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Découvrir et écouter vraiment aussi le volet symphonique de l’oeuvre sublime de Mieczyslaw Weinberg…

13oct

La toute récente parution, ainsi que l’écoute, du CD « Weinberg Symphonies n° 3 & 7 – Flute Concerto n°1 » (DG 486 2402),

placé _ un peu étrangement ! _ sous le nom _ pour la deuxième fois ! _ non pas du compositeur, Mieczyslaw Weinberg (Varsovie, 8 décembre 1919 – Moscou, 26 février 1996),

mais de sa chef d’orchestre Mirga Grazynité-Tyla _ par quel bizarre choix, à nouveau, du label Deutsche Grammophon, qui avait procédé de semblable manière lors de la parution, en 2019, du double (et admirable !) double CD DG 483 6566 des « Weinberg Symphonies n°2 & n° 21″ titrée « Kaddish«  : un chef d’œuvre !.. _,

m’a incité à écouter beaucoup plus attentivement l’ensemble discographique du volet symphonique de l’œuvre de ce compositeur _ que j’apprécie énormément ! _, dont je dispose à ce jour _ et qui se monte au nombre de 9 Symphonies, sur les 21 composées par Weinberg entre 1942 et 1991 : l’ultime, Op. 154, ayant été laissée inachevée en 1994… _, en ma discothèque personnelle :

soient les Symphonies

n° 2 (Op. 30 de 1946), par la Kremerata Baltica, sous la direction de Mirga Grazynité-Tyla (double CD Deutsche Grammophon 4836566), enregistrée à Vilnius au mois de décembre 2018 ;

n° 3 (Op. 45, de 1949-1950, révisée en 1959), par le City of Birmingham Symphony Orchestra, sous la direction de Mirga Grazynité-Tyla (double CD Deutsche Grammophon 4862402), enregistrée à Birmingham au mois de juin 2021 ;

n° 6 (Op. 79, de 1963), par le St-Petersburg State Symphony Orchestra, sous la direction de Vladimir Lande (CD Naxos 8.572779), enregistrée à Saint-Petersbourg au mois de décembre 2010 ;

n° 7 (Op. 81, de 1964), par le Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, sous la direction de Mirga Grazynité-Tyla (double CD Deutsche Grammophon 4862402), enregistrée à Dortmund au mois de décembre 2020 ;

n° 8 (Op. 83, « Polish Flowers« , de 1964), par le Warsaw Philharmonic Orchestra, sous la direction d’Antoni Wit (CD Naxos 8. 572873), enregistrée à Varsovie au mois de juin 2011 ;

n°10 (Op. 98, de 1968), par la Kremerata Baltica, sous la direction de Gidon Kremer (double CD ECM 2368/69 4810669), enregistrée à Neuhardenberg au mois de novembre 2012 ;

n° 12 (Op. 114, « In memoriam Dmitri Shostakovich« , de 1975-1976), par le St-Petersburg State Symphony Orchestra, sous la direction de Vladimir Lande (CD Naxos 8.573085), enregistrée à Saint-Petersbourg au mois de juin 2012 ;

n° 20 (Op. 150, de 1988), par le Gothenburg Symphony Orchestra, sous la direction de Thor Svedlund (CD Chandos CHSA 5107), enregistrée à Gotheborg au mois d’août 2011; 

et n° 21 (Op. 152, « Kaddish« , de 1991). par le City of Birmingham Symphony Orchestra et la Kremerata Baltica, sous la direction de Mirga Grazynité-Tyla (double CD Deutsche Grammophon 4836566), enregistrée à Birmingham au mois de novembre 2018.

Existent à ce jour, semble-t-il _ si je me rapporte à l’excellent site, constamment remis à jour, de Claude Torres : Musiques régénérées, recensant avec une remarquable exhaustivité la discographie de Mieczyslaw Weinberg ; ainsi, bien sûr, qu’à la liste complète des Œuvres de Mieczyslaw Weinberg _des enregistrements CDs _ pas tous disponibles cependant sur le marché aujourd’hui… _ de la plupart des Symphonies de Weinberg, à l’exception de trois _ et pour des raisons que j’ignore _,

qui sont les Symphonies

n° 9 « Everlasting Times«  (Op. 93, de 1940-1967),

n° 11 « Festive Symphony«  (Op. 101, de 1969)

et n°15 « I believe in this earth » (Op. 119, de 1977)

