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« Faire monde » face à l’angoisse du tout sécuritaire : la nécessaire anthropologie politique de Michaël Foessel

18jan

Pour présenter la conférence _ l’enregistrement dure 65 minutes _ de cet après-midi même,

mardi 18 janvier 2011, à 18 heures, dans les salons Albert-Mollat,

_ et dans le cadre de la saison 2010-2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux _,

de Michaël Foessel :

« Les nouveaux modèles sécuritaires : vers une cosmopolitique de la peur ? »


Comment expliquer que l’affaiblissement des modèles de justice _ cf Mireille Delmas-Marty : Libertés et sûreté dans un monde dangereux (aux Éditions du Seuil) : un livre très important ! + mon article du 30 mai 2010 : Curiosité, inspiration et génie : splendeur de la conférence (artiste et rigoureuse) de Mireille Delmas-Marty au Festival Philosophia 2010 à Saint-Emilion _ s’accompagne de la montée en puissance des politiques sécuritaires ? Assiste-t-on aujourd’hui à un retour inattendu des États-nations et de leur souveraineté, comme semble l’indiquer le durcissement des politiques d’immigration ? Pourquoi la mondialisation libérale ne s’accompagne-t-elle pas d’une référence à un droit cosmopolitique ?

On montrera que le « monde » de la mondialisation se définit avant tout par la conscience du risque et la généralisation des peurs : un monde que l’on cherche seulement à préserver est aussi un monde que l’on a renoncé à transformer.

Ce renoncement pourrait bien être un écueil pour la démocratie…

voici, à nouveau

_ la première fois, ce fut le 22 avril 2010 : Le courage de “faire monde” (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel _,

ma présentation de son _ excellentissime ! _ livre État de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire (aux Éditions Le Bord de l’eau) :

Comme pour poursuivre le questionnement (et l’analyse !) sur les manières de résister _ intelligemment et efficacement ! _ aux ravages civilisationnels de l’étroitesse utilitariste _ dictatoriale ! subrepticement totalitaire ! _ du néolibéralisme

_ cf mon article précédent « Penser le post-néolibéralisme : prolégomènes socio-économico-politiques, par Christian Laval«  à propos de la conférence de Christian Laval « Néolibéralisme et économie de l’éducation« , mercredi dernier à la librairie Mollat _,

voici que paraît ce mois d’avril 2010, sous la plume de l’excellent Michaël Foessel _ l’auteur du lucidissime, déjà, La Privation de l’intime, aux Éditions du Seuil en 2008 : le sous-titre en était : « mises en scènes politiques des sentiments«  : un travail déjà très important et magnifique !.. _ un passionnant et très riche (en 155 pages alertes, nourries et incisives !) État de Vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire,

aux Éditions Le Bord de l’eau (sises _ après Latresne… _ à Lormont, sur les bords de la Garonne…),

et dans une collection, « Diagnostics« , que dirigent nos judicieux collègues bordelais Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc…

L’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse _ et de culture :

principalement philosophique : de Hobbes, excellemment « fouillé«  (entre Le Citoyen et Léviathan), à Hannah Arendt (La Crise de la culture) ou Hans Blumenberg (Naufrage avec spectateur, paru en traduction française aux Éditions de L’Arche en 1994) et Wendy Brown (Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique), ainsi que, et surtout, les dernières leçons au Collège de France de Michel Foucault (par exemple Naissance de la biopolitique, ou L’Herméneutique du sujet ; et aussi La Gouvernementalité, en 1978, disponible in Dits et écrits…) ;

mais pas seulement : cf, par exemple, la mise à profit par Michaël Foessel du tout récent et important travail de la juriste Mireille Delmas-Marty : Libertés et sureté dans un monde dangereux ; ou de celui du Prix Nobel d’économie Amartya Sen, in le rapport de l’ONU paru en 2003 La Sécurité humaine maintenant…) _

l’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse

de Michaël Foessel, n’ont, Dieu merci !, rien d’étroit ; ni de mesquin, d’avare 

Non plus que sa sollicitude _ passablement inquiète (sinon « vigilante«  !..), sans être excessivement dramatisée, voire hystérisée, cependant : à la différence des rhétoriques (sécuritaires) excellemment mises en lumière et critiquées ici, en leur banalisation même, à renfort quotidien, laminant, de medias et de communiquants, d’un « catastrophisme«  très complaisamment et non innocemment surjoué, lui !.. _

non plus que sa sollicitude, donc,

à l’égard de la santé de la démocratie et du « vivre ensemble » en notre histoire collective (sociale, économique, politique) désormais globalisée _ d’où l’expression du titre de cet article : « faire monde » !

La quatrième de couverture de État de Vigilance _ Critique de la banalité
sécuritaire
énonce ceci (avec mes farcissures ! si l’on veut bien…) :

« Nous vivons sous le règne de l’évidence _ à la fois matraquée par les medias et les divers pouvoirs ; mais aussi largement assimilée (et partagée) par bien des individus (je n’ose dire « citoyens« , tant ils se dépolitisent et « s’esseulent« …), qui y adhérent, donc, en nos démocraties… _ sécuritaire. Des réformes pénales _ telle « la loi sur la « rétention de sûreté » adoptée par le Parlement français en février 2008 » (cf page 51)… _ aux sommets climatiques en passant par les mesures de santé : l’impératif _ normé _ de précaution a envahi nos existences. Mais de quoi désirons-nous tant _ voilà la dimension anthropologique fondamentale que dégage magnifiquement le travail d’analyse, ici, de Michaël Foessel _ nous prémunir ? Pourquoi la sécurité produit-elle _ de fait, sinon de droit, en ces moments-ci de notre histoire contemporaine… _ de la légitimité _ socialement, du moins _ ? Et que disons-nous lorsque nous parlons _ ainsi que le relève aussi Mireille Delmas-Marty _ d’un monde « dangereux » ?

Le maître mot de cette nouvelle perception du réel est « vigilance » _ à laquelle sont expressément et en permanence « invités« , en leur plus grande « liberté«  (d’individus), et au nom du plus élémentaire « bon sens« , les membres de nos sociétés, au nom de leurs plus élémentaires (toujours : nous sommes là et demeurons dans le plus strict « basique«  ! du moins, apparemment !..), au nom de leurs plus élémentaires intérêts : « vitaux«  !.. Rien de plus « rationnel« , en conséquence !!!

L’état _ permanent : sans cesse (obligeamment !) rappelé : on s’y installe et on le réactive d’instant en instant le plus possible… _ de vigilance s’impose _ ainsi : avec la plus simple (et douce) des évidences ! « naturellement« , bien sûr ! _ aux individus non moins qu’aux institutions : il désigne l’obligation _ bien comprise ; mais non juridique ! _ de demeurer sur ses gardes _ apeuré _ et d’envisager le présent _ en permanence, donc _ à l’aune des menaces _ de tous ordres, et fort divers : Michaël Foessel en analyse quelques unes ; ainsi que l’effet (incisif) de leur conglomérat (pourtant composite : en réciproques contagions)… _ qui pèsent sur lui.

