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Les exercices spirituels de Jean Clair : à l’inlassable écoute des voix du silence de quelques lieux et personnes tendrement aimés

27juil

Le 20 mai 2011, j’ai eu l’immense privilège de m’entretenir une bonne heure durant _ un de mes deux entretiens les plus extraordinaires ! Somptueux !!! _ avec le merveilleux Jean Clair à propos de deux de ses livres d’alors : Dialogue avec les morts & L’Hiver de la culture (cf mon article du 16 juillet 2011 : ).

Et ces derniers temps, je m’inquiétais un peu de ne pas avoir pu accéder ces années-ci _ depuis 2015 _ à un nouvel ouvrage de lui dans la série _ qui m’agrée tant ! et me donne, même indirectement (il est très discret), quelques petites nouvelles de lui… _ dite par lui-même des Écrits intimes :

Journal atrabilaire (2006), Lait noir de l’aube (2007), La Tourterelle et le chat-huant (2009), Dialogue avec les morts (2011), Les derniers jours (2013), La Part de l’ange (2015) :

_ ainsi le dimanche 5 mai, lors de l’inauguration à Bélus (Landes) du monument-hommage à Lucien Durosoir, à laquelle présidait son ami Benoît Duteurtre, m’enquérais-je auprès de ce dernier de la santé de Jean Clair (cf mon article du 9 mai dernier : ) ; j’appris alors qu’il allait bien ; et qu’ils s’étaient rencontrés récemment à la Fondation Singer-Polignac _ cela m’a rassuré _ ;

_ et plus récemment encore, le 3 juillet dernier, je me suis permis d’adresser à Jean Clair – le Vénitien la série des articles que je venais de consacrer à ma lecture enthousiaste du Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann :

C’est donc avec un immense plaisir que je viens de lire et relire _ trois lectures à ce jour : le sillon d’écriture de Jean Clair en ces écrits intimes est si riche que la relecture attentive en est immensément féconde ; Jean Clair fait partie de ces assez rares auteurs dont la lecture offre au lecteur authentique un réel entretien infini avec l’auteur ; à l’image d’un Montaigne, en ses Essais ; mais ces Exercices-ci de piété, puisque tel est le sous-titre de cet essai, sont à la fois des essais à la Montaigne, et des exercices spirituels, à la Ignace de Loyola !  _ ce nouveau volume d’approfondissement de ce penser sien toujours en alerte de déchiffrement des signes les plus parlants du réel _ du réel déplorable ! et à pleurer vraiment ! pour ce qu’il détruit, ce nihilisme barbare, de ce qui, civilisé, cultivé vraiment, avait consistance de présence élévatrice de l’humain vrai… ; c’est au « dernier homme » de l’admirable Prologue de l’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche que nous sommes sans cesse confrontés, même si le nom même de Nietzsche n’est que rarement prononcé… _ qu’est, aujourd’hui, son Terre natale _ Exercices de piété _ le livre est paru le 27 juin dernier.

Presque quatre ans se sont donc écoulés entre ce volume-ci, Terre natale _ Exercices de piété _ paru le 27 juin 2019 _, et le précédent de ses « écrits intimes« , La Part de l’ange _ Journal, 2012-2015, paru le 14 janvier 2016 :

probablement à cause d’une maladie qui s’est déclarée lors d’un voyage à Jérusalem _ aisément datable, celui-ci, puisque l’auteur nous dit, absolument incidemment, page 320

(et ces repères de biographie personnelle sont fort rares en cet essai qui est, on n’y insistera jamais assez, aux antipodes (exacerbés !) d’une égologie : cf à la page 292, à propos de l’effarante pandémie des selfies et de la touristification de masse: « Quand l’État interdit « l’ostentation des signes religieux », les touristes _ nous y voilà _ multiplient l’ostentation des selfies. (…) Là où l’oculaire du selfie ne fait que dérober au regard la présence _ fondamentale _ du réel« ; et, aux pages 292-293 : « Les Québécois appellent le selfie un égoportrait. L’homme des temps chrétiens, pendant un millénaire, a vécu sous le regard de Dieu. L’homme vit aujourd’hui, jour après jour, sous le regard de son selfie. Indifférencié, interchangeable, membre de l’Internationale planétaire des bataillons sans passé et sans histoire, le touriste se reconnaît de loin à ses tatouages, à sa démarche et sa tenue militaire. Il se répand partout, marée brune et bruyante, de Paris à Venise, de Florence à Madrid, et recouvre _ et noie _  peu à peu les merveilles qu’il est venu conquérir. Se sentant perdu, il saisit son selfie et, le haussant au-dessus de son front, se met à opérer une sorte de transfusion mystique entre lui et ce qui l’entoure, un sacrifice païen où ce n’est plus le pain et le vin qui se transformeront en chair et sang divin dans l’ostensoir du prêtre, pareillement élevés par-dessus son front pour qu’ils soient adorés des fidèles, mais un bout de réalité, indifférent et triste, auquel il va coller les traits de sa propre apparence, pour se donner, dans le cliché, l’illusion _ mortelle _ de se survivre. La distraction _ car ce n’était que cela _ finie _ elle n’a pris que quelques secondes _, ils se rassemblent derrière leur guide, en grand fracas, anxieux de reconnaître les ficelles, les fanions, les fétiches, les fanfreluches, les floches et les faluches noués au bout du bâton de leur accompagnateur. Le photostick coincé sous le bras, débris d’une armée déroutée« … ; cf aussi, à la page 204, ceci : « le tatouage est devenu le rituel banalisé d’une _ misérable et ridicule _ affirmation de soi et, dans l’absence de toute norme religieuse ou politique, d’un _ atterrant _ narcissisme de masse _ voilà ! _, que vient compléter la manie du selfie machinal« …)

lors d’un voyage à Jérusalem _ aisément datable puisque l’auteur nous dit, absolument incidemment, page 320 (au chapitre XIX, « Athènes et Jérusalem« ), que cet accident de santé advint au moment des obsèques de Shimon Pérès, décédé le 28 septembre 2016 : « Arrivé à Jérusalem, et dans l’urgence de devoir être hospitalisé _ voilà ! _, il me fallut rebrousser chemin, sans avoir eu le temps de pénétrer dans la vieille ville. Les funérailles de Shimon Pérès bouclaient la cité, les routes étaient fermées, il convenait de rentrer d’urgence _ le terme « urgence«  est donc répété. De Jérusalem, je ne verrais que des quartiers sans grâce, les plus récents (…). Et je n’eus pas la possibilité de vérifier que le Sépulcre existe bien« 

Et à l’instar de notre très cher Montaigne,

Jean Clair ne cesse, en ses propres « essais intimes«  _ ou/et « exercices de piété«  _, de labourer et approfondir son propre sillon musical de penser _ auquel préside, pour lui aussi, comme pour Montaigne (cf le final sublime des Essais), la grâce non servile des Muses ! ainsi, et c’est bien sûr à noter, que l’espiègle et impérieux Kairos, offreur, certes, mais aussi coupeur (au rasoir terriblement effilé) de fil, pour qui a tardé à saisir et recevoir au vol ce que généreusement, et sans compter, il offrait ;

cf à la page 181 : « la mèche qui orne l’arrière _ non : le devant : le front ! _ de la tête du Kairos, le petit dieu grec de la Fortune. Ce n’est plus alors lui qui sauve les hommes, mais les hommes qui doivent se montrer assez rapides pour saisir la Chance par les cheveux, à l’instant où elle fuit » _ non : juste avant, quand celle-ci nous croisait ; car c’est à l’instant même où celle-ci vient juste de passer que c’est, et irrémédiablement, trop tard… Sur sa nuque, Kairos est en effet complètement chauve ; et donc insaisissable… Trouver le mot, le bon mot, la parole juste, le kairos. Enfui, le mot ne se retrouvera pas, et sa dérobade _ qui nous laisse sans ressource face à ce fil coupé… _ nous rapproche un court instant de la mort, rompu le fil des mots » ; Jean Clair nous révèle ici, au chapitre La Chevelure, un des secrets (de prestesse, vivacité ; et musicalité…) de la justesse-grâce d’écriture ; j’y reviendrai ; car c’est là une des séquences les plus lumineuses (et aux conséquences éminemment pratiques !) de cet immense livre ! aux pages 354-355-356 (au chapitre La Fugue) à propos de ce qui distingue, selon Jean Clair, et c’est splendide !, l’écriture de la littérature et l’écriture de la musique… ; se reporter aussi au merveilleux passage autour de l’expression « passer le temps«  du sublime tout dernier chapitre, De l’expérience, du livre III des Essais de Montaigne :

« J’ay un dictionaire tout à part moy : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retaste, je m’y tiens. Il faut courir le mauvais, et se rassoir au bon. Cette fraze ordinaire de passe-temps, et de passer le temps represente l’usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et eschaper, de la passer, gauchir, et, autant qu’il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et desdaignable. Mais je la cognois autre, et la trouve et prisable et commode, voyre en son dernier decours, où je la tiens; et nous l’a nature mise en main, garnie de telles circonstances, et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous _ voilà ! _ si elle nous presse et si elle nous eschappe inutilement. Stulti vita ingrata est, trepida est, tota in futurum fertur. Je me compose pourtant à la perdre sans regret, mais comme perdable de sa condition, non comme moleste et importune. Aussi ne sied-il proprement bien, de ne se desplaire à mourir qu’à ceux qui se plaisent à vivre. Il y a du mesnage _ voilà _ à la jouyr ; je la jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance _ et de cela Montaigne est un immense maître ! _ depend du plus ou moins d’application, que nous y prestons. Principallement à cette heure que j’aperçoy la mienne si briefve en temps, je la veux estendre en pois ; je veux arrester la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma sesie _ voilà l’attitude à apprendre à prendre avec Kairos ! _, et par la vigueur de l’usage _ oui _ compenser la hastiveté de son escoulement ; à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine » _ :

c’est un enchantement que de nous entretenir, nous les modestes lecteurs de Montaigne et de Jean Clair _ pas trop indigents, espérons-le ! Relisons l’Adresse au lecteur des Essais _ avec leur écriture si inventive et rigoureuse, si éprise _ à l’infini : tant qu’existeront encre, papier, et souffle de vie ! _ de la plus grande justesse…


À suivre…

Ceci n’est même pas un prologue…


Ce samedi 27 juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule

26déc

Henri Gaudin vient intervenir publiquement dans le dossier _ en balance, sur la sellette _ du devenir urbanistique (l’île Saint-Louis dans le cœur de Paris) et architectural (l’Hôtel Lambert, un chef d’œuvre de Le Vau) de l’Hôtel Lambert, cette sublime « étrave » au-dessus de la Seine :

dans le numéro du 25 décembre du Monde, « Ne défigurons pas l’hôtel Lambert !, par Henri Gaudin« …

Le courage et l’autorité vraie (d’un artiste réel _ non faisandé, lui !) sont assez rares dans une société de plus en plus veule _ et décomplexée dans sa propension au cynisme (du pouvoir de fait de l’argent) ; et à la corruption (eu égard au Droit) _ pour s’y arrêter un moment, le remarquer, le signaler, lui donner un tant soit peu d’écho au milieu des paillettes de la trêve joliment dite « des confiseurs« …

Ou à propos de la sauvegarde du patrimoine des pierres ; et du sens même de l' »habiter » humain (et inhumain)… Cf ici la parole décisive de Hölderlin…

Voici ce bel article _ et courageux _ de celui, l’auteur des importantes « Considérations sur l’espace« ,

dont Paul Virilio disait, en préface au livre (précédent de l’architecte) « Seuil et d’ailleurs« , en 1992 :

« Henri Gaudin n’est pas un architecte qui écrit, mais plutôt un écrivain, un homme de lettres qui bâtit avec le béton, la pierre ou les mots _ les uns ou/et les autres. Peu importe finalement le matériau, puisque seul compte pour lui le passage, le transfert _ voilà ! _ d’un récit à un autre récit, d’un lieu à un autre lieu. Comment dès lors s’empêcher de le suivre avec curiosité _ oui : vertu précieuse ! _ au travers des méandres d’une pensée qui souvent vous égare _ par ses détours ô combien nécessaires ! à mille lieux du strictement immédiatement utile, c’est-à-dire rentable pour le (seul) profit financier (le plus rapide possible _ Paul Virilio est bien un penseur de la vitesse…), auquel certains veulent réduire l’« économique » (revenir ici à Aristote : « Les Économiques » !!!)… _ pour mieux donner à percevoir _ c’est si précieux, en régime d’anesthésie générale ! On nous endort !... _ le seuil _ crucial ! C’est un terme très présent aussi chez Michel Deguy ; cf mon article d’avant-hier… La ligne de partage des eaux entre le vrai et le faux ? Journal intime tout autant que traité théorique, l’ouvrage d’Henri Gaudin débouche sur l’espérance d’une complexité grandissante _ l’exact opposé de la complication ! ou de la complaisance au vertige maniériste _ qui favoriserait enfin l’ouverture d’esprit, la complicité entre l’architecture et la littérature« , écrivait Paul Virilio…