Si ma propension personnelle m’attire davantage vers la musique de chambre, intime, subtile, et aux voix clairement dessinées, plutôt que vers la musique symphonique, parfois grandiloquente, confuse et trop bruyante à mon goût _ sauf dans la plus délicate, fine, subtile musique française : à la Debussy et Ravel ; mais c’est bien sûr là mon goût personnel… _,

il me faut dire ici que c’est l’extraordinaire réussite du double CD Deutsche Grammophon (de 2019) 483 6566 des Symphonies n° 2 & n° 21 « Kaddish« , sous la direction de Mirga Grazynité-Tyla ré-écouté avec avidité suite à l’audition toute récente du second CD (de 2022) de cette chef dirigeant les Symphonies 3 & 7 de Weinberg (dans le CD Deutsche-Grammophon 486 2402) _, qui m’a donné l’impérieux désir de mieux connaître en l’écoutant mieux le volet symphonique de l’œuvre de ce génial et si intensément bouleversant Mieczyslaw Weinberg, au sein de la discographie dont je dispose…

Mon conseil, donc, si je puis me permettre, pour entrer dans l’univers infiniment touchant (et poignant) _ si intimement expressif _ des Symphonies de Weinberg est celui de commencer par l’écoute de cette sublimissime (et, de fait, testamentaire, en 1991) _ comme sont aussi testamentaires ces bouleversants, eux aussi, chefs d’œuvre ultimes, en 1990 et 1992, que sont les merveilleuses « Symphonies de chambre n°3 et n°4« , Op. 151 (en 1990) et 153 (en 1992) ; à écouter dans les enthousiasmantes interprétations, au choix, ou bien de la Kremerata Baltica, sous la direction de Gidon Kremer, dans le double CD ECM 2538/39 481 4604, enregistré à Riga au mois de juin 2015 ; ou bien, de l’East-West Chamber Orchestra, sous la direction de Rostislav Krimer, dans les CDs Naxos 8.574063 et 8.574210, enregistrés à Minsk aux mois d’octobre 2018 et 2019… _ Symphonie « Kaddish » Op. 152, en six mouvements, de 56′ ;

 

Mieczyslaw Weinberg, récapitulant en quelque sorte, au soir de sa vie de compositeur, et surtout sublimant là, en cette musique si incroyablement profonde, les tragiques parcours de vie de lui-même ainsi que des siens,

de par l’Ukraine, la Moldavie, la Pologne, pour ses parents ; 

puis, pour lui-même _ né à Varsovie le 8 décembre 1919 _à partir de septembre 1939 et l’invasion de la Pologne par les Nazis, et l’expansion de la Shoah, en ses errances de fuite et difficilement, plusieurs fois, rescapé _ d’Hitler, puis de Staline _, par la Biélorussie (Minsk), la Russie (Moscou), l’Ouzbékistan (Tachkent), avant de pouvoir s’installer à demeure, et vivre, et créer, et pouvoir jouer aussi, tant bien que mal, sa musique, à Moscou ;  où, malade, le compositeur décèdera, à l’âge de 76 ans, le 26 février 1996…

Et quelle musique ! que nous commençons enfin, ces toutes dernières années, notamment par le disque, et par la grâce de telles interprétations de la plus haute exigence, à bien mieux découvrir, œuvre splendide après œuvre splendide, et apprécier enfin, sans préjugés d’aucune sorte, pour elle-même ; et comme sa qualité singulière, forte et intense, le mérite vraiment… 

Ce jeudi 13 octobre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

De l’écriture du « Soldat indien » à la traduction et présentation du « Pain perdu » d’Edith Bruck, des nouvelles (et une vidéo) de René de Ceccatty

09mai

En réponse à mon envoi, ce jour de mon article d’hier 8 mai _ et achevé ce matin _ « « ,

l’ami René de Ceccatty m’a adressé ce courriel-ci :

« Merci cher inépuisable Francis…

J’ai fait suivre ton merveilleux mail à Martine Sagaert qui en sera assurément très  heureuse.
Hier, j’ai servi d’interprète pour une rencontre au Mémorial de la Shoah entre Edith Bruck et le critique Norbert Czarny.
Voici le lien :
https://www.youtube.com/watch?v=FbfbyDWo0Xg&t=24s
Je pense que tu seras touché, mais tu ne découvriras rien de bien nouveau, cela va de soi.
Avec mon amitié et ma reconnaissance, Francis, pour tant d’attention et de travail…
René« 

