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Et encore deux remarquables lecture-commentaires des stupéfiantes (de beauté singulière) « Chansons madécasses » de Maurice Ravel…

16mai

En  continuant de fouiller sur le Net,

j’ai découvert encore deux très intéressantes lecture-commentaires des bouleversantes de beauté singulière « Chansons madécasses » de Maurice Ravel,

dont voici, ici, deux précieux liens d’accès à la lecture :

« La respiration musicale de l’amour malgache« , de Yann Bertrand, publié le 29 janvier 2019 ;

et « Chansons madécasses, modernisme et érotisme : pour une écoute de Ravel au-delà de l’exotisme« , de Federico Lazzaro, le 16 mai 2016…

Maurice Ravel, entre érotisme et anticolonialisme

La respiration musicale de l’amour malgache

« Les Chansons madécasses me semblent apporter un élément nouveau – dramatique voire érotique – qu’y a introduit le sujet même de Parny. C’est une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d’instrument principal. La simplicité y domine. L’indépendance des parties s’y affirme que l’on trouvera plus marquée dans la Sonate pour piano et violon»

Maurice Ravel, extrait d’Une esquisse autobiographique, retranscrit par Roland-Manuel

1925. Alors que L’Enfant et les Sortilèges (Fantaisie lyrique sur un livret de Colette) vient d’être donné pour la première fois à l’opéra de Monte-Carlo, le 21 mars, sous la direction du chef d’orchestre Victor de Sabata, Maurice Ravel est contacté pour la composition d’une nouvelle composition. C’est le violoncelliste Hans Kindler, venu pour le compte de la mécène américaine Elizabeth Sprague-Coolidge, qui lui commande une œuvre d’une dizaine de minutes pour un effectif de musique de chambre inattendu : voix, flûte, violoncelle et piano.

Un vrai défi. En effet, Ravel ne dispose que d’un court délai pour la composition. D’ailleurs, seule la seconde chanson du recueil (« Aoua ! ») sera écrite dans les temps. Les deux autres ne seront achevées que l’année suivante, en 1926. Aucun texte ne lui est suggéré, ce qui lui laisse une totale liberté dans le choix des poèmes qu’il souhaiterait mettre en musique. Depuis son installation à Montfort-l’Amaury en avril 1921, Ravel a acquis beaucoup d’ouvrages rares dans sa bibliothèque, notamment d’œuvres, de mémoires et de lettres du XVIIIe siècle (« typique des lectures d’un solitaire » dira le musicologue Marcel Marnat). Parmi eux se trouve un exemplaire de l’édition complète de l’œuvre d’Evariste Désiré de Forges, Vicomte de Parny, plus connu sous le nom d’Evariste de Parny (1753-1814), qui va servir de point de départ pour l’œuvre à venir.

A cette époque, Ravel s’enthousiasme pour les Chansons madécasses traduites en français, suivies de poésies fugitives. Il s’agit d’un recueil de poèmes en prose rédigé _ parait-il, selon Parny lui-même… _ à partir de documents malgaches par l’auteur entre 1784 et 1785, puis publié en 1787. Les douze poèmes (chansons) composant le recueil ont été écrits par l’auteur durant un séjour aux Indes. Malgré l’intérêt que ce  dernier porte à ces documents malgaches, il ne s’est jamais rendu à Madagascar _ la référence est donc fictive…

Au sein de ce corpus, Maurice Ravel choisit d’abord la troisième chanson (« Méfiez-vous des blancs »), la huitième (« Il est doux ») et enfin la douzième (« Nahandove »). Ce cycle de trois mélodies forme le recueil des Chansons madécasses qu’il compose entre 1925 et 1926.

Avec les Chansons madécasses, nous avons affaire à une composition de la grande maturité ravélienne _ oui. En effet, il s’agit d’un véritable chef d’œuvre _ oui ! sublime ! _, un peu trop oublié _ hélas _ des musiciens et du grand public. Il mérite pourtant _ mais oui _ toute l’attention. Elles donnent certes beaucoup de fil à retordre _ en effet ! Ravel le reconnaissait tout le premier… _ à ses interprètes, mais elles en valent vraiment la peine. Dans ce triptyque vocal, le compositeur réussit à renouveler ses manières en proposant une page haute en couleur et d’une originalité frappante _ oui, et quasi dérangeante à beaucoup…  Tout comme il l’avait fait dans sa Sonate pour violon et violoncelle en 1920, il parvient à dépouiller sa mélodie, à épurer son harmonie, apportant un panorama musical simple _ oui ! _, mais riche _ oui, oui ! _, d’une écriture suave réduite à l’essentiel _ en effet. L’indépendance des voix _ voilà ! _ domine l’œuvre. Le compositeur y fait régner un art contrapuntique « très strict » dira-t-il durant un entretien avec un interlocuteur anonyme publié dans la Revue musicale le 12 mars 1931. Le résultat est tout à fait remarquable. Les instruments de la nomenclature semblent communiquer, se compléter sans jamais s’appesantir _ tout cela est d’une parfaite justesse. Ravel ne lésine pas sur les moyens, et va jusqu’à utiliser son pupitre comme un orchestre, ce que l’on peut observer surtout au sein de « Aoua ! » et de « Il est doux ».

