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Un certain goût de l’ailleurs, mais un refus du romanesque et l’horreur de l’oubli d’un passé qui n’a pas dit son dernier mot : un cadre de recherche pour l’analyse de la poiétique de René de Ceccatty en la succession de ses récits autobiographiques

25jan

En poursuivant ma lecture un peu plus approfondie du « Soldat indien » de René de Ceccatty _ à paraître le 4 février prochain aux Éditions du Canoë _,

et précisant ainsi mon regard sur son nouveau récit, parti _ mais surtout admirablement travaillé à partir de ces tous premiers éléments reçus-là… _ d’éléments autobiographiques immédiatement actuels ou du moins récents _ en avril 2019, un retour (effondré !) sur le lieu (dévasté) de sa maison d’enfance, tout fraîchement détruite pour faire place à de nouvelles constructions, à Mégrine, une banlieue qui fut résidentielle de Tunis, à l’occasion d’un séjour de trois jours à Tunis pour un banal colloque de plutôt pauvre intérêt… _,

mais aussi et surtout, et très très vite, à partir d’éléments je dirai « enchâssés » _ Mégrine (le titre du second chapitre, pages 24 à 26, est ‘La Chute« , en une allusion à une malencontreuse chute survenue à Tunis, devant la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul, le 12 avril 2019 ; mais, vite relevé et lestement muni de nouvelles chaussures, René de Ceccatty embraye tout aussitôt : « j’ai voulu me transformer en poète, nostalgique et conscient. Et je me suis dirigé vers la gare pour sauter dans le train de Radès, en direction du village de mon enfance, Mégrine ») ;

Mégrine, en Tunisie, donc, renvoie, à moins que ne soit là une « télétransportation«  inverse, à Kagurazaka, à Tokyo, au Japon (le titre du tout premier chapitre de ce « Soldat indien« , aux pages 19 à 23, est « Souvenir du Japon » ;

de fait, l’appartement « avec vue » de Kagurazaka fut, de fin septembre 1977 au 30 juin 1979, pour René de Ceccatty, un lieu magiquement propice à l’écriture de « télétransportation » de ses souvenirs fantasmés de Paris et de Rome (pour ce qui aura été son second livre publié, en 1980 : le splendide « Jardins et rues des capitales« ) ;

et voici l’admirable phrase d’ouverture du « Soldat indien« , à la page 19 : « Voilà, la nuit tombe _ où ? à Paris ? à Montpellier ? En quel lieu de ressouvenance ou/et d’ écriture ? Ce n’est pas précisé _ et me reviennent les premières heures précoces de l’obscurité à Kagurazaka, ce nom que j’aurais dû m’interdire de prononcer une fois écrits les souvenirs de mon séjour japonais _ « Mes Années japonaises« , paru en 2019 _, comme si suffisait _ bien sûr que non ! le passé resurgissant et continuant à venir travailler toujours… _ à la mémoire le patient et régulier travail d’une retranscription minutieuse d’images, de sensations retrouvées pour qu’elle se referme sur elle-même, forte de cette construction mentale, de cette prétendue charpente d’un passé resurgi et restructuré, matérialisé de quelques pages remplies, recopiées, imprimées, rendues publiques, si discrètement que cela ait été «  ; j’y reviendrai… ;

et je détache encore ceci de crucial, à la page 21 : « Et quand j’écris Kagurazaka, nom du quartier où je vivais il y a quarante ans (…), ce n’est évidemment pas le lieu , géographiquement facile à situer, que je désigne (…), mais une zone de ma mémoire _ toujours vivante et vibrante _ qu’en l’ayant évoquée ailleurs je n’ai pas épuisée ») ;

et il faut bien sûr ne pas non plus manquer de remarquer que ce si beau livre se conclut, à la page 152, sur un chapitre d’une unique page, intitulé « L’Entrelacs« , avec une référence finale conclusive à « une belle vision du moine Dôgen » : « Rares sont ceux qui savent que les événements sont des entrelacs de glycine. Personne n’y prête l’oreille. Nul ne l’exprime encore. Peu en font la preuve »… Et de fait beaucoup de l’art de penser comme d’écrire de René de Ceccatty est en harmonie éminemment sensible avec cette intuition profonde de poiesis-là… _ ;