Voici donc cette splendide « intervention » de Henri Gaudin, architecte, et un peu plus, donc, que de ce seul métier-là, dans Le Monde d’hier (édition datée du 25 décembre, ce jour) ; elle est intitulée, dans le journal, « Ne défigurons pas l’hôtel Lambert !, par Henri Gaudin«  :

« C’est une indignation _ voilà ! _ à la mesure du forfait _ voilà d’abord ! _ qu’on se prépare à commettre à son encontre _ il s’agit de ce joyau d’architecture et d’urbanisme, les deux, qu’est l’Hôtel Lambert (1642), de Louis Le Vau (Paris, 1612 – Paris, 1670), en étrave sur la Seine, de l’Île Saint-Louis, au cœur même de Paris _ : le projet de restauration de l’hôtel Lambert. Cet édifice majeur de l’architecte Le Vau, se dresse sur l’étrave de l’île Saint-Louis, en épousant la courbe de la Seine. Il est rare qu’un tel dynamisme s’allie avec la rigueur d’un ordonnancement au rythme souverain _ qu’on viendrait donc casser…

C’est le quai d’Anjou en son entier qui vient se terminer _ par lui _ sur un jardin suspendu. L’île ménage une proue que domine le corps principal du prestigieux édifice, à la façon dont une passerelle se dresse sur un vaisseau _ Henri Gaudin est aussi un amoureux fou de l’eau, des rives, des ports ; et des bateaux… Le mouvement est si juste, l’assise du jardin suspendu si assurée, le rythme des fenestrages si délicat, l’architecture si dynamique _ adjectifs qualificatifs éminemment sensibles ! _ qu’on croirait voir le bâtiment glisser _ oui : voler même, sans tout à fait désirer s’envoler : il se contente de frémir ! _ le long de la Seine en exposant _ délicatement _ son étrave au courant _ que finit par rejoindre, par un plouf, lui, un Guillaume Apollinaire, un peu plus en aval, au pont Mirabeau… _, sans autre âge que celui de la jeunesse et du futur _ rien moins ! Voilà où existe la vraie modernité !

En abîmer les traits _ comme le ferait, irrémédiablement, le passage à la réalisation de ce « projet de restauration« -là… _, c’est meurtrir la ville _ gravement, grièvement même… _ avec laquelle le magnifique hôtel Lambert fait corps _ physico-biologiquement… Au point qu’on peut parfaitement l’entendre respirer et chanter, pour peu qu’on prête oreille à son souffle chantant : à sa mélodie, comme à ses harmoniques…

Si comme le dit Victor Hugo, « l’usage appartient _ usufruitièrement… ; pour un temps ; car c’est nous (davantage mortels que nous sommes, physico-biologiquement) qui, d’abord, passons (un peu) plus vite : que la beauté des œuvres… _ à quelques-uns et la Beauté appartient _ un peu plus durablement, grâce aux œuvres qui passent, certaines d’entre elles, du moins, un peu plus lentement, tout de même, que nous _ à tous », c’est nous tous _ dotés de nos sens, et pas seulement le regard : encore faut-il apprendre à les « éduquer« , tous ces sens-là… _ qui en sommes les destinataires _ capables de la « recevoir« , l’« éprouver«  : en une « expérience«  ; peut-être en train de se perdre, s’effondrer, celle-là (l’« expérience«  toute personnelle de la « Beauté« ), comme s’en inquiétait, un des tout premiers, un Walter Benjamin (à la suite, sans doute, de Baudelaire)… Qui n’a pas ressenti _ quelques uns, malgré tout : Béotiens, gougnafiers, goujats, barbares (jusqu’à, eux, même « sortir leur revolver« …) _ qu’on ne saurait _ hélas : de droit ! _ séparer la singularité prestigieuse _ architecturale _ de cet édifice _ de pierres _ du tout _ urbanistique _ qu’est la ville ? La manifestation _ éclatante de grâce ! _ de sa beauté dépasse _ en la sidérant _  notre propre personne _ certes : sublimement, même… _ et intéresse la communauté _ non seulement citoyenne démocratique, mais « humaine« , pas moins !.. _ en son entier. Témoignant d’une époque _ d’un classicisme encore baroquisant : 1640, ou 42 ; c’est encore le règne de Louis XIII (et de Richelieu, qui va mourir cette année-là : le 4 décembre 1642, à l’âge de cinquante-sept ans ; Louis XIII le suivra de près dans la tombe, mourant, lui, à Saint- Germain-en-Laye le 14 mai 1643 ; il était né le 27 septembre 1601 à Fontainebleau) _ d’intense activité esthétique et éthique _ les mœurs se raffinaient ; débutait, encore au milieu, certes, de la manie passablement meurtrière , encore, des duels, et à l’Hôtel de Rambouillet, « l’âge de la conversation«  _, l’excellence de son architecture _ française ! Que fait donc le ministre Besson !!! Quid, ici, de l’« identité nationale«  ?!! _, comme toute œuvre d’aujourd’hui, offre sa puissance créatrice à travers le temps _ à nous de la laisser rayonner, au lieu de, stupidement, l’interrompre : en la massacrant (pour une multiplication de salles de bains, d’ascenseurs et d’emplacements de parking)…

Le Vau, son architecte, n’est pas seulement contemporain _ 1612-1670 _ de son siècle, il s’adresse _ oui !

et à dimension d’éternité ; cf John Keats (Finsbury Pavement, près de Londres, 31 octobre 1795 – Rome, 24 février 1821) : « A thing of beauty is a joy for ever« … :

« A thing of beauty is a joy for ever :
Its loveliness increases; it will never
Pass into nothingness; but still will keep
A bower quiet for us, and a sleep
Full of sweet dreams, and health, and quiet breathing
« … (dans « Endymion« , qui paraît à Londres en 1818…) _


à des générations futures, à tous ceux _ en voie de raréfaction ? devenant électoralement minoritaires ? _ qui pensent que la modernité est de tous les âges _ voilà ! le mauvais goût, certes, lui aussi : et incomparablement plus amplement ! vivent nos démocraties populistes ! _, à ceux qui stigmatisent la bassesse par l’exigence _ la plus noble _ de l’esprit _ bassesse et exigence : voilà ! A ne pas trop intervertir ! cependant… Ne défigurons pas une beauté _ telle est bien en effet la menace présente ! _ sous la séduction de laquelle nous tombons tous _ pour peu que nous y soyons, chacun, réellement et activement attentifs ! Soyons à son écoute _ proprement musicale ! 1640-42, c’est l’heure des musiques de Moulinié, Guédron, Boesset, qu’a (et ont) su si magnifiquement (nous) rendre Vincent Dumestre et son « Poème Harmonique«  ; cf le sublime coffret de 3 CDs Alpha « Si tu veux apprendre les pas à danser _ Airs et ballets en France avant Lully« , CDs Alpha 905 : une merveille de vie (et de tout un « monde«  d’extrême beauté !) restituée ! _, respectons l’intransigeance _ parfaitement noble et gracieuse, tout à la fois ! pas « m’as-tu vue«  _ de son architecture, admirons la richesse des prestigieuses peintures de Le Sueur et de Le Brun. Écoutons-en, encore, tout le concert merveilleux des voix… Sur ces conditions-là d’« accueil« , par chacun (= personnellement), de la beauté, relire inlassablement le lumineux « L’Acte esthétique » de Baldine Saint-Girons ; tout particulièrement le récit de la « rencontre-découverte«  avec la ville de Syracuse, en compagnie de deux amis, au chapitre premier, si je puis me permettre ce conseil un peu précis …

Hélas ! le projet de « réhabilitation » manifeste l’intention de construire un parking sans se soucier _ bien effectivement, pourtant ; on ne peut plus élémentairement pragmatiquement ! _ des bouleversements des sols et du dommage causé _ ainsi, si ce projet venait à se réaliser _ aux substructions intouchées depuis 1640.

Lord Byron, Ruskin, Wagner, Proust, tous amoureux de Venise, ont-ils jamais exigé _ mais étaient-ils, eux, il est vrai, somme  toute, assez fortunés, pour l’obtenir ?!.. ils n’y étaient, aussi, que de passage ; et ne prétendaient pas, par l’achat, à un droit de « propriété«  _ que leur carrosse et plus tard leur voiture pût accéder à l’intérieur des palais dans lesquels ils résidaient ? Quelle aberration d’exiger _ pour s’y « installer » et y « demeurer » un peu, en ce « cœur« , vibrant de vie, de Paris… _  l’intrusion d’un parking à l’intérieur de l’édifice, de construire trois ascenseurs, de soustraire des pièces _ les casser, les détruire ; les remplacer par autre chose de mieux adapté à leur présente « commodité« , ou « confort » de « résidents«  à demeure… _ d’une délicate harmonie au profit de salles de bains multiples, d’altérer la proportion de certains salons, de supprimer des manteaux de cheminées et des escaliers élégamment balancés _ la beauté, qui avait résisté au passage du temps : délicate « harmonie« , « proportion« , « élégance«  balancée, faisant brutalement les frais de pareilles « soustraction« , « altération« , « suppression« 

Ignore-t-on _ conseils d’experts aidant… _ que par la surenchère _ hyper-luxueuse _ d’aménagements superflus de salles de bains et par la transformation du chef-d’œuvre en hôtel de luxe, on expose dès lors l’édifice aux impératifs d’une technique qui impose _ technologiquement, bien sûr _ des passages de gaines de ventilation en tous sens, altérant _ gravement, grièvement même _ l’ensemble de la construction et menaçant, par l’ampleur de locaux sous le jardin suspendu, l’intégrité _ de viabilité « technique » élémentaire ! Et patatras !!! _ des fondations _ mêmes.

C’est ne pas entendre _ en tous ses sens ! _ les harmoniques _ au-delà de la strate première des mélodies _ de proportions savantes, c’est être aveugle au rayonnement _ en effet ! l’Art irradie et impulse ! _ qu’émettent _ oui ! toujours ! et encore ! _ les prestigieuses œuvres des peintres Le Sueur et Le Brun, auquel on doit la Galerie des glaces de Versailles ; c’est ne pas écouter ce dont les murs ont _ musicalement _ perçu les échos _ dont ils ont reçu, et perpétuent, jusqu’ici, une subtile imprégnation… Oui ! ces murs ont une âme _ voilà ! _, ces espaces sont investis _ poétiquement ! _ de ce dont ils ont été témoins _ et cela au profit de (plus prosaïques) glou-glous d’évacuation de bondes et tuyauteries de plusieurs salles de bains… Les Nymphes et Dryades (de la Seine) qui fréquentent encore le lieu vont déserter à jamais ce merveilleux rivage parisien…

Il est paradoxal de maltraiter ce qui est _ artisanalement _ authentique et de se soustraire au respect _ admiratif, avec combien d’émotion ! _ d’une œuvre prestigieuse dans le même temps qu’on s’affaire _ contrevenant à l’esprit même d’une époque _ à placer sur les façades des colifichets (pots à feu et autres pots à fleurs) dérisoires _ à l’ère, il est vrai, de la duplication effrénément dé-complexée (cf les parcs d’attraction touristiques de La Vegas, Macao, etc.., aux portillons desquels se bousculent, en foules, des chalands : sources de devises…)…

Qui peut être dupe de cette manière de nous donner _ sur le dossier, du moins _ le change en s’affairant maladroitement _ comme maniéristement (en kitch, seulement !) : à contresens même des fusées et bouillonnements délicats du classicisme naissant _ à l’inessentiel ? Mutiler salons et escaliers, rehausser le soubassement par un parapet qui alourdit sa proportion est une faute _ d’Art. Peindre des menuiseries en trompe-l’œil sur la façade, une mascarade _ ridicule : mais qui en rit à l’heure des révérences kitch ?.. Cf les « installations » _ « festives«  (ainsi que les énoncerait un Philippe Muray) _ à Versailles de Jeff Koons ; cf mon article du 12 septembre 2008 : « Decorum bluffant à Versailles : le miroir aux alouettes du bling-bling«  Et comment peut-on faire disparaître _ à jamais _ de vieux appareillages de pierre dont les assises disjointes témoignent de l’empirisme _ si savant _ des savoir-faire et du travail _ si délicat, alors… _ des maçons ?