Pierre Boulez ou encore Vladimir Jankélévitch considèrent les Chansons madécasses comme une œuvre très imprégnée et très marquée par le Pierrot Lunaire d’Arnold Schoenberg de 1912 _ oui. Ravel considérait d’ailleurs son aîné viennois comme l’un des plus grands compositeurs de son temps. Il y fait référence dans la conférence intitulée « La musique contemporaine » du 7 avril 1928 à Houston au Texas (durant son fameux voyage aux Etats-Unis) : « Je suis parfaitement conscient du fait que mes Chansons madécasses ne sont en rien schoenbergiennes, mais j’ignore si j’eusse été capable de les écrire si Schoenberg n’avait pas composé. » Ravel avait écrit en 1913 une œuvre pour un ensemble instrumental similaire à celui du Pierrot Lunaire dont il n’avait alors entendu parler que par retours d’Igor Stravinsky et d’Edgard Varèse _ voilà _ : Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé. (Stravinsky avait composé dans la même veine Trois poésies de la lyrique japonaise). Nous retrouvons l’influence qu’a pu avoir Schoenberg sur Ravel dans les Chansons madécasses. D’ailleurs il ne s’en cache pas : « Il ne faut jamais craindre d’imiter. Moi, je me suis mis à l’école de Schoenberg pour écrire mes Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé et surtout pour les Chansons madécasses […] » (cf entretien cité plus haut).

Il est temps de feuilleter les pages de ce livret.

….

Considérons d’abord « Nahandove » : véritable page d’érotisme _ absolument ! _, elle est la première chanson du recueil _ de Ravel. Le compositeur y fait naitre une atmosphère sensuelle et extatique rare et tout à fait remarquable _ absolument. Indiquée andante quasi allegretto, c’est le violoncelle et la voix qui débutent l’œuvre _ oui _ dans un duo suave, doux et coloré de sonorités modales. Rythme et mélodie se confondent au sein des arabesques du violoncelle : l’esprit attisé de Ravel gravite autour de groupes de notes et permute systématiquement les rythmes. (Procédé que l’on retrouve d’ailleurs au sein du Pierrot Lunaire). L’intervalle de quarte est très présent (mi, la, ré, sol). Nous retrouverons l’aisance du musicien à composer et à jouer avec ces lignes mélodiques indépendantes dans toute l’œuvre _ voilà.

Dans le texte de Parny, où l’amant prépare un lit « parfumé de fleurs et d’herbes odoriférantes » pour sa jeune amie « la belle Nahandove », Ravel tisse un tapis sonore envoûtant et voluptueux _ voilà _ sur lequel sa musique va prendre tout son sens. Le piano vient alors rompre _ oui _  le duo rêveur du violoncelle et de la voix dans un mouvement più animato. Par ses rythmes, nous reconnaissons « la marche rapide »  et « la respiration précipitée » de Nahandove vers « le lit de feuille ». La flûte n’intervient _ oui _ qu’à son arrivée. Le compositeur use des nombreux ostinatos rythmiques comme d’une arme évocatrice de la montée en puissance de l’excitation _ voilà _, renforcée par le crescendo débutant sur une nuance pianissimo vers une nuance forte. Le charme musical opère au chiffre 2 de la partition. L’écriture un peu moins dense devient de plus en plus enivrante _ c’est cela. La flûte, par ses arabesques fluides, envoûte l’oreille de l’auditeur (nous retrouverons ces arabesques sensuelles dans la troisième chanson du recueil). Le compositeur crée une atmosphère qui accompagne et renforce le texte, la rendant de plus en plus voluptueuse : « Que ton regard est enchanteur, que le mouvement de ton sein est vif et délicieux sous la main qui le presse ». Ravel parvient à faire ressentir une véritable sensation de vertige _ oui _ au sein du dialogue instrumental. Prenons l’exemple des intervalles enivrants de la flûte, des ondoiements du violoncelle et le contraste sonore avec l’écriture obsédante des ostinatos du piano, au chiffre 3 de la partition : « tes caresses brûlent tous mes sens : arrête, ou je vais mourir. ». Et, de la même manière que le musicien avait fait croitre cette excitation, il parvient à intégrer un climat plus épuré (au chiffre 4 de la partition) dans lequel le piano adopte encore une fois un nouvel ostinato rappelant les inflexions du violoncelle au début. Constat de l’amant : « Le plaisir passe comme un éclair » _ post-coïtum… Cette première chanson se termine dans la douceur et dans une atmosphère rêveuse _ avec un puissant goût de revenez-y... _ semblable à celle du début, en mode de fa sur la.

Extrait de la première chanson du recueil : « Nahandove ».