De fait,

cet Entretien-ci (de 105′ ; vidéocasté), depuis le Mémorial de la Shoah, à Paris, avec Edith Bruck se trouvant, elle, à Rome,

apporte de nouveaux compléments utiles aux lecteurs admiratifs et un peu curieux de son passionnant _ et best-seller international ! _ « Le Pain perdu« …

Et René de Ceccatty est aussi en train de traduire de l’italien en français deux autres livres récents d’Edith Bruck,

qu’il connaît bien désormais,

ouvrages dans lesquels Edith Bruck aborde la vie à Rome avec son compagnon Nelo Risi (Milan, 1920 – Rome, 2015) :

« La Rondine sul termosifone » paru en 2017

et « Ti lascio dormire » paru en 2018,

aux Éditions La nave di Teseo…

Actualité littéraire bien sûr à suivre de très près…

Ce lundi 9 mai 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une présentation vidéo essentielle du « Pain perdu » d’Edith Bruck par son traducteur en français René de Ceccatty, sur le site d’Akadem

24fév

Voici le courriel que je viens d’adresser à René de Ceccatty,

en venant de découvrir, par hasard, la vidéo essentielle (de 18′) de sa présentation du « Pain perdu« , sur le site d’Akadem :

 

Cher René,

 
je viens de regarder-écouter ta présentation du « Pain perdu » d’Edith Bruck, pour Akadem,
dans laquelle, comme toujours, tu vas à l’essentiel !
 
Les comparaisons des œuvres d’Edith Bruck, dès « Qui t’aime ainsi »,
avec les témoignages majeurs d’Imre Kertész _ « Être sans destin » et « Le chercheur de traces » _ et Primo Levi _ « Si c’est un homme » et « Les Naufragés et les rescapés » _, mais aussi Aharon Appelfeld _ « Histoire d’une vie » _,
sont aussi très bienvenues pour bien situer la place, immense, d’Edith Bruck, parmi ces œuvres _ faut-il dire littéraires ? _ fondamentales témoignant de la Shoah
mais aussi de ses suites, toujours, toujours présentes.
Et tant qu’elle peut écrire, Edith Bruck continue, continue de porter témoignage.
 
Participer si peu que ce soit à la diffusion de l’œuvre d’Edith Bruck me paraît donc très important !
 
L’humanité fondamentale d’Edith Bruck est, bien sûr, excellemment soulignée dans ce que tu dis ici,
en particulier dans l’accueil que vient de lui réserver le pape François, allant personnellement lui rendre visite chez elle, en son domicile romain…
Comme en la déception d’Edith Bruck devant le geste de suicide de son ami Primo Levi, 
dont témoigne son poème aux pages 39-40 de « Pourquoi aurais-je survécu ? ».
 
Bravo et merci !
 
Francis
 
L’invasion de l’Ukraine est terrifiante !

Ce jeudi 24 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’indispensable « écrire pour respirer » d’Edith Bruck, en 1959 et en 2021 : la constance de l’irrépressible urgence de parler et écrire, quand « le papier écoute tout »…

11fév

En poursuivant toujours mon regard sur la comparaison-confrontation des deux très prenants et superbes manifestes autobiographiques d’Edith Bruck, « Qui t’aime ainsi » (en 1958-59) et « Le Pain perdu » en 2020-21), à soixante ans de distance _ et l’assez stupéfiante mémoire de détails d’une mémoire plus vive que jamais _,

j’en viens ce jour à porter mon regard sur ce qu’Edith Bruck disait, en 1959, et a dit, en 2021, plus spécifiquement de l’outil, pour elle, de l’écriture,

afin de parler, se faire écouter et entendre, se faire un peu comprendre ; et aider à nous entendre vraiment…

En 1959, ce n’est pas tout à fait directement que la narratrice aborde vraiment cette question de l’écriture même,

dans la mesure où ce n’était que très récemment, et à Rome, qu’elle s’était mise vraiment à écrire de manière suivie, jusqu’à en venir à publier très effectivement _ probablement soutenue en cette démarche, par l’écrivain-poète-cinéaste, Nelo Risi, rencontré le 9 décembre 1957, au restaurant Otello, 81 via delle Croce, à Rome : Nelo, le grand amour vrai de sa vie _, chez l’éditeur Lerici, le livre, ce « Chi ti ama cosi« , qu’elle venait alors d’achever… 

