèmes (chansons) composant le recueil ont été écrits par l’auteur durant un séjour aux Indes. Malgré l’intérêt que ce  dernier porte à ces documents malgaches, il ne s’est jamais rendu à Madagascar _ la référence est donc fictive…

Au sein de ce corpus, Maurice Ravel choisit d’abord la troisième chanson (« Méfiez-vous des blancs »), la huitième (« Il est doux ») et enfin la douzième (« Nahandove »). Ce cycle de trois mélodies forme le recueil des Chansons madécasses qu’il compose entre 1925 et 1926.

Avec les Chansons madécasses, nous avons affaire à une composition de la grande maturité ravélienne _ oui. En effet, il s’agit d’un véritable chef d’œuvre _ oui ! sublime ! _, un peu trop oublié _ hélas _ des musiciens et du grand public. Il mérite pourtant _ mais oui _ toute l’attention. Elles donnent certes beaucoup de fil à retordre _ en effet ! Ravel le reconnaissait tout le premier… _ à ses interprètes, mais elles en valent vraiment la peine. Dans ce triptyque vocal, le compositeur réussit à renouveler ses manières en proposant une page haute en couleur et d’une originalité frappante _ oui, et quasi dérangeante à beaucoup…  Tout comme il l’avait fait dans sa Sonate pour violon et violoncelle en 1920, il parvient à dépouiller sa mélodie, à épurer son harmonie, apportant un panorama musical simple _ oui ! _, mais riche _ oui, oui ! _, d’une écriture suave réduite à l’essentiel _ en effet. L’indépendance des voix _ voilà ! _ domine l’œuvre. Le compositeur y fait régner un art contrapuntique « très strict » dira-t-il durant un entretien avec un interlocuteur anonyme publié dans la Revue musicale le 12 mars 1931. Le résultat est tout à fait remarquable. Les instruments de la nomenclature semblent communiquer, se compléter sans jamais s’appesantir _ tout cela est d’une parfaite justesse. Ravel ne lésine pas sur les moyens, et va jusqu’à utiliser son pupitre comme un orchestre, ce que l’on peut observer surtout au sein de « Aoua ! » et de « Il est doux ».

Pierre Boulez ou encore Vladimir Jankélévitch considèrent les Chansons madécasses comme une œuvre très imprégnée et très marquée par le Pierrot Lunaire d’Arnold Schoenberg de 1912 _ oui. Ravel considérait d’ailleurs son aîné viennois comme l’un des plus grands compositeurs de son temps. Il y fait référence dans la conférence intitulée « La musique contemporaine » du 7 avril 1928 à Houston au Texas (durant son fameux voyage aux Etats-Unis) : « Je suis parfaitement conscient du fait que mes Chansons madécasses ne sont en rien schoenbergiennes, mais j’ignore si j’eusse été capable de les écrire si Schoenberg n’avait pas composé. » Ravel avait écrit en 1913 une œuvre pour un ensemble instrumental similaire à celui du Pierrot Lunaire dont il n’avait alors entendu parler que par retours d’Igor Stravinsky et d’Edgard Varèse _ voilà _ : Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé. (Stravinsky avait composé dans la même veine Trois poésies de la lyrique japonaise). Nous retrouvons l’influence qu’a pu avoir Schoenberg sur Ravel dans les Chansons madécasses. D’ailleurs il ne s’en cache pas : « Il ne faut jamais craindre d’imiter. Moi, je me suis mis à l’école de Schoenberg pour écrire mes Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé et surtout pour les Chansons madécasses […] » (cf entretien cité plus haut).

Il est temps de feuilleter les pages de ce livret.

….

Considérons d’abord « Nahandove » : véritable page d’érotisme _ absolument ! _, elle est la première chanson du recueil _ de Ravel. Le compositeur y fait naitre une atmosphère sensuelle et extatique rare et tout à fait remarquable _ absolument. Indiquée andante quasi allegretto, c’est le violoncelle et la voix qui débutent l’œuvre _ oui _ dans un duo suave, doux et coloré de sonorités modales. Rythme et mélodie se confondent au sein des arabesques du violoncelle : l’esprit attisé de Ravel gravite autour de groupes de notes et permute systématiquement les rythmes. (Procédé que l’on retrouve d’ailleurs au sein du Pierrot Lunaire). L’intervalle de quarte est très présent (mi, la, ré, sol). Nous retrouverons l’aisance du musicien à composer et à jouer avec ces lignes mélodiques indépendantes dans toute l’œuvre _ voilà.