« Aoua ! » … Cette autre chanson au titre suggestif _ de l’invention de Ravel ; l’expression n’existe pas chez Parny _ est la première des trois chansons écrite par Ravel sur le texte le plus politique _ en effet _ du recueil de Parny. Elle est donnée en audition privée en automne 1925 à l’hôtel Majestic de Londres, pour les invités d’Elizabeth Sprague-Coolidge (commanditaire de l’œuvre). Divers artistes participent à son interprétation : Jane Bathori (mezzo-soprano), Louis Fleury (flûte), Hans Kindler (violoncelle) _ l’intermédiaire d’Elisabeth Sprague Coollidge auprès de Ravel _ et Alfredo Casella (piano). Applaudie par une partie de l’auditoire, elle est cependant contestée, notamment par Léon Moreau, second prix de Rome en 1899, qui se montre indigné _ voilà _ par les propos anticolonialistes du texte choisi par le compositeur. Il n’hésite pas à s’y opposer de vive voix. Cette touche d’anticolonialisme, mouvement très jeune à cette époque, pouvait sembler ostentatoire sinon choquante aux yeux des plus conservateurs. Nous imaginons bien que Ravel, homme de gauche proche de Léon Blum _ mais oui ! _, était conscient de l’impact que pouvait avoir un tel texte déclamé en musique _ la mélodie était destiné en priorité à un auditoire américain… Sans doute était-il fier de l’engagement politique et militant de sa composition. En outre, il avait déjà le goût de la provocation _ au moins _ et _ peut-être, mais c’est moins sûr _ du scandale. Notée andante, la musique commence par la déclamation fortissimo (tutti) d’un cri de guerre (« Aoua ! ») _ soit le haka des Maoris ! _ que Ravel a ajouté _ voilà, de son initiative _ au texte de Parny. L’effet est absolument glaçant _ tout à fait !!!! et c’était déjà là l’intention du poème de Parny… _ et agit comme une mise en garde tonitruante _ voilà ! _ renforcée par l’utilisation « percussive » du piano _ à la Bartok _ qui résonne comme un gong. Assurément, les cinq premières mesures donnent le ton : « Aoua ! Méfiez-vous des blancs habitants du rivage ! ». Fracassantes, elles s’imposent à l’auditeur comme un titre, une identité _ tout à fait. Elles s’imposent également comme un réel présage _ oui : accompagnant l’avertissement prémonitoire du poème de Parny, en 1787 _ de l’ambiance du texte (et de la musique) à venir _ tout cela est très juste. Ravel y installe une atmosphère bitonale (le musicologue Christian Goubault parle même de bimodalité) ambiguë dans laquelle la voix et la main droite du piano en fa# contrastent avec le reste de la nomenclature en ut. Il instaure un climat ambigu, très sombre _ oui _, qui fait corps avec le texte chargé de rancœur _ voilà : Parny a connu cela d’expérience sur divers rivages de l’Océan indien. L’auditeur ne peut que se laisser absorber par l’histoire contée : « Du temps de nos pères, des blancs descendirent dans cette île ; on leur dit : Voilà des terres ; que vos femmes les cultivent. Soyez juste, soyez bons, et devenez nos frères. Les blancs promirent, et cependant ils faisaient des retranchements. ». L’ostinato au piano semble incantatoire _ oui _, renforcé par les quintes inlassables du violoncelle et les ponctuations languissantes de la flûte. Plus on s’avance dans la torpeur du texte et de la musique, plus la tension croît à travers le climat harmonique et l’amorce d’un crescendo e accelerando poco a poco : « leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu que nous ne connaissons pas ». Au chiffre 3 de la partition, la nomenclature s’emporte : « plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible » _ envers ces Blancs colonisateurs _, et croît de plus en plus vers le fortissimo. Climax de la bataille et de la partition avec le retour du cri de guerre plus tonitruant encore : « ils furent tous exterminés. Aoua ! Méfiez vous des blancs ! ». Cette nouvelle déclamation enchaîne sur un allergo feroce au chiffre 4. Accompagnée seulement par des harmonies au piano et des rythmes endiablés à la flûte, la voix annonce l’arrivée _ à venir _ de « nombreux tyrans, plus forts et plus nombreux ». La tension décroît enfin au molto ritenuto lié au départ des tyrans s’achevant sur un adagio au chiffre 5 : « Ils ne sont plus, et nous vivons, et nous vivons libres. » Dernière déclamation du cri de guerre cette fois-ci pianissimo, et, en guise de ponctuation de cette page si particulière, s’ajoute une ultime mise en garde languissante (« méfiez-vous des blancs, habitant du rivage. ») avant de terminer sur une basse sourde (sol-fa#) du piano (comme un gong).

Enfin, la chanson « Il est doux » ponctue ce cycle de mélodies. Il s’agit de la chanson la plus dépouillée et la plus épurée du recueil _ en effet. La voix y est quasiment nue, la nomenclature beaucoup plus discrète, la nuance beaucoup plus soutenue (elle oscille entre piano et pianissimo). Ravel y expérimente des sonorités tout à fait originales pour accompagner cet ultime texte. Relevons par exemple l’entrée du violoncelle en harmonique (sul ponticello), mesure 5, apportant un timbre précis voulu par le compositeur. Il instaure ainsi une atmosphère toute particulière inédite jusqu’alors au sein de ces chansons. Il vient s’insérer délicatement dans la phrase de flûte qui a débuté l’œuvre. Cela rappelle d’ailleurs l’intervention de la contrebasse (sul ponticello) qui accompagne les deux hautbois en quintes et quartes parallèles, au début de L’Enfant et les Sortilèges. Sur un tempo indiqué lento,une phrase langoureuse à la flûte enrichie par les harmoniques du violoncelle, évoque l’atmosphère dans laquelle le texte plonge l’auditeur : celle d’une fin d’après-midi étouffante de chaleur _ tropicale. La richesse sonore de ces deux lignes ouvre la dernière page de ce recueil. Ponctuées par des septièmes murmurées dans le registre aigu du piano, la voix fait son entrée au chiffre 1 de la partition : « Il est doux de se coucher durant la chaleur sous un arbre touffu ». Les lignes _ musicales _ écrites par Ravel frappent par leur originalité et leur dépouillement. La lenteur avec laquelle la musique se développe ramène l’auditeur captif vers l’atmosphère voluptueuse _ oui, oui _ du texte de Parny. La tonalité y est, à l’instar de « Aoua ! », également suspendue par moments.

