Sur une très fine _ comme à son habitude _ « lecture »
par Philippe Dagen
dans le Monde du 11 septembre
de l’expo Jeff Koons à Versailles
_ suite de mes articles précédents :
« Art et tourisme à Aix _ 1, 2, 3 et 4« ;
« Du tourisme _ suite _ une surfréquentation destructrice »
et « De Ben à l’Atelier Cézanne à Aix à Jeff Koons au château de Versailles« …
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« Philippe Dagen : Jeff Koons honore Louis XIV »
Le Monde 11.09.08 | 14h53
• Mis à jour le 11.09.08 | 18h43
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L’exposition Jeff Koons à Versailles a lieu jusqu’au 31 octobre 2008
Château de Versailles
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Voici ce remarquable article ; mes (modestes) « farcissures » se glissant ici en vert…
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Quinze œuvres de l’artiste américain Jeff Koons, 53 ans, sont disposées dans les appartements royaux du château de Versailles
tandis que « Split Rocker« , le monumental animal bicéphale recouvert de cent mille fleurs, trône dans les jardins.
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Il serait difficile d’ignorer l’événement, vu son orchestration médiatique.
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Les touristes n’ont du reste pas l’air surpris _ mondialisation (à commencer par médiatique) aidant, forcément un peu ! _, qu’ils viennent du Japon, du Brésil ou de l’est de l’Europe. Ils prennent immédiatement des photos des œuvres
_d’eux devant les œuvres de préférence _ le dispositif de « projection »-« introjection » (cf Mélanie Klein : « Essais de psychanalyse« ) fonctionnant à plein (cf Bernard Stiegler, passim _ dont “Prendre soin“).
Les jeunes couples posent devant le gros cœur rouge et or suspendu au-dessus de l’Escalier.
« Balloon Dog » _ le chien géant rose magenta _ et « Rabbit » _ le lapin géométrique argenté _ attirent les objectifs _ des touristes photographiant.
Des sourires et des rires dans la foule cosmopolite, des indignations, aussi, mais bien rares.
Koons ne fait pas vraiment scandale
_ et pour cause :
qui de ce public ne s’y reconnaît,
en ses repères, si je puis dire, « culturels » médiatiques (de « marques » dûment estampillées) mondialisés ?… Versailles devenant l’annexe (sur « circuit ») d’Euro-Disney, à Marne-la-Vallée,
avant passages _ ou le « retour d’Ulysse« , mais assez peu monteverdien, lui, à Ithaque
(ou à son « petit Liré » ; d’après un « beau voyage » par les « Antiquités de Rome » et « Regrets » _ de Joachim du Bellay ; ou de Julien Gracq, dans l’attristant « Les Sept collines« ) ;
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avant passages dûment réitérés par la case caddie /supermarché, ou la fidélité pénélopienne (cf les rêves de Molly Bloom au final de l' »Ulysse » de James Joyce) au quotidien… Tout se tient…
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Il _ Jeff Koons, l' »artiste » dont il s’agit ici, donc : « Koons ne fait pas vraiment scandale« _ n’y tient pas _ l’affluence des visiteurs et l’aura (planétaire) qui en découle, lui suffisant ! Il l’a répété _ et les faits lui donnent raison. Son goût pour le brillant et le pompeux s’accorde au décor des appartements.
Son « Autoportrait » en marbre blanc se dresse sur un socle en faux marbre vert de style à peu près Louis XV.
« Moon« , lune aux lueurs bleues, est à sa place à l’extrémité de la « Galerie des Glaces ».
Un grand vase de fleurs en bois peint est opportun dans la « Chambre de la Reine ».
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Entre la sirène de porcelaine qui étreint « la panthère rose » et les dames nues et dorées qui soutiennent les candélabres, une parenté se devine.
La porcelaine de « Michael Jackson and Bubbles » n’est pas plus dorée et étincelante que les ornements des portes et des corniches.
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Quand l’accord visuel est impossible, Jeff Koons et Laurent Lebon, commissaire de l’exposition, s’en sortent par une astuce. Les « aspirateurs », alors ultramodernes, que Koons superposait en 1981 dans des vitrines, occupent l' »Antichambre du Grand Couvert », sous le portrait officiel de Marie-Antoinette. Deux états de la condition féminine se font ainsi face. « L’Ours et le Policier » sont logiquement dans le « Salon de la Guerre » ; et le « Rabbit » ventripotent dans « celui de l’Abondance ». Le plus souvent, aucun heurt ne se produit entre le néopop de Koons et les décors royaux. L’artiste se glisse ici avec souplesse.
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C’est que la question de l’unité ne se pose pas seulement en termes visuels. Elle touche à la nature des objets qui se trouvent rapprochés.
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Pourquoi avoir, au temps de Louis XIV, si ostensiblement surchargé ses appartements de bronzes, marbres, peintures allégoriques, orfèvreries et argenteries ? Pour « démontrer » à ses sujets et aux autres nations _ à « méduser » _ la prospérité et la puissance de la monarchie française et imposer aux regards et aux mémoires leurs symboles.
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Que fait Koons, si ce n’est mettre en évidence des objets tout aussi symboliques ? Ils exaltent l’Amérique, son mode de vie, son culte du nouveau et de la richesse.
Les sujets ont changé,
les procédés se ressemblent _ soit, au-delà de l’Histoire, une leçon d' »Histoire de l’Art » ; à moins que ce ne soit l’inverse.