Cette éthique de la mobilisation _ apeurée, donc _ permanente _ voilà : à coup d’« alarmes«  et de « conseils de précaution«  (préventifs et réitérés) des plus aimable : du type « à bon entendeur, salut !«  _ est d’abord celle du marché _ tiens donc ! mais rien n’est gratuit en ce bas monde : tout a un « coût« , n’est-ce pas ?.. : la première évidence, et normative, est donc, par là, marchande ! _, et ce livre montre le lien entre la banalité sécuritaire et le néolibéralisme _ c’est là le point capital. Abandonnant le thème _ bien connu, lui ; et assez bien balisé _ de la « surveillance généralisée », il propose _ plus profondément et plus originalement _ une analyse des subjectivités vigilantes _ apeurées contemporaines : ce sont elles les acteurs-fantassins du premier « front«  On découvre la complicité _ politico-économico-sociétale _ secrète entre des États qui rognent _ oui ! en leur forme d’« État libéral-autoritaire«  : analysé dans le chapitre 1 du livre : « L’État libéral-autoritaire« , pages 27 à 55 : une analyse décisive !!! _ sur la démocratie _ voilà ! et l’enjeu est de taille !!! _ et des citoyens qui aiment _ voilà _ de moins en moins _ en effet _ leur liberté _ eh ! oui ! au profit du fantasme de leur « confort«  désiré, mis à mal (par toutes ces « inquiétudes«  !), mais encore moins satisfait ainsi : de plus en plus rabroué !!! au contraire…

L’équilibre (par définition instable : la dynamique de ce dispositif est conçue et voulue ainsi ! en spirale vertigineuse) des pratiques et de discours (rhétoriques) et de pouvoir bien effectif, lui (avec espèces bien sonnantes et bien trébuchantes à la clé !), des communiquants amplement mis à contribution et des détenteurs du pouvoir politique (ainsi qu’économique : mais ils sont en très étroite connexion, collusion) en direction du « public«  (des individus : chacun esseulé dans sa peur) ciblé se situe et se maintient (et cherche à s’installer et durer) en ce schéma mouvant et émouvant (affolant…) : dans la limite, à bien calculer-mesurer, elle, du supportable… Les élections et les sondages d’opinion (d’abord) en fournissant d’utiles indicateurs pour les pilotes décideurs et acteurs « à la manœuvre« 

L’État libéral-autoritaire produit _ ainsi _ des sujets _ assujettis, tout autant que s’assujettisant (d’abord, ou ensuite, ou en couple : comme on préfèrera), ainsi « manœuvrés«  en leurs affects dominants… _ et des peurs qui lui sont adéquats. C’est à cette identité nouvelle entre gouvernants et gouvernés qu’il faut apprendre à résister« 

_ par là, l’intention de ce livre-ci de Michaël Foessel rejoint le souci (de démocratie vraie !) qui animait aussi Christian Laval en sa conférence de mercredi dernier : Néolibéralisme et économie de la connaissance ; ou en son livre avec Pierre Dardot : La Nouvelle raison du monde

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le passage d’analyse de la curiosité, pages 127 à 131 d’État de Vigilance _ à l’ouverture du chapitre 4 et dernier, intitulé « Cosmopolitique de la peur ? » (et explorant de manière très judicieuse « l’hypothèse d’une historicité de la peur«  : l’expression se trouve page 123) _ à partir d’une lecture fine de l’article « Curiosité«   de Voltaire dans l’Encyclopédie : à contrepied de l’interprétation par Lucrèce, au Livre II de De la nature des choses, de ce qui va devenir, à partir de lui, le topos du « naufrage avec spectateur« …

« Aussi longtemps que la sécurité a été une caractéristique de la sagesse et non une garantie politique, la peur était définie comme une faute imputable à l’ignorance. Dans la célèbre ouverture du livre II de son poème, Lucrèce présente ainsi le plaisir qu’il peut y avoir à se sentir en sécurité lorsque tout, autour de soi, s’effondre :

« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense,

d’observer du rivage le dur effort d’autrui,

non que le tourment soit jamais un doux plaisir

mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons. »

Le sage jouit de savoir que sa position n’est pas menacée. Devant le spectacle de la tempête, il ne ressent pas de peur, précisément parce que sa sagesse est ataraxie, tranquillité et constance de l’âme. Il n’y a rien dans ce sentiment du spectateur face à la violence des flots qui ressemble à la « pitié » des modernes : le philosophe antique n’éprouve aucune émotion à contempler les malheurs d’autrui. La pitié est une passion démocratique _ en effet ! _, puisqu’elle suppose l’égalité entre celui qui souffre et le témoin de sa souffrance.

A l’inverse, Lucrèce chante ici la hauteur _ d’âme _ du sage _ épicurien, matérialiste _ qui sait qu’il n’existe pas de Providence _ rien que le jeu de la nécessité et du hasard, avec le clinamen _, et que la colère des Dieux ne peut pas s’abattre sur la Terre. Le philosophe est préparé à l’agitation du monde parce que son savoir le prémunit _ en son âme : en ses affects _ des désordres _ du réel des choses _ qui se laissent expliquer par le mouvement nécessaire des atomes. Son rapport contre la peur est de nature scientifique, construit avec la théorie d’Épicure.

Hans Blumenberg _ en son Naufrage avec spectateur _ a montré que l’histoire de cette image _ du naufrage avec spectateur »  » _ était aussi celle des rapports entre la raison _ voilà : en ses diverses acceptions : plus ou moins calculantes ; plus ou moins utilitaristes… _ et ce qui, dans le monde, est inquiétant. « Le naufrage, en tant qu’il a été surmonté, est la figure d’une expérience philosophique inaugurale » _ écrit Blumenberg, page 15 de ce livre (paru aux Éditions de l’Arche en 1994). La force de cette métaphore réside dans l’opposition entre la terre ferme (où l’homme établit ses institutions _ à peu près stables _ et fonde ses savoirs _ avec une visée de constance _) et la mer comme « sphère de l’imprévisible ». L’élément liquide symbolise le danger puisqu’il échappe aux prévisions, en sorte que le voyage en pleine mer permet de penser la condition humaine dans ce qu’elle a d’effrayant _ dans l’augmentation du risque de mortalité effective. Dans tous les cas, surmonter l’expérience du naufrage suppose de le « voir » du rivage, et de ne pas craindre pour sa vie _ ainsi qu’on l’a évoqué plus haut _ ce fut pages 89 à 91 _, ce sera encore le modèle de Kant dans son analyse du sublime

_ au § 28, Ak V, 261-263 de la Critique de la faculté de juger :

« il importe à Kant que le sublime soit autre chose qu’une épreuve du désastre pour que le déchaînement de la nature devienne l’occasion d’une prise de conscience d’une faculté qui, en l’homme, excède toute nature : sa liberté« , page 90 d’État de Vigilance.

Et Michaël Foessel poursuit alors : « A l’abri de la violence qu’il contemple, le sujet découvre en lui « un pouvoir d’une toute autre sorte, qui (lui) donne le courage de (se) mesurer avec l’apparente toute-puissance de la nature« . La liberté est cette faculté qui situe l’homme à la marge _ voilà ! _ du monde, en sorte qu’il n’a rien à craindre des tumultes naturels. Mais pour que le sujet puisse s’apercevoir _ voilà encore ! _ de sa liberté, il faut qu’il se sente en sécurité et que sa peur ne se transforme pas en angoisse«  _ une distinction cruciale, que Michaël Foessel reprendra plus loin, page 143, à partir de la distinction qu’en fait Heidegger.

Et pour montrer, page 145, avec Paolo Virno, en sa Grammaire de la multitude _ pour une analyse des formes de vie contemporaines, que « la ligne de partage entre peur et angoisse, crainte relative et crainte absolue, c’est précisément ce qui a disparu«  ; et que « c’est plutôt à l’« être au monde » dans son indétermination _ la plus vague qui soit : « Qu’est-ce que j’peux faire ? j’sais pas quoi faire…« , chantonnait en ritournelle la Marianne (confuse…) du Ferdinand de Pierrot le fou, de Godard, sur l’Île de Porquerolles, en 1965 _, c’est-à-dire à la pure et simple exposition à ce qui risque _ voilà _ d’advenir ou de disparaître _ les deux unilatéralement négativement… _, que renvoient les peurs angoissées _ voilà leur réalité et identité (hyper-confuses !) clairement déterminée ! _ du présent.« 

Avec cette précision décisive encore, toujours page 145 : « Les discours de la « catastrophe », une notion qui tend à se généraliser bien au-delà des phénomènes naturels, enveloppent nos craintes d’une aura de fin du monde. Apocalypse sans dévoilement _ et pour cause ! en une (hegelienne) « nuit où toutes les vaches sont noires«  _, la catastrophe devient la figure du mal sous toutes ses formes _ mêlées, emmêlées _ : injustice, souffrance et faute. Les théories de la « sécurité globale » se fondent précisément sur la généralisation _ indéfinie autant qu’infinie _ de ce modèle à toutes les formes d’insécurité, comme s’il n’y avait d’autre moyen d’envisager la résistance du réel qu’à l’aune de son possible effondrement« _ tout fond « cède« … : aux pages 145-146 ;