à partir d’éléments, donc, situés _ et ressurgissant ! _ beaucoup plus en amont de sa vie _ René de Ceccatty est né le 27 décembre 1951 ; lire, bien sûr, son à la fois lumineux et éblouissant « Enfance, dernier chapitre » ; cf mon article du 12 décembre 2017  «  «  _ ;

ou, encore, d’éléments étroitement connectés à la chaîne de transmission de son histoire familiale, je veux dire à travers les souvenirs de récits que René a pu directement recueillir, puis se ressouvenir, plus ou moins volontairement, à divers moments de sa vie, et dès sa prime enfance, de divers membres de sa famille :

_ d’abord, ses deux parents :

Ginette Fréah (Mateur, 22 mai 1924 – Montpellier, 21 juin 2015) et Bernard Pavans de Ceccatty (Lavilledieu-du-Temple, 27 octobre 1925 – Montpellier, 25 janvier 1984) ;

_ puis, trois de ses quatre grands-parents :

Françoise Antony (Le Telagh, 13 février 1896 – Bagnols-sur-Cèze, 23 mai 1983, précocément veuve d’Hamida Freah dès le 13 mars 1934),

Madeleine Brouillonnet (Frontignan, 2 décembre 1896 – Montpellier, 3 juillet 1995) et Valbert Pavans de Ceccatty (Ecrilles, 29 novembre 1897 – Montpellier, 8 novembre 1965) ;

_ ainsi, aussi, que quelques uns, trois, de ses huit arrière-grands-parents avec lesquels René a pu de vive voix plus ou moins richement échanger :

Gabrielle Durand (Valence d’Albigeois, 13 février 1872 – Montpellier, 26 février 1974) et Michel Antony (Calvi, 11 septembre 1866 – Montpellier, 15 avril 1961),

et Marguerite Richard Migneret de Cendrecourt (Montmirey-la-Ville, 14 juillet 1874 – Sainte-Alvère, 24 novembre 1970, brutalement séparée, sans un seul mot d’explication _ enfuie à la sauvette de Sfax ; cf le « Valbert, ou la vie à demi-mot«  de Max de Ceccatty (Sfax, 1922 – Montpellier, 2009), l’oncle paternel de René, un récit paru en 2002 à L’Harmattan… _, puis presque aussitôt veuve, d’Alphonse Pavans de Ceccaty, né à Mantry le 8 septembre 1868 et décédé à Sfax à la fin de l’année 1921. Alphonse et Marguerite s’étaient mariés à Montmirey-la-Ville le 16 août 1893…)

« Le passé, à travers moi, n’a pas dit son dernier mot. Au va-et-vient capricieux et inéluctable de ma mémoire, je dois me soumettre, me résigner«  _ ne serait-ce, déjà, que dans les rêves nocturnes du sommeil ; mais pas seulement eux… _, lit-on aux pages 22-23 du premier chapitre du « Soldat indien » ;

soient, ce « va-et vient capricieux et inéluctable de (la) mémoire« , formant des aliments essentiels _ par leur formidable puissance de vie, même impure, retravaillés par des strates antérieures (et recouvrantes) de souvenirs qu’ils sont, ces souvenirs raffleurant… _ et principiaux de la poiétique _ admirablement ressaisie et magistralement assumée, en ses infinis et toujours approximatifs merveilleux tâtonnements nécessaires ; cf, pour ce « Soldat indien« , cette expression à la page 12 de l’Avant-Propos : « J’ai voulu l’aridité d’un récit qui ne cache ni ses manques ni ses difficultés _ voilà _ à faire renaître _ certains Arts y aidant _ un homme obscur«  : l’ancêtre Léopold Pavans de Ceccaty, « le soldat indien » de ce récit-ci ; mais cela vaut pour tous les récits de René de Ceccatty, ces souvenirs évanescents mais revenant le visiter, étant au cœur, ou à la racine, de sa vibrante et si vivace poiétique, et des formes mouvantes, fugaces, que l’écriture vient laisser... _, de René de Ceccatty, depuis son expérimental  « Personnes et personnages » de 1979 et son magnifique et courageux « Jardins et rues des capitales » de 1980.

Voilà un premier cadre pour ma recherche d’identification, à partir de données biographiques accessibles, de la poiétique d’auteur de René de Ceccatty.