C’est plutôt du refus d’écouter et d’entendre vraiment ce qu’elle-même, Edith, et sa sœur Adel avaient à dire de leur parcours, en 199-44, dans les lager, et de leur difficulté à se faire écouter et vraiment comprendre des autres, que ce récit-ci, de 1959, témoigne _ comme a pu en témoigner aussi le percutant et sublime, lui aussi, « Être sans destin » d’Imre Kertész, un autre Juif hongrois revenant de cet Enfer, à Budapest…

Elle écrit donc, et avec une très grande détermination, le récit, qui la travaillait tant dès son retour en Hongrie, à partir de l’automne 1945 ;

elle mais n’avait pas, alors, à réfléchir, aussi, en même temps, sur ce que représentait pour elle cette tâche et cette urgence de confier au papier _ qui l’écoutait fidèlement, lui _ ce que sa mémoire ansi que le poids du présent qu’elle avait à suppporter désormais, en particulier dans ses rapports assez difficiles avec les autres, y compris ses soeurs et son frère survivants…

Ce ne sera que plus tard, au fil de ses écritures suivantes, et des livres qu’elle publiera, que s’insèrera, à l’occasion, dans sa méditation, quelques réflexions, ou souvenirs de paroles prononcées, concernant cette tâche d’écrire…

Dans le récit de 2020-2021, en revanche, et à plusieurs reprises, interviennent diverses réflexions (à soi) et diverses paroles prononcées (en réplique aux positions ou déclarations d’interlocuteurs) quelques significatives expressions sur ce que représente pour elle, Edith Bruck, l’acte même d’écrire, de se confier à l’écoute fidèle et accueillante, du papier…

Ainsi donc, voici celles que j’ai recensées, dans « Le Pain perdu » :

_ face à sa sœur Magda _ alias ici Mirjam _, à Budapest, et lors des retrouvailles initiales d’Edith et Adel _ alias ici  Judit _, à l’automne 1945, ceci, à la page 86 :

« Nous écoutionss notre sœur Mirjam avec l’envie irrépressible de parler ou de nous enfuir. Mais où ? Nous nous sentions un poids, y compris pour nous-mêmes. Nous nous sommes demandées si c’était la vie qui l’avait endurcie« …  ;

_ et encore ceci, au même moment et dans le même lieu, à la page 88 :

« Durant le bref séjour chez Mirjam, (…) nous n’étions même pas libres de parler, car elle nous bloquait (…), elle nous faisait taire« …

La même situation se reproduira pour les deux sœurs lors de la visite à leur autre sœur Lili _ alias ici Sara _ à Miskolc_ dans « Qui t’aime ainsi », il s’agissait de la ville de Debrecen _, face à Lili et Ôdön _ alias ici David _, ceci, à la page 90 :

« Notre envie de parler fermentait en nous« …

Ensuite, et juste après le constat éploré de leur ancienne maison de Tiszabercel complètement dévastée, souillée d’excréments et d’inscriptions antisémites, et à la suite de la décision d’Adel « d’aller à Budapest dans un groupe sioniste, dans l’espoir de rejoindre la Palestine« ,

cette longue conversation-ci, pages 93 à 96, au cours de laquelle les deux sœurs qui ne s’étaient pas quittées depuis Auschwitz, vont dissocier leurs destins respectifs :

« _ Viens avec moi, insistait longuement Adel _ alias ici Judit _ pour me convaincre. Ici, il n’y a pas de place pour nous. Que veux-tu faire ?

_ Écrire.

_ Écrire quoi ? Qu’est-ce que tu te mets en tête ? A qui écris-tu ?

_ À moi.

(…)

_ J’ai commencé à écrire.

(…)

_ Je ne me sens bien nulle part, mais je n’obéis plus à personne.

(…)

_ J’ai accouché de moi-même en un an de douleurs. Ne nous disputons pas.

(…)

_ Je ne supporte pas la foule, j’ai besoin de voir toujours une porte de secours.