Michaël Foessel ne se réfère pas aux analyses de Jean-Pierre Dupuy ; par exemple Pour un catastrophisme éclairé

Fin ici de l’incise ouverte avec la référence au « sentiment de sécurité«  comme condition de l’expérience du « sentiment de sublime«  selon Kant ; et les remarques adjacentes sur l’opportunité de la distinction « peur« /« angoisse«  ; et le « catastrophisme« … Et retour aux remarques sur la « curiosité«  et la démarcation de Voltaire par rapport à Lucrèce, aux pages 125 à 128 du chapitre « Cosmopolitique de la peur ?« 

« C’est dans la modernité que l’on procède à une réinterprétation radicale de la métaphore du « naufrage avec spectateur » ; donc du statut anthropologique de la peur«  _ soit le centre de ce livre décidément important qu’est État de Vigilance _ Critique de la banalitésécuritairePour les penseurs des Lumières, il n’est plus question de valoriser la distance indifférente du spectateur, car celle-ci suppose une quiétude qui ressemble trop _ par son statisme, son inertie ; et son anesthésie doucereuse _ à la mort. Désormais, la vie est perçue comme ce qui reste _ bienheureusement ! _ en mouvement _ vital ! pardon de la redondance ! _ grâce à ce qui risque de lui être fatal : le danger devient une dimension positive _ dynamisante _ de l’expérience«  _ se construisant pour sa sauvegarde nécessaire : page 126. « En conséquence, il faut réhabiliter les passions qui, d’une manière ou d’une autre, ont toujours été la source _ nourricière, féconde, fertile _ de ce qui s’est fait de grand dans le monde«  ; et donc « il faut désormais s’intéresser à ce qui se passe sur le bateau afin d’éviter qu’un naufrage se reproduise _ le réel étant répétitif jusque dans ses accidents les plus rares (= un peu moins fréquents, seulement…) : commencent alors à prospérer les statistiques (par exemple dans la Prusse de Frédéric II) : Kant ne manque pas de le remarquer en ouverture de son article crucial Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, en 1784…

« C’est pourquoi Voltaire réinterprète l’image du naufrage avec spectateur dans l’article « Curiosité » de l’Encyclopédie » : « C’est à mon avis la curiosité seule qui fait courir sur le rivage pour voir un vaisseau que la tempête va submerger ! »

Le sentiment de sécurité du sage est contredit par un affect universel : le désir de savoir de quoi il retourne dans les catastrophes. Pour Lucrèce, un naufrage n’est jamais que le résultat d’un mécanisme naturel qui affectait par hasard les hommes. Pour l’éviter, il convenait donc surtout de ne pas prendre la mer _ liquide et mobile : éviter le risque de ce danger ; voire le fuir : en s’abstenant de courir le risque : « mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du monde« , hésitait (et balançait…) encore un Descartes (avec un plus entreprenant « devenir comme maître et possesseur de la Nature« , en 1637 (en son « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences« )… _, et de demeurer sur la terre ferme _ solide et davantage stable _ décrite par la physique épicurienne. A l’inverse, le penseur des Lumières s’intéresse aux naufrages parce qu’ils atteignent ce qu’il y a de plus noble _ voire héroïque _ en l’homme : son désir _ faustien (cf tout ce qui bouge entre le Faust de Christopher Marlowe en 1594, pour ne rien dire de celui de l’écrit anonyme Historia von D. Johann Fausten, publié par l’éditeur Johann Spies, en 1587, et le Faust de Goethe…) _ de dépasser ses limites en apprivoisant _ = « s’en rendre comme maître et possesseur« , dit, à la suite d’un Galilée (« la Nature est écrite en langage mathématique« ), un Descartes, en 1637, donc : les dates ont de l’importance… _ la nature. Dès lors, il faudra se demander comment prendre la mer (c’est-à-dire civiliser le monde _ sinon le coloniser et mettre en « exploitation«  _), sans courir de risques inutiles _ le pragmatisme utilitariste a de bien beaux jours devant lui ; pages 127-128…

Quel est le rapport entre cette valorisation de la curiosité _ à ce moment des Lumières et de l’Encyclopédie _ et l’histoire de la peur ?

Avant les Lumières, Hobbes est le premier _ ou parmi les premiers : cf un Bacon… _ philosophe à réhabiliter la curiosité contre sa condamnation chrétienne. (…) La curiosité n’est rien de plus que « le désir de savoir pourquoi et comment » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre VI. (…) Être curieux, c’est être amoureux _ oui _ de la connaissance des causes : l’homme doit à cette passion _ voilà _ toute sa science et ses plus hautes œuvres de culture. La curiosité est donc l’opérateur _ tel un clinamen de très large amplitude et fécond _ de la différence humaine«  _ par rapport au reste du vivant (et du règne animal) : moins « déployé« 

Et « pourquoi cette réhabilitation de la curiosité est-elle en même temps _ dans l’œuvre de Hobbes _ une valorisation de la peur ?« , page 129.

« Pour les penseurs de la modernité (…), le désir de savoir qui mène le spectateur sur le rivage et l’incite à analyser les causes du désastre s’explique, tout comme la peur _ voilà ! _ par un rapport inquiet au futur.

« C’est l’inquiétude des temps à venir » qui « conduit les hommes à s’interroger sur les causes des choses » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre XI. La curiosité n’est une passion aussi vivace _ c’est aussi une affaire de degrés _ que parce que les êtres humains se trouvent dans l’ignorance de l’avenir, et cherchent par tous les moyens à remédier _ = prendre des mesures préventives tout autant efficientes qu’efficaces (soit prévoir & pourvoir ! pragmatiquement ! _ à leurs craintes«  _ on pourrait citer aussi, ici, le très significatif chapitre XXV du Prince de Machiavel ; avec la double métaphore de la crue catastrophique (faute, aux hommes, d’avoir ni rien prévu, ni rien pourvu !) du fleuve et des « digues et chaussées«  (à concevoir & réaliser) qui, si elles n’empêchent pas la-dite crue d’advenir et se produire, évitent du moins ses effets ravageurs catastrophiques sur les hommes et leurs biens institués ou construits : en les « sauvant«  de la destruction. A cet égard, la « précaution«  (active et efficiente) est plus « moderne«  que la simple « fuite«  (passive) à laquelle recouraient les Anciens…

 

C’est alors que Michaël Foessel compare (et confronte) les peurs contemporaines aux peurs modernes ; et la place changeante qu’y prend, tout particulièrement, en chacune, le remède politique de l’État ; ainsi que ce qu’il qualifie, page 131, de « l’histoire de la rationalisation _ calculante _ de la peur« …

Avec la modernité de Hobbes, « au moment où elle devient raisonnable, la peur acquiert le statut de passion politique _ quand se construisent les États-Nations de la modernité. La banalité sécuritaire se fonde _ alors _ sur cette équivalence entre une peur _ citoyenne _ qui cherche à se dépasser dans la tranquillité _ d’une part _ et _ d’autre part _ un État qui répond _ voilà ! _ à cette exigence par les moyens de la souveraineté » _ voilà !

« Mais qu’en est-il de cette équivalence aujourd’hui ?«  _ en cette première décennie de notre XXIème siècle, page 132.

Les dix-sept pages qui suivent vont y répondre :

et selon « l’hypothèse«  d’« une dépolitisation de la peur » _ dans le cadre oxymorique (à déchiffrer !) des « États libéraux-autoritaires« _ ; c’est elle « qui explique pour une part _ au moins _ les évolutions sécuritaires auxquelles nous assistons« … 

Michaël Foessel alors résume les trois apports du modèle moderne (hobbesien) _ soient :

« passion du calcul rationnel,

rappel à la finitude,

affect qui ne peut se dépasser que dans l’institution :

voilà les trois principales caractéristiques qui font de la peur un sentiment politique à l’intérieur de l’anthropologie classique«  _, afin d’y confronter ce qui se passe à notre époque :

« ce modèle est-il encore le nôtre ?« , demande-t-il, page 136. 