Cette surenchère dans l’impression de vertige participe aussi à l’élaboration de ce monde extatique déjà évoqué. Le chant continue imperturbablement : « Femmes, approchez. Tandis que je me repose sous un arbre touffu, occupez mon oreille par vos accents prolongés. » Evidemment le choix de ce texte à tendance plutôt machiste _ oui _ n’est pas un hasard. Il s’agit d’une touche de second degré du compositeur face à laquelle la musique reste inébranlable et indifférente. L’humour était caractéristique de Ravel, et l’on retrouve au sein de sa musique beaucoup de touches de second degré _ en effet. Au chiffre 3 de la partition, nous pouvons observer un nouvel effet sonore ici presque percussif. Le violoncelle entre en harmonique en pizzicati tandis que le piano résonne doucement en fond. La flûte reprend un élément évocateur du caractère érotique déjà présent dans « Nahandove ». Il renforce l’étreinte suggérée par le texte et accentue la couleur extatique et enivrante _ lascive _ de la scène : « Que vos pas soient lents, qu’ils imitent les attitudes du plaisir et l’abandon de la volupté ». La venue du crépuscule conclut le texte. Au chiffre 4 de la partition (andante quasi allergretto), seul le piano, sur de longues harmonies douces et épurées accompagne la voix : « la lune commence à briller à travers les arbres de la montagne. »

Alors que tout semble terminé, le génie du second degré de Ravel intervient une dernière fois _ oui ! L’ultime phrase du poème de Parny, isolée du reste de la chanson, résonne (avec ses inflexions légèrement dédaigneuses et nonchalantes) _ tel le sprechgesang schœnbergien _ dans les trois dernières mesures : » Allez, et préparez le repas ».

Premières mesures de la troisième chanson du recueil : « Il est doux ».

Les Chansons madécasses forment un véritable chef-d’œuvre du répertoire de la musique de chambre _ oui ! _, et constituent la quintessence de l’art ravélien _ absolument. Elles sont dignes des plus importantes réussites du compositeur _ oui, oui. Il considérait d’ailleurs _ lui-même _ cette œuvre comme l’une des plus réussies de sa production, chose assez rare pour ce musicien parfois très sévère avec certaines de ses créations. Les Chansons madécasses furent données pour la première fois (dans sa version intégrale _ des 3 mélodies _ ) à l’Académie américaine de Rome le 8 mai 1926 avec Jane Bathori, Louis Fleury, Hans Kindler et Alfredo Casella, puis le 21 mai en Belgique en audition privée. La première en France eut lieu à Paris le 13 juin, salle Erard avec Urbain Baudoin à la flûte, succédant à Louis Fleury décédé le 10 juin à l’âge de 48 ans.

Nous ne pouvons qu’admirer l’architecture impressionnante et le minimalisme de cette œuvre _ oui. Sa modernité _ oui ! _ participe également à son chef-d’œuvre _ absolument. D’abord, du fait de son effectif inattendu, déroutant et peu commun _ demandé par le violoncelliste commanditaire Hans Kindler _, mais aussi, par-delà les timbres utilisés, du fait des sonorités recherchées par Ravel, des phrases et idées musicales, de la place de l’ostinato et de la suspension tonale qu’il suggère momentanément dans les deux dernières chansons.

Les sujets traités (érotisme et anticolonialisme) participent également de la réussite de cette composition _ c’est indéniable. Le musicien réussit à les fondre dans la musique _ oui _, et à en faire ressortir l’atmosphère avec une grande intensité _ c’est le mot juste. L’érotisme ambiant y est brillamment rendu _ ô combien ! et comment !! L’anticolonialisme et, donc, l’engagement politique du compositeur dans son œuvre, lui donne une couleur remarquable _ oui, aussi. La partie instrumentale nous plonge dans le décor évocateur des textes de Parny et renforcent le propos _ bravissimo !

Un peu trop délaissées par les interprètes _ mais oui : vraiment les attraper demeure en effet difficile _ et encore trop peu connues du grand public _ mais oui : elles sont assez peu enregistrées ; et rarement avec cohérence et justesse : Stéphane Degout, Janet Baker, selon moi… _ les Chansons madécasses méritent une écoute particulière _ absolument ! Elles figurent, au même titre que le Concerto en sol ou encore La Valse, au panthéon de la création artistique de Maurice Ravel _ j’y ajouterai pour ma part aussi Le Tombeau de Couperin Laissez-vous donc surprendre _ oui _ et enivrer _ oui, oui _ par la grâce et les charmes inouïs _ voilà ; qui rappellent celles des femmes des îles Marquises de Gauguin… _ de « la belle Nahandove ». Laissez-vous gagner par le tressaillement subtil _ oui _ que produisent l’ambiance sombre et la saveur polémique de  lascives étreintes de « Il est doux ». Vous en ressortirez en tout cas frappés, ravis et peut-être médusés par la musicalité _ oui  : prodigieuse ! sublime ! _ de cette œuvre. Mais surtout fascinés et enthousiasmés par la richesse évocatrice de cette perle rare des joyaux de la musique.

« Maint joyau dort enseveli

Dans les ténèbres et l’oubli

Bien loin des pioches et des sondes »

Baudelaire, Le Guignon


Photographie de Maurice Ravel chez lui, à Montfort-l’Amaury.