Laissons _ donc _ à leur simplicité _ belle, pure _ de vieilles cheminées qui font bon ménage avec l’esprit _ oui _ du Grand Siècle et sont des marques touchantes _ pour les non insensibles, du moins _ de la vie quotidienne _ qui survit un peu ainsi ; cf le témoignage des « scènes de genre » d’alors… Comble de cynisme _ le mot est lâché ! _ : sous couvert de respect _ affiché seulement (et mensongèrement, davantage qu’illusoirement, probablement…), à l’heure de la débauche dévergondée et décomplexée (au pouvoir !) des faux-semblants en tous genres ! affichés ! _ du passé, on se propose de détruire d’authentiques lucarnes et leurs balcons en fer forgé pour leur substituer des succédanés dont la proportion maladroite brise le mouvement ascendant du motif d’entrée _ et voilà ! Ah, les belles âmes que sont les sectateurs d’une authenticité _ de façade seulement !!! _ au service de laquelle on sacrifie le vrai _ irremplaçable, lui _ à la mythologie _ idiote _ de la symétrie et de l’équilibre.

Niaiseries des « nigauds aux goûts appris » _ seulement ; et non, hélas, « compris«  _, persiflait Stendhal, désignant les contempteurs de la dissymétrie et de l’irrégularité de l’admirable place du Quirinal, à Rome _ en ses belles « Promenades dans Rome«  ; cf aussi, hélas, a contrario, le triste contresens (angevin seulement, de Saint-Florent-sur-Loire) de l’« Autour des sept collines«  de Julien Gracq, si insensible à l’idiosyncrasie de la beauté romaine : lui a « tourné autour«  sans jamais savoir y pénétrer si peu que ce soit (le texte original est à la librairie José Corti)…

Peut-on briser _ incisivement ! _ la carapace d’indifférence dont se revêt _ face aux manigances de certains puissants, aidés de la propagande bulldozer de la plupart des medias (au nom de « l’air du temps«  paré des plumes (de paon) de la « modernité«  : la « mode« ... cf le petit livre récent de Marie-José Mondzain : « La Mode«  _ la société ? A travers les mouvements d’indignation contre la mutilation de l’hôtel Lambert, on a l’espoir que oui. Nombreux sont _ encore _ ceux qui saisissent _ et ressentent _ qu’une œuvre est un maillon _ en effet ; et une pierre de touche… _ de la longue chaîne _ à la fois forte et fragile _ de la modernité qui parcourt les siècles, et qui ont foi _ plutôt qu’en le pouvoir (actuel) de leur argent _ en la vie _ tout aussi uniment fragile et forte ! _ de l’esprit _ et en la « civilisation«  Ils savent que, dans une époque d’intense activité éthique et esthétique _ mais où se situe sur ce terrain-là, la nôtre, d’« époque » ?.. _, les créateurs refusent de n’être que les hommes du présent _ à courte vue _, et s’adressent à ceux qui vivront le futur _ il est vrai qu’à d’autres époques on s’est mis à bâtir à beaucoup plus « courte vue« , donc ; pour le « rapport«  (financier) le plus rapide, voire immédiat, possible ; sans souci du « durable » ; ni, a fortiori, de l’« éternel » : l’« inhumanité« , à commencer par architecturale (en dur, mais promise, forcément, à rapide, aussi, obsolescence !), débutant-là son expansion… Et maintenant prolifèrent les investissements « spéculatifs«  (« après nous, le déluge !« ) des fonds de pension…

Si ce bâtiment _ l’Hôtel Lambert, de Louis Le Vau, donc _ est grand _ oui _, c’est parce qu’il est le point d’orgue _ un concept musical, encore, qui implique un souci de l’« ensemble«  ; et de l’altérité : à « intégrer » avec souplesse et délicatesse ; tout un art, en effet !.. _ d’un ensemble _ urbain et urbanistique _ qui s’appelle l’île Saint-Louis. Comme être singulier _ certes ; et même qui « impressionne » !.. _, il _ le bâtiment, la bâtisse _ n’en fait pas moins partie d’un tout _ en effet : à l’heure de l’individualisme débridé ! _, tant il a d’affinités avec des proximités _ l’ïle Saint-Louis tout entière ! _ qu’il emporte _ oui ! _ dans son élan _ splendide ! en effet : voilà ce qu’apporte(nt), à la lecture, le regard et l’écriture, en relais, superbes, d’un Henri Gaudin !.. Avec quelle grâce il se greffe _ à « se fondre« , préciserait Henri Bergson, en son « Essai sur les données immédiates de la conscience«  _ au quai d’Anjou ! Cet édifice met en branle _ il « inspire » l’« Homo spectator«  (et son « Acte esthétique » !..) par sa superbe « respiration » même… _ l’imagination, et nous porte _ nous, « promeneurs«  ou « visiteurs«  « flâneurs«  (un peu mieux que « touristes«  : « consommant« , surtout, ou de plus en plus, à la va-vite, des « clichés » ; et du « simili« -vrai, proposé à très rapide « identification«  : à la louche ; selon la politique à grande échelle mondialisée des « tour-operators« …) ; d’une cité telle que Paris _ à l’essentiel _ voilà : la beauté, la vérité, la justice _ par sa qualité de trait, sa qualité de tension _ oui : c’est un rythme ! _, sa façon d’avoir créé un avenir _ de goût sublime. Ne nous leurrons pas ! Et donc ne laissons pas détruire cela… Qui est sans prix ! S’en rend-on assez compte en hauts-lieux (« de pouvoirs« ) ?.. Ou quand toutes les villes du monde finissent par se ressembler…

Sur le devenir des villes du monde, je renvoie au passionnant « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur » de Régine Robin ; et à mon article du 16 février 2009 sur ce très riche travail : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« 

Musil _ hyper-lucide lui aussi ; cf le beau livre de Jacques Bouveresse (sur son œuvre) : « La Voix de l’âme et les chemins de l’esprit : dix études sur Robert Musil«  : Musil (1888-1942), un contemporain capital, décidément… _ nous invite _ en un essai (majeur !) de 1922 intitulé « L’Europe désemparée, ou petit voyage du coq à l’âne« … _ à voir clair : « Jamais plus _ redoute-t-il _ une idéologie unitaire, une « culture » _ vraie ; pas de l’ordre de ce que Michel Deguy qualifie de « le culturel«  ; cf mon article précédent : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff«  _ ne viendront d’elles-mêmes dans notre société blanche… » C’est pour cette raison qu’on peut être _ à très juste titre ! _ fasciné par l’intensité créatrice _ admirable concept ; et percept ! _ de l’admirable édifice de Le Vau, et que ce n’est pas _ en droit ! _ à lui _ l’édifice de Louis Le Vau _ de se conformer à nos usages, mais à nous _ et qui que nous soyons ! _ de savoir vivre selon _ »vivre selon«  : ou la question de l‘ »ordre » des valeurs ; doublée de celle de ce qui vient les « fonder«  « vraiment«  ! loin du bling-bling ou des commodités _ de fait, lui et elles _ du tout-venant : salles-de-bains, parking, etc… On peut certes se loger (et « parquer«  !..) ailleurs à Paris que Quai d’Anjou… _ ce qu’il émet _ toujours : « a thing of beauty«  ! « a joy for ever« , disait Keats… _ d’échos harmonieux _ musaïques ; Michel Deguy, tout comme Martin Rueff, ont cette musaïque (et musicale ; poétique) oreille _ cf mon précédent article du 24 décembre… Cela doit-il ne concerner que quelques happy few, seuls « demeurés« , et pour combien de temps, vraiment « humains«  ? Cf ici le « Humain, inhumain, trop humain«  de l’ami Yves Michaud…

Former l’aisthesis est, par là, un « enjeu » (éducatif « civilisationnel«  !) à la fois général et singulier

_ cf aussi, du très attentif Jacques Bouveresse, et encore sur l’hyper-sensible Musil, le plus que très judicieux « Robert Musil _ l’homme probable, le hasard, la moyenne et l’escargot de l’Histoire«  : à propos de l’importance et limites (!) des comptes statistiques !.. Et eu égard à ce que Walter Benjamin nomme « la destruction _ générale et singulière, donc ! _ de l’expérience«  ;

et que reprend, en (tout) son œuvre, Giorgio Agamben ; et ce, dès son tout premier livre, au sous-titre parlant ! : « Enfance et Histoire _ Destruction de l’expérience et origine de l’Histoire«  ;

ainsi que le fait remarquer Georges Didi-Huberman à la page 61 de son tout récent « Survivance des lucioles« , paru le 8 octobre dernier : pour en contester le diagnostic, il est vrai ; et y répliquer… :

« les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leurs signes lumineux«  ; et il poursuit, présentant l’objectif même de son livre : « on tente de suivre la leçon de Walter Benjamin, pour qui déclin n’est pas disparition. Il faut « organiser le pessimisme », disait Benjamin«  ; « et les images _ pour peu qu’elles soient rigoureusement et modestement pensées _ ouvrent l’espace pour une telle résistance« , propose donc en son ouvrage Georges Didi-Huberman…

Cf aussi mon article du 14 avril 2009 à propos du livre précédent de Georges Didi-Huberman « Quand les images prennent position«  : « L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer« .

Fin de l’incise à propos de Musil et de Benjamin : on mesure les enjeux de ce débat de « civilisation«  !.. _

former l’aisthesis est, par là, un « enjeu » (éducatif « civilisationnel«  !) à la fois général et singulier

on ne peut plus « prioritaire«  (cf aussi le très important « Le Partage du sensible«  de Jacques Rancière) « de civilisation« , à cette heure de croisée des chemins ; face aux nouveaux barbares (du bling-bling et du fric : qui se croient tout permis ; faute de moins en moins de contre-pouvoirs ; ou d« autorités«  qui aient le courage de leur « faire face«  ; à commencer « leur signifier leur fait«  !!!) ; sur le terrain même de la hiérarchie des valeurs !..

Cf aussi là-dessus, encore, l’urgentissime « Prendre soin _ De la jeunesse et des générations« , du lucidissime, également, Bernard Stiegler…

J’ai entendu, dans la consternation, que les défenseurs de l’intégrité d’un fleuron de notre culture étaient des xénophobes _ eu égard à la nationalité (quatarie…) des propriétaires du lieu. Je m’insurge ! Le sont _ « xénophobes » !.. _ ceux qui menacent l’intégrité d’un patrimoine _ et son « identité« ‘, cher sourcilleux Éric Besson (expulseur d’Afghans pauvres et hyper-démunis, eux, en avion direct pour Kaboul…) ! _ ; ceux qui ruinent les inventions de vivre _ encore une superbe expression ! en ce splendide article ! _ des Asiatiques, des Amérindiens, de l’islam, et participent à la destruction des cultures qui font monde _ « faire monde » : un enjeu essentiel face à la dés-humanisation ! galopante ; et l’« im-monde« 

Où l’on reconnaîtra que les premiers destructeurs c’est nous : à Pékin, à Shanghaï, en Europe et ailleurs. »


Architecte…

 

 Henri Gaudin

Une intervention décisive salutaire d’un artiste qui fait autorité ; là où prétendent dominer les postures _ vaines ! _ des imposteurs (friqués) !

Un blog peut (ou doit) se faire l’écho de tels émois (esthétiques et artistiques, les deux indissolublement conjoints !)

qui ne se résignent pas à ce qu’on est en train de défaire, pierre à pierre, de ce qui « faisait notre monde« 

en sa plus belle « humanité« …

En amoureux du classicisme baroquisant, j’y fais donc, modestement, de ma place toute provinciale, « écho« …

Titus Curiosus, ce 26 décembre 2009

Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le « tissage » de l’écriture et de la pensée de Montaigne

14nov

Hier soir, à 18 heures à La Machine à Lire,

Bernard Sève a pu enfin

_ et avec quelle flamme ! en sa parole vive, précise et délicate _

« donner » _ nonobstant la délicate coordination des diverses disponibilités d’agendas des librairies bordelaises et du conférencier, assez fortement requis par ses tâches d’enseignant (de philosophie esthétique _ et notamment auprès de doctorants) à l’Université de Lille-3 _

pour la Société de philosophie de Bordeaux,

la conférence sur Montaigne, d’après son si lumineusement éclairant _ mon pléonasme est maladroitement volontaire ! _ « Montaigne. Des règles pour l’esprit« , paru aux PUF en novembre 2007 ;

que personnellement j’appelais fortement de mes vœux, depuis l’achèvement de ma lecture de ce « sésame » montanien…

Bernard Sève avait choisi hier soir de diriger aimablement et délicatement notre attention sur ce que j’intitulerais « le tissage » entre l’écriture si idiosyncrasique de Montaigne _ « à sauts et à gambades » ; lui dictant,

sous la dictée inspirante de son propre génie singulier, déjà,

ses longues, longues écharpes de phrases si caractéristiques (de sa langue si richement « imagée » d’écrivain)

à son secrétaire les notant en quelque sorte « à la volée » :

d’où cette allure de conversation, si vive, et si riche d’humour, du « texte » qui en fixe le parcours _ ;

Bernard Sève avait choisi de diriger notre attention sur ce que j’intitulerais

« le tissage » entre l’écriture si idiosyncrasique de Montaigne, donc,

et le penser

_ encore plus riche et nuancé que cet « écrire » :

collant si délicatement aux plus infimes nuances d’un pensable

si proche, lui-même, de ce que son corps comme son âme,

si unis, si amis, si mêlés,

soufflent à son « génie », à sa « fantaisie »,

à son esprit, précisément _ qu’il lui faut essayer de « régler » _,

entre l’abîme de la folie

_ dont nous a parlé hier soir Bernard Sève en cette si vibrante conférence _,

et « l’entretien des Muses«  _ selon le mot (musical), un peu plus d’un siècle plus tard, d’un François Couperin _ ; « l’entretien _ merveilleux  _ des Muses«  :

ainsi ai-je pu, à mon tour abonder, en ce sens-là, en rappelant que le dernier mot des « Essais de Messire Michel, Seigneur de Montaigne« 

_ puisque tel est le titre même que Montaigne a très précisément donné à son livre ! ainsi que nous l’a « rappelé » hier soir Bernard Sève ! (et écrit dans son article « Le « génie tout libre » de « l’incomparable auteur de l’Art de conférer » : ce que l’écriture de Pascal doit à Montaigne » _ in le numéro 55 / 2007 de « Littératures » : « Pascal a-t-il écrit les « Pensées » ?« , aux Presses Universitaires du Mirail) _,

en son dernier chapitre

de son ultime livre (« De l’expérience« , Livre III, chapitre 13),

est une invocation aux Muses et à Apollon.