« Il semble que les peurs actuelles empruntent surtout au premier élément : la vigilance prônée dans les sociétés néolibérales est un appel constant à évaluer les risques _ voilà ! _ pour les intégrer à un calcul _ de plus en plus strictement utilitaire _ en termes de coûts et de bénéfices«  _ faisant devenir chacun et tous et en permanence des comptables de leur existence (réduite à cela) !!!

« Il est déjà moins sûr que la peur fonctionne encore comme un correctif à la démesure _ ah ! ah ! la cupidité du profit, de l’appât du gain (d’argent) n’ayant guère, déjà et en effet, de « mesure«  Les mesures sécuritaires _ en effet _ s’inscrivent dans un projet qui est celui de la maîtrise aboutie _ voilà ! _ du monde _ dont les hommes, s’agitant sans cesse _, comme si des technologies électroniques devaient tendanciellement se substituer aux évaluations humaines _ subjectives : par l’exercice personnel du juger… _ de la menace.« 

Et Michaël Foessel de commenter excellemment : « Ainsi qu’on le voit avec la biométrie, le rêve _ un terme qui doit toujours nous alerter ! _ sécuritaire est un rêve d’abolition de la contingence _ voilà l’horreur : le « rêve«  d’une vie enfin sans « jeu«  ! sans la marge d’incertitude d’une « création » éventuelle (= indéterminée, forcément) de notre part ; ce que Kant nomme aussi « liberté » du « génie«  ; ou qui, aussi et encore, est la poiesis _ dans lequel les identités individuelles sont réduites _ voilà ; et drastiquement : telle une implacable peau de chagrin… _ à des paramètres constants et infalsifiables _ une réification (= choséification) de l’homme ! La crainte (…) est _ alors _ plutôt le titre d’un nouveau fantasme de perfection : celui d’un monde régulé _ tel un lit de Procuste ! on y coupe ce qui dépasse _ par des informations dont il n’est plus permis de douter puisqu’elles ont été avalisées par la science _ et ses experts patentés ! en fait l’illusion mensongère (et ici servile et stipendiée !) du scientisme… La peur n’est rationnelle que si elle fait parvenir ceux qui l’éprouvent à un plus haut degré de perception _ pré-formatée _ du réel _ pré-sélectionné et bureaucratiquement breveté, ainsi, par quelques officines monopolistiques !

Mais les peurs actuelles peuvent plutôt être interprétées comme des angoisses _ sans contour ni objets identifiables : re-voilà ce concept crucial _ face au réel _ méconnu, lui, en sa diversité et spécificité qualitative : hors numérisation et comptabilité ! _ et à ce qu’il comporte de hasards _ bel et bien objectifs ! lire ici Augustin Cournot ; ou Marcel Conche : l’excellent L’Aléatoire (paru aux PUF en 1999)… _ et d’incertitudes » _ ludiques et glorieuses… Aux pages 136-137…

« Mais c’est surtout sur le dernier point, celui qui associe la peur et l’institution de la souveraineté, qu’il nous faut admettre ne plus vivre dans un monde hobbesien.« 

Car « la peur qu’éprouvent les sujets à l’égard des institutions est différente de la crainte raisonnable éprouvée face au Souverain«  _ énoncée et décrite dans Léviathan. « Dans un monde globalisé, les craintes _ désormais _ sont transnationales : c’est pourquoi les frontières classiques ne sont plus perçues _ par les individus _ comme des protections suffisantes« 

Et « des peurs contemporaines, on peut dire qu’elles sont « socialisées » en ce sens qu’elles renvoient à des attitudes _ larges et floues : voilà _ plus qu’à des actes illégaux _ spécifiés. Les citoyens ne sont donc pas seulement tenus de craindre les appareils étatiques de contrainte, ils doivent d’abord être vigilants face à _ tout _ ce qui, dans leur environnement immédiat _ infiniment ouvert et mobile _, les met _ subjectivement _ en danger« , pages 137-138.


Avec ce résultat que « le bénéfice de la peur politique, qui est de permettre aux individus de s’abandonner à _ la douceur presque insensible d’ _ une certaine confiance mutuelle _ oui : cette « civilité«  (« pacifique ») était l’objectif politique escompté, au final, du modèle d’État hobbesien _, est alors perdu au bénéfice d’une défiance _ rogue et perpétuellement malheureuse ; plus qu’intranquille : perpétuellement sur le bord de verser dans l’humeur querelleuse et agressive _ généralisée« , page 139. 

Avec aussi ce résultat, terrible : « les peurs d’aujourd’hui isolent _ voilà _ les individus parce qu’elles ne désignent pas un « autre » comme danger, mais se défient _ et fondamentalementdu réel social même _ en son entièreté. Les murs contemporains _ ceux qu’analyse Wendy Brown en son très remarquable Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique _ montrent _ cruellement, en leur réalisme ! _ que la peur n’est plus à l’origine d’un désir communautaire _ celui de « faire monde« , ou « société«  _, mais qu’elle est une invitation à faire sécession _ voilà ! en une « forteresse assiégée«  isolée du reste par ses barbacanes, fossés et douves… _ d’un monde jugé globalement pathogène«  _ (= toxique) : page 139…

Par là, « le modèle de l’aversion _ et de la fuite : mais jusqu’où ?.. _ semble plus adéquat _ en notre aujourd’hui d’« apeurement«  généralisé… _ que celui de la peur classique pour aborder les refus du présent« , en déduit Michaël Foessel, page 142.

Avec cette conséquence éminemment pratique que « confronté à un marché et à des risques qui ne connaissent plus de frontières, les souverainetés étatiques blessées _ et qui demeurent encore _ ne peuvent répondre autrement que sur un mode _ c’est à bien relever ! _ à la fois métaphorique _ ou magique ! d’où les palinodies d’incantations… _ et réactif au désir de monde clos qui anime la peur _ = l’angoisse, en fait… A force de discours _ et pas seulement ceux des communiquants et publicitaires, et autres propagandistes stipendiés _ qui affirment que le danger est partout puisqu’il est le monde lui-même _ voilà ! _, la peur a perdu _ et c’est un comble ! _ sa vertu de circonspection. N’étant plus en mesure de distinguer _ ni évaluer, ou mesurer, non plus ! _ le menaçant de l’inoffensif, elle tend à envisager _ fantasmatiquement _ toute chose _ à l’infini, continument ! _ comme un danger en puissance« , page 143. « Les peurs contemporaines ne font plus monde«  _ par là même : en un « esseulement«  (anti-social) proprement affolant…


Et « l’angoisse advient dans l’effondrement de ces significations _ qui furent jadis familières _ lorsque plus rien ne répond à nos attentes _ devenues seulement mécaniques et réflexes _ ou ne s’inscrit dans un horizon maîtrisé _ mécaniquement, aussi _ par nos actes«  _ selon quelque chose dont Kafka semble avoir, avec beaucoup, beaucoup d’humour, lui, exprimé très lucidement quelque chose…

D’où « les discours de la catastrophe » contemporains… Et « dans les politiques de la catastrophe _ qui se déploient si complaisamment _, il n’y a plus de différence de nature entre un monde qui menace de disparaître à cause de l’insouciance des hommes et une vie qui déraille » _ carrément ; page 146.

Certes « une catastrophe possède des remèdes, mais ceux-ci _ massifs, forcément… _ empruntent toutes leurs procédures à la science _ calculante, ainsi qu’à la techno-science (son compère), à partir de probabilités envisageables selon des moyennes… _ et aux mesures préventives _ techniques, mécaniques et automatisées _ qu’elle permet d’anticiper.