Dans le texte de Parny, où l’amant prépare un lit « parfumé de fleurs et d’herbes odoriférantes » pour sa jeune amie « la belle Nahandove », Ravel tisse un tapis sonore envoûtant et voluptueux _ voilà _ sur lequel sa musique va prendre tout son sens. Le piano vient alors rompre _ oui _  le duo rêveur du violoncelle et de la voix dans un mouvement più animato. Par ses rythmes, nous reconnaissons « la marche rapide »  et « la respiration précipitée » de Nahandove vers « le lit de feuille ». La flûte n’intervient _ oui _ qu’à son arrivée. Le compositeur use des nombreux ostinatos rythmiques comme d’une arme évocatrice de la montée en puissance de l’excitation _ voilà _, renforcée par le crescendo débutant sur une nuance pianissimo vers une nuance forte. Le charme musical opère au chiffre 2 de la partition. L’écriture un peu moins dense devient de plus en plus enivrante _ c’est cela. La flûte, par ses arabesques fluides, envoûte l’oreille de l’auditeur (nous retrouverons ces arabesques sensuelles dans la troisième chanson du recueil). Le compositeur crée une atmosphère qui accompagne et renforce le texte, la rendant de plus en plus voluptueuse : « Que ton regard est enchanteur, que le mouvement de ton sein est vif et délicieux sous la main qui le presse ». Ravel parvient à faire ressentir une véritable sensation de vertige _ oui _ au sein du dialogue instrumental. Prenons l’exemple des intervalles enivrants de la flûte, des ondoiements du violoncelle et le contraste sonore avec l’écriture obsédante des ostinatos du piano, au chiffre 3 de la partition : « tes caresses brûlent tous mes sens : arrête, ou je vais mourir. ». Et, de la même manière que le musicien avait fait croitre cette excitation, il parvient à intégrer un climat plus épuré (au chiffre 4 de la partition) dans lequel le piano adopte encore une fois un nouvel ostinato rappelant les inflexions du violoncelle au début. Constat de l’amant : « Le plaisir passe comme un éclair » _ post-coïtum… Cette première chanson se termine dans la douceur et dans une atmosphère rêveuse _ avec un puissant goût de revenez-y... _ semblable à celle du début, en mode de fa sur la.

Extrait de la première chanson du recueil : « Nahandove ».