Je lis :

« Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance. Or la vieillesse a un peu besoin d’être traitée plus tendrement. Recommandons-la à ce Dieu

_ Apollon, donc : le seigneur des Muses… : Apollon cytharède… _

protecteur de santé et de sagesse mais gaie et sociale :

« Frui paratis et valido mihi

Latoe, dones, et, precor, integra

Cum mente, nex turpem senectam

Degere, nec cythara carentem. »

_ sois, traduits, ces vers d’Horace, en l’Ode 31 du livre I (des « Odes« ) :

« Fils de Latone, puisses-tu m’accorder de jouir de mes biens en bonne santé, et, je t’en prie, avec des facultés intactes. Fais que ma vieillesse ne soit ni honteuse, ni privée de lyre« …

Je me contenterai de citer ces échanges de courriers électroniques du mois de décembre 2007,

issus de ma lecture toute fraîche de ce si beau et si utile _ pour pénétrer les merveilles du penser si riche et si précis en l’infinie subtilité de ses diaprures de Montaigne _ « Montaigne. Des règles pour l’esprit » :


De :       Titus Curiosus
Objet :     le « Montaigne » de Bernard Sève
Date :     7 décembre 2007 07:42:39 HNEC
À :       Frédéric Brahami


Cher Frédéric,

Je viens d’achever le « Montaigne » de notre ami Bernard Sève.
Quel livre éclairant !

même pour le « montanien » naïf que je suis,
par rapport aux « montaniens » ô combien cultivés que, lui et toi, vous êtes.

Quelle entrée précieuse _ que ces « Règles pour l’esprit » _ dans le lacis de l’écriture du matois gascon périgourdin !
Avec tout ce que cela peut révéler quant aux voies (et voix) multiples du cheminement philosophique,
je pense notamment aux chemins divers (jusqu’aux sentiers) du « concept »…


J’ai beaucoup apprécié ton entrée « montanienne » de l’article de laviedesidees.fr
_ en sa très belle recension « En-deçà, au-delà, du scepticisme« , du 3 décembre 2007 sur l’excellent site de « la vie des idées »… ;

Frédéric Brahami est l’auteur de livres très remarquables, dont « Le scepticisme de Montaigne » (aux PUF, en 1997) et « Le travail du scepticisme. Montaigne, Bayle, Hume » (également aux PUF, en 2001) _

à propos du « résumé » : « Tout abrégé sur un bon livre est un sot abrégé ».

Bernard Sève consacre un chapitre extrêmement intéressant, « Concepts, sentences et thèses« , à cette question,
avec notamment un détour par les distinctions bergsoniennes
, dans « La pensée et le mouvant« ,
entre « concepts raides », « concepts souples » et « concepts individuels »…
Il cite aussi le travail de Jean-Claude Pariente, « Le langage et l’individuel« , en 1973…

En tout cas, je me sens proche de ces cheminements-là _ les vôtres _,
d’où cette « étiquette » de « montanien naïf » que je pourrais sinon revendiquer,
du moins assumer…

As-tu reçu le passage _ prolixe _ de mon petit « essai » « Cinéma de la rencontre » ?
Si tu disposes d’un peu de temps,
il me plairait bien que tu me dises un petit mot de ce « montanisme » naïf de ma démarche.
Même s’il faudrait sans doute avoir la patience (et d’abord le temps) de lire l' »essai » en entier,
c’est son « tout » qui fait sens,
même pour un texte qui n’a certes pas le génie de celui de Montaigne…

Bien à toi,

Titus Curiosus

 De :      Bernard Sève

    Objet :     Réponse trop brève
Date :     7 décembre 2007 10:57:29 HNEC
À :       Titus Curiosus

Cher Titus Curiosus,

Merci de tout ce que vous dites du « Montaigne« .  Nous partageons un même amour pour son écriture, sa pensée, sa philosophie.  Je suis heureux que mon approche trouve des échos dans vos propres lectures de Montaigne, cela indique au moins que je ne me suis pas totalement égaré. Je suis intimement persuadé qu’il y a des forces et des richesses inouïes dans Montaigne, que la réduction que l’on fait ordinairement de sa pensée au « scepticisme » empêche, littéralement, de voir. J’essaie simplement d’attirer l’attention sur ces richesses, de les faire voir, c’est tout et c’est beaucoup.

Vous évoquez la possibilité que je vienne présenter le livre à Bordeaux.  Ce serait avec un très grand plaisir, et ce serait une occasion de vous revoir et de parler viva voce.

A très bientôt j’espère,

très amicalement à vous,

Bernard Sève

Le 20 mai 2003, j’avais eu le très grand plaisir, et la joie, de présenter Bernard Sève lors de sa conférence dans les salons Albert Mollat, autour de son passionnant « L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe » (paru aux Éditions du Seuil en août 2002)…

De :       Titus Curiosus
Objet :     Attirer l’attention, faire voir, c’est tout et c’est beaucoup
Date :     7 décembre 2007 13:36:51 HNEC
À :       Bernard Sève


Cher Bernard Sève,

Comme je vous suis en votre lecture si fine et si judicieuse de Montaigne,
et comme je partage, aussi, les « règles » pratiques que vous savez en dégager…
Car Montaigne, sans didactisme, sans profession de foi d' »enseigner », nous propose modestement son exemple,
son exemple de « juger »,
en alerte de justesse, en permanence,
et joyeusement.


D’autre part, et surtout,
il n’y a aucune urgence à me lire…
J’espère qu’alors, si ce temps vient, vous serez un peu « amusé » de mes « extravagances », de mes « dé-prises » _ vous mettez un peu « en garde » contre elles _,
et j’ai même hâte _ je suis en train de me contredire, mais c’est une hâte toute « gratuite » et très joyeuse _ de la lecture que vous pourrez faire de mon petit « essai » sur le « Cinéma de la rencontre« ,
quand il me semblera « terminé ». Quel lecteur de luxe vous ferez !

Vos remarques _ et « distinguo » _ sur le caractère ou pas d' »interlocuteur » (de Montaigne) que pouvait lui être La Boétie, sont passionnantes, quant à ce qui sépare « conférer » et cette « amitié » unique de son espèce entre Etienne de La Boétie et lui…
Pour ma part, je suis assez demandeur d' »interlocuteur » dans la vie, et bien sûr rarement satisfait : demeurent cependant les livres : ils sont là, à peu près tranquilles dans leur disponibilité à nos questions et réactions…
Ou le fantasme de la « librairie » montanienne, et ses « prospects »…
Votre concept de « concept individuel » (d’après Bergson, et peut-être aussi Pariente) est passionnant, et me serait « d’usage », si je ne m’illusionne pas trop.


Mais je suis, pour l' »écrire », « du genre » de Montaigne :

« tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , « j’ajouterai » des nuances, à l’infini des précisions, des « détails »…
Du moins pour ce qui est des nuances du qualitatif.
J’ai noté aussi votre remarque sur le peu de goût de Montaigne pour les raisonnements mathématiques.
Il n’aurait pas été un sectateur de Galilée. et son « utile » diffère considérablement de celui d’un Descartes.


Merci, donc, de votre réponse.

Et j’avise Corinne Crabos de la Librairie Mollat de votre « disponibilité à refaire le voyage de Bordeaux« …

Titus Curiosus

Voilà…

Hier soir, mon souhait d’écouter viva voce Bernard Sève sur Montaigne a été comblé.

Merci à lui.

Merci à la Société de philosophie. Merci à La Machine à Lire. Merci à tous ceux qui ont aidé à ce que Bordeaux et les Bordelais entende un peu ce qui m’apparaît constituer un merveilleux « sésame »

afin de mieux pénétrer le « monde montanien » ;

et la parole vive et douce et ferme

et généreuse

de celui qui leur fut un grand maire…

Titus Curiosus, ce 14 novembre 2008

Retour aux fondamentaux en musique : percevoir l’oeuvre du temps aussi dans l’oeuvrer de l’artiste

07nov

A propos des CDs

« Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch (CD Alpha 134)

& « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas (CD Alpha 136)

Parmi une brassée (huit items, dix CDs) de merveilleux disques,

d’une part,

je retiendrai,

ce qui m’apparaît comme une (excellente) politique de production (et conception) de la part d’un éditeur de disques, en l’occurrence les disques Alpha  :

le choix d’un « retour aux fondamentaux de la musique » ;

et d’autre part,

je me pencherai

au sein même de ce « retour aux fondamentaux » ;

ainsi qu’au sein même de l’excellence de la nouvelle cuvée Alpha, tout au long de cette année 2008 ;

je me pencherai, donc,

sur l’intelligence de la justesse du choix des artistes-interprètes

_ en l’occurrence les magnifiques Céline Frisch et Frédérick Haas _,

dans la décision de donner à « écouter »

aux « écouteurs » amoureux de la musique,

la dimension temporelle même de la création, au fil des ans _ ainsi que mêlée aux années qui défilent _,  des artistes-compositeurs :

car je relève et retiens, en effet, que les CDs

« Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch (CD Alpha 134)

& (le double album) « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas (CD Alpha 136),

présentent, tous deux, des « pièces » ou des « Livres » (de clavecin),

non sous la forme

_ « classique » : facile, commode, habituelle ; en fait seulement routinière (et paresseuse) ! _

d’une « intégrale »

(c’est-à-dire à la pure et simple queue-leu-leu de l’ensemble des « pièces » produites par le compositeur) ;

mais, en procédant à une sélection

_ non arbitraire ! il ne s’agit certes pas, non plus, de simples « récitals » au gré de la pure « fantaisie », plus ou moins « inspirée » (ou « heureuse »), de l’interprète _ ;

en procédant, donc, à une sélection

de séquences,

c’est-à-dire, ici

_ pour les œuvres (de clavecin) entiers (!..) de Jean-Philippe Rameau et François Couperin _,

de « suites » ; sinon « Ordre(s) », voire « Livre(s) » entiers ;

en veillant à privilégier (la « quête » de) la perception

_ par l’auditeur : à la suite de l’interprète lui-même ;

j’en donnerai pour exemple

la (très belle et instructive) « présentation » qu’en donne (très judicieusement) Frédéric Haas lui-même,

dans la « présentation », par ses propres soins, de sa propre « quête » du sens du « mystère » couperinien _ ;

en veillant à privilégier (la « quête » de) la perception, donc,

de ce que je nomme « l’œuvre du temps dans l’œuvrer _ et ce qui en résulte dans l’œuvre achevée, coite, immobile : et mise à notre disposition… _ d’un artiste« …

Cela demande un « défilé » de temps,

et l’exercice d’une (élémentaire) « comparaison » _ des « pièces » _ (de la part de l’æsthesis) ;

« comparaison » dont le « ressentir » de (l’avènement de) cette perception _ par l’auditeur _

sera facilité (« éclairé ») par l’art de choisir (en pratiquant des « coupes claires », ou « élagage ») ces « séquences », de la part du concepteur du programme.