Sciences du climat, mais aussi du comportement, du crime, de la gestion des risques sanitaires et de la conduite _ envisageable, grosso modo, statistiquement… : le raisonnement se fait sur des ensembles, des masses, des foules ; et pas sur des singularités : non ciblables… _ des hommes _ coucou ! les revoilà ! _ : autant d’édifices théoriques qui figent l’avenir _ on en frémit ! tels des papillons promis (et condamnés) au filet, au formol et à l’épingle qui les immobilise pour l’éternité ! _ dans les prédictions _ ou prévisions ? imparables ?.. _ qui en sont faites.


Il faut _ très concrètement _ que la catastrophe _ massive !!! donc… _ soit un horizon _ incitatif suffisant ! pour les individus comme pour les gouvernants, par l’incommensurabilité de son caractère épouvantable ! sinon, on demeure insouciant ; et imprévoyant ! anesthésié qu’on est par le désir de confort et de routine ordinaire… _ pour que le monde et les vies deviennent prévisibles _ ceux qui contrôlent et calculent en étant à ce compte-là seulement, rassurés ! On ne maintient pas _ voilà ! _ les citoyens et les gouvernants dans la prévoyance active pour les lendemains si ceux-ci ne sont pas menacés _ rien moins que _ du pire. En sorte que les discours de la catastrophe ont tout de la prophétie autoréalisatrice : ils suscitent les peurs angoissées auxquelles ils proposent _ bien fort _ d’apporter une solution« , page 146.


Et « cette circularité _ voilà : auto-alimentatrice du système _ entre la peur angoissée _ sans objet nettement déterminé _ et la vigilance productive qu’elle induit _ voilà _ ne se limite nullement aux rapports entre les individus et les États. On n’expliquerait pas, sinon, qu’elle ait pu investir les vies jusque dans leur intimité _ mais oui ! _, réduisant toujours les espaces de quiétude. La peur incertaine _ angoissée, kafkaïenne… _ s’est transformée en élément _ productif _ de mobilisation permanente _ d’où la polysémie du titre de l’ouvrage : « État de vigilance«  : dont le sens, aussi, d’un état perpétué en permanence d’attention inquiète, voire stressée, des individus ; en plus de l’« État libéral-autoritaire« , adjuvant (et complice : bras séculier !) de l’économie néolibérale… _ dans un système global, que faute de mieux, nous appelons « néolibéralisme » _ voilà !

La vigilance ne serait jamais devenue un _ tel _ ethos majoritaire _ et continuant de se répandre _ si les trois dernières décennies _ après la fin des « trois glorieuses«  et la première grande crise du pétrole, en 1974… _ n’avaient pas été celles de l’introduction des horaires flexibles _ la flexibilité tuant la plasticité ; cf les excellents ouvrages là-dessus de Catherine Malabou… _, de l’affaiblissement des garanties liées au contrat de travail ; et de la sous-traitance à des entrepreneurs indépendants et socialement fragilisés«  _ en effet ! voilà des procédures empiriques diablement efficaces sur le terrain pour créer, multiplier et entretenir l’anxiété…


Et « le « management par la terreur » _ oui ! _ fait système _ lui aussi : par le haut ! _ avec ce réel angoissé _ oui ! _ où le fait de se sentir nulle part « chez soi » _ une barbarie ! _ est considéré _ managérialement ! Michaël Foessel cite ici une déclaration en ce sens de Andrew Grove, ancien PDG d’Intel : « la peur de la compétition, la peur de la faillite, la peur de se tromper et la peur de perdre sont des facteurs de motivation efficaces«  _ comme une vertu cardinale« , page 147 _ au bénéfice d’une nomenklatura, qui, elle, de fait, sait fort bien s’en exempter : cf les « retraites automatiques« , « parachutes dorés«  et « autres primes extravagantes« , précise Michaël Foessel, pages 147-148…

Le résultat étant que « dans les sociétés libérales, la majorité des individus est _ et de plus en plus : à moins qu’on ne s’emploie à y mettre fin !.. à inverser le processus ! _ soumise à une variabilité permanente _ dite « flexibilité«  : le contraire de la « plasticité«  artiste ; et des démarches souples et ouvertes à l’accident de l’imprévisibilité du « génie«  _ des formes de vie _ Michaël Foessel reprend ici l’expression de Paolo Virno ; cf aussi son Opportunisme, cynisme et peur _ ambivalence du désenchantement_ qui favorise l’apparition des craintes angoissées« , page 148. « Étrange procédure que celle dont on attend _ les néolibéraux ! du moins… _ qu’elle produise de la stabilité psychologique et sociale _ systémiques : une induration de l’habitus… _ par l’exacerbation des inquiétudes » _ des individus (pire que stressés)…

Et Michaël Foessel de conclure son chapitre « Cosmopolitique de la peur ? » :

« Dans tous les cas, il nous faut renoncer à nos espoirs _ sic ! _ dans une cosmopolitique de la peur _ pour reprendre le concept kantien… : soit la perspective d’un tel affect qui « ferait monde«  ! pour la collectivité des humains que nous sommes… Le cosmopolitisme n’est possible que là où _ décidément _ il y a des institutions et là où il y a un monde _ se faisant par nos coopérations effectives et lucidement confiantes (de vraies personnes sujets, et non réduites au statut d’objets) :

on aura depuis longtemps compris combien j’applaudis à ce « diagnostic«  de Michaël Foessel _ pour reprendre le titre (au pluriel : « diagnostics« ) de cette « collection » du « Bord de l’eau« , que dirigent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc !


Or, les peurs angoissées sont solitaires et acosmiques
_ hélas ! _ : elles n’ont pas d’autre horizon que celui de la catastrophe » _ et font mourir les individus (isolés, s’isolant les uns des autres, désocialisés ; et sans œuvres !) de mille morts avant la mort biologique définitive… Ce ne sont pas là des vies vraiment « humaines » ! mais « inhumaines » ! barbares !

« Mais _ et ce sont les mots de Michaël Foessel en sa conclusion, page 155 _, entre l’audace _ téméraire _ de l’aventurier et la prudence _ calculante, comptable _ de l’entrepreneur _ ainsi, aussi, que la lâcheté (veule) devant la peur ; ou la soumission (maladive) à l’angoisse _, il y a le courage de l’action qui se mesure _ sans opération de calcul comptable, cette fois ! et joyeusement ! _ à l’imprévisibilité _ ludique _ du monde. Cette vertu collective _ et pas seulement personnelle et individuelle, par là ; mais civique (et civilisatrice !) _ est nécessaire pour que nos désirs politiques _ authentiquement démocratiques : à rebours des populismes démagogiques (bonimenteurs) menteurs ! _ osent à nouveau se dire dans un autre langage que celui _ apeuré et apeurant, avare et mesquin, aveuglément cupide ! _ de la sécurité _ soit le langage de la liberté créatrice d’œuvres authentiquement (= qualitativement !) « humaines« 

Un défi exaltant…

Existent d’autres régimes d’attention _ ou « vigilance« , avec d’autres rythmes… _que cette mesquinerie réductrice utilitariste néolibérale « coincée » ! D’autres désirs que de sur-vivre (soi, tout seul) biologiquement, et à tout prix ! Ou seulement s’enrichir _ gagner plus ! _ !.. Quelle pauvreté d’âme ! Quelle bassesse ! Quelle porcherie que cette cupidité exclusive !

Une attention un peu plus généreuse (et ludique _ jouer…) à l’altérité amicale (ou l’altérité amoureuse _ il y a aussi l’altérité des œuvres) ; et non inamicale _ Michaël Foessel cite aussi à très bon escient Carl Schmitt, et cela à plusieurs reprises _ ou concurrentielle !

Quelles terribles restrictions (et appauvrissements _ qualitatifs ! _) de l’humanité voyons-nous se déployer sous nos yeux avec cette économie politique néolibérale conquérante, exclusive, totalitaire ! en plus du ridicule infantile de son exhibitionnisme bling-bling !..