Ici, à partir du but qu’il s’est donné et nous indique dès l’ouverture de l’Avant-Propos, à la page 7 de ce « Soldat indien« , je cite :

« Ayant entrepris le récit de ma vie dans mes deux précédents livres _ « Enfance, dernier chapitre« , en 2017, et « Mes Années japonaises« , en 2019 _,

j’ai eu l’idée de remonter dans le passé, pour comprendre la logique ou l’illogisme de l’installation de mes grands-parents _ et paternels, côté Pavans de Ceccaty, Alphonse et son épouse Marguerite, venus du Jura et installés à Sfax, en Tunisie, en 1903 ; et maternels, côtés Durand et Antony, venus de l’Albigeois et installés au Telagh, en Algérie, en 1884, pour les Durand ; Michel Antony, né à Calvi en 1866, et garde des Eaux-et-Forêts, avait été affecté, en Algérie, au Telagh : la fille aînée de ce couple, Françoise Antony, est en effet née au Telagh le 17 février 1896 ; puis, le couple et cette fille aînée, Françoise, sont passés en Tunisie, où leur sont nés deux garçons, Gaston, à Hammam Lif, en 1908, et André Antony, à Béja, en 1910 _ dans les colonies nord-africaines.

N’y avait-il pas une fatalité _ voilà _ dans ces départs, ces défaites, ces exils, ces confrontations avec d’autres langues, d’autres cultures, d’autres modes de vie ? Les deux branches, maternelle et paternelle, ne s’étaient guère enrichies aux dépens des peuples colonisés : elles avaient seulement tenté de réagir à leurs ruines respectives. Du côté des ancêtres de mon père, le phylloxéra avait dévasté les vignes du Jura. Du côté de ceux ma mère, une auberge albigeoise qu’ils tenaient avait pris feu. Les deux familles ruinées avaient tenté leurs chances, l’une en Algérie, l’autre en Tunisie. Mes parents _ Ginette et Bernard _ deux ou trois générations plus tard, avaient réuni les sangs » _ il s’étaient mariés à la cathédrale Saint-Vincent de Tunis le 24 avril 1946, le lendemain de leur mariage civil…

Et au chapitre intitulé « Les Femmes de la famille« , aux pages 48-49 de ce « Soldat indien« , René de Ceccatty, qui n’est guère porté sur les recherches généalogiques, s’amuse à retracer, d’une part, les sûres filiations maternelles, remontant, de fille en mère, assez haut dans le temps dans l’Albigeois ; et, d’autre part, les plus incertaines filiations paternelles « Pavans de Ceccatty » _ « Il faut compter sur la fidélité conjugale de toutes les femmes qui me séparent de Léopold pour me convaincre que je porte de ses gènes (…) À ce seul prix, la chaîne des six générations qui nous séparent (il est le premier maillon, moi le huitième) n’est pas rompue. En matière d’ADN, il serait plus sûr de remonter du côté maternel et de s’enfoncer dans l’Albigeois, puisque les femmes venaient de ce côté-là, ne remontant tout au plus que vers l’Auvergne » précise ici René de Ceccatty _, en remontant de fils en père au moins légitime jusqu’à ce « soldat indien » Léopold, soit Charles-François-Léopold Pavans de Ceccatty, né à Quingey le 24 février 1724, et décédé à Salins-les-Bains, le 3 février 1784.

Lui-même était fils de Jacques-François Pavans de Ceccatty (lieutenant-colonel, baron), et petit-fils de François Pavans de Ceccatty (gouverneur de l’Académie royale de Besançon en 1662 ; originaire de la République de Venise, celui-ci était écuyer de l’Académie de Besançon, transportée depuis peu à Bruxelles, et fait baron à la date du 26 août 1673 par le Roi d’Espagne Charles II _ c’est seulement en 1678, par le Traité de Nimègue, que la Franche-Comté cesse en effet d’être espagnole, pour devenir possession française…

À suivre…

Car il me faut essayer de cerner davantage encore la singularité de la poiesis de René de Ceccatty en l’écriture de ces admirables récits à entrelacs, ou enchâssés, comme j’aime les lire

_ et comme, aussi, j’aime moi-même penser et écrire mes articles…

Car le réel _ et les rencontres dont perpétuellement il naît, paraît, puis disparaît, en ses incessantes métamorphoses… _ est en effet tissé de tels entrelacs odoriférants et colorés de glycines…

Que l’on peut toucher, sentir, saisir, et même cueillir, pour un moment au moins _ en saisissant bien ce que vient offrir le malicieux et impitoyable Kairos _, à la furtive floraison…

Avant l’effacement et le silence.