« Aoua ! » … Cette autre chanson au titre suggestif _ de l’invention de Ravel ; l’expression n’existe pas chez Parny _ est la première des trois chansons écrite par Ravel sur le texte le plus politique _ en effet _ du recueil de Parny. Elle est donnée en audition privée en automne 1925 à l’hôtel Majestic de Londres, pour les invités d’Elizabeth Sprague-Coolidge (commanditaire de l’œuvre). Divers artistes participent à son interprétation : Jane Bathori (mezzo-soprano), Louis Fleury (flûte), Hans Kindler (violoncelle) _ l’intermédiaire d’Elisabeth Sprague Coollidge auprès de Ravel _ et Alfredo Casella (piano). Applaudie par une partie de l’auditoire, elle est cependant contestée, notamment par Léon Moreau, second prix de Rome en 1899, qui se montre indigné _ voilà _ par les propos anticolonialistes du texte choisi par le compositeur. Il n’hésite pas à s’y opposer de vive voix. Cette touche d’anticolonialisme, mouvement très jeune à cette époque, pouvait sembler ostentatoire sinon choquante aux yeux des plus conservateurs. Nous imaginons bien que Ravel, homme de gauche proche de Léon Blum _ mais oui ! _, était conscient de l’impact que pouvait avoir un tel texte déclamé en musique _ la mélodie était destiné en priorité à un auditoire américain… Sans doute était-il fier de l’engagement politique et militant de sa composition. En outre, il avait déjà le goût de la provocation _ au moins _ et _ peut-être, mais c’est moins sûr _ du scandale. Notée andante, la musique commence par la déclamation fortissimo (tutti) d’un cri de guerre (« Aoua ! ») _ soit le haka des Maoris ! _ que Ravel a ajouté _ voilà, de son initiative _ au texte de Parny. L’effet est absolument glaçant _ tout à fait !!!! et c’était déjà là l’intention du poème de Parny… _ et agit comme une mise en garde tonitruante _ voilà ! _ renforcée par l’utilisation « percussive » du piano _ à la Bartok _ qui résonne comme un gong. Assurément, les cinq premières mesures donnent le ton : « Aoua ! Méfiez-vous des blancs habitants du rivage ! ». Fracassantes, elles s’imposent à l’auditeur comme un titre, une identité _ tout à fait. Elles s’imposent également comme un réel présage _ oui : accompagnant l’avertissement prémonitoire du poème de Parny, en 1787 _ de l’ambiance du texte (et de la musique) à venir _ tout cela est très juste. Ravel y installe une atmosphère bitonale (le musicologue Christian Goubault parle même de bimodalité) ambiguë dans laquelle la voix et la main droite du piano en fa# contrastent avec le reste de la nomenclature en ut. Il instaure un climat ambigu, très sombre _ oui _, qui fait corps avec le texte chargé de rancœur _ voilà : Parny a connu cela d’expérience sur divers rivages de l’Océan indien. L’auditeur ne peut que se laisser absorber par l’histoire contée : « Du temps de nos pères, des blancs descendirent dans cette île ; on leur dit : Voilà des terres ; que vos femmes les cultivent. Soyez juste, soyez bons, et devenez nos frères. Les blancs promirent, et cependant ils faisaient des retranchements. ». L’ostinato au piano semble incantatoire _ oui _, renforcé par les quintes inlassables du violoncelle et les ponctuations languissantes de la flûte. Plus on s’avance dans la torpeur du texte et de la musique, plus la tension croît à travers le climat harmonique et l’amorce d’un crescendo e accelerando poco a poco : « leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu que nous ne connaissons pas ». Au chiffre 3 de la partition, la nomenclature s’emporte : « plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible » _ envers ces Blancs colonisateurs _, et croît de plus en plus vers le fortissimo. Climax de la bataille et de la partition avec le retour du cri de guerre plus tonitruant encore : « ils furent tous exterminés. Aoua ! Méfiez vous des blancs ! ». Cette nouvelle déclamation enchaîne sur un allergo feroce au chiffre 4. Accompagnée seulement par des harmonies au piano et des rythmes endiablés à la flûte, la voix annonce l’arrivée _ à venir _ de « nombreux tyrans, plus forts et plus nombreux ». La tension décroît enfin au molto ritenuto lié au départ des tyrans s’achevant sur un adagio au chiffre 5 : « Ils ne sont plus, et nous vivons, et nous vivons libres. » Dernière déclamation du cri de guerre cette fois-ci pianissimo, et, en guise de ponctuation de cette page si particulière, s’ajoute une ultime mise en garde languissante (« méfiez-vous des blancs, habitant du rivage. ») avant de terminer sur une basse sourde (sol-fa#) du piano (comme un gong).

Enfin, la chanson « Il est doux » ponctue ce cycle de mélodies. Il s’agit de la chanson la plus dépouillée et la plus épurée du recueil _ en effet. La voix y est quasiment nue, la nomenclature beaucoup plus discrète, la nuance beaucoup plus soutenue (elle oscille entre piano et pianissimo). Ravel y expérimente des sonorités tout à fait originales pour accompagner cet ultime texte. Relevons par exemple l’entrée du violoncelle en harmonique (sul ponticello), mesure 5, apportant un timbre précis voulu par le compositeur. Il instaure ainsi une atmosphère toute particulière inédite jusqu’alors au sein de ces chansons. Il vient s’insérer délicatement dans la phrase de flûte qui a débuté l’œuvre. Cela rappelle d’ailleurs l’intervention de la contrebasse (sul ponticello) qui accompagne les deux hautbois en quintes et quartes parallèles, au début de L’Enfant et les Sortilèges. Sur un tempo indiqué lento,une phrase langoureuse à la flûte enrichie par les harmoniques du violoncelle, évoque l’atmosphère dans laquelle le texte plonge l’auditeur : celle d’une fin d’après-midi étouffante de chaleur _ tropicale. La richesse sonore de ces deux lignes ouvre la dernière page de ce recueil. Ponctuées par des septièmes murmurées dans le registre aigu du piano, la voix fait son entrée au chiffre 1 de la partition : « Il est doux de se coucher durant la chaleur sous un arbre touffu ». Les lignes _ musicales _ écrites par Ravel frappent par leur originalité et leur dépouillement. La lenteur avec laquelle la musique se développe ramène l’auditeur captif vers l’atmosphère voluptueuse _ oui, oui _ du texte de Parny. La tonalité y est, à l’instar de « Aoua ! », également suspendue par moments.