Bibliographie séléctive :

 

– Christian GOUBAULT, Maurice Ravel, le jardin féérique, Minerve, 2007.

– David SANSON, Maurice Ravel, Actes Sud, Collection « Classica », 2005.

– Hélène JOURDAN-MORHANGE, Ravel et nous, Editions du Milieu du Monde, 1945.

– José Bruyr, Maurice Ravel ou Le Lyrisme et les Sortilèges, Editions le Bon Plaisir, 1950.

– Manuel CORNEJO, Maurice Ravel – L’intégrale – Correspondance (1895-1937) écrits et entretiens, Le Passeur, 2018.

– Marcel MARNAT, Maurice Ravel, Fayard, 1995.

– Marcel MARNAT, Maurice Ravel – Manuel Rosenthal, souvenirs recueillis par Marcel Marnat, Hazan, 1998.

– ROLAND-MANUEL, Maurice Ravel et son œuvre dramatique, Editions musicales de la librairie de France, 1928.

– ROLAND-MANUEL, Ravel, Gallimard, 1948.

– Vladimir JANKELEVITCH, Ravel, Seuil, Collection « Solfèges », 1995.

 

Ainsi que l’article très détaillé et érudit « Chansons madécasses, modernisme et érotisme : pour une écoute de Ravel au-delà de l’exotisme« , de Federico Lazzaro,

in le Volume 3, numéro 1, 2016, de la Revue OICRM _ Revue de l’Observatoire Interdisciplinaire de Création et de Recherche en Musique de l’Université Laval _, paru le 16 mai 2016…

De bien belles analyses de ce chef d’œuvre si singulier et envoûtant de Maurice Ravel que sont ces 3 sublimes « Chansons madécasses« …


Ce jeudi 16 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

D’admirables éblouissantes interprétations des Concertos pour piano de Saint-Saëns par Alexandre Kantorow au clavier et et son père Jean-Jacques à la direction de l’orchestre du Tapiola Sinfonietta : deux CDs absolument jubilatoires !

21juin

Le centième anniversaire, le 16 décembre 2021, du décès de Camille Saint-Saëns

(Paris, 9 octobre 1835 – Alger, 16 décembre 1921)

est magistralement (!!!) célébré au disque

par deux superlatifs SACDs BIS _ à grimper au rideau de pur plaisir ! _ d’Alexandre Kantorow, au piano, et son père Jean-Jacques Kantorow dirigeant le Tapiola Sinfonietta,

les CDs BIS 2300 et 2400, parus respectivement en 2019 et 2022,

qu’a superbement chroniqués, sur son site Discophilia, Jean-Charles Hoffelé,

en deux articles successivement intitulés « Bravoure » (en date du 21 mai 2019) et « Grand Piano » (en date du 14 juin 2022).

BRAVOURE

Et si le coup de génie pour réussir les Concertos de Saint-Saëns était l’entente intime et donc absolue entre le piano et l’orchestre ? À ce titre là, aucun pianiste n’aura eu cette chance, sinon peut-être Magda Tagliaferro pour son Egyptien _ le n°5 _ avec Jean Fournet.

Il aura fallu qu’un fils et un père s’y attellent. Evidemment, ce disque insensé doit être le premier volume d’une intégrale de tout ce que Saint-Saëns aura écrit pour son piano – il était un virtuose, cela s’entend : oui, oui… – et son orchestre. Car l’écoute délicate et fusante entre Alexandre et Jean-Jacques Kantorow expose enfin le génie de ces œuvres qui ne sont pas du tout des concertos classiques, se jouent des genres, revendiquent le droit à une fantaisie absolue _ voilà : Saint-Saëns ne manquait certes pas d’esprit !

Ce n’est pas peu écrire qu’ils sauvent l’opus le plus délicat de la série, ce Troisième _ composé en 1868 _, généralement le pont aux ânes des intégrales, ici en dessin clair _ oui _ et malgré ses ombres il rayonne _ mais oui… Le Quatrième _ composé en 1875 _ par le naturel absolu _ voilà ! _ de leur interprétation, rejoint Casadesus, les mêmes lignes lumineuses, mais l’ampleur des timbres en plus.

Et l’Egyptien ? Concerto redoutable _ composé en 1896 _, un peu Douanier-Rousseau, mais chéri des fortes personnalités : Tagliaferro l’aimait autant que Sviatoslav Richter, tous les deux y voyaient des Espagnes et un exotisme où le piano inventait d’autres sonorités tout au long de l’Andante qui n’est pas qu’un voyage en felouque : Saint-Saëns y produit une divagation poétique inouïe _ oui _ dont Alexandre Kantorow saisit les alliages subtils avec des caresses de grand fauve. Lorsque le motif de la musique nocturne sur le Nil résonne, il évoque dans le battement des accords qui stridulent le haut du clavier une dimension onirique que personne n’avait poussé aussi avant, avec une telle précision, ni Magda ni Sviatoslav.

La finesse _ oui _ des couleurs et des dessins que lui offrent son père et ses musiciens finnois sont de la pure poésie _ voilà. Le Finale peut venir, Alexandre fait fuser tranquillement son clavier, envole tendrement son piano avec des agilités de chérubin, petit génie dont ce n’est que le troisième opus ! J’admire !

LE DISQUE DU JOUR

Camille Saint-Saëns
(1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 3 en mi bémol majeur, Op. 29
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en ut mineur, Op. 44
Concerto pour piano No. 5 en fa majeur, Op. 103 “L’Égyptien”

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS 2300

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR.

