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De la latitude de faire comprendre la complexité de l’Histoire : l’éclairante conférence d’Emmanuelle Picard à propos de « La Fabrique scolaire de l’Histoire »

27mar

Jeudi soir dernier, 25 mars 2010, Emmanuelle Picard est venue présenter, dans les salons Albert-Mollat, le travail collectif qu’elle a co-dirigé, avec Laurence De Cock, et publié au sein de la collection « Passé & Présent » des Éditions Agone, et sous l’égide du « Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire« , intitulé La Fabrique scolaire de l’Histoire _ ouvrage sous-titréIllusions et désillusions du roman national.

L’enregistrement écoutable et podcastable de cette conférence, avec la participation d’Alexandre Lafon, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard-Palissy d’Agen et doctorant en Histoire, et Éric Bonhomme, professeur d’Histoire en Khâgne au Lycée Michel-Montaigne de Bordeaux et président de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie d’Aquitaine ; et modérée par Francis Lippa, philosophe, dure 67 minutes.

Emmanuelle Picard est chargée de recherche au Service d’Histoire de l’Éducation de l’Institut National de la Recherche Pédagogique, à l’École Normale Supérieure. Elle a participé tout récemment à un important travail collectif européen _ qu’elle a très opportunément cité, et auquel elle a renvoyé, au cours de sa conférence _ : Atlas of the Institutions of European Historiographies _ 1800 to the Présent, publié aux Éditions Palgrave MacMillan, à Londres, en 2009 ; une référence à prendre en note : afin d’en faire usage !

Avec une magnifique clarté, ampleur et profondeur de vue,

Emmanuelle Picard nous a présenté les tenants et les aboutissants de ce travail collectif de huit chercheurs

_ Marc Deleplace (Comment on enseigne la Révolution française _ Quelques questions à l’écriture scolaire de l’Histoire),

Benoît Falaize (Esquisse d’une théorie de l’enseignement des génocides à l’école),

Charles Heimberg (Constructions identitaires et apprentissage d’une pensée historique _ L’Histoire scolaire en Suisse romande et ailleurs),

Évelyne Héry (Le Temps dans l’enseignement de l’Histoire),

Françoise Lantheaume (Enseignement du fait colonial et politique de la reconnaissance),

Patricia Legris (Les Programmes d’Histoire dans l’enseignement scondaire),

André Loez (La Fabrique scolaire de la « culture de guerre »)

et Marie-Albane de Suremain (Entre clichés et Histoire des représentations : manuels scolaires et enseignement du fait colonial) _,

présenté par les deux co-directrices de l’ouvrage Laurence De Cock (Avant-Propos ; II Quelle place pour les acteurs historiques dans l’Histoire scolaire ? Des prescriptions officielles aux manuels ; III Entre devoir de mémoire et politique de la reconnaissance, le problème des questions sensibles dans l’école républicaines et IV Pour dépasser le roman national) et Emmanuelle Picard (I Programmes et prescriptions : le cadre réglementaire de la fabrique scolaire de l’Histoire ; II Quelle place pour les acteurs historiques dans l’Histoire scolaire ? Des prescriptions officielles aux manuels et IV Pour dépasser le roman national ),

et pourvu d’une préface de Suzanne Citron (Un Parcours singulier dans la fabrique scolaire).

J’en ai d’abord retenu l’importance de la latitude plus ou moins accordée _ en marges de temps données et en diversité d’intensité de pression de l’étendue des programmes et autorité des prescriptions imposées _ aux professeurs d’Histoire (aux divers échelons de l’institution scolaire, mais principalement, ici, aux lycées et collèges)

et cela en fonction de la qualité _ parfois menacée ! _ de leur propre formation _ passée, certes (au moment de leurs études et de la préparation des concours de recrutement), mais aussi continuée ! _ universitaire

afin de leur permettre,

pas seulement de faire connaître et d’expliquer _ plutôt que de faire croire ou de faire savoir, au sens de « communiquer«  seulement ; comme tend à y inciter une instrumentalisation pressée (et pas assez authentiquement démocratique ! cf par exemple le livre de Nicolas Offenstadt L’Histoire bling-bling _ le retour du roman national, aux Éditions Stock)… _,

mais bien de faire comprendre, et dans toute sa complexité _ du moins en la respectant suffisamment, eu égard aux impératifs de transmission et de vulgarition des connaissances historiographiques mêmes, scientifiques (= celles des historiens eux-mêmes) _ ;

de faire comprendre, donc,

à leur élèves _ dans la diversité (et parfois grande hétérogénéité) de la composition des classes _

avec clarté,

mais sans simplifications abusives, ni généralisations faussement simplificatrices,

le sens (riche) du devenir historique collectif de l’humanité,

des hommes regroupés en États et Nations entretenant des rapports complexes, et souvent tragiquement (= violemment) conflictuels…

Et en s’efforçant de décentrer l’approche de cette intelligence (enseignée) du devenir collectif

de perspectives un peu trop nationalement centrées _ les échanges de la conférence ont confronté un traditionnel (et conservateur) franco-centrisme à un certain européo-centrisme (en chantier) ; mais aussi à une « global history« , ou, mieux, une « world history« _,

au profit d’une intelligence un peu plus critique _ ainsi qu’auto-critique ; ce qui n’est pas le plus facile… _ des propres représentations de départ de chacun (= représentations d’abord reçues et idéologiques : ce n’est certes pas une nouveauté à notre époque ; mais le poids des instruments de communication et de propagande leur procure une force d’impact d’autant plus considérable qu’inaperçue et reçue naïvement, sans assez d’interrogation ni de débat critiques)…

Tout cela demande, sinon beaucoup de temps (= d’heures d’enseignement pour la discipline), du moins une marge de latitude _ pédagogique : dans la conduite de l’heure de cours _ suffisante de l’enseignant afin de permettre

et avec une qualité suffisante

l’activité de l’effort de compréhension des élèves eux-mêmes,

dont l’attention et la curiosité _ c’est capital ! _ doit être mobilisée par l’enseignant en sa classe

au-delà de ce qui n’est que le travail _ de base _ du faire connaître, de l’expliquer

la complexité, déjà, du jeu des causes et des effets,

sans inciter à faire penser et/ou croire une détermination univoque et téléologique de ce devenir collectif des hommes

qu’est l’Histoire historique elle-même _ = l’objet même qui doit essayé d’être éclairé et compris par la discipline historienne.

Dans cette marge de latitude orientée vers le faire comprendre,

la part du questionnement _ épistémologique _ des historiens au travail (en amont, donc, de l’enseignement de la discipline de l’Histoire à l’école, par les professeurs d’Histoire en leurs classes _ et les professeurs devant impérativement y accéder eux-mêmes autrement qu’à travers des résumés rapides ! _),

n’est pas mince ;

ni celle des débats historiographiques _ Emmanuelle Picard l’a fort justement et très clairement évoquée à partir des exemples de la pratique scolaire de l’Histoire dans l’Allemagne d’aujourd’hui ; ou en Suisse romande, avec l’accent mis sur la préoccupation, aussi, des compétences à former des élèves _

au-delà de la seule érudition (à partager, donner, diffuser auprès des élèves)…


On voit bien la nature ici de ces enjeux pédagogiques
_ et au-delà d’une didactique plus ou moins mécanicienne ; ou du stress, tant des professeurs que des élèves…

Voilà ce à quoi le regard éminemment compétent, tant sur les enjeux pédagogiques (et citoyens) que de connaissance

et lumineusement éclairant _ et vivant ! _

d’Emmanuelle Picard

nous introduit

et dans le livre La Fabrique scolaire de l’Histoire qu’elle a et co-dirigé, avec Laurence De Cock, et publié dans la collection « Passé & Présent » aux Éditions Agone,

et dans cette belle et claire conférence donnée dans les salons Albert-Mollat jeudi 25 mars dernier ; et désormais écoutable par tous…

Merci à elle ! ainsi qu’à tous ceux qui ont été ses interlocuteurs…


Titus Curiosus, ce 27 mars 2010

Post-scriptum :

En un courriel à Emmanuelle Picard, j’ai apporté quelques précisions à cette idée de « latitude«  (à « faire comprendre la complexité de l’Histoire« ).

Le voici, tel quel :

Mon article est rapide et circonstanciel et ponctuel ;
je n’ai retenu qu’un trait : celui de la « latitude » (de).
Mais il est pour moi crucial…

La « latitude » (de), est un pouvoir ; une liberté (de pouvoir faire, ou ne pas pouvoir)…

Il me semble que c’est sur cela que vous avez voulu mettre l’accent dans votre regard
sur le « jeu » entre les programmes (prescriptifs, parfois jusqu’à l’autoritarisme…
_ eu égard aux horaires draconiennement fixés, tout particulièrement !..) et la marge de manœuvre du professeur
comme auteur de sa pratique d’enseignement…


C’est en cela qu’au-delà du concept de « roman national » (d’après Pierre Nora, vous l’avez rappelé _ dans le livre aussi, déjà : cf page 153 et suivantes ;

vous renvoyez aussi, en note, page 202, à votre article du n°113 de la revue « Histoire de l’Éducation« , en janvier 2007 : « Quelques réflexions autour du projet de l’European Science Foundation : « Representations of the Past : The Wrinting of National Histories in Europe« ),
c’est le concept de « récit » qui dérange au sein de la pratique pédagogique…

Mais vous avez bien distingué ce qui ressort de la connaissance en tant que telle, voire de l’érudition _ y compris chez les élèves _
et ce qui ressort des « compétences » à former ;
les unes allant, aussi, avec les autres…


Je n’ai pas pris le temps de développer des remarques là-dessus (le « récit« ), me contentant d’une allusion trop elliptique à l’œuvre de Ricœur ;
de même que je n’ai pas posé une question précise là-dessus _ ce que j’aurais fait si je n’avais pas eu à partager le questionnement avec mes collègues Alexandre et Éric… _ ;
mais ce moyen, voire cet objectif (pédagogique)-là fait problème pour le développement et la formation même de l’esprit critique des élèves,
face au cours et à ce qu’il donne à organiser (et connaître, expliquer et comprendre) des faits historiques…

Mais l’objectif de pareille conférence est principalement de donner le goût d’aller lire le livre dont il est question ;
de même que l’objectif du livre est de faire réfléchir et (se) questionner…

Et sur ces objectifs dynamiques, il me semble que nous avons été assez « positifs« ,
dynamisants…

La « latitude » est capitale, donc…
Chez le professeur, comme chez l’élève (et l’historien même).
Bref, chez l’homme.
Elle est gestuelle, physique
_ comme mentale.

Sur la spatialité et la joie qui s’y déploie, répand, étale, éclate,

cf le très beau livre de Jean-Louis Chrétien La joie spacieuse _ essai sur la dilatation

Bien à vous,

Titus

P.s. : vous ai-je parlé de « Versant d’Est » de Bernard Plossu (consacré au Jura, pour une expo à Besançon) :
il est superbe…
Poétique…

Pour explorer l’espace-temps (selon Elie During) : l’apport du physicien Bernard d’Espagnat sur le questionnement de ce qu’est le « réel »

24avr

Et pour appréhender un peu davantage (ou mieux) à partir de quel espace-temps Elie During pense « A quoi pense l’art contemporain ?« ,

voici,

tout frais (de parution),

le dernier article, précisément intitulé « Dernières nouvelles du réel » _ sur le site nonfiction.fr _, d’Elie During

qui nous découvre « l’état des lieux » (-« état des temps« ) le plus récent de la réflexion physique et philosophique quant au statut (métaphysique) de ce « réel » même

_ à connaître ? à sentir ? à expérimenter ? ou seulement « penser » ; voire croire, plus ou moins rationnellement… :

à partir des « Entretiens » entre Bernard d’Espagnat et Claude Saliceti, en leur « Candide et le physicien« , à paraître le 30 avril, dans une semaine …

 Suite à un échange de mails,

que je me permets de donner, pour l’essentiel,

dans la mesure où il n’exprime rien de strictement personnel…

De :  Titus Curiosus

Objet : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 17 avril 2009 13:55:52 HAEC
À :   Elie During

Cher Elie,

J’ai rédigé un article sur mon blog à propos de ta conférence du 7 avril dernier au CAPC :

« Elégance et probité d’Elie During _ penseur du rythme _ en son questionnement “A quoi pense l’art contemporain ?” au CAPC de Bordeaux« 

J’y ai joint (en post-scriptum)
ton article « Intermondes« 
(farci de quelques commentaires miens) ;

l’œuvre (de Tatiana Trouvé) que tu y évoques
a-t-elle été montrée à Miami

puisque cet article a été publié dans le numéro 7 de Bing,
au moment même de l’exposition « Time Snares » à la galerie Emmanuel Perrotin de Floride ?

Je peux modifier mon article à tout moment !
Si quelque chose ne convient pas,
ce ne m’est pas difficile…

Bien à toi
(et à Bergson _ sur l’œuvre duquel Elie During travaille _
_ nous avons invité Frédéric Worms à la « Société de Philosophie de Bordeaux« ,
du temps de la présidence de Guillaume Le Blanc : ce fut une excellente conférence,
et un repas très convivial,
as usual…)


Titus

Frédéric Worms, quant à lui, est Professeur de philosophie à l’Université de Lille 3 et directeur du Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine à l’ENS (Paris). Ses travaux portent sur l’œuvre de Bergson

(outre « Bergson ou les deux sens de la vie« , aux P.U.F., en 2004, son dernier livre « bergsonien«  paru est (toujours aux P.UF., en novembre 2008, et avec Jean-Jacques Wunenberger) : « Bachelard et Bergson : continuité et discontinuité ? Une relation philosophique au coeur du XXème siècle en France« )

autour duquel il anime diverses entreprises collectives :

rédacteur des Annales bergsoniennes (trois volumes parus, PUF, coll. Epiméthée),

il est également responsable de l’édition critique de Bergson aux PUF,

et président de la « Société des amis de Bergson« .

Réponse d’Elie During, un peu plus tard :

De :   Elie During

Objet : Rép : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 22 avril 2009 22:13:28 HAEC
À :   Titus Curiosus

cher Titus,

avant de m’envoler vers les Amériques pour (une affaire personnelle), je voulais te remercier chaleureusement pour la manière dont tu as rendu compte de cette soirée-conférence, en y joignant le texte de Bing (quel titre étrange, quand on y songe !).

J’ignore quelles œuvres de Tatiana Trouvé ont été montrées à Miami (j’aurais bien aimé y être…).


En tout cas tu as vraiment inventé un nouveau style du billet : c’est une écriture pleine de petites bifurcations, pleine de bricoles

(j’apprends de Lévi-Strauss que ce mot désignait autrefois les embardées ou les changements de direction brusques de l’animal en mouvement) ;

une écriture qui s’offre comme une annotation continue d’elle-même, ou plutôt un contrepoint (voilà, nous revenons à la musique) à d’autres voix : la mienne, mais aussi celles de tous les auteurs dont tu fais entendre l’écho au fil de ta plume…

amicalement,
e

Je découvre ainsi que le lien (donnant accès à l’exposition « Time Snares » à la galerie Emmanuel Perrotin de Miami en décembre 2007) ne donne pas accès à des images de l’expo ; et je le modifie donc, ad hoc

De :   Titus Curiosus

Objet : Nouveau lien pour « voir » (un peu) l’expo « Time snares » à Miami en décembre 2007
Date : 23 avril 2009 07:31:54 HAEC
À :   Elie During

J’ai modifié le lien pour l’expo « Time Snares » de Tatiana Trouvé en décembre 2007 à Miami,
qui permet de découvrir quelques « vues » de l’expo…

Titus

Mais, juste avant,

j’avais accusé réception du précédent message d’Élie :

De :  Titus Curiosus

Objet : Bricoles, embardées, invention de style et « grandes affaires » _ ou du rythme
Date : 23 avril 2009 07:22:20 HAEC
À :   Elie During

Cher Elie,

(…)

Bravo pour la magnifique justesse de tes concepts.
Ceux de « bricole » et d' »embardée » me réjouissent merveilleusement !

_ « embardée » me rappelant le « à sauts et à gambades » de Montaigne…

cf déjà l’article programmatique de mon blog, le 3 juillet 2007 : « le carnet d’un curieux« …

D’autant que j’admire Claude Lévi-Strauss,
dont je possède _ quelque part en mon « bazar« … _ une très belle lettre manuscrite (émouvante),
en réponse à une « demande » de ma part
de rédiger une courte « présentation » de ce que pouvait représenter la musique de Jean-Sébastien Bach pour lui.
Il avait très gentiment répondu à ma « demande« , en me priant de lui pardonner de ne pas la satisfaire, en mettant en avant la difficulté, en son « grand âge« , de « se consacrer » à une telle « réflexion« ,
à côté des travaux divers qu’il avait déjà en cours…

J’avais reçu aussi un mot gentil de George Steiner, bousculé entre deux avions,
m’autorisant à faire usage de tout texte de lui à ma convenance…
Une réponse tapée à la machine de Michel Serres.
Et pas de réponse de François Jacob, dont j’admire « La Statue intérieure« …

C’était à l’ouverture de l’enregistrement par « Café Zimmermann » d’une intégrale (splendide ! et toujours en cours de « réalisation« ) des œuvres orchestrales de Bach, pour les disques Alpha ;
cette intégrale en est au volume IV (= le CD Alpha 137 : « Concerts avec plusieurs instruments _ IV« ), qui est paru récemment…

Cette image de l' »embardée«  _ en une vie comme une « course » à déjouer le trop prévisible _ est non seulement très belle,
mais, et c’est beaucoup mieux encore, me paraît d’une formidable justesse.
Merci de la qualité de ton attention !


Hier, Marie José Mondzain a commencé son message ainsi :
« quel plaisir chaque fois que vous écrivez de lire ces textes dans votre style chaleureux et nerveux, riche de toute cette culture sensible« 

Rencontrer quelque « réception » attentive et juste
fait plaisir ;

surtout de qui on s’enrichit tant à la lecture aussi…

Le terme de « rythme » m’est venu pour caractériser ton souci philosophique (en ta conférence du CAPC : « Elie During _ penseur du rythme« ) ;
comme il m’était venu, en 1968, pour rédiger un petit « texte » personnel
que nous avions « imposé » cette année-un-peu-particulière-là à nos professeurs, pour les épreuves de licence (de philosophie)…
J’étais « parti » des analyses d’Emile Benveniste, et m’était centré sur le « rythme » dans la poésie surtout (T.S. Eliot, Auden, Maïakovski, Hopkins, etc…) ;
ne m’étant pas encore (!) passionné pour la musique…


Bref, je te suis très reconnaissant de la qualité de ta perception des choses
en ce qui concerne aussi mon « écriture »
et ce que tu nommes l »‘invention » d' »un nouveau style de billet« 

_ merci !!! _,
avec « bifurcation« 

_ j’adore Michel Leiris _ l’auteur de « Biffures » _ ;

et je te recommande tout particulièrement ses derniers recueils de « Poèmes« , auxquels nul (critique) ne semble s’être encore intéressé :
« Ondes« 
(sublimissime !), en 1985 (aux Éditions « Le Temps qu’il fait » _ réédité ! en 2002),
suivi d' »Images de marque » (très beau aussi), un peu plus tard, après la disparition de la compagne de sa vie, Louise…
J’avais choisi d’étudier « Ondes » dans le cours de « Français » que j’assurais alors en Terminale _ c’était l’année scolaire où j’avais comme  élève
Hélène Dessales, qui intégra la rue d’Ulm un peu plus tard : c’est un repère (qualitatif) de temps pour moi (j’ai plus de mal avec les chiffres) : ce fut un régal rare pour moi
de parcourir en son plus infime détail l’ondoiement de Leiris…
De même, lors de mon premier voyage à Prague, au début des années 90 (en février 93 précisément), je l’avais choisi _ ce si beau « Ondes » _ comme cadeau à Václav Jamek,
que je ne connaissais pas encore
(sinon pour avoir lu son « Traité des courtes merveilles » _ paru en septembre 1989 aux Éditions Grasset, et « Prix Médicis de l’Essai« ), mais que je désirais faire rencontrer, comme « introducteur à Prague »
aux élèves de mon « atelier » de découverte du Baroque…
(l’année suivante _ depuis, nous sommes amis _, ce fut « L’Acacia » de Claude Simon…).

Je t’ai raconté le petit concert que nous avions improvisé (avec mes amis flûtistes Philippe Allain-Dupré et Laurence Pottier,
et quelques « baroqueux » tchèques rencontrés au Conservatoire de Prague où nous nous étions tout de suite rendus !)
dans les bureaux déserts de la maison d’édition
(« Odeon« ) que Václav Jamek dirigeait alors !..

C’était le 17 février 1994 : je retrouve la date sur mon agenda.

Un ou deux ans plus tard, Václav Jamek était « attaché culturel » de l’ambassade tchèque à Paris…

Fin des incises Leiris et Jamek… _

Quant au « contrepoint » des « voix« , en « écho » au « fil » de ma « plume« ,
c’est excellemment encore aller à l’essentiel, me semble-t-il

_ j’ai écrit un texte là-dessus : « Les Voix de l’écriture » (une de mes « Chroniques » d’Esthétique pour le site des disques Alpha, au printemps 2004 : avec « fantômes » !..)
à propos du style d’Antonio Lobo Antunes dans son très beau « Traité des Passions de l’âme« … _

Bref, je me réjouis
d’avoir croisé ton chemin, cher Élie.
Et suis impatient de découvrir la suite de tes travaux…


Bien à toi,

Titus

Ps : pour découvrir « de visu » quelques aspects de l’expo « Time Snares » à Miami,
je m’aperçois que le lien que j’avais indiqué sur mon blog ne fonctionne pas ;
en voici un autre : http://www.galerieperrotin.com/fiche_actu.php?id_pop=399&artist_pop=Tatiana_Trouve

Enfin, d’en partance pour l’aéroport, cet ultime message d’Elie :

De :   Elie During

Objet : Rép : Nouveau lien pour « voir » (un peu) l’expo « Time snares » à Miami en décembre 2007
Date : 23 avril 2009 10:53:18 HAEC
À :   Titus Curiosus

J’imprime ton mot et je pars pour l’aéroport. Au fait, si tu cliques sur le bandeau supérieur du portail de Nonfiction.fr, tu tomberas sur ma dernière production !
(« Dernières nouvelles du réel« )
amitiés
e

La voici donc ; et c’est passionnant !

Il s’agit d’une analyse _ lumineuse !!! Elie During est remarquablement doué ! _ d’un livre d’entretiens de Bernard D’Espagnat et Claude Saliceti : « Candide et le physicien« , aux Éditions Fayard (à paraître le 30 avril) :

Résumé :

« Penser un réel sans objet _ bigre ! le premier choc est rude ! _, et peut-être sans concept adéquat : tel est le défi _ oui _ auquel nous convie ce dialogue mené aux confins _ en dialogue, elles aussi _de la science contemporaine et de la métaphysique.« 

Trente ans de réflexion

En dépit de ce que son titre pourrait suggérer _ « Candide et le physicien«  _, ce livre d’entretiens n’a rien d’une espèce de « Monde de Sophie » adapté à l’univers de la physique contemporaine. C’est qu’ici celui qui endosse le rôle du « candide » (Claude Saliceti) est lui-même philosophe ; on pourrait du reste en dire autant du « physicien » (Bernard d’Espagnat), dont l’œuvre est consacrée depuis une trentaine d’années à certains des problèmes spéculatifs les plus ardus de la physique contemporaine (voir notamment « À la recherche du réel« , 1979) _ oui… Car la physique, telle est la conviction commune aux deux auteurs, nous oblige à réviser _ voilà ! _ la formulation traditionnelle de certaines questions philosophiques fondamentales, touchant notamment aux concepts d’espace, de temps, de causalité et d’objectivité. Il y va de l’ontologie de la physique (ses catégories ultimes) _ oui… _, mais aussi bien _ et c’est important ! _ de notre rapport à l’être, selon une tonalité plus existentielle qui traverse tout l’ouvrage _ et en élargit de beaucoup et l’impact de la signification, et le lectorat… D’Espagnat, qui a publié il y a quelques années un « Traité de physique et de philosophie » (Fayard, 2002), n’hésite pas à mobiliser en chemin Plotin et les gnostiques, Spinoza et Leibniz, Berkeley et Bergson, Pascal et Augustin, Kant et Wittgenstein, Mach et Schrödinger, Bohr et van Fraassen, et bien d’autres encore, philosophes et physiciens-philosophes ; il ne s’agit pas ici de touches décoratives _ ô le joli adjectif ! _ destinées à flatter le goût de l’honnête homme cultivé _ à la façon de bien des dessus de présentoirs de librairies (ou émissions « culturelles«  télévisées…) pour « propos de salons«  et « dîners en ville« _, mais de références théoriques précises _ oui ! _ qui permettent de donner _ sérieusement _ toute leur ampleur aux questions parfois très techniques abordées au fil de la discussion _ merci de cette fort claire mise au net préliminaire !

Relativité et physique quantique

Car Claude Saliceti est moins « profane » qu’il veut bien le dire, même s’il se place en retrait : la discussion, qui tient plus en réalité de l’échange épistolaire (sous la forme de cinquante « questions » disputées _ selon une antique tradition féconde… _) que d’une conversation d’après-repas, est d’assez haute volée _ sans rien sacrifier cependant aux exigences d’une pédagogie du concept _ fort utile ! et plus que nécessaire !!! _ dont feraient bien de s’inspirer beaucoup de vulgarisateurs _ aux bons entendeurs, salut ! Les premières sections sont un modèle du genre : on y parcourt, en suivant le développement du problème de l’objectivité de l’espace et du temps, l’histoire du développement de l’électromagnétisme et de l’optique, le passage du concept d’éther à celui de champ. La relativité, restreinte puis générale, mais aussi la théorie quantique, sont introduites, à leur tour, avec le même souci de clarté. Ces théories-cadres devraient être complémentaires, mais leur ajustement réciproque présente des difficultés inextricables _ à bien noter ! Il ne s’agit pas seulement, en effet, de faire tenir ensemble deux « régions » du monde (l’univers de l’extrêmement grand et celui des particules élémentaires), mais deux manières de penser qui, pour recourir à une métaphore optique, ne cessent d’interférer _ mais parasitairement, jusqu’ici _ l’une avec l’autre. Il n’était déjà pas simple de produire, comme l’a _ spécialement génialement _ fait Einstein entre 1910 et 1916, une théorie relativiste de la gravitation (relativité générale) : les générations de physiciens qui sont attelés, à grand renfort de prouesses mathématiques, à la tâche de concilier les principes de la mécanique quantique et de la relativité générale, sont encore loin d’en voir le bout _ merci de nous le rappeler ; et si clairement ! « Théorie des cordes » et « gravité quantique » ne désignent pas des théories achevées, mais des programmes de recherche, ou des chantiers _ en cours : ce que la recherche est on ne peut plus consubstantiellement : tant (y compris de politiquement haut-placés ; « au pouvoir« …) le négligent ; en commençant par l’ignorer !!! Et ignorer qu’ils l’ignorent !!! Et en ne voulant rien en savoir… Edgar Morin (« La Méthode« ), au secours !!! Et Lee Smolin a peut-être raison de s’inquiéter, dans un ouvrage récent (« Rien ne va plus en physique« , 2008) _ un utile rappel à l’ordre : mais pour qui, en priorité ? _, du ralentissement du rythme des grandes révolutions en physique théorique _ de fait, guère d’échos assez sonores, en tout cas, depuis Karl Popper (« La Logique de la découverte scientifique« ) ; Thomas Kuhn (« La Structure des révolutions scientifiques » ; ou Paul Feyerabend (« Contre la méthode _ esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance » ; ou « Adieu à la raison« ) : nous avons bien besoin de rafraîchir nos références…

Contre le « réalisme local »

Faut-il chercher le remède du côté d’un approfondissement philosophique des cadres conceptuels fondamentaux ? D’Espagnat souscrirait volontiers à un tel programme, mais l’obstacle le plus sérieux, à ses yeux, est du côté de la physique quantique _ ah ! Celle-ci ne se contente pas d’introduire, comme la relativité, des effets paradoxaux ; ou certaines conceptions inhabituelles de l’espace et du temps ; elle semble nous forcer, de façon plus générale, à renoncer globalement à toute interprétation descriptive ou réaliste des phénomènes envisagés (que ces phénomènes soient ou non « observés ») _ voilà un point majeur de la donne ! En effet, la notion de superposition d’états, le principe de « complémentarité » _ qui autorise à interpréter un même phénomène (un faisceau d’électrons) tantôt comme un comportement ondulatoire, tantôt comme un corpusculaire (particules localisées) _, les relations d’incertitude de Heisenberg _ qui prévoient qu’on ne puisse mesurer simultanément (avec une précision arbitraire) la position et la vitesse d’un électron _, tous ces aspects déroutants de la mécanique quantique rendent de plus en plus délicate la représentation _ stable et cohérente _ d’un monde constitué d’objets bien déterminés et individualisés, séparés et localisés, existant par eux-mêmes indépendamment de nous _ voilà bien, en effet, des conséquences on ne peut plus cruciales pour le confort de nos repères de représentation ! Si l’on veut rester réaliste _ et pas « idéaliste«  _ dans de telles circonstances, il faut se préparer _ c’est  là tout un enjeu, et de formation, et de diffusion, pédagogique ! _  à un réalisme d’un genre tout à fait nouveau : un réalisme non-objectiviste _ et voilà combien excellemment  cerné l’enjeu de cette très instructive approche !

Le problème se concentre, pour d’Espagnat _ il nous faut donc nous y arrêter _, sur la question de la non-localité (ou « non-séparabilité ») _ un concept-clé… Une des intuitions fondamentales du réalisme objectiviste _ qu’il faudrait, semble-t-il donc, « réviser« , « contester«  : « combattre«  ?.. _ peut en effet se formuler sous la forme d’une condition de proximité qui veut que les forces (gravitationnelles, électriques, magnétiques, etc.) s’exerçant entre deux objets soient d’autant plus faibles que la distance qui les sépare est grande. Ce « réalisme local » _ un concept dont il nous faut bien nous pénétrer, ici _ est actif au cœur même de la relativité restreinte sous la forme du deuxième postulat de l’article fondateur d’Einstein, en 1905. Poser que la vitesse de la lumière dans le vide admet une valeur constante finie (et indépendante du mouvement de la source), c’est ôter son caractère absolu à la simultanéité entre événements distants ; c’est reconnaître, plus profondément, que les influences causales ne peuvent avoir lieu que de proche en proche, contrairement à la physique des actions à distance. Le « réalisme local » soutient encore, en 1935, le fameux « paradoxe EPR » formulé par Einstein et deux de ses collègues (Podolsky et Rosen). Des particules initialement « corrélées » du fait de l’intrication de leurs états quantiques devraient, une fois séparées, continuer à communiquer, en ce sens que les observations menées sur l’une auraient pour effet de déterminer ce qui est susceptible d’être observé de l’autre, et ce indépendamment de la distance qui les sépare. Dans l’esprit d’Einstein, il s’agissait par là de pointer une contradiction dans la théorique quantique, ou du moins de mettre au jour son caractère incomplet. Car à moins d’admettre une influence occulte qui aurait lieu à une vitesse supérieure à celle de la lumière, il faut que la corrélation observée renvoie d’une manière ou d’une autre à quelque condition réelle sous-jacente, c’est-à-dire à des valeurs déterminées, au sein de chaque système, avant l’opération de mesure (on parle de « variables cachées »). Or une expérience menée par Alain Aspect au début des années 1980 a permis de transposer sur le terrain expérimental _ ah ! _ ce qui se présentait, d’abord, comme une simple « expérience de pensée ». En établissant la violation des « inégalités de Bell » quantifiant les conséquences du paradoxe EPR, l’expérience _ d’Alain Aspect, donc _ revenait à établir que des observations menées à distance sur des particules corrélées pouvaient entretenir une relation de détermination _ voilà ! _ en dépit de l’impossibilité objective de faire communiquer ces particules dans l’espace et dans le temps selon les voies de la causalité physique _ ah !

Il faut bien parler dans ce cas d’une influence non-locale _ qu’en déduire ? Or cette incongruité, d’après d’Espagnat, rejaillit sur l’ensemble de notre appareillage conceptuel _ théorique : même question… Si l’on accepte _ comme on le doit _ la possibilité ouverte par l’expérience d’Aspect, la localisation dans l’espace et dans le temps, en général, n’a plus rien d’évident _ oui… _ : elle n’est pas seulement relative (au système de référence adopté), elle paraît tout simplement incompréhensible _ rien moins ! _ dans les termes auxquels nous sommes habitués _ qu’il faut donc « réviser« , et pas seulement  « interroger« , « mettre en question », de ce point de vue de la théorie ; sur lequel se place Bernard d’Espagnat… À bien y réfléchir, c’est la notion même d’objet qui s’en trouve _ totalement ? _ affectée _ encore : rien moins ! ce n’est certes pas peu, même d’un point de vue « théorique »… _, et par extension celle d’une réalité indépendante _ oui… _ constituée par une multiplicité d’objets existant en soi, indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir _ soit un questionnement tant métaphysique que physique, si je comprends à peu près… Demeure toujours la question : qu’en déduire ?

Le « Réel voilé »

Ainsi la non-séparabilité quantique, qui constituait déjà le motif récurrent des premiers livres consacrés par d’Espagnat à la philosophie de la physique, constitue à sa manière _ mais le physicien s’entoure sur ce point de beaucoup de précautions _ une réfutation du « réalisme local » auquel le scientifique est porté par tempérament, tout comme le bon sens philosophique _ il me semble que je parviens à suivre le raisonnement... La forme philosophique du problème peut d’ailleurs se formuler simplement : il y a, dans la réalité, quelque chose de non-conceptualisable ; un « Réel », si l’on veut, mais un réel non-discursif, non-objectivable _ voilà ce qu’il nous faut essayer de « penser«  ici !.. _, qui nous demeure irrémédiablement « voilé » _ « éloigné« , en quelque sorte, ainsi, de notre atteinte _ par le système que forment _ syncrétiquement ? _ nos observations, nos instruments de mesure et nos concepts _ habituels : qui forment, à partir des usages (même diversifiés) que nous en faisons, nos repères, et normes, et cadres, de référence… « L’objet n’est pas l’être », disait _ en nous mettant en garde _ le philosophe Ferdinand Alquié (p. 225 _ de « La Nostalgie de l’être«  ? Parue aux P.U.F. en 1950).

D’Espagnat insiste sur le fait qu’on touche, avec la violation des inégalités de Bell, à quelque chose comme un point de résistance absolu, qui ne doit pas grand chose, en fait, à l’interprétation _ en aval _ qu’on peut en donner : « la preuve, expérimentale, de la violation en question restera […] valable même le jour, si jamais il advient, où la physique quantique aura été remplacée par une autre physique différente, fondée sur des idées radicalement autres » (p. 101-102). C’est l’universalité _ oui... _ de ce résultat expérimental et de ses implications conceptuelles _ capitales _ qui autorise à voir dans l’inséparabilité quantique _ voilà donc le « hic » ! « Hic Rhodus, hic saltus » !.. _ l’indice d’un véritable problème métaphysique transversal à toutes _ sans exception _ les interprétations physiques du phénomène.

Un éclectisme philosophique

Reste à déterminer précisément la nature _ ah ! _ du problème. C’est là que les choses se compliquent _ ah ! ah ! La thèse, défendue avec force, est celle d’un « réalisme ouvert » _ à bien noter… _, qui ferait son axiome de l’idée que « la pensée humaine n’est pas “le Tout” » (p. 179) _ face à l’altérité et extériorité (à elle) et transcendance (vis-à-vis d’elle) d’un « réel«  S’il est vrai que tout « positivisme » masque une forme d’idéalisme rampant, ce réalisme-là (le réalisme du réel non-objectivable _ il nous faut bien intégrer cete remarquable expression ! _) serait à sa manière plus authentiquement réaliste _ en sa plus grande fidélité à l’altérité de ce « réel«  ; oui… _ que le « réalisme local » _ et plus généralement « objectiviste » _ du sens commun physicien, parce qu’il se serait débarrassé pour de bon _ « libéré«  enfin… _ des dernières scories d’idéalisme _ naïf _ qui portent à réduire le réel à ce que nous observons et mesurons, autrement dit à la réalité empirique, celle qui est valable seulement « pour nous ». En une sorte de « course«  au (plus grand) respect (possible) de l’altérité de ce « réel« , autre _ et, corrélativement, à la (plus grande) modestie du sujet lui-même, en toute la palette de ses diverses opérations (d’objectivation) : en percevant, en connaissant, en pensant, etc…

C’est de ce point de vue que d’Espagnat aborde tour à tour quelques unes des grandes questions fondationnelles _ je retiens le terme _ de la théorie physique contemporaine, comme celles que suscite aujourd’hui la théorie quantique de la gravitation. Faut-il se passer de l’« arène » _ à la fois sol, et cercle ?.. _ que constitue l’espace-temps ; et travailler, en quelque sorte, à _ l’élaboration d’ _ une genèse physique _ nouvellement complexe _ de l’espace et du temps eux-mêmes ? Sur ce point _ physico-physique (purement) , donc, si je suis bien le raisonnement… _, d’Espagnat se montre particulièrement prudent. Il l’est peut-être moins sur le terrain de l’épistémologie, lorsqu’il critique, par exemple, les tenants du « réalisme structurel », qui identifient le réel avec les rapports véritables (de nature mathématique) entre les objets. Quant à ses affinités philosophiques, elles manifestent un certain éclectisme. C’est le cas du rapprochement avec le bergsonisme, dont d’Espagnat n’attend certes aucune « ontologie de remplacement » (p. 160), mais qui lui paraît tout de même capable de fournir « de précieux aperçus _ en quoi ? et lesquels ? _ sur le réel vrai » (p. 161) _ l’horizon de l’exigence (éthique) de vérité (et de justesse) demeurant fondamental… Le problème est que Bergson cherchait dans la saisie de la durée un absolu que d’Espagnat, pour sa part, entend placer _ oui ! _ par-delà toutes les notions phénoménales, espace et temps inclus _ certes. L’alliance tactique n’est donc pas entièrement convaincante _ d’Espagnat le reconnaît lui-même _ ; pas plus que ne l’est, nous semble-t-il, la référence récurrente à l’idéalisme kantien et à la position d’une « chose en soi » qui, manifestement, n’est pas d’une grande aide pour formuler _ opérativement, dirais-je… _ le problème de l’« Être », qui est l’autre nom du « réel voilé ». C’est que le problème de Kant n’est pas celui de d’Espagnat : rallié de force à la cause des adversaires du « réalisme local » _ un comble si l’on songe à son adhésion sans réserve à la mécanique newtonienne et aux formes de l’objectivité qui la rendent possible _, le sage de Königsberg offre pourtant du « Réel » une version trop austère, trop dépouillée _ en quoi ? comment ? il faudrait le creuser un peu davantage _ : c’est pourquoi du point de vue où se place le physicien, l’idéalisme transcendantal _ kantien _ se distingue à peine de l’idéalisme pur et simple. La « chose en soi » est le minimum métaphysique qui permet de garantir que quelque chose nous est encore donné _ et pas seulement projeté (ou a fortiori carrément créé) par nous. Et certes l’« en soi » du physicien, pour être non-discursif, mérite tout de même un peu mieux _ comment ? _ que cela ; mais alors le passage par Kant était-il bien nécessaire ? Bien des questions demeurent, pouvant en quelque sorte « ouvrir » (« opérativement« ) à d’autres « entretiens« 

Tout l’art de Claude Saliceti _ en « Candide«  _ est de conduire son interlocuteur, au fil des questions, à préciser davantage les attendus de ses propres positions métaphysiques. Jamais la discussion ne bascule dans la spéculation gratuite ; elle demeure étayée, d’un bout à l’autre _ et c’est positivement précieux ! _, par les résultats les plus précis _ oui _ de la science contemporaine, comme en témoigne, par exemple, l’ »appendice III » consacré à une mise en question expérimentale, d’ailleurs toute récente, des rapports entre la causalité et le temps _ lesquels ? comment ? en quoi ? cela mériterait de plus amples précisions.

Dans ce livre riche, foisonnant d’intuitions, chacun trouvera matière à penser : le physicien et le philosophe, bien sûr, mais plus largement tous ceux que n’effraie pas l’idée de s’attaquer _ en s’instruisant au passage (oui ! ) _ à quelques « questions ultimes » _ soit un (relatif) vertige du penser (entre « gardes-fou«  : tant scientifiques que philosophiques ; à l’écart de quelque schwärmerei…), au frémissement, en effet, séduisant…


Elie During

Voilà qui, à son tour, et lumineusement,

et nous « instruit » ; et nous « donne matière à penser » (sans délirer)

Bravo !


Titus Curiosus, ce 24 avril 2009

En post-scriptum

_ et complément un peu inutile, après cette brillante introduction d’Elie During _,

ces éléments issus de la quatrième de couverture des « Entretiens » de Bernard d’Espagnet et Claude Saliceti, en leur « Candide et le physicien«  (à paraître le 30 avril aux Éditions Fayard) :

Résumé

Le médecin et philosophe Claude Saliceti a posé cinquante questions au physicien Bernard d’Espagnat

sur les sciences physiques modernes et les implications philosophiques du passage de la physique classique aux physiques relativiste et quantique :

sur les notions d’objet et d’objectivité, de déterminisme, d’espace, de temps, etc.

Quatrième de couverture



Les avancées considérables de la physique d’après guerre n’ont été possibles qu’au prix d’une vraie rupture
_ théorique, conceptuelle _ entre elle et la physique dite « classique » _ celle de Newton, Galilée, Copernic… À quels changements cette rupture _ théorique, épistémologique _ nous contraint-elle _ en profondeur, pour peu qu’on s’y penche en vérité si peu que ce soit… _ en ce qui concerne des notions essentielles telles que celles d’espace, de temps, d’objet et d’objectivité ? Quelles en sont les incidences quant à la portée de la connaissance, au rôle de la conscience, aux relations entre science et ontologie ?

Ce sont là des questions de fond, délicates, auxquelles les personnes de formation si peu que ce soit philosophique sont souvent plus sensibles que ne le sont les physiciens. Malheureusement, elles ne disposent pas toujours des connaissances de pointe qui seules permettent d’approfondir de tels problèmes sans risquer de trop s’égarer.


Étant donné l’impact que, par ses applications, la science a sur nos vies, nombreux sont ceux qui souhaitent se former une idée plus juste de ce que cette science implique vraiment. Le présent ouvrage prend la forme d’un dialogue articulé autour d’une cinquantaine de questions posées par Claude Saliceti à Bernard d’Espagnat sur ces questions de fond. En des termes adéquats (et foncièrement neufs) et dans une langue accessible au profane, cet échange permettra à chacun de découvrir les directions dans lesquelles des réponses peuvent être recherchées.

Bernard d’Espagnat est membre de l’Institut et professeur émérite de l’université de Paris-Orsay, où il a dirigé le Laboratoire de physique théorique et des particules élémentaires.
Il a également enseigné la philosophie des sciences en Sorbonne. Il est l’auteur d’une dizaine d’essais, notamment : « Regards sur la matière« , en collaboration avec Étienne Klein (aux Éditions Fayard, en 1991), « Le Réel voilé » (aux Éditions Fayard, en 1994) et « Traité de physique et de philosophie » (toujours aux Éditions Fayard, en 2002).

Claude Saliceti est médecin et philosophe. Il est notamment l’auteur de « L’humanisme a-t-il un avenir ? » (aux Éditions Dervy, en 2004).

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