Art analogue à celui du bouquet, si l’on veut bien

_ sauf que la durée de vie d’un bouquet est, elle, très éphèmère ;

heureusement, la vie de « création » d’un artiste peut être, elle, un peu plus longue,

et permettre, à la faveur du « temps qui passe », en donnant lieu à l’expérience (personnelle et artistique) d’un « temps passé », voire d’un « temps perdu » ;

peut permettre, donc,

à l’artiste créateur

de « retrouver », provenant de l’œuvrer même de l’artiste _ en sa poïétique de « création » à partir de son propre « exister » en artiste _,

et à travers l’épaisseur même du temps _ vécu, oublié, mémorisé par traces effilées et filantes _,

et à travers, aussi, les « voiles » déposés de ses « strates », peu à peu posées ;

de « retrouver », donc _ proustiennement : mais l’expérience est celle de tout artiste authentiquement créateur _ ;

de « retrouver »

l’ombre féconde d’un « temps » gagné ;

mais cela,

loin, à mille lieues,

de tout calcul _ ou ratio _ de profit économique (et financier !!!)…

En s’y lançant seulement _ et solitairement

ainsi accompagné de touts ces « strates »

(les Muses sont bien les filles de Mnémosyne) _

à corps perdu, en cet œuvrer…

En cela

_ et même si cette considération est assez extérieure (ou anecdotique) _,

ces deux albums, Alpha 134 et Alpha 136, constituent, déjà un chef d’œuvre d’intelligence de « conception-production » artistique ;

pour notre joie de « réception » de la musique,

et de « retrouvailles »,

via le medium du disque CD,

avec ce que je me permets de qualifier de « retour aux fondamentaux » de la « musique »…

Je placerai ces deux CDs

parmi _ ou à côté de _ un bouquet d’autres,

participant, tous, à un tel « retour aux fondamentaux de la musique » :

signes, peut-être, d’une « époque », qui, plus que d’autres

_ avec toutes ses « impostures », ces « vessies » que certains voudraient tant nous faire « prendre pour » des « lanternes » _,

semble en avoir « bien besoin » ?..

Ce » bouquet » (de musique _ de « retour aux fondamentaux ») de huit CDs, ce sont :

1) _ les « Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch (CD Alpha 134) ;

2) _ le double album « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas (CD Alpha 136) ;

3) _ le (petit) « opera » « Dido & Aeneas » de Henry Purcell, par The New Siberian Singers (the chamber choir of the Novosibirsk State Academic Opera ans Ballet Theatre) & MusicAeterna, sous la direction de Teodor Currentzis, avec Simone Kermes, Deborah York et Dimitris Tiliakos (CD Alpha 140) ;

4) _ le (double) volume VI des « Klavierwerke & Kammermusik » de Robert Schumann, de l’intégrale qu’interprète et anime Éric Le Sage, au piano : « Kreisleriana, Op. 16 ; « Vier Fugen » Op. 72 ; « Fantasiestücke » Op. 12 ; « Andante & Variations pour 2 pianos, 2 violoncelles & cor » Op. 46 ; « 6 Etudes en forme de canon pour piano-pédalier » Op. 56, dans un arrangement pour 2 pianos de Claude Debussy ; « Bilder aus Osten _ 6 Impromptus » Op. 66 ; et « Waldscenen » Op. 82 ; avec François Salque & Victor Julien-Lafferrière, violoncelles ; Bruno Schneider, cor ; Eric Le Sage, Frank Braley, pianos (CD Alpha 135) ;

5) _ le CD « Manuscrit Bauyn _ Louis Couperin, Luigi Rossi, Johann-Jakob Froberger et Girolamo Frescobaldi« , par Benjamin Alard (CD Hortus 065) ;

6) _  le CD « Pièces de guitarre de Mr. Rémy Médard (1676)« , par David Jacques (CD XXI-CD 2 1586) ;

7) _ le CD « Les Caractères de la danse _ Purcell / Corelli / Rebel / Albinoni / Telemann« , par l’Ensemble « Harmony of Nations » & Alfredo Bernardini (CD Raum Klang RK 2704) ;

8) _ et le CD « String Quartets » de « Ravel, Debussy & Fauré« , par le quatuor Ebène (CD Virgin Classics 50999 519045 2 4)…

A commencer, ce superbe « bouquet », donc,

de « retour aux fondamentaux »,

par une très remarquable série d’enregistrements, notamment « baroques », parus cet automne aux Éditions Alpha :

_ après un excellemment « dynamique » CD de deux des « Missæ breves » de Jean-Sébastien Bach, les Bwv 234 & 235, par l’Ensemble Pygmalion, dirigé avec une belle vitalité (et justesse) par le jeune et plus que très prometteur, déjà, Raphaël Pichon (CD Alpha 130) _,

voici, d’abord _ et je les associe !.. _, les CDs
_ « Pièces de clavecin » de Rameau, par Céline Frisch,

sur le clavecin Jean-Henry Hemsch (de 1751) de la collection de Frédérick Haas :

CD Alpha 134 ;

_ & le double album « Pièces de clavecin des Livres I & II » de François Couperin, par Frédérick Haas,

sur ce même clavecin Jean-Henry Hemsch (de 1751) :

CD Alpha 136 ;

comme nous « restituant »

_ en leur « intégrité » ; le concept, ainsi que sa « réalisation », ayant beaucoup d’importance (artistique) _,

ces deux enregistrements, tout à la fois,
la vérité historique des œuvres des deux compositeurs

_ la publication des œuvres de Rameau (en 1706 ; en 1724-1731 ; en 1728)
encadrant la publication de celles de François Couperin interprétées ici (en 1713, pour les « Ordres Premier & Cinquième » du « Premier Livre » ; 1716, pour des « préludes » de « L’Art de toucher le clavecin » ; et en 1717 pour le « Deuxième Livre« , donné ici en entier, avec les « Ordres Sixième, Septième & Huitième« ) ;

et, tout à la fois, donc,
et bien mieux encore,
la poésie _ et c’est le « principal » ! en Art !… _
spécifique à chacun des groupes d’œuvres


intitulés « Livres _ de Pièces de clavecin« 

_ (au nombre de IV : en 1713, en 1716-17, en 1722 et en 1730),

et eux-mêmes divisés en « Ordres«  (au nombre de 28) ;
ainsi que _ « à part » _ « L’Art de toucher le clavecin« , en 1716 ;
(plus, encore, 6 « Pièces » séparées publiées, dès 1707 _ François Couperin, né en 1668, a déjà trente-neuf ans alors _, en un recueil collectif : « Pièces choisies pour le clavecin de différents auteurs« ),
pour ce qui concerne François Couperin, donc ;

et intitulés : « Livre«  (pour le « Premier livre de pièces de clavecin« ), en 1706 _ Jean-Philippe Rameau a, lui, vingt-trois ans : qu’on tire les conclusions qu’on voudra de ce constat chronologique… _ ;

« Pièces de clavecin, avec une méthode sur la mécanique des doigts« , en 1724 ;

& « Nouvelles suites de pièces de clavecin, avec des remarques sur les différents genres de musique« , en 1727 ;
(plus quelques « pièces séparées » :

un « Menuet en rondeau » (en 1724), « La Dauphine » (en 1747) ; « Les Petits marteaux » (non publié par Rameau lui-même, mais par Claude Balbastre, in « Recueil d’airs choisis de plusieurs opéras accommodés pour le clavecin par Mr. Balbastre« ) ;
pour Jean-Philippe Rameau _

« restituant », donc, tant la vérité (historique)
que la poésie _ spécifique, donc _
de ces deux compositeurs français majeurs ;

_ et,
en un tout autre genre, cette fois,

un (très impressionnant, par son énergie et sa vérité _ ou profonde justesse _ dramatique) « Dido & Aeneas » de Henry Purcell, sur un livret de Nahum Tate (« représenté en 1689, au pensionnat de M. Josias Priest, à Chelsea » _ mais peut-être « chanté d’abord à la cour de Charles II, vers 1683/84« …),

par The New Siberian Singers (the chamber choir of the Novosibirsk State Academic Opera ans Ballet Theatre),

MusicAeterna,

sous la direction _ tous _ de Teodor Currentzis,

avec, pour les trois principaux solistes (interprétant « Dido« , « Belinda » et « Aeneas« ), Simone Kermes, Deborah York et Dimitris Tiliakos :

CD Alpha 140 ;

auxquels j’ajouterai (encore chez Alpha Productions)
_ le (double) volume VI des « Klavierwerke & Kammermusik » de Robert Schumann, de l’intégrale qu’interprète et anime _ sinon dirige _ Éric Le Sage, au piano :

« Kreisleriana, Op. 16 ; « Vier Fugen » Op. 72 ; « Fantasiestücke » Op. 12 ; « Andante & Variations pour 2 pianos, 2 violoncelles & cor » Op. 46 ; « 6 Etudes en forme de canon pour piano-pédalier » Op. 56, dans un arrangement pour 2 pianos de Claude Debussy ; « Bilder aus Osten _ 6 Impromptus » Op. 66 ; et « Waldscenen » Op. 82 ;

avec François Salque & Victor Julien-Lafferrière, violoncelles ; Bruno Schneider, cor ; Eric Le Sage, Frank Braley, pianos :

CD Alpha 135

Ainsi que, cette fois chez d’autre éditeurs de CDs (qu’Alpha) :
Hortus,
XXI-21 Productions _ une marque québécoise, distribuée par Universal _,
Raum Klang,
et, enfin, ici, Virgin Classics)
les très remarquablement beaux CDs suivants :

_ d’abord,
le CD « Manuscrit Bauyn _ Louis Couperin, Luigi Rossi, Johann-Jakob Froberger et Girolamo Frescobaldi« , par Benjamin Alard
,
sur un clavecin construit par Philippe Humeau (à Barbaste) en deux temps :
d’abord, la copie d’un modèle « transpositeur » (de 1615) d’Andreas Rückert, d’Anvers, instrument flamand à deux registres : un huit pieds et un quatre pieds ;
puis Philippe Humeau a lui-même « ravalé » son instrument à la manière des anciens,
c’est-à-dire en remplaçant « les deux claviers transpositeurs par deux claviers accouplables, accordés à l’unisson,
dont le second fait parler l’ancien 8′,
et le premier, l’ancien 4′ ainsi qu’un 8′ supplémentaire
 » ;
et « les cordes de grosse taille » étant « remplacées par des tailles plus fines qui produisent un son plus rond et plus détendu« ,

spécifie Benjamin Alard lui-même à la page 7 du livret de présentation de ce CD « Manuscrit Bauyn » ;

lequel « présente » un double « concert », en décembre 1652
(postérieurement à la disparition, ce mois de décembre-là, du luthiste M. de Blancrocher,

dont nous écoutons ici le _ tout frais… _ « Tombeau » par Louis Couperin),
lors d’une rencontre « de musique », à Paris,
celle de Louis Couperin
(ca 1626-1661 : il a alors vingt-six ans) ;
et de Johann-Jakob Froberger (1616-1667 : il a alors trente-six ans ; et se déplace en Europe ; venant de Stuttgart, après plusieurs longs séjours à la cour impériale de Vienne _ de l’empereur mélomane Ferdinand III _ ; et un passage par Bruxelles ; après son séjour à Paris, il fera le voyage de Londres, et celui de Dresde ; avant de « s’installer » à Montbéliard et Héricourt, auprès de la princesse wurtembourgeoise, et connue en son enfance, la princesse Sybilla…) :

il s’agit du CD « Manuscrit Bauyn » Hortus 065

_ puis,
le CD « Pièces de guitarre de Mr. Rémy Médard (1676)« , par David Jacques,

sur une guitarre 5 choeurs Claude Guibord de 1999, réplique d’une Stradivarius de 1700,

enregistré à Sainte-Adèle, au Québec :
il s’agit du CD XXI-CD 2 1586

_ ensuite,
le CD « Les Caractères de la danse _ Purcell / Corelli / Rebel / Albinoni / Telemann« 
,

avec une Suite from « The Fairy Queen » Z629, de Henry Purcell (1659-1695) ;

le Concerto grosso op. 6 Nr. 4 d’Arcangelo Corelli (1653-1713) ;

« Les Caractères de la danse » de Jean-Féry Rebel (1666-1747) ;

le Concerto a cinque op.9 Nr. 2 de Tomaso Albinoni (1671-1751- ;

et l’Ouverture à 7 TWV55: C6 de Georg Philipp Telemann (1681-1767),

par l’Ensemble « Harmony of Nations » & Alfredo Bernardini

_ direction et solo oboe _ :
il s’agit du CD Raum Klang RK 2704

_ auquel j’ajouterai, enfin,
comme pour clore ce formidable bouquet d’excellents musiques au meilleur des interprétations (et enregistrements) un programme indiqué « The essential modern French quartet in the three essential string quartets of the French repertoire » :
les Quatuors à cordes (« String Quartets« ) de « Ravel, Debussy & Fauré« 
,

par le quatuor Ebène

(Pierre Colombet & Gabriel Le Magadure, violons, Mathieu Herzog, alto, Raphaël Merlin, violoncelle) :
il s’agit du CD Virgin Classics 50999 519045 2 4