Cette surenchère dans l’impression de vertige participe aussi à l’élaboration de ce monde extatique déjà évoqué. Le chant continue imperturbablement : « Femmes, approchez. Tandis que je me repose sous un arbre touffu, occupez mon oreille par vos accents prolongés. » Evidemment le choix de ce texte à tendance plutôt machiste _ oui _ n’est pas un hasard. Il s’agit d’une touche de second degré du compositeur face à laquelle la musique reste inébranlable et indifférente. L’humour était caractéristique de Ravel, et l’on retrouve au sein de sa musique beaucoup de touches de second degré _ en effet. Au chiffre 3 de la partition, nous pouvons observer un nouvel effet sonore ici presque percussif. Le violoncelle entre en harmonique en pizzicati tandis que le piano résonne doucement en fond. La flûte reprend un élément évocateur du caractère érotique déjà présent dans « Nahandove ». Il renforce l’étreinte suggérée par le texte et accentue la couleur extatique et enivrante _ lascive _ de la scène : « Que vos pas soient lents, qu’ils imitent les attitudes du plaisir et l’abandon de la volupté ». La venue du crépuscule conclut le texte. Au chiffre 4 de la partition (andante quasi allergretto), seul le piano, sur de longues harmonies douces et épurées accompagne la voix : « la lune commence à briller à travers les arbres de la montagne. »

Alors que tout semble terminé, le génie du second degré de Ravel intervient une dernière fois _ oui ! L’ultime phrase du poème de Parny, isolée du reste de la chanson, résonne (avec ses inflexions légèrement dédaigneuses et nonchalantes) _ tel le sprechgesang schœnbergien _ dans les trois dernières mesures : » Allez, et préparez le repas ».

Premières mesures de la troisième chanson du recueil : « Il est doux ».

Les Chansons madécasses forment un véritable chef-d’œuvre du répertoire de la musique de chambre _ oui ! _, et constituent la quintessence de l’art ravélien _ absolument. Elles sont dignes des plus importantes réussites du compositeur _ oui, oui. Il considérait d’ailleurs _ lui-même _ cette œuvre comme l’une des plus réussies de sa production, chose assez rare pour ce musicien parfois très sévère avec certaines de ses créations. Les Chansons madécasses furent données pour la première fois (dans sa version intégrale _ des 3 mélodies _ ) à l’Académie américaine de Rome le 8 mai 1926 avec Jane Bathori, Louis Fleury, Hans Kindler et Alfredo Casella, puis le 21 mai en Belgique en audition privée. La première en France eut lieu à Paris le 13 juin, salle Erard avec Urbain Baudoin à la flûte, succédant à Louis Fleury décédé le 10 juin à l’âge de 48 ans.

Nous ne pouvons qu’admirer l’architecture impressionnante et le minimalisme de cette œuvre _ oui. Sa modernité _ oui ! _ participe également à son chef-d’œuvre _ absolument. D’abord, du fait de son effectif inattendu, déroutant et peu commun _ demandé par le violoncelliste commanditaire Hans Kindler _, mais aussi, par-delà les timbres utilisés, du fait des sonorités recherchées par Ravel, des phrases et idées musicales, de la place de l’ostinato et de la suspension tonale qu’il suggère momentanément dans les deux dernières chansons.

Les sujets traités (érotisme et anticolonialisme) participent également de la réussite de cette composition _ c’est indéniable. Le musicien réussit à les fondre dans la musique _ oui _, et à en faire ressortir l’atmosphère avec une grande intensité _ c’est le mot juste. L’érotisme ambiant y est brillamment rendu _ ô combien ! et comment !! L’anticolonialisme et, donc, l’engagement politique du compositeur dans son œuvre, lui donne une couleur remarquable _ oui, aussi. La partie instrumentale nous plonge dans le décor évocateur des textes de Parny et renforcent le propos _ bravissimo !

Un peu trop délaissées par les interprètes _ mais oui : vraiment les attraper demeure en effet difficile _ et encore trop peu connues du grand public _ mais oui : elles sont assez peu enregistrées ; et rarement avec cohérence et justesse : Stéphane Degout, Janet Baker, selon moi… _ les Chansons madécasses méritent une écoute particulière _ absolument ! Elles figurent, au même titre que le Concerto en sol ou encore La Valse, au panthéon de la création artistique de Maurice Ravel _ j’y ajouterai pour ma part aussi Le Tombeau de Couperin Laissez-vous donc surprendre _ oui _ et enivrer _ oui, oui _ par la grâce et les charmes inouïs _ voilà ; qui rappellent celles des femmes des îles Marquises de Gauguin… _ de « la belle Nahandove ». Laissez-vous gagner par le tressaillement subtil _ oui _ que produisent l’ambiance sombre et la saveur polémique de  lascives étreintes de « Il est doux ». Vous en ressortirez en tout cas frappés, ravis et peut-être médusés par la musicalité _ oui  : prodigieuse ! sublime ! _ de cette œuvre. Mais surtout fascinés et enthousiasmés par la richesse évocatrice de cette perle rare des joyaux de la musique.