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A Versailles, au temps de Louis XIV, ce sont les codes de la mythologie antique _ cf Philippe Beaussant : « Louis XIV artiste » : un livre merveilleux de justesse et d’agrément pour le lecteur, autant que d’érudition (passionnément instructive) _ qui ont servi.
Koons, lui, se sert des codes d’Hollywood et de la publicité, du kitsch populaire et de la consommation courante.
C’est l’essentiel de son entreprise _ le terme est d’une justesse absolue _, dont ne sont montrés ici que quelques exemples parmi bien d’autres. Depuis les années 1980, non sans méthode ni logique, il met en scène la société dans laquelle il est né. On peut la juger sévèrement, la dire simpliste et parfois stupide. Mais Koons a le mérite _ en est-ce donc vraiment un ? _ de donner à en voir la vérité, avec une candeur et une ardeur qui laissent parfois perplexe _ tiens donc !..
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Il ne crée pas des formes _ tel n’est en rien son but. Il s’empare de formes connues
_ les plus connues possible (of course !!! c’est là un commentaire de ma part…) _
et les magnifie
_ est-ce le terme adéquat ? la lisibilité jusqu’à la boursouflure mérite-t-elle le qualificatif de « magnificence » ?… _
par l’agrandissement, le matériau de prix, le socle ou la vitrine
_ tout ce qui améliore la « visibilité » : peu y échappent, en de tels dispositifs politico-médiatiques, si efficacement financés et « machinés » !..
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Mais reprendre les figures de Diane, de Mars ou d’Hercule à la fin du XVIIe siècle, était-ce si différent ?
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Lire, en plus de Philippe Beaussant, les conseils de Louis XIV lui-même pour gouverner (au Dauphin : « Mémoires pour l’instruction du Dauphin« )…
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Les artistes de Versailles, accomplissant un programme politique et propagandiste
_ on ne saurait mieux dire, cher Philippe Dagen _
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les artistes de Versailles, accomplissant un programme politique et propagandiste
_ donc,
issu, via Mazarin, d’Urbain VIII Barberini (et des galeries des Palazzi et Ville romaines : à cet égard,
la référence au Baroque est on ne peut mieux « venue », en effet, de la part de Jeff Koons _,
n’ont rien inventé, reprenant des thèmes
_ et procédés, me permettrai-je d’ajouter à Philippe Dagen _
usés
_ mais « relancés » par le Baroque, via les labyrinthes moins lisibles du maniérisme _
depuis la Renaissance
_ cf la splendeur de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine.
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Ils leur ont conféré une efficacité
_ c’est tout le jeu
(politico-médiatique, au service de la « Propagande de la Foi », à l’ère de la Contre-Réforme),
du « baroque » barberinien _ d’Urbain VIII _, précisément !!! _
irrésistible
_ c’est là un terme crucial _
en accomplissant des prodiges techniques nouveaux et ruineux.
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L’intrusion des objets à la fois si triviaux et si luxueux de Koons dans le château
rend cela soudain bien plus sensible
_ voilà bel et bien, en effet, l' »effet » visé et sans doute obtenu par cette exposition Koons à Versailles.
Elle fait regarder avec moins de respect
_ coucou « L’art m’emmerde ! » de Ben (et Érik Satie)
au seuil de l' »Atelier Cézanne » d’Aix-en-Provence !… _ ;
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elle fait regarder avec moins de respect
ce qui les entoure _ qu’est ce qui ici, par ce « dispositif », est « décor » ? _,
ces productions prestigieuses et convenues
_ à commencer par les kilomètres d’allégories de Lebrun aux murs et aux plafonds :
à Versailles, comme dans les palais romains
(qu’on aille admirer, le samedi matin seulement, la spendide galeria du Palazzo Colonna !…) _
qui déclament la gloire du roi,
nymphes en série, mètres de moulures dorées, glaces si précieuses.
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Il y a là une certaine conception de l’art et de sa fonction,
celle de l’art qui aspire à éblouir et à fasciner le plus grand nombre,
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la foule des sujets autorisés à pénétrer à la cour
_ hier :
Louis XIV y tenait beaucoup !
Louis XV (dans les petits-appartements)
et Louis XVI (dans la serrurerie) l’ont fui !… _,
le cortège des touristes autorisés à y piétiner
_ amenés en foules compactes par tours operators _
à leur tour
_ aujourd’hui.
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Cette conception, on peut s’en méfier
_ esthétiquement
(pour ce qu’il en est de la beauté _ des critères de légitimité artistique) ?
politiquement
(pour ce qu’il en est de la justice _ des critères de légitimité politique ?) _,
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d’autant que son efficacité
_ un critère régnant on l’a appris au moins depuis 1532 (date de la publication du « Prince« de Nicolas Machiavel _ 1469-1527 ; « Le Prince » a été écrit en 1513…) _
est certaine.
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L’exposition Koons à Versailles en est la manifestation récente la plus explicite.
En ce sens, elle est remarquable.
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Titus Curiosus
lisant Philippe Dagen ce 12 septembre 2008
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Exposition Jeff Koons à Versailles, château de Versailles, Versailles (Yvelines).
Tous les jours, de 9 heures à 18 h 30, jusqu’au 31 octobre.
( et jusqu’à 17 h 30 ensuite)
Nocturne les samedis de 18 h 30 à 22 heures. Entrée : 13,50 €.
Jusqu’au 14 décembre.
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