Que de splendides interprétations, de magnifiques programmes de musique, que voilà,

pour le ravissement _ à « fondre » de plaisir ! pourquoi s’en priver ? _ des mélomanes ;

en commençant par un retour vivifiant

aux « fondamentaux » du répertoire

_ et notamment (mais pas seulement) du « Baroque » musical,

de « style » (ou autour du « style ») « français »,

en cette occurrence-ci :

« Style français »,

en effet,

pour ce qui concerne Henry Purcell _ 1659 – 1695 _,
ayant été sous l’influence de Matthew Locke (1630 – 1677),
et élève assidu des bien formés au « style français »,

d’abord, de 1672 à 74 (soit entre treize et quinze ans), Pelham Humfrey (1647 – 1674) ;

et _ encore _ John Blow (1649 – 1708), son principal maître (et ami) ;

mais, aussi, ayant côtoyé, lors de sa formation musicale sous la Restauration (des Stuart), des maîtres musiciens français _ tels  Robert Cambert (ca 1627 – 1677 ; le fondateur de l' »opéra à la française« , avec « Pomone« , en mars 1671) et Louis Grabu (fl 1665 – 1694), et Jacques Paisible (ca 1650 – 1721, et bien d’autres _ particulièrement nombreux alors à Londres, et d’abord à la cour du roi mélomane (et francophile) Charles II :

lui-même, Henry Purcel, « œuvrant », toute sa carrière, au service de cette dynastie des rois Stuart :
_ d’abord, le roi Charles II  (1630 – 1685) ;
_ puis, son frère le roi Jacques II (1633 – 1701), avant la « Glorieuse Révolution » de 1688 qui allait le « déposer »,

_ au profit de sa fille aînée (protestante anglicane, non catholique),

qui devint
la reine Mary II

(et à laquelle Henry Purcell ne survivra guère : Henry Purcell meurt le 21 novembre 1695 ; et la _ grandiose _ cérémonie des funérailles de la reine Marie  _ 30 avril 1662 – 28 décembre 1694 _ avait eu lieu, à la cathédrale de Westminster, le 5 mars de cette même année 1695 ; avec la participation de Henry Purcell, pour ces « musiques de funérailles » royales, célèbres…)

au profit de sa fille Mary, donc,

et de son mari, Guillaume III (d’Orange _ 1650 – 1702)…

Les rois Charles II et Jacques II (Stuart) avaient « pris » ce « goût français » _ élégant _ à la cour de Louis XIV (1638 – 1715),

lors de la (tragique) parenthèse du régime d’Oliver Cromwell

(officiellement au pouvoir du 17 mai 1649 à sa mort, le 3 septembre 1658) ;

leur mère, l’épouse du malheureux roi décapité _ le 30 janvier 1649, à Whitehall _ Charles Ier _ 1600 – 1649 _,

la reine Henriette-Marie (dite « de France« )_ 1609 – 1669 _,

étant fille de Henry IV et de Marie de Médicis ;

et leur sœur, Henriette-Anne (dite « d’Angleterre« ) _ 1644 – 1670 _, la « Madame » se mourant (de l’oraison funèbre de Bossuet…),

étant l’épouse de Philippe, duc d’Orléans (1640 – 1701), le frère cadet de Louis XIV ;

Et « style français », aussi _ en encore, au siècle suivant _,

pour ce qui concerne Georg-Philipp Telemann (1681 – 1767),
notamment, pour lui, dans ses « Ouvertures » orchestrales

_ a 7 dans l' »Ouverture » TWV55:C6

interprétée ici par the « Harmony of Nations » sous la direction de l’excellentissime Alfredo Bernardini,
promouvant par toute l’Europe musicale les « ouvertures » à la Lully… ;

pour ne rien dire ici du hautbois,

instrument français, s’il en est…


Ce bouquet de musiques de « style français », donc,

en sorte de « complément », ici, au bouquet de mon précédent article

« un bouquet de glamour musical _ et autres _ pour temps de crise »
composé, lui aussi, autour de pièces françaises
:

de Debussy & Poulenc, des pièces pour violoncelle et piano,
de César Franck & Fauré, les Quatuors à cordes,
des mélodies françaises de Bizet et Gounod à Reynaldo Hahn et Poulenc, en passant par Chausson, Duparc, Debussy, Fauré et Ravel ;

ainsi que des sonates du premier baroque français, de Jean-Baptiste Senaillé (1687, ou 90 – 1730)…

J’évoquerai ainsi le double enregistrement de « pièces de clavecin » de François Couperin et de Jean-Philippe Rameau, que les interprètes de ces CDs Alpha

_ respectivement Frédérick Haas, pour le double album Couperin Alpha 136 ;

et Céline Frisch, pour le CD Rameau Alpha 134 _

ont tous deux choisis de présenter ici,

non en une « intégrale »

des (quatre) « Livres » _ et/ou (28) « Ordres« , pour ce qui concerne l’œuvre (entier) de François Couperin ;

et/ou du « Livre« , « Pièces » et « Suites de pièces« , pour celui de Jean-Philippe Rameau ;

mais seulement en une sélection :

_ ainsi, ici, les seuls « premier » et « cinquième » « Ordres » du « Premier Livre » (de 1713) ;

et le « Deuxième Livre« , en entier, lui (avec ses _ seuls _ trois « Ordres » au complet : les « sixième« , « septième » et « huitième« ,

choisis par Frédérick Haas ;

_ et,

si le « Premier Livre » de Jean-Philippe Rameau est présenté ici en entier, en une « suite en la« , par Céline Frisch en ce Cd « Pièces de clavecin » Alpha 134,

c’est à une sélection de « suites »

_ « en mi« , pour les « Pièces de clavecin » de 1724-1731 ;

et « en sol« , pour les « Nouvelles suites de pièces de clavecin » de 1728 _,

que l’interprète, Céline Frisch, donc, procède,

elle aussi

_ tout comme Frédérik Haas pour son « François Couperin« -I _

en ce programme « Jean-Philippe Rameau« -I…

En une logique toute musicale (ou/et æsthétique, si l’on veut…) ;

et non d’archivage, ou de « rangement » (de discothèque personnelle ; ou publique)

_ comme cela est devenu depuis quelques années « de mode »

chez certains éditeurs de disques _ tel que Brilliant Classics, parmi d’autres…

Jean-Paul Combet, l’éditeur-concepteur d’Alpha, a fait appel à l’autorité aimable et particulièrement compétente (en matière de finesse d' »oreille » et de « goût »), de l’excellent Philippe Beaussant

(l’auteur de « Vous avez dit « Baroque » ? » ; et surtout, pour ce qui nous concerne ici, des passionnants et fort utiles : « François Couperin » et « Rameau de A à Z » (aux Éditions Fayard, en 1980 et 1982) ;

et désormais « immortel », par son élection, le 15 novembre 2007, à l’Académie française _ il a été reçu « sous la Coupole », par Pierre Rosenberg, le 23 octobre dernier)

pour « présenter » magnifiquement, avec toute la délicatesse et l’enjouement requis, les pièces du programme « Rameau » qu’a choisies d’interpréter ici Céline Frisch :

l' »écoute » du maître ès « Baroque français » de chacune des « suites » de « pièces » présentées ici

est, en effet, d’une remarquable finesse _ on en lira avec « succulence » le détail, pièce par pièce, aux pages 8 à 12 du livret.

Surtout, et au delà de la délicatesse de son écoute

de chacune de ces « pièces » _ idéalement « détaillée » _,

Philippe Beaussant présente _ avec une simplicité et une clarté magistrales _ l’œuvre de Rameau dans toute l’amplitude de sa chronologie :

non seulement,

« à sa naissance _ Jean-Philippe Rameau naît, à Dijon, en 1683 _,

Lully _ Jean-Baptiste Lully : Florence, 1632 – Paris, 1687 _ vivait encore« 

_ et Lully demeure pour une bonne moitié du siècle suivant la référence du goût musical français,

ainsi qu’en témoigne la « Querelle des Bouffons »

(et la « tension » du « coin du roi » et du « coin de la reine« ),

au cours de la décennie 50 (du « siècle des Lumières« ) ;

Rameau ne cessant d’être toujours actif (et triomphant !) : jusqu’à ses « Boréades« , laissées posthumes, en 1764 _,

mais « avant de mourir _ Rameau meurt à Paris, le 12 septembre 1764 _,

il avait pu croiser le petit Mozart _ celui-ci, né en 1756 (et qui mourra en 1791), séjourne une première fois à Paris l’automne 1763 _ l’hiver et le printemps 1764, lors de sa première grande tournée européenne, menée par son père _ il  y est arrivé le 18 novembre ; et ne gagnera Londres que le 27 avril 1764 _ à Paris ou à Versailles.« 

Mais encore :

« Mais le plus étonnant, au long de ces quatre-vingts ans

_ Rameau, né le 25 septembre 1683, mourra le 12 septembre 1764 _,

c’est la chronologie de son œuvre » _ en effet !

Il précède

(on l’oublie trop _ prend soin de préciser,

du moins quant aux dates, sinon de composition, du moins de publication, des « pièces » de clavecin,

Philippe Beaussant, à la page 8 de ce précieux livret du CD _)

François Couperin en publiant en 1706, à vingt-trois ans, son « Premier Livre de clavecin »… »

Ajoutant :

« Mais s’il était mort à cinquante ans, âge raisonnable pour l’époque _ ce qui donne « en 1733″ _, on n’aurait pas de lui une seule note d’opéra : pas d’« Indes galantes« , pas de « Castor« , pas de « Pollux »

_ données sur la scène de l’Académie royale de musique, respectivement le 28 août 1735 et le 24 octobre 1737 ; « Hippolyte et Aricie » avait paru sur cette même scène de l’Académie royale de musique, le 1er octobre 1733…

Seulement des « Sauvages » pour clavecin,

parce qu’il les a publiés en 1728, après avoir vu deux Indiens de la Louisiane au théâtre de la foire _ où Rameau produit moult « parodies » ;

de ces « Sauvages » de clavecin-là,

Rameau fera tout un acte de ses « Indes galantes« , sept ans après l’œuvre pour clavecin…

Et ce pourrait même être, là,

l’air comme « emblématique »

de tout l’art musical

de Rameau…


« Le second paradoxe

_ chronologique, préciserai-je

l’analyse si judicieuse de Philippe Beaussant _

particulier à Rameau

n’étire pas son œuvre dans le temps, mais dans sa structure.

Ses contemporains l’avaient classé : « c’est un savant ». Son « Traité de l’Harmonie réduite à ses principes naturels » inaugure _ en 1722 _ la carrière d’un homme qui n’a cessé de réfléchir sur son art, et de le théoriser. Ce titre _ de « traité » _ est d’ailleurs significatif : c’est une pensée qui ne pouvait naître que dans l’esprit d’un homme du XVIIIéme siècle, rationnel et « philosophique », comme on disait _ explicite le livrettiste ;

sur ce point, on pourra élargir et approfondir sa connaissance et sa réflexion,

en consultant l’ouvrage de ma collègue philosophe Catherine Kintzler : « Jean-Philippe Rameau, splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique« , dont la deuxième édition est parue chez Minerve, en 1988.

Quant au livrettiste du CD,

Philippe Beaussant,

il ajoute alors, on ne peut plus judicieusement :

« Mais Rameau est encore de son temps par une sensualité épanouie et raffinée _ quels justes qualificatifs ! _ :

s’il est le contemporain de d’Alembert,

il est aussi celui de Boucher _ 1703 – 1770 _, de Fragonard _ 1732 – 1806 _ et de l’abbé Prévost » _ (1697 – 1763), l’auteur de la délicieusement coquette « Manon Lescaut » (en 1731).


Concluant ce bel aperçu transversal par :

« On va retrouver tous ces paradoxes, de diverses façons, dans toutes ces pièces de clavecin« 

On ne saurait mieux cerner _ et éclairer ainsi _ l’idiosyncrasie du « génie » de Rameau.

Pour ma _ petite _ part _ ici _, je n’ajouterai qu’un mot rapide, pour rendre grâce, aussi, à tout le talent

_ ou tout le « génie », aurait-on peut-être préféré prononcer, au XVIIIème siècle _

de l’interprète, Céline Frisch,

pour « restituer » si délicatement cette double palette _ si prodigieusement variée (du côté, du moins, de la « sensualité« ) _  du « génie » de composition de Jean-Philippe Rameau :

car c’est sa poésie,

tour à tour

grave,

et presque _ non, jamais tout à fait jusque là ! _

sinon austère, du moins « de musique pure » (qu’on écoute « L’Enharmonique« )

_ avance, quant à lui, Philippe Beaussant, ici _ ;

et,

ailleurs

_ c’est le principe même des « suites » : que cette « variété » élégante, tendre, grave et amusée, « à la française » _,

enjouée,

jusqu’à, même, une frénésie rythmique, échevelée » ou « déboutonnée »,

voire malicieusement « endiablée », carrément.

