Pour mieux connaître les Fresson…
26nov
Pour pénétrer un peu davantage les secrets des merveilleux « Tirages Fresson » de Bernard Plossu,
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ce superbe article de David Lefebvre, en 2017 :
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« Tirage Fresson : le secret d’une famille de maîtres tireurs« .
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Plossu, Faucon, Batho, Metzner et des milliers d’autres… Tous ont choisi le tirage Fresson pour donner vie à leurs images. Tous ont choisi la couleur au charbon. Nous avons été reçus dans l’un des laboratoires de tirage les plus emblématiques de la photo argentique, par le dernier détenteur d’un des secrets les mieux gardés de la photographie. Rencontre avec Jean-François Fresson, l’héritier.
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« Si le procédé Fresson n’existait pas, je ne ferais pas de couleur« … C’est avec cette déclaration de Bernard Plossu en tête (recueillie durant notre entretien l’été dernier aux Rencontres d’Arles) que nous roulions vers Savigny-sur-Orge, ville de résidence de l’atelier Fresson. Savigny… Une banlieue pavillonnaire comme il en existe des centaines d’autres en Île-de-France. Je ne sais pas à quoi je m’attendais en arrivant sur place, mais je vous avoue sans peine mon trouble : « Mon GPS m’aurait-il joué des tours ? Le numéro est pourtant le bon… » À quoi m’attendais-je ? une fanfare ? des panneaux électro-luminescents indiquant que l’un des ateliers de tirage les plus mythiques de l’histoire de la photographie était caché derrière le pavillon 21 ? Rien ne laisse supposer que l’on est sur le point de pénétrer dans l’antre d’une légende… et pourtant.
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Jean-François nous accueille avec le sourire et, d’emblée, je lui demande qu’il me parle de son ventre, de ses tripes. J’aborde à dessein la question de sa passion sous cet angle, car c’est comme ça que j’avais commencé mon entretien avec Bernard Plossu. Jean-François me toise et me dit que « la passion est venue après coup, lorsque la mécanique s’est installée à force de savoir-faire », mais qu’il a fallu beaucoup travailler.
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« Aucun membre de ma famille n’a eu le choix ; quand on remonte dans le temps, mon arrière-grand-père _ Théodore – Henri Fresson _ était un inventeur bizarre, un type qui inventait des trucs et ne les déposait pas. Il ne se souciait pas de ça, ça l’amusait. Mon grand-père _ Pierre Frresson _, lui, s’est retrouvé avec une famille à nourrir, un procédé, le dépositaire d’un secret de famille. Pour le faire perdurer, il est venu en région parisienne et il a fallu aller vers la couleur, parce que c’était dans l’air du temps. »
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Je suis un peu surpris : j’ai l’impression que Jean-François Fresson m’emmène sur le terrain du labeur plus que celui de la mythologie. Décidément, la fanfare ne semble pas venir, mais j’écoute avec attention. C’est lui maintenant, le dernier dépositaire. « Je ne sais pas si on peut parler de passion : mon père _ Michel Fresson _ ensuite a pris la suite de son père, il a commencé à travailler avec lui à 15 ans… C’était vraiment le truc de la famille, dans les gènes, mais il n’a jamais eu l’opportunité de faire autre chose non plus. On a toujours baigné dedans, c’est un peu comme une passion obligée et un challenge. » Jean-François m’avoue d’ailleurs qu’au début, sa passion à lui, c’était le cirque. Mais une fois ses études terminées, il a fallu choisir entre reprendre l’affaire familiale, et le cirque. Le problème étant que dans ce milieu, quand on ne vient pas soi-même d’une famille bien implantée, c’est très difficile. (Si vous souhaitez avoir plus de détails sur les coulisses de cette profession, je vous invite très sérieusement à contacter Arthur Azoulay, oui, notre rédacteur en chef adjoint, qui s’y est frotté.)