Dans le Temps imparti et donné au vivant.

Ce mardi 25 janvier 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le trio éruptif de la grande maison climatisée de Sendagaya, à Tôkyô, en juillet 1978 : en affinant le détail de mes relectures de « Mes Années japonaises » de René de Ceccatty

22avr

En poursuivant mes relectures du Mes Années Japonaises de René de Ceccatty

_ cf mon article d’avant-hier _,

je découvre d’infimes détails qui avaient échappé jusqu’ici à la vigilance de ces relectures,

et dans lesquels sont présents de judicieux indices de ce sur quoi René de Ceccatty ne désirait visiblement pas s’appesantir, mais qui révèle à qui sait le relever-déchiffrer  _ ainsi d’abord qu’à lui-même, aujourd’hui… _ bien des choses capitales !

Car c’est au lecteur, par la sagacité de son attention non superficielle, ni trop distraite ou oublieuse, de venir chercher _ un peu _ les déceler-repérer-découvrir, ces indices présents, et relier-contextualiser à d’autres indices de cet ouvrage-ci _ à d’autres pages  un peu éloignées de ce récit-ci _ou bien d’antérieurs de l’auteur _ dans l’œuvre duquel tout, découvre-t-on détail après détail (cf le modèle donné par le récit de L’Hôte invisible), se tient…


En poursuivant ces relectures, je repère en effet de très discrets détails  _ et certains capitaux pour l’intelligence du tout ! _, dont l’importance m’avait jusqu’alors échappée :
lire René de Ceccatty demande une grande _ et très suivie _ attention à de minuscules indices, présents, mais _ dans le flux allègre et très fluide du récit _ peu mis en évidence.
Ce qui, personnellement, me plaît tant !