C’est cette anthropologie joyeuse-là qu’il vaudrait mieux, ensemble, en une démocratie ouverte, réaliser, joyeusement, souplement, et les uns avec _ et pas contre _ les autres…

Aider à advenir et s’épanouir une humanité mieux « humaine » !..

Titus Curiosus, ce 22 avril 2010

Post-scriptum :

Avec un cran supplémentaire de recul,

je dirai que la pertinence de l’analyse de l’état contemporain de l’État

(ainsi que du Droit : ici la réflexion de Michaël Foessel s’inscrit dans la démarche d’analyse lucidement riche d’un Antoine Garapon, comme dans celle de Mireille Delmas-Marty)

me paraît tout particulièrement redevable à la démarche de Michel Foucault _ en ses leçons au Collège de France, tout spécialement : leçons dont la lucidité fut sans doute en quelque sorte « accélérée«  par le sentiment de l’urgence de ce qui lui restait de temps, terriblement « compté« , à « vivre«  ! _ quant à l’historicité et des réalités et des concepts _ ensemble : ils font couple ! _ afin de les penser et comprendre :

à l’exemple _ encourageant ! _ de ce qu’une Wendy Brown retire de la méthode foucaldienne.

Soit un refus de la « substantialisation«  _ le terme est employé au moins à deux reprises dans le livre _ des concepts, de même qu’une critique reculée des « thèmes«  _ ce terme aussi revient à plusieurs reprises : les deux font partie de l’épistémologie critique foesselienne, en quelque sorte… La compréhension du réel, en son historicité même, requiert donc une telle mise en perspective à la fois cultivée et critique. 

C’est ainsi que la philosophie de l’État, ainsi que l’anthropologie _ classiques, toutes deux, en philosophie politique _ d’un Thomas Hobbes, doivent être relues et corrigées afin de comprendre ce qui change, ce qui mue, ce qui devient autre et se transforme à travers l’usage (faussement similaire) des mots, des expressions, des concepts, même, pour « suivre » et saisir vraiment ce qui « devient » (et mue) dans l’Histoire :

ici, en l’occurrence, comprendre « l’État libéral-autoritaire » et les « peurs angoissées » contemporains.

Comment la peur est « utilisée » autrement aujourd’hui qu’hier par un État _ avec ses appendices idéologiques _ qui, lui non plus, n’est plus le même ; et selon des affects qui eux-mêmes ont « bougé« . Et qu’il importe absolument de comprendre, en ce « bougé » même, pour mieux saisir le sens de ce qui advient maintenant ; et mieux agir au service d’un « humain » qui lui-même change (et se trouve « malmené » !)…

Ce qui _ nous _ impose _ aussi _ d’autres modalités d’action, notamment politiques, au service des valeurs d’épanouissement des humains : au lieu d’une « guerre _ même sous d’autres formes _ de chacun contre tous« .

Voilà comment Michaël Foessel, en son travail d’analyse philosophique, en ses livres publiés, comme en son travail d’articles dans la revue Esprit, au courant des mois et des années, nous offre un travail au service de l’épanouissement de l’humain…

Et d’un « faire monde » courageux : les deux étant liés…

Grand merci à ces contributions !!! Elles sont importantes !

C’est aussi une mission _ d’une certaine importance ! en effet… _ du philosophe _ faisant ce que sa démarche (d’intelligence comme d’action : en intense corrélation…) lui permet d’effectivement faire _ que de s’inscrire, avec son effort d’intelligence critique du réel, dans une démarche d’aide à la lucidité de la cité _ et des citoyens : tant qu’il en demeure, du moins ; mais le pire (ou la « catastrophe« ) n’est pas toujours le plus sûr, heureusement, peut-être !..

Tout cela me paraissant assez bien résister à la re-lecture,

neuf mois plus tard que le 22 avril 2010

de sa rédaction…


Le contexte des « événements » _ courageux ! _ de Tunisie

en ce moment même (!),

donnant à tout cela

_ et face à l’océan qui paraissait en expansion irrésistible des mensonges et des lâchetés !.. _

une perspective (d’espérance démocratique)

_ peut-être : nous verrons… _ un peu ravivée…

Titus Curiosus, ce mardi 18 janvier 2011

« Ce vers quoi s’élance Boutès » ; et la difficulté d’harmoniser les agendas

19nov

A propos de la présentation, hier soir, mardi 18 novembre, de son « Boutès« , paru aux Éditions Galilée le mois d’août dernier, par Pascal Quignard,

dans les salons Albert-Mollat, combles _ on s’asseyait par terre _ ;

ainsi que de la difficulté de concilier les agendas,

afin de venir « rencontrer » écrivains, artistes, philosophes ;

ce petit courrier matinal à Maïalen Lafite _ qui n’était pas disponible ce jeudi soir dernier (« mais merci de m’avoir informée et continuez à le faire !« ) :

« J’ai regretté en effet que, pour difficultés d’agendas, bien des interlocuteurs « possibles » du conférencier
n’aient pu être présents, ce soir-là _ jeudi 13 à la librairie La Machine à Lire _, dans la salle, pour dialoguer un peu sur Montaigne avec un esprit aussi délié, lumineux,
et en grande forme, que Bernard Sève

(à partir de son si pénétrant « Montaigne. Des règles pour l’esprit » _ aux PUF, en novembre 2007) :

Jean Terrel, non plus, n’avait pas pu se libérer

_ il m’a adressé gentiment un petit mot : savoir si Thomas Hobbes (« sur » lequel Jean Terrel vient de publier un plus que « très autorisé » « Hobbes _vies d’un philosophe« , aux Presses universitaires de Rennes) fut lui aussi _ tels Francis Bacon et William Shakespeare _, ou pas, un lecteur de Montaigne, me paraissant plus qu’intéressant !..

A défaut d’avoir pu écouter la conférence de Bernard Sève,

voici _ à lire _ l’article que je lui ai consacré, à cette conférence, sur mon blog

« Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le tissage de l’écriture et de la pensée de Montaigne »

et voici, même, le petit mot que m’a adressé, depuis, Bernard Sève lui-même :

Cher Titus,

merci de ton mail si amical.
Je voulais aussi te remercier pour ton accueil chaleureux à Bordeaux.  C’était vraiment un moment très réussi, à la fois amical et intellectuellement riche.

Je regrette un peu de n’avoir pas développé comme je l’aurais voulu mon thème
_ écriture ET pensée de Montaigne _
lors de ma conférence, mais en fait je me suis vite rendu compte que ce serait trop technique.

En gros, j’aurais voulu montrer que chaque « trait d’écriture » de Montaigne (ceux que j’ai rapidement relevés : l’exposition des conditions de production du texte, l’ajout, la copia verborum, la citation, la digression, etc.) est à la fois l’expression du désordre de l’esprit et en même temps une « poétisation » de ce désordre qui permet, en partie, de le juguler.

Je l’ai dit en général, je ne l’ai pas montré en détail (cas par cas), mais je pense que ce n’était pas le lieu.