GRAND PIANO

En ouvrant l’album, une photographie montrant Saint-Saëns jouant sous la direction de Pierre Monteux, Salle Gaveau le 6 novembre 1913 me saute aux yeux. Quelle belle idée, pour illustrer le deuxième volume d’une intégrale de tout ce que le compositeur du Carnaval des animaux aura écrit pour le piano et l’orchestre.

L’ampleur _ oui _ de la déclamation initiale du Deuxième Concerto _ composé en 1868 _, jusqu’au tonnerre qui ouvre le grave du piano, puis ce thème modelé avec une douleur sourde, quel art, quelle façon de faire entendre dans cette partition si courue comme une autre musique _ exotique… Saint-Saêns fut un immense voyageur de par le globe…

Le père aide le fils, cet orchestre n’est pas en retrait, il est absolument consubstantiel aux sons qui murmurent ou jaillissent du grand meuble dont Alexandre Kantorow joue comme d’un orgue, rappelant à quel point Saint-Saëns savait élargir le piano en creusant l’espace entre les registres. Faire entendre cela est simplement inouï. Finale épique, l’orchestre bondissant autant que le pianiste dans un saltarello à perdre haleine.

Génial _ absolument ! _ , comme tout le disque où le fils et le père rédiment le Premier Concerto _ composé en 1858 _ et se délectent des bizarreries _ en effet délicieuses _ d’Africa  _ terminé de composé au Caire, le 1er avril 1891 : Saint-Saëns adorait séjourner en Afrique ; et est, d’alleurs, décédé à Alger… _, de la fantaisie pince-sans-rire du Wedding Cake _ de 1885 _ (comme ce jeune homme sait se moquer, ses doigts rire !) ou encore de la pétillante bourrée _ en 1884 _ de la Rhapsodie d’Auvergne !

LE DISQUE DU JOUR


Camille Saint-Saëns (1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré majeur, Op. 17, R. 185
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
Wedding Cake, Op. 76, R. 124
Allegro appassionato en ut dièse mineur, Op. 70, R. 37
Rhapsodie d’Auvergne, Op. 73, R. 201
Africa, Op. 89, R. 204

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS Records 2400

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR

Œuvres superbes _ et magistralement classieuses… _ d’un immense, très grand, compositeur français,

à redécouvrir comme ici…

Et interprétations magnifiques _ que dis-je, absolument éblouissantes ! _

absolument idoines à l’idiosyncrasie du puissant génie singulier de l’élégant et clair et imaginatif et fantasque Saint-Saëns,

des Kantorow, fils et père,

saisis ici, au Tapiola Hall, à Espoo, en Finlande, en un jubilatoire enthousiasmant état de grâce…

Un double enchantement discographique, donc.

Et un must pour toute vraie discothèque !

Constituant une aubaine à ne surtout pas laisser passer…

Aux bons entendeurs de musique à ce point de perfection-là incarnée, salut !

Ce mardi 21 juin 2022 _ Fête de la musique… _, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un certain goût de l’ailleurs, mais un refus du romanesque et l’horreur de l’oubli d’un passé qui n’a pas dit son dernier mot : un cadre de recherche pour l’analyse de la poiétique de René de Ceccatty en la succession de ses récits autobiographiques

25jan

En poursuivant ma lecture un peu plus approfondie du « Soldat indien » de René de Ceccatty _ à paraître le 4 février prochain aux Éditions du Canoë _,

et précisant ainsi mon regard sur son nouveau récit, parti _ mais surtout admirablement travaillé à partir de ces tous premiers éléments reçus-là… _ d’éléments autobiographiques immédiatement actuels ou du moins récents _ en avril 2019, un retour (effondré !) sur le lieu (dévasté) de sa maison d’enfance, tout fraîchement détruite pour faire place à de nouvelles constructions, à Mégrine, une banlieue qui fut résidentielle de Tunis, à l’occasion d’un séjour de trois jours à Tunis pour un banal colloque de plutôt pauvre intérêt… _,

mais aussi et surtout, et très très vite, à partir d’éléments je dirai « enchâssés » _ Mégrine (le titre du second chapitre, pages 24 à 26, est ‘La Chute« , en une allusion à une malencontreuse chute survenue à Tunis, devant la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul, le 12 avril 2019 ; mais, vite relevé et lestement muni de nouvelles chaussures, René de Ceccatty embraye tout aussitôt : « j’ai voulu me transformer en poète, nostalgique et conscient. Et je me suis dirigé vers la gare pour sauter dans le train de Radès, en direction du village de mon enfance, Mégrine ») ;