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Des années plus tard, la donne a changé. Comment survivre dans l’opulence de la photo dématérialisée ? Quid des matières premières, des commandes des clients ? « Réaliser ce procédé est un défi : il n’y a plus de matière première. Au début de ma carrière, j’avais 30 références de papier à proposer à mes clients ; désormais j’en ai 3, en tout et pour tout ! Ilford HP5 et FP4, Rollei et Fomapan sont les seules références qui nous restent. On a fait plein de tests avec plein de papiers différents… mais n’oubliez pas qu’il faut que le papier soit capable de rester des heures dans l’eau sans bouger. » Par ailleurs, Jean-François déplore aussi l’exigence des clients. Ils sont de plus en plus difficiles, ils veulent des tirages parfaits. Habitués à regarder nos images sur un écran d’ordinateur, nous avons a un peu perdu cette notion d’imperfection liée à l’argentique et au hasard du procédé. « J’ai passé il y a peu 2 heures à expliquer le processus inhérent à notre procédé à un photographe allemand plutôt en vue. On fait un test avec une de ses épreuves. Il est satisfait, mais me dit qu’il souhaiterait un quart de jaune en moins. Nous avons arrêté là. Il n’avait pas compris _ voilà. Le procédé, on peut le guider, on peut adapter, mais ça, on ne peut pas le faire. »
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À ce stade de notre discussion, je me rends compte que si la fanfare ne vient pas, Michel Fresson, dans le fond de l’atelier, est, lui, bien en train de composer sa musique journalière. Retraité, il est encore au travail et aide désormais son fils _ Jean-François Fresson. Non comme un sacerdoce, mais pour la maîtrise d’œuvre _ voilà _, pour cette musique quasi religieuse du travail artisanal _ voilà. Aurais-je demandé à un luthier, un ferronnier ou un verrier s’il était passionné par son travail ? Probablement, mais là n’est pas le plus important. Le plus important est l’amour du travail bien fait _ oui. De ces mains qui manipulent le papier, de cette eau qui dépouille le charbon, de cette application de la gomme bichromatée.
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Mais en fait, c’est quoi le procédé Fresson, au juste ?
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Bienvenue en 1899.
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Le procédé papier satin Fresson monochrome naît grâce à l’ingéniosité de Théodore-Henri Fresson, qui présente à la Société française de photographie en 1899 des épreuves photographiques tirées sur un papier au charbon qui se développe sans transfert. La technique consiste à préparer son papier au moyen de plusieurs couches de sensibilités différentes. L’atelier Fresson met en vente des feuilles de papier pré-enduites et prêtes à l’emploi pour les amateurs éclairés. Le papier fourni existant en plusieurs teintes, différentes intensités sur différents supports offrent une multitude de combinaisons et des résultats variés.
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Ensuite, le procédé papier Fresson quadrichrome est une application en couleur du tirage au charbon. Il est mis au point par Pierre Fresson en 1952, à partir des techniques développées par son père _ Théodore – Henri _ pour les tirages monochromes. La méthode consiste en une décomposition des couleurs de l’image par tirage contact sur des plans-films noir et blanc, avec un filtrage permettant la sélection successive de chacune des couleurs complémentaires. Chaque plan-film est ensuite tiré par agrandissement sur un papier cartoline émulsionné de pigments sensibilisés (cyan, jaune, magenta et noir). Entre chaque tirage, le papier est dépouillé et séché. Les couleurs sont obtenues par synthèse soustractive, comme dans le monde de l’édition ou de l’impression couleur en photographie numérique. Ici cependant, le procédé se distingue par le fait que la succession de tirages remplace l’encrage.