Ainsi, par exemple, le quartier, puis la grande maison, de Sendagaya _ à Tôkyô _, maison climatisée obligeamment prêtée pour le caniculaire mois de juillet 1978 (page 225),
dont je n’avais pas jusqu’alors perçu _ le nom de Sendagaya, d’entrée, ne me parlait pas assez ! _ qu’y avaient séjourné, le mois torride de juillet durant, non seulement le couple formé par René et sa compagne Cécile, mais, surtout, le mélodramatique trio « hystérisé » que vient former avec eux deux, ce très chaud mois de juillet 1978, R., étudiant ami de René :
entre rires des uns
et larmes et plaintes de l’autre
_ un trio « inverse » du « trio anglais » des landes du Devon, en 1980 (nous est-il indiqué, à la page 225 aussi), un trio formé cette fois de René, R., et leur amie logeuse anglaise (une céramiste, amoureuse et connaisseuse du Japon ; et qui allait très bientôt épouser son ami sculpteur japonais de Kyôto, comme nous l’apprenons à la page 174 ; lequel ne tardera pas à venir la rejoindre en Angleterre ; ce qui allait amener René et R. à quitter la petite maison de poupée de Totnes pour venir-revenir en France, au mois de juillet 1980, et habiter désormais à Paris).
D’où l’importance aussi de ce que narrent les retrouvailles à Nice, bien longtemps après le Tôkyô de juillet 1978, de René avec celle qu’il nomme « l’ombre blonde » d’un autre trio _ précisément ce couple de Français qui avait prêté à René et Cécile, sa compagne d’alors, ce mois de juillet 1978, leur grande maison climatisée de Sendagaya ; et la maîtresse japonaise du mari… _ ;
trio marqué, lui aussi désormais, par la trahison et l’abandon _ puis la mort du mari, resté définitivement là, au Japon, avec sa compagne Japonaise.
D’où la place, alors, du rappel de l’écriture antérieure de Raphaël et Raphaël… 
Et c’est aussi ce même mois de juillet 1978 qu’avait eu lieu le « basculement » révélateur (page 93) de Kiyosato (dont le détail n’est pas, non plus, narré : l’auteur le laisse dans l’ombre protectrice du non-dit) :
probablement juste avant _ mais ce n’est pas clairement indiqué ; ce pouvait être pendant, ou après… _ le séjour de ce mois de juillet caniculaire dans la maison climatisée de Sendagaya, au bord de la rivière Kanda _ qui a suivi ce « basculement » de fond, profond, de l’esprit de René sur ses perspectives à long terme d’existence
Mais page 78 vient de nous être indiquée par l’auteur, la révélation-confidence, en une lettre à sa mère datée du mois de juin précédent _ lettre conservée, retrouvée et relue quarante ans plus tard _de la description _ mais absente, elle, ici ! seulement évoqué, le détail de cette confidence de René à sa mère ne nous est pas, lui, livré ! Vis-à-vis du lecteur, l’auteur demeure extraordinairement discret sur tout cela : que tient-il donc à protéger par là ? _ de « la situation où je me suis mis » (sic) avec R. formule tout de même parlante en sa sobriété ; mais qu’implique-t-elle plus précisément ? Le début, déjà, d’une cohabitation de René et de R. , à Ichigaya par exemple ? …
Et déjà, en une lettre précédente du mois de mai, pour l’anniversaire de sa mère (le 22 mai),
René lui avait signalé « un de mes étudiants à l’intelligence et à la culture exceptionnelles, avec lequel je vais voir des films japonais récents, de « cinéma d’auteur » » en fournissant _ l’archive conservée est en cela précieuse ! _ « son prénom et son nom »
D’où l’importance de ces expressions-ci
disséminées _ aux pages 66, 73, 93, 131, 225 ; et c’est moi qui les relie ici entre elles _ dans le cours du récit, alerte et fluide _ et fragmenté _, que, forcément, chapitre vif après chapitre vif _ sans nulle lourdeur, jamais ! _, nous suivons :
_ page 66 : « Le malheur (…), c’est en juillet 1978 qu’il advint. Ce malheur évident (…), tonitruant, ostentatoire, brutal et sélectif » _ sans plus de précisions : à quoi de tangible peuvent donc se rapporter de si étranges adjectifs ? Le lecteur curieux s’interroge, et reste sur sa faim… _ ;
_ page 73 : « L’événement de la catastrophe » _ comment éclate-t-il ? et en quoi consiste-t-elle ? _ ;
_ page 93 : « En juillet 1978, il y avait dix mois que j’étais au Japon. Et déjà tout était écrit _ inscrit dans la structure et la qualité de la situation (et sans doute aussi d’un genre littéraire appliqué à la vie…), mais sans de plus amples précisions, ici non plus. Tout, je crois. La fin de ma vie précédente _ avec Cécile _, le début de mon autre vie _ avec R. _, et, d’une certaine manière, la fin de cette autre vie _ avec R. _ aussitôt _ par anticipation de fatalité, ou obsolescence programmée. Nous sommes allés, R. et moi, dans les hauteurs, à Kiyosato.