Mais rien ne vaut ici l’écoute !!!

Ce qui est capté sur ce CD est tout simplement une merveille de poésie !

« Poésie » ! Voilà la clé de ce si beau disque…

Quant à la « part du temps »

(de ce qui, de l' »œuvrer », demeure _ à l’état d' »ombre endormie », ou « Belle-au-bois dormant » _ dans les œuvres),

entre des pièces publiées en 1706

_ en un moment d’alanguissement d’un long, très long règne,

celui d’un Louis XIV né le 5 septembre 1638, roi depuis le 14 mai 1643, à la mort de son père ; et en charge de la plénitude du pouvoir, y compris sur les Arts (cf Philippe Beaussant : « Louis XIV artiste« ), depuis le 9 mars 1661, à la mort de son parrain, Jules Mazarin :

en même temps que de mouvements, contenus, d’impatience de certains _,

et d’autres

_ après une régence (ouverte à toutes les dissipations) de huit ans, de Philippe d’Orléans, du 1er septembre 1715 au 2 décembre 1723,

le jeune Louis XV (15 février 1710 – 10 mai 1774), vient de prendre les rennes du pouvoir,

cornaqué alors par le duc de Bourbon, et sa maîtresse, la comtesse de Prie

(lesquels seront « renvoyés », sur les terres des Condé, à Chantilly, au printemps 1726) _

en 1724, puis 1728 : l’esprit du temps ayant pas mal « varié »…

la présentation de Philippe Beaussant, en ce livret de ce CD Alpha 134, dégage excellemment

ce que le jeu particulièrement fin de Céline Frisch donne à parfaitement « percevoir »,

entendre :

ainsi, quant au « Prélude«  du « Premier Livre de clavecin« , en 1706,

nous pouvons lire, page 9 du livret :

« Le « Prélude », comme le veut la tradition, est une pièce libre, non mesurée, qui vient de l’art des luthistes »

_ du premier dix-septième siècle, celui du temps de Louis XIII : les Ennemond Gaultier, et autres Lenclos…

« Mais d’entrée de jeu, Rameau, sans modifier l’héritage, lui donne une complexité harmonique qui lui apporte un caractère d’urgence inhabituel ; et il va croissant jusqu’à l’explosion inattendue _ en effet ! _ d’un second mouvement _ bref _ en forme _ merveilleusement gaie _ de gigue. Rien n’est changé dans la structure, tout est neuf dans le ton. »

Et Philippe Beaussant d’annoncer :

« Tel est Rameau. Déjà, à vingt-tois ans, il révolutionne,

mais toujours de l’intérieur.« 

Et encore ceci :

« On va retrouver cela _ en effet _ dans chaque pièce« 

_ superbement analysée, en peu de mots, en cette « présentation »-ci, du livrettiste ;

comme l’interprétation _ magique _ de Céline Frisch nous le donne à percevoir et ressentir…

« Dix-huit ans séparent le « Second Livre de Pièces de clavecin » (1724) du premier. Rameau a mûri :

mais cela s’entend _ sous les doigts de Céline Frisch, ici _ dès les premiers moments de l’« Allemande ».

C’est bien toujours l’arrière-descendante de cette ancienne danse,

mais elle transfigure la vieille solennité en une admirable invention mélodique, d’une grande unité thématique. Tout s’est, une de fois de plus, intériorisé. » L’analyse est magnifique !

Elle nous montre exactement ce que je me suis permis de nommer « l’œuvre du temps aussi dans l’œuvrer de l’artiste« …


« Il en est de même pour la « Courante », avec plus d’allant _ comme il convient ; poursuit Philippe Beaussant. Les « Gigues en rondeau » allient la manière italienne (mouvement régulier de croches, phrasé violonistique) et française (qui affectionne le rondeau). »


Avec cette remarque-ci _ qui justifie (encore !) mon article  :

« Couperin est passé par là :

voici que Rameau, pour la première fois, se détache de la vieille structure de la « suite » pour une pièce évocatrice, sinon descriptive, en tout cas « de genre ». Petite sonnerie de quarte battant le rappel de la gent ailée _ il s’agit du « Rappel des Oiseaux« .

Et l’on découvre un Rameau dont le génie imitatif « suggère » ce qu’il veut par un infime thème de quelques notes, avant d’en faire la matière d’un développement aussi savant que rigoureux.

S’ensuivent des danses non plus voulues par la vieille tradition, mais que l’on pratique du temps de Rameau : on les retrouvera _ follement gaies _ dans ses Opéras ;

et le « Rigaudon » autant que le « Tambourin » _ emblématiques de la joie (!) de Rameau _ témoignent ensemble du goût du XVIIIème siècle pour les danses méridionales

_ mais oui !

de même que beaucoup des chanteurs des « Opéras« , tels Pierre Jelyotte (1713 -1797) et Marie Fel (1713 – 1794), provenaient du Midi (en l’occurrence de Lasseube, sur les côteaux entre Oloron et Jurançon-Pau, pour la haute-contre ; et Bordeaux, pour la soprane !…) _

comme « La Villageoise »

de celui de la campagne pré-rousseauiste« …


Nous percevons ainsi,

en cette interprétation de Céline Frisch,

tout comme _ j’anticipe _ dans celle de Frédéric Haas,

rendant,

toutes deux (« interprétations », en la « justesse » et « délicatesse » de la « variété de nuances » de leur palette),

si bien compte de l’apport des strates (se déposant) du temps à la diversité (et singularité) des œuvres

_ quand trop d’interprètes,

sinon semblent se contenter de découvrir (et déchiffrer) les partitions lors des séances d’enregistrement au studio,

du moins « jouent » quasiment tout « pareil »…

Ici,

avec ces CDs Alpha 134 (« Rameau« , par Céline Frisch) et Alpha 136 (« François Couperin » par Frédérick Haas),

nous entendons comment le temps _ lui-même !… _ joue

dans l’histoire chaque fois (et toujours) singulière _ ou la succession historique _ du « génie » des compositeurs, mêlé, aussi, à l' »air du temps »,

en la diversité de ces « pièces » (ici « de clavecin« ) :

des joyaux, si fins, si riches, si « humains », d’une sorte de quintessence de l’art _ et du « génie » _ français.

Rien moins :

il ne faut qu’y prêter _ tendre _ l’oreille ;

et affiner le goût…

Et que de délices, alors !!!

Quant à l' »énigme » Couperin,

tant le jeu sur le clavecin (Hemsch de 1751 de sa collection personnelle)

que l' »essai » d’écriture de la « présentation » du livret _ aux pages 11 à 18 _,

s’y confrontent

et sont d’une exquise sagacité,

pour nous en donner entendre quelques  « secrets »,

de la part de Frédérick Haas :

voici comment Frédérick Haas le présente _ superbement _ lui-même aux pages 11 à 13 du livret :

« Dans une œuvre aussi soigneusement publiée que celle de Couperin, et aussi tardivement _ le premier Livre, en 1713, à un âge d’évidente maturité : Couperin était né en 1668 _, il n’y a aucun résidu. Il convient à toute force de se persuader de cette idée-là.

Alors que faire lorsqu’on rencontre, à la suite de pièces évidemment grandioses, des miniatures d’une simplicité embarrassante, répétitive, populaire : passer, en s’avouant à peine une espèce de déception gênée ? Ou bien chercher autre chose ? Un tempo, un caractère, un son, un éclat de plus, un contraste scintillant ; et non pas se permettre, jamais, de décrochement. Cette simplicité-là pourrait alors nous apparaître d’une innocence tellement savante, et nous interpeller toujours : que cherche-t-il donc ?

Depuis longtemps il m’a semblé percevoir, en parcourant les livres de clavecin, une évidence de couleur, de climat, particulière à chacun d’entre eux _ ce point est décisif : surtout ne pas tout confondre !!! Au point que, pour ces quatre livres, il serait tentant de parler de quatre éléments, de quatre directions, ou de quatre saisons d’une vie ; et plus exactement peut-être, de quatre saisons de la maturité d’une vie _ Frédérick Haas, ici, s’approche des solutions de l’énigme (du compositeur même)… Un grand créateur ne se répète jamais, ne s’arrête jamais à une manière. Et comme au fil d’une vie une personne meurt et renaît à elle-même, et change autour d’un centre profond qui seul signifie sa vraie essence _ « le style, c’est l’homme même » _ dira bientôt Buffon _, de même une œuvre change, s’altère, évolue, se détruit et se reconstruit au fil d’une recherche, d’une quête consciente ou inconsciente, mais impérieuse et dirigée, peut-être vers un centre _ l’essence même du créateur François Couperin, en quelque sorte ; dans la pluralité, aussi, de ces facettes et « métamorphoses » : voilà ce qu’il faut découvrir, ce dont il faut s’approcher…

Il m’a donc paru exaltant d’entreprendre un projet _ d’interprétation, notamment discographique _ qui tenterait de serrer au plus près la marche de cette « évolution » : quatre programmes qui tenteraient de montrer chaque livre dans sa couleur et son identité _ voilà le sens de ce projet discographique-ci _ ; et trouver au centre, s’il se peut, Couperin : ce qu’il est, ou ce qu’il cherche _ et cela revient au même _ soit l’énigme de l’idiosyncrasie du créateur lui-même (se cherchant)... Or il apparaît qu’au fil de ses inventions proprement inouïes de formes, de couleurs, de sonorités (Couperin est certainement l’un des plus extraordinaires inventeurs de couleurs sonores de toute l’histoire de notre musique), qui vont, au passage, poser les bases de ce qui deviendra un nouveau style de clavecin _ toujours de clavecin, puisque toute la démarche est profondément liée à la nature de l’instrument _, sans pourtant quitter l’esprit qui innervait cette ancienne manière où il plonge ses racines, Couperin s’élève peu à peu, prend de l’altitude. Comme un paysage toujours semblable qu’on verrait toujours de plus haut, au fil des lacets d’une route de montagne, la matière, les contours du discours, les détails de la rhétorique se dissolvent pendant que les climats _ qui seraient l’objectif recherché par l’artiste, donc, si l’on en croit les propositions de résolution de l’énigme Couperin, ici, de la part de l’interprète Frédérick Haas _ se précisent, et, dans cette atmosphère raréfiée, notre sensibilité se trouve à vif, prête à réagir de plus en plus intensément _ oui ! à rebours de la monotonie plate et grise à laquelle l’auditeur à affaire, hélas, si souvent… _ sous une sollicitation de plus en plus concentrée, purifiée et continue _ ce qui n’est pas très fréquent, pas plus au concert qu’au disque, dans le cas de l’œuvre de François Couperin : pas assez envisagée, comme ici, sous l’éclairage des strates temporelles…

Couperin est un maître absolu de la grandeur sans grandiloquence, de la tendresse jamais mièvre, de la légèreté sans affèterie _ Frédérick Haas s’approche ainsi du cœur même (battant, changeant, se métamorphosant) de l’énigme couperinienne. La poésie de Couperin _ et c’est bien de cela que fondamentalement il s’agit ! _ n’est pas molle. Il y a chez Couperin une nervosité, une vivacité, une vigueur de la plus haute tenue. Sa musique est rutilante et fière, chargée d’émotions âpres et puissantes. Couperin est un homme du XVIIe siècle, égaré peut-être au XVIIIe _ quelle parfaite justesse d’intuition de Frédérick Haas ! Il est l’un des plus stupéfiants inventeurs de textures et de techniques que tous après lui vont imiter _ sa manière va être celle dont tant de prosélytes vont copier la forme sans en atteindre l’esprit, qui est certainement à chercher ailleurs.

La préface tellement inhabituelle, tellement inattendue, tellement personnelle du quatrième Livre, cette espèce d’ »adieu désabusé » qui n’explique rien, mais, d’une façon si puissante,  donne le ton ; et ce ton est bien, sans erreur possible, celui des plus grandes vanités du XVIIe siècle _ mais oui : « still alive« , disent si bien, de ces « natures mortes » tremblotantes (fumées, bulles de savon, reflets sur des verres), les Anglais _ ; ce texte énigmatique nous livre sans doute la clé dont nous avons le plus besoin :

“Il y a environ trois ans que ces pièces sont achevées ; Mais comme ma santé diminuë de jour en jour, mes amis m’ont conseillé de cesser de travailler, et je n’ay pas fait de grands ouvrages depuis. Je remercie le Public de l’aplaudissement qu’il a bien voulu leur donner jusqu’icy ; et je crois en mériter vne partie par le Zèle que j’ai eu à lui plaire. Comme personne n’a gueres plus composé que moy, dans plusieurs genres, J’espere que ma Famille trouvera dans mes Portefeüilles de quoy me faire regretter, Si les regrets nous servent à quelque chose après la Vie, Mais il faut du moins avoir cette idée pour tacher de mériter vne jmmortalité chimérique où presque tous les Hommes aspirent” » _ voilà l’aune à laquelle il nous faut « mesurer » l’ambition esthétique artistique du créateur de cette musique…

Fin de la citation de la préface de François Couperin à son quatrième et ultime « livre de clavecin ».