J’ai un peu envie d’écrire une petite étude sur ce point, mais je ne veux pas non plus « systématiser » Montaigne, ce qui serait à l’opposé de son écriture et de sa sagesse.
Ravi de t’avoir revu,

etc…

Bernard

En effet, le 20 mai 2003, le recevant en les salons Albert-Mollat du 15 rue Vital-Carles, pour présenter au public bordelais, ce très beau livre, déjà, « L’Altération musicale _ ce que la musique apprend au philosophe« , paru aux Éditions du Seuil en août 2002,

la conférence s’était déroulée comme une conversation (jubilatoire, déjà) sur la musique…

Hier soir,
je suis allé écouter « le grand » Pascal Quignard dans les salons Mollat ; la salle était comble
;
et je n’avais pas encore eu le temps, au milieu d’un trop plein d’activités passionnantes
de lire son « Boutès« …

Je n’ai _ personnellement _ pas trouvé l’auteur en (très) grande forme : grippé,
il nous a lu, de sa belle voix grave, pendant vingt minutes, le premier chapitre de « Boutès« , qui ne m’a pas paru « éclatant », comme parfois, voire assez souvent, se révèle l’inspiration de Pascal Quignard…

Surtout sur une question cruciale, et qui le taraude (et « inspire »),
depuis longtemps
: lire là-dessus « Vie secrète« , en plus de « Haine de la musique » et de « La Leçon de musique » ; ainsi que, encore, « Le nom sur le bout de la langue« , et « Rhétorique spéculative« …

Sans « questionneur » (d’un peu de talent, si possible) en face de lui, au micro, à la tribune
_ Dominique Rabaté (qui vient de publier en mars dernier un très riche « Pascal Quignard _ étude de l’œuvre » aux Éditions Bordas) était pourtant présent dans la salle _,
Pascal Quignard n’eut en face de lui que des questions la plupart assez chichiteuses d’un public un peu trop acquis d’avance, et « extatique »,
à l’exception, notamment, et entre (quelques) autres, d’une dame, s’étonnant, fort justement, de l’affirmation que « Boutès » soit (ou serait ?..) le « dernier texte » de Quignard _ dixit lui-même !!! _ sur la musique…

L’auteur a alors répondu avoir « voulu dire« , par là, qu’en ce « Boutès« , il s’était un peu « écarté », par cette réflexion à nouveau « autour de » la musique, de son axe majeur de ces « années dernières »-ci : la méditation de « Dernier royaume« .

Ainsi nous a-t-il annoncé, qu’après « les Ombres errantes » (I), « Sur le jadis » (II), « Abîmes » (III), « Les Paradisiaques » (IV) et « Sordidissimes« (V), parus en 2002 et 2004,
un sixième volume de « Dernier royaume » était, maintenant même, « en chantier »,
et devrait paraître, non pas en janvier prochain, comme le lui a demandé un lecteur (de Pau : universitaire ?) très attentif à _ et averti de _ l’œuvre quignardien,
mais plus tard en cette année prochaine, 2009…

Enfin, j’ai pu échanger quelque mots avec Dominique Rabaté, qui lui non plus n’était pas disponible jeudi 13 novembre dernier _ pour venir écouter Bernard Sève sur l’écriture de Montaigne ;
participant, quant à lui, à un colloque dans la Loire, à Saint-Etienne…

Pour en revenir au « Boutès » de Quignard,
je le lirai jusqu’au bout, pour rechercher ce qu’il apporte, ou pas, de plus à sa confrontation _ toujours magnifiquement courageuse _ à la question de la musique (et à celle de la langue) ;

ainsi qu’à sa confrontation au « féminin » _ et pas au « maternel », comme il les a « distingués », à propos des « sirènes »

(ou « anges carnassiers« , comme il l’a même proféré…) ;

et très pertinemment, un auditeur l’a interrogé sur cette « distinction »…

Le mot (et concept) qui personnellement m’a « arrêté » et « retenu » en ce premier chapitre de « Boutès » lu non « ambrosiennement« , c’est-à-dire non silencieusement

(Saint Augustin racontant avoir vu Saint Ambroise lire sans qu’on entende sa voix, ni que ses lèvres bougent ; d’où l’expression « lecture ambrosienne« )

par Pascal Quignard
est celui d' »acritique« , page 17 :

« la musique de la cithare
_ d’Orphée _ fabriquée de main d’homme
fait obstacle à la puissante sidérante
_ ainsi Pascal Quignard a-t-il lui-même commenté l’étymologie de « désir » : dé-sidérant ! _ du chant animal _ féminin, chez les Sirènes, mamelues : et le détail revient à plusieurs reprises…

Ce que je traduis par chant animal, Apollonios

_ du texte duquel « part » Quignard pour méditer sur Boutès se jetant à la mer pour

(« dans les vagues noirâtres _ en grec « porphyres » _ qui se soulèvent aux abords des premiers rochers de l’île« , est-il dit page 11)

rejoindre l’île aux sirènes _,

Apollonios, donc, l’appelle voix acritique.
Voix « acritique », c’est-à-dire non séparée, indistincte, continue
« 

_ non passée au « tamis » de quelque « crible »…

Et ici encore un auditeur _ cultivé… et écrivain lui-même _ est intervenu avec beaucoup de pertinence, en proposant d’appliquer à cette « perspective » le concept de « sentiment océanique » de Sandor Ferenczi (1873-1933)…


Je poursuis la lecture :
« Aussitôt après, Apollonios ajoute l’adjectif « aigüe ».

Le chant acritique est nécessairement soprano
puisqu’il vient du monde où la vie se développe
« 

_ c’est-à-dire intra-utérin ;
avant l’expulsion qui fera de la femme (charnellement aimée par un homme, « sexué » :
le mot revient à plusieurs reprises, et sous la plume, et dans la voix de Pascal Quignard ; auteur, aussi, de « La Nuit sexuelle« )
une mère…


Et Pascal Quignard précise :

« Le monde où la vie se développe
est le monde uniquement féminin
qui ne connaît pas la mue
_ cf le récit de « Tous les matins du monde » _
comme le monde des hommes la connaît.

Voilà ce vers quoi s’élance Boutès.« 

Bien à vous,

Titus Curiosus, ce 19 novembre 2008

Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le « tissage » de l’écriture et de la pensée de Montaigne

14nov

Hier soir, à 18 heures à La Machine à Lire,

Bernard Sève a pu enfin

_ et avec quelle flamme ! en sa parole vive, précise et délicate _

« donner » _ nonobstant la délicate coordination des diverses disponibilités d’agendas des librairies bordelaises et du conférencier, assez fortement requis par ses tâches d’enseignant (de philosophie esthétique _ et notamment auprès de doctorants) à l’Université de Lille-3 _

pour la Société de philosophie de Bordeaux,

la conférence sur Montaigne, d’après son si lumineusement éclairant _ mon pléonasme est maladroitement volontaire ! _ « Montaigne. Des règles pour l’esprit« , paru aux PUF en novembre 2007 ;

que personnellement j’appelais fortement de mes vœux, depuis l’achèvement de ma lecture de ce « sésame » montanien…

Bernard Sève avait choisi hier soir de diriger aimablement et délicatement notre attention sur ce que j’intitulerais « le tissage » entre l’écriture si idiosyncrasique de Montaigne _ « à sauts et à gambades » ; lui dictant,

sous la dictée inspirante de son propre génie singulier, déjà,

ses longues, longues écharpes de phrases si caractéristiques (de sa langue si richement « imagée » d’écrivain)

à son secrétaire les notant en quelque sorte « à la volée » :

d’où cette allure de conversation, si vive, et si riche d’humour, du « texte » qui en fixe le parcours _ ;

Bernard Sève avait choisi de diriger notre attention sur ce que j’intitulerais

« le tissage » entre l’écriture si idiosyncrasique de Montaigne, donc,

et le penser

_ encore plus riche et nuancé que cet « écrire » :

collant si délicatement aux plus infimes nuances d’un pensable

si proche, lui-même, de ce que son corps comme son âme,

si unis, si amis, si mêlés,

soufflent à son « génie », à sa « fantaisie »,

à son esprit, précisément _ qu’il lui faut essayer de « régler » _,

entre l’abîme de la folie

_ dont nous a parlé hier soir Bernard Sève en cette si vibrante conférence _,

et « l’entretien des Muses«  _ selon le mot (musical), un peu plus d’un siècle plus tard, d’un François Couperin _ ; « l’entretien _ merveilleux  _ des Muses«  :

ainsi ai-je pu, à mon tour abonder, en ce sens-là, en rappelant que le dernier mot des « Essais de Messire Michel, Seigneur de Montaigne« 

_ puisque tel est le titre même que Montaigne a très précisément donné à son livre ! ainsi que nous l’a « rappelé » hier soir Bernard Sève ! (et écrit dans son article « Le « génie tout libre » de « l’incomparable auteur de l’Art de conférer » : ce que l’écriture de Pascal doit à Montaigne » _ in le numéro 55 / 2007 de « Littératures » : « Pascal a-t-il écrit les « Pensées » ?« , aux Presses Universitaires du Mirail) _,

en son dernier chapitre

de son ultime livre (« De l’expérience« , Livre III, chapitre 13),

est une invocation aux Muses et à Apollon.