J’avais oublié ce nom qui pourtant m’a obsédé pendant vingt ans.
C’est à Kiyosato que tout a basculé, que j’ai compris que c’était cette route-là que _ dorénavant _ je prenais,
la route du Japon, des traductions de littérature, d’une nouvelle forme de pensée, de rapport au monde.
Mais j’ai fait semblant _ alors _ de ne pas comprendre. Cela s’appelle probablement le refoulement. La culpabilité aussi » _ voilà.
_ page 131 : « Tous ces juillets _ précédents : de 1967 à 1977 : l’auteur vient de rapidement les passer en revueportaient en puissance le juillet le plus terrible, celui de l’année 1978 » _ le plus terrible en quoi ? _.
_ page 225 : « Dans les parages du quartier Sendagaya _ à Tôkyô. Ce mois de juillet 1978 réclame _ de celui qui, cet automne 2018, quarante annnées plus tard, écrit et se souvient _ une autre visite _ mentale : pour celui qui tâche, parfois très douloureusement, de se ressouvenir avec un peu de précision et justesse (tant objective que subjective) de ces épisodes difficiles et peu glorieux, plus ou moins efficacement refoulés, de son passé. Il ne compte pas pour peu dans le naufrage _ de quoi ? lequel ? Nous ne le saurons pas clairement. (…)
De ce terrible juillet 1978nous étions tous les trois _ tiens donc ! et c’est en cette unique occurrence, ici, que nous le découvrons, en un très furtif et quasi imperceptible passage, page 225 _ dans cette grande maison,
ne m’est pour ainsi dire rien resté _ de souvenir un tant soit peu tangible, par ces menues sensations ayant résisté à l’oubli _ que la chaleur _ de la canicule _, la voix de Jessye Norman chantant des mélodies françaises et les pleurs de Cécile.
Elle nous en voulait de ne pas pleurer. Elle accueillait nos rires _ ceux de René et de R. _ en pleurant plus fort » _ et c’est là tout ce qui sera dit de cette situation d’alors aux conséquences destructrices.
« Malheur« , « catastrophe« , « basculement« , « terrible » _ à deux reprises, dont un « le plus terrible«  _, « naufrage » :
soient d’éminemment significatifs qualificatifs pour désigner un jalon crucial  du « mélodramatique » épisode étiré _ le mot « mélodrame » est en effet prononcé page 145 : « Il y avait, accompagnant le mélodrame de l’adultère, une légèreté solidaire, probablement, de la duplicité, un comique, dont non seulement j’étais conscient, mais que je recherchais… » _ des années 1976-1980 pour René, Cécile et R. _ le malheureux trio (brossé en très rapides traits en ces lignes volontairement elliptiques, d’un dire demeurant très allusif) de la villa de Sendagaya, ce mois de canicule de juillet 1978 _,
entre Paris, Denain, Tôkyô _ à partir du mois de juillet 1978, pour ce qui concerne l’irruption-immixion physique de R. dans ce qui vient former provisoirement ainsi (mais c’est loin d’être fini) un trio dans la grande maison de Sendagaya (page 78) _, Paris, puis Torquay et Totnes _ au cours du printemps 1980 où l’affaire des atermoiements de cet incommode trio finira par se dénouer avec la rupture violente de Cécile, restée, elle, en France, et la dissolution finale du trio (page 173) _, et le retour-installation définitif à Paris, en juillet 1980 pour deux d’entre ce trio éruptif _ qui loueront alors une chambre de bonne « près du métro aérien de Passy », page 177 (et page 218)…
Cet été-là 1978, 
après le mois de juillet passé par le trio dans la grande maison climatisée _ prêtée _ de Sendagaya, 
le mois d’aôut, en suivant, fut passé par eux à Karuizawa (page 192) _ situé au nord-ouest de Tôkyô, en région montagneuse, Karuizawa se trouve dans la proximité immédiate des hauteurs de Kiyosato : que déduire de la chronologie des péripéties alors passablement chahutées du trio ? D’autant que René avait déjà commencé à louer, avant même le prêt pour un mois (celui de juillet) de la maison climatisée de Sendagaya, un second petit appartement, dans le quartier d’Ichigaya, non loin de son appartement de Kagurazaka… _ :
« Je savais l’atermoiement exclu_ poursuit l’auteur, page 193. Et en même temps, si déterminé que j’aie été, je me laissais porter _ jusqu’à l’ivresse existentielle _ par le flux. Je n’avais aucun sens des responsabilités _ certes _ et j’étais convaincu de ne pas me mentir à moi-même puisque je ne mentais pas aux autres. Erreur ».