« Maint joyau dort enseveli

Dans les ténèbres et l’oubli

Bien loin des pioches et des sondes »

Baudelaire, Le Guignon


Photographie de Maurice Ravel chez lui, à Montfort-l’Amaury.

Bibliographie séléctive :

 

– Christian GOUBAULT, Maurice Ravel, le jardin féérique, Minerve, 2007.

– David SANSON, Maurice Ravel, Actes Sud, Collection « Classica », 2005.

– Hélène JOURDAN-MORHANGE, Ravel et nous, Editions du Milieu du Monde, 1945.

– José Bruyr, Maurice Ravel ou Le Lyrisme et les Sortilèges, Editions le Bon Plaisir, 1950.

– Manuel CORNEJO, Maurice Ravel – L’intégrale – Correspondance (1895-1937) écrits et entretiens, Le Passeur, 2018.

– Marcel MARNAT, Maurice Ravel, Fayard, 1995.

– Marcel MARNAT, Maurice Ravel – Manuel Rosenthal, souvenirs recueillis par Marcel Marnat, Hazan, 1998.

– ROLAND-MANUEL, Maurice Ravel et son œuvre dramatique, Editions musicales de la librairie de France, 1928.

– ROLAND-MANUEL, Ravel, Gallimard, 1948.

– Vladimir JANKELEVITCH, Ravel, Seuil, Collection « Solfèges », 1995.

 

Ainsi que l’article très détaillé et érudit « Chansons madécasses, modernisme et érotisme : pour une écoute de Ravel au-delà de l’exotisme« , de Federico Lazzaro,

in le Volume 3, numéro 1, 2016, de la Revue OICRM _ Revue de l’Observatoire Interdisciplinaire de Création et de Recherche en Musique de l’Université Laval _, paru le 16 mai 2016…

De bien belles analyses de ce chef d’œuvre si singulier et envoûtant de Maurice Ravel que sont ces 3 sublimes « Chansons madécasses« …


Ce jeudi 16 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Des oeuvres proprement jubilatoires d’Alexandre Tansman, issues (en 1927, 1933, 1937 et 1945) de ses très effectifs voyages de tournée (et séjours lointains) de par le vaste monde : une musique absolument emballante, et à nulle autre pareille !.. Et servie à la perfection par la sublime prestesse du piano enthousiasmant de l’italienne (des Pouilles) Maria Argenterio…

11mai

Et comme en réponse immédiate à mon article «  » d’hier vendredi 10 mai,

voici que j’ai réussi ce samedi  11 mai 2024 à mettre la main sur un exemplaire de ce CD « Tansman – Piano Music » de Maria Argenterio, dont je donnais dès hier un lien de podcast à l’intégralité (de 61′ 02) de ce CD Piano Classics  PCL 10260 : « proprement jubilatoire« , m’étais-je alors exprimé ! Et c’est absolument le cas !!!

Ce merveilleux CD, enregistré à Prato du 13 au 15 juin 2021, par Maria Argenterio, une artiste née en 1985 à Francavilla Fontana (province de Brindisi, dans les Pouilles), comporte des œuvres _ toutes constituées de pièces très brèves : remarquablemenr enlevées, avec une sublime prestesse ! _ de Tansman étroitement liées à ses voyages _ très effectifs ! _ de par le vaste monde,

et composées en 1927 (« Sonatine transatlantique« ),

1933 (« Le Tour du monde en miniature« ) _ de sublimes vignettes de paysages d’Hollywood, Honolulu, Nikko, Shanghai, Hong-Kong, les Philippines, Singapour, Penang, Bandoung, Bali, Ceylan, Bombay, Port de Soller à Majorque et enfin Naples… _,

1937 (« Trois Préludes en forme de blues« )

et 1946 (« Esquisses javanaises« ).

Enthousiasmant, vous dis-je !

Ce samedi 11 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

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