(…)

_ J’ai besoin d’écrire maintenant.

(…)

_ Par nécessité, pour respirer.

(…)

_ Nos vrais frères et sœurs sont ceux des camps. Les autres ne nous comprennent pas, ils pensent que notre faim, que nos souffrances équivalent aux leurs. Ils ne veulent pas nous écouter : c’est pour ça que je parlerai au papier.

(…)

_ Le papier écoute tout.

(…) En la voyant s’en aller, je me sentais comme au milieu du désert sans la voix de l’Éternel.« 

Puis, retrouvant Adel _ alias ici Judit _ en Israël, dans une banlieue de Haïfa, en septembre 1948, reprend la conversation entre Adel et Edith, page 109 :

« _ Mon mari _ Amos (mais est-ce là son vrai prénom ?) Taub : ils se sont mariés à Chypre… _, faute de mieux, est agent de police. Il n’est pas heureux, il voulait devenir peintre, comme toi écrivain. Tu écris toujours ?

_ Encore plus qu’avant. Les mots à dire _ voilà ! _ ne cessent d’augmenter. Si c’étaient des enfants conçus, j’accoucherais d’autant que de disparus« .

Puis, aux pages 119-120, quand Dany Roth _alias ici Braun Gabi _, le second mari d’Edith, découvrit qu’elle écrivait, et, furieux, s’empara du cahier qu’elle tenait dans ses mains :

«  _ Je vais le déchirer ! Et il joignit le geste à la parole.

_ Tu peux en faire ce que tu voudras. Déchire-le, brûle-le, de toute façon je le recommencerai. Il est indestructible : il est écrit à l’intérieur de moi et personne ne pourra l’effacer« …

Et la question de l’écriture se pose bien davantage à Edith Bruck lors de son installation à Rome, où elle va trouver dans l’écriture suivie et menée à bien de son autobiographie une source d’accomplissement.

J’en relève les significatifs passages suivants,

aux pages 146-147 :

« J’étouffais si je ne parlais pas à quelqu’un, si je ne faisais pas quelque chose.

(…) Je repris enfin mon petit cahier, que j’avais abandonné, et j’ai commencé à écrire en italien : « Sono nata in un piccolo villagio ungherese » » _ soit la phrase qui ouvre « Chi t’ama cosi« , en 1958-59…

(…) Et se retrouvant, seule, « dans une chambre meublée à deux pas de la piazza di Spagna, pour un loyer de seize mille lires par mois plus deux cent lires par douche. () La patronne, madame Ida, me scrutait comme si je venais d’une autre planète. (…) Le soir, toute seule, sous l’ampoule du plafonnier, à la lumière avare, j’écrivais jusqu’à ce que m’interrompe madame Ida, de retour du bar _ dans lequel, avec son mari et sa fille, elle allait regardait la télévision _, qui me grondait, me disant de manger, dîner avec eux, ou de sortir et d’aller chez Otello, via della Croce, que fréquentaient des gens du cinéma.

_ Vous êtes une jolie demoiselle, sortez, montrez-vous en public, on vous fera peut-être faire des films. Que faites-vous à rester enfermée à écrire, à vous aveugler ?

Au bout de quelque temps, j’ai fini par l’écouter et je les ai accompagnés pour manger de la soupe aux haricots secs et au chou, ou j’allais chez Otello où les tables étaient réunies de part et d’autre de la salle et où on n’était pas seul.« 

Et c’est chez Otello, qu’un jour de décembre 1957, le 9 précisément, « un inconnu _ qui était poète et cinéaste _ m’interrogea aussitôt sur le livre que j’étais en train d’écrire. (…) Un homme qui est entré aussitôt dans mon âme » :

c’était Nelo Risi, l’amour vrai de sa vie…

Ce vendredi 11 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Quelques éléments que j’ai appris de ma lecture comparée de « Qui t’aime ainsi » (de 1959) et « Le Pain perdu » (de 2021), en particulier sur la constellation familiale des Steinschreiber-Bieber-Deutsch, et le cousin Tibi…