Très vite, René avait en effet trouvé un second logement _ « J’ai déjà pris (dès juin) un second appartement : je vais de l’un à l’autre », page 78 _, à partager avec R., dans le proche quartier d’Ichigaya, pendant qu’il continuait de partager celui de la Villa Kagurazaka _ son logement officiel et le plus effectif à Tôkyô _ avec Cécile :
« Je ne sais plus jusqu’à quand j’ai gardé l’appartement d’Ichigaya où je fuyais Cécile _ voilà _ pour retrouver R. _ voilà, ici, c’est dit. Sans doute jusqu’à l’automne 1978 où Cécile _ n’en pouvant plus ! _ est repartie pour la France _ ce qui réglait au moins la question du double logement ; mais Cécile n’en appelle pas moins tous les soirs de France ; le lien entre elle et René n’est donc pas coupé. Et il ne le sera, par la violente lettre de rupture de Cécile, que dix-huit mois plus tard…
Pour louer cet appartement j’avais dû demander la caution d’un ami _ Kôtarô _ que j’avais mis au courant. (…) Il m’aida sans manifester le moindre trouble ni me poser aucune question », page 82.
« Et, sans m’interroger, sans me demander aucune justification, rien en retour, il avait signé un engagement à payer toutes mes dettes si j’en avais, la propriétaire l’ayant exigé parce que je n’étais pas japonais.
L’appartement était tout en bois, non loin de la rivière Kanda. (…) Toutes les pièces étaient à tatamis. Là aussi _ comme à la Villa Kagaramuza _, les voisins, de l’autre côté de la rue, jouaient au mah-jong », page 83.
Un dernier élément, page 204, m’intrigue fortement,
à propos des conditions _ qualitatives _ particulières du début _ à Tôkyô, au mois d’avril ou mai 1978 _ ainsi que de la fin _ à Paris, au retour de René de Spoleto, fin juillet 1994 _ de la relation sentimentale singulière de René et de R. :
« Quant à l’amour
_ le mot est prononcé ; et c’est, me semble-t-il, l’unique fois du récit _,
il était né _ au printemps 1978 _dans des conditions si douloureuses et tellement culpabilisées
_ lesquelles donc ? à part la situation (évidente) de l’adultère du trio, elles ne sont à nul moment approchées-détaillées-décrites d’un peu près… _
qu’il n’avait pu _ et ce tout petit mot, ici, est capital, comme impliquant quelque fatalité-destin irréfragable, ou quelque obsolescence quasiment programmée (?) ; voilà qui donne considérablement à penser, si peu que l’on consente à s’y pencher-méditer-réfléchir… _,
malgré quinze années de vie partagée _ de mai 1978, à Tôkyô, à juillet 1994, à Paris, donc _,
se déliter _ fin 1993 et le premier semestre de 1994, avec l’irruption (explosive) d’Hervé dans la vie de René _ qu’avec violence et absurdité ».
Et nous n’apprendrons pas davantage ici la raison de ces deux très fortes appréciations, non plus que le détail des circonstances impliquées par elles. Le récit en restant à ces allusives très brèves notations-affirmations.
Que veut-il donc décidément par là protéger, en révélant le moins possible ?..
Ne se trouveront, mais à propos seulement du début de cet amour, en 1978 (mais aussi 1979), que les expressions, intrigantes déjà pour n’être en rien, elles non plus, explicitées, page 134, de
_ « scènes violentes dont j’étais l’acteur ou la victime (qui) étaient beaucoup plus spectaculaires _ tiens donc ! _ que ce que je pouvais lire dans les romans japonais ou français que je découvrais ou expliquais en cours » ! ;
et de 
_ « la vie hystérique et contradictoire _ qu’est-ce à dire ? _ que j’avais mise en place _ comment ? _, ayant chassé Cécile, l’ayant renvoyée en Europe _ en septembre 1978 _ en prétendant l’aimer encore, alors que mes priorités étaient déjà tout autres, et que je préparais _ comment ? _ ma vie commune avec R. » ;
et cela, nous est-il précisé, à propos « de sentiments _ lesquels donc ? _ par lesquels je passais _ voilà ! ce fut donc assez complexe… _ durant l’année qui se déroula de mai 1978 à juin 1979 » :
soit jusqu’au terme de l’effectuation par René, à Tôkyo, de ses deux années de service national actif ; et son retour _ laissant R. , lui, à Tôkyô _ en juillet à Paris, où il retrouvera Cécile, pour encore sept (derniers) mois : en février 1980, René ira rejoindre R. _ ayant fait, lui, le voyage d’Europe _ en Angleterre, dans le Devon. Puis Cécile finira par lâcher enfin prise…
Il s’agit donc ici de la palette probablement assez composite (et contrastée) des « sentiments » de René à l’égard de R. , tels qu’éprouvés au fil de ces quatorze mois de résidence _ partagée _, alors, à Tôkyô…
Pour un peu plus de précisions sur les circonstances factuelles et le vécu repensé de la fin-délitement « avec violence et absurdité » (comment ?) de cet « amour » entre René et R., en 1993 et 94,