Pour abréger mon trop long commentaire de ce « travail du temps » même au sein de l’œuvrer de l’artiste et de ses (souterraines) métamorphoses, je me contenterai de citer la « présentation » que fait Frédéick Haas des différences entre les « pièces » du livre I (publié en 1713 _ Louis XIV vivant encore…) et celles du livre II (publié en 1717, sous la régence…).

« 1717 _ peut-être même 1716. Savons-nous bien à quel point cette date _ celle de la parution du second Livre de pièces de clavecin de François Couperin _ est bouleversante ? _ déclare ensuite Frédéick Haas… Les nouveautés dont Couperin nous submerge _ alors, en nouveauté « radicale »… _, les ouvertures, les possibles dont tout à coup il nous abreuve, sont étourdissants : mais beaucoup des pièces elles-mêmes, et plus encore sans doute leurs innombrables prolongements, nous sont trop familiers désormais pour que nous puissions sans réflexion apprécier vraiment tout ce que ce livre essentiel comporte de révolutionnaire et troublant. Pourtant l’œuvre la plus célèbre du recueil _ « les Baricades Mistérieuses » _ pourrait seule, à bien y regarder, nous mettre sur la voie _ tant recherchée de la « résolution » du « mystère Couperin », rien moins ! _ : voici en effet un objet musical dont la beauté fascinante vient déranger fortement tout ce que nous aurions pu connaître jusque là _ dans la musique louis-quatorzième des D’Anglebert et autre Marchandde rhétorique musicale baroque.

En France durant tout le dix-septième siècle, l’équation « 1 note = 1 syllabe » a permis à une sensibilité vraiment unique aux subtilités du discours poétique de s’exprimer à travers un sens caractéristique des couleurs et des climats sonores, dans des compositions du plus grand raffinement. A cet égard, le premier livre de Couperin, et dans ce livre, presque tout du premier Ordre en particulier, nous apparaît hériter directement de l’art qui a culminé sous la plume du grand d’Anglebert, dont, n’étaient un certain sens de l’ondoiement et une certaine douceur de trait vraiment chaleureuse, si propres à Couperin, on pourrait presque croire reconnaître ici la voix. Les techniques de composition, en tout cas, et les formes aussi, sont bien les mêmes.

    Mais dans le second Livre, l’architecture musicale d’une pièce comme « les Baricades Mistérieuses », dont l’équilibre parfait est bien établi selon les principes de rhétorique alors usuels, relève d’un matériau tout différent, puisque le mot, la syllabe, y sont désormais des groupes de notes. Ce qui pourrait simplement révéler l’influence caractéristique des nouvelles techniques de composition venues d’Italie _ celles du développement séquentiel architecturé à partir de figures mélodiques et rythmiques _ qui ont fasciné toute l’Europe au tournant du dix-septième et du dix-huitième siècles par les possibilités tellement étendues qu’elles offraient. Mais la matière de Couperin n’est pas utilisée directement comme élément structurel, elle est d’abord entièrement transformée en couleur sonore : la série des notes, l’accord arpégé, la série d’ornements provoquent dans l’instrument, connu et senti par lui mieux que par tout autre _ s’autorise à poser Frédérick Haas _, une résonance, une tension, une plénitude, un écho ; et servent à construire un discours dont la texture formelle entièrement transmutée en matière sonore, plus lâche en apparence, est riche d’une densité émotionnelle, ou pour mieux dire, puisque ce n’est peut-être pas seulement d’émotion qu’il s’agit, mais au-delà même de l’émotion, d’une tension magnétique, d’un champs de forces _ voilà ! comme si nous étions passés, soudain, de la (déjà) vieille mécanique cartésienne à la dynamique leibnizienne, ou newtonienne ! _ dont l’intensité est unique. Presque chaque pièce du second Livre pourrait s’analyser sous cet angle, porteuse d’un caractère, d’un climat _ voilà le résultat poétique : tout un tremblement discret, à peine perceptible, sinon en un étonnement a posteriori,  de l’ordre du « je ne sais quoi »… _, très nets et spécifiquement sonores.

La première pièce de ce livre _ de 1717 _, dans la tonalité alors plutôt rare de si bémol majeur, est assez inattendue : « les Moissonneurs« , exactement aux antipodes de l’Allemande « l’Auguste » qui avait commencé le premier recueil _ « louis-quatorzien », lui, de 1713 _, osent utiliser une matière première ouvertement rurale, dont les mutations saisissantes culminent dans une électrisation des aigus de l’instrument où s’accumulent les successions de trilles : matière sonore vraiment enthousiasmante dont Couperin développera plus encore les ressources dans son quatrième Livre (au cours du vingt-deuxième Ordre en particulier) _ Rameau _ le voici ! _ s’en souviendra aussi lorsqu’il écrira pour le clavecin le troisième couplet de sa Musette en Rondeau en mi majeur _ en 1724 : Louis XY régnant. Dans le premier Livre existaient déjà quelques pièces d’inspiration populaire. Elles sont toutes très directement fondées sur des formes de danse apparentées au rigaudon ou au tambourin, dont elles conservent de bout en bout la découpe chorégraphique, l’allure carrée et vive (voir « la Nanète » ou « les Vendangeuses« ). Mais la nouvelle pièce, qui s’apparente certes à une gavotte, est construite à partir d’un contour mélodique beaucoup plus souple : bien plus chant que danse paysanne, retour des champs que l’on sifflerait, tableau, chatoyant d’une variété d’éclairages spécialement intéressante.

« Les Langueurs Tendres » proposent un récit accompagné dont la texture, qui est quasiment celle d’un air pour voix et luth, entièrement construit autour d’une ligne mélodique particulièrement lâche, très indépendamment de toute idée de structure rythmique d’origine chorégraphique _ qui était alors pourtant l’un des fondements de la musique de clavecin _ défie directement les lieux communs de ce qu’il est réputé possible d’écrire pour cet instrument. On pourra chercher longtemps une pièce comparable, écrite dans cette tessiture, dans des publications plus anciennes _ « louis-quatorzièmes »…

(…)
Et caetera.

Remarquons que Couperin ouvre son second Livre par une suite de pièces complètement nouvelles : pas une seule danse à l’ancienne mode dans le sixième Ordre, mais une variété de couleurs, de techniques d’écriture, d’images toutes prétextes à l’invention de sonorités neuves. L’instrument clavecin s’est trouvé soudainement démultiplié _ J. S. Bach ne s’y trompera pas, qui copiera « Les Bergeries » pour son épouse Anna-Magdalena, en réalisant au passage quelques simplifications d’orthographe très riches d’enseignements pour nous, qui tentons deux cents ans plus tard de jouer des musiques écrites plus rapidement que ne faisait Couperin toujours désireux _ la notation est intéressante _ de laisser la trace d’un geste et d’un son.

Le premier Livre commence par la plus archaïque des « suites » que Couperin ait écrites _ voilà le principal à retenir _, toute imprégnée de dix-septième siècle, parfois même d’esprit louis-quatorzien (Allemande « l’Auguste ») _ je ne le fais pas dire à l’interprète… Peut-être la mort du vieux roi aura-t-elle, entre les deux livres _ c’est aussi là mon hypothèse, on l’aura assez compris… _, suscité ce changement d’attitude _ puisqu’il est clair qu’ensuite _ sous le Régent _ la nouveauté deviendrait de bon ton _, peut-être Couperin tenait-il à montrer un autre aspect de lui-même et de son art. Sans doute les premières pièces du premier Livre appartiennent-elles à une autre époque de sa vie, à une autre période ; et étaient-elles écrites depuis longtemps à leur publication en 1713, date qui correspond plus probablement au moment de la composition des pièces du second volume, et des merveilleux préludes de « L’Art de toucher le clavecin« . Dans la préface du premier Livre, Couperin nous indique : “J’aurois voulu pouvoir m’appliquer il y a longtemps à l’impression de mes pièces… Je compte en donner un second volume à la fin de l’année”.

Mais il est certain que Couperin dès le début a été un inventeur : la fin narcotique des « Silvains » préfigure _ il faut le comparer _ bien l’invention des « Baricades Mistérieuses« . Une pièce comme « La Villiers » nous prépare _ même chose _ aux « Amusemens« , où une mélodie au lyrisme quasi schumannien se trouve accompagnée par un réseau continu de notes plus rapides, sans qu’il soit besoin de l’avènement d’un instrument nouveau : tout ce qu’un stéréotype agaçant et tenace du clavecin réputé sans couleur et sans nuance, et donc sans expression, interdirait purement et simplement. Mais Couperin, dans « L’Art de toucher le clavecin » disait déjà : “il a paru presqu’insoutenable, jusqu’à présent, qu’on put donner de L’âme à cet instrument : cependant, par les recherches dont j’ay appuyé le peu de naturel que le ciel m’a donné, je vais tâcher de faire comprendre par quelles raisons j’ay sçu acquerir Le bonheur de toucher Les personnes de goût qui m’ont fait L’honneur de m’entendre”. Peut-être Couperin a-t-il choisi d’être d’abord prudent, de ne pas publier d’emblée de musiques trop complètement provocantes : on savait déjà à quel point la critique tend à être violente lorsqu’elle est heurtée au-delà de ses habitudes.

La fin du premier Livre semble plus récente que son début : il est intéressant de comparer _ voilà le processus à accomplir _  par exemple « L’Enchanteresse » et « Les Ondes », de structures assez semblables. La première pourrait être écrite par d’Anglebert. Pas la seconde.

Le second Livre contient _ mais en troisième position seulement _ un Ordre qui est l’apogée de la grande suite de clavecin du dix-septième siècle : après Marchand (1702) et Rameau (1706), voici la dernière grande ordonnance de danses françaises écrites à l‘ancienne manière de Chambonnières, Louis Couperin ou D’Anglebert. Des proportions imposantes sont atteintes ici, chaque pièce est riche d’audaces rares, développée jusqu’à un point de complexité unique et dans des dimensions inhabituelles, dans la grave et cassante tonalité de si mineur. Sans les détruire, Couperin élargit ici les limites d’un style qu’il a su pratiquer à la perfection, dont il parachève définitivement les possibles développements. Ce vaste huitième Ordre suffirait à nous démontrer que Couperin est, comme tous les plus grands musiciens, un grand architecte des sons. Et un grand tragédien, capable de suspendre notre souffle, même le temps d’une délicieuse « Gavotte » d’un goût tout marésien, ou d’un « Rondeau » gracieux, perchés entre deux abîmes _ capable ensuite de nous consoler par la seule pièce en nouveau style _ « La Morinète » _ de cette suite tellement monumentale et fière. »

Tout cela qui s’entend si bien, et à mille lieues du plus petit soupçon de didactisme (et de la moindre lourdeur), dans le jeu magnifique de souplesse et de vigueur de Frédérick Haas, en ce CD Alpha 136…

Pour le reste du programme annoncé,

j’en demeurerai là,

n’ayant déjà que bien trop « parlé »…

Je soulignerai seulement l’énergie _ formidable_ au service de la plus étonnante « justesse » qui soit, du CD « Dido & Aeneas » (CD Alpha 140), de Teodor Currentzis, à Novosibirsk, avec Simone Kermes, Deborah York, ainsi que Dimitris Tiliakos : s’inspirant, par un renouvellement de « génération » de l’impulsion « Alpha » d’un Vincent Dumestre…

Un enregistrement véritablement enthousiasmant ! et justifiant mon annonce d’un « retour aux fondamentaux » de la musique _ ainsi, ici, que du Baroque musical !

Ainsi que la merveille, dans Louis Couperin (l’oncle, mort, lui en 1661 _ juste au moment de la « prise du pouvoir » (personnel) de Louis XIV, à la mort de son parrain Mazarin) ; ainsi que dans Johann-Jakob Froberger,

du tout jeune et déjà tellement accompli Benjamin Alard (« Manuscrit Bauyn _ Louis Couperin, Luigi Rossi, Johann-Jakob Froberger et Girolamo Frescobaldi » CD Hortus 065)…

Titus Curiosus, ce 7 novembre 2008

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