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Tout le mystère _ voilà _ du tirage Fresson réside dans cette émulsion verdâtre, mélange de bichromate et de pigments savamment gardé secret de génération en génération. Mieux encore, c’est surtout la machine qui permet de l’étaler qui est secrète, et la façon de répandre l’émulsion. « Mon arrière-grand-père a inventé une machine qui était capable de répandre l’émulsion à la surface du papier de manière régulière. Et les concurrents n’ont jamais réussi _ voilà _ à créer une machine capable d’émulsionner de la même façon des feuilles de 72 cm par 100. On a essayé avec des essoreuses, des pinceaux, ça ne fonctionne pas. Et on serait bien en peine de la refaire : les matériaux n’existent plus, elle date de la fin du 19e. »
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L’agrandisseur non plus n’a pratiquement pas changé. Il faudra exposer l’image 4 fois 40 minutes pour imprimer successivement le bleu, le rouge et le noir.
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Pour simplifier notre affaire, la formule doit être réadaptée chaque jour en fonction de l’hydrométrie, de l’électricité statique ou de la chaleur. Le procédé étant très hasardeux _ voilà _, il faut savoir intervenir pour faire varier les densités, le contraste ou les couleurs. Ensuite viennent les retouches finales, 100 % manuelles. Ainsi chaque tirage Fresson est une pièce unique, inimitable, irreproductible _ voilà. Sans doute l’une des raisons pour lesquelles ce procédé jouit d’une aura extraordinaire dans le monde entier _ oui.
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À la question de savoir qui sont les clients de l’atelier Fresson aujourd’hui, Jean-François nous répond qu’ils sont constitués pour un tiers d’habitués, pour un tiers des anciens ou des curieux, et pour un tiers des jeunes, des amateurs qu’on ne connaît pas, qui ne sont pas reconnus par la profession, mais qui ont envie de se faire plaisir. D’ailleurs, il ne faut pas être pressé pour voir ses images apparaître sur le papier Fresson : un délai d’un mois et demi _ pas moins ! _ est requis. Rien d’étonnant à cela, quand on sait que pour une série, il faut compter au minimum cinq bonnes journées de travail !
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Malheureusement, il est de plus en plus difficile de travailler. Lorsque je demande à Jean-François s’il s’est assuré une relève, il me répond : « Après moi le déluge ! Je n’ai pas d’enfant _ Ah ! _ et si j’en avais eu un j’aurais préféré le noyer plutôt que de le pousser à reprendre ce boulot ! » Un point de vue radical, qui souligne bien la difficulté des conditions de travail. Non pas que la clientèle soit rare (même si évidemment ça n’a plus rien à voir avec les années 1990), mais c’est devenu extrêmement difficile de se fournir, d’obtenir des matières premières.
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Et Jean-François de revenir sur notre problématique passionnelle en début d’entretien : « Aujourd’hui, plus que de parler de passion, on pourrait parler d’un amour pour le travail bien fait _ simplement. Aujourd’hui, tout ça, c’est un challenge. Quand on nous demande par exemple de faire une imitation de Polaroïd Polapan, on recherche de nouvelles formules, on passe notre temps à inventer de nouvelles techniques, pour que le procédé soit en accord avec les volontés du photographe. Après Fresson, il y aura sans doute une autre histoire, un autre monde. Je regarde beaucoup ce qui se fait sur Instagram. D’un côté on a clairement affaire à un monde aseptisé, avec des retouches où tout le monde a de grands yeux, une peau lisse ; de l’autre côté, il y a de super photographes, une vraie créativité. » Un peu comme chez vous, rétorqué-je. « Sans doute, me répond Jean-François, mais nous ne fonctionnons pas pareil. Ici il y a encore beaucoup de hasard. Si par exemple vous m’apportez un film, avant de commencer, on va faire deux essais, parce que ça peut ne pas vous plaire, il faut qu’on voie comment le procédé interagit avec vos photos… Nous avons une ligne directrice, et nous passons notre temps à faire des oscillations pour adapter, interpréter les formules, les pourcentages pour la gomme, les pigments, etc. Les matières ont changé, donc forcément, on s’adapte. »
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Pour finir, nous regardons la grille des tarifs de l’atelier et je constate avec étonnement que les prix pratiqués ne sont vraiment pas si élevés, eu égard à la technique, au temps passé et au mythe. « Je sais que je ne suis pas assez cher ! Tout le monde me le dit. Mais même dans les années 1990, quand on tournait à plein régime et qu’il fallait que j’augmente mes tarifs, j’a refusé, parce que je me disais que si je le faisais, je n’allais plus travailler qu’avec une toute petite partie de photographes argentés, mais peut-être pas aussi créatifs, et laisser de côté tous les jeunes qui ont envie de se faire plaisir et qui sont plein d’idées. Non merci ! » _ c’est magnifique !