il nous faudra tâcher d’aller rechercher quelques bribes de précision dans les récits-romans consacrés à l’histoire d’Hervé, dont, principalement, en son début lui aussi passablement éruptif _ qu’en déduire ? une compulsion de répétition ?.. _Aimer.
Sur l’art d’écrire _ assez magique et merveilleux ! _ de René de Ceccatty,
je remarque cette appréciation que le narrateur-auteur porte lui-même, tout à la fin de ses Années japonaises, page 244, sur l’art de l’écrivain Henri Thomas,
dont il apprend, lui à peine arrivé à Tôkyô, le décès qui vient de survenir en France le 3 novembre 1993 :
Henri Thomas, 
« un écrivain que j’admirais _ voilà _ pour la mystérieuse façon fragmentaire, capricieuse, arbitraire, masquée _ oui pour chacun de ces adjectifs _ dont il livrait quelques épisodes de sa vie d’un passé plus ou moins éloigné. (…) Ses livres témoignaient _ avec délicatesse et élégance _ de ses passions, des drames qui frôlaient la tragédie sans y sombrer. Il en présentait la pénombre, l’aspect irrésolu : cet inachèvement faisait partie d’une métaphysique de son écriture, qui me séduisait » _ René de Ceccatty est aussi un extraordinaire auteur d’articles de lecteur de livres (ici pour Le Monde) : quel double art et de l’analyse et de la synthèse ! quelle vertigineuse acuité-profondeur-amplitude de perspicacité-intelligence de ce qui est !
Comment mieux caractériser que par ces mêmes mots employés pour l’art, ici, de Henri Thomas
ce qu’on pourrait qualifier, à son tour, si ce n’est de « métaphysique de l’écriture » _ il n’y a pas d’ambition d’ordre métaphysique dans l’écriture présente de René de Ceccatty ; à la différence de ses tout premiers essais d’écriture en son adolescence… _, du moins de magie splendide de l’art poétique du récit de René de Ceccatty ?
Et tout particulièrement en ce splendide Mes Années japonaises
Quant au fond traité  _ grave et essentiel pour la maturation humaine de la personne même de l’homme René de Ceccatty, en son compliqué parcours sentimental, au-delà de l’auteur de ses livres qu’il est aussi, même si les deux sont consubstantiellement liés !par cet archi-lucide Mes Années japonaises,
je dirai que
la conquête par René de la sérénité lui aura été, en effet, longue, compliquée _ à cahots répétés (mais pas chaotique !) : la compulsion répétitive d’impasses affectives n’ayant rien d’un chaos… _, et demeurée un peu longtemps fragile :
il lui fallait probablement découvrir son vrai « paysage intérieur » personnel,
ainsi qu’il le narre avec émerveillement aux pages 101 et 382 de son Enfance, dernier chapitre _ cf mon article du 12 décembre 2017 : … 
Au moins a-t-il su opérer-accomplir ici un lucide et splendidement sensible point-bilan _ peut-être enfin apaisant : c’est ce que nous lui souhaitons _ de ses étapes sentimentales japonaises _ en plusieurs strates : à Tôkyo (septembre 1977 – juin 1979), Torquay et Totnes (février-juin 1980), Paris et Brosses (juillet 1980 – juillet 1994) _ compliquées et mal réglées sur le vif, jadis _ parce que refoulées, non vraiment affrontées-assumées ; et qui continuaient de le travailler encore un peu, par intermittences, ne serait-ce qu’en quelques nocturnes cauchemars ; ainsi que, pour lui, écrivain, faute d’une écriture qui ait été alors à la hauteur des complications affectives à identifier-pénétrer afin de vraiment pouvoir les surmonter _ de son parcours sentimental de personne.
Et le récit qu’il nous en donne ici _ et maintenant, en un âge désormais quasi pleinement accompli ! _ est tout simplement magistral, en l’allègre et légère _ naturelle _ fluidité _ splendidement conquise _ de cette lumineuse _ dénuée de tristesse comme de pesanteur, et plus encore du moindre didactisme, est-il besoin de le dire ? _ écriture ;
celle-ci ayant désormais accédé à un vrai pouvoir, aussi _ pour lui-même _, de rémission thaumaturgique personnelle ; même si cela se situe, pour nous ses lecteurs, à la marge de notre lecture enthousiaste charmée.
À elle seule _ indépendamment, bien sûr, de tout le chemin d’écriture parcouru par l’auteur depuis ses tout premiers ouvrages de jeunesse _, par ses aperçus si justes sur le réel même _ mais oui, car c’est lui qui est ici rejoint _ du monde et des personnes,
la force rayonnante de beauté vraie (et sobre _ et musicale _) de son livre, se suffit à elle-même pleinement.
À suivre…
Ce lundi 22 avril 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa
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