10fév

La comparaison-confrontation des deux récits autobiographiques, « Qui t’aime ainsi » (en 1959) et « Le Pain perdu » en 2021), est riche de bien intéressantes données,

outre, bien sûr, le fait que ces deux actes d’écriture avaient deux fonctions bien différentes pour Edith Bruck, leur auteur, à deux époques cruciales de sa vie de personne, autant que d’écrivain-témoin :

en 1958-59, trouver à qui _ le papier ! avec le stylo… _ parler, se confier, afin d’essayer de se trouver enfin, et se comprendre mieux ;

en 2020-21, revenir, à 90 ans, et face aux résurgences nauséabondes de l’Europe d’aujourd’hui, en particulier en sa Hongrie natale, comme en son Italie d’accueil, du négationnisme de l’Histoire _ de la Shoah _ et de la barbarie annihilatrice de l’antisémitisme, ainsi que l’expriment plusieurs expressions on ne peut plus limpides et éclairantes au final de cet admirable « Pain perdu » :

_ à la page 156 :

« En fille adoptive de l’Italie, qui m’a donné beaucoup plus que le pain quotidien, et je ne peux que lui en être reconnaissante, je suis aujourd’hui profondément troublée pour mon pays et pour l’Europe, où souffle un vent pollué par de nouveaux fascismes, racismes, nationalismes, antisémitismes, que je ressens doublement : des plantes vénéneuses qui n’ont jamais été éradiquées et où poussent de nouvelles branches, des feuilles que le peuple dupé mange, en écoutant des voix qui hurlent en son nom, affamé qu’il est d’identité forte, revendiquée à cor et à cri, italianité pure, blanche… Quelle tristesse, quel danger !  » ;

_ et aussi, page 164, au final de la formidable adresse de sa « Lettre à Dieu » :

« Je Te prie, pour la première fois je Te demande quelque chose : la mémoire, qui est mon pain quotidien, pour moi, infidèle fidèle ; ne me laisse pas dans le noir, j’ai encore à éclairer quelques jeunes consciences dans les écoles et dans les amphis universitaires où, en qualité de témoin, je raconte mon expérience depuis une vie entière« …

Mais cette comparaison-confrontation mienne de ces deux récits autobiographiques d’Edith Bruck, m’a aussi fait m’interroger sur certains flous et certainss blancs _ volontaires _ qui constituent, à mes yeux du moins, autant de « tâches aveugles« , dont l’insatifaction de mon intarissable curiosité de lecteur soucieux de comprendre le mieux possible les tenants et aboutissants de ces récits, me priait de dépasser, vaincre, résoudre les questions qu’elles ne cessaient de me poser :

bien sûr, je comprends parfaitement que la révélation de certains graves faits advenus nécessite de protéger _ un peu _ l’identité véridique et réelle de ceux qui, ou bien y ont directement participé, ou bien en ont été des témoins plus ou moins impliqués :

ainsi, dans chacun de ses deux récits autobiographiques, Edith Bruck ne se résout-elle pas à donner les prénoms effectifs de ses trois sœurs, Lili, Magda et Adel, et de ses deux frères, Ôdön et Laszlo ;

dans « Qui t’aime ainsi« , en 1958-59,

Lili est Leila, Magda est Margo, Adel est Eliz, Ôdon est Peter, et Laszlo est Laci ;

alors que dans « Le Pain perdu« , en 2020-21,

Lili devient Sara, Magda devient Mirjam, Adel devient Judit, Ôdon devient David, et Laszlo devient Jonas _ des prénoms affichant (assumant et proclamant même) très clairement leur judéité.

Surtout ce qui me frappe, après plusieurs relectures patientes et attentives aux moindres détails donnés, c’est la disparition de certains personnages, ou parfois seulement le gommage de leur nom _ qu’il s’agisse du nom légal de l’acte d’état-civil de leur naissance, ou de celui que leur a donné, dans chacun de ces deux récits, l’autrice, Edith Bruck _ de certains des épisodes _ riches et dramatiquement agités _ de chacun de ces deux livres.