Je lis :

« Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance. Or la vieillesse a un peu besoin d’être traitée plus tendrement. Recommandons-la à ce Dieu

_ Apollon, donc : le seigneur des Muses… : Apollon cytharède… _

protecteur de santé et de sagesse mais gaie et sociale :

« Frui paratis et valido mihi

Latoe, dones, et, precor, integra

Cum mente, nex turpem senectam

Degere, nec cythara carentem. »

_ sois, traduits, ces vers d’Horace, en l’Ode 31 du livre I (des « Odes« ) :

« Fils de Latone, puisses-tu m’accorder de jouir de mes biens en bonne santé, et, je t’en prie, avec des facultés intactes. Fais que ma vieillesse ne soit ni honteuse, ni privée de lyre« …

Je me contenterai de citer ces échanges de courriers électroniques du mois de décembre 2007,

issus de ma lecture toute fraîche de ce si beau et si utile _ pour pénétrer les merveilles du penser si riche et si précis en l’infinie subtilité de ses diaprures de Montaigne _ « Montaigne. Des règles pour l’esprit » :


De :       Titus Curiosus
Objet :     le « Montaigne » de Bernard Sève
Date :     7 décembre 2007 07:42:39 HNEC
À :       Frédéric Brahami


Cher Frédéric,

Je viens d’achever le « Montaigne » de notre ami Bernard Sève.
Quel livre éclairant !

même pour le « montanien » naïf que je suis,
par rapport aux « montaniens » ô combien cultivés que, lui et toi, vous êtes.

Quelle entrée précieuse _ que ces « Règles pour l’esprit » _ dans le lacis de l’écriture du matois gascon périgourdin !
Avec tout ce que cela peut révéler quant aux voies (et voix) multiples du cheminement philosophique,
je pense notamment aux chemins divers (jusqu’aux sentiers) du « concept »…


J’ai beaucoup apprécié ton entrée « montanienne » de l’article de laviedesidees.fr
_ en sa très belle recension « En-deçà, au-delà, du scepticisme« , du 3 décembre 2007 sur l’excellent site de « la vie des idées »… ;

Frédéric Brahami est l’auteur de livres très remarquables, dont « Le scepticisme de Montaigne » (aux PUF, en 1997) et « Le travail du scepticisme. Montaigne, Bayle, Hume » (également aux PUF, en 2001) _

à propos du « résumé » : « Tout abrégé sur un bon livre est un sot abrégé ».

Bernard Sève consacre un chapitre extrêmement intéressant, « Concepts, sentences et thèses« , à cette question,
avec notamment un détour par les distinctions bergsoniennes
, dans « La pensée et le mouvant« ,
entre « concepts raides », « concepts souples » et « concepts individuels »…
Il cite aussi le travail de Jean-Claude Pariente, « Le langage et l’individuel« , en 1973…

En tout cas, je me sens proche de ces cheminements-là _ les vôtres _,
d’où cette « étiquette » de « montanien naïf » que je pourrais sinon revendiquer,
du moins assumer…

As-tu reçu le passage _ prolixe _ de mon petit « essai » « Cinéma de la rencontre » ?
Si tu disposes d’un peu de temps,
il me plairait bien que tu me dises un petit mot de ce « montanisme » naïf de ma démarche.
Même s’il faudrait sans doute avoir la patience (et d’abord le temps) de lire l' »essai » en entier,
c’est son « tout » qui fait sens,
même pour un texte qui n’a certes pas le génie de celui de Montaigne…

Bien à toi,

Titus Curiosus

 De :      Bernard Sève

    Objet :     Réponse trop brève
Date :     7 décembre 2007 10:57:29 HNEC
À :       Titus Curiosus

Cher Titus Curiosus,

Merci de tout ce que vous dites du « Montaigne« .  Nous partageons un même amour pour son écriture, sa pensée, sa philosophie.  Je suis heureux que mon approche trouve des échos dans vos propres lectures de Montaigne, cela indique au moins que je ne me suis pas totalement égaré. Je suis intimement persuadé qu’il y a des forces et des richesses inouïes dans Montaigne, que la réduction que l’on fait ordinairement de sa pensée au « scepticisme » empêche, littéralement, de voir. J’essaie simplement d’attirer l’attention sur ces richesses, de les faire voir, c’est tout et c’est beaucoup.

Vous évoquez la possibilité que je vienne présenter le livre à Bordeaux.  Ce serait avec un très grand plaisir, et ce serait une occasion de vous revoir et de parler viva voce.

A très bientôt j’espère,

très amicalement à vous,

Bernard Sève

Le 20 mai 2003, j’avais eu le très grand plaisir, et la joie, de présenter Bernard Sève lors de sa conférence dans les salons Albert Mollat, autour de son passionnant « L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe » (paru aux Éditions du Seuil en août 2002)…

De :       Titus Curiosus
Objet :     Attirer l’attention, faire voir, c’est tout et c’est beaucoup
Date :     7 décembre 2007 13:36:51 HNEC
À :       Bernard Sève


Cher Bernard Sève,

Comme je vous suis en votre lecture si fine et si judicieuse de Montaigne,
et comme je partage, aussi, les « règles » pratiques que vous savez en dégager…
Car Montaigne, sans didactisme, sans profession de foi d' »enseigner », nous propose modestement son exemple,
son exemple de « juger »,
en alerte de justesse, en permanence,
et joyeusement.


D’autre part, et surtout,
il n’y a aucune urgence à me lire…
J’espère qu’alors, si ce temps vient, vous serez un peu « amusé » de mes « extravagances », de mes « dé-prises » _ vous mettez un peu « en garde » contre elles _,
et j’ai même hâte _ je suis en train de me contredire, mais c’est une hâte toute « gratuite » et très joyeuse _ de la lecture que vous pourrez faire de mon petit « essai » sur le « Cinéma de la rencontre« ,
quand il me semblera « terminé ». Quel lecteur de luxe vous ferez !

Vos remarques _ et « distinguo » _ sur le caractère ou pas d' »interlocuteur » (de Montaigne) que pouvait lui être La Boétie, sont passionnantes, quant à ce qui sépare « conférer » et cette « amitié » unique de son espèce entre Etienne de La Boétie et lui…
Pour ma part, je suis assez demandeur d' »interlocuteur » dans la vie, et bien sûr rarement satisfait : demeurent cependant les livres : ils sont là, à peu près tranquilles dans leur disponibilité à nos questions et réactions…
Ou le fantasme de la « librairie » montanienne, et ses « prospects »…
Votre concept de « concept individuel » (d’après Bergson, et peut-être aussi Pariente) est passionnant, et me serait « d’usage », si je ne m’illusionne pas trop.


Mais je suis, pour l' »écrire », « du genre » de Montaigne :

« tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , « j’ajouterai » des nuances, à l’infini des précisions, des « détails »…
Du moins pour ce qui est des nuances du qualitatif.
J’ai noté aussi votre remarque sur le peu de goût de Montaigne pour les raisonnements mathématiques.
Il n’aurait pas été un sectateur de Galilée. et son « utile » diffère considérablement de celui d’un Descartes.


Merci, donc, de votre réponse.

Et j’avise Corinne Crabos de la Librairie Mollat de votre « disponibilité à refaire le voyage de Bordeaux« …

Titus Curiosus

Voilà…

Hier soir, mon souhait d’écouter viva voce Bernard Sève sur Montaigne a été comblé.

Merci à lui.

Merci à la Société de philosophie. Merci à La Machine à Lire. Merci à tous ceux qui ont aidé à ce que Bordeaux et les Bordelais entende un peu ce qui m’apparaît constituer un merveilleux « sésame »

afin de mieux pénétrer le « monde montanien » ;

et la parole vive et douce et ferme

et généreuse

de celui qui leur fut un grand maire…

Titus Curiosus, ce 14 novembre 2008

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