Mégrine, en Tunisie, donc, renvoie, à moins que ne soit là une « télétransportation«  inverse, à Kagurazaka, à Tokyo, au Japon (le titre du tout premier chapitre de ce « Soldat indien« , aux pages 19 à 23, est « Souvenir du Japon » ;

de fait, l’appartement « avec vue » de Kagurazaka fut, de fin septembre 1977 au 30 juin 1979, pour René de Ceccatty, un lieu magiquement propice à l’écriture de « télétransportation » de ses souvenirs fantasmés de Paris et de Rome (pour ce qui aura été son second livre publié, en 1980 : le splendide « Jardins et rues des capitales« ) ;

et voici l’admirable phrase d’ouverture du « Soldat indien« , à la page 19 : « Voilà, la nuit tombe _ où ? à Paris ? à Montpellier ? En quel lieu de ressouvenance ou/et d’ écriture ? Ce n’est pas précisé _ et me reviennent les premières heures précoces de l’obscurité à Kagurazaka, ce nom que j’aurais dû m’interdire de prononcer une fois écrits les souvenirs de mon séjour japonais _ « Mes Années japonaises« , paru en 2019 _, comme si suffisait _ bien sûr que non ! le passé resurgissant et continuant à venir travailler toujours… _ à la mémoire le patient et régulier travail d’une retranscription minutieuse d’images, de sensations retrouvées pour qu’elle se referme sur elle-même, forte de cette construction mentale, de cette prétendue charpente d’un passé resurgi et restructuré, matérialisé de quelques pages remplies, recopiées, imprimées, rendues publiques, si discrètement que cela ait été «  ; j’y reviendrai… ;

et je détache encore ceci de crucial, à la page 21 : « Et quand j’écris Kagurazaka, nom du quartier où je vivais il y a quarante ans (…), ce n’est évidemment pas le lieu , géographiquement facile à situer, que je désigne (…), mais une zone de ma mémoire _ toujours vivante et vibrante _ qu’en l’ayant évoquée ailleurs je n’ai pas épuisée ») ;

et il faut bien sûr ne pas non plus manquer de remarquer que ce si beau livre se conclut, à la page 152, sur un chapitre d’une unique page, intitulé « L’Entrelacs« , avec une référence finale conclusive à « une belle vision du moine Dôgen » : « Rares sont ceux qui savent que les événements sont des entrelacs de glycine. Personne n’y prête l’oreille. Nul ne l’exprime encore. Peu en font la preuve »… Et de fait beaucoup de l’art de penser comme d’écrire de René de Ceccatty est en harmonie éminemment sensible avec cette intuition profonde de poiesis-là… _ ;

à partir d’éléments, donc, situés _ et ressurgissant ! _ beaucoup plus en amont de sa vie _ René de Ceccatty est né le 27 décembre 1951 ; lire, bien sûr, son à la fois lumineux et éblouissant « Enfance, dernier chapitre » ; cf mon article du 12 décembre 2017  «  «  _ ;

ou, encore, d’éléments étroitement connectés à la chaîne de transmission de son histoire familiale, je veux dire à travers les souvenirs de récits que René a pu directement recueillir, puis se ressouvenir, plus ou moins volontairement, à divers moments de sa vie, et dès sa prime enfance, de divers membres de sa famille :

_ d’abord, ses deux parents :

Ginette Fréah (Mateur, 22 mai 1924 – Montpellier, 21 juin 2015) et Bernard Pavans de Ceccatty (Lavilledieu-du-Temple, 27 octobre 1925 – Montpellier, 25 janvier 1984) ;

_ puis, trois de ses quatre grands-parents :

Françoise Antony (Le Telagh, 13 février 1896 – Bagnols-sur-Cèze, 23 mai 1983, précocément veuve d’Hamida Freah dès le 13 mars 1934),

Madeleine Brouillonnet (Frontignan, 2 décembre 1896 – Montpellier, 3 juillet 1995) et Valbert Pavans de Ceccatty (Ecrilles, 29 novembre 1897 – Montpellier, 8 novembre 1965) ;

_ ainsi, aussi, que quelques uns, trois, de ses huit arrière-grands-parents avec lesquels René a pu de vive voix plus ou moins richement échanger :

Gabrielle Durand (Valence d’Albigeois, 13 février 1872 – Montpellier, 26 février 1974) et Michel Antony (Calvi, 11 septembre 1866 – Montpellier, 15 avril 1961),

et Marguerite Richard Migneret de Cendrecourt (Montmirey-la-Ville, 14 juillet 1874 – Sainte-Alvère, 24 novembre 1970, brutalement séparée, sans un seul mot d’explication _ enfuie à la sauvette de Sfax ; cf le « Valbert, ou la vie à demi-mot«  de Max de Ceccatty (Sfax, 1922 – Montpellier, 2009), l’oncle paternel de René, un récit paru en 2002 à L’Harmattan… _, puis presque aussitôt veuve, d’Alphonse Pavans de Ceccaty, né à Mantry le 8 septembre 1868 et décédé à Sfax à la fin de l’année 1921. Alphonse et Marguerite s’étaient mariés à Montmirey-la-Ville le 16 août 1893…)

« Le passé, à travers moi, n’a pas dit son dernier mot. Au va-et-vient capricieux et inéluctable de ma mémoire, je dois me soumettre, me résigner«  _ ne serait-ce, déjà, que dans les rêves nocturnes du sommeil ; mais pas seulement eux… _, lit-on aux pages 22-23 du premier chapitre du « Soldat indien » ;

soient, ce « va-et vient capricieux et inéluctable de (la) mémoire« , formant des aliments essentiels _ par leur formidable puissance de vie, même impure, retravaillés par des strates antérieures (et recouvrantes) de souvenirs qu’ils sont, ces souvenirs raffleurant… _ et principiaux de la poiétique _ admirablement ressaisie et magistralement assumée, en ses infinis et toujours approximatifs merveilleux tâtonnements nécessaires ; cf, pour ce « Soldat indien« , cette expression à la page 12 de l’Avant-Propos : « J’ai voulu l’aridité d’un récit qui ne cache ni ses manques ni ses difficultés _ voilà _ à faire renaître _ certains Arts y aidant _ un homme obscur«  : l’ancêtre Léopold Pavans de Ceccaty, « le soldat indien » de ce récit-ci ; mais cela vaut pour tous les récits de René de Ceccatty, ces souvenirs évanescents mais revenant le visiter, étant au cœur, ou à la racine, de sa vibrante et si vivace poiétique, et des formes mouvantes, fugaces, que l’écriture vient laisser... _, de René de Ceccatty, depuis son expérimental  « Personnes et personnages » de 1979 et son magnifique et courageux « Jardins et rues des capitales » de 1980.