Ainsi, d’abord et surtout, le personnage du premier amant d’Edith, que celle-ci, en son récit de 1958-59, nomme « Tibi » _ cf ceci, page 83 de « Qui t’aime ainsi«  : « Cinq jours après mon arrivée dans le village slovaque _ en ayant quitté clandestinement la Hongrie, fin décembre 1945 _ le parent tant attendu _ pour l’aider en sa difficile fuite _ arriva. Il se présenta comme le beau-frère de ma sœur Margo (Magda) mais moi je reconnus mon cousin Tibi (Gershon Deutsch)«  _ ; un personnage qu’Edith Bruck situe doublement, au passage, au sein de sa constellation familiale _ de la famille Steinschreiber _ d’une part comme un de ses cousins _ côté Bieber, celui de sa mère, née Berta Bieber _, mais aussi, d’autre part, comme le beau-frère de sa sœur Magda _ alias Margo, ou Mirjam _, puisque ce Tibi est le frère du second mari de Magda _ Ernö Deutsch _ ; et que Magda Steinschreiber, déjà veuve de son premier mari, et mère d’un premier enfant, s’était remariée avec un de ses cousins _ côté maternel, Bieber _, comme l’indique sans s’y attarder ni insister un bref passage, page 92, du « Pain perdu » :

« Mirjam _ Magda Steinschreiber, alias « Margo«  dans « Qui t’aime ainsi«  _ était en train de se remarier avec un de nos cousins _ Ernö Deutsch avait en effet pour mère Helen Bieber (Tiszakarad, 27 juin 1892 – Auschwitz, mai 1944), épouse de David Desider Deutsch (Tolcsva, 17 septembre 1884 – Auschwitz, mai 1944), qui était une des sœurs de Berta Bieber (Tiszakarad, 1er février 1895 – Auschwitz, mai 1944), épouse, elle, de Sandor Sulem Steinschreiber (Tiszabercel, 1895 – Dachau, 6 mars 1945) ; laquelle Berta Bieber était la mère de Lili, Magda, Ôdon, Adel, Laszlo et Edith Steinschreiber : voilà donc la raison du double cousinage entre, d’une part, Magda Steinschreiber et son second mari Ernö Deutsch ; et, d’autre part, entre Edith Steinschreiber et son premier amant, Gershon Deutsch (Krumpachy, 16 février 1922 – Brooklyn, 20 septembre 2009), le trop beau « cousin Tibi » rencontré non loin de la frontière entre la Hongrie et la Slovaquie, comme on le lit à la page 83 de « Qui t’aime ainsi«  : « Mon cousin avait tout juste vingt-trois ans, il était très beau, grand et blond, pas très intelligent« …  _, qui _ lui, Ernö Deutsch (Moldava Nad Bodnou (près de Kosice), 26 janvier 1920 – New-York, 29 janvier 1991) _ avait perdu sa femme et ses deux enfants, et le couple s’était installé en Tchécoslovaquie« .

Et je remarque, aussi, qu’à nul moment, ni dans « Qui t’aime ainsi« , ni dans « Le Pain perdu« , Edith Bruck n’indique un prénom, ni a fortiori le nom de famille, pour ce qui concerne l’identité effective d’Ernö Ernest Deutsch, boulanger, de profession _ et il le sera à nouveau et encore aux États-Unis, à New-York…

Dans le récit de « Qui t’aime ainsi« , le personnage d’Ernö _ évoqué sans nom ni prénom, donc… _ apparaît simplement comme le mari de la sœur d’Edith, Magda alias ici Margo _ ; ainsi, aussi, mais en une occurrence unique _ à ne donc pas laisser passer en sa lecture, car tout cela demeure sans insistance aucune _, à la page 86 de « Qui t’aime ainsi« , comme le frère de Tibi : « Il travaillait dans une usine d’ampoules électriques, comme son frère Tibi. C’était la seule chose qu’ils avaient en commun« …

 Et je note encore au passage que dans « Le Pain perdu« , cette fois,

ni Magda _ alias ici Mirjam, et non plus Margo _ ni son mari, ni le premier enfant né du premier mariage de Magda, le petit « Tomika« , ni non plus, pas davantage, le fils du couple de Magda et Ernö, né, le bébé, aux alentours du mois de juin 1945, n’apparaissent _ afin de réduire le nombre des personnages présents dans ce récit de 2020 ?.. Ou pour gommer la présence alors en Israël de cette famille ?.. _ lors du récit de la complexe et agitée épopée israëlienne d’Edith, entre le 3 septembre 1948, son arrivée au port d’Haïfa, et 1952, son départ d’Israël :

de la famille d’Edith,

n’apparaissent en effet dans « Le Pain perdu« , que les familles de sa sœur Adel _ alias cette fois Judit _, épouse Taub _ Ámos Taub (mais Ámos est-il bien son prénom effectif ? C’est sous le prénom de Ze’ev qu’il apparaît ailleurs, et officiellement ; comme sous celui de Zahava, Adel, son épouse…) et Adel Steinschreiber (alias ici Judit ; Adel était Eliz dans le récit de 1959) se sont en effet mariés lors de la retenue de plusieurs mois à Chypre de leur bateau à destination de la Palestine, avant que ce bateau ait été enfin autorisé par les Anglais à accoster enfin en ce qui devient Israël.. : « Judit vivait dans un quartier de la banlieue de Haîfa, avec son mari, épousé à Chypre, et ils avaient un enfant prénommé Haïm« , lit-on, page 108 du « Pain perdu«  _, et de son frère Ôdön _ alias cette fois David : « mon frère, sa femme et leur bébé vivaient dans une coopérative agricole » (page 108) ; « près de Zikhron Yaakov » (page 114)… _ ;

mais pas la famille de Magda _ alias ici Mirjam (et Margo dans le récit de 1959) _ et Ernö _ pourtant très amplement évoquée, et à de nombreuses reprises, avec leur domicile à Haïfa, dans le récit de « Qui t’aime ainsi« , en 1959 : aux pages 111, 112, 113, 114, 115, puis 129 ; Edith logeant un moment chez sa sœur, à Haïfa … _ ;

ni, non plus, qu’une ultime apparition de Gershon Deutsch _ alias Tibi _, et précisément au domicile de Magda et Ernö Deutsch, à HaïfaGershon Deutsch venait ce jour-là rendre visite à sa belle-sœur Magda _ ; ainsi que le mentionnait, page 115, le récit de « Qui t’aime ainsi« , en 1959 :

« Un jour, je rencontrai le cousin Tibi _ Gershon Deutsch _, militaire lui aussi, qui venait saluer _ chez elle, à Haïfa _ ma sœur _ sa belle-sœur, l’épouse de son frère Ernö Deutsch. Il me fit à nouveau la cour, disant que désormais j’étais une femme divorcée _ de Milan Grün, le premier mari d’Edith _ et je n’avais rien à perdre. Je le méprisais plus qu’avant et il ne se passa rien entre nous. Pour l’éviter, je quittai la maison de Margo _ c’est-à-dire Magda, chez laquelle logeait alors sa sœur Edith. Je n’avais pas un sou et ce ne fut qu’une fois dans la rue que je commençai à penser à un endroit où aller. Pour mon travail, je n’étais payée qu’à la fin du mois et je n’avais pas d’argent pour aller à l’hôtel. À la fin, je trouvai un balcon dans un hôtel, couvert d’une bâche, avec un lit« …

De minimes points demeurent encore obscurs dans mon esprit, concernant l’identité précise des quelques personnes très rapidement citées _ plutôt qu’évoquées… _, dans « Le Pain perdu » :

_ à la page page 94 :

« Il y a l’oncle Moriz en Palestine ! Tu venais à peine de naître quand il est parti. (…) Il était boulanger  » ;

_ à la page page 103 :

En Israël, « je retrouverais peut-être le frère _ Steinschreiber _ de notre père » ;

_ à la page 108 :

« Mon oncle Joël se trouvait à Tel-Aviv, avec ses deux garçons : Avi et Itaï » ;

_ à la page page 110 :

« Oncle Joël, il ressemble à papa ?« .

Et aussi,

_ à la page 116 :

« Et le mari de notre cousine Adele, qui est boulanger ?« …

Reprenant à propos de ce même personnage d’Adele _ semblablement présent, en son prénom, comme en son lien de parenté (une « cousine« ) avec Edith et sa sœur, dans les deux récits de 2020 et 1959 _, ceci, à la page 76 de « Qui t’aime ainsi » :

de retour des camps d’Allemagne, « ma cousine Adele reconnaît Peter _ alias Ôdön : alors assez mal en point dans un fossé sur le bord de la route… _  et le traîna à l’hôpital le plus proche »…

Qui sont donc cette « cousine Adele« , cet « oncle Moriz » et cet « oncle Joël » (ainsi que les deux fils de ce dernier, les cousins Avi et Itaï), tous parvenus en Israël, et y résidant alors ?..

Je n’ai pas encore réussi à le découvrir…

Ce jeudi 10 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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