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C’est sur ces derniers mots, le cœur gonflé par cet élan philanthropique et la certitude qu’un jour, moi aussi, je me ferai tirer un 40 x 60 cm par l’un des derniers maîtres tireurs au monde, que je quitte le pavillon de Savigny. Je n’avais plus besoin d’attendre plus longtemps la fanfare ; j’ai bien compris que la symphonie se jouait en quatre couleurs ou quatre temps, c’est selon, sobrement, discrètement, et dans le sérieux d’un atelier où seul compte le savoir-faire des hommes de labeur et de cœur _ oui, et c’est fondamental…
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La technique du tirage Fresson
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« Sur un papier de type cartoline photographique, non baryté et sans retrait, émulsionné en pigment cyan sensibilisé puis séché, est effectué par agrandissement le tirage du premier monochrome primaire correspondant à l’image négative de sélection opérée sous filtre rouge. Après dépouillement du premier monochrome primaire, le papier est séché puis émulsionné en jaune, puis sensibilisé et exposé par agrandissement sous le plan-film noir et blanc, sélectionné sous le filtre bleu. Ce monochrome jaune, superposé au cyan est dépouillé. L’épreuve est émulsionnée avec le dernier pigment primaire magenta, sensibilisée, puis exposée par agrandissement au plan-film noir et blanc exposé sous filtre vert. L’émulsion pigmentaire est dépouillée et, à ce stade, sont déposées sur le support trois émulsions primaires, opérant la synthèse totale des couleurs par sélection soustractive trichrome (le cyan, le jaune, le magenta, combinés entre eux en proportion infiniment variable, reconstituant l’ensemble des couleurs visibles). Du fait de l’imperfection systématique de tous les pigments colorants primaires (par exemple le pigment cyan, neutre en théorie, réfléchit un peu les radiations rouges) et identiquement à tous les procédés photomécaniques couleur d’imprimerie de qualité, est déposé sur les grandes ombres (cyan, magenta et jaune superposés en densité convenable, ne devraient plus réfléchir la lumière en théorie, mais en pratique, on constate la présence d’une forte dominante généralement brunâtre affectant les grandes ombres) un pigment noir destiné, par son pouvoir couvrant, à augmenter et neutraliser ces grandes densités. L’épreuve trichrome est donc émulsionnée en pigment noir, sensibilisée et exposée par agrandissement sous le plan-film noir et blanc de séparation sous filtre dense jaune-vert des grandes densités de l’inversible couleur. L’épreuve quadrichrome subit son dernier dépouillement. Après un long lavage afin d’éliminer toute trace de bichromate, l’image est séchée à l’air libre, puis passée sous une presse chaude. Vient ensuite une repique très minutieuse, parfois accompagnée de retouche. L’image est recouverte d’une couche légère de gélatine de finition qui la protégera. »
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Source : « La technique du tirage Fresson » (sur le site de l’atelier)
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Pour aller plus loin :
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L’histoire de l’atelier (sur le site de l’atelier Fresson)
Bernard Plossu / Couleurs Fresson (sur YouTube)
Glossaire : le tirage Fresson en quadrichromie (sur Paris Photo)
Comment dépouiller une gomme bichromatée (sur YouTube)
Les Maîtres du tirage (sur Cinq26)
Explication du tirage quadrichrome au procédé charbon direct (sur Wikipédia)
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Ce jeudi 26 novembre 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa