Archives du mois de février 2022

Quelques précieuses précisions de René de Ceccatty, en réponse à mon article d’hier sur son chapitre « Une ordalie », complément-supplément à la ré-édition de son « Pasolini » de 2005, à paraître le 17 février prochain : un salutaire point d’enquête…

13fév

Hier, j’ai été interviewé par un journaliste de la radio suisse italienne (Pierre Lepori) à ce propos.
Dans le chapitre supplémentaire, comme dans les différents articles que j’ai publiés sur la mort de Pasolini et que j’ai repris dans Avec Pier Paolo Pasolini (au Rocher, nouvelle version de Sur Pier Paolo Pasolini) que tu vas recevoir,
j’ai tenté de faire le point sur mes lectures d’enquêtes journalistiques ou juridiques ou cinématographiques.
Je ne prends pas position, sauf sur un point, désormais reconnu par tous : Pelosi n’est pas l’assassin, et il y a eu un groupe de malfrats commandités par une cascade d’instances politiques et mafieuses. 

Le crime était presque parfait, dans la mesure où les tribunaux et la presse ont suivi aveuglément les déclarations de Pelosi qui s’est autoaccusé, sous la menace d’un chantage, et qui a fini par croire à ses propres mensonges, avant de les renier en deux étapes successives.
Les convictions de Pasolini sur l’attentat du 12 décembre 1969 (piazza Fontana à Milan), sur la tentative du coup d’état Borghese, sur la mort d’Enrico Mattei, clairement exprimées dans ses articles des Écrits corsaires ou dans Pétrole (certes encore inédit, mais dont la préparation et le contenu étaient connus de certains), sont à l’origine de l’hostilité qu’il avait suscitée chez ses adversaires politiques : pourquoi cette hostilité est-elle allée jusqu’au meurtre ? Le meurtre est-il délibéré ou accidentel ?
A ces questions, je n’ai pas la réponse.
Pasolini, ce qui complique considérablement l’intrication des événements, était par ailleurs malheureusement en relation avec Giovanni Ventura, un fasciste emprisonné qui avait participé à l’attentat de Milan.
Enfin, je raconte tout cela.
(…)
Avec mon amitié
René »

S’employer à chercher à démêler le détail des intrications de cette complexité « historique » crapuleuse et assassine, à partir du dossier des témoignages et commentaires divers,

est tout à fait passionnant…

Ce dimanche 13 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

« Ce qu’on peut savoir ou supposer des circonstances de l’assassinat de Pasolini », quarante-sept ans après la nuit de la Toussaint 1975 : un lucidissime chapitre complémentaire à la biographie de Pier-Paolo Pasolini (1922 – 1975) par René de Ceccatty, en ouverture de l’année du centenaire de la naissance de cet artiste majeur

12fév

En ouverture de l’année Pasolini,

pour le centenaire de la naissance, le 5 mars 1922 à Bologne, du cinéaste, romancier, poète, théoricien de l’art et de la littérature qu’a été Pier-Paolo Pasolini (Bologne, 5 mars 1922, Ostie, 2 novembre 1975),

en _ et par _ la _ très bienvenue _ réédition en la collection « Biographies » de la collection Folio, de son « Pasolini« , qui paraitra le 17 février prochain,

René de Ceccatty vient nous offrir, en complément-supplément à son texte parfait de 2005, un magistral nouveau chapitre de 39 pages, intitulé « Une ordalie » _ aux pages 241 à 279 de cette nouvelle édition _,

qui vient faire un lumineux point sur « ce qu’après quarante-sept ans d’enquête et d’approfondissements journalistiques ou judiciaires on peut savoir ou supposer des circonstances _ encore non complètement, et c’est bien peu dire !, élucidées ; et cela pour de multiples et complexes raisons, magistralement démêlées, une à une, ici, en cet extraordinairement lumineux nouveau chapitre… _ de l’assassinat de Pasolini« .

Ce chapitre est lui-même précédé par une très courte présentation, de 15 lignes,

que je me permets de reproduire ici _ et en sa brièveté, on y reconnaîtra l’intelligence-perspicacité de son auteur à démêler et éclairer lucidissimement les plus embrouillées des complexités _ :

« Depuis 2005, où a paru cette biographie, de nombreux éléments nouveaux _ oui ! _ ont _ peu à peu _ été _ effectivement, au fil des ans et des questionnements posés, et des diverses recherches menées, par les uns et par les autres _ découverts _ voilà ! _ sur les circonstances _ à absolument préciser, débrouiller, tant demeure décidément encore bien épais et lourd de confusions leur embrouillamini… _ de la mort de Pasolini _ voilà : la nuit du 1er au 2 novembre 1975, en un parcours allant d’un dîner le soir dans une trattoria du quartier San Lorenzo, de Rome, au cadavre découvert à l’aube sur un boueux terrain vague d’Ostie  _ par des journalistes, des avocats, des enquêteurs de toutes sortes.

Nous avons souhaité faire le point _ voilà : le plus complet, honnête et clair possible _ sur ces convictions, hypothèses ou questions qui ont été formulées dans des articles, des livres, des émissions de radio et de télévision, des blogs, des films.

Ces suppositions _ faute de certitudes matérielles absolument conclusives _, plus ou moins argumentées _ et c’est déjà extrêmement intéressant à découvrir et éclairer, repenser _, ne modifient pas radicalement le récit de la vie de Pasolini, mais jettent une lumière différente _ voilà ! ; et tout à fait passionnante en ces lucidissimes efforts de démêlement de ces très complexes imbroglios… _ (que nous ne pouvons toutefois pas déclarer définitive _ tant que demeurent tant de mystères à élucider, tant de mensonges à percer, et tant de flous, parfois volontaires et malveillants, à dissiper, faute d’éléments factuels décisifs restant encore à découvrir, pour parvenir à la recomposition enfin satisfaisante et objectivement conclusive, de cet assez extraordinaire puzzle… _) sur ses dernières lettres ou même ses derniers mois.« 

Soit un nouveau travail _ de nature, encore, biographique : complémentaire, et passionnant _ magnifique.

Ce samedi 12 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’indispensable « écrire pour respirer » d’Edith Bruck, en 1959 et en 2021 : la constance de l’irrépressible urgence de parler et écrire, quand « le papier écoute tout »…

11fév

En poursuivant toujours mon regard sur la comparaison-confrontation des deux très prenants et superbes manifestes autobiographiques d’Edith Bruck, « Qui t’aime ainsi » (en 1958-59) et « Le Pain perdu » en 2020-21), à soixante ans de distance _ et l’assez stupéfiante mémoire de détails d’une mémoire plus vive que jamais _,

j’en viens ce jour à porter mon regard sur ce qu’Edith Bruck disait, en 1959, et a dit, en 2021, plus spécifiquement de l’outil, pour elle, de l’écriture,

afin de parler, se faire écouter et entendre, se faire un peu comprendre ; et aider à nous entendre vraiment…

En 1959, ce n’est pas tout à fait directement que la narratrice aborde vraiment cette question de l’écriture même,

dans la mesure où ce n’était que très récemment, et à Rome, qu’elle s’était mise vraiment à écrire de manière suivie, jusqu’à en venir à publier très effectivement _ probablement soutenue en cette démarche, par l’écrivain-poète-cinéaste, Nelo Risi, rencontré le 9 décembre 1957, au restaurant Otello, 81 via delle Croce, à Rome : Nelo, le grand amour vrai de sa vie _, chez l’éditeur Lerici, le livre, ce « Chi ti ama cosi« , qu’elle venait alors d’achever… 

C’est plutôt du refus d’écouter et d’entendre vraiment ce qu’elle-même, Edith, et sa sœur Adel avaient à dire de leur parcours, en 199-44, dans les lager, et de leur difficulté à se faire écouter et vraiment comprendre des autres, que ce récit-ci, de 1959, témoigne _ comme a pu en témoigner aussi le percutant et sublime, lui aussi, « Être sans destin » d’Imre Kertész, un autre Juif hongrois revenant de cet Enfer, à Budapest…

Elle écrit donc, et avec une très grande détermination, le récit, qui la travaillait tant dès son retour en Hongrie, à partir de l’automne 1945 ;

elle mais n’avait pas, alors, à réfléchir, aussi, en même temps, sur ce que représentait pour elle cette tâche et cette urgence de confier au papier _ qui l’écoutait fidèlement, lui _ ce que sa mémoire ansi que le poids du présent qu’elle avait à suppporter désormais, en particulier dans ses rapports assez difficiles avec les autres, y compris ses soeurs et son frère survivants…

Ce ne sera que plus tard, au fil de ses écritures suivantes, et des livres qu’elle publiera, que s’insèrera, à l’occasion, dans sa méditation, quelques réflexions, ou souvenirs de paroles prononcées, concernant cette tâche d’écrire…

Dans le récit de 2020-2021, en revanche, et à plusieurs reprises, interviennent diverses réflexions (à soi) et diverses paroles prononcées (en réplique aux positions ou déclarations d’interlocuteurs) quelques significatives expressions sur ce que représente pour elle, Edith Bruck, l’acte même d’écrire, de se confier à l’écoute fidèle et accueillante, du papier…

Ainsi donc, voici celles que j’ai recensées, dans « Le Pain perdu » :

_ face à sa sœur Magda _ alias ici Mirjam _, à Budapest, et lors des retrouvailles initiales d’Edith et Adel _ alias ici  Judit _, à l’automne 1945, ceci, à la page 86 :

« Nous écoutionss notre sœur Mirjam avec l’envie irrépressible de parler ou de nous enfuir. Mais où ? Nous nous sentions un poids, y compris pour nous-mêmes. Nous nous sommes demandées si c’était la vie qui l’avait endurcie« …  ;

_ et encore ceci, au même moment et dans le même lieu, à la page 88 :

« Durant le bref séjour chez Mirjam, (…) nous n’étions même pas libres de parler, car elle nous bloquait (…), elle nous faisait taire« …

La même situation se reproduira pour les deux sœurs lors de la visite à leur autre sœur Lili _ alias ici Sara _ à Miskolc_ dans « Qui t’aime ainsi », il s’agissait de la ville de Debrecen _, face à Lili et Ôdön _ alias ici David _, ceci, à la page 90 :

« Notre envie de parler fermentait en nous« …

Ensuite, et juste après le constat éploré de leur ancienne maison de Tiszabercel complètement dévastée, souillée d’excréments et d’inscriptions antisémites, et à la suite de la décision d’Adel « d’aller à Budapest dans un groupe sioniste, dans l’espoir de rejoindre la Palestine« ,

cette longue conversation-ci, pages 93 à 96, au cours de laquelle les deux sœurs qui ne s’étaient pas quittées depuis Auschwitz, vont dissocier leurs destins respectifs :

« _ Viens avec moi, insistait longuement Adel _ alias ici Judit _ pour me convaincre. Ici, il n’y a pas de place pour nous. Que veux-tu faire ?

_ Écrire.

_ Écrire quoi ? Qu’est-ce que tu te mets en tête ? A qui écris-tu ?

_ À moi.

(…)

_ J’ai commencé à écrire.

(…)

_ Je ne me sens bien nulle part, mais je n’obéis plus à personne.

(…)

_ J’ai accouché de moi-même en un an de douleurs. Ne nous disputons pas.

(…)

_ Je ne supporte pas la foule, j’ai besoin de voir toujours une porte de secours.

(…)

_ J’ai besoin d’écrire maintenant.

(…)

_ Par nécessité, pour respirer.

(…)

_ Nos vrais frères et sœurs sont ceux des camps. Les autres ne nous comprennent pas, ils pensent que notre faim, que nos souffrances équivalent aux leurs. Ils ne veulent pas nous écouter : c’est pour ça que je parlerai au papier.

(…)

_ Le papier écoute tout.

(…) En la voyant s’en aller, je me sentais comme au milieu du désert sans la voix de l’Éternel.« 

Puis, retrouvant Adel _ alias ici Judit _ en Israël, dans une banlieue de Haïfa, en septembre 1948, reprend la conversation entre Adel et Edith, page 109 :

« _ Mon mari _ Amos (mais est-ce là son vrai prénom ?) Taub : ils se sont mariés à Chypre… _, faute de mieux, est agent de police. Il n’est pas heureux, il voulait devenir peintre, comme toi écrivain. Tu écris toujours ?

_ Encore plus qu’avant. Les mots à dire _ voilà ! _ ne cessent d’augmenter. Si c’étaient des enfants conçus, j’accoucherais d’autant que de disparus« .

Puis, aux pages 119-120, quand Dany Roth _alias ici Braun Gabi _, le second mari d’Edith, découvrit qu’elle écrivait, et, furieux, s’empara du cahier qu’elle tenait dans ses mains :

«  _ Je vais le déchirer ! Et il joignit le geste à la parole.

_ Tu peux en faire ce que tu voudras. Déchire-le, brûle-le, de toute façon je le recommencerai. Il est indestructible : il est écrit à l’intérieur de moi et personne ne pourra l’effacer« …

Et la question de l’écriture se pose bien davantage à Edith Bruck lors de son installation à Rome, où elle va trouver dans l’écriture suivie et menée à bien de son autobiographie une source d’accomplissement.

J’en relève les significatifs passages suivants,

aux pages 146-147 :

« J’étouffais si je ne parlais pas à quelqu’un, si je ne faisais pas quelque chose.

(…) Je repris enfin mon petit cahier, que j’avais abandonné, et j’ai commencé à écrire en italien : « Sono nata in un piccolo villagio ungherese » » _ soit la phrase qui ouvre « Chi t’ama cosi« , en 1958-59…

(…) Et se retrouvant, seule, « dans une chambre meublée à deux pas de la piazza di Spagna, pour un loyer de seize mille lires par mois plus deux cent lires par douche. () La patronne, madame Ida, me scrutait comme si je venais d’une autre planète. (…) Le soir, toute seule, sous l’ampoule du plafonnier, à la lumière avare, j’écrivais jusqu’à ce que m’interrompe madame Ida, de retour du bar _ dans lequel, avec son mari et sa fille, elle allait regardait la télévision _, qui me grondait, me disant de manger, dîner avec eux, ou de sortir et d’aller chez Otello, via della Croce, que fréquentaient des gens du cinéma.

_ Vous êtes une jolie demoiselle, sortez, montrez-vous en public, on vous fera peut-être faire des films. Que faites-vous à rester enfermée à écrire, à vous aveugler ?

Au bout de quelque temps, j’ai fini par l’écouter et je les ai accompagnés pour manger de la soupe aux haricots secs et au chou, ou j’allais chez Otello où les tables étaient réunies de part et d’autre de la salle et où on n’était pas seul.« 

Et c’est chez Otello, qu’un jour de décembre 1957, le 9 précisément, « un inconnu _ qui était poète et cinéaste _ m’interrogea aussitôt sur le livre que j’étais en train d’écrire. (…) Un homme qui est entré aussitôt dans mon âme » :

c’était Nelo Risi, l’amour vrai de sa vie…

Ce vendredi 11 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Quelques éléments que j’ai appris de ma lecture comparée de « Qui t’aime ainsi » (de 1959) et « Le Pain perdu » (de 2021), en particulier sur la constellation familiale des Steinschreiber-Bieber-Deutsch, et le cousin Tibi…

10fév

La comparaison-confrontation des deux récits autobiographiques, « Qui t’aime ainsi » (en 1959) et « Le Pain perdu » en 2021), est riche de bien intéressantes données,

outre, bien sûr, le fait que ces deux actes d’écriture avaient deux fonctions bien différentes pour Edith Bruck, leur auteur, à deux époques cruciales de sa vie de personne, autant que d’écrivain-témoin :

en 1958-59, trouver à qui _ le papier ! avec le stylo… _ parler, se confier, afin d’essayer de se trouver enfin, et se comprendre mieux ;

en 2020-21, revenir, à 90 ans, et face aux résurgences nauséabondes de l’Europe d’aujourd’hui, en particulier en sa Hongrie natale, comme en son Italie d’accueil, du négationnisme de l’Histoire _ de la Shoah _ et de la barbarie annihilatrice de l’antisémitisme, ainsi que l’expriment plusieurs expressions on ne peut plus limpides et éclairantes au final de cet admirable « Pain perdu » :

_ à la page 156 :

« En fille adoptive de l’Italie, qui m’a donné beaucoup plus que le pain quotidien, et je ne peux que lui en être reconnaissante, je suis aujourd’hui profondément troublée pour mon pays et pour l’Europe, où souffle un vent pollué par de nouveaux fascismes, racismes, nationalismes, antisémitismes, que je ressens doublement : des plantes vénéneuses qui n’ont jamais été éradiquées et où poussent de nouvelles branches, des feuilles que le peuple dupé mange, en écoutant des voix qui hurlent en son nom, affamé qu’il est d’identité forte, revendiquée à cor et à cri, italianité pure, blanche… Quelle tristesse, quel danger !  » ;

_ et aussi, page 164, au final de la formidable adresse de sa « Lettre à Dieu » :

« Je Te prie, pour la première fois je Te demande quelque chose : la mémoire, qui est mon pain quotidien, pour moi, infidèle fidèle ; ne me laisse pas dans le noir, j’ai encore à éclairer quelques jeunes consciences dans les écoles et dans les amphis universitaires où, en qualité de témoin, je raconte mon expérience depuis une vie entière« …

Mais cette comparaison-confrontation mienne de ces deux récits autobiographiques d’Edith Bruck, m’a aussi fait m’interroger sur certains flous et certainss blancs _ volontaires _ qui constituent, à mes yeux du moins, autant de « tâches aveugles« , dont l’insatifaction de mon intarissable curiosité de lecteur soucieux de comprendre le mieux possible les tenants et aboutissants de ces récits, me priait de dépasser, vaincre, résoudre les questions qu’elles ne cessaient de me poser :

bien sûr, je comprends parfaitement que la révélation de certains graves faits advenus nécessite de protéger _ un peu _ l’identité véridique et réelle de ceux qui, ou bien y ont directement participé, ou bien en ont été des témoins plus ou moins impliqués :

ainsi, dans chacun de ses deux récits autobiographiques, Edith Bruck ne se résout-elle pas à donner les prénoms effectifs de ses trois sœurs, Lili, Magda et Adel, et de ses deux frères, Ôdön et Laszlo ;

dans « Qui t’aime ainsi« , en 1958-59,

Lili est Leila, Magda est Margo, Adel est Eliz, Ôdon est Peter, et Laszlo est Laci ;

alors que dans « Le Pain perdu« , en 2020-21,

Lili devient Sara, Magda devient Mirjam, Adel devient Judit, Ôdon devient David, et Laszlo devient Jonas _ des prénoms affichant (assumant et proclamant même) très clairement leur judéité.

Surtout ce qui me frappe, après plusieurs relectures patientes et attentives aux moindres détails donnés, c’est la disparition de certains personnages, ou parfois seulement le gommage de leur nom _ qu’il s’agisse du nom légal de l’acte d’état-civil de leur naissance, ou de celui que leur a donné, dans chacun de ces deux récits, l’autrice, Edith Bruck _ de certains des épisodes _ riches et dramatiquement agités _ de chacun de ces deux livres.

Ainsi, d’abord et surtout, le personnage du premier amant d’Edith, que celle-ci, en son récit de 1958-59, nomme « Tibi » _ cf ceci, page 83 de « Qui t’aime ainsi«  : « Cinq jours après mon arrivée dans le village slovaque _ en ayant quitté clandestinement la Hongrie, fin décembre 1945 _ le parent tant attendu _ pour l’aider en sa difficile fuite _ arriva. Il se présenta comme le beau-frère de ma sœur Margo (Magda) mais moi je reconnus mon cousin Tibi (Gershon Deutsch)«  _ ; un personnage qu’Edith Bruck situe doublement, au passage, au sein de sa constellation familiale _ de la famille Steinschreiber _ d’une part comme un de ses cousins _ côté Bieber, celui de sa mère, née Berta Bieber _, mais aussi, d’autre part, comme le beau-frère de sa sœur Magda _ alias Margo, ou Mirjam _, puisque ce Tibi est le frère du second mari de Magda _ Ernö Deutsch _ ; et que Magda Steinschreiber, déjà veuve de son premier mari, et mère d’un premier enfant, s’était remariée avec un de ses cousins _ côté maternel, Bieber _, comme l’indique sans s’y attarder ni insister un bref passage, page 92, du « Pain perdu » :

« Mirjam _ Magda Steinschreiber, alias « Margo«  dans « Qui t’aime ainsi«  _ était en train de se remarier avec un de nos cousins _ Ernö Deutsch avait en effet pour mère Helen Bieber (Tiszakarad, 27 juin 1892 – Auschwitz, mai 1944), épouse de David Desider Deutsch (Tolcsva, 17 septembre 1884 – Auschwitz, mai 1944), qui était une des sœurs de Berta Bieber (Tiszakarad, 1er février 1895 – Auschwitz, mai 1944), épouse, elle, de Sandor Sulem Steinschreiber (Tiszabercel, 1895 – Dachau, 6 mars 1945) ; laquelle Berta Bieber était la mère de Lili, Magda, Ôdon, Adel, Laszlo et Edith Steinschreiber : voilà donc la raison du double cousinage entre, d’une part, Magda Steinschreiber et son second mari Ernö Deutsch ; et, d’autre part, entre Edith Steinschreiber et son premier amant, Gershon Deutsch (Krumpachy, 16 février 1922 – Brooklyn, 20 septembre 2009), le trop beau « cousin Tibi » rencontré non loin de la frontière entre la Hongrie et la Slovaquie, comme on le lit à la page 83 de « Qui t’aime ainsi«  : « Mon cousin avait tout juste vingt-trois ans, il était très beau, grand et blond, pas très intelligent« …  _, qui _ lui, Ernö Deutsch (Moldava Nad Bodnou (près de Kosice), 26 janvier 1920 – New-York, 29 janvier 1991) _ avait perdu sa femme et ses deux enfants, et le couple s’était installé en Tchécoslovaquie« .

Et je remarque, aussi, qu’à nul moment, ni dans « Qui t’aime ainsi« , ni dans « Le Pain perdu« , Edith Bruck n’indique un prénom, ni a fortiori le nom de famille, pour ce qui concerne l’identité effective d’Ernö Ernest Deutsch, boulanger, de profession _ et il le sera à nouveau et encore aux États-Unis, à New-York…

Dans le récit de « Qui t’aime ainsi« , le personnage d’Ernö _ évoqué sans nom ni prénom, donc… _ apparaît simplement comme le mari de la sœur d’Edith, Magda alias ici Margo _ ; ainsi, aussi, mais en une occurrence unique _ à ne donc pas laisser passer en sa lecture, car tout cela demeure sans insistance aucune _, à la page 86 de « Qui t’aime ainsi« , comme le frère de Tibi : « Il travaillait dans une usine d’ampoules électriques, comme son frère Tibi. C’était la seule chose qu’ils avaient en commun« …

 Et je note encore au passage que dans « Le Pain perdu« , cette fois,

ni Magda _ alias ici Mirjam, et non plus Margo _ ni son mari, ni le premier enfant né du premier mariage de Magda, le petit « Tomika« , ni non plus, pas davantage, le fils du couple de Magda et Ernö, né, le bébé, aux alentours du mois de juin 1945, n’apparaissent _ afin de réduire le nombre des personnages présents dans ce récit de 2020 ?.. Ou pour gommer la présence alors en Israël de cette famille ?.. _ lors du récit de la complexe et agitée épopée israëlienne d’Edith, entre le 3 septembre 1948, son arrivée au port d’Haïfa, et 1952, son départ d’Israël :

de la famille d’Edith,

n’apparaissent en effet dans « Le Pain perdu« , que les familles de sa sœur Adel _ alias cette fois Judit _, épouse Taub _ Ámos Taub (mais Ámos est-il bien son prénom effectif ? C’est sous le prénom de Ze’ev qu’il apparaît ailleurs, et officiellement ; comme sous celui de Zahava, Adel, son épouse…) et Adel Steinschreiber (alias ici Judit ; Adel était Eliz dans le récit de 1959) se sont en effet mariés lors de la retenue de plusieurs mois à Chypre de leur bateau à destination de la Palestine, avant que ce bateau ait été enfin autorisé par les Anglais à accoster enfin en ce qui devient Israël.. : « Judit vivait dans un quartier de la banlieue de Haîfa, avec son mari, épousé à Chypre, et ils avaient un enfant prénommé Haïm« , lit-on, page 108 du « Pain perdu«  _, et de son frère Ôdön _ alias cette fois David : « mon frère, sa femme et leur bébé vivaient dans une coopérative agricole » (page 108) ; « près de Zikhron Yaakov » (page 114)… _ ;

mais pas la famille de Magda _ alias ici Mirjam (et Margo dans le récit de 1959) _ et Ernö _ pourtant très amplement évoquée, et à de nombreuses reprises, avec leur domicile à Haïfa, dans le récit de « Qui t’aime ainsi« , en 1959 : aux pages 111, 112, 113, 114, 115, puis 129 ; Edith logeant un moment chez sa sœur, à Haïfa … _ ;

ni, non plus, qu’une ultime apparition de Gershon Deutsch _ alias Tibi _, et précisément au domicile de Magda et Ernö Deutsch, à HaïfaGershon Deutsch venait ce jour-là rendre visite à sa belle-sœur Magda _ ; ainsi que le mentionnait, page 115, le récit de « Qui t’aime ainsi« , en 1959 :

« Un jour, je rencontrai le cousin Tibi _ Gershon Deutsch _, militaire lui aussi, qui venait saluer _ chez elle, à Haïfa _ ma sœur _ sa belle-sœur, l’épouse de son frère Ernö Deutsch. Il me fit à nouveau la cour, disant que désormais j’étais une femme divorcée _ de Milan Grün, le premier mari d’Edith _ et je n’avais rien à perdre. Je le méprisais plus qu’avant et il ne se passa rien entre nous. Pour l’éviter, je quittai la maison de Margo _ c’est-à-dire Magda, chez laquelle logeait alors sa sœur Edith. Je n’avais pas un sou et ce ne fut qu’une fois dans la rue que je commençai à penser à un endroit où aller. Pour mon travail, je n’étais payée qu’à la fin du mois et je n’avais pas d’argent pour aller à l’hôtel. À la fin, je trouvai un balcon dans un hôtel, couvert d’une bâche, avec un lit« …

De minimes points demeurent encore obscurs dans mon esprit, concernant l’identité précise des quelques personnes très rapidement citées _ plutôt qu’évoquées… _, dans « Le Pain perdu » :

_ à la page page 94 :

« Il y a l’oncle Moriz en Palestine ! Tu venais à peine de naître quand il est parti. (…) Il était boulanger  » ;

_ à la page page 103 :

En Israël, « je retrouverais peut-être le frère _ Steinschreiber _ de notre père » ;

_ à la page 108 :

« Mon oncle Joël se trouvait à Tel-Aviv, avec ses deux garçons : Avi et Itaï » ;

_ à la page page 110 :

« Oncle Joël, il ressemble à papa ?« .

Et aussi,

_ à la page 116 :

« Et le mari de notre cousine Adele, qui est boulanger ?« …

Reprenant à propos de ce même personnage d’Adele _ semblablement présent, en son prénom, comme en son lien de parenté (une « cousine« ) avec Edith et sa sœur, dans les deux récits de 2020 et 1959 _, ceci, à la page 76 de « Qui t’aime ainsi » :

de retour des camps d’Allemagne, « ma cousine Adele reconnaît Peter _ alias Ôdön : alors assez mal en point dans un fossé sur le bord de la route… _  et le traîna à l’hôpital le plus proche »…

Qui sont donc cette « cousine Adele« , cet « oncle Moriz » et cet « oncle Joël » (ainsi que les deux fils de ce dernier, les cousins Avi et Itaï), tous parvenus en Israël, et y résidant alors ?..

Je n’ai pas encore réussi à le découvrir…

Ce jeudi 10 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et enfin un regard sur le final (pages 129 à 165) du « Pain perdu » d’Edith Bruck : de 1952 à 1966, au moins…

09fév

Bien sûr, il me faut aussi me pencher sur ce que, très volontairement, Edith Bruck avait choisi de taire en son « Qui t’aime ainsi » de 1959 :

 

soit ce qui de 1952 à 1959 venait de succéder en son parcours de vie et survie à ses séjours et passages, depuis sa Hongrie natale, en 1931 : Allemagne (et quelques divers lager sur son territoire) – Pologne (Auschwitz, Christianstadt), Tchécoslovaquie (Kosice, Prague, Podmokly, Prague, Podmokly), Hongrie, Tchécoslovaquie, Hongrie à nouveau, Allemagne, France (Marseille), Israël, Grèce (Athènes), Turquie (Istanbul), Suisse (Zurich) et Italie (d’abord Naples, puis, et définivement Rome) ;

et qu’elle évoque dans « Le pain perdu » de 2021…

 

Ce mercredi 9 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa 

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