Voilà un premier cadre pour ma recherche d’identification, à partir de données biographiques accessibles, de la poiétique d’auteur de René de Ceccatty.

Ici, à partir du but qu’il s’est donné et nous indique dès l’ouverture de l’Avant-Propos, à la page 7 de ce « Soldat indien« , je cite :

« Ayant entrepris le récit de ma vie dans mes deux précédents livres _ « Enfance, dernier chapitre« , en 2017, et « Mes Années japonaises« , en 2019 _,

j’ai eu l’idée de remonter dans le passé, pour comprendre la logique ou l’illogisme de l’installation de mes grands-parents _ et paternels, côté Pavans de Ceccaty, Alphonse et son épouse Marguerite, venus du Jura et installés à Sfax, en Tunisie, en 1903 ; et maternels, côtés Durand et Antony, venus de l’Albigeois et installés au Telagh, en Algérie, en 1884, pour les Durand ; Michel Antony, né à Calvi en 1866, et garde des Eaux-et-Forêts, avait été affecté, en Algérie, au Telagh : la fille aînée de ce couple, Françoise Antony, est en effet née au Telagh le 17 février 1896 ; puis, le couple et cette fille aînée, Françoise, sont passés en Tunisie, où leur sont nés deux garçons, Gaston, à Hammam Lif, en 1908, et André Antony, à Béja, en 1910 _ dans les colonies nord-africaines.

N’y avait-il pas une fatalité _ voilà _ dans ces départs, ces défaites, ces exils, ces confrontations avec d’autres langues, d’autres cultures, d’autres modes de vie ? Les deux branches, maternelle et paternelle, ne s’étaient guère enrichies aux dépens des peuples colonisés : elles avaient seulement tenté de réagir à leurs ruines respectives. Du côté des ancêtres de mon père, le phylloxéra avait dévasté les vignes du Jura. Du côté de ceux ma mère, une auberge albigeoise qu’ils tenaient avait pris feu. Les deux familles ruinées avaient tenté leurs chances, l’une en Algérie, l’autre en Tunisie. Mes parents _ Ginette et Bernard _ deux ou trois générations plus tard, avaient réuni les sangs » _ il s’étaient mariés à la cathédrale Saint-Vincent de Tunis le 24 avril 1946, le lendemain de leur mariage civil…

Et au chapitre intitulé « Les Femmes de la famille« , aux pages 48-49 de ce « Soldat indien« , René de Ceccatty, qui n’est guère porté sur les recherches généalogiques, s’amuse à retracer, d’une part, les sûres filiations maternelles, remontant, de fille en mère, assez haut dans le temps dans l’Albigeois ; et, d’autre part, les plus incertaines filiations paternelles « Pavans de Ceccatty » _ « Il faut compter sur la fidélité conjugale de toutes les femmes qui me séparent de Léopold pour me convaincre que je porte de ses gènes (…) À ce seul prix, la chaîne des six générations qui nous séparent (il est le premier maillon, moi le huitième) n’est pas rompue. En matière d’ADN, il serait plus sûr de remonter du côté maternel et de s’enfoncer dans l’Albigeois, puisque les femmes venaient de ce côté-là, ne remontant tout au plus que vers l’Auvergne » précise ici René de Ceccatty _, en remontant de fils en père au moins légitime jusqu’à ce « soldat indien » Léopold, soit Charles-François-Léopold Pavans de Ceccatty, né à Quingey le 24 février 1724, et décédé à Salins-les-Bains, le 3 février 1784.

Lui-même était fils de Jacques-François Pavans de Ceccatty (lieutenant-colonel, baron), et petit-fils de François Pavans de Ceccatty (gouverneur de l’Académie royale de Besançon en 1662 ; originaire de la République de Venise, celui-ci était écuyer de l’Académie de Besançon, transportée depuis peu à Bruxelles, et fait baron à la date du 26 août 1673 par le Roi d’Espagne Charles II _ c’est seulement en 1678, par le Traité de Nimègue, que la Franche-Comté cesse en effet d’être espagnole, pour devenir possession française…

À suivre…

Car il me faut essayer de cerner davantage encore la singularité de la poiesis de René de Ceccatty en l’écriture de ces admirables récits à entrelacs, ou enchâssés, comme j’aime les lire

_ et comme, aussi, j’aime moi-même penser et écrire mes articles…

Car le réel _ et les rencontres dont perpétuellement il naît, paraît, puis disparaît, en ses incessantes métamorphoses… _ est en effet tissé de tels entrelacs odoriférants et colorés de glycines…

Que l’on peut toucher, sentir, saisir, et même cueillir, pour un moment au moins _ en saisissant bien ce que vient offrir le malicieux et impitoyable Kairos _, à la furtive floraison…

Avant l’effacement et le silence.

Dans le Temps imparti et donné au vivant.

Ce mardi 